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« La poésie vit
dans les couches les plus profondes de l’être, alors que les
idéologies et tout ce
que nous appelons idées forment les strates les plus
superficielles de la
conscience. »
Octavio Paz
in "L’arc et la lyre"
Voici
le poème de la semaine :
L’aube
26/07
premier rayon posé
sur la rosée
sur le pétale d’une
fleur des champs
c’est l’aube
un jour commence
un avenir ouvert,
rien de banal
un jour nouveau
jour de service, de
plaisir, de combat
ouvert
sur la beauté du
monde
en sa fragilité
nous respirons
portés par le respir
du ciel et de la terre
en ce jour qui
commence
un premier jour
un premier tour renouvelé
Voici un choix des derniers poèmes parus sur ce site
suivis de certains
qui sont vieux de cinquante ans, publiés ou
non :
La
mésange
de
loin je vois la mésange
perchée
sur le coin d’une gouttière
de
l’autre côté de la place
petite
boule de plumes
elle
ne bouge pas
on
dirait qu’elle réfléchit
à
quoi pense un oiseau repu
quelles
idées la tiennent-elles immobile
quel
monde est celui d’une mésange ?
on
ne peut l’imaginer
sans
doute est-ce réciproque
et
qui dira que le nôtre est plus vrai ?
Sieste
tardive
la
fenêtre est grand ouverte
et
moi
étendu
sur mon lit je dors
conscient
toutefois du pépiement d’une petite pluie
elle
pénètre mon sommeil
sommeil
léger d’un après-midi d’été
et
je me souviens
je
suis au milieu de champs entourés de collines
debout
comme au milieu du monde
et
je suis seul car il va pleuvoir
solitude
heureuse
pleine
comme une fin du monde
et
je le sens je rêve
et
je sens qu’il pleut dans la douceur de cette fin du jour
heureux
heureux
puis
un visage m’apparait
tu
es là
Paris square
Sous les arbres du square on voit des enfants bruns
essayer de dormir en des duvets d’emprunt.
Simples fils des humains sortis nus de la boue,
à quels rires ou quels pleurs ces sans-papiers se
vouent ?
Mais dans le frais d’avril piquant de ce matin,
dansant presque, une fille a souri aux clandestins,
Les platanes ont verdi eux aussi près du square :
faudra-t-il que cette fille elle-même perde
espoir ?
Sentinelles
Voici le soir et c’est le temps mauvais, le temps des
loups en meute
car le jour est passé dans une brume opaque aux ramures
amères
dans la forêt
irons-nous promener comme autrefois, promener et jouir
de beaux jours à lacs purs
non, car il n’est plus temps de rire et le temps est à
rage et colère et courage
courage aussi
on en est aux armes du langage et la raison reste de s’y
tenir
mais les figures de théâtre qui montrent leur besoin de
haine et de rire mauvais
eux sont aux aguets
elles demandent leur lot de chair humaine, oui, de chair
brune à chasser
et qui rêve de cela et le demande est un autre toi-même,
un autre nous-mêmes
sans espoir
et qui se placera entre chasseur et proie sans espérance
ni pouvoir, balayé sera
car c’est le soir et les paisibles nefs qui voguent dans
le noir
vont couler
préparez vos caches et vos ruses et tous vos savoirs
anciens, les savoirs
de ceux qui toujours ont eu à mettre le fugitif à l’abri
et celui qui fuit en lieu de paix
car il se peut
ici, que les temps tournent à l’orage, que les temps
sous peu soient mauvais
ainsi l’on se prépare à l’ombre afin qu’elle demeure et
reste au loin
très loin du jour
Marcher de
nuit
il fait nuit
nuit
sombre-noire
le poids des
nuages
ils masquent
toute étoile
à quoi bon
lever les yeux
à quoi bon
les baisser
et je dis où
vas-tu
le sais-tu
pourtant je
sais
suivant du
pied la route
car j’ignore
et je sais
en moi
quelqu’un le sait
ce chemin que
je suis
ne m’a pas
dit son nom
je vais dans
l’improbable
mes pieds m’y
conduiront
Chèvrefeuille
le sentier suit un long mur
de pierres
bonnes grosses pierres qui
furent blanches
et de loin en loin, comme
un buisson épais
accroché au mur
une masse de feuilles dures
et luisantes
et la parsèment des
centaines de petites fleurs
blanches, odorantes
senteur chaude enveloppante
d’appel à l’amour
vibrante d’appel à la vie
et je passe ainsi lentement
d’odeur en odeur
et je remercie
tellement satisfait de la
rencontre
Samedi
le matin
vient
ô sentinelle
de la nuit
le ciel
s’élève il monte
laissant un
jour venir
et ce jour
qu’elle enfante
la nuit ne le
connaît pas
le matin
vient
et vient
aussi la nuit
que l’on
devine
embusquée
après le jour
après lui
toujours
acharnée à le
détruire
le matin
vient
naît un beau
jour
et la nuit
vient aussi
pas de nuit
sans le jour
et ce que
doit la sentinelle
c’est
annoncer le jour
Le jour paraît
le jour s’élève
à qui pardonner ?
l’effacement des choses dites
des volées reçues
ne se peut, ne se doit
car le jour avance
derrière les pins voici la clarté
au loin les nuées
le ciel est blanc
et par-dessus déjà les moutons noirs
voici le jour
à qui se donner ?
les temps vont se rencontrer
hier et demain ne sont qu’un jour
et le soleil paraît
le jour hésite
la nuit des fleurs est une paix
tu ne peux la faner
et leur jour une aventure
fête humide du matin
Interlude
L’arbre qui bouge
un squelette habillé
la mort a erré en ce jardin
un petit souffle passe
et les enfants se taisent
un gravier roule
une feuille tombe
une branche a craqué
un petit merle a sifflé
un jeu se dessine
vite on a repris la course
Naissance
statuette de terre
je fus ainsi
muet j’étais alors
j’étouffais
sans entendre ni voir
je sentais peut-être
autour des bras qui s’agitaient
c’était le vent
qui sait
ou qui ou quoi
qui m’entrait par la bouche
qui soufflait
puis j’ai vu les arbres
et plus tard les gens
peut-être bien les gens d’abord
Marcher, chercher
il marchait sur un sentier
forêt profonde tout autour
ombre et nulle présence
il se retourne tout paraît
dans la beauté du monde
où la mort avait erré
mais il n’est pas écrit
qu’au tout commencement
l’abîme ait disparu
est-ce à moi de parler
or je ne sais que dire
ami fais-moi connaître
je suis pauvre de cœur
que vois-tu dans le noir
sais-tu trouver l’étoile
dis-le-moi car je cherche
dans le ventre des choses
dans le noir des rumeurs
Dites-moi
Je le sais on te nomme comme on nomme
les bateaux, les voitures ou les chiens.
Il le faut pour se comprendre
mais le nom n’est qu’un verbe au repos, toi tu marches
sur les nuées, tu te meus et tout se meut avec toi,
et voici toute chose en marche avec toi.
Mais sur le bitume des rues, sur le pavé des cours,
même sur les cours des palais cardinaux
ou les sentiers forestiers parcourus par les daims
déambulent des gens qui ne savent où ils vont.
Et nous voici parcourant des chemins imbéciles,
logeant en des maisons comme on loge les chiens
comme nichent des bêtes privées du savoir.
Dis-moi ma sœur, dis-moi mon frère, mon camarade,
fais-moi connaître car je suis pauvre de cœur :
que vois-tu dans le noir, sais-tu où retrouver
l’étoile ?
Dites-moi car je cherche et ne sais qui
et ne sais quoi dans la nuit du monde et de mon cœur.
Où l’on rit comme on pleure.
Vivants
Les chanceux, le Vivant les appelle
à rire, à sourire, à bénir
à vivre une vie qui soit telle
que son règne à venir
irise toute vie enfin belle
La clé
laisser tomber la clé
laisser la porte ouverte
même ouvrir le chemin
et faire table offerte
laisser aller son pain
sur les eaux de demain
le retrouver peut-être
dans la main d’un ami
ou bien d’un ennemi
dans le sourire espiègle
d’un enfant démuni
Avec Dominique Ratto
Te souviens-tu ?
te
souviens-tu de nos chansons
nous
les chantions ensemble aux soirs de mauvais temps
devant
la cheminée, son feu flambant
les
anciens chants du soir on les chantait souvent
à
la maison, au temple ou à l’école
et
nous étions enfants
le
monde était en sang
et
nous n’y pensions guère
quand
ton village ou ma rue étaient en guerre
rien
de plus rassurant que les vieilles chansons
aujourd’hui
on ne les chante plus
mais
devant la cheminée d’antan
nous
deux chantant
souriants
le
temps qui passe ne passait plus pour un temps
même
à deux voix nous nous trouvions unis
te
souviens-tu de ce temps-là
quand
nous chantions unis les anciens temps
Tiens ?
ils
cherchaient ils cherchaient
ce que ça
veut dire tout ça
mais ça
ne voulait rien dire
ça disait
comme une
pomme
ça se
mangeait, il fallait l’avaler
ou ça
pourrissait
tombait
avec la terre
ça faisait d’autres pommes
manger
avant
or jamais
je n’ai pas faim
aimez le
monde et le prenez
c’est bon
comme
disent les gens d’en haut
prenez-en
plein la gueule
Quittant la nuit
quittant
la nuit, ils sont entrés dans le matin fragile
la
joie, la peur, l’ardeur mêlées, la ferveur malhabile
parlant,
ils seraient obligés, ils seraient menacés
dansant,
chantant, ils se mueraient en oiseaux pourchassés
mais la
mort, en son fond, avait passé, restait le jour
la vie
qui s’entrouvrait, tendre bourgeon que l’on savoure
elle
s’ouvrait, papillon qui se déplie, proie facile
et qui
tenait en leur parole, en leur parler labile
aussi,
en cet instant, se sont-ils tenus cois, en leur patience
avant
d’oser sortir et dire, et trouver leur audience
lâchés
comme un vol d’étourneaux, ou sur l’eau comme une onde
ils se
sont égaillés, cognés, ont rencontré le monde
au soir
ils sont entrés, quittant le jour aux mots sans nombre
confiants,
tâtant des mains la nuit, au lieu où finit l’ombre
Enfants dépravés
les enfants, les petits enfants, tous
les enfants
qu’on en tue un, qu’on en tue cent ou
mille, ou bien dix mille
selon la pente de nos raisons
nos raisons folles, ô combien
déraisonnables ces raisons
il reste qu’ils sont morts
toi qui ne sais rien de l’avenir
sinon donner la mort
que fera-t-on de toi, quel sera ton
sort
sinon le pire
et qui a le droit de tuer les enfants
je vous le demande
qui s’arroge le droit d’assassiner
même les petits, les enfants
qui es-tu toi qui tue
tu es un imbécile, un enfant dépravé,
le sais-tu
lui qui ne sait rien de l’avenir
sinon viser la mort
que fera-t-on de lui, quel sera son
sort
sinon le pire
tuez-vous les uns les autres
vous qui aimez la mort, qui haïssez
l’amour
les enfants vous regardent, ils
voient ce que vous êtes
est-ce pourquoi vous les tuerez
aimez vos engins de mort, eux seuls
vraiment sont vos enfants
vous ne savez rien de l’avenir
rien d’autre que la mort
que fera-t-on de vous, que sera votre
sort
sinon le pire
Frêle
sous les débris
les fracas
la source infime d’un chant
aux oreilles du veilleur
un filet d’eau
murmure
écoute
tendu vers le silence
la paix qui vient
aux tempes martelées
naît
une fissure intime
cela suffit
imperceptible
l’infiltration s’impose
écoute
et continue continue
en toi se fraie le charme
car le combat des frêles
use d’armes futiles
mais vives
Nuit
je pleure
il me faut bien sourire
comme un rai sous
la porte
viens
donnons le jour aux
fifres
sortons les
tambourins
j’ai peur
il me faut bien tenir
comme un arbre au désert
tiens
je ne veux que
poèmes
la lune me pardonne
je meurs
il me faut bien bénir
comme l’aube entre les nuits
lien
entre deux blocs de
pierre
entre nuit et
lumière
Les chanceux
les chanceux
mendient le souffle de l’Esprit
le règne de Dieu est à eux
les chanceux
ce sont les doux
ils vont hériter la terre
les chanceux
ce sont les malheureux
ils vont être consolés
les chanceux
ont faim et soif de justice
ils vont être rassasiés
les chanceux
pratiquent le pardon
ils vont le recevoir
les chanceux
ont le cœur sans mélange
ils vont voir Dieu
les chanceux
sont les faiseurs de paix
on va les dire nés de Dieu
les chanceux
sont persécutés pour la justice
le règne de Dieu est à eux
Emballements
il arrive parfois que
les temps s’emballent
et les saisons
ils délivrent un message
en urgence
pour le bien des fruits à venir
et toujours à ceux-là
qui savent tout lire
des temps et contretemps
puis les temps se replient
dans le silence
et les humains oublient
pas les plantes ni les bêtes
ni la pierre ou la boue
ni la terre
ni même l’eau
eau du ciel, eau de la terre
et surgit le malheur
alors pour les humains
tout casser, tout refaire
pourvu qu’ils ne soient vieux
Participant
il ne se
sentait pas à sa place
il n’était pas à sa place
un peu dedans un peu dehors
un pied dehors un pied dedans
déplacé
toujours un peu ailleurs
en même temps parlant d’autre chose
parlant à côté
déclassé
d’ailleurs mal habillé
bien habillé pas à l’aise
dans les rassemblements
fredonnant
un air en dedans
souriant poliment
les doigts marquant son rythme allant
distraitement
triste quoique au
fond
aimant bien les gens
distraitement
Terriens
humain fils de l’humus
fils de la terre
en état de culture
non pas nu mais vêtu
des enfants de cet arbre
de toute science
de l’arbre de beauté
et de malheur
père de l’eau salée
qui pleut de lui
et fait lever le grain
et lui casse les reins
inventeur meurtrier
en la cité première
et pourtant paysan
auteur de paysages
fondateur de pays
et familier d’errances
Espérance
en elle qui se cache
je crois
je parle d’amour
elle qui va sans âge
ce jour
me dit courage
au sein du rêve
songe
des croyants endormis
au plus profond
je vis
comme au cœur de la
nuit
je suis un sac de
pleurs
et tout au milieu
la joie
La
voie
la courbe d’une parabole
voici le chemin
qui va droit se méprend
croit savoir, se croit sachant
il se perd
la route en son dessein
est de grâce
élégante et modeste
ainsi va la voie
un sourire
aussi va-t-on cherchant
par la roue du moment
cerclée de fer
l’inflexion d’une allée
où s’anime le souffle
Que dis-tu
que
dis-tu de la vie
que
dis-tu de l’amour
que
dis-tu de la guerre
tu ne sais pas
tu l’as
vue s’écrouler
la maison,
s’ébouler
ton
monde s’en aller
tu ne cries pas
il
faudrait bien qu’un jour
il
faudrait qu’en tes jours
il
faudrait qu’à jamais
tu ne haies pas
non, ce
que tu veux
non, tu
le chéris
cet
aujourd’hui qui va
tu l’aimes là
Les
arbres avec le vent
le vent, le grand vent, s’était levé
alors les arbres se sont mis à bruisser
ils aimaient sa façon de les malmener
quand il les traversait
quand il les chamboulait
imaginez toutes les histoires qu’il leur racontait
venant de loin
on ne comprend pas les arbres
ils ne sont pas de bois
ils aiment que l’on s’occupe d’eux
c’est humain
les arbres sont en nous
et nous sommes en eux
parfois même ils chantent
et c’est comme un appel
ils on besoin qu’on entre dans leur monde
là où ils sont vivants
dans leur monde vert
leur monde de terre et d’air
surtout quand le vent retombe
épuisé
L’entends-tu ?
L’an qui vient, d’où vient-il,
pour un bel en demain ?
Dis-le moi : s’en va-t-il, espoir tombé
des mains ?
Qui peut encor parler
en sorte qu’on l’écoute
sans que naisse le
doute ?
Qui peut parler et
dire s’il a le cœur lié ?
Ô toi qui as
l’oreille, le souffle régulier,
qu’entendras-tu venir,
verras-tu ce qui vient
renouveler les
liens ?
Si mon maître était
là, vraiment le dirait-il ?
Il tarde à investir
des esprits peu subtils,
il me parle peut-être
et je ne l’entends pas.
Toi perçois-tu ses
pas ?
Joie
ce n’était pas
compliqué
c’était juste un peu
de joie
aurait-il revendiqué
bien plus, un feu qui
rougeoie
une source, un puits,
de l’eau
un toit, un abri de
pierre ?
la joie, non tel bout
de terre
il a eu la peine amère
et la joie qu’il
demandait
ne fut pas même
éphémère
il ne l’a reçue jamais
sauf en la pompant de
force
au profond de ses
vieux os
sa joie, telle un doux
fardeau
il a le toit de
bardeau
la maison aux volets
verts
la source et l’eau à
plein seau
le lit chaud et le
couvert
saura-t-il puiser la
joie
circulant sous son
écorce ?
la joie, ce vieux s’y
efforce
Naissance de l’humain
Fils de l’homme, fille de l’humain, fils et fille des humains, fils
des hommes et des femmes, fille des femmes et des hommes, humains en nombre qui
naissent chaque jour sur la planète bleue,
humains de chair et de sang, corps rouges et blancs, glissants,
d’humains ensanglantés, fils et filles des femmes et sortant de leur ventre,
filles et fils des hommes qui les font leurs enfants,
petits humains au premier cri, première parole de douleur et
d’effroi quand vient en eux le souffle, humains aveuglés et apeurés déjà,
humains fils d’Adam fille de Dieu et semblables à lui,
enfants de la violence humaine, de la violence terrienne,
enfants de la terreur de la guerre et de la chaleur de l’amour, divins enfants
pour qui sonnent les tambours de l’amour et de la guerre,
humains homme et femme en un seul être advenu, seul enfant chez
tous les enfants nus, mort avec les autres de Bethléem, né avec les autres à
Bethléem, tous les autres en lui, bel enfant de l’humain,
enfant de la beauté du monde et fils de la terreur du monde et
fille de l’amour du monde et fils de la douleur du monde, enfant de l’avenir du
monde et fils de la mort du monde et fille des aurores…
Bonjour
je dis bonjour
je dis bonjour, je dis
merci, ou s’il-vous-plaît, excusez-moi, je dis au-revoir
ce n’est pas que je
sois poli, ça voudrait dire frotté au papier de verre
non merci,
excusez-moi, pas ça !
non, c’est par
provocation
c’est pour pousser
l’autre, en souriant, à montrer son visage, celui du dimanche
j’aime les visages des
gens, leur visage du dimanche même un lundi
c’est beau
Chanter
il s’était remis à chanter
l’ombre s’était retirée
il chantait
c’est ainsi qu’on s’éveille
tourne la terre
au matin nouveau
pourtant c’était la guerre
il chantait
le cœur ouvert
on ne peut attendre
vienne ce jour
la fin des crimes
vienne un chant nouveau
de ces ruines
qui serait amoureux ?
Autre
mais bien sûr il fallait que nous changions de monde
à défaut de changer
on a toujours besoin d’un autre monde à faire
alors on l’imagine
et quand il nous arrive il est déjà caduc
s’il n’est pas malfaisant
il faudrait il faudrait qu’un autre monde existe
par lui-même et pour nous
pourquoi faut-il toujours que celui qu’on nous montre
soit celui des puissants
un autre nouveau monde où les gens compteraient
et qui ferait vibrer
Le banc
à cet endroit de la
colline
le chemin sortait des
bois
dans la douceur des
vents
on voyait là toute la
plaine
on a fini par oublier
l’accord
celui de la terre et
de l’homme
un long travail
pour un paysage de
paix
et je repense à ce
banc
un homme, un paysan
il avait installé un
banc
d’où contempler la
plaine
cet homme est mort
reste le banc, reste
la plaine
reste le regard de
paix
le souvenir du cœur
des hommes
Matin
avancer sur le sentier
soleil aigrelet de novembre
entre vigne et taillis
au vert de l’yeuse
au loin l’église
au sommet du village
sa cloche tinte, perdue
qui ne parle plus
vers nous le jour avance
écouter
ce monde là, autour
vibrer du bruissement du monde
un souffle passe
passe un oiseau
Guerre
là se révèle d’où vient le sang
feu qui n’est pas tombé du ciel
mais qui monte vers le ciel
vue d’une terre en sang
demain viendra le sang
tout au loin se voit le ciel
le sang atteindra-t-il le ciel
le ciel s’abreuve-t-il du sang
en nos jambes cuit ainsi le sang
jusqu’à nos cœurs il monte au ciel
viendra-t-il un arc-en-ciel
circulerait le sang
Chien
andalou*
* clin d’œil à Buñuel
aucun doute c’est un chien
une chienne
elle trotte seule vers on ne sait où
pas de maître
aucun humain
pas de collier, de laisse abandonnée, rien
son poil est bleu
naturellement bleu de lune bleue
soir pâle, brume de nuit
la chienne furtive envoyée de la mort
qui court sans se lasser
imperceptible au vrai dans le paysage
elle sait
elle va vers où, s’en va vers qui elle va
tu n’as
pas à le savoir
Source
vient le mot source
et le
mot cristalline
et
ce mystère
que
l’eau me vienne
s’appelle
toi
et son nom véritable
qui soigne tout
on ne sait d’où
mais tu le sais
s’appelle toi
et l’eau qui sourd
source de joie
du très profond
du long désir
s’appelle toi
L’île
aux oiseaux
il y a dans cette île
tant de choses inutiles
que les humains aimaient
et délaissaient
sous les arbres de jais
et le maître des nids
loin tout là-haut
comme un enfant
je te parlais de lui
aux ailes lamées d’or
à l’œil de flamme aiguë
au long manteau de pourpre
plumes du soir
il te regarde
cette île
est celle des esprits
maîtres des vents et des pluies
on en revient salé
sorti des nids de conque
comme habité de mer
jeté vers les nuages
Visage
ce qui chante
en moi
n’est pas mien
fil de joie
que j’avais demandé
venu de loin
ce cœur d’enfant
ennuie les gens
cheveu
blanc
et sang
rouge
ce sourire
ne dit rien
sauf en dedans
visage
sans valise
murmurant
Songe
la nuit
viennent des rêves qui ne sont plus des rêves
des rêves qui enseignent
et qui disent
et vous mènent au vrai
là où tu ne voulais pas aller
ce sont des songes
fleurs accomplies
et le don est en elles
gratitude et tristesse
ainsi que joie
car ce qui vient en songe accorde le pardon
Bip
c’est la nuit
et aux bois d’alentour
un oiseau fait appel à
sa belle
patiemment
il n’est pas grand
musicien
elle non plus sans doute
il ne lui intime qu’un
bip
répété répété
alors elle vient
à moins qu’elle ne se
lasse
et s’en aille chasser
une autre fois peut-être
j’aime la nuit
l’oiseau qui ne se lasse
le souffle qui le porte
et la vie à voix basse
Danse du sable et de l’eau
je lève les mains, je touche le sable
je danse
ô ciel immense
je bois la vague, enfance
infatigable
je suis le fils, l’enfant de l’eau c’est
moi
ma mère
enfance amère
me noie, elle m’aère
il pleut là-haut
il n’est de ciel que d’eau, danserez-vous
en transe
le sel m’encense
le ciel, chaude présence
se mouille à nous
Chante !
rien n’est plus beau
que les chants de la douleur humaine
plus encore que les chants du bonheur
rien n’est plus beau
que les chansons qui consolent au soir
que les refrains qui réchauffent les âmes
rien n’est plus beau
que les péans des combattants qui sauvent
et les regards de paix des survivants
chante, toi qui pleures
afin que ce monde perdu s’émeuve
et que l’humain s’éveille un clair matin
Regret
des étés on en a vu
des beaux ciels à bébé
des marie-couche-toi-là
sorties des roses
étés à la demande
oubli des vents
d’ailleurs
souviens-toi mon amour
tu n’aimais pas cela
non
ni les hivers à dents
noires
à cheveux de varech
leur neige même en gris
on aurait dû l’inventer
le printemps
il n’aurait pas dit non
ni l’automne en
casquette
tiens
on aurait eu les temps
Parabole
du platane
une allée de platanes
des deux côtés
alignés tous les dix mètres
comme font les humains
mécaniques
mais sous terre tout du long
deux chaînes de racines liées
et d’un côté à l’autre
d’arbre en arbre
ce même lien
pour les platanes la vie
est ce lien
un seul arbre enfoui
et mille expériences feuillues
qui prennent aussi l’air
Caillou
il marche avec sa tête
il marche dans sa tête
pleine d’images
et ses jambes
s’oublient
et ses pieds
et s’il trébuche où
ira-t-on ?
pense à tes
pieds
à ce méchant caillou
celui qui roule
et si tu tombes où
s’en iront
mortes en chemin
en tête les
images ?
de quel ventre
inventif
de quel désir
est sorti ton
chemin ?
Nuées
le sol ne tient plus
la maison se disloque
fissures puis lézardes
ouvertures hagardes
dans les combles du
vent
venu le temps
où l’osier est plus
sûr
l’herbe tendre au pied
nu !
veiller au scarabée
et entrer dans les
arbres
comment se cacher
entre les nuées
les ciels
d’améthyste ?
déshabités
dans l’immensité
Qui tient
du fruit
la pulpe fait plaisir
ou bien rebute
c’est le noyau qui
tient
aussi la chair
que l’on caresse
ou que l’on blesse
le dur qui tient c’est
l’os
l’âme qui tient
Randonnée
il a plu ce jour
de la boue sur les
talons
bienheureux le vent
sorti de la ville
on frissonne sous la
pluie
averse choisie
une pluie d’été
l’estomac dans les
talons
vienne une accalmie
tiens ça dégringole
longue marche au ciel
trempé
repas chaud ce soir
Départ
à
peine avais-je pour toujours abandonné la maison
elle
s’est lézardée
elle
s’est lâchée
à
peine avais-je pour toujours dit adieu au grand cèdre
il
s’est effondré
lui
que j’aimais
à peine avais-je tourné les pieds qu’ils ont dû m’en
vouloir
et
finir d’espérer
je
m’en allais
Canicule
entre deux murs une venelle
à l’ombre déjà
et une chaise à dessein postée là
chaleur tout autour
comme une huile de vidange
épaisse, lourde et noire
mais là un souffle
comme la main d’une amante
frais et ténu et qui suffit
contre toutes les fournaises
une assise là
et juste un souffle
passé entre deux murs
je n’avais plus soif
frais comme une éponge d’autrefois
et bien allant
comme un grand vent de mer
pour marcher
En ce
temps-là
Il y a longtemps de
cela
il était là
tu ne le savais pas
En ce temps-là tous
les boiteux
les estropiés les
malheureux
les paralysés, les
lépreux
les aveugles et les
gâteux
tous ces gars-là
venaient à lui
ils repartaient sains
et guéris
En ce temps-là les
pauvres filles
filles de joie comme
on disait
pleuraient les larmes
de leur corps
leur corps vendu et
profané
redevenu digne d’amour
redevenu temple de
Dieu
Et les acheteurs et
les vendeurs
les raisonneurs
lui ont pas pardonné
La joie
il cherchait la joie,
la demandait
il le sait maintenant
elle n’apparaît qu’en
des instants fugaces
mais vrais
comme l’imprévu d’un
hiatus
un temps d’entre deux
temps
(les temps pouvant se
disjoindre)
tu marchais
l’air t’enveloppait,
te frôlait
devenu souffle, se
faisant brise
et là tu t’arrêtes
les arbres sont des
arbres, les fleurs des fleurs
et tu t’arrêtes
la joie en moi
en un pur apaisement
la poitrine exultant
reconnaissant
ne sachant que faire
d’autre que rire
les oiseaux se taisant
puis je repars enveloppé du vent
La poésie s’est envolée
« Quand le Divin
a fini de parler dans l’Écriture,
la poésie
commence. »
Erri de Luca
il arrive que la
poésie se taise, honteuse
elle n’avait pas
entendu ce que disait le maître
elle n’avait pas
écouté, elle restait coite
toute rouge
avec ses nattes bien
serrées pourtant
son petit col amidonné
son tablier rose et
ses socquettes blanches
ses souliers cirés
bien noués
vous me ferez cent
lignes avait dit le maître
cent lignes ce n’est
pas de la poésie, c’est du recopiage
la poésie s’est sauvée
avec ses ailes
amidonnées, son luth aux cordes rouges
à force d’être pincées
et ses pieds de iambes
entrecroisés
ses histoires à rire
et à pleurer
la poésie s’est
envolée
toute la classe a
respiré, partie la petite bêcheuse
pour qui se
prenait-elle
chouchoutée par le
maître avec ses airs de sainte-nitouche
on allait pouvoir
travailler
sérieusement
s’emmerder, le crayon mâchonné
mais on avait oublié
le poème
rêvant au fond, près
de la fenêtre, de l’encre sur les doigts
cheveux embroussaillés
Évêques
dans le ciel bleu bleu bleu
quelques nuages blancs
le vent est leur maître, ils ne sont que
vapeur
c’est pourquoi je les aime
on a toujours raison de contempler là-haut
ces avaleurs de vent sur la mer translucide
ils nous parlent de pluies promises pour
plus loin
le souffle qui les mène les sculpte par
instants
transformés en troupeau comme brebis
fantômes
en armée démunie, en nuées assombries
en bêtes malfaisantes, en ombres
maudissantes
(le vol de l’hirondelle effrange alors la
cime des forêts)
humains aussi parfois, nuages effigies
transmués en gisants
longs évêques allongés s’avançant pieds
devant
la mitre effilochée
austères, en partance vers les prairies
célestes
monde mouvant
quand un coup de vent les transforme en
serpents
en dragons bénissant
chimères au-dessus de nos têtes
rêveuses
ombres éphémères s’en allant
ainsi peut-être les gens
Chaînons
la chaîne faite par
orfèvre
ses chaînons peuvent
s’ignorer
étrangers l’un à
l’autre
la chaîne même ronde
n’a-t-elle pas de
sens ?
mes jours te portent
et chacun d’eux
t’ignore
dispersés par le vent
l’odeur du lien
demeure
avant de s’évanouir
un matin l’on
s’éveille
sentant l’odeur
étrangère
on l’imagine toute à
soi
c’est le rêve de la
nuit
c’est ton souffle de
la veille
Samedi matin
Samedi matin assez tôt
j’ouvre les volets
la place est calme,
pas un bruit hors le bruissement des platanes
comme disait un homme
arrivé trop tôt, le monde il est pas là
au fond, entre la
poste et l’école, un grand espace est libre
la route le longe, puis le
moutonnement des bois s’attaque à la colline
au loin, tout en haut,
maître des lieux, un if
sur la route, de
gauche à droite passe un humain
il disparaît derrière
l’école
puis un corbeau, de
droite à gauche, vers la poste
tous les volets sont
fermés
passe un moment, une
porte s’ouvre
une jeune femme, son
chien tenu en laisse, traverse la place en silence
impavide, là-haut, se
tient déjà le soleil
côté cour, côté de
l’ombre sur les murs
c’est du côté jardin
que viendra le soir, journée passée
je sortais de la nuit
et voici que j’y vais, le temps d’un tour
samedi traversé,
bienheureux jour de vide et de silence
demain c’est le
dimanche
Rébecca
Celle qui me donnera l’eau
disait-il sera celle
que mon seigneur envoie chercher
pourvu qu’elle soit belle !
Voici
l’Esprit
Vers elle un jour ira le fils
et se voilera-t-elle
émue de le voir approcher ?
Je la devine telle
Voici
l’Esprit
À la source le messager
lui dira « Demoiselle
le maître veut une épousée
et c’est toi que j’appelle ! »
Voici
l’Esprit
Ma mère il faut que je m’en aille
j’entends battre les ailes
du vent d’ailleurs à me toucher
mon cœur à lui se mêle
Voici
l’Esprit
Je fus à la claire fontaine
à la source fidèle
et ne saurais me détacher
de la soif qui vient d’elle
Tel
va l’Esprit
Jour
il y eut un jour
il en est peu dans une vie
longue soit la vie
un seul parfois
il y eut ces jours
où se mirent en place
en place toutes choses
et t’enrôlèrent
il y eut le jour
où s’enroulèrent
comme un ballot de nippes
tous les parcours
en un tel jour
tu ne vois pas la sente
en l’ombre devant toi
où tu marches pourtant
en certains
jours
où se presse la fin
se tresse de tous les brins
rien n’importe enfin
au demi-jour
après voilages et feuillages
tu peux apercevoir
un visage
venant au jour
l’espace enfin devient séjour
ainsi vas-tu
pourquoi broncherais-tu
L’étrange
à Rafilipo
il riait comme un cheval
les dames se retournaient
j’aimais cet homme étrange
pareil aux vieux poèmes
quand les morts lui parlaient
quand il parlait aux morts
les os se retournaient
dans les tombeaux de pierre
il disait des secrets
dans sa langue inventée
les femmes caressaient
lissaient son crâne d’os
et pour les oiseaux du ciel
son épaule était amie
Au front
au
front aucun doute
dans
cette boue humaine
et
ce vacarme humain
dans
la sanie humaine
sous
les bombes mortelles
le
courage fou des humains
la
folle peur des humains
leur
frénésie
disent
tout de l’humain
l’humain
privé
de son amour
Chœur
À
Míkis Theodorákis, i.m.
il est un chant qui monte
dans la rue
qui l’entend pourra s’en
émouvoir
et ton cœur sait bien qui
le chante
dans le noir une voix
s’est levée
qui l’écoute pourrait
pleurer de honte
c’est ton frère et tu
l’entends chanter
dans le ventre des gueux
il est une chanson
dans leurs jambes se meut
une danse
dans leurs mains se
glissent des barreaux
où est-il, ma mère, cet
oiseau rouge et noir
qui planait au-dessus des
eaux ?
où est allé le souvenir
des hommes ?
Mon ombre
je dois vous dire que la nuit
je le sais, mon ombre disparaît
comment reconnaître alors
où se tient mon soleil ?
je sais pourquoi, la nuit
enfant j’avais
peur du noir
pas d’ombre sans lueur
sans l’ombre quel espoir ?
la nuit plus de repère
disparue ma profondeur
sans l’ombre comment croire
qui règne en ma nuit noire ?
Serait-ce un peu
mais si
je devais vivre encore
serait-ce
un peu
ne
parlant guère du passé
comme
font les vieux
je raconterai
je dirai
les
beautés des moments à venir
au-delà
du malheur
plus
loin que la peur
je
dirai les matins en gloire
les
soirs de paix fragile
les
garçons et les filles
pour
chanter leurs amours
après
toute laideur
plus loin
que les tueries
au-delà
des offenses
je
dirai la beauté
dans
l’odeur du jasmin
la
salure de la mer
les
délices de la peau
le
chant des grandes eaux
la
danse des moineaux
je ne
dirai du passé
que le
courage des humains
l’amour
des miens
et pour
le temps qui vient
le
bonheur têtu de vivre
Les trous et les éclats
la robe de l’angelesse était pleine de
trous
robe que les étoiles, les soleils ont
ruinée à l’usage
les puissances
elle qui détenait en ses mains en sa
bouche et son cœur
les mille et une justesses semées au
jour le jour
nuits et matins lourds
mais elle a dit
pour filles et garçons, pour les
hommes, les femmes
cœurs sans ruse, aux mains de cuir
tanné
mains au lavoir ébouillantées
souliers lourds, cannes familières,
mouvants dentiers
têtes lourdes enrubannées de soucis, de
graves pensées
elle a dit l’amour
dans leur ventre mis l’espoir, attente
rude, fier regard
par les éclats de sa robe, éclats d’un
monde heureux
pour eux
de là le courage
Pâques
Une porte est ouverte
le monde n’est pas fini, l’univers n’est pas clos.
Imaginez une existence avec une porte ouverte à l’intérieur...
Vous êtes à l’entrée, juste au seuil
aventure inouïe d’une vie autre
découverte des ailleurs
– Je fais du neuf, dit Dieu, je vais plus loin
je dis oui à l’aventure, je dis oui à la bonté, je dis oui à la
beauté
oui à la justesse, à l’élégance de la vie
je dis oui au combat !
Leurs savoirs
commande commandera
ce sont les messieurs
leur savoir et leurs sous
chacun le sait depuis l’enfance
et au-delà
le savent hommes et femmes
avec leurs mains et leur savoir
leur infini courage
leur colère concentrée
tout en dedans
Le soldat et sa fleur
Le soldat était
sale couché dans la boue
il tenait chaud à la
terre elle dégelait
il était là depuis
longtemps sans bouger
la boue
rougissait il saignait le sang coulait
un éclat dans la
cuisse plaie ouverte
il s’enfonçait dans
cette soupe de terre noire
boueuse et de glace fondue et de sang
le plus souvent il
dormait il somnolait
sans souffrir le froid l’en protégeait
un rêve le tenait
éveillé même à moitié
le rêve d’une fleur
émergeant de la boue
à demi gelée vivante
crasseuse et flétrie
d’autres aussi un peu plus loin éparses
la fleur était proche
de sa main une main
rougie de froid et de
sang à demi gelée
et la fleur était
bleue d’un bleu tendre et terne
un bleu-roi de ciel
ouvert sous un ciel mort
le blessé cherchait
dans sa mémoire
il voulait se souvenir
du nom de cette fleur
il se disait quand je l’aurai trouvé je mourrai
trop fatigué tranquillement je partirai
tout était clair dans
son rêve de fleur perdue
puis il s’est
éveillé non il n’avait pas rêvé
la fleur bleu délavé
était là à sa main
elle n’avait pas
disparu et son nom bleuet
les sauveteurs sont
arrivés ils se sont évertués
ils ont écrasé la
fleur alors il est mort
Ritournelle
La Lulu
n’a pas bu
l’eau du ru
y en a plus !
et
Josette
l’a
perçu
menues
bêtes ?
disparues
!
Janicot
s’est émue
d’asticot
y en a plus !
Isabeau
est
déçue
les
moineaux ?
disparus
!
Jeanneton
n’a pas vu
d’hanneton
y en a plus !
Marylou
l’a pas su
le
hibou ?
disparu
!
À Margot
n’a paru
d’escargot
y en a plus !
Jacqueline
t’as
pas chu
sur
l’hermine
disparue
Émilie
a voulu
voir la pie
y en a plus !
pour
Mireille
c’est
foutu
les
abeilles
disparues
Ah la la ! le sais-tu ?
tout
cela ? c’est perdu !
Le sabot du cerf
(cinq dires)
comme le
monde en marche, allant
laisse
un temps jouer sa roue
pour
qui l’écoute
ainsi
avance le poème
silence
percé de trous
visage rond
qui n’est que rond
visage long
qui n’est que long
qui
dira l’or
caché
au fond ?
c’est
le silence
comme une
nuit, comme une paix
quand
cesse le silence
reste
un voile sur le monde qui bruit
le
monde existe
en mouvement est le poème
fermé ou non sur soi
comme le monde
troué ici ou là
le cerf
n’a pas besoin de voir
où son sabot
se pose
il le
sait
au
monde
que de
mystères !
Le mensonge
qui es-tu, on me demande
si je voulais je ferais comme les
autres
je mentirais
je dirais qui je suis pour les gens
nom prénom date et lieu de naissance
ça suffirait
là ne se tient pas le mensonge
mais plus profond
qui règne dans le silence et l’oubli
dans ce qu’on ne peut pas dire
il se tient à ton insu
dans l’indicible et l’impensé
quelle importance ?
il ne te revient pas de te nommer
en vérité
car plus profond encore
et plus avant
un autre s’en occupe
À Magdala
Possédée
elle se
souvient de tout
s’est
toujours souvenue
amour
jamais effacé
pourtant
brusquement arrêté
c’est
lui qui l’a laissée
abandonnée
pour suivre son chemin
mourir
à cet amour
et
quand il est revenu il ne l’a pas touchée
elle
n’a pas reçu la grâce d’un baiser
se
reverront-ils ?
est-il
heureux de son attente ?
elle se
le demande
tant de
démons le lui demandent
viendra-t-il
seulement ?
elle
attend
Dix bulles au
hasard
chemin
de terre choisi
courir
souffle rendu
pour
aller où ?
tu occupes le terrain
l’indigo du ciel tourne au mauve
toi tu parles
restent
les mésanges
les
autres ont foutu le camp
les
oiseaux
éviter les rues
prendre les venelles furtives
on s’y rencontre sans faire exprès
sous ce
grand soleil
il fait
très froid
comment
faire confiance ?
quand hier devient demain
que d’ennui
mais l’amour éveille encore
en vélo
il tire un cheval
avec
une corde
le
cheval imagine l’inverse
on ne meurt pas pour une cause
mais pour des gens
arrivé là
prendre
son temps
chaque
pierre tombe à l’eau
autant qu’elle éclabousse !
on a tout dit de tout cela
de plus encore
j’en tire ici un résumé succinct
Religion
les
belles choses
aux
yeux des gens ont du prix
et les
violents s’en emparent
recherchant
le prix sans saisir la chose
mais
l’ayant investie ils font d’elle
ce
qu’ils valent, la violence et le mal
et
parfois même la beauté du mal
mais le
pauvre cherche la chose
sans
prix
Dieu ma
voie
ma voie
justement n’est pas la mienne
elle
est un flux, un courant
avançant
je me démène dedans
ou
reculant
un
courant qui traverse les mouvances
des
univers, des temps
un flux
dont l’origine se perd dans l’hier
et la
visée, demain
me
suis-je mis dedans, m’y a-t-on mis
j’y
nage, pas content, content
à
l’aise pourtant
mêlé
aux croisements des temps
et je
dis à ma voie, veux-tu rallier
un jour
un océan de paix ?
je
crois qu’elle s’y efforce en son désir
elle
que je crois désir
mais
elle ne répond pas
mon
chemin aime qu’on le devine
Non
au petit
détour du matin
j’ai
toujours su qu’en moi
un noyau
lourd et dur
disait non
noyau de
paroles dites mortes
où des voix
très chères
des voix
très proches
disaient
non
au soir je
les ai retrouvées
miennes autant
que la mienne
contrepoint
de chaque heure
disant non
et je
m’entends parfois
dire leurs
mots qui sont miens
car un oui
de pure vie
dit ce non
Il a faim
il a
faim
je dois
dire
il faut
partir de là
il
s’agit de l’humain
de tout
l’humain
il a
faim
faim de
pain
aussi
faim de rire
l’œil
rouge de vin
et faim
d’amour
homme
et femme
faim de
joie
il a
faim l’humain
faim de
paix
et
d’amitié
faim
d’œuvres à créer
faim de
travail
et de
beauté
et je
dois dire
faim de
sens
pour être
vrai
faim de
pourquoi
moi
l’humain
et de
réponse
besoin
d’un chemin
d’une
voie pour aller
avancer
et que
roulent
comme
un torrent
et
justice et justesse
L’orage
ici assez d’eau
notre bouche est amère
bienvenu soit le temps de la fête
venu l’orage, le grand, venue la
pluie
passé le vent, allé plus loin
un peu d’eau coule encore
l’orage a filé vers son maître
le fleuve appelle à sa bise
le fleuve a crié vers le vent
l’eau du bas s’assoiffe vers
l’en-haut
le ciel la couvre
chiens du haut, filez
danserons-nous, aimerons-nous
mangerons-nous et boirons-nous ?
on dit les yeux du messie rouges de
vin
Ouverture
tenez, dit Dieu, ce n’est pas tant
l’année
qui s’ouvre
mais peut-être vos yeux et peut-être
vos mains
et tenez, votre cœur, même
et vos entrailles
et si m’en croyez, alors vous verrez
vous serez étonnés
moi-même je suis étonné, dit Dieu
quand je vois la bonté, et la
beauté, et l’amitié
et l’aménité sur l’année
le mal, ça ne m’étonne pas
ni la brutalité, ni la méchanceté,
ni la cruauté
non, mais la rose sur le fumier
elle m’étonne, tenez
elle me fait pleurer
Choisir
sans
pathos
de
façon très pratique, s’aimer
l’année,
direz-vous, fut mauvaise
qui
s’en va
je vois
plutôt que cette année
nous montra
ce qui
se tiendra devant nous
qui
viendra
et qui
n’a fait que commencer
quand
sont mis
devant
eux la mort et la vie
les
humains
choisiront-ils
la mort demain
ou
s’aimer
Je
suis venu
tu attends que je vienne ?
je suis venu
avance toi vers moi
ta vie est dans la mienne
je suis venu
pour toi, pour l’univers
espère-moi
je viens, ne le sais-tu ?
le temps de ma présence
de mon absence
de ma venue
font un seul temps de vie
je viens encore en toi
je suis venu
ces deux fois n’en font qu’une
à venir comme advenu
avance encore, avance
tu vas vers l’inconnu
tu vas me trouver nu
je suis venu
Devenu vieux
ne cherchez pas
c’est une guêpe aiguë
elle pique comme on mord
rien d’autre, un remord
un regret vous agresse
mauvaise pensée triste
et noire une aile passe
un corbeau, un mainate
rabâche vos méfaits
une ombre survenue
les efface sans hâte
devenu vieux
Un qui passe
un étranger sur le chemin
un autre que les autres
est passé tout à l’heure
or voici que j’aime
ceux qui passent
homme, où vas-tu danser
quel bal, au bout de ce chemin
quelle aventure ?
rester ici le cœur me
pèse
il faut que j’aille un
peu plus loin
je veux le vent, je veux
le large
je veux braver
l’immensité
fut-ce la noire immensité
dans les abîmes pour
m’ancrer
aucun bateau n’est au
mouillage
qui lui rendra ce que lui-même
aura perdu ?
Aller
mon corps est un tamis que
traversent les ondes
mon cœur est un foulard que
transpercent les vents
et trembler, frissonner, tu vois
filer ma vie
mon corps est un taillis que les
gelées parcourent
mon cœur est un hallier que les
bises rebroussent
mais chanter, fredonner, tu allèges
ma vie
mon corps est un estran que les
noroîts survolent
mon cœur est un hiver que les
printemps délivrent
s’abandonner, aller, tu fais vibrer
ma vie
Tu te tais
entre toutes les rapidités
les fureurs, les fracas
affolements de foules effrayées
ou rires exagérés
trombes ou traversées de foules
tu te glisses
tu es la couleur du silence
interstices de peurs
intermittentes colères exténuées
rages et tendresses cependant
souffle des soulèvements
misères
tu vas sans bruit
est-il important que l’on t’ignore ?
tel quel
au fond, ça marche tout seul
ce truc-là, la poésie
suffit d’écouter le silence
la nuit
en toi, le silence, faut dire
n’existe pas
ça n’arrête pas de parler, là-dedans
alors si tu écoutes bien
tu en apprendras, des choses
que tu ne savais pas
de toi
que tu ne peux dire
aussi
tant il en est
du monde et de là-bas
Impoli
j’ai déjà vu un ovni, si si
et rencontré un ange aussi
faits réels à ne pas dire
choses qui font sourire
car l’inconnu dans la maison
fait sourciller la raison
Dans le noir
cette nuit-là, dans l’ombre
j’ai discerné la rougeur d’un tison
la crête rouge de l’oiseau du matin
brasillant dans le noir
crois-tu vraiment, m’a-t-on dit
voir autre chose que la nuit
au travers de l’obscur et après
lui ?
sombre est le monde où tu vis !
j’ai dit non, il me faut
avant toute lueur mensongère
percevoir dans le noir
la crête rouge de l’amour et de
l’espoir
car il se peut que les yeux agrandis
les yeux noirs des enfants de la nuit
des enfants à l’avenir volé
annoncent des vies étoilées
que leur mère leur apprenne
le sourire après la peine
et que l’humain soit promesse
un peu serait-ce
Non
Réformation
tu dis
non comme un fusil
tu dis
non
tu
cloues sur le mur le Non de ta jeunesse
tu colles
sur le mur l’affiche de ta jeunesse
on te
dit viens tu dis non
on te
dit que valent et que vaudront
tes
brèves vérités contre le vrai
bonheur
d’être ensemble et tu dis non
homme
libre tu dis non
l’amour
d’un Seul est ta raison
in memoriam
Martin Luther
Ainsi parfois
ainsi
parfois le vent se lève
et le mot
vie se pose sur ta bouche
mot de feu
les temps
remuent, les esprit bougent
les ifs du
jardin en vivants se muent
plus de
tombes
là tout se met
en mouvement
comme les
mois et les années qui passent
et les
jours
et tous ont
à cœur de parler
aussi tous
les mots et toutes les phrases
les oracles
ainsi
parfois souffle un esprit
et la
poitrine et le cœur se dilatent
vient le
jour
Plongées
un jour peut-être, un autre jour
nous aborderons la lèvre des lacs noirs
et nous camperons là comme on campe
pour avoir été chassé d’un ailleurs
au bord des lacs noirs avant d’y plonger
nous allumerons des feux et nos visages
rougis par le feu de l’amitié se contempleront
dans la chaleur d’un sourire
toujours à nous se rappellera ce moment
où nous nous aimions au bord des lacs noirs
avant d’entrer vers l’inconnu
dans le dénuement, la nudité de l’amitié
notre souvenir, caduc, aura-t-il disparu
ou bien sur l’autre rive des lacs noirs
sortirons-nous lavés après longtemps
pour tant d’autres aventures ?
Rêve
de marche
J’étais assis sur le pas d’une porte
je regardais passer les gens
leur mot d’ordre était ″colère″
les maisons bâties en paix
semblaient courroucées, volets fermés
et les gens qui passaient me regardaient fâchés
leur regard me disait marchons marchons
ils ne dansaient pas de joie
contents de marcher ensemble
le cœur en joie
non ils m’en voulaient
je ne répétais pas leurs dires de marche pour aller où ?
et comme ils ne savaient pas où aller pour marcher marcher
ils ont compris
c’était contre moi qui ne marchait pas
qu’il fallait se tourner
et ils se sont massés devant moi
qui étais assis sur le pas d’une porte car j’avais mal aux pieds
et qui les regardais passer
et ils m’ont tué
soulagés
Mon amour s’est
levé
19/09
lève-toi
mon
amour s’est levé
mon
amour est devant
les
injustes ont crié
ils ont
maudit
levé la
main
souris
ouvre ta
main
sur
leur fer
sur
leur colère
laisse
couler les larmes
regarde
leurs visages
c'est
nous peut-être
avance
nul
n’est exempt de haine
nous
sommes aussi ceux-là
que sa
ville ne te charme
il n'y
est pas
il s'en
est allé
les royaumes
écroulés
il
vivra
il a su
tuer en lui
la
force du combat
Par la fenêtre
je suis assis, j’écris
je lève la tête, je regarde par la
fenêtre
elle est grand ouverte
elle cadre un espace étranger
une autre réalité
un dehors
on voit loin, au-delà des maisons
on voit les arbres, vie multiple
platanes, mûriers ou fayards élancés
et plus loin, dans un effet de brume
comme un voile léger
les collines, brousse mouvementée
elles vont loin
mais plus vaste est le ciel
autre monde encore
rarement traversé, rarement peuplé
habité de quelques nuées
un autre monde
et toi, où es-tu ?
Deux rois
la
légende légère
par
les bois par la lande
courait
citant deux rois
deux
rois qui désertèrent
foulant
au pied les lois
ainsi
dit la légende
♣
parut
un jour un roi
assis
dans la poussière
ne
parlant que d’effroi
parut
un jour un roi
qui
écrivait par terre
qui
renversait la foi
on
les disait prophètes
ils
prédisaient la guerre
la
chute de nos pierres
on
les chassa sans peine
avant
que tout ne vienne
on
chassa la défaite
ce
furent jours de fête
nos
murs se relevèrent
la
guerre se calma
♣
ne
croyant pas cela
nous
écoutions le bruit
le
son du cœur qui bat
c’est
le cœur de la terre
le
songe de la nuit
les
mots vrais qui libèrent
Mariam âgée*
j’aime imaginer Mariam
sur une canne courbée
Mariam une vieille femme
voyant mal et dents tombées
elle aura vécu longtemps
chez l’ami de son fils mort
il la traite tendrement
lui parle du temps d’alors
bien des femmes de son âge
ont vu leur fils crucifié
et ne seront, quel dommage
comme elle ainsi consolées
parfois l’ami lui rappelle
ce qu’il a vécu, et cru
tombeau vide bien réel
et corps vivant qu’il a vu
elle le sait et le croit
pourtant, non sans embarras
elle aimerait mieux, ma foi
tenir son fils dans ses bras
des rêves l’ont étonnée
car c’est elle qu’elle y voit
jeune, belle et couronnée
l’enfant blond lui semble un roi
on ne peut dompter un rêve
se dit-elle un peu gênée
simple bulle à la vie brève
suffit de s’être donnée
autrefois elle a dit oui
comme elle était jeune alors
en son cœur elle a enfoui
ce bonheur tel un trésor
elle avance vers la mort
elle y pense bien souvent
bienheureuse de son sort
s’être ouverte au dieu vivant
* Dans les langues bibliques, hébreu
et grec, Marie se dit Mariam.
Le prunier d’Aline
le prunier d’Aline
a perdu toutes ses
feuilles
couchées dans l’herbe
rousse
on ne sait ce qu’il
deviendra
laid tout nu, il ne
respire pas
noir écrit dans le
ciel du soir
c’est une année, la
nôtre, sans avenir
et trouvera-t-il assez
de racine
au monde qui vient
un de ces jours à
naître
pour repartir
ou devra-t-on
l’abattre, se passer des oiseaux
des merles et des
moineaux
attirés par ses prunes
ainsi que les enfants
bruissement d’ailes et
mille rires vibrants
le prunier d’Aline, il
faudra qu’on y pense
le voudrait-on voir
reverdir
vie nouvelle, notre
monde à venir
et produire, source de
plaisir
un nouveau
devenir
Sud
c’est
un village qui a deux mains
sa
main fermée se serre sous les pluies
seaux
d’eau longtemps jetés à la face des villages
et tu
vois que ce pays est clos
et
toi venant de lieux qui connaissent en la pluie
l’occasion
de maisons chaudes
et de
flambées et d’alcools
et de
longs parlers d’amis
tu
vois la rue torrent boueuse et dévalant
rouge
comme une plaie d’Égypte
et le
village ne sait plus vivre avec les autres
perdu
le grand témoin là-haut
qui
marque en bas les heures d’ombre
les
vieux maudissent sous le rideau
avec
un visage de vent le village vivra
main
ouverte et tu verras
sa
paume ne veut rien garder mais elle envoie
sa fleur
offerte au soleil rebroussée par le vent
à
l’odeur bonne
Fuite
un jour un jour tu
diras
enfin te voilà
fini le combat
j’attends
cela
j’attends le jour
ce jour
où tu m’attendras
des fleurs alentour
et
dans tes bras
image naïve il est
vrai
carte postale
d’anciens jours
amour amour à
jamais
et
cœurs lourds
j’invente tout cela
je ne sais où j’en
suis
tu me manques et
voilà
mon
temps s’enfuit
Cyprès
Il y
avait ce lointain jour
un peu de
brume entre mes pieds
de la douleur
éparse autour
sans se
renier
Je t’ai
portée d’entre mon cœur
au par
devant de mes cyprès
et je
t’ai dit dans ma douceur
va-t’en d’auprès
Tu
m’avais dit garde l’amour
alors tu
t’étais éloignée
il reste
pourtant ce vol sourd
d’oiseaux
saignés
En marchant
marchant bon an mal an
habité de questions
habillé de raisons
j’oublie le vent
je porte ainsi le temps
passant inessentiel
sous les oiseaux du ciel
croisant les gens
et les imaginant
j’invente des histoires
saugrenues, dérisoires
en attendant
Le livre des Nombres
Je fus un jour jeté
entre quatre étoiles
et cinq comètes
chevelues
je fus un jour jeté.
Je fus un jour perdu
parmi deux mille rues
trois mille routes
incongrues
je fus ce jour perdu.
Je fus un jour blessé
aux quatre cent trois
piques
aux carreaux du chemin
aigus
un jour je fus blessé.
Je fus un jour parlé
deux et trois mots
déliés et liés
inconnus
je fus parlé un jour.
Plus encore
maintenant
ta main tenant
cela que tu tiens
que tu tiens dans ta main
tout cela qui est là
à ta main
le monde qui est là
où tu vis
tant que tu tiens
jour qui dure
durant, durant le jour
maintenu trop court
allonge-le, allonge
ce jour, hui, trop court
dis alors aujourd’hui
maintenant le jour tenu
et plus encore
pour que dure la vie
dis encore
au jour
d’aujourd’hui
que tu ne meures
Le poste de TSF
au soir on allumait le
poste
chacun faisait silence
pour soi seul
mais ensemble
on se tait
on se cache ainsi
parfois
ou l’on se relie
tous ensemble
un ange passe
moment de profondeur
où chacun s’abolit
mais ensemble
poste allumé qu’on se
taise
on parlerait
sans se parler au fond
ensemble
Dires
Si le
dire a du sens
il
n’est de dire qu’une caresse
il
n’est de dire que d’une fleur
il
n’est de dire que d’un bon goût
il
n’est de dire que d’un regard
il
n’est de dire qu’une écoute
et je
n’ai que cinq sens…
Comme nous
les arbres
par la racine
s’entendent
et se soutiennent
racine vive
ainsi s’élèvent-ils
ainsi produisent-ils
allant fouiller
le riche de la terre
enracinés trop peu
pris d’enthousiasme
allant trop vite
au premier vent
ils tombent
si jeunesse savait
point de chute
si vieillesse pouvait
plein de fruits
l’arbre vit de raison
Pâques,
chanson
le cadavre enterré
dans un jardin tranquille
le corps du mort serré
en des hiers stériles
ces jours étaient les pires
y venait affleurer
l’abîme et son empire
venu nous effleurer
le mal était plus fort
la vie l’a emporté
le vivant était mort
il marche à nos côtés
la pierre qui s’efface
et le mur qu’on franchit
un souffle neuf qui passe
un corps qui s’affranchit
il mange mains percées
on voit le coup de lance
il marche pieds troués
devant nous il avance
c’était un jour à rire
à ne plus se leurrer
un jour à tout se dire
à rire et à pleurer
Le
cri
au fond de moi le souvenir des bombes
au fond de moi naît le bruit des combats
au fond de moi sont des morts qui s’empilent
il faisait beau il faisait chaud c’était l’été
le printemps vient c’est un hiver les gens mouraient
les tués les corps au sol comme des paquets
les oiseaux se taisaient les corbeaux attendaient
grincement des chenilles les tanks ont avancé
regarde dans les champs le vert tendre du blé
les chars t’ont labouré la boue t’a dévasté
pas de pain cet été le blé assassiné
les femmes sont parties et leurs enfants aussi
un seul resté ici qui regarde a compris
tout ce deuil est le fruit d’un grand amour détruit
au fond de lui les pleurs ont resurgi
au fond de toi tu vois l’humain qui gît
au fond de moi le cri
Au peuple
démuni
ce
qui est dans ton cœur est plus grand que la mer
c’est
pourquoi tu fais peur, ô peuple démuni
à
toi-même tu fais peur
car
au bout de ta nuit crèvent les veines, coule le sang
quand
devant toi le monde devient rouge
quand
ton désir est grand
quand
tu ouvres les portes à ton envie de vie
à
ton rêve, ô nuit
et
tu ne sais alors ce que tu enfantes
vers
où t’emportait ton ennui
chante
ô ma nuit quand le rêve se lève
quand
se tient près du lit l’esprit qui te veillait
c’est
ton plexus qui cède et fait mourir l’angoisse
elle
s’évanouit
te
voici comme une veste ouverte qui habite le monde
et
veut le revêtir
ton
désir est un cogneur, et c’est lui qui te frappe
c’est
lui qui s’écorche les mains
et
s’il t’a mené un jour vers toute justesse
qui
peut le retenir ?
La pluie est là
au
fourmillement des gouttes
sur
les toits
tu
l’entends
en
pluie fine et obstinée
vient
le printemps
cette
année le voici modeste
faire
apparaître d’un coup le renouveau
fleurs
et bourgeons
lui serait
trop facile
trop
m’as-tu-vu
cette
année est année de silence
la
pluie traverse le fracas des bombes
et
sur le sol contourne le sang des morts
ténue
comme
un dieu qui se ferait murmure
quand
l’ouragan se croit
Ma
rose
mémoire d’une rose
belle que j’admirais
quand tu seras éclose
je te cueillerai
quand je suis revenu
ma rose qu’as-tu fait ?
elle avait disparu
elle que j’aimais
et voici le mystère
elle n’est pas à moi
suis-je propriétaire
de la rose au bois ?
J’ai
vu
poème ancien)
j’ai
vu ce que j’ai vu lorsque j’étais enfant
j’ai
vu ce que l’humain sait faire des enfants
je
sais ce qu’il en est j’ai su ce que c’était
nul
ne fera encor que je croie en l’humain
je
savais à cinq ans ce qu’il me faut savoir
serais-je
en illusion à plus de soixante ans
l’enfance
m’a suffi il me reste à durer
tout
le reste est travaux pour mesurer l’abîme
pour
tenter d’y sauver serait-ce un seul moineau
Requiem
9
tenez
ils
marchent
ils
vont vers un exil
ils
fuient
droit
devant eux
vers
une terre d'asile
égypte
douloureuse
colonne
chancelante
des
va-nu-pieds
alourdis
harcelés
affamés
ils
se sauvent
et
parmi eux
un
couple et un bébé
chemin
d'amertume
et
de danger
quand
vagit
quand
roucoule
quand
rougit de colère
une
petite vie
au
dos d'une marie
et
quand oscille
charge
dérisoire
sur
la tête dure d'un joseph
ce
qu'il a pu sauver
que
le tueur
le
massacreur
a
méprisé
reviendront-ils
reviendra-t-il
l'enfant
d'un avenir ouvert
marchera-t-il
les
pieds légers
sur
les chemins de pierre
en
liberté en vérité
faisant
le bien
dans
le chaos du monde
pour
enseigner
les
maîtres de la terre
et
soigner
le
malheur
au
cœur des simples gens
nul
ne le sait
rien
ne l'y aide
une
simple parole
venue
de bien plus loin
le
dit pourtant
qu’un
jour peut-être
le
ciel s'entrouvrira
Souffle
en traversant le temps
le souffle de la mer
gémira
par ces tuyaux d’un orgue
l’air mis en mouvement
chantera
la parole en ce vent
la parole instrument
agira
je formule ton dire
ma gorge le module
il naîtra
ta parole est devant
qui traverse les temps
qui viendra
nous sommes l’instrument
ta parole en ce vent
lèvera
Bonsoir misère
En hommage à mon ami Patrice Gauthier – Paris,
1974.
Scène vécue de la vie des pauvres : un homme
entre ″dans un bistrot pourri du pauvre Paris″ et salue la
compagnie par ces mots : ″Bonsoir misère !″
Un jour je dessinerai un taureau – tout
le monde le reconnaîtra du premier coup – la force de l'habitude
bonsoir misère
personne ne verra la fausse
perspective tellement je l'aurai habilement faite exprès
bonsoir misère
le plus souvent ce qui saute aux
yeux n'est pas remarqué – il est rare celui qui regarde lui-même
bonsoir misère
être présent devant un taureau
dessiné par un dingue on peut se demander l'importance que ça a
bonsoir misère
on glisse ce qu'on veut sous les
yeux des gens dits ordinaires – s'en aperçoivent pas – d'où la force des
escrocs
bonsoir misère
aussi heureusement la chance des
évadés – ça me rappelle le tonneau de vin de Moselle que mon père prisonnier de
guerre
bonsoir misère
avait rentré dans le stalag sous le
nez des – beaucoup d'autres histoires du même genre
bonsoir misère
rappelez‑vous le temps des
galoches – et des tabliers noirs – sur ses gardes peut‑être pour vous
forcer a devenir plus malins
bonsoir misère
le bon vieux pédago – il rit dans ses
moustaches en racontant comme ses petits malins ont cru le feinter
bonsoir misère
ce qui leur apprend le mieux la vie
– un bon maître qui sait passer pour un vieux con – eux s'ingénient a trouver toujours la parade
bonsoir misère
rappelez‑vous – l'œil aux
aguets sans avoir l'air – pas rater un geste – une attitude en dit long
bonsoir misère
pour apprendre à vivre c'est l'œil –
ne dormir que d'un – pensez à un chat mais tous les animaux – dès tout petit
les enfants s’habituent
bonsoir misère
il y aura toujours des matons pas
toujours idiots – rappelez‑vous – le prisonnier a l'avantage sur le
gardien
bonsoir misère
dépasser le stade artisanal – le
niveau fabliau – méchant coup en douce isolé ou passager – immoral de réaliser
n'importe quoi sans l'utiliser contre
bonsoir misère
elle vous détruit la société des
puissants petits ou grands – n'importe où – toi‑même un puissant con
desfois
bonsoir misère
comme dessiner un taureau – c'est
viril – voyez‑moi cette puissance – voyez le genre
bonsoir misère
une fausse perspective – j'étudie –
mon taureau n'est pas exactement image du mâle dominateur – savoir pourquoi
bonsoir misère
un coup d’œil rapide – type blasé
qui joue aux durs – en connaît un bout sur les taureaux – ça n’a l'air de rien
bonsoir misère
faussez toujours une image – un brin
de mou dans une phrase – toujours un défaut minime – ça ait l'air sur pied les
temps sont durs
bonsoir misère
jamais le révolté genre mode – on comprend pas – la préciosité fut toujours proche du
pouvoir
Des trous
des trous dans l’cœur j’en ai eu plein
paf et repaf
mais vous connaissez-ça
faites-en vous pas
ça reste, on s’habitue
le cœur passoire
avec des trous pas réguliers
des gros, des ptits
on peut bien passer au travers
mais ça fait mal
pas mal de mals
et en passant de l’un à l’autre
oubliez pas la chair qui
tient
on est pas les premiers
dites-vous bien
c’est ça la vie, des trous, du plein
le cœur qui tient
le plein qui fait du bien
un pas, un pas
et ton amour en plein
Sample
Tu fais le tri
le violent tu le vois agir
on me dit de fuir
tel l’oiseau qui s’envole
je ne crains nulle tempête
c’est toi que je verrai
quel autre refuge ?
Incrustation
ce n’est pas dit
tenu celé
cette douleur
pas en toi
comme enfermée
car tu l’habites
c’est ta maison
en elle tu vas
tu vis en elle
qu’est-il ce toi
qui vit là
tu ne le sais
Fête
de Tristes-Rois
Les
rois de la Terre
et
les reines du monde
assis
sur leur derrière
reposent
sur un trône
leur
trône est un fauteuil
et
leur main de justice
tout
juste une souris
de
plastique
et
quant à leurs ministres
de
grands ordinateurs
tout
constellés de chiffres
qui
sont des sous
richesses
qu’ils amassent
à
la sueur de nos fronts
de
nos cœurs, de nos têtes
aux
dépens de nos joies
de
nos douleurs
de
nos amours
qu’ils
engrangent
les
innocents
l’esprit
leur manque
l’esprit
qui vient
monde
nouveau
tel
un séisme
Passant par là
Un promeneur d’éternité passait devant chez moi
ses larges ailes de pensées alourdissaient son pas
il s’arrêta.
Homme qui passe et qui au loin s’en va, homme qui va
que dis-tu de la vie, que dis-tu du trépas, dis-moi
de l’au-delà ?
Je ne dis mot de ceci, je ne dis mot de cela
choses que l’on ne dit pas, que l’on garde au fond de
soi
jusque là-bas.
L’ami, tiens cela tout en toi, fais ta vie pas à pas
un jour tout se découvrira, ce jour te surprendra
tu souriras.
Elle pleurait
(Fête des morts)
elle pleurait
je lui ai tendu mon mouchoir
il est propre, je lui ai dit
elle a souri
les femmes savent faire deux choses
à la fois
elle souriait en pleurant
c’est un mouchoir en tissu à
carreaux
du coton véritable
en le voyant elle avait souri
je lui ai dit vous me le rendrez
plus tard
je n’aime pas les mouchoirs jetables
c’est du gâchis
elle m’a dit merci, elle
pleurait
merci monsieur
je l’ai quittée
bien sûr je n’ai jamais revu mon
mouchoir
la vieille femme non plus
on vit de drôles de choses
Des saints
(Toussaint, sotie en forme de sonnet)
Humain, n’est-on saint que défunt, je le
demande
or peut-il exister ici-bas des lions
saints
ou des manchots, des moustiques, des
limandes
qu’il faudrait célébrer, fleurir pour la
toussaint ?
Tenez, des humains morts ou des saints
animaux,
des morts inoffensifs, des bêtes
innocentes,
l’une qui suit sa loi et l’autre ôté des
maux,
et l’une et l’autre espèce en tout du
mal absentes !
Pensons-y pour de bon, considérons les
choses :
seuls les humains vivants auraient droit
au péché,
à l’erreur qu’on maintient dans
l’infamie enclose.
Luther l’avait bien dit, on le lit dans
sa prose,
rien de plus alarmant qu’un pécheur
empêché ;
qu’il pèche, et qu’aux
tréfonds c’est la foi nue qu’il ose !
Deux silences
Où es-tu
où te caches-tu
tout en haut
tout au fond
devant, peut-être ?
Dieu je te cherche
et tu te tais.
Et il a dit
C’est moi
moi qui te demande
où tu es.
Depuis toujours
au souffle du jour
et tu te tais.
Répondras-tu ?
Et j’ai dit
Je suis celui
qui ne sait pas
car la nuit m’environne
car je suis aveuglé
et par ton jour.
Tu me rends muet.
Juste comme un atelier
atelier bricolé
mais rien de plus, allez
ces poèmes que vous lisez
atelier à mitonner
des paroles filées
tout attelé à chantonner
vous voici peu sensés
à prendre en vos gésiers
faribole et billevesées
c’est pour vous amuser
c’est pour vous étonner
quelques mots, rien de plus, allez
Démente elle ment
la bêtise
était devenue mortelle
elle tuait
par million elle tuait
fallait briser la langue
la bêtise vivait dedans
elle la portait
devenue la langue
la briser une fois
deux fois dix ou cent fois
la tuer l’arracher
comme une dent
mais le nerf vit encore
fou de douleur toujours
il ment
ne veut pas souffrir
la langue est folle
démantèlement
que de ruse
alors pour dire
Seuls
les enfants
j’attends
la pluie, celle qui lave
la
nettoyeuse à petit bruit
la
blanchisseuse aux refrains graves
vienne la pluie
je
l’attendrai en cette nuit
fraîche,
tenant jusqu’au
matin
quand
tous les feux seront éteints
vienne la pluie
la
pluie que j’espère en esclave
de
tant de liens secs que je fuis
me
libérant de leurs entraves
vienne la pluie
première
goutte qui m’atteint
première
perle d’eau qui luit
bonheur,
seuls les enfants le savent
vienne la pluie
Cinq poèmes
brefs
Ailleurs
À bord diras-tu
hissons les voiles ?
pourtant l’oiseau dit moi je
reste
il n’y a pas d’ailleurs
Très tôt
D’arbre en arbre en arbre
va qu’elle est folle
et survenant toujours
l’aurore qui naît
Survol
Passent les oies dans l’indigo
un survol
semaison et sol rouge
Retombée
Au plus haut serait la vague
en elle déjà
se joue son avenir
grêlons d’écume
Plus loin
Un temps vient
loin de nous
un rosier que je vois
même avant le temps des feuilles
Haïti
femme qui crie, qui te regarde
ne te voit pas
ne voit que le cri
le cri qui ne vient pas
femme qui crie sans aucun cri
femme pays, ville silence
ville écroulée
ville poussière
vacarme qu’on n’entend pas
en ces bras un enfant mort
Présents
Alors que je suis vieux mes
grands-parents me veillent
depuis la méridienne indienne où ils se
tiennent
assis.
Pour eux, au teint vermeil, je ne fais
que merveille
avec tous mes boutons, mes cadrans… Ces
antennes
ici.
À tout moment, et leur étonnement
s’éveille,
et leur rire, ou des raisonnements leur
viennent
aussi.
Ils sont d’un autre temps, pour autant
ils surveillent
tant et tant le parcours de la vie qui
fut mienne
si, si.
Elle me fait les cartes, il pense aux
quarts, aux veilles,
il parle de sa guerre. J’aime qu’on
s’entretienne
ainsi.
Le rêve de durer
Oh dans une pomme que de rêve ! non pour durer, du moins
pas trop – trop, elle se déferait, sa pulpe éparpillée
non, elle accepte de se perdre au temps fixé aux pommes pour
tomber
le rêve de la pomme est de tomber et se perdre pour toujours en
la terre – maternelle
chaude – afin que la graine y délivre son avenir de pomme – le
rêve de la pomme est dans la graine
il est dans le pommier à venir, oh dans un pommier que de
rêve ! dix mille graines perdues pour un rêve
comme rêve un empire aux morts nombreuses, aux morts nombreux,
ceux des guerres à venir, à venir
comme rêve un magnat, riche de rêves féconds, aux multitudes
vouées par lui à la ruine, perdus
Impoli
ce qui embête c’est la mort
on ne parle pas d’elle à table
c’est du hors-champ
comme si à l’église
tu pétais dans le silence qui suit la prière
chacun fait comme s’il n’avait rien entendu
comme s’il
était malpoli de dire aux gens
quand vous serez mort
ou même
quand l’humain aura disparu
et pourtant…
Réunion de famille
ceux-là que
veulent-ils
qui sont-ils
que disent-ils
ceux qui sont là
ceux que je vois
assemblés près de moi
venus me voir
venus de loin
venus se rendre compte
l’une sourit
dit me voici
je connais ce
sourire
me connais-tu
toi nous vois-tu
en cette nuit du monde
oui je te vois
tu es ma mère
et lui voici mon père
il est venu
avec les siens
tous ceux de son
village
et les cousins
les siens les miens
leurs outils à la main
à leur sueur
à leur labeur
oui je les reconnais
je les salue
tous me saluent
je suis de votre monde
montre-le-nous
ne nous viens pas
laissant traîner
l’ouvrage
Ravage
laisse la paix te
ravager
elle a du travail
en toi
ce qui me fut dit
casser tous tes
barrages
blocs de béton aux
fers rouillés
un lit de ruisseau
limpide
ainsi t’accepteras-tu
laisse-le couler en un
murmure ailé
au fond roulent des
pierres
d’aurore
Quand le chat dort
quand le chat dort
c’est la maison qui s’ennuie
elle baille et son haleine s’étend
naît un souffle paisible
il sort de la maison
les ouvertures sont amicales
et les oiseaux se rassurent
ceux des bois
ils viennent picorer
ils n’ont plus
peur de la maison
et le monde respire autour d’elle
même au-dessus d’elle
et les oiseaux du ciel, les
voyageurs
viennent se poser près d’elle
éclatants de couleurs
sonores d’un chant multiple et doux
chant qui réveille le chat
et tous s’enfuient
oiseaux des bois, oiseaux du ciel
et les souris se cachent
tous attendent que le chat se
rendorme
ou qu’il vieillisse
oiseaux comme souris
sans souci des humains
Il y eut un
soir
méfions-nous
du soleil
il ment
souvent
tu crois que
tout est clair
pense à la
nuit cachée
après la
lumière
noir il y eut
un soir
l’ennui la
nuit
je t’aimais
et c’est fini
nous n’aurons
plus la pluie
ni le vent
demain
nous
traverserons la nuit
nous tenant
la main
la
nuit l’ennui
il
y eut un soir noir
ni toi ni moi
ne le savons
si le vent
tournera
le jour qui
vient n’est pas à faire
il apparaît
il vient je
crois
Pour
Irène Tan
fleurs
de ciel
sur
le papier de l’aquarelle
ciel
fragile
vie
craquelée
venu
le vent
tout
a séché très vite
ainsi
cet homme
bouche
ouverte qui l’espère
l’eau
du ciel
Trouver-clos
sur les maîtres menteurs
faillis
I
C’était de la fureur
ici
le règne de la peur
partout
et vous
vous faisiez des promesses
hardis
professeurs d’allégresse.
II
C’était le paradis
pour nous
du lundi au lundi
paresse
et qu’est-ce
sinon de vos mensonges
en tout
vous bergers de nos songes.
III
Il fallait être fou
altesses
pour voir en vos licous
la longe
qu’allongent
de feintes libertés
largesses
pour croire en vos clartés.
IV
Qu’une paille apparaisse
que ronge
tel acide tes liens
et tes
bontés
sans souci de parjure
tu plonges
en hauts-fonds nos voilures.
V
Plus amer que l’oronge
jetez
jetez dis-tu l’éponge
et sur
le mur
de castels d’arrogance
plantez
plantez là l’espérance.
VI
L’espoir a résisté
murmure
feinte tranquillité
offense
que lance
à nos maîtres d’erreur
la dure
envie d’ôter la peur.
VII
Faut-il que la vie dure
si dense
au gré de l’aventure
fureur
et peur
si l’on ne voit où gît
la transe
la danse aux pieds rougis ?
Solitude
L'enfant dans son jardin
et tu vois son erreur
une à une
il croit nommer les choses
se prévaut d'elles comme un maître
et cependant
ressent son impotence
Enfance
chemin barré
ton errance derrière la vitre n'est
pas heureuse
seul le dira qui ment
et deviendra se retournant
statue de sel
Avance
et vois ta main qui change
changeant les choses elle te change
paroles vives
il n'est que gestes
et plus de maître.
Comme
Comme
la
gorge de l'oiseau
chaude
et douce est fragile
sous
le doigt
et
comme
le
chant de l'oiseau
par
dessus le grand bruit social
triomphe
Comme
l'oreille d'un vivant
a
entendu le chant
et
ne l'a pas
traduit
comme
l'agencement
du monde
en
son regard
changea
et
comme encore
tu
connus le chant seul de l'oiseau
par
un regard porté sur l'œil aigu qui vit
Ainsi
s'étend
et
de même triomphe
et
se perd dans le vrai silence nu de l'œil
le
sens
Paraboles
quelle idée !
faire passer un chameau par le chas
d’une aiguille
même grand modèle, voire alêne
ou perdre une pièce de monnaie !
exprès pour qu’une ménagère affairée
au ménage
la retrouve
cette porte ! la rendre étroite
dans le seul but que les gros ne
puissent la passer
tant pis pour eux
et la perle de grand prix du
grigou !
le marchand qui l’achète en perdant
tout le reste
il est fou
des bandits !
ils s’en vont sans leur proie pour
qu’un Samaritain
en profite pour se faire mousser
comme ce festin qui n’est pas un
festin !
sûr que ses invités ne vont pas se
faire embrigader
trop facile
le benêt !
avec l’argent réclamé à son papa il a
fait la nouba
vraiment pas intéressant ce type-là
toutes ces histoires, on n’en finirait
pas !
d’ailleurs on n’en finit pas de les
raconter, raconter
ça meut
Marcher, chanter
Je voudrais je voudrais
dire à nouveau pour vous un poème de feu
et chanter oui chanter les merveilles de la mer
de la terre et du ciel
le refrain de la vive lumière.
Je voudrais comme je voudrais
que les petites filles s'en émerveillent
et sourient au soleil
lorsque marchant sur des chemins d'exil
elles cherchent en pleurant leur avenir de soie.
Je voudrais dire aussi aux hommes plus anciens
les mots d'une ancienne sagesse
pour que naisse en leur face une fleur de sourire
lorsque butant sur les pistes obscures
ils vont très lentement vers leur tombeau de terre.
Chanter oh oui marcher
car c'est ainsi que chacun marche
vers une ombre qui gît au cœur de chaque vie
et s'illumine ou se bleuit
aux couleurs de la nuit.
Lundi de Pâques
Comme il marchait devant
notre Dieu s’est retourné
il a dit vous êtes saufs, libérés
faites vibrer la vie
il a dit viens, fais-le, mon règne
un nouveau monde où habiter
un monde où coulera
justice et droit comme un torrent
où les enfants, tous les enfants
riront, mangeront et boiront
où leurs parents
leur feront un avenir
une terre où tous travailleront
sachant pour qui, pour quoi
où l’on se parlera et s’entendra
s’aidera, se soutiendra
où l’on rira et chantera, et dansera
fêtera le travail et l’amour
il nous dit venez
si vous m’aimez inventez tout cela
car Dieu s’est retourné vers nous
nous appelant à lui
attaché, notre Dieu, à son rêve
rêve d’un monde quand il règne
et nous disant venez
visez cela, tentez cela, faites cela
et si pour vous c’est impossible
commencez déjà
Dires
1
Ce doit être un oiseau
il me palpite à l’endroit du plexus
un papillon, vous croyez ?
ça fourmille, ça veut sortir
peut-être
où est l’issue, dans la gorge ?
ou bien là, à la base de la
langue
tiens c’est parti !
je ne saurai jamais ce que ça
voulait dire
2
de quoi parles-tu ?
non, tu as dit un mot, que veut-il
dire ?
tiens, tu choisis des mots, on les
dirait muets
je me dis
c’est pas des mots pour l’apéro
c’est pas des mots pour la cantine
à parler des choses vraies faut pas
aller si loin
juste chercher profond comme qui se
tairait
3
tu me dis dis-moi s’il te plaît
eh bien non ça ne me plaît pas
c’est comme à la caisse douze euros
s’il vous plaît
eh bien non
je ne suis pas un distributeur de
dire
– je relis ça et je me dis tu es
sûr ?
car je me dis dire ça coûte
et ça n’a pas de prix
sauf mourir
4
tu me dis que veux-tu dire ?
mais je ne veux rien dire
ça sort comme ça
je jette les mots sur la table
je les étale et je trie
tout à coup je me dis c’est ça
tu dois le dire
même si ça ne veut rien dire
qui sait si après quelqu’un en
aurait besoin
Espoir
explose
explose
du cercle de feu dans ton
ventre
centre
explose
je sans espoir gros de
tout espoir
explose
le beau je le je gros de
tous les tu
impose
impose
un jeu de perte né des
failles
les lauzes
des toits
écailles de tous les moi
reposent
sur l’arête des vents
souples qui tous vrais
explosent
de frais
Le quart naval
Sotie
je me moque du tiers comme
du quart
je me moque du tiers
je me moque du quart
du tiers-monde comme du
quart-monde
même de la quinte
il fait zéro
et sur la hune
comme pas deux
je suis le tiers
qui fait le quart
alors apeuré je ne fais ni
une ni deux
apeuré je ne fais une
apeuré je ne fais deux
apeuré je n’y vais ni à la
une ni à la deux
mes bras : zéro
Sissongo
Un culte au Sahel
vieille édentée assise dans la
poussière
poudre rougeâtre de l’aire où l’on
chante
poudre sèche ici qui tient lieu de
la terre
vieille ridée au pagne rougi de
poussière
assise pour le temps qui suit la
prière
et qui gémit
tous sont attentifs alors, ils se
recueillent
l’Esprit la visite et elle parle en
son nom
sa parole est pour moi, habillé de
coton
pasteur venu de loin sur des ailes
de métal
venu tel l’ange inabouti chaussé de
cuir
et porteur de lunettes
pour me dire voici ce que te dit
l’Esprit
et que tu porteras, que tu diras,
répéteras
quand tu retourneras parmi tes
frères
et leur diras ne regardez pas à tout
cela
vos beaux habits, vos chaussures de
cuir
à vos belles maisons
à vos avions, à vos voitures de fer
elles qui brillent sans besoin de
soleil
et ne regardez pas à vos frigos, à
vos vélos
toutes ces choses, objets destinés à
finir
et dit l’Esprit, tu leur diras ne
regardez
qu’à Golgotha !
La chanson de Libère
J’écoute
et les mots et les mots
passent
j’entends au vent
le chant
des mots du temps
Monstrueux
tumultueux
faits de bulles
somnambules
faits de carreaux
idéaux
C’est la chanson
des méchants sons
que j’écoute
et le courant
serrant les rangs
des maîtres-mots
Ils passent
je me cramponne
ils lassent
et je chantonne
en anémones
j’approvisionne
mon chant vorace
Solitude
voici le temps, le joli temps
de solitude
c’est bien le tour, le joli tour
d’un interlude
jour feuille blanche, feuille vide
nulle habitude
nulle idée, survenue d’idée
qu’un rien élude
espace, aucun espace là
nulle attitude
et ni devoir, quelque devoir
ni bravitude
À quoi ?
à quoi tu penses, il me demande
à des oiseaux avec des arbres
à des corbeaux tout noirs
aux nuits de peine à s’endormir
aux grandes plaines à blé
au visage de celle que j’aime
au rivage des marées
à la pluie douce de septembre
à l’encrier des temps passés
à quoi peut-on penser ?
Souvenir
de
Willie Johnson
et
Gary Davis
chanteurs
de blues
Sombre
était la nuit
froide
la terre
on
entendait pleurer les anges
anges
noirs aux yeux brûlés
noirs
enfants de la colère
cœurs
broyés, cœurs incendiés
Sombre
était la nuit
froide
la terre
on
entendait chanter les anges
guitares
sèches aux mains de terre
aux
mains de sol gelé
mains
craquelées
Sombre
était la nuit
froide
la terre
anges
humains dépossédés
voix
blessées d’un amour rauque
tissées
par la tendresse
tiède
au-dessous du gel
Sombre
était la nuit
froide
la terre
vient
un sang qui bat le flux
naît
un chant qui noue les temps
quand
tiède était la nuit
la
nuit noire étoilée
Mais si tu viens
mais si tu viens chez nous
une fois de plus en décembre
tu verras
les aveugles même s’ils voient
ne voient pas
et les boiteux même s’ils marchent
ne marchent pas
les enfants pauvres même s’ils jouent
ne mangent pas
car les pauvres même s’ils vivent
ne vivent pas
tu le verras et tu diras
comme autrefois tu le diras
trois fois tu le diras
la paix sur vous
j’ai mis devant vous la paix ou la guerre
la paix sur vous
j’ai mis devant vous la justice ou l’effroi
la paix sur vous
j’ai mis devant vous la vie ou la mort
changez de sens
et tu diras
à mes yeux chacun de vous est sauf
j’ai fait le nécessaire
mais tous ensemble ne sombrez pas
Dire d’un songe
Deuxième
essai
colombe ou bien corbeau, merlette ou tourterelle
qu’importe, je dormais, je n’ai perçu qu’en songe
un oiseau inconnu palpitant jusqu’à moi
ce qu’il a dû me dire a quitté mon esprit
je n’ai plus discerné ce que cachait l’oiseau
rien de son vol ne m’est resté, alors que dire ?
c’était un bel oiseau, je ne sais de quel nom
sans le voir je savais qu’il était tout de plumes
au fil lamé d’argent, au parfum de silex
dis-le donc, cependant, résolu, m’a-t-on dit
mais quoi dire et à qui ? l’oiseau s’est envolé
j’ai senti qu’il dansait au-dessus des nuages
je le dis, cet oiseau portait une parole
il m’en reste le son, cependant, comme une onde
comme un rien qu’on désire, un chant perçu de loin
Le convoi
c’est arrivé
ainsi
Ève était
dans ce convoi
suivant son
fils Abel
et celui qui
conduisait
elle ne le
savait pas
son fils Caïn
ainsi s’en
alla-t-elle
disant c’est
mon petit
voyez c’est
mon petit
que fait mon
grand ?
il les tua
c’est lui qui
les tua
les soirs de
soleil rouge
de nuées en
convoi
on peut les
voir encore
les trois
au couchant
qui se cherchent
et vienne le
matin !
Content
"J’ai
été flouée"
(Simone
de Beauvoir)
je sais qu’on m’a volé
devrais-je être content ?
c’était il y a longtemps
au temps de tous les temps
ailleurs, c’était ailleurs
c’était à tous les vents
par un autre sans visage
quelqu’un d’inconséquent
par la porte du fond
en prenant les devants
pour toutes les raisons
dans la tête des gens
qui fut floué, c’est moi
volé mon moi d’avant
moi-même, oh juste un sas
s’y meut le vent, content
Cependant
parler dis-tu ne coûte
un fil de souffle
que dans l’air et
pourquoi te troubles-tu ?
les monts percutés ne
frémissent ni ne croulent
quand tu crois avoir
dit que tu aimes
bulles au coin des
lèvres
et le temps que cela
touche une oreille
humaine ou non-humaine
l’univers a déjà
modulé des ondes incertaines
à qui crois-tu au
monde parler qui t’écoutera
te répondra ?
or un dire à jamais a
façonné le monde
Tu es là
je me souviens de toi,
tu ne saurais mourir
on te dit disparu, je
te ramène à toi
une foule est en moi,
je t’en ferai sortir
tel un poème obscur,
un mouvement de foi
les années ont passé,
leur poids sut m’alourdir
mais tu restes
présent, souvent tu viens vers moi
et je ne sais que
dire, et ne peux t’accueillir
plus de place pour
toi, mon aujourd’hui fait loi
mais tu reviens ce
soir, tu es là, je te vois
si la nuit vient sur
moi, rien ne peut assombrir
ce moment, ce sourire
et cet oubli de soi
voici, tu étais là,
moi dans ton souvenir
je me croyais sans
toi, je te pleurais cent fois
il me fallut apprendre
à me laisser chérir
Un ange malgré tout
avant d’être mort et même un
peu après
le consul de Xanthe ne
voulait s’envoler, partir
que sur les ailes d’un ange
on avait beau lui dire que
les anges ça n’existe pas
il n’en démordait pas, il
disait je suis consul et j’ai droit à mon ange
on avait beau lui dire que
les consuls, et Xanthe, ont disparu
il n’en convenait pas
on lui disait même le
fleuve, le Xanthe, a disparu
il riait, il disait un
fleuve ne disparaît pas
il ne comprenait pas,
semblable à notre monde entre deux mondes
mais l’ange est apparu, ange
aux ailes lamées d’argent
il l’a donc embarqué, il
était temps
Un moment délicat
cette fois-ci c’était l’ange qu’il fallait déppanner
l’ange du consul de Xanthe
ppas facile à bouger, en pplus il faisait nuit
l’a fallu le caler, on a fini ppar y arriver
le consul était inquiet mais rien n’était cassé
juste froissé
l’ange était requinqué, tout juste un ppeu ppomppette
faut dire qu’on l’avait décrassé à l’alcool
bien sûr, ppour voir, il a voulu dépplier ses ailes
c’était risqué mais on n’allait ppas l’en emppêcher
sur le moment ça a un ppeu craqué, même grincé
– doucement, doucement, lui disait le consul –
finalement il y est arrivé
et ppour nous rassurer il a fait un ppetit survol
même ppour nous remercier
quand il a atterri, on y est allé d’une ovation
il a fait le modeste mais il était content
ppuis le jour s’est levé et l’ange s’est envolé
le consul sur son dos, entre deux ailes argentées
il sentait déjà, il ne ppouvait pplus attendre
du coup on a ppleuré
Planter un arbre
“Si l'on m'apprenait que la fin du
monde est pour demain,
je planterais quand même un
pommier.” Martin Luther
Qui sait jamais ce qui peut
arriver ?
J’ai donc planté un
arbre, un beau pommier.
À quoi pensais-je
alors, je ne le sais,
quelle idée ou dessein
me traversait ?
Garnir un coin de
terre à découvert,
fournir ainsi de
l’ombre à ce désert,
agrémenter la vue de
tout l’ensemble,
attendre du fruit de
lui, ce me semble.
Et j’y ai réussi, j’ai
dit merci :
Pourra venir la fin du
monde ici !
Et que je te la file…
trop d’eau dans mon
delta
fleuve que je suis
quel bras
suivre ?
depuis le ru que
d’accidents !
parcours tumultueux
méandres
torrents
peurs et violences
dévalant
tumultes
parfois cours
majestueux
père à péniches
et lacs à musarder
affluents affluant
sans cesse
et coudes surprenants
or, non,
retournement !
remontant à plaisir le
courant
j’approche de la
source
Dieu comme j’aspire…
rien de bien original
les temps sont durs et
j’avais besoin de grands
espaces
marcher sur les longues
plages
j’imaginais des plages
normandes ou vendéennes
au bord de vraies mers à
marées lointaines
avec le vent
le vrai vent, celui de la
mer occidentale
oui, le noroît, que je
préfère
un vent d’iode et de sel
et de pluie
Dieu comme j’aspire à
respirer cela un jour
et, oui, marcher
comme pour un avant-goût
d’éternité heureuse
promesse d’aventure dans
le souffle d’ailleurs
sous un vrai ciel exagéré
jour après jour marcher
Veille
je suis assis sur des millions de poèmes
c’est mon trésor, sur lui je veille
ainsi je trône
on n’est jamais assez prudent, je veille
ils sont à moi…
mais je tremble et je m’éveille :
il en manque un !
Oubli
oubli est un mot que j’aime
et que je l’aime, j’aime à m’en souvenir
l’oubli que j’aime est celui du malheur lorsque son
souvenir
te conduit vers la peur
non l’oubli que toute vie importe et qu’en chacune il se
pourra
que réside un bonheur, même caché le bonheur
oubli car sans l’oubli des noirceurs, il n’est pas né
celui que tu croyais perdu
nié
le sourire à venir
Nœuds
dans une vie, peu de nœuds
faisant tenir le reste
et quels débuts, quelles fins
quels liens ?
te retournant, tu vois comment
à tel moment tel glissement
notable nullement
t’a orienté
comment de tels instants
s’articulaient
et te menaient sans le savoir
où tu te tiens
peu de nœuds en vérité
t’ont raccordé
et comme incidemment
t’ont créé
Et pourtant…
le goût du sel
pour purifier l’odeur de la
mort
dans la bouche
et tant de relents
nauséabonds
du monde
même les os
on les croit purs et secs
mais ils vivent en-dedans
d’une vie grumeleuse
telle aux temps de la soupe
primordiale
la vie est sale au regard
des étoiles
collante et gluante
et pourtant…
Encore un jour
du gris ardoise à l’indigo
se mouvant au ciel
deux étoiles
d’arbre en arbre en arbre
va qu’elle est folle
l’aurore qui naît
dormir pensant encore
et cette nuit s’enlève
l’œil alerté
mon jour est un secret
il pense à son retour
veillant sur ses amours
encore un jour
tu me diras si tu aimes
ainsi passera-t-il
À
Ouessant
à Nicole Ferroni
debout
pour la première fois devant l’Océan du bout du monde
pour la
première fois devant l’immense et la puissance du monde
et sa
violence
sa
beauté brutale comme autrefois, comme du temps des elfes et des trolls
du
temps des korrigans, sa beauté d’enfance abrupte, sa beauté nue
la
jeune femme se tait, saisie, ses larmes naissent, elle pleure
que
faire d’autre, être humain tout à coup démuni, son aisance tombée
le
monde est si vaste et sa force si grande, à craindre, à frémir, à chanter
humble
et profondément heureuse, elle pleure, en larmes de sel et de vent
Rêve de l’arbre en fleur
à nouveau toute fleur est en soie
à nouveau la sève sort du bois
l’arbre à nouveau explosera de joie
fidèlement, il le sait, où il va
son idée de fruit aboutira
conçue par ses ancêtres d’autrefois
son rêve s’avérera
le fruit viendra, qui l’empêchera ?
enraciné, l’arbre est armé pour cela
verdeur de la sève
sur l’arbre, que le soleil flamboie
que l’eau du ciel ou des fonds le noie
l’arbre rêve qu’il résistera
si ce n’est lui, l’autre que voilà
le rongerait la bête, le scierait l’humain
le jour vient, et l’arbre fleurira
et la bête mourra, et l’humain s’en ira
abandonnée sa quête aux mil tracas
son rêve d’incendie
Dire d’un songe 1
colombe ou bien corbeau, merlette ou tourterelle
qu’importe, je dormais, je n’ai perçu qu’en songe
un oiseau inconnu palpitant jusqu’à moi
il n’est de dire
que d’un sentir
ce qu’il a dû me dire a quitté mon esprit
je n’ai plus discerné ce que cachait l’oiseau
rien de son vol ne m’est resté, alors que dire ?
il n’est de dire
qu’une caresse
c’était un bel oiseau, je ne sais de quel nom
sans le voir je savais qu’il était tout de plumes
au fil lamé d’argent, au parfum de silex
il n’est de dire
que d’une odeur
dis-le donc, cependant, résolu, m’a-t-on dit
mais quoi dire et à qui ? l’oiseau s’est envolé
j’ai senti qu’il dansait au-dessus des nuages
il n’est de dire
que d’un regard
je le dis, cet oiseau portait une parole
il m’en reste le son, cependant, comme une onde
comme un rien qu’on désire, un chant perçu de loin
il n’est de dire
que d’une écoute
Frontières ?
Si tu regardes bien, il n’est pas de frontières
et c’est tout uniment que s’étire la terre.
Lorsqu’elle est découpée, c’est par une rivière,
par un fleuve, un cours d’eau dont les deux bords sont
frères.
D’un côté ou de l’autre, un même enfant s’affaire,
aucun de ses parents ne veut vraiment la guerre,
et tous, ils aimeraient que leurs deux mains se serrent,
à moins que l’on ait fait leur tête prisonnière
et submergé leur cœur de venins délétères.
La terre, en vérité, ne s’en occupe guère ;
serait-elle blessée par l’espèce guerrière,
lassée, abandonnant sa fibre nourricière,
secouant de son dos l’orgueilleuse poussière,
elle irait à nouveau, en son cours millénaire,
rouler paisiblement au long de vents stellaires.
Que seraient devenues frontières ou barrières ?
Chanter
ce qu’il faut c’est chanter
survient peut-être alors
en harmonique
comme un filet de joie
au loin montent des peurs
la joie vaudra contre elles
arme du cœur
dans la nef chant du chœur
chanter jouer danser
des oiseaux en parade
pour un amour
comme un aveu de vie
Sommeil
la petite fille qui dormait par terre
était si fatiguée
qu’elle avait omis de veiller
oublié les dangers
la peur, la colère et les pleurs
elle s’était ramassée
enroulée sur son ventre
les mains cachées
et reposait dans la poussière
en tout cas à l’abri
ainsi s’en va le monde
environné de forces bienveillantes
ignorées
à longuement tester
pourquoi désespérer ?
Un secret ?
l’oiseau le sait
(une mésange)
le chien le sait
même le petit chat
aussi la chatte
et le lapin le sait
lapine ou lapereau
les poules
(pourtant très bêtes)
et les canards
au loin le lion le sait
(dormirait-il)
et le chameau
le buffle obtus
les pieds dans l’eau
le lama la vigogne
au-dessus le condor
eux tous le savent
elle vient la mue
(et l’humain ?)
Ma poutre à moi
dites donc je suis mal
j’ai ma poutre dans l’œil
et depuis ma naissance
imaginez la douleur
du saignant
à chaque pas je me cogne
j’y vois mal je cogne
je cogne les murs
je cogne les arbres
je cogne les gens
c’est un mal continu
orgelet d’un géant
qui fait mon intérêt
car ma poutre c’est moi
je me présente ainsi
aïe ma poutre
je l’ai toujours aimée
et je m’aime ayant mal
et souffre de m’aimer
et souffre de l’aimer
Buées du jour
à l’instant
là-bas un ciel
inconsistant
se fait corps
sur un monde
inconscient
puis naît l’aurore
au levant
au loin lève une pâte
épaisse
et l’on fête
après des amours
secrètes
des relevailles
et l’orient
hardi vers l’occident
se tend
sans détour
le soleil suit son
cours
vers son néant
au couchant
avec la terre le ciel
se couche
puis en gloire
le soleil va plonger
dans la nuit noire
au demeurant
qu’à jamais notre joie
demeure
chaque jour
que notre joie ne meure
tour après tour
maintenant
la main ténue qui tient
le monde
se fait douce
passe un sourire aimant
tout maintenant
Cette main
voici je le vois bien
le monde est tout en moi
cette main qui écrit
provient de l’univers
et le sourire me vient
enfant de vibrations
d’au-delà du soleil
j’appartiens au ciel pur
et peut-être au-delà
que me sont les années ?
Dis-le
dis-le à la rivière et
dis le au fleuve tout-puissant
au courbes des eaux vives
qui roulent et s’en vont vers l’aval
et dis-le au nuage qui
va et au vent qui le pousse
remonte vers l’amont
et dis-le, redis-le, à la cime des monts
dis-le à la mésange
comme au merle, à toute bête ailée qui volera
à tous ceux qui
traversent le ciel ou vont piquer le grain perdu
et dis-le, dans les
profondeurs, à la truite insouciante et volage
à toute famille des
eaux nageant en nuages de vivants
dis-le qu’il est venu,
le dieu, comme un enfant
qu’il revient de la
brûlure de sa colère
et que nul ne se
perdra
Avent 4
manquerait un souffle
brise légère
silencieuse, aérienne,
ténue
venue on ne sait d’où
allant où l’on ne sait
manquerait-il
tout irait comme devant
tout suivrait son chemin
chemin de grandes peines
voies de petits bonheurs
et suffirait d’un souffle
haleine de buée
toute chose convertie
muée, bouleversée, retournée
tournée vers ce qui vient
un souffle saint
et viendrait l’enfant
celui qui vint, qui vient
ce souffle qu’il vienne
enfin
à la bouche des humains
Avent 3
comme l’oiseau attend le jour
et l’épouse le soldat
comme la mère attend l’enfant
j’attends, mon amour, ta venue
j’espère ton retour
je ne sais quand tu viendras
mais tu seras surpris
je vais changer tu verras
je serai là pour toi
j’espère ton retour
en haut de l’escalier je serai là
à l’entrée de la maison
à la grille du jardin je serai là
sur notre chemin
j’espère ton retour
sur la route qui va je serai là
à l’entrée de la ville
sur le quai de la gare je serai là
à la porte du wagon
j’espère ton retour
comme on attend le parloir
comme on attend la gamelle
comme on attend le coup de rouge
comme on attend le lit au soir
j’espère ton retour
je serai beau je serai belle
comme file une étoile
lavée, briquée dans la nuit sale
changée, comme astiquée
si tu reviens
Avent 2
venir, tu es venu
comme à chaque
bouleversement
quand la terre s’ébranlera
quand tombe la lune et fond
le soleil
à nos yeux éperdus
tout semble aller comme
devant
l’eau ruisselle et clapote
la pluie
au matin luit la lumière
lentement elle s’estompe au
soir
et l’on ne te voit pas venir
passent les jours
entre la guerre, entre la
paix
calme public et tumulte des
gens
ainsi que jamais ou toujours
jours après jours, temps
après temps
et l’on ne te voit pas venir
peut-être ne viendras-tu
jamais
alors que voici, tu es
présent
aujourd’hui tu viens
quand en secret change le
monde
Avent 1
entre toutes les rapidités
les fureurs, les fracas
affolements de foules
effrayées
ou rires exagérés
trombes ou traversées de
foules
tu te glisses
tu es la couleur du silence
interstices de peurs
intermittentes colères
exténuées
rages et tendresses
cependant
souffle des soulèvements
misères
tu vas sans bruit
est-il important que l’on
t’ignore ?
Dis-leur…
dis-le à la rivière et dis le
au fleuve tout-puissant
au courbes des eaux vives qui roulent et s’en vont vers l’aval
et dis-le au nuage qui va et au vent qui le pousse
remonte vers l’amont et dis-le, redis-le, à la cime
des monts
dis-leur que l’être humain se tournera vers eux
dis-leur et ne mens pas qu’il a perdu sa gloire et implore la leur
dis-le à la mésange comme au merle, à toute bête
ailée qui volera
à tous ceux qui traversent le ciel ou vont piquer le
grain perdu
et dis-le, dans les profondeurs, à la truite
insouciante et volage
à toute famille des eaux nageant en nuages de
vivants
dis-leur que désormais l’être humain leur implore la
paix
pourrait-il, devant eux, recevoir un pardon,
conclure une alliance
et dis-le à tous ceux qui rôdent dans les bois, qui
hantent la forêt
ceux qui parcourent la toundra ou paissent en la
savane
dis-le au tigre comme au cerf, à la biche comme au
lion
et dans leur migration, aux lourds troupeaux de
buffles rescapés
dis-leur que l’être humain, en vérité, présente ses
excuses
qu’il aimerait, avec eux, remonter tout le temps, et
tout renouveler
dis-le à la poule, au poulailler, au lapin dans son
clapier
dis à l’oie qu’elle cesse, s’il lui plaît, de
criailler pour écouter
au bœuf émasculé, à la vache nourricière, au taureau
dépité
dis-le aux bêtes asservies, à la niche du chien, à
la chatte opérée
dis à tous que nous sommes, nous les humains, tout à
fait désolés
que nous n’avons plus qu’eux, tous les êtres du
monde, à aimer
dis-le à la Terre et à la Lune, la bleue et la
jaune, violentées
dis à la Terre, celle des eaux pures, des ciels, des
airs limpides
la planète de grâce, havre de toute vie, qui règne
en son soleil
dis-le-lui, dis-le, à moins de mourir, simple
poussière d’étoiles
À la réflexion, j’ai…
loué un habit d’ermite sans robe de bure
juste veste en denim, pantalon de coutil
et sauf exception, économie de paroles
un jour puis un jour, sauf les dimanches
brûlé les vieux papiers, pensées d’hier
cogité lentement, économisé le cahier
de l’aménité envers les vivants du chemin
bonjour aux arbres, sourire aux oiseaux
remis le papillon sur sa voie de liberté
repoussé la guêpe d’un geste pacifique
froissé personne, serait-ce un imbécile
admiré de loin de belles jeunes femmes
mangé lentement et bu à petits coups
récolte aléatoire pour des plats réfléchis
puis, vivant au monde, pris les nouvelles
et rugi de colère et pleuré de tendresse
imaginé tout cela, même pratiqué parfois
ou souvent, heureux, mais pas longtemps
appris ainsi d’être inutile, sans se croire
pour un temps, fait ermite comme école
Toile
des nids de vagabonds
piqués sur toute la terre
en corolles de peur
– et aller où ?
habités de rêves menacés
alors inventer
des lois de subsistance
car il est dit :
de tous les jours de la terre
que rien ne cesse
et semence et moisson
et froidure et chaleur
l’été l’hiver
le jour la nuit
frères tenez
nous ferons des réseaux
voilà, nous nous tisserons
– parlons ensemble
monde, la toile que voilà
toile sur toute la Terre
world wide web
Je ne mens pas
il a dit cet humain
en son domaine
je suis abasourdi
voyez ma peine
je vois partir un monde
je ne mens pas
je vois dans mon jardin
que tout s’en va
j’ai perdu les abeilles
sur les rosiers
aussi le papillon
volant voilier
et j’ai perdu l’oiseau
plus d’hirondelles
tenez plus de pivert
plus de sitelle
ces nids pour la mésange
au creux des pierres
ce vol de l’alouette
brisant son erre
mortelles sont les graines
que l’oiseau becte
pas une fourmilière
et plus d’insecte
partie la dame blanche
qui ululait
parti le hérisson
qu’elle cherchait
j’ai perdu le crapaud
chantant sa peine
et même la couleuvre
qui tait la sienne
le cri rauque des huppes
ne sonne plus
la course des lézards
ne file plus
des guêpes ou des taons
on en voit peu
ils résistent longtemps
la hargne en eux
les chevreuils n’osent plus
venir ici
sur leurs brisées l’humain
a trop bâti
restent deux écureuils
un rouge un brun
plus un chardonneret
hardi un brin
le ramier dure aussi
qui va par deux
son aubade roucoule
encore un peu
j’ai perdu le thuya
il a jauni
le sapin l’a suivi
pelé aussi
je vois les fruits tomber
pêches ou poires
elles sont déjà blettes
et bientôt noires
quand donc viendra la pluie
dites-le
moi
avant que meure aussi
le magnolia
Une visite
bonheur minuscule
au sein d’un temps de pluie
au-dehors au-dedans
long temps de pluie
temps de menaces et de craintes
et d’ennui
voici qu’entre ici guilleret
le chardonneret replet
malgré le chat
il veut me rendre la politesse
souvent je le visite aussi
chez lui
dans son domaine d’arbres
et de buissons à fleurs
de graines à manger
de nids à protéger
de vent léger
Je suis là
19/08
l’ange me dit :
Qu’espères-tu
je ne sais lui répondre il
faudrait pour cela
viser quelque bonheur un gain
une victoire
que je ne connais pas dont je
ne sais rien
mon ange insiste : Au
moins durer peut-être
alors je trouve que lui
dire : M’oublier
mais je le sais c’est une voie
fermée
je dois me trouver là dans la
présence
où le dieu jamais ne compose ni
ne pèse
et je suis là dis-je à l’ange
qui s’en va
Frissons
à jamais les ciels bleu,
tout bleu, me ferment sur moi-même
j’ai toujours fui le pavé du soleil
je vivais autrefois en longues giboulées
petits frissons heureux lorsque soufflait la
bise
j’aimais ces temps d’automne et ces jours de
nuées
et je m’ouvrais alors
je préférais l’averse, elle qui vient de
l’ouest
quand les rues, sous la pluie, psalmodient
des versets de guitares
au coin d’impasses à gitans
les ongles de l’ondée toquant sur le pavé
et quand vive, la bruine s’écoulait dans mon
cou
tout mon dos frémissait, ma peau se hérissait
– plaisir
le pavé s’irisait à la moindre lueur
et tout s’ouvrait en moi, et naissait un
refrain
bien que mélancolique il me rendait heureux
dans ma chaleur mouillée
et ma tristesse, alors, retrouvait ses
chemins
de pluie mêlée de vent
Zones
tous ces îlots
toutes ces clairières
en toutes ces mers et ces bois
et nous
postés là
pourquoi là on ne sait pas
nous inventons des lois
de subsistance
aux rêves menacés sont les
chemins
s’en aller jusque là
marcher plus loin
que souhaiter si monde et rêve
sont menacés
élire l’inconnu
en tous ces îlots
des perdus se rassemblent
l’inconnu pour toujours élu
Annonce
et sans savoir si la terre est ronde
ni comment elle se meut
où seriez-vous
un oiseau vous annoncera l’aube
lui le premier
tout autour de la terre
l’aimerez-vous ?
Buée
vient le temps, vient la pluie
souffle le vent
trois tristesses, deux chemins
se lover sous la couette
marcher, marcher mouillé
L’écran
l’enfant derrière la vitre
devant la pluie qui tombe
ruisselets sur la vitre
il voit la pluie fuser
la pluie qui tombe tombe
et la buée couvre la vitre
ruisseaux et brouillard
pénombre et crépuscule
entre deux eaux la vitre
lui, la vitre, le monde
ou bien lui dans le monde
mais le monde l’expose
et l’enfant s’est mouillé
la fenêtre est ouverte
et la chambre respire
Chapeau pointu
où es-tu
que fais-tu ?
j’avais mis mon chapeau, j’avais
mis ma casquette
ma casquette à la noix, casquette
qui déçoit
ma tête de crapaud ainsi couverte
en jette
c’est ainsi d’habitude, autrement
j’aurais froid
où es-tu
que fais-tu ?
j’avais mis ma chaussette, elle
chausse un pied droit
quant à mon pied tordu il faisait
des claquettes
et je claquais des dents de peur,
aussi de froid
un froid de mort aux dents et des
dents de belette
où es-tu
que fais-tu ?
j’avais mis mon futal, un falzar
en faux bois
ses pattes d’éléphant semblaient
deux patinettes
je me glissai dedans avec mon
entre soi
une fesse à la fois qui
s’affaisse, est-ce bête ?
où es-tu
que fais-tu ?
j’avais mis ma chemise à couvre
poil de fête
et remis sur ma mise une aigrette
de soie
révisé mon squelette et lissé ma
toilette
à voir ma goélette on en gueulait
d’effroi
où es-tu
que fais-tu ?
ah j’étais beau, j’étais peau, ce
faux c’était moi
belles dents et faux-cul, smoking
et sandalettes
je fus au rendez-vous, j’ai tout
rendu sur toi
j’ai bouffé mon chapeau, j’ai ri
dans ma gapette
où es-tu
que fais-tu ?
Accord
je marchais au bord de l’eau
et l’eau me regardait marcher
elle clapotait pour moi sur le bord
elle et moi on était d’accord
il faisait beau
je marchais au long des arbres
en bruissant les arbres m’écoutaient
parlant de choses et d’autres
et j’étais bien d’accord
le temps s’y prêtait
l’eau, les arbres vibraient en accord
bruissement et clapot sur les bords
à l’endroit même où je marchais
juste là et juste alors
sur mon sentier
À l’aube pure
à l’aube pure
en une lumière de fin du monde
heureuse
les cerisiers glorifient le
jour qui naît
et l’impalpable de leur fleur
offre à ce jour
une gloire immatérielle et le
goût d’une éternité
ainsi le pardon
Seigneur je suis heureux ce
matin
Bidonville
le soir était tombé
devenir prohibé
mitée sa redingote
un petit garçon noir
dansait sur le trottoir
retenant sa culotte
tout enclos dans sa
danse
comme un homme qui pense
comme un vieux qui
radote
sans chemise et pieds
nus
un sourire ténu
juste un regard qui
flotte
seul au monde il est là
concentré sur son pas
sous la lune qui trotte
le vieux monde est
autour
l’enfant est dans sa
tour
seul un ange sanglote
Ça dépend
il dormait sur un cintre
tel un habit usé
qui pend
ventre vidé
blanc comme un singe
du passé
ça lui donnait des idées
il rêvait de fleuves insurgés
de lentes chevauchées
de lanciers
il en était traversé
se posaient des questions
toutes bien armées
où donc la vie est-elle allée
à son revers lui répond une
fleur
une fleur rouge sang
émue c’est moi dit-elle
toute rouge
je suis là
il l’avait caressée
Parabole
la nuit, lampe allumée
une parabole se dessine sur le mur
là où l’ombre finit, s’achève aussi la
lumière
ligne incertaine, inexistante
lieu de silence entre ce qui fut et sera
ainsi tes jours
Faits dits vers
(sotie)
ce matin
un tapin
a tué un masseur
et ce soir
un rasoir
égorge un casseur
à midi
un caddy
culbute un passeur
au coucher
un boucher
découpe un chasseur
mais
à pas d’heures
un p’tit beurre
régale ma sœur
Regarde bien
Hitler ne pouvait pas mourir, mon
cœur
il est toujours là
on nous annonçait son suicide, nous
ne pouvions le croire
il ne pourrait disparaître
son ombre est là, présente alentour
enseveli même dans la fosse il
reviendrait
il revient toujours
nous avions raison d’émettre un
doute, tu te souviens
il a reparu
il reparaît toujours
on le chasse, on le chasse il
revient
par la porte on le chasse il
revient par la cave
par les profondeurs des âmes
tordues des humains
des âmes torturées des humains
regarde bien, regarde, jusqu’au
fond de toi regarde
tu vois bien qu’il est là, on ne
l’aura pas tué
il se sera raté
tu souris, tu dis c’est ridicule,
tu te retournes
il était derrière-toi
il se tient au coin d’un mur, où
sont écrits ses cris
plus loin il a laissé sa marque
il a laissé sa marque sur les
tombes paisibles des gens
regardes-tu les signes que tu
l’entends hurler
et son cri les attire
il attire les chiens galeux qui
veulent lécher le sang
sur terre lécher le sang des gens
ils le savent bien, eux, qu’il est
là
hyènes qui rient ils tueront
vois-tu mon cœur
Hitler ne pouvait pas mourir
Au peuple démuni
ce qui est dans ton cœur est plus grand que la mer
c’est pourquoi tu fais peur, ô peuple démuni
à toi-même tu fais peur
car au bout de ta nuit crèvent les veines, coule le sang
quand devant toi le monde devient rouge
quand ton désir est grand
quand tu ouvres les portes à ton envie de vie
à ton rêve, ô nuit
et tu ne sais alors ce que tu enfantes
vers où t’emportait ton ennui
chante ô ma nuit quand le rêve se lève
quand se tient près du lit l’esprit qui te veillait
c’est ton plexus qui cède et fait mourir l’angoisse
elle s’évanouit
te voici comme une veste ouverte qui habite le monde
et veut le revêtir
ton désir est un cogneur, et c’est lui qui te frappe
c’est lui qui s’écorche les mains
et s’il t’a mené un jour vers toute justesse, il s’en va
qui peut le retenir ?
Ce qui venait
la femme regardait au
loin, elle s’était redressée
penchée vers la terre
on ne voit que la terre
on ne voit que l’outil
pour sarcler
et les pieds
les pieds sont
importants, il n’y a pas que la tête
elle se le dit souvent
avec les pieds tu te
poses, tu avances
tu vas chercher de
l’eau, il n’y a pas que la tête
tu vas chercher de
l’eau, le vase sur la tête
et tu portes l’enfant
bien calé sur le dos
et tu avances
les pieds te portent,
et pour aller où ?
mais cette fois elle s’était
dressée, redressée
debout on voit plus
loin
on voit loin, la tête
dégagée, le cou délassé
et la femme debout
voyait la tempête qui venait
le sable se soulevait,
les branches se tordaient
là-bas, et ça venait
et la femme a souri,
elle a souri et elle a dit
tendez toutes les
toiles, l’eau va tomber
puis elle a regardé,
elle a bien regardé
elle a vu ce qui
venait, la tête droite et le regard
le regard lavé
elle a vu ce qui
venait, la femme s’est agenouillée
L’électricien
Qui suis-je et que vais-je devenir ? demandait le boucher
de la place du marché
à l’électricien
où vais-je ? où donc s’en ira l’œuvre d’une vie, et mes
enfants que feront-ils ?
or l’électricien
lui pas plus que l’autre ne le savait, ne pouvait le dire,
l’avenir se faisait trou noir
et l’électricien
n’a pu que hausser les épaules pour le faire comprendre au
boucher qui préparait
pour l’électricien
un sauté de veau à cuire avec des champignons, frais de
préférence, et voilà…
Pause
Nous faisions une pause, ce jour de fin d’été, quelque part en
Europe
était-ce à Lucerne, à Vaduz, à Constance ?
Tu te souviens ? Tu étais assise sur un banc de pierre,
jambes nues, tournée vers le soleil
tu souriais, tu paraissais heureuse et je te désirais.
Nous avions tourné tant de pages, visité tant de lieux,
construit tant de fortes histoires.
Tu ne fus jamais si belle, aussi forte, aussi vive, accomplie
ni l’amour si paisible qu’en ce jour-là.
La Terre, depuis, a tourné tant de fois, nous passons et
pourtant
voilà ce qui fut, écrit en quelque endroit
assise et paresseuse, ta cigarette au bout des doigts, le soleil
tourné vers toi
l’amour en pause.
Les cadeaux
Quel est mon idéal ?
ce serait d’être un arbre
fruitier de préférence
il est bon de donner
tu prendrais de la terre
de l’eau et du soleil
tu les transformerais
cela ferait de l’ombre
et des fruits à manger
même des jus à boire
aussi de la beauté :
tu serais grappillé
les enfants aimeraient
L’amour en décembre
l’amour en novembre est moins beau que l’amour en décembre
moins de paillettes
moins de bougies de cierges de lampions de lampes en guirlande
moins de flonflons
pour aimer en novembre on manque de vitrines resplendissantes
de pères noël
à trogne rouge comme leur habit tout bordé de fausse fourrure
barbe en coton
l’amour à froid ne s’offre pas des marrons chauds au coin des rues
en novembre
on rate la fanfare et la marmite et l’uniforme de l’armée du salut
même la messe
on ne respire pas en novembre l’odeur de résine des sapins
coupés
et puis dehors
on ignore l’immensité bleu nuit du ciel et le silence gelé des
étoiles
qui scintillent
car en décembre tout l’amour s’illumine et clignote comme les feux
aux croisements
et les cars de police ou les voitures des pompiers quand Paris brûle
ainsi les cœurs
Soir
J’aime bien, le soir, entre chien et loup, quand on reste à
parler longtemps, paisiblement,
avant d’allumer la lumière et de passer
à table.
On trouve parfois de beaux soirs, même en novembre, des ciels
rose et carmin vers
le couchant, apaisés on contemple cela par la fenêtre.
On rêve d’un feu de tisons rouges dans un âtre, alors peut-être
qu’on sert un petit verre,
cela réchauffe au moins le cœur et porte à se sourire.
On se dit quelques mots, on les espace, on n’a pas trop envie de
briser le calme du soir,
on profite des silences, ils parlent si bien d’aménité.
Un ange passe, on entend, au dehors, les enfants rire, on n’a
pas souci d’interrompre
leurs jeux, on fait durer ces moments, ce n’est pas si souvent.
Enfin l’un ou l’autre se lève et allume, on ne se voyait plus,
il est temps de reprendre
le cours du jour et de la nuit, l’allant des choses nécessaires.
Tu me disais
tu me disais
que l’on risque en amour
comme au jeu
nommé mourre
ça tourbillonne
à la façon des feuilles
le vent te
mouille l’œil
ça te taille la
peau, c’est un ciseau
ta vie est en
morceaux
ça te met sur
le poil un poids de pierre
ton cœur lourd
court derrière
et c’est
profond comme le fond du puits
c’est chaud
comme la nuit
puis ayant dit
tu remontes le drap
tu t’endors
dans mes bras
Entrez
venez la tente est mise
il vous reste à entrer
venez la table est mise
venez vous attabler
vous la personne admise
avec tous les paumés
soignez bien votre mise
tous sont à honorer
venez nulle entremise
topez de gré à gré
d’amour nulle remise
il est tout plein donné
la gaîté est de mise
bien plus que s’ennuyer
la tristesse est permise
douleur à consoler
haine et peur sont omises
on les a balayées
la violence est soumise
chantez dansez riez
puis quittez la chemise
nu vous serez lavé
Rouge
le ciel est bleu, la terre est rouge
petit souffle en ces cris du matin
mais novembre, images aux pleurs
souffle frisquet et les arbres s’agitent
arbres de sang aux feuilles rouges
guerre finie pour elles
à peine au sol elles sont mortes
chutaient tourbillonnant les aviateurs
les gars dans la boue s’affalaient
le ciel est gris, la terre est rouge
Le dit dans
l’arbre
j’étais monté
sur l’arbre
au temps
d’avant les temps
sur une
branche un jour
puis un jour
sur une autre
celle d’en
bas, celle d’en haut
je regardais
quand tu
sciais du bois
quand tu lavais
le linge
le chat vers
moi grimpait
une chatte,
tout l’étonne
le chien
grondait
il aboyait
puis il pleurait
voulait me
voir descendre
je regardais
quand tu
bêchais le sol
quand tu
cueillais les pommes
quand tu
semais la graine
quand tu
berçais l’enfant
je t’aime, je
te regardais
Dada, donc,
des dits
Le dit du
canasson quand il hennit se ment :
On se croit
étalon, on n’est que rossinante…
On offre
cependant son dos au garnement
À la fille gentille,
au boy comme à l’infante.
Le dit de
l’écureuil a pour visée la noix,
Sa demeure est
le cèdre, il y paye un loyer.
« J’avais
caché, dit-il, en multiples endroits
La noisette et
la noix, mais où ? J’ai oublié ! »
Le dit du
sanglier se veut des plus modestes :
« Il me
suffit qu’au bois on me fiche la paix,
Sinon je
chargerai, croyez-moi je suis leste ! »
Bigleux,
pourtant, il cherche, il a perdu sa laie…
Le dit de la
marmotte, encline à persifler,
Fait croire à
qui viendra qu’il la verra frémir :
« Approchez
donc, dit-elle, entendez-moi siffler,
Vous me croyez
dehors ? Je suis partie dormir ! »
Le dit de la
mésange a de quoi vous charmer.
Vous
l’approchez, saisi d’une joie sans mélange.
Elle vous dit,
perchée, bien loin de s’alarmer :
« Tu ne
sais pas voler, tu n’es pas même un ange ! »
Le dit du
dromadaire – il vous toise de haut –
Semble venir
d’un sage, en fait il déblatère :
« À vos
dépens, crétins, vous montez sur mon dos
Car au moindre
cahot, je vous foutrai par terre ! »
Trois buées de l’aube
1
ailleurs est en moi
gros pépère et qui tient de la place
édredon, et dedans
bulles d’air à danser danser
qui bougent et parfois
l’une s’échappe
ainsi le rêve !
2
j’ai fini d’écrire et le geste pourtant
demeure
et s’en ira rejoindre d’autres gestes
évanouis
milliers de desseins disparus
ainsi nos baisers
3
et chaque nuit, sur moi
la femelle du moustique
vient prélever la goutte de sang
elle qui fait vivre ses petits
l’amour est sanguinaire
qui nous vient de si loin
Montées ?
il te vous vient parfois des besoins d’épopée
des misères avérées
à corriger, la flamberge en papier
des vers à la hugo, des stances à la rostand
des finales envolées
et ce je ne sais quoi qui te met au grand large
poitrine soulevée
de grandes chevauchées, de grandes équipées
des david et des rude à raconter
des magnifiques au rire carnassier
des causes à sauver, des drapeaux à lever
enfin de quoi mourir le nez dans le ruisseau
de quoi tomber par terre, on est monté si haut
or si la terre est ronde et l’univers immense
ce monde est plat
Car il est souffle
je le dis, vous ne vous en tirerez pas sans vous refaire une image,
une ressemblance d’un dieu, image à votre portée
tenez c’est d’abord chasser en vos têtes, vos cœurs et vos reins,
vos mains, jusqu’à la moelle, à l’os du cœur
chasser l’image et la ressemblance d’un seigneur, le désir en vos
fonds d’un maître, d’un roi, d’un céleste
voici déjà ; cela fait et fait à nouveau, refait encore reste
de vous le squelette
ossements, blancs d’un désir de royaume, bien dénudés, grattés,
frottés, nus devant un ciel, des cieux vidés de tout règne
nus debout vos histoires flottant là derrière, l’avenir devant,
sans motifs et sans voix
qu’une petite porte s’ouvre alors en vous et le dieu en vous se
meut comme une vague immense
vague lente à nos yeux en sa visée, désir se déployant, montez
pleurant, heureux, sur la nuée qui va
ainsi va le dieu se mouvant qui vous entraînera, peuple dansant à
lui vous emmenant
Gus
mon grand-père est un homme jeune
enterré en deux parties
au cimetière de son village
avec sa moustache et sa trompette
et son arc
depuis longtemps longtemps
c’était après une guerre
avant qu’on le ramène il nourrissait
une croix de bois là-bas
ici maintenant elle est en fer
et sur ses os
du gravier
on a bien fait les choses
et comment il s’appelle est inscrit
sur la place
où il n’est pas le seul
avec ses copains morts de la clique
ou de l’Espérance de Meaux
bleu nuit les ailes d’un corbeau
miroitent
sur une tête en pierre casquée
la statue est en un seul morceau
elle qui n’a pas été coupée en deux
comme lui
Adieu
la nuit
la
reine de la nuit a beau chanter si fort
la
nuit n’a cessé de boire l’immensité
des
millions d’yeux de feu ont veillé sur la terre
ont
fait taire le chant, ont semé le silence
et
les champs et les bois sommeillent dans la paix
les
vents ont stridulés, calmés, sur la campagne
elle
a soupiré d’aise, attendant la rosée
cependant,
les cités n’ont pas voulu se taire
la
folle y crie toujours en vibrations de peur
la
cape de la nuit, zébrée de traînées blêmes
fait
place peu à peu à des champs d’éclairage
on
a chassé les ombres, il reste les terreurs
L’allée d’en bas
c’est plus qu’un chemin une allée claire ma promenade
d’un côté les bois qui s’élèvent jusqu’au plateau où j’habite
de l’autre la plaine et les champs aux multiples aires colorées
on marche à l’aise on s’arrête on regarde on contemple
la paix se pose alors et dos aux bois on aspire l’espace
même on devient soi-même cet espace et partie de ce monde
bouge au loin tout petit quelque engin un humain est aux champs
un camion empressé croise comme il peut sur la route qu’on suppose
on est avec ces gens on les devine le ciel est leur abri
on va sur ce chemin comme on va dans le monde juste un moment
juste un temps de tous les temps du monde et rien que le monde
ainsi que l’enfant dans le ventre une canne à la main
Ombres
ombres
de ma mémoire
en
sortent des figures
comme
en la nuit les phares
font
naître puis disparaître
un
passant inconnu
des
pas dans la nuit
des
pas dans la pluie
quelqu’un
marche
une
ombre à jamais disparue
ombre
entrevue
murmures
d’autrefois
au
loin des voix chuchotent
s’élèvent
puis retombent
souffles
à jamais perdus
en
ma nuit réapparus
Le dit du pommier
ici un pommier
il fait des pommes, en voici une
observée jour après jour, elle
grossit, elle grossit
un jour elle arrête, elle ne
grossit plus
elle est parfaite
ou se sachant imparfaite, elle ne
peut rien de plus
belle sagesse car au-delà elle se
déferait
sa chair se déliterait, tomberait
en pulvérulence
finirait en pourriture
voici la sagesse du pommier
il se défait de sa pomme
de sa pomme achevée
parfaite ou non, achevée
alors elle tombe
ainsi lâches-tu le poème achevé
ainsi te lâche-t-il
ainsi ta vie te lâche-t-elle
et tombe
Sur le chemin de traverse
les grandes filles m’avaient emmené, j’étais enfant
ce jour de plein été, elles chantaient, la laide et la belle
chemin de traverse au milieu des blés, robes légères voletant
elles qui ne l’ont jamais connu, elles chantaient l’amour
et cueillaient des bleuets
et ce chemin pour jamais traverserait leur vie comme un trait
dans le bruissement des hautes tiges, sous le vent léger
et des épis
au-dessus d’elles, l’immensité d’un ciel lège et la superbe du
soleil
jour de blondeur, jour de midi, jour de traverse
vous dont la vie ne fut que le gris d’une route
heureuses, lumineuses, pour toujours en ce jour vous marchez
allant, légères sur le chemin de traverse
Quand
il vient
bruissement
d'un souffle ténu, ainsi survient mon ami
multiples
voix, chemins multiples, mille jeux d’harmonie
or
on n’entend que dissonance quand nous aimerions ce chœur
vivant,
ce chœur, d’une vive entente à l’écoute infinie
et
ce que nous voudrions, que tout prophète tient au cœur
ce
chant universel s’élevant d’une terre attentive
n’est
pas, ne vient pas à naître, absent il ne vient pas à l’être
et
ce n’est qu’une amorce, esquisse indéfinie, tentative
comme
un fragile espoir, juste un pas dans le noir, un peut-être
or
bruissement d'un souffle ténu, tel survient mon ami
Thomas
comme sur le bois on suivra les veines
sur le bras nu le dessin des veines
qui a suivi du doigt le cours du sang
apprends que sur les temps règne le sang
avec son poids de souffrance et de peur
ses enfants nus qui naissent dans la peur
parcours partout de violence et de mort
des mains lavées font sentences de mort
et nul déni n’effacera le meurtre
naître à la vie est avouer le meurtre
et tu vivras, en tes veines la vie
rouge le sang, passée la peur, la vie
courez – courez
! pierre a roulé
poussée – poussée
espace vide
parti – parti
reste le trou
la peur – la peur
parole nue
pas là – pas là
il faut sortir
courez – courez
épouvantées
vivant – vivant !
! vivant
Ânon*
l’âne aimait ce sentier, il aimait y
trotter
– sur le sentier qu’on aime
on ne tourne plus la tête
il aimait cet ânier, il aimait l’écouter
– qui suit l’être qu’il aime
viendrait-il de Nazareth
aimera ce prophète, aimera le porter
– quand le monte un qui l’aime
avancer est une fête
* Tiré
de Toutes ces mondanités
Runes dispersées
Neige, sur un ciel noir, a passé son traîneau
et repasse et louvoie, semant des fleurs de gel.
Neige morte, absence gelée, nul arc-en-ciel
n’irise ta blancheur, que hachent les moineaux.
Bravant le vent d’hiver, sur ton immensité
ils vont de ci de là, leurs pas sont des étoiles,
traçant, illisibles, des runes que seul voile
un souffle qui, rasant, les change en vérités.
Au loin s’en vont ces mots que nos livres ont dits,
fuyant leurs pages blanches et celant leur mystère,
alors que ces vivants nous laissent interdits.
Nul ne pensait saisir en leurs vives manières,
en leurs cheminements, leurs petits bonds hardis,
le langage à traduire en son dire éphémère…
rire en un feu
(presque cadavre exquis)
et la
caverne aux trois serveuses
un rire nous a pris
Au chemin d’en bas
au chemin qui descend en quittant
la maison s’entend la paix des bois
chênes et châtaigniers, leur
bruissement sans fin, sans projet, sans vouloir
pur désir de tenir, c’est leur
aspiration, et je le sais fort bien, je leur suis étranger
pour ne plus être craint il me
faudra chanter, chantonner, murmurer
doucement inspirer, largement
respirer si je voulais tenir
partager leurs accords,
apprendre à devenir
et si j’ai leur appui, remonter tout à l’heure, flatté de
l’entrevue
Conversation
au passage d’un ange
un trou dans nos paroles
je suis tombé dedans
quand l’échange a repris
je suis resté en bas
plongé au fond du trou
l’ange est venu au bord
il s’est penché vers moi
m’a dit de remonter
je n’ai pas répondu
je me plais bien au fond
il a repris ma place
Échappée
il s’est passé qu’une ombre
a recouvert l’étang
et qu’un héron cendré
aussi sa belle effarouchée
saisis d’un brusque envol
ont quitté ces parages
ainsi s’enfuient bien loin
les amants de vives lueurs
quand une nuit les frôle
aussi leur monde
nous demeurons
Qui ?
je fais des vers en je
je fais des vers en tu
je fais des vers en il
je fais des vers en elle
je fais des vers en nous
et pourquoi pas en vous
mais ni en eux ni en elles
c’est que ce ne sont pas
mes à faire
Résister
les
chefs n’y ont pas réussi, les rois n’y ont pas réussi
aux empereurs
nous avons survécu, aux prêtres même
venus
jusque dans nos cœurs et nos têtes et nos reins
aux
évêques et aux papes, aux pasteurs desséchés
à leurs
synodes, leurs conciles, leurs fatwas et leurs bulles
nous
avons résisté, à leurs États, leurs juges, leurs docteurs
leurs
diseurs de vérités sur nous autres, leurs savoirs
leurs
prisons, leurs goulags, leurs charniers, leur raison
leur
bon droit, nous avons tout souffert, morts par millions
au long
des millénaires, écrasés, formatés, chair humaine
souvent
nous l’avons cachée, nous l’avons sauvegardée
nous
avons su conserver, têtes à claque, notre antique
mauvaise
tête
La visite
il vient me voir parfois
c’est entre chien et loup
nous parlons en confiance
toujours entre les temps
il n’a pas d’apparence
dans les premières fois
il me parlait de moi
je crois que je l’amuse
il me montrait du doigt
les failles de mes ruses
il n’était jamais dupe
je ne l’étais pas plus
nous le savons tous deux
les humains sont trompeurs
et moi je suis l’un d’eux
on se ment à soi-même
on finit par se croire
la visite d’un ange
empêche assez souvent
qu’on se donne le change
aujourd’hui quand il vient
nous dépassons mon cas
nous parlons d’autre chose
de la force du mal
du bien et de ses causes
de ce déséquilibre
où se forme le monde
au temps qui dérapa
de la matière en lutte
au rythme de nos pas
nos rencontres sont brèves
il lui faut peu de temps
pour éclairer des jours
pour redresser un dos
défroisser un détour
en un mot un sourire
une question subtile
il sait faire apparaître
un pan de l’irréel
et ce qui vient à naître
c’est pourquoi je l’attends
chaque nuit chaque soir
à l’aube au crépuscule
espérant sans le voir
que l’ange me bouscule
Kyrié éléison
(Seigneur aie
pitié)
je ne suis pas un chien
je ne saute pas de joie
je ne gambade pas
je ne rapporte pas
je ne jappe pas de joie
d’ailleurs je n’aboie pas
je ne suis pas un chien
je ne suis pas fidèle
je ne te défends pas
ne te protège pas
je ne garde pas ta maison
d’ailleurs je n’obéis pas
je ne suis pas un chien
je ne cours pas en rond
je ne geins pas, collé au
sol
je ne supplie pas des yeux
je ne hurle pas à la lune
ni à la mort, ni à la mort
non
Juste un panier
comme un panier, je suis
comme un panier
comme un panier pansu tressé
d’osier
je me remplis de fruits
tombés de cent ou de mille arbres
on m’en jette aussi dedans,
qu’on me confie, ou que je vole
quelle importance, au fond
ils ne sont à personne
en tombant là-dedans
certains me feront mal
ils ont de gros noyaux, il
faut bien les comprendre
certains, de nuit, se
glissent en mon sommeil
d’autres sont tels qu’ils
attendent une main qui les prenne
alors je prends, je tends la
main, je regarde et caresse
fruits de toute espèce et de
toute part du monde
de toute couleur et de toute
saveur, et légumes aussi
plantes qui verdoient,
fleurissent et fructifient
graines qui s’en vont
germant, et selon leur espèce
tel va le panier que je
suis, qui déborde parfois
au fond jamais rempli, pourtant, ni jamais alourdi
et j’accepte et souris
d’être juste un panier
juste un panier, comme un
panier pansu tressé d’osier
Éveil
quand
je suis arrivé tout au bout de mon rêve
je me
suis éveillé
il faut
que telle histoire en cet instant s’achève
au jour
ensoleillé
je
vivais du malheur au long de mon sommeil
de
joies échevelées
l’aventure
inouïe ou l’amour sans pareil
l’arcane
révélée
et puis
le jour paraît et le vrai qu’il révèle
au
matin nettoie l’œil
ainsi
vient l’essentiel et l’avent qu’il recèle
du
songe on fait le deuil
on
reçoit ce qui vient, malsonnant ou fidèle
chaque
jour est un seuil
Prière à l’usage de la maman
de François Villon
Père qui vis
et vivais avant nous,
Montre-nous tes
cheminements :
Que, face au monde immense
devant nous,
Nous ne pensions
petitement !
Ô Père qui vis au-dessus de
nous,
Apprends-nous tes
commandements,
Et que, l’image de ton Fils
en nous,
Nous ne vivions
petitement !
Ô Père qui vis au-dedans de
nous,
Fais-nous respirer largement.
De l’étroitesse du cœur
garde-nous :
Que nous n’aimions
petitement !
Ô Père qui vis si proche de
nous,
Vivons-nous
fraternellement ?
Qu’envers celui qui chemine
avec nous,
Nous n’agissions
petitement !
Ô Père qui vis tout autour de
nous,
Le monde joue injustement.
C’est toi qui mets ce défi
devant nous :
« Ne luttez pas
petitement ! »
Ô Père qui veux le bonheur
pour nous,
Pour le construire,
joyeusement,
Que jamais, dans ce chantier
devant nous,
Nous travaillions
petitement !
Ô Père qui viens au-devant de
nous,
Quand pour chacun c’est le
moment,
Fais que, logeant la foi très fort en nous,
Nous ne croyions
petitement !
Ô Père qui viens pour
toujours à nous,
Tu veux apaiser nos
tourments.
Que, l’espérance ancrée au
fond de nous,
Nous ne mourions
petitement !
Fêter le dire
dans le
champ / dans le champ est l’épi / dans le champ est semée la graine / dans le
champ / la graine là se trouve / dans l’épi / dans la graine se trouve le germe
/ cherche la graine et cherche le germe / il a dit tu ne me / chercherais pas /
si tu ne m’avais / trouvé
ils ont
pris la parole / ils l’ont prise pour eux / ils ont dit nous parlons / c’est
nous c’est nous / ils ont mouillé le monde / mouillé de leur parole / qui n’est
pas la parole / et qui jamais ne dit / pas le verbe qui dit / corps de celui
qui dit / de celle qui dira / jamais eux
n’ont
pas émis le verbe / n’ont pas osé le temps de dire / pas le temps du faire / le
temps du dit qui fait / du dit qui crée / oh non car ils étendent / ils
allongent / vois comme leur temps est long / sans effet / sans autre effet que
l’ennui / que l’embrouillamini / salive qui englue
et le
roi leur avait donné la parole / le roi l’avait disséminée / le roi l’avait
jetée aux uns / et même aux autres / abandonnée / riant de les savoir à même /
de les vouloir ainsi / à même de dire / aptes à faire d’une parole un dire /
dire de lui / digne de lui / dru comme lui
alors
pleurer se retrouver et rire / ainsi le verbe à ton côté / trouvé le pain /
trouvé le grain / trouvé le germe / dans le grain le germe / et le dire qui
lève / boire le vin boire la rosée / boire la brume / fêter le dire / jamais
assez
Comment ?
c’est un arbre qui rêve
juste une envie de ciel
et comment le gagner ?
un arbre est désarmé
ni gagner par violence
ni monter par jactance
non plus que par prudence
il a pu s’élever
approcher de son rêve
car la ruse des arbres
est de s’enraciner
Comme le vin
Ballade
Comme le vin tu me captives
comme le vin
et mieux puisque tes yeux
me font chuter dans le silence
parfois
Je te vois et compréhensive
comme le vin
plus ferme qu’un vin vieux
te voici l’avenir de ma danse
parfois
Lumière brune lampe vive
comme le vin
ton regard est non-lieu
il pense au soir en mon enfance
parfois
Couvrant ce que la peur active
comme le vin
et mieux car oublieux
devin il devine ma transe
parfois
Au loin ma dame un peu naïve
comme le vin
sous le ciel rocailleux
d’amour me donne intelligence
parfois
Le jour où tu pars
le matin est neuf, sauf est le soir
entre les deux, veuf est l’espoir
il va pleuvoir et tu t’en vas
pas un matin que tu ne sauvas
ce jour est lourd, celui où tu pars
neuf est le soir, ce jour fut trop court
araignée du soir, l’air est lourd
au noir mon espoir a sombré
la pluie tombe, asile enténébré
dis, le jour où tu pars est trop lourd
veuf est le matin de ton départ
en allée, vois le monde épars
je ne sens que tu reviendras
si noire, la nuit étend son drap
il fait trop nuit le jour où tu pars
Pétaudière
tu sais ce que je pense
je pense que tu le sais
et ce que je sais
c’est que tu le penses
quand tu penses que tu le sais
et que tu sais quand je pense
et ne sais que je le pense
au moment où tu le sais
mais que sais-tu, j’y pense
j’y pense bien, tu penses
tu le sais bien, je sais
toi et moi le savons
de Marseille
Préliminaire
je dis que le mal ce n’est pas étonnant
le dur et le méchant, c’est l’habitude
et ce qui me surprend
c’est la bonté en marche, celle qui a des mains
et puisqu’il est un dieu, là il rit de bonheur
Au cœur du malheur
vois, de toutes les miettes disséminées, miettes
éparpillées, tombées, inconséquentes et légères sous la table, tu fais du pain
c’est ton secret, fort bien gardé, tu lèves ce qui
est tombé, ce qui est pulvérisé, tout ce qui est défait, tu le dresses et
l’unis et l’assembles
de toutes les écailles, de toutes les arêtes
rejetées, tu inventes le poisson, et tu le mets à l’eau comme s’il n’avait
jamais nagé
tu n’es pas embarrassé, quelques pains ou poissons te
suffisent, de cela tu feras un banquet, face à nous tu dresseras la table, et
nous tes ennemis, mangerons et boirons
ce n’est là que prémices, tu n’as pas de limite, tu
nous prévois heureux, usagers d’un éden, èves tout éprises, adams tout amoureux
de tout duvet léger, voletant sous la brise, tu vas
tisser l’oiseau, tu le lâches dans l’air, tu attends qu’il s’envole, tu espères
qu’il ose, et tu le vois planer
et chaque jour, chaque seconde, incognito, amoureux
du devenir, tu nous fais le coup de tes six premiers jours
de toute goutte postillonnée, tu rassembles une mer,
et tu bâtis la terre de toutes les poussières, celles qui sans raison
tourbillonnent sous le vent
tu amasses le fétu, pour qu’il serve à ton œuvre de
verdure, à ton idée de forêts, de taillis et de futaies, d’ombrages propices à
toute bête
et pendant que nous dispersons, que nous défaisons,
face à nous, face à tes ennemis, ennemis de toute œuvre à venir, tu te fais
inlassable
et de tout ce qui est, qui vit sous ton soleil, toi
tu te fais un monde que tu aimes, et à qui tu souris, qui te fait rire de
plaisir, tressauter de bonheur
et de chaque minute, et de chaque heure comme de
toute année, tu nous offres un temps, une ère de merveilles, au creux du temps
damné, des jours abandonnés
n’es-tu pas, ce fut dit, le seigneur de la danse,
n’es-tu pas, en nos cœurs, en nos morts, en nos deuils et nos crimes, en nos
malheurs sans nom, le maître de la joie
Paisible
le chant du soir s’en va, souffle léger au-dessus de nos toits
dans le fouillis de l’érable les cancans des mésanges s’apaisent
tête repliée, calotte bleue penchée, elles cherchent le sommeil
l’air s’est fait translucide, reste, vers l’océan, ce halo qui
s’étire
quelqu’un chantonne sur la terrasse, je crois bien que c’est moi
aux temps de mon enfance il arrivait que toute paix survienne
dans le silence oublié par les bombes, retombé le nuage
une paix sidérée, telle incrédule, habillée de stupeur
frayeur de qui se voit survivre et ne sait plus où cela mène
et je crois bien que c’était moi, cet enfant blanc couvert de
poudre
ainsi s’en vont les bombes, concédant, à qui veut, quelque répit
ou à qui peut, quand se lasse un pilote attaché à son œuvre
ramenant un bilan de désastre aux palais blancs de ses
maîtres
quand se terrent par milliers, en des trous, les enfants
d’aujourd’hui
dans leurs pays lointains, et je crois bien que c’est moi qu’on
bombarde
là, une herbe impavide à trouvé son peu d’espace, entre deux
blocs
un fétu vert paraît dans le béton, dans l’amas imbécile
la vie renaît quand les humains sont morts, leurs enfants
éventrés
or les oiseaux d’ici, pinsons, chardonnerets, nous laisseront
vivre
nous ignorant, et celui qu’ils oublieront, je crois bien que
c’est moi
Margot Margot
si j’écris à la plume
c’est pour te faire un mot
Margot Margot
je suis comme un rat d’eau
je compte pour des prunes
ballot ballot
elle me lance une agrume
je lui jette un bon mot
pas beau pas beau
je m’en vais à vau l’eau
ni chacun ni chacune
bateau bateau
pense pense à moi
à l’heure de l’apéro
je songe au lamparo
et tu rêves à la brune
hello hello
et Margot je présume
que tu erres en la brume
moi je te cherche trop
rends-moi ma plume
Yggdrasil
assis où j’ai choisi
me disait le grand arbre
de là je sème, de là j’essaime et je vais loin
comme un chef de tribu
j’enseigne et je conduis
trônant sous l’arbre de nuages et de pluie
jambe en terre plantée
et quand je me déploie
les bras ouverts, je suis le tronc de toute science
de loin ma chevelure
indique le chemin
amoureuse des vents et amante des temps
c’est ainsi qu’immobile
je voyage et navigue
au-delà de la vue, mon ombre portant loin
mon nom importe peu
je suis l’arbre du monde
qui me touche et m’enlace, il se renforcera
Cène
alors les voici tous à table
avec les enfants et les femmes
la peur est cachée par derrière
en un paisible remuement
ils ont faim, loin d’être repus
manquant de pain et d’amitié
ils sont ensemble pour fêter
le sachant que proche est la fin
celui qui parle va mourir
et tous ceux-là vont s’en aller
un seul repas va leur suffire
il nourrira leurs aventures
Utopie
ce qu’on nomme utopie n’est autre que le rêve
où tu sais, en rêvant, que l’avenir se lève
un jour vient, puis un autre, et l’horizon s’éclaire
chaque étape à pour elle un nouveau monde à faire
tu le crois, tu le penses ou le veux et l’espères
jamais les démentis ne vaincront tes colères
comme il te faut d’audace, et comme tu t’égares
quand meurt pourtant le jour heureux que tu prépares
après la pluie vient le beau temps, dit-on souvent
la pluie revient pourtant, la pluie des mauvais vents
alors tu recommences, alors loin d’oublier
l’enjeu de ton courage est de ne point plier
on te dira follingue, étrange en la maison
on verra qu’à la fin, c’est toi qui as raison
Envolées
plume qui vole, qui s’envole,
tel va l’aveu, l’avis, le vœu,
s’en vont les envolées, valaient-elles,
et le vote, volatil où va-t-il ?
plume qui vole et volera
avec les vieux, va, la vie s’en va,
vaine la vie, que vaut-elle,
mais que vive la vie vraie !
plume qui vole, envolée belle,
vivre est un vide, vivre est un vin,
vivants valides, voulant ou veules,
qu’ouvert, en vous, veille un visage.
Étrange
le monde en moi
toi dans le monde
en toi voici le monde bleu
je te vois si jolie
couchée sur l’herbe bleue
le bleu de tes yeux dit-il tout rouge
je te vois rouge
le monde est rouge
je te vois bleue le monde est bleu
tu fais entrer en moi le rouge
tu fais entrer le bleu
une orbe rouge et bleue
et si le ciel orange est un orage
mon cœur en moi se fend
tous ses quartiers s’épandent
sur l’herbe verte et bleue
du ciel sur elle a coulé tout l’étrange
et tu dis quel mélange
quand je suis toi je suis le monde
le monde rond comme une orange
où comme au ciel les anges
ma chair est rouge et bleue
couchée sur l’herbe noire
et tu me dis étrange
Aériennes
ce jour-là, les oiseaux eux-mêmes étaient lourds
les poissons aussi, ils étouffaient, toute cette eau
une eau sans air, un air pesant, la chaleur lourde
c’était un jour où l’attraction terrestre jouait à plein
les pieds collaient au sol, les jambes gonflaient
la terre s’effritait sous les pas, attirée vers plus bas
sûr qu’on rigolait pas, on étouffait,
comment rire ?
il a dit que non, qu’il sauterait en l’air, jambes en l’air
tranquille il l’a fait et les oiseaux se sont mis à voleter
remis à voler, même les plus gros, l’émeu lui-même
et voyant, les poissons se sont mis à rêver de la nage
à nager dans une eau redevenue légère, même aérée
avec des bulles, et la terre les a senties, les bulles
elle s’est mise à respirer, elle s’est assouplie, légère
et il est retombé, les pieds ailés, les jambes déliées
même, il a dit qu’il n’hésiterait pas à recommencer
Pour une combattante
la belle est morte au combat
pleurez sur le corps d’une dame
femme brune de là-bas
chantez le courage des femmes
femme, elle a pris le fusil
tombée, elle gît dans le sang
honte à l’homme qui s’enfuit
quand sa sœur meurt en partisan
toi, tu n’auras pas d’enfants
la guerre te fut imposée
veuf qui se veut ton amant
la guerre au loin t’a emportée
on pleure, on chante là-bas
on chante la force des femmes
la belle est morte au combat
fière et belle comme une lame
(Lieutenante Reem Hassan, commandant
une unité de femmes kurdes et chrétiennes
face à Daéch en Syrie)
Bluette
adieu à mes amis
doux comme un doigt de miel
ou comme un poing unis
étoiles dans le ciel
des bras de mon amour
aux serres des vautours
de lèvres de velours
à la mort sans atours
les signes sont tracés
les enfers sont pavés
les bêtes vont émerger
leur règne est annoncé
elles seront douces
elles seront cruelles
seuls survivront
ceux qui sauront aimer
Enfants heureux
Sur un rythme de Jean-Paul de Dadelsen
Près du hameau les
enfants courent, sous la chaleur du soir, sous l’odeur des tilleuls, criant
malgré les ombres qui
s’allongent aux murs, ils se poursuivent, fuyant le lit, des enfants
pâles des villes, et que
la paix soit avec eux !
Derniers jours de l’été,
fin août a confié à la nuit qui vient ses parfums et ses rires.
À peine le matin viendront des jamais plus, au temps où les beaux jours
s’achèvent,
l’automne et l’oubli
pour refrain.
Au loin les soldats ont
peiné sous le casque, leur pas lent fait rouler la longue mémoire
de ces pierres
insoumises, pour toujours fichées là en rebelles ; la foi des pauvres avec
elles
éveille à nouveau, pour
longtemps, sa rancœur.
Revient l’inévitable, au
retour du malheur, lorsque l’encre des messieurs, et leur verbe,
redéfait une longue
épissure de travaux et de jeux, et d’alliances, et de danses,
ainsi revient la guerre
aux hommes.
La jeune femme, à ses
anciens voisins l’a dit, redit, d’autres temps viendront où pourtant
il sera temps de refaire
une histoire, de rassembler les brins, de trouver un village
de tendresse
tressé, au cœur las de haine.
Qui le croira, qui va le
croire, et les soldats ont ri, pourtant vêtus de peur, d’habits
de sang versé ou de
tortures, à la terre ira leur rire comme un chien a hurlé
à mort, il n’est pas de
pardon.
Où s’en vont les anges
quand il pleut, leurs ailes salies par la haine, je ne sais ce qu’ils
veulent, ont-ils aperçu,
honteux, ces liens d’amours cachées dessous, je ne sais pas ce qu’ils
disent, privés de sang
rouge, aux pures élytres.
S’en vont-ils pleurant,
riant de nous autres humains, sommés de rapporter à leur maître
leurs proies, les ailes
ensoleillées, irisées de tant d’éclairs et de combats, de peines,
chaînes trop lourdes à
porter ?
Or paisibles sont les
villages, ignorant ce qui vient, les ciels de bromure et de plomb
sous les orages, ainsi
vont les gens que nous sommes, incertains et confiants, tous incrédules,
enfants de vide mémoire
du mauvais.
Seul un sage a semé les
graines du futur, ne sachant, ne voulant, visité seul
par les esprits errants
revenus vifs de très anciennes guerres, gitans de sa mémoire
voyageant sur ses folles
routes.
Un vieil homme est passé
ce soir, mille nouvelles dans la tête, et des chansons
à faire entendre,
admirer, dispersant à l’envi les brins de son tabac, mi-rieur,
mi-sinistre, rageur, la
langue embarrassée,
ancien enfant justement,
vif encore et déconcertant, l’œil allumé par des joies
anciennes et des
bonheurs datés, par des soucis dont il n’a plus que faire, les soupesant.
Aux vieux que devient
l’avenir ?
En attendant la mort il
est si doux de rire, amis rions, attablons-nous ensemble
avant d’être cueillis
pour une autre aventure, saisis de peur, habités de désir.
Ne sommes-nous pas de
ces curieux amants,
aimant la guerre et la
fuyant, aimant la vie et la foulant, aimant si fort, enfants
voués à vivre aimés et
menacés de haine, envoûtés, encroûtés, fort amusés
aussi, qu’on n’en peut
plus de rire.
Et les filles
chantonnent, se tenant par la main, oublieuses dans leurs tabliers de ferme
de ce qu’il faut de
crainte pure ou de fière malice, pour sauver son estime aux jours
où pleuvent les cris de
vengeance et les pleurs.
Je sais ce que je dis,
j’ai souvenir du temps maudit des reîtres vert-de-gris, barbares
civilisés, faut-il le
dire, tout affolés de leur orgueil, de leur blessure d’être,
âmes retournées à
jamais.
Les gens d’ici en ont le
souvenir, on en trouve les traces, on se demande encore
en quel dessein les
enfants à l’étoile avaient à se cacher, lapereaux apeurés,
sans leurs poupées ni
leurs peluches aimées,
enfants tués, et le
faut-il, que dans la vie des hommes, les ogres soient autorisés ?
Oh comme on s’en
souvient ! Et le ciel, en vérité, peut tomber, la lune en sang rougir,
mon Dieu, tu as de ces
idées…
Et peuple qui n’a su,
venu le froid des morts, que la nuée soulevée par les chars
t’apprendrait à courir,
te souviens-tu, ces jours où tu fuyais auront sauvé pour toi
tes cartons à chapeau,
tes robes à fleur.
Je dis ce qui était, je
ne mens pas, mais pourtant on chantait, et la plus
belle histoire,
peut-être, est celle où
l’on verra le peuple menacé, tout comme ces enfants qui jouent,
chanter avant la mort
qui vient.
Car les enfants, en tous
les temps, près du hameau de leur naissance, aimeront à courir
à l’ombre des tilleuls,
sans souci, ignorant le zonzon de ces milliers d’abeilles
attachées à leur labeur,
comme un tueur.
Qu’ils s’amusent au
soir, que les rayons du soleil de la guerre ne les traquent, ainsi
que fait la flak, elle
qui a piégé l’avion, cloué au faisceau blanc d’un projecteur,
et qu’ils ne meurent,
non, qu’ils ne meurent.
Insensibles à nous et
poursuivant leur quête, têtues, les fleurs, les plantes et les bêtes
continueront, obtus,
sans nous, quand nous fuirons notre festin, notre destin lassé,
et qu’il est doux de
dire à cet avenir
que des enfants un jour
auront joué, crié, soûlés de rires, ou de pleurs sans objet,
avancés dans le soir,
que l’appel de finir et venir se coucher était leur seule crainte,
enfants heureux sous les
étoiles.
Le cœur
comme un lit de plume
j’aime bien dire je t’aime
j’aime bien dire ça va
ces petits mots-là
un envol d’oiseaux
un bateau sur l’eau
le cours d’un canal
la vie vers l’aval
mais puisque mon cœur bat
tu me fais remonter
tu m’aimes tu m’emmènes
où l’on se bat
Le bruit du vent
en moi, bien en dedans
ruisseaux et bruit du vent
tu les vois, canaux et courants
envolées d’avant, fous de bassan
je regarde en moi et volant
vont les signes du temps
bons amis et bonnes gens
moineaux et fleurs des champs
des monstres avec des dents
dieux contents et mécontents
une averse, un vent d’autan
en moi le monde et moi dedans
Invisible
invisible et pourtant déjà là tu le dis impossible
inconnu tout encore et présent devant toi
face à toi qui ne le vois s’en va ton avenir
mortel un jour immortel aussi bien tu le nies
naître et croire et décroire et voir et devoir naître
impossible inconnu bel invisible tu viens
La marguerite
est-ce bien l’engrenage
ou cette fleur en soie
qui nique la mécanique
nique nique ?
qui nique la mécanique
nique nique ?
est-ce saint dominique
ou est-ce saint françois ?
est-ce un cerveau stainless
ou le cœur pur en soi
qui nique la mécanique
nique nique ?
qui nique la mécanique
nique nique ?
ce n’est pas la marguerite
c’est l’acier qui déçoit
À quoi tu penses ?
À quoi tu penses ? elle demande – À des choses lointaines
qu’on ne peut partager
ce sont choses d’enfance et voudrait-on les dire il y faudrait
un livre
on y lirait le temps, les habits, les nuages, et ces heures et
ces toits, et ces gens
on y dirait le vent, quand il vous emportait, volée de nuées de
feuilles jaunes
ou rouges et brunes, et vertes encore, et dans le bruissement
des dernières accrochées
aux branches des marronniers – qui se souvient des
marronniers et des cours des écoles ?
des choses de récré, on y lirait aussi, choses de craies,
d’ardoises, de blouses grises
et dirais-je ces mots, ces verbes et ces noms, ceux de ce temps,
ce serait inutile
au livre même, au film, à la bédé, il manquera l’odeur, et
manquera la peau
quand elle frissonne, sous la pluie et le vent, en automne, ta cape voletant
et comment, malgré ce temps, sous le chandail, sous le tricot,
une moiteur s’étend
et ce que tu ne pourras dire, que le livre écrit ne saurait
dire, c’est le plaisir
de marcher comme on rêve, comme on s’endort paisible, sous le
couvert du temps
sous la bruine, dans le vent, comme le percheron qui patiente et
fait sonner son fer
et le pavé de grès s’irise, et le ciel s’immisce entre les
hautes maisons des gens
et tu ne sais si tu souris ou si tu pleures, car tu ignores où
se tient la douleur.
L’homme qui fuit
le vent tourne
le vent souffle
aidez-moi
il m’emporte
je m’en vais
adieu toi
il me chasse
le vent fou
loin de lui
la colère
prends ma main
que veut-elle
je suis seul
un désert
plus de nous
je vous aime
je vous fuis
loin de vous
des lueurs
et je cours
devant elles
incendiaires
souffles fous
j’ai peur d’eux
où courir
es-tu là
plus personne
Chaleur d’été
Nuit
fraîcheur
je suis étendu
me reste le ciel
chant du coq
très loin dans la nuit
un enfant pleure
dans le noir
un aboi
une envolée de chiens
tu dors
au loin chante la hulotte
je suis seul
Matinée
au pied du pêcher
c’est l’aube
poignée de poils gris
peau de pêche
au matin
la rosée l’a perlée
sur ma main
la montée du soleil
et les mûres
vois
c’était cette nuit
le renard a chassé
Journée
souffle doux
le feuillage miroite
il fait chaud
seul humain là
les arbres m’entourent
ils respirent
un cri rauque
peur
la pie-grièche qui s’envole
chaleur épaisse
un sentier caillouteux
quel souffle ?
Soir
temps sec
les racines vont profond
ma soif
très bas le soleil rouge
une abeille
et mon verre
mort
j’entends la chouette
la sauvagine est sortie
vent du soir
l’air s’allège
temps heureux à dormir
Coda
vois les colchiques
un souffle passe
l’été n’est plus
Je viens de loin
aujourd’hui je me sens pierre à feu
silex et l’eau dessus pour en goûter l’aigu
calcaire aussi, de quoi en mes os je suis fait
et de la terre, a dit l’antique enseignement
et toutes ces chairs anciennes d’autrefois
elles, en leurs encontres, dont je suis advenu
je viens de loin, en moi gît le serpent originel
juste à demi soumis en la boite crânienne
et de plus loin, de poudre, de poussière
nuées, subtile pulvérulence interstellaire
de laves, de marais, et d’eau pure et céleste
de fourrures de bêtes, de squelettes enfouis
et le grand rire d’ogre qui vient de tout cela
dit la peur et la rage, le plaisir, le bonheur
je suis enfant du monde et de tout l’univers
le reflet d’un visage et le souffle éternel
Plage normande
pieds nus salure promenade sur l’estran
crachin suave et poussières d’embrun
humide sous le pull et cheveux emmêlés
derrière nous tiédeur des prés salés
accord de nos pas et je te regardais
soleil sous la pluie et le vert de tes yeux
tu disais au noroît des paroles envolées
éclaboussées giclées d’eau et de sable
ce jour ce temps ce moment à jamais
heure perdue mémoire paroles envolées
en doux sépia elles reviennent volées
les ramène la bruine d’aujourd’hui
Pouvoirs
L’été est là, sa douceur, et ces nids qui se vident,
nourri on se met à voler.
Les ailes, sous la pluie, se couvrant de perles d’eau,
n’ira-t-on pas trop loin ?
Pouvoirs plus étendus, enhardi, tu te risqueras plus,
jusqu’à y perdre tes ailes ?
Se glisser entre deux airs, tel le chasseur nocturne,
dans la justesse du vol.
Noroît qui va
au pays de nuages et de vent
où nul soleil ne découpe
rêvant, tu vas pensant, aimant
chantre du vent
s’agitent bonheurs et misères
en nombre au noroît tu les contes
afin qu’il les porte là-bas
voire là-haut, qui le saura ?
tu n’en gardes que les moindres
il te les faut pour rire
et pleurer ou chanter, ou sourire
et tu respires allant
t’échevelant le vent va, t’enveloppe
cheveux qui nagent dans le ciel
Moineaux
rien n'est plus beau
que le courage des moineaux
rien n'est plus beau
que le plus vieux des sages
qui va tenant
en sa main d'homme d'âge
la main d'enfant
d'une fille qui saute
d'un pas très sûr
sur un pied sur un autre
tout en éclaboussures
rien n'est plus beau
qu’une amitié d’oiseau
Chœur
à Mikis Theodorakis
il est un chant qui monte dans la rue
qui l’entend pourra s’en émouvoir
et ton cœur sait trop bien qui le chante
dans le noir une voix s’est levée
qui l’écoute pourrait pleurer de honte
c’est ton frère et tu l’entends chanter
dans le ventre des Grecs il est une chanson
dans leurs jambes se meut une danse
dans leurs mains se glissent des barreaux
où est-il, ma mère, cet oiseau rouge et noir
qui planait au-dessus des eaux ?
où est allé le souvenir des hommes ?
impalpable, crachin
léger
pas même une brume
ne tombe pas, semble
monter
imperceptible, le sol
humecté
et les roses, les roses
perleront
la peau, à peine une
moiteur
et les cheveux qui
frisent
la main sur eux sera
mouillée
un ondoiement de pauvre
pour un homme en sabots
les oiseaux font silence
dans les bois qui sont
derrière
passé le hameau
s’en va chasser la dame
blanche
à son cri le chevreuil endormi
dresse l’oreille
toute la sauvagine
au loin la nuit
Attente
d’anciennes sagas ont parlé de cela
du jour où demain frappe à la fenêtre
rien ne se passe, et les jours et les
jours
derrière la vitre les vieux maudissent
j’attends toujours ici, j’attends
encore
avec curiosité, à chaque instant
vienne la trouée de lumière annoncée
et resplendisse, le ciel serait-il
bleu
À sa fenêtre
là c’est juste un homme à sa fenêtre
et qui attend
contre le mur d’en face, une bicyclette
aussi un chien
un vieux vélo boueux, les pneus usés
un chien pouilleux
désœuvrés, ils s’appuient contre une
porte
aux planches usées
la rouille a mangé la peinture du
vélo
la porte est bleue
un jour, le vieux chien fut blanc et
roux
mais là il dort
on se demande ce qu’il y a derrière la
porte
toujours fermée
et tout cela espère peut-être une venue
pour s’animer
l’homme qui attend tient sa fenêtre
ouverte
longtemps longtemps
Litanie
de la
violence
délivre-nous
de la
violence, délivre-nous seigneur
de la
violence
ils
sont entrés
ils
ont tué
ils
ont tué tous ceux que nous aimions
de la
violence
délivre-nous
de la violence
ils
sont entrés
ils
ont violé
et
notre envie à nous fut de les tuer
délivre-nous
émasculés
ensanglantés
notre
désir à tous ce fut de tous les tuer
délivre-nous
contaminés
que
le sang coule
et
c’est en nous, le sang nous saoule
de
tous les tuer
les
massacrer
l’envie
de tuer qui est en nous, les supprimer
les
effacer
le
sang qui coule
le
sang nous saoule
nous
sommes nés pour le répandre, le bénir
pour
le chanter
nous
en vanter
que
le tambour
que
le bruit sourd
de
nos envies, de nos désirs de nous venger
il
coule en nous
délivre-nous
que
du tambour
de
nos désirs
de la
violence enfin tu nous délivres et purifies
Jours
qui passent
un rongeur a rongé
il avance dans son bois
il le met en poussière aboutie :
tu disparais
un peu fini
un jour puis un jour
et qu’elle naisse aujourd’hui
l’étoile à venir
que s’en aille au loin l’esprit ?
tu raisonnes et tu ris
aux temps passés tu dis pardon
ils s’en vont
une fenêtre s’est ouverte
sous le souffle
fenêtre close
là se nichait le silence
se lovait le non-dit
un dire celé
il explose
brusque naissance
fenêtre du cœur franchie
un dire inattendu
non plus que voulu
puis la fenêtre devint porte
Dans
la rue où vit
dans la rue où vit mon souvenir je n’irai
jamais plus
elle est loin d’elle-même
ils sont heureux ces jours où sans peine
elle devient l’habit
le nid d’autres enfants
ils verront s’éloigner d’eux un jour, comme
elle fait de moi
son camaïeu de gris
le grès de ses trottoirs ou le zinc de ses
toits, l’argenté
l’irisé de ses pluies
d’autres encor viendront, et leur rue en
sera transformée
arrivant d’autres lieux
nous qui sommes divers, eux et moi, ne
formons qu’un seul peuple
de purs déracinés
Comment
l’arbre, vois-tu son cœur
son cœur, l’arbore-t-il
et l’oiseau
ce qu’il voile et dévoile
en son vol
le vois-tu
la truite
au courant traître des eaux
que trahit-elle
tant de choses cachées
des mystères
comme à Pâques un enfant
cherchera
Fille qui
chantonne
trois maisons basses
au long d’une allée claire
et trois arpents de terre
entre fleurs et gazon
fille qui chantonne
sous le ciel si haut
que penser d’elle
lorsque la nuit se tend
soie de peau
mouvements d’aile
c’est un voilier tout blanc
il s’éloigne en dansant
pointe l’éphémère
avant qu’un avenir
brûle un morceau de vie
et que changent les temps
Pèlerins,
apôtres
quittant la nuit, ils sont entrés dans le
matin fragile
la joie, la peur, l’ardeur mêlées, la
ferveur malhabile
parlant, ils seraient obligés, ils seraient
menacés
dansant, chantant, ils se mueraient en
oiseaux pourchassés
mais la mort, en son fond, avait passé,
restait le jour
la vie qui s’entrouvrait, tendre bourgeon
que l’on savoure
elle s’ouvrait, papillon qui se déplie,
proie facile
et qui tenait en leur parole, en leur parler labile
aussi, en cet instant, se sont-ils tenus
cois, en leur patience
avant d’oser sortir et dire, et trouver
leur audience
lâchés comme un vol d’étourneaux, ou sur
l’eau comme une onde
ils se sont égaillés, cognés, ont rencontré
le monde
au soir ils sont entrés, quittant le jour
aux mots sans nombre
confiants, tâtant des mains la nuit, au
lieu où finit l’ombre
Arbres
qui marchent
comment je t’aime
je t’aime comme
comme un jacaranda tu sais
l’arbre qui pleure
comme le magnolia
quand il se trompe
se trompe de pays
se trompe de saison
ou comme le grand cèdre
il a perdu sa tête
à cause d’un grand vent
d’une tempête
je t’aime comme un thuya
arbre modeste
il prend parfois le feu
se flétrit, se rougit
ou comme trois sapins
qui ne font qu’un
au-dessus d’un petit toit
de tuiles rêches
arbres qui marchent
comme un homme qui sèche
comme jaunit le pré
quand la pluie a manqué
Sortie
il était allé à la messe
juste une idée bizarre
tout le monde le regardait
les gens se retournaient
lui regardait les statues
une qu’il aimait bien
c’était une dame en bleu
un bébé dans les bras
on se levait on s’asseyait
et tout le monde chantait
il fallait s’y connaître
pourtant ça lui plaisait
et tout au fond de la salle
un type qu’il connaissait
bras tendus sur une croix
le regardait le regardait
Papillon
la vie, cela se jouera donc en un temps court
trois jours, de ce jour noir jusqu’au lever du jour
journée de mort, jour de néant, jour éclatant
juste le temps d’une aube et demain vient à nous
juste l’instant qu’il faut, battra l’aile du temps
papillon noir… papillon blanc jaillit du trou
Brume
Temps de brume, contours flous, temps
paisible,
Petits frissons heureux.
Plus de jugements tombant du ciel,
Plus de contours coupants.
Émerge la pointe des sapins,
Demi-géants amènes.
Et la rosée, ténue, qui s’étend,
Une onction qui pardonne.
Qui avance dans l’herbe trempée
Accepte ce baptême.
Amour
vois
vois comme
les mots amers de mon amour t’appellent
toi
que j’aime
pourquoi te tiens-tu loin, si loin de moi
moi
que l’aile
a touché, aile noire au désespoir
toi
qui sèmes
en moi les perles d’un amour puni
moi
fidèle
et moi l’aimé cependant infidèle
vois
vois comme
les mots ailés de ton amour me portent
Le
grain de la voix
sillons tracés comme sur
un guéret
creusées les écritures
s’alignent
files de grains enfouis
portant parole
et germeront-elles ?
seul un grand souffle
alors portera
multiples des voix à semer
alentour
ainsi des lignes naissent
des paroles
et
s’entendront-elles ?
Détraqué
détraqué détraqué, vous voulez-dire démonté
le monde il est démonté, complètement démonté
et même, démonté, carrément en morceaux, plutôt
jusqu’au dernier boulon, il est démonté, le monde
croyez-moi, pour le remonter ça demande du boulot
et même, du boulot, faudrait du savoir-faire, plutôt
remonter remonter, vous croyez que c’est facile
on n’est même pas sûr de retrouver le monde pareil
et même, pareil pareil, l’en faudrait un autre, plutôt
Pourquoi toi ?
C’est une femme,
voyez-vous, que j’aime
cela me vint comme ça
le vent d’aimer, alentour,
l’amour sème
c’est bien ainsi qu’il
passa
Et je me dis Serait-ce pur
hasard
cela viendrait-il sans loi
tout nu, l’amour
naîtra-t-il quelque part
sans qu’un sens ne s’y
emploie ?
Celle qui me fait du bien,
pourquoi elle
et qui l’aime, pourquoi moi
le charme et la force et la
vie, le zèle
tout cela ne vient-il que
de soi ?
Je crois voir qu’une chose
aussi certaine
cette histoire que voilà
doit provenir de causes
souveraines
et qu’un vouloir s’en
mêla ?
Envoi
Encore et encore faut-il le
dire
voulu d’avant ou né de nul
empire
j’aime cette femme-là
Percée
au soir
se glissant sous les nuages
parfois le soleil survient
le pire
on le dit n’est jamais sûr
tu croyais que la lumière
expire
le ciel au rouge s’embrase
percée d’un jour au futur
plaisir
Le choix
à qui viendrait de loin que dire
sinon va ton chemin
ou plutôt ne rien dire
laissant la porte ouverte
à qui s’introduirait que faire
sinon le jeter loin
à moins de ne rien faire
juste poser le pain
à qui le mangerait que prendre
sinon le pressurer
ou se garder de prendre
à plein verser le vin
à qui le boira que devoir
sinon rire et moquer
or il reste un devoir
lui proposer un lit
Rafle
à M. Grinfeld, in memoriam
ils sont tous partis
on les a tous emmenés
à leur place des trous
la rue une bouche édentée
les dents qui manquent
où sont-ils
morts assassinés
ici vivait une famille
un homme une femme des
enfants
là une femme et son homme
une femme et ses enfants
l’échoppe d’un tailleur
une vieille et son vieux
l’école aussi a des trous
aux tables pour deux un
seul reste
un cancre manque ici
là le meilleur élève
la fierté de leur maître
sa place est vide
ne reste qu’une craie
dans la cour comment
jouer
des cases manquent à la
marelle
les filles balancent la
corde à sauter
personne pour sauter
la balle ne cogne plus le
mur
parce qu’on est triste
où sont-elles et où
sont-ils
s’ils reviennent
ceux qui reviendront
ce ne sera plus pareil
on aura manqué d’eux
ils seront abîmés
on ne leur parlera plus
ils seront trop étranges
pour toujours étrangers
avec ceux qui manquent
on ne pourra jamais
plus remplir cette rue
parce qu’ils sont partis
traînés sur leurs paliers
dans leurs escaliers
tassés dans l’autobus
emmenés
Devenir
il a vu ce qu’il était
il a vu que le monde est en lui, lui dans le
monde
il a vu que le monde n’est pas fini
et que lui, il l’a vu, n’est pas fini
en devenir
devenir, le plus beau des verbes de la terre
et du ciel
Paix
dans le cercle intérieur où règne la colère
recouverte de neige la graine qui attend
amasse des fureurs à peine écloses
et tu naîtras pourtant, malgré le gel
la haine ne tient pas
Holà
sans rien dire à personne
j’ai sifflé ma voiture
elle arrive en piaffant
pas une égratignure
je suis monté dedans
son humeur a changé
elle faisait la tête
voulait pas démarrer
plus rien à en tirer
faut pas trop m’énerver
qui me cherche il me trouve
sans rien dire à personne
j’appelle mon portable
il ne veut pas répondre
ils s’étaient mis d’accord
j’avais pourtant tout fait
j’avais mis de l’essence
j’avais changé les piles
tapoté la calandre
caressé le boîtier
faut pas trop m’énerver
qui me cherche il me trouve
sans rien dire à personne
je suis allé à pied
voir mon ordinateur
je lui ai raconté
il a pris leur parti
et la wifi aussi
je les savais amis
mais c’était pour me nuire
j’y ai mis le holà
fallait pas m’énerver
si j’ai tué qu’on le prouve
Souffle
pour écrire un poème il faut être bien soi
il faut le respirer c’est la première chose
c’est la première cause tout le reste
s’ensuit
on rêve que l’on marche on oublie que l’on
souffre
on ne ressent qu’un souffle
se soucier des mots est la dernière chose
ils ne sont pas la cause ils viendront bien
tout seuls
et s’ils ne venaient pas on ira les quérir
le monde est plein de bêtes mots qui se
ressemblent
or vivre est dans le souffle
on marie les cadences elles sont des
servantes
liées au bon plaisir des rythmes qui sont
rois
au plaisir des ressacs ou des sursauts du
temps
semblables aux blés lourds que rebroussent
les vents
bousculés sous le souffle
Amitiés
si je pouvais entrer dans l’amitié de la mer
et du vent
dans l’amitié des arbres et des champs
du ciel, enfin, tout étoilé
si je pouvais entrer dans l’amitié des
plantes et des bêtes
dans l’amitié des oiseaux des champs
enfin des poissons de la mer
si je pouvais entrer dans l’amitié des
enfants et des gens
dans l’amitié des contes et des chants
de toute les histoires,
enfin
plus de bonheur surviendra peut-être
si ma vie à leurs vies s’enchevêtre
Lieux
s’il fallait s’installer, pensait-il
choisir les genêts, entre les dunes d’un
bord de longue plage
y nicher quelques rares maisonnettes aux
larges coursives de planches
y attendre les marées, y entasser, pour les hiver, les bois flottés laissés par le reflux
voir loin, très loin
dormir là, paresser, patienter, même, jusqu’à longtemps
ou bien, c’est le plus facile, rester ici,
ou là, se lever, déménager, prendre un bail
se souvenir alors des amitiés possibles,
des voisinages, du rire des enfants
aménager les lieux, peindre et meubler,
sourire
s’il fallait prendre part, pensait-il
Souffle
entre toi et moi le léger de ta parole
là va le souffle ténu
qui palpite
comme un vide qui n’est pas le vide
vide qui relie sans lier
qui évide
comme un pont qui n’est pas un pont
pont de légère buée
qui dessine
comme un blanc sur une page écrite
espace où l’on se place
qui esquisse
comme une voix qu’on n’entend pas
qui tinte entre les choses
qu’on devine
entre toutes choses et tous les êtres
entre toi et moi le souffle
qui délivre
Prenez
vous prendrez bien une petite goutte
ou deux peut-être
tendez vos lèvres, tendez votre langue,
voilà
deux gouttes de poésie pour alléger la peine
donner du poids à l’innocence
et chaudes ou fraîches, choisissez
voyez à travers elles le monde s’iriser
ou bien, alentour, se briser
et si pour un temps ces deux perles y
suffisent
prenez
Scansion
un pur visage un jour paraîtra
dis seras-tu celui-là
le saurons-nous mais tu surviendras
des brumes des nuées là
forgés sont les récits la saga
des histoires qu’on mêla
coulpes et pleurs et peurs qu’on légua
tout noirs secrets qu’on cela
mais face de pluie de vent frimas
pur visage par-delà
éclatant perçant de lourds amas
nu je dirai te voilà
Printemps
Il a fait mauvais cet hiver, les mésanges
ont disparu,
nichent-elles plus au sud ?
Leur chant ne viendra pas tantôt ;
c’est le printemps,
elles sont allées trop loin.
La chanson, faut-il que tu la demandes ? Et
l’envol,
l’été l’attend, déploie tes ailes.
Resterons-nous sans légende pour longtemps,
semblables
aux peuples qui ont froid ?
Samedi
samedi, samedi le grand, samedi du soir
jour de nuit, samedi des cœurs noirs
dès le soir du vendredi aux treize
espoirs
heures sans au revoir
on ment, tu sais, on ment, on ne dit
aujourd’hui
la vérité, le grand parler des jours
enfuis
des jours passés, tus dans l’ombre, en
des nuits
de tombes et d’ennui
mais après, après toi tu ne sais ce qui
viendra
samedi, samedi sombre, habitacle des
rats
ils rôdent dans les têtes, et les cœurs,
les bras
crois-tu qu’un jour naîtra
Tuer
tu le sais tu l’entends la corne au loin te
parle
une puis deux puis trois et le tambour s’ajoute
on dirait je ne sais quelle fête assourdie
ils vont danser je crois pour quelque
réjouissance
mais entends peu à peu ces bruits se pervertir
se teinter de venin devenir menaçants
ce ne sont pas des chants mais des cris de
tuerie
alors le bruit s’approche il devient roulement
très fort et tu comprends qu’il n’est pas de
musique
ni de chants mais la mort en ces lieux qu’on
encercle
et ces longs hurlements sont doublés de musique
cliquetis grincements ce sont des chars venant
pour incendier la ville et tuer les enfants
Et quoi
encore
et ce petit enfant couché près d’une vipère
croyez-vous que ce soit raisonnable
je me le demande
je me dis que faut-il attendre
que faut-il entendre
les prophètes étaient-ils pleins de vin doux
et ce petit enfant couché dans une crèche
pensez-vous que ce soit adorable
je vous le demande
vous laisserez-vous surprendre
qu’y a-t-il à apprendre
et les mages étaient-ils des dingues doux
et ces petits enfants victimes du massacre
dites-vous que ce soit acceptable
qui se le demande
qui cherche à vraiment le comprendre
tués dans leur âge tendre
et rachel a-t-elle versé des pleurs si doux
La chatte des voisins
comme chaque jour la chatte noire et blanche est là
elle erre sur notre terrasse elle ne sait plus où
s’installer
nous avons rangé pour l’hiver la table où elle
s’allongeait
où soir et matin elle prenait le doux soleil d’automne
sa chaleur réverbérée par le haut mur de l’aile sud
elle s’y tenait à l’abri des vents coulis échappés du
noroît
où aller désormais où se mettre elle interroge du
regard
mais comment le lui expliquer elle est de langue
anglaise
Neige
Neige a tombé
dame au paletot
les os cassants
pelure gelure
il fera beau
cerises aux branches
quand on rira
mésange a froid
chardonneret
pattes brindilles
duvet duvet
quand il viendra
tu souriras
le roi printemps
la goutte au nez
gelez gelez
et les doigts gourds
le sol est dur
doigt de porto
pas d’eau pas d’eau
réchauffons-nous
Sens
un escalier c’est quand même bizarre
on peut descendre on peut monter
c’est pareil pour un sentier de montagne
ou la rue de Belleville à Paris
on peut monter on peut descendre
aussi d’un autobus quand il s’arrête
on croit qu’il est facile de descendre
et que monter fatigue plus
cela il ne faut pas le croire
monter n’est pas plus dur que descendre
à la longue je me le dis toujours
et descendre me fait mal aux genoux
il faudrait monter dans certains autobus
descendre plutôt de certains autres
parfois monter sur le chemin
plutôt que le descendre pour aller où ?
Est-ce
toi ?
je peux te prendre par la main
– est-ce toi qui es là ? –
le jour ou la nuit
dans cette nuit profonde
en un jour éclatant
et tu peux me saisir la main
aurions-nous peur en ce moment
– mais en suis-je aussi là ? –
tout environnés
de la forêt profonde
d’un vacarme éclatant
et devons-nous fuir ce moment ?
est-ce toi est-ce moi ensemble
– car te caches-tu là ? –
sans un souvenir
ni mémoire profonde
l’aujourd’hui éclatant
devant nous qui marchons ensemble
Passage
un étranger
est passé tout à l’heure
c’est drôle comme je n’aime
que ceux qui passent
homme où vas-tu danser
quel bal est au bout de ce chemin
quelle maison pour y porter ta peine
rester ici le cœur lui pèse
son trésor est au bout du chemin
il va où le vent le porte
il est heureux
et pourtant son cœur est veuf
où est dit-il ma chaîne
qui me faisait mal
et que j’aimais
Où ?
ce dont je parle n’a pas de paix
apaisera-t-on les étoiles
et voit-on la colombe d’amitié ?
ce dont je parle n’a pas de prix
qui donc achètera la lune
car où seraient les banques d’équité ?
ce dont je parle n’a pas de poids
et qui pèsera le soleil
où sont les balances de vérité ?
Sonnet
que pleure ou vente fort le
temps
avec toi je sors de la pluie
avec toi je sors du néant
que chante ou sonne clair le
bruit
que veille ou passe loin l’ennui
avec toi j’accueille le vent
avec toi j’accueille la nuit
que sourie ou pleure le chant
avec toi la peur est d’avant
que j’aime ou non ce que je fuis
avec toi mon jour est levant
que pur malheur ou joie
s’enfuient
avec toi ma vie est devant
que brûle ou non ce que je suis
Attente
il se peut
car connaît-on les choses
qu’il vienne
à nu se montre à nous
une danse
une odeur de jasmin
plus un luth
trois richesses à merci
l’attendre
douleur d’espoir
sévère une absence a paru
faut-il aussi danser
Éveil
à J.
Philip Newell
mon âme fut blessée dans
cette nuit
blessures et cassures dans
ma vie
en tous les environs de
cette nuit
ceux que j’aime sont en
souffrance
dans la vie du monde sont
des agonies
en ce printemps
remue tout ce qui vit
chant d’oiseau aux cimes du
verger
dans la vie du monde sont
des agonies
branches qui remuent sous le
vent
ceux que j’aime sont en
souffrance
lumière du matin dans les
feuillages
en ce
printemps
remue
tout ce qui vit
lumière du matin dans les
feuillages
branches qui remuent sous le
vent
chant d’oiseau aux cimes du
verger
comme un parfum de fleur
après la pluie
tout miroite et tout résonne
ici
en ce
printemps
remue
tout ce qui vit
Si
belles…
quand les armes se sont
tues
que les hommes sont
rentrés
les femmes vont à la
fontaine
elles ont rangé le linge
un lourd paquet sanglant
en des bassines de
sérénité
les rinçures de la
violence
les teintures de la peur
les sales rognures du
dégoût
elles sont allées là-bas
tout laver lessiver
blanchir
de leurs deux poings
agiles
belles comme une aurore
comme un vol de cigognes
aussi fortes qu’un
évangile
Avenir
en ce
pays je sais
depuis
longtemps tu restes en sommeil
sans
doute qu’il le fallait
de toi
nos mémoires étaient fatiguées
lassées
de ton image conviens-en
icône
très ancienne
toi-même
souviens-toi
tu ne
tenais plus guère à elle
n’as-tu pas décidé alors
de t’effacer
incertain de ton envie de revenir
et puis je sens ici ou là que tu respires
l’air a frémi légèrement
un lit gémit c’est un dormeur qui bouge
il va reprendre souffle
repense lentement son monde
il se demande s’il ne va pas
s’il n’aurait pas envie de
s’éveiller se souvenir
se lever se regarder se voir renouvelé
offrir au miroir de toutes ces années
la neuve image d’un visage défatigué
s’il entrevoit qui sait
au monde comme un air
serait-ce un air encore vicié
et pourtant oui, propre à imaginer
à se représenter
un avenir
Magnolia
il va
très bien ce magnolia, nous aimerions que tous nos arbres
se
tiennent aussi bien que lui, il va bien tous l’admirent
qu’il
pleuve, vente, fasse soleil ou même gris
pourtant
chaque année quelque chose en lui se souvient
un pleur
peut-être en son bois cassant, sous l’écorce raide
c’est
toujours au printemps, peut-être fin mai début juin
il se
met à perdre ses feuilles, grandes et luisantes feuilles dures
qui
bientôt recouvrent l’allée, feuilles jaunes vertes ou fauves
qu’il
faut ratisser, une pleine remorque, elles déjà sèches, cassantes
il se
souvient qu’il n’est pas de chez nous, qu’il vient d’ailleurs
il
reste digne mais il vient d’ailleurs, il se croit en automne
il perd
ses feuilles, ailleurs au loin c’est l’automne, bientôt l’hiver
Éclair
ce fut un
de ces jours où je t’avais perdu
ces
jours-là se tenaient, ce n’était qu’un long jour
sans qu’on
y voie de fin, collier de perles noires
une perle a
sauté, elle a roulé soudain
ce fut un
de ces jours où le temps peut changer
où ce qui
tourne au soir tout à coup devient clair
il suffit
de l’éclair où tu m’es apparu
on se
trompe parfois pendant longtemps longtemps
de longues
parenthèses entre un jour et un jour
si je
l’écris ainsi c’est que tout est si loin
c’est en
quittant les temps que l’on peut les nommer
perles
noires, jours de deuil, crépuscules, temps de pluie
et
l’arrivée soudain d’une éclatante aurore
naissances
Vision
le souffle palpitait au-dessus
de ce gouffre
et tel était l’esprit,
semblable au papillon
sa faible agitation faisait
vibrer des vitres
bien plus loin, tout au long,
du levant au couchant
et du jour à la nuit, de la
nuit aux lueurs
un long rêve naissait de ces
matins du monde
des ombres émergeaient de la
brume du temps
des visages aigus, des regards
allumés
des ponchos menant loin des
bêtes au long cou
des cris et des sonnailles, et
tout ces bruissements
et tout un autrefois remontant
de l’abîme
poussé, mû par ce vent, se
levant en tornade
et soufflé, retombant, un
monde évanoui
ce monde n’est qu’un souffle,
essaim tourbillonnant
Frisson
et que
pourront les digues si c’est le vent du diable
et que
pourront les hauts murs de cyprès
puisque
c’est le vent de l’âme et si c’est ton esprit
si ce
qui vente au loin, qui souffle de là-bas
répond
à ces bouffées qui montent aussi de toi
ce
souffle qui traverse et fait que tu frissonnes
et
tout à coup ce frisson se transforme en plaisir
et la
tempête au loin qui rebrousse les herbes
est si
proche de toi que ta peau se soulève
et que
ton cœur s’abat, qu’enfin tu ris de toi
bien
qu’aussitôt tu pleures les morts de ce vent-là
Éveil
ton souffle doux me visite et
me calme
au-dehors c’est le vent, la
brise du matin
douce et fraîche, vive, elle te
répond
petite sœur de la tempête, et
je m’éveille
et dans cette chambre
environnée de vérité
tu gémis un instant, visitée
par un songe
et le chassent les rideaux de
vent bruissant
moi je souris de mes longues
alarmes d’avant
quand tu ne respirais plus, ni
même le vent
Montée
le vent du nord a pris
les marais se nettoient
tu remontes le versant de la
colline
on peut y voir la mer
la lointaine aux lèvres de
sable
où tu marcheras
et tu seras ailleurs encore
et avant tu avais été mort
Samedi
tous les oiseaux du monde
s’envoleront là-bas
un jour, un jour, ce jour où
le soleil pâlira
le silence règnera où les
arbres chantaient
jour de paix, jour de paix
avant des jours de combat
pour la pluie, en des jours
où la terre sèchera
ne sera plus, ne sera, ce
lieu que tu hantais
là-bas la mémoire pâlira qui
t’habitait
Le reste
tout se tenait toujours
ensemble
et tout faisait système
à ce tout qu’ajouter ?
voici le monde et voici les
étoiles
et tout ce qui existe
et se tient en soi-même
et puis et puis il n’y a pas
d’et puis
et puis manque le reste
le plus et l’à-côté
le tout ne demande pas son
reste
c’est ainsi qu’il se perd
quand il croit se sauver
or recourant à l’alphabet
complet
à qui voudrait écrire
manque un iota de plus
comme à qui voudrait vivre
Hombre
mon pays / ce n’est pas un
pays / c’est la guerre
et quelque part au monde /
sur un front de mer / un homme est posté sur un toit
il tire au fusil / il retarde
l’avance des fascistes
il agit posément / une balle
/ une autre / il s’applique / il a peu de munitions il économise
il sait qu’il va mourir
juste retarder leur avance /
une balle / une balle / ce n’est pas utile pas efficace / juste faire proprement le travail
rien de plus beau qu’une
balle de fusil / la forme accordée à son usage / qui est la mort
une balle un homme / c’est un
message / lui ne fait pas la guerre en gros / à chaque tué s’en va son
attention
eux / ils l’auront à l’arme
automatique
Pirates
les femmes que j’aime le
mieux sont des femmes pirates
vives aux pleurs et aux
rires en leurs tendresses abruptes
celles qui ont des mains,
qui vont la tête haute
elles qui ne sourient qu’aux
prétendants modestes
elles ouvriront leurs bras
ou leur cœur ou leur lit
ou leurs yeux au matin, leur
chevelure au soir
comme on donne à jamais,
sans retour ni question
les femmes que j’aime le
mieux, ce sont des combattantes
la couleur de leurs yeux est
de brume au matin
Esprits
quand les esprits chantaient
en ouolof en anglais
le sien le tien le mien
c’était tout un chacun
c’était venu d’ailleurs
quand les esprits pleuraient
en éwé en malais
pas une langue mais
c’était un pauvre amour
c’était un autre ailleurs
quand les esprits parlaient
même en français
résonnaient raisonnaient
c’était un jeu d’ivoire
c’était un jour ailleurs
quand les esprits riaient
s’ils se moquaient
de toi de lui ou d’elle
c’était un fouillis d’ailes
c’était un vent d’ailleurs
quand les esprits mouraient
plus très très frais
restait une parole
c’était tout à refaire
c’était à dire ailleurs
mon ange, et un peu plus, tu revenais chez
nous
Bonheur
j’aimerais aimer Dieu comme je t’aime toi
j’attends toujours tu sais que ton œil me découvre
qu’un sourire soit pour moi qui soit sorti de toi
alors c’est du bonheur et puis c’est de l’angoisse
c’est ton prochain regard que je n’espère plus
je t’ennuie je suis là tu as d’autres entours
des tendresses à donner à qui je ne sais pas
je dois te libérer du désir de t’avoir
tout
contre moi toujours et toujours avec moi
Vieux
il s’était
réveillé gourd ce matin-là, il avait rêvé
à cheval, un
songe en vérité, il avançait à dos de lion
les pieds pas
même passés nus en étriers de nuée
empêtré, il y
pense, en des robes fleuries d’apparat
alors bien sûr
il avait souri la gueule à crocs ouverte
un matin de lueurs,
pensées si bleues qu’il n’osait rire
et il a pu au jour, par la fenêtre de sa
chambre
veilleur à vide, évaluer le semis
d’ombre, en vérité
éclats de ténèbres minuscules
obscurcissant les arbres
il a pourtant gardé, tout refermé en lui
je crois
merveilleuse éveilleuse, l’éclat du jour
au-dessus d’elle
promesse infinie, la
verdeur de la sève, envie de vie
Fées
au centre de chacun tout un nœud de
possibles
que sur cet avenir ouvert un jour se
penchent
les fées les mélusines les merlins
quelques-uns des amants de la vie
pleine
alors d’un bout de chair va naître
humain
un être de lumière
ou le malheur de vivre
Vérité de la pluie
la vérité de la pluie lui fut
ouverte un jour
pluie de la vie
un jour lointain donnant loin
sur les toits
ce fut à ses huit ans
derrière une fenêtre de
frissons
et le poêle ouvrier qui lui
chauffait les fesses
la
profondeur des bruits en‑bas dans la rue
c'était
comme la fosse d'orchestre d'un spectacle
et le
théâtre des toits et du ciel devint monde pour lui
les maisons lui devinrent
nature
la tuile et le zinc lui étaient
une peau
les nuages chevelure
et il fut dur et patient
et il fut lourd
humide comme le temps
comme ce frisson et ce vent –
et il sut que le monde lui
serait pluie
la vie nuage
et nuée emportée
et il dut pardonner cela à
toutes les fées de sa naissance
et connaître en tout adulte
la prison de la pluie et le
souffle d'un grand vent
le zinc et le nuage
et sur les racines de pierres
et de fenêtres
l'immensité du ciel mouvant
l'humilité fragile des tuiles
le tint
et leur nombre
leur sécheresse
et il vit que les humains sont
ainsi
il a oui tout accepté
pour le plaisir transi de vivre
en pluie
argile cuite pour résister
ce
fut son jour de toitures
son jour de giboulées
jour de cœur donné
au loin tournaient les ailettes
d'une cheminée
et dans le mouillé d'une cour
le courage des moineaux
Expir
s’ouvrait
le bouton de la rose et fuyaient
comme les
galaxies les pétales de l’univers
comme on
lit que les cieux s’ouvrirent
montant de
moi tout l’expir de la terre
– herbe de
cristal vert et ronce et fleur montant
librement
s’élargissant – il s’épanouit
souffle de
l’univers juste et vibrant il chante
libre
fibre de lumière tintinnabulant
le monde en moi moi dans le monde
Courants
mon corps est un tamis que traversent les ondes
mon cœur est un foulard que transpercent les vents
et plus rien qui protège
plus rien à protéger
mon corps est un damier que les gelées parcourent
mon cœur est un tapis que les bises rebroussent
et quand tous les chemins du ciel auront passé
vous pourrez lire en moi quelques moraines
des gués et des rias
je sais qu’il y existe encore deux-trois dolmens
moi-même ignore en quel endroit
Saints innocents
cette année qui se finit,
disait-il, voyez-vous je ne l’aime pas trop
elle est trop pleine de
malheurs
bien trop pleine de rapines
elle est bien trop remplie des
tombes éparses d’enfants inconnus
des petits garçons, des petites
filles
des innocents pas même saints
laissez-la aux riches et aux
intelligents ils en feront bien quelque chose
ils sauront l’utiliser à leur
guise
à leur service et pour leur
bénéfice
c’est une année faite pour le
chœur des anges mais quand ils pleurent
qu’ils se disent on ne va pas
chanter
je ne l’aime pas trop cette
année-là
cette année qui se termine,
a-t-il dit, c’est une année comme les autres
autant pleine de miracles
mort-nés
pleine aussi d’espérance
avortée
elle est bien trop remplie de
femmes avec le corps de leurs fils abattus
avec leurs filles au loin
vendues
avec leurs gars partis,
aventurés
rendez-la aux forts en gueule,
aux vaillants de paroles, ils la sanctifieront
ils diront bien tous les mots
qu’il faut
ils vous mettront la larme à
l’œil
frères, c’est une année faite
pour qu’une autre, meilleure, la remplace
celle qui pourrait tout
commencer
l’an qui vient, combat renouvelé
Oiseau
ils marchent
ils vont vers un exil, ils
fuient
droit devant eux
vers une terre d'asile
vers une égypte douloureuse
longue colonne de va-nu-pied
harcelée, alourdie, chancelante
affamée
ils marchent et parmi eux
un couple et un bébé
suivent le chemin d'amertume
une petite vie au dos d'une
Marie
et sur la tête dure d'un Joseph
tout ce qu'on a pu sauver
que le tueur, le massacreur
a méprisé
reviendront-ils, reviendra-t-il
l'enfant d'un avenir ouvert ?
marchera-t-il sur les chemins
de pierre
en liberté, en vérité
faisant le bien dans le chaos
du monde ?
pourra-t-il enseigner
les maîtres de la terre
et soigner le malheur
au cœur des simples gens ?
nul ne le sait
rien ne l'y aide
rien qu'une simple Parole
venue de bien plus loin
rien que ces deux humains
qui le portent
en leur cœur
en leur tête en leurs mains
croyant qu'un jour peut-être
le ciel s'entrouvrira
faudra-t-il qu’on attende
il n’est pas là ce jour
et qu’on chante
un parfum d’amertume
un parcours
d’où vient de loin cet air
et toujours
il n’est de plus beau conte
qu’une absence abolie
Arbre
ce moi que j'ignore
un peu plus chaque jour
car moi est un arbre
un bois
un silence habité
un torrent qui s'apaise
un grand refus
tout
plein d'acquiescements
femme d’herbe et de vent
que j’aime là, portant
ton cou libre, et léger
ton pas, voilà ton temps
tu penses à tes amours où
se mêla, battant
l’orage, et vois de
l’ennui par-delà l’étang
cesse ton détour, cette
eau qui gela longtemps
ton cœur, ne l’écoute
plus, quitte-la, attends
l’aube et suis la vallée
où s’en alla l’autan
Chanter
dans
mon jardin
je me
mets à chanter
qui
pourrait aux oiseaux
simplement
parler ?
aux
arbres
aux
plantes vives
viser
moins qu’à respirer ?
mon air
chanté
le
moineau le connaît
qui
d’autre mieux que lui ?
souvent
dans la maison
on
parle avant le souffle
mais où
vais-je chanter ?
dans
mon jardin
Soir
moins
de lumière
tonne à
cette heure
plus de
vérité
alors
qu’on entende
images
multiples
on les
assemble plus
je
prends pour moi les lumières
j’étends
les bras sur le soir
les
vents ont mangé les appels
les
chants vont régner dans le ciel
les
temps sont légers
Pluies
je me
souviens de vastes et chaudes pluies
de
confins ici-même où l’eau se mêle au ciel
et du
fleuve univers où s’en allaient, agiles
les
images de toi marchant sous les baumiers
humides
et fumantes silhouettes sous le rire
sous la
peine et l’espoir des humains obstinés
alors
se font au cœur des chansons incessantes
des
refrains de langueur, assauts de lassitudes
vaporeux
est l’humain sous le flou et le fluide
à l’eau
lui faudrait-il se résoudre, dissoudre
enfin
la vaine envie de vivre, que répondrais-tu
sinon
qu’il est si bon d’avancer sous l’averse
Moineaux
elle
parlait de chanter
femme
triste au chant perdu
l’entourent
les traces menues
d’un
moineau petit être affamé
qui a
faim connaît le monde
en son dedans
et chemine le vent
dans le
silence j’ai froid
et les
moineaux pépient
Poème
poème,
en ajoutant sur l’absence
sur la
neige et la nuit un pas de danse
contre
le noir un rire, ou sur le blanc
le
visage léger d’un faux semblant
un
amour de papier, un rythme pur
tu ne
tues pas la mort, ni son murmure
tu fais
entendre un peu de son silence
es-tu
léger, ce n’est qu’une apparence
Enfants
ils étaient
beaux étaient charmants marqués marqués de rose
et fut
un temps où les petits enfants marqués de jaune
étoilés
de haine et tachés de sang marqués marqués de rouge
poursuivis
et repris dans les champs marqués de fer
s’en
allèrent mourir aux camps marqués de nuit marqués de noir
marqués
de nuit souvenez-vous de ces petits enfants
Frisson
tout n’est
pas dans le riche et l’apprêt
ce qui est
beau ici c’est le vent et la pluie
le froid,
l’eau fraîche, encore le vent d’ailleurs
ce qui
vient et fait voir, deviner devant vous
dans un
frisson, qui sait, l’attente d’un amour
une œuvre,
une vie vraie, la vie que l’on rêvait
Langue
quand
solidaires deux mâchoires s’opposent
utopie et
désespoir
et qu’elles mâchent la vie
pointe la
langue charnue de l’éphémère
et son goût de fraises du jour
Petite
tu dors
et tu
ne sais
tu dors
sous mon regard
le
monde est au-dessus de toi
et tout
autour
et l’immensité
du ciel où tu baignes
est
fraîche sous ton souffle
doux
le
passé te visite et te blesse
et tu
gémis
instant
que tu chasses
et
l’avenir peut-être
vient à
toi
et se
dérobe pour plus loin
où tu
n’es pas
ton
haleine est de poivre et de sésame
et ta
peau
chaude
et moite dans le frais de la chambre
lieu
d’ombre environné de vérité
tu dors
inquiète
et pacifiante
et
j’ose toucher ton épaule
pour
jouir d’un ailleurs
venu
dans tes yeux d’ombre.
j’étais parti pour de
violents voyages
le vent faisait partie de
la même aventure
avenirs nés du cœur de la
tête et des reins
amours. Il était peu de
valables gens.
Je rencontrai un jour un
maître de l’aurore
il m’a plu je l’avoue et
j’ai voué ma vie
à la suivre en esprit en
âme et dans mon corps
ô souffrance angoisse et
des bonheurs
qu’on ne dit qu’à son
double au travers de la vitre
et la rue au dehors se
mue en accords de musique
révélante et ouverte amie
des quatre vents.
Je le dis j’ai passé par
des couloirs de l’ombre
en pleurant dépouillé
livré à des malheurs
trop grands. J’ai voulu
qu’il me laisse ma joie
le maître qui me mène et
toujours non, toujours
il ne l’a pas voulu.
Parfois pourtant.
Chants
je fus en la montagne
en la montagne veiller
les alouettes y chantaient
cent cris d’azur à la
mêlée
dix bruits de source qui
tintaient
souffle du ciel désamarré
pleurant comme font les
damnés
et le monde le monde
s’ouvrait
Nuit
je dois te dire d’abord c’était une fameuse nuit
on voyait les lampions très loin sur la mer
et le bruit des vagues assommant les rochers étourdissait
au-dessus le ciel noir ou bleu ne s’arrêtait pas de monter
et des pointes d’argent en dessins infinis le parcouraient te
picotant les yeux
et moi j’étais assis sur le sable adossé au rocher
mettant de l’ordre dans les étoiles et surveillant la marée au son
du clapotis
et je suis mort
Ta
maison
Pour
Alexandre Korakis
une voix
me demande : où est ta maison ?
je
n’ai pas de maison, mon peuple a disparu,
égrené, moissonné, on a soufflé dessus,
il
s’est éparpillé.
ce
que j’ai pour survivre : des paroles anciennes,
dans
une langue étrange, les mots de la déroute,
et je
dis à la voix : Je vis libre et léger,
je
suis ici et là.
c’est pas tous les soirs
qu’on peut
ouvrir la fenêtre
pour entendre les arbres remuer
et dormir
comme un chat qui entrouvre un œil.
sereinement
exclusivement et inconditionnellement
l'inconnu.
J'aime d'amour l'inconnu.
quand il change de visage
quand il se moque de moi
quand je le perds à tout jamais :
je me réjouis.
Car je me dis ce n'est pas moi que j'aime
mais l'inconnu qui m'échappe
qui change de visage
qui se moque de moi.
L'inconnu
et à qui j'appartiens.
La
pierre du fond du cœur
un
trésor
c’est
une pierre très belle
et
qui fait très mal
a dit
l’enfant
et
comment le sait-il ?
un
enfant parfois
sait
la vérité
comme
pour cette pierre très belle
pierre
très dure
la
pierre au fond du cœur
la
pierre est lisse
elle
est ronde et lourde
elle
pèse
la petite
pierre est belle
comme
ça
elle
est lourde la pierre trésor
et
parfois tu es
trop
léger pour elle
Bas de page
* Les poèmes de cette page ont tous déjà paru sur ce site.
Certains d’entre eux ont été publiés dans Chants et déchants, qui est un recueil de recueils,
dans Toutes ces
mondanités, dans Les jours de semaine, dans Fêter le dire ou dans
Les dires du
seuil, enfin dans Le peut-être et l’après, mais on en trouvera
aussi qui sont inédits
ou qui ont paru dans
d’autres recueils ou encore en revue.
On peut aussi se
reporter à la page Souffles, à la page Requiem pour une
planète, à la page
1.
Vu du ciel, à la page Tant pis la pluie, à la page Au huitième jour, ou à la page Premier jour,
ou encore à la page Les Psaumes à l’os.
D’autres poèmes ont paru dans Lettre à l’angelesse.
Une présentation de mon
œuvre poétique a paru sur le site de la revue Foi & Vie
sous la signature d’Aurélie
Zygel. Sur ce site, page AZB.
* Le poème L’Inconnu est inspiré d’un poème
d’André Libérati :
J'aime
frénétiquement, sereinement, exclusivement et inconditionnellement le bien.
J'aime
d'amour
le bien. Et quand le bien m'échappe, quand il change de visage, quand il se
moque
de
moi, quand je le perds à tout jamais, je me réjouis car je me dis : ce
n'est pas moi que
j'aime,
mais le bien qui m'échappe, qui change de visage, qui se moque de moi, le bien
qui
ne
m'appartient pas et à qui j'appartiens.
(Poème d’amour, in Vieux capitaine,
Editeurs Français Réunis, 1958)
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