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« La poésie vit
dans les couches les plus profondes de l’être, alors que les
idéologies et tout ce
que nous appelons idées forment les strates les plus
superficielles de la
conscience. »
Octavio Paz
in "L’arc et la lyre"
Voici
le poème de la semaine :
Autre
01/12
mais bien sûr il
fallait que nous changions de monde
à défaut de
changer
on a toujours besoin
d’un autre monde à faire
alors on l’imagine
et quand il nous
arrive il est déjà caduc
s’il n’est pas
malfaisant
il faudrait il
faudrait qu’un autre monde existe
par lui-même et pour
nous
pourquoi faut-il
toujours que celui qu’on nous montre
soit celui des
puissants
un autre nouveau monde
où les gens compteraient
et qui ferait vibrer
Voici un choix des derniers poèmes parus sur ce site
suivis de certains
qui sont vieux de cinquante ans, publiés ou
non :
Le banc
à cet endroit de la
colline
le chemin sortait des
bois
dans la douceur des
vents
on voyait là toute la
plaine
on a fini par oublier
l’accord
celui de la terre et
de l’homme
un long travail
pour un paysage de
paix
et je repense à ce
banc
un homme, un paysan
il avait installé un
banc
d’où contempler la
plaine
cet homme est mort
reste le banc, reste
la plaine
reste le regard de
paix
le souvenir du cœur
des hommes
Matin
avancer sur le sentier
soleil aigrelet de novembre
entre vigne et taillis
au vert de l’yeuse
au loin l’église
au sommet du village
sa cloche tinte, perdue
qui ne parle plus
vers nous le jour avance
écouter
ce monde là, autour
vibrer du bruissement du monde
un souffle passe
passe un oiseau
Guerre
là se révèle d’où vient le sang
feu qui n’est pas tombé du ciel
mais qui monte vers le ciel
vue d’une terre en sang
demain viendra le sang
tout au loin se voit le ciel
le sang atteindra-t-il le ciel
le ciel s’abreuve-t-il du sang
en nos jambes cuit ainsi le sang
jusqu’à nos cœurs il monte au ciel
viendra-t-il un arc-en-ciel
circulerait le sang
Chien
andalou*
* clin d’œil à Buñuel
aucun doute c’est un chien
une chienne
elle trotte seule vers on ne sait où
pas de maître
aucun humain
pas de collier, de laisse abandonnée, rien
son poil est bleu
naturellement bleu de lune bleue
soir pâle, brume de nuit
la chienne furtive envoyée de la mort
qui court sans se lasser
imperceptible au vrai dans le paysage
elle sait
elle va vers où, s’en va vers qui elle va
tu
n’as pas à le savoir
Source
vient le mot source
et le mot cristalline
et ce mystère
que l’eau me vienne
s’appelle toi
et son nom véritable
qui soigne tout
on ne sait d’où
mais tu le sais
s’appelle toi
et l’eau qui sourd
source de joie
du très profond
du long désir
s’appelle toi
L’île
aux oiseaux
il y a dans cette île
tant de choses inutiles
que les humains aimaient
et délaissaient
sous les arbres de jais
et le maître des nids
loin tout là-haut
comme un enfant
je te parlais de lui
aux ailes lamées d’or
à l’œil de flamme aiguë
au long manteau de pourpre
plumes du soir
il te regarde
cette île
est celle des esprits
maîtres des vents et des pluies
on en revient salé
sorti des nids de conque
comme habité de mer
jeté vers les nuages
Visage
ce qui chante
en moi
n’est pas mien
fil de joie
que j’avais demandé
venu de loin
ce cœur d’enfant
ennuie les gens
cheveu
blanc
et
sang rouge
ce sourire
ne dit rien
sauf en dedans
visage
sans valise
murmurant
Songe
la nuit
viennent des rêves qui ne sont plus des rêves
des rêves qui enseignent
et qui disent
et vous mènent au vrai
là où tu ne voulais pas aller
ce sont des songes
fleurs accomplies
et le don est en elles
gratitude et tristesse
ainsi que joie
car ce qui vient en songe accorde le pardon
Bip
c’est la nuit
et aux bois d’alentour
un oiseau fait appel à
sa belle
patiemment
il n’est pas grand
musicien
elle non plus sans doute
il ne lui intime qu’un
bip
répété répété
alors elle vient
à moins qu’elle ne se
lasse
et s’en aille chasser
une autre fois peut-être
j’aime la nuit
l’oiseau qui ne se lasse
le souffle qui le porte
et la vie à voix basse
Danse du sable et de l’eau
je lève les mains, je touche le sable
je danse
ô ciel immense
je bois la vague, enfance
infatigable
je suis le fils, l’enfant de l’eau c’est
moi
ma mère
enfance amère
me noie, elle m’aère
il pleut là-haut
il n’est de ciel que d’eau, danserez-vous
en transe
le sel m’encense
le ciel, chaude présence
se mouille à nous
Chante !
rien n’est plus beau
que les chants de la douleur humaine
plus encore que les chants du bonheur
rien n’est plus beau
que les chansons qui consolent au soir
que les refrains qui réchauffent les âmes
rien n’est plus beau
que les péans des combattants qui sauvent
et les regards de paix des survivants
chante, toi qui pleures
afin que ce monde perdu s’émeuve
et que l’humain s’éveille un clair matin
Regret
des étés on en a vu
des beaux ciels à bébé
des marie-couche-toi-là
sorties des roses
étés à la demande
oubli des vents
d’ailleurs
souviens-toi mon amour
tu n’aimais pas cela
non
ni les hivers à dents
noires
à cheveux de varech
leur neige même en gris
on aurait dû l’inventer
le printemps
il n’aurait pas dit non
ni l’automne en
casquette
tiens
on aurait eu les temps
Parabole
du platane
une allée de platanes
des deux côtés
alignés tous les dix mètres
comme font les humains
mécaniques
mais sous terre tout du long
deux chaînes de racines liées
et d’un côté à l’autre
d’arbre en arbre
ce même lien
pour les platanes la vie
est ce lien
un seul arbre enfoui
et mille expériences feuillues
qui prennent aussi l’air
Caillou
il marche avec sa tête
il marche dans sa tête
pleine d’images
et ses jambes
s’oublient
et ses pieds
et s’il trébuche où
ira-t-on ?
pense à tes
pieds
à ce méchant caillou
celui qui roule
et si tu tombes où
s’en iront
mortes en chemin
en tête les
images ?
de quel ventre
inventif
de quel désir
est sorti ton
chemin ?
Nuées
le sol ne tient plus
la maison se disloque
fissures puis lézardes
ouvertures hagardes
dans les combles du
vent
venu le temps
où l’osier est plus
sûr
l’herbe tendre au pied
nu !
veiller au scarabée
et entrer dans les
arbres
comment se cacher
entre les nuées
les ciels
d’améthyste ?
déshabités
dans l’immensité
Qui tient
du fruit
la pulpe fait plaisir
ou bien rebute
c’est le noyau qui
tient
aussi la chair
que l’on caresse
ou que l’on blesse
le dur qui tient c’est
l’os
l’âme qui tient
Randonnée
il a plu ce jour
de la boue sur les
talons
bienheureux le vent
sorti de la ville
on frissonne sous la
pluie
averse choisie
une pluie d’été
l’estomac dans les
talons
vienne une accalmie
tiens ça dégringole
longue marche au ciel
trempé
repas chaud ce soir
Départ
à
peine avais-je pour toujours abandonné la maison
elle
s’est lézardée
elle
s’est lâchée
à
peine avais-je pour toujours dit adieu au grand cèdre
il
s’est effondré
lui
que j’aimais
à
peine avais-je tourné les pieds qu’ils ont dû m’en vouloir
et
finir d’espérer
je
m’en allais
Canicule
entre deux murs une venelle
à l’ombre déjà
et une chaise à dessein postée là
chaleur tout autour
comme une huile de vidange
épaisse, lourde et noire
mais là un souffle
comme la main d’une amante
frais et ténu et qui suffit
contre toutes les fournaises
une assise là
et juste un souffle
passé entre deux murs
je n’avais plus soif
frais comme une éponge d’autrefois
et bien allant
comme un grand vent de mer
pour marcher
En ce
temps-là
Il y a longtemps de
cela
il était là
tu ne le savais pas
En ce temps-là tous
les boiteux
les estropiés les
malheureux
les paralysés, les
lépreux
les aveugles et les
gâteux
tous ces gars-là
venaient à lui
ils repartaient sains
et guéris
En ce temps-là les
pauvres filles
filles de joie comme
on disait
pleuraient les larmes
de leur corps
leur corps vendu et
profané
redevenu digne d’amour
redevenu temple de
Dieu
Et les acheteurs et
les vendeurs
les raisonneurs
lui ont pas pardonné
La joie
il cherchait la joie,
la demandait
il le sait maintenant
elle n’apparaît qu’en
des instants fugaces
mais vrais
comme l’imprévu d’un
hiatus
un temps d’entre deux
temps
(les temps pouvant se
disjoindre)
tu marchais
l’air t’enveloppait,
te frôlait
devenu souffle, se
faisant brise
et là tu t’arrêtes
les arbres sont des
arbres, les fleurs des fleurs
et tu t’arrêtes
la joie en moi
en un pur apaisement
la poitrine exultant
reconnaissant
ne sachant que faire
d’autre que rire
les oiseaux se taisant
puis je repars
enveloppé du vent
La poésie s’est envolée
« Quand le Divin
a fini de parler dans l’Écriture,
la poésie
commence. »
Erri de Luca
il arrive que la
poésie se taise, honteuse
elle n’avait pas
entendu ce que disait le maître
elle n’avait pas
écouté, elle restait coite
toute rouge
avec ses nattes bien
serrées pourtant
son petit col amidonné
son tablier rose et
ses socquettes blanches
ses souliers cirés
bien noués
vous me ferez cent
lignes avait dit le maître
cent lignes ce n’est
pas de la poésie, c’est du recopiage
la poésie s’est sauvée
avec ses ailes
amidonnées, son luth aux cordes rouges
à force d’être pincées
et ses pieds de iambes
entrecroisés
ses histoires à rire
et à pleurer
la poésie s’est
envolée
toute la classe a
respiré, partie la petite bêcheuse
pour qui se
prenait-elle
chouchoutée par le
maître avec ses airs de sainte-nitouche
on allait pouvoir
travailler
sérieusement
s’emmerder, le crayon mâchonné
mais on avait oublié
le poème
rêvant au fond, près
de la fenêtre, de l’encre sur les doigts
cheveux embroussaillés
Évêques
dans le ciel bleu bleu bleu
quelques nuages blancs
le vent est leur maître, ils ne sont que
vapeur
c’est pourquoi je les aime
on a toujours raison de contempler là-haut
ces avaleurs de vent sur la mer translucide
ils nous parlent de pluies promises pour
plus loin
le souffle qui les mène les sculpte par
instants
transformés en troupeau comme brebis
fantômes
en armée démunie, en nuées assombries
en bêtes malfaisantes, en ombres
maudissantes
(le vol de l’hirondelle effrange alors la
cime des forêts)
humains aussi parfois, nuages effigies
transmués en gisants
longs évêques allongés s’avançant pieds
devant
la mitre effilochée
austères, en partance vers les prairies
célestes
monde mouvant
quand un coup de vent les transforme en
serpents
en dragons bénissant
chimères au-dessus de nos têtes
rêveuses
ombres éphémères s’en allant
ainsi peut-être les gens
Chaînons
la chaîne faite par
orfèvre
ses chaînons peuvent
s’ignorer
étrangers l’un à
l’autre
la chaîne même ronde
n’a-t-elle pas de
sens ?
mes jours te portent
et chacun d’eux
t’ignore
dispersés par le vent
l’odeur du lien
demeure
avant de s’évanouir
un matin l’on s’éveille
sentant l’odeur
étrangère
on l’imagine toute à
soi
c’est le rêve de la
nuit
c’est ton souffle de
la veille
Samedi matin
Samedi matin assez tôt
j’ouvre les volets
la place est calme,
pas un bruit hors le bruissement des platanes
comme disait un homme
arrivé trop tôt, le monde il est pas là
au fond, entre la
poste et l’école, un grand espace est libre
la route le
longe, puis le moutonnement des bois
s’attaque à la colline
au loin, tout en haut,
maître des lieux, un if
sur la route, de
gauche à droite passe un humain
il disparaît derrière
l’école
puis un corbeau, de
droite à gauche, vers la poste
tous les volets sont
fermés
passe un moment, une
porte s’ouvre
une jeune femme, son
chien tenu en laisse, traverse la place en silence
impavide, là-haut, se
tient déjà le soleil
côté cour, côté de
l’ombre sur les murs
c’est du côté jardin
que viendra le soir, journée passée
je sortais de la nuit
et voici que j’y vais, le temps d’un tour
samedi traversé,
bienheureux jour de vide et de silence
demain c’est le
dimanche
Rébecca
Celle qui me donnera l’eau
disait-il sera celle
que mon seigneur envoie chercher
pourvu qu’elle soit belle !
Voici
l’Esprit
Vers elle un jour ira le fils
et se voilera-t-elle
émue de le voir approcher ?
Je la devine telle
Voici
l’Esprit
À la source le messager
lui dira « Demoiselle
le maître veut une épousée
et c’est toi que j’appelle ! »
Voici
l’Esprit
Ma mère il faut que je m’en aille
j’entends battre les ailes
du vent d’ailleurs à me toucher
mon cœur à lui se mêle
Voici
l’Esprit
Je fus à la claire fontaine
à la source fidèle
et ne saurais me détacher
de la soif qui vient d’elle
Tel
va l’Esprit
Jour
il y eut un jour
il en est peu dans une vie
longue soit la vie
un seul parfois
il y eut ces jours
où se mirent en place
en place toutes choses
et t’enrôlèrent
il y eut le jour
où s’enroulèrent
comme un ballot de nippes
tous les parcours
en un tel jour
tu ne vois pas la sente
en l’ombre devant toi
où tu marches pourtant
en certains jours
où se presse la fin
se tresse de tous les brins
rien n’importe enfin
au demi-jour
après voilages et feuillages
tu peux apercevoir
un visage
venant au jour
l’espace enfin devient séjour
ainsi vas-tu
pourquoi broncherais-tu
L’étrange
à Rafilipo
il riait comme un cheval
les dames se retournaient
j’aimais cet homme étrange
pareil aux vieux poèmes
quand les morts lui parlaient
quand il parlait aux morts
les os se retournaient
dans les tombeaux de pierre
il disait des secrets
dans sa langue inventée
les femmes caressaient
lissaient son crâne d’os
et pour les oiseaux du ciel
son épaule était amie
Au front
au
front aucun doute
dans
cette boue humaine
et
ce vacarme humain
dans
la sanie humaine
sous
les bombes mortelles
le
courage fou des humains
la
folle peur des humains
leur
frénésie
disent
tout de l’humain
l’humain
privé
de son amour
Chœur
À Míkis Theodorákis, i.m.
il est un chant qui monte
dans la rue
qui l’entend pourra s’en
émouvoir
et ton cœur sait bien qui
le chante
dans le noir une voix
s’est levée
qui l’écoute pourrait
pleurer de honte
c’est ton frère et tu
l’entends chanter
dans le ventre des gueux
il est une chanson
dans leurs jambes se meut
une danse
dans leurs mains se
glissent des barreaux
où est-il, ma mère, cet
oiseau rouge et noir
qui planait au-dessus des
eaux ?
où est allé le souvenir
des hommes ?
Mon ombre
je dois vous dire que la nuit
je le sais, mon ombre disparaît
comment reconnaître alors
où se tient mon soleil ?
je sais pourquoi, la nuit
enfant j’avais peur du noir
pas d’ombre sans lueur
sans l’ombre quel espoir ?
la nuit plus de repère
disparue ma profondeur
sans l’ombre comment croire
qui règne en ma nuit noire ?
Serait-ce un
peu
mais
si je devais vivre encore
serait-ce
un peu
ne
parlant guère du passé
comme
font les vieux
je
raconterai je dirai
les
beautés des moments à venir
au-delà
du malheur
plus loin
que la peur
je
dirai les matins en gloire
les
soirs de paix fragile
les
garçons et les filles
pour
chanter leurs amours
après
toute laideur
plus
loin que les tueries
au-delà
des offenses
je
dirai la beauté
dans
l’odeur du jasmin
la salure
de la mer
les
délices de la peau
le
chant des grandes eaux
la
danse des moineaux
je ne
dirai du passé
que
le courage des humains
l’amour
des miens
et
pour le temps qui vient
le
bonheur têtu de vivre
Les trous et les éclats
la robe de l’angelesse était pleine de
trous
robe que les étoiles, les soleils ont
ruinée à l’usage
les puissances
elle qui détenait en ses mains en sa
bouche et son cœur
les mille et une justesses semées au
jour le jour
nuits et matins lourds
mais elle a dit
pour filles et garçons, pour les
hommes, les femmes
cœurs sans ruse, aux mains de cuir
tanné
mains au lavoir ébouillantées
souliers lourds, cannes familières,
mouvants dentiers
têtes lourdes enrubannées de soucis, de
graves pensées
elle a dit l’amour
dans leur ventre mis l’espoir, attente
rude, fier regard
par les éclats de sa robe, éclats d’un
monde heureux
pour eux
de là le courage
Pâques
Une porte est ouverte
le monde n’est pas fini, l’univers n’est pas clos.
Imaginez une existence avec une porte ouverte à l’intérieur...
Vous êtes à l’entrée, juste au seuil
aventure inouïe d’une vie autre
découverte des ailleurs
– Je fais du neuf, dit Dieu, je vais plus loin
je dis oui à l’aventure, je dis oui à la bonté, je dis oui à la
beauté
oui à la justesse, à l’élégance de la vie
je dis oui au combat !
Leurs savoirs
commande commandera
ce sont les messieurs
leur savoir et leurs sous
chacun le sait depuis l’enfance
et au-delà
le savent hommes et femmes
avec leurs mains et leur savoir
leur infini courage
leur colère concentrée
tout en dedans
Le soldat et sa fleur
Le soldat était
sale couché dans la boue
il tenait chaud à
la terre elle dégelait
il était là depuis
longtemps sans bouger
la boue
rougissait il saignait le sang coulait
un éclat dans la
cuisse plaie ouverte
il s’enfonçait dans
cette soupe de terre noire
boueuse et de glace fondue et de sang
le plus souvent il
dormait il somnolait
sans souffrir le froid l’en protégeait
un rêve le tenait
éveillé même à moitié
le rêve d’une fleur
émergeant de la boue
à demi gelée vivante
crasseuse et flétrie
d’autres aussi un peu plus loin éparses
la fleur était
proche de sa main une main
rougie de froid et
de sang à demi gelée
et la fleur était
bleue d’un bleu tendre et terne
un bleu-roi de ciel
ouvert sous un ciel mort
le blessé cherchait
dans sa mémoire
il voulait se
souvenir du nom de cette fleur
il se disait quand je l’aurai trouvé je mourrai
trop fatigué tranquillement je partirai
tout était clair
dans son rêve de fleur perdue
puis il s’est
éveillé non il n’avait pas rêvé
la fleur bleu
délavé était là à sa main
elle n’avait pas
disparu et son nom bleuet
les sauveteurs sont
arrivés ils se sont évertués
ils ont écrasé la
fleur alors il est mort
Ritournelle
La Lulu
n’a pas bu
l’eau du ru
y en a plus !
et
Josette
l’a
perçu
menues
bêtes ?
disparues
!
Janicot
s’est émue
d’asticot
y en a plus !
Isabeau
est
déçue
les
moineaux ?
disparus
!
Jeanneton
n’a pas vu
d’hanneton
y en a plus !
Marylou
l’a
pas su
le
hibou ?
disparu
!
À Margot
n’a paru
d’escargot
y en a plus !
Jacqueline
t’as
pas chu
sur
l’hermine
disparue
Émilie
a voulu
voir la pie
y en a plus !
pour
Mireille
c’est
foutu
les
abeilles
disparues
Ah la
la ! le sais-tu ?
tout
cela ? c’est perdu !
Le sabot du
cerf (cinq dires)
comme
le monde en marche, allant
laisse
un temps jouer sa roue
pour
qui l’écoute
ainsi
avance le poème
silence
percé de trous
visage rond
qui n’est que rond
visage long
qui n’est que long
qui
dira l’or
caché
au fond ?
c’est
le silence
comme
une nuit, comme une paix
quand
cesse le silence
reste
un voile sur le monde qui bruit
le
monde existe
en mouvement est le poème
fermé ou non sur soi
comme le monde
troué ici ou là
le
cerf n’a pas besoin de voir
où
son sabot se pose
il le
sait
au
monde
que
de mystères !
Le mensonge
qui es-tu, on me demande
si je voulais je ferais comme les
autres
je mentirais
je dirais qui je suis pour les gens
nom prénom date et lieu de naissance
ça suffirait
là ne se tient pas le mensonge
mais plus profond
qui règne dans le silence et l’oubli
dans ce qu’on ne peut pas dire
il se tient à ton insu
dans l’indicible et l’impensé
quelle importance ?
il ne te revient pas de te nommer
en vérité
car plus profond encore
et plus avant
un autre s’en occupe
À Magdala
Possédée
elle se
souvient de tout
s’est
toujours souvenue
amour
jamais effacé
pourtant
brusquement arrêté
c’est
lui qui l’a laissée
abandonnée
pour suivre son chemin
mourir
à cet amour
et
quand il est revenu il ne l’a pas touchée
elle
n’a pas reçu la grâce d’un baiser
se
reverront-ils ?
est-il
heureux de son attente ?
elle
se le demande
tant
de démons le lui demandent
viendra-t-il
seulement ?
elle
attend
Dix bulles au
hasard
chemin
de terre choisi
courir
souffle rendu
pour
aller où ?
tu occupes le terrain
l’indigo du ciel tourne au mauve
toi tu parles
restent
les mésanges
les
autres ont foutu le camp
les
oiseaux
éviter les rues
prendre les venelles furtives
on s’y rencontre sans faire exprès
sous
ce grand soleil
il
fait très froid
comment
faire confiance ?
quand hier devient demain
que d’ennui
mais l’amour éveille encore
en
vélo il tire un cheval
avec
une corde
le
cheval imagine l’inverse
on ne meurt pas pour une cause
mais pour des gens
arrivé là
prendre
son temps
chaque
pierre tombe à l’eau
autant qu’elle éclabousse !
on a tout dit de tout cela
de plus encore
j’en tire ici un résumé succinct
Religion
les
belles choses
aux yeux
des gens ont du prix
et
les violents s’en emparent
recherchant
le prix sans saisir la chose
mais
l’ayant investie ils font d’elle
ce
qu’ils valent, la violence et le mal
et
parfois même la beauté du mal
mais
le pauvre cherche la chose
sans
prix
Dieu ma
voie
ma
voie justement n’est pas la mienne
elle
est un flux, un courant
avançant
je me démène dedans
ou
reculant
un
courant qui traverse les mouvances
des
univers, des temps
un
flux dont l’origine se perd dans l’hier
et la
visée, demain
me
suis-je mis dedans, m’y a-t-on mis
j’y
nage, pas content, content
à
l’aise pourtant
mêlé
aux croisements des temps
et je
dis à ma voie, veux-tu rallier
un
jour un océan de paix ?
je
crois qu’elle s’y efforce en son désir
elle
que je crois désir
mais
elle ne répond pas
mon
chemin aime qu’on le devine
Non
au petit
détour du matin
j’ai
toujours su qu’en moi
un noyau
lourd et dur
disait
non
noyau de
paroles dites mortes
où des
voix très chères
des voix
très proches
disaient
non
au soir je
les ai retrouvées
miennes
autant que la mienne
contrepoint
de chaque heure
disant
non
et je
m’entends parfois
dire
leurs mots qui sont miens
car un
oui de pure vie
dit ce
non
Il a faim
il a
faim
je
dois dire
il
faut partir de là
il s’agit
de l’humain
de
tout l’humain
il a
faim
faim
de pain
aussi
faim de rire
l’œil
rouge de vin
et
faim d’amour
homme
et femme
faim
de joie
il a
faim l’humain
faim
de paix
et
d’amitié
faim
d’œuvres à créer
faim
de travail
et de
beauté
et je
dois dire
faim
de sens
pour
être vrai
faim
de pourquoi
moi
l’humain
et de
réponse
besoin
d’un chemin
d’une
voie pour aller
avancer
et
que roulent
comme
un torrent
et
justice et justesse
L’orage
ici assez d’eau
notre bouche est amère
bienvenu soit le temps de la fête
venu l’orage, le grand, venue la
pluie
passé le vent, allé plus loin
un peu d’eau coule encore
l’orage a filé vers son maître
le fleuve appelle à sa bise
le fleuve a crié vers le vent
l’eau du bas s’assoiffe vers l’en-haut
le ciel la couvre
chiens du haut, filez
danserons-nous, aimerons-nous
mangerons-nous et boirons-nous ?
on dit les yeux du messie rouges de
vin
Ouverture
tenez, dit Dieu, ce n’est pas tant
l’année
qui s’ouvre
mais peut-être vos yeux et peut-être
vos mains
et tenez, votre cœur, même
et vos entrailles
et si m’en croyez, alors vous verrez
vous serez étonnés
moi-même je suis étonné, dit Dieu
quand je vois la bonté, et la
beauté, et l’amitié
et l’aménité sur l’année
le mal, ça ne m’étonne pas
ni la brutalité, ni la méchanceté,
ni la cruauté
non, mais la rose sur le fumier
elle m’étonne, tenez
elle me fait pleurer
Choisir
sans
pathos
de
façon très pratique, s’aimer
l’année,
direz-vous, fut mauvaise
qui s’en
va
je
vois plutôt que cette année
nous
montra
ce
qui se tiendra devant nous
qui
viendra
et
qui n’a fait que commencer
quand
sont mis
devant
eux la mort et la vie
les
humains
choisiront-ils
la mort demain
ou
s’aimer
Je
suis venu
tu attends que je vienne ?
je suis venu
avance toi vers moi
ta vie est dans la mienne
je suis venu
pour toi, pour l’univers
espère-moi
je viens, ne le sais-tu ?
le temps de ma présence
de mon absence
de ma venue
font un seul temps de vie
je viens encore en toi
je suis venu
ces deux fois n’en font qu’une
à venir comme advenu
avance encore, avance
tu vas vers l’inconnu
tu vas me trouver nu
je suis venu
Devenu vieux
ne cherchez pas
c’est une guêpe aiguë
elle pique comme on mord
rien d’autre, un remord
un regret vous agresse
mauvaise pensée triste
et noire une aile passe
un corbeau, un mainate
rabâche vos méfaits
une ombre survenue
les efface sans hâte
devenu vieux
Un qui passe
un étranger sur le chemin
un autre que les autres
est passé tout à l’heure
or voici que j’aime
ceux qui passent
homme, où vas-tu danser
quel bal, au bout de ce chemin
quelle aventure ?
rester ici le cœur me
pèse
il faut que j’aille un
peu plus loin
je veux le vent, je veux
le large
je veux braver
l’immensité
fut-ce la noire immensité
dans les abîmes pour
m’ancrer
aucun bateau n’est au
mouillage
qui lui rendra ce que lui-même
aura perdu ?
Aller
mon corps est un tamis que
traversent les ondes
mon cœur est un foulard que transpercent
les vents
et trembler, frissonner, tu vois
filer ma vie
mon corps est un taillis que les
gelées parcourent
mon cœur est un hallier que les
bises rebroussent
mais chanter, fredonner, tu allèges
ma vie
mon corps est un estran que les noroîts
survolent
mon cœur est un hiver que les
printemps délivrent
s’abandonner, aller, tu fais vibrer
ma vie
Tu te tais
entre toutes les rapidités
les fureurs, les fracas
affolements de foules effrayées
ou rires exagérés
trombes ou traversées de foules
tu te glisses
tu es la couleur du silence
interstices de peurs
intermittentes colères exténuées
rages et tendresses cependant
souffle des soulèvements
misères
tu vas sans bruit
est-il important que l’on t’ignore ?
tel quel
au fond, ça marche tout seul
ce truc-là, la poésie
suffit d’écouter le silence
la nuit
en toi, le silence, faut dire
n’existe pas
ça n’arrête pas de parler, là-dedans
alors si tu écoutes bien
tu en apprendras, des choses
que tu ne savais pas
de toi
que tu ne peux dire
aussi
tant il en est
du monde et de là-bas
Impoli
j’ai déjà vu un ovni, si si
et rencontré un ange aussi
faits réels à ne pas dire
choses qui font sourire
car l’inconnu dans la maison
fait sourciller la raison
Dans le noir
cette nuit-là, dans l’ombre
j’ai discerné la rougeur d’un tison
la crête rouge de l’oiseau du matin
brasillant dans le noir
crois-tu vraiment, m’a-t-on dit
voir autre chose que la nuit
au travers de l’obscur et après
lui ?
sombre est le monde où tu vis !
j’ai dit non, il me faut
avant toute lueur mensongère
percevoir dans le noir
la crête rouge de l’amour et de
l’espoir
car il se peut que les yeux agrandis
les yeux noirs des enfants de la nuit
des enfants à l’avenir volé
annoncent des vies étoilées
que leur mère leur apprenne
le sourire après la peine
et que l’humain soit promesse
un peu serait-ce
Non
Réformation
tu
dis non comme un fusil
tu
dis non
tu
cloues sur le mur le Non de ta jeunesse
tu colles
sur le mur l’affiche de ta jeunesse
on te
dit viens tu dis non
on te
dit que valent et que vaudront
tes
brèves vérités contre le vrai
bonheur
d’être ensemble et tu dis non
homme
libre tu dis non
l’amour
d’un Seul est ta raison
in memoriam
Martin Luther
Ainsi parfois
ainsi
parfois le vent se lève
et le mot
vie se pose sur ta bouche
mot de
feu
les temps
remuent, les esprit bougent
les ifs
du jardin en vivants se muent
plus de
tombes
là tout
se met en mouvement
comme les
mois et les années qui passent
et les
jours
et tous
ont à cœur de parler
aussi
tous les mots et toutes les phrases
les
oracles
ainsi
parfois souffle un esprit
et la
poitrine et le cœur se dilatent
vient le
jour
Plongées
un jour peut-être, un autre jour
nous aborderons la lèvre des lacs noirs
et nous camperons là comme on campe
pour avoir été chassé d’un ailleurs
au bord des lacs noirs avant d’y plonger
nous allumerons des feux et nos visages
rougis par le feu de l’amitié se contempleront
dans la chaleur d’un sourire
toujours à nous se rappellera ce moment
où nous nous aimions au bord des lacs noirs
avant d’entrer vers l’inconnu
dans le dénuement, la nudité de l’amitié
notre souvenir, caduc, aura-t-il disparu
ou bien sur l’autre rive des lacs noirs
sortirons-nous lavés après longtemps
pour tant d’autres aventures ?
Rêve de marche
J’étais assis sur le pas d’une porte
je regardais passer les gens
leur mot d’ordre était ″colère″
les maisons bâties en paix
semblaient courroucées, volets fermés
et les gens qui passaient me regardaient fâchés
leur regard me disait marchons marchons
ils ne dansaient pas de joie
contents de marcher ensemble
le cœur en joie
non ils m’en voulaient
je ne répétais pas leurs dires de marche pour aller où ?
et comme ils ne savaient pas où aller pour marcher marcher
ils ont compris
c’était contre moi qui ne marchait pas
qu’il fallait se tourner
et ils se sont massés devant moi
qui étais assis sur le pas d’une porte car j’avais mal aux pieds
et qui les regardais passer
et ils m’ont tué
soulagés
Mon amour
s’est levé
19/09
lève-toi
mon
amour s’est levé
mon
amour est devant
les
injustes ont crié
ils
ont maudit
levé
la main
souris
ouvre
ta main
sur
leur fer
sur leur
colère
laisse
couler les larmes
regarde
leurs visages
c'est
nous peut-être
avance
nul
n’est exempt de haine
nous
sommes aussi ceux-là
que
sa ville ne te charme
il
n'y est pas
il
s'en est allé
les
royaumes écroulés
il
vivra
il a
su tuer en lui
la force
du combat
Par la fenêtre
je suis assis, j’écris
je lève la tête, je regarde par la
fenêtre
elle est grand ouverte
elle cadre un espace étranger
une autre réalité
un dehors
on voit loin, au-delà des maisons
on voit les arbres, vie multiple
platanes, mûriers ou fayards élancés
et plus loin, dans un effet de brume
comme un voile léger
les collines, brousse mouvementée
elles vont loin
mais plus vaste est le ciel
autre monde encore
rarement traversé, rarement peuplé
habité de quelques nuées
un autre monde
et toi, où es-tu ?
Deux rois
la
légende légère
par
les bois par la lande
courait
citant deux rois
deux
rois qui désertèrent
foulant
au pied les lois
ainsi
dit la légende
♣
parut
un jour un roi
assis
dans la poussière
ne parlant
que d’effroi
parut
un jour un roi
qui
écrivait par terre
qui
renversait la foi
on
les disait prophètes
ils
prédisaient la guerre
la
chute de nos pierres
on
les chassa sans peine
avant
que tout ne vienne
on
chassa la défaite
ce
furent jours de fête
nos
murs se relevèrent
la
guerre se calma
♣
ne
croyant pas cela
nous
écoutions le bruit
le
son du cœur qui bat
c’est
le cœur de la terre
le
songe de la nuit
les
mots vrais qui libèrent
Mariam âgée*
j’aime imaginer Mariam
sur une canne courbée
Mariam une vieille femme
voyant mal et dents tombées
elle aura vécu longtemps
chez l’ami de son fils mort
il la traite tendrement
lui parle du temps d’alors
bien des femmes de son âge
ont vu leur fils crucifié
et ne seront, quel dommage
comme elle ainsi consolées
parfois l’ami lui rappelle
ce qu’il a vécu, et cru
tombeau vide bien réel
et corps vivant qu’il a vu
elle le sait et le croit
pourtant, non sans embarras
elle aimerait mieux, ma foi
tenir son fils dans ses bras
des rêves l’ont étonnée
car c’est elle qu’elle y voit
jeune, belle et couronnée
l’enfant blond lui semble un roi
on ne peut dompter un rêve
se dit-elle un peu gênée
simple bulle à la vie brève
suffit de s’être donnée
autrefois elle a dit oui
comme elle était jeune alors
en son cœur elle a enfoui
ce bonheur tel un trésor
elle avance vers la mort
elle y pense bien souvent
bienheureuse de son sort
s’être ouverte au dieu vivant
* Dans les langues bibliques, hébreu
et grec, Marie se dit Mariam.
Le prunier d’Aline
le prunier d’Aline
a perdu toutes ses
feuilles
couchées dans l’herbe
rousse
on ne sait ce qu’il
deviendra
laid tout nu, il ne
respire pas
noir écrit dans le
ciel du soir
c’est une année, la
nôtre, sans avenir
et trouvera-t-il assez
de racine
au monde qui vient
un de ces jours à
naître
pour repartir
ou devra-t-on
l’abattre, se passer des oiseaux
des merles et des
moineaux
attirés par ses prunes
ainsi que les enfants
bruissement d’ailes et
mille rires vibrants
le prunier d’Aline, il
faudra qu’on y pense
le voudrait-on voir
reverdir
vie nouvelle, notre
monde à venir
et produire, source de
plaisir
un nouveau
devenir
Sud
c’est
un village qui a deux mains
sa
main fermée se serre sous les pluies
seaux
d’eau longtemps jetés à la face des villages
et
tu vois que ce pays est clos
et
toi venant de lieux qui connaissent en la pluie
l’occasion
de maisons chaudes
et
de flambées et d’alcools
et
de longs parlers d’amis
tu
vois la rue torrent boueuse et dévalant
rouge
comme une plaie d’Égypte
et
le village ne sait plus vivre avec les autres
perdu
le grand témoin là-haut
qui
marque en bas les heures d’ombre
les
vieux maudissent sous le rideau
avec
un visage de vent le village vivra
main
ouverte et tu verras
sa
paume ne veut rien garder mais elle envoie
sa
fleur offerte au soleil rebroussée par le vent
à
l’odeur bonne
Fuite
un jour un jour
tu diras
enfin te voilà
fini le combat
j’attends
cela
j’attends le jour
ce jour
où tu m’attendras
des fleurs
alentour
et dans tes bras
image naïve il
est vrai
carte postale
d’anciens jours
amour amour à
jamais
et cœurs lourds
j’invente tout
cela
je ne sais où
j’en suis
tu me manques et
voilà
mon temps s’enfuit
Cyprès
Il y avait
ce lointain jour
un peu
de brume entre mes pieds
de la
douleur éparse autour
sans se
renier
Je t’ai
portée d’entre mon cœur
au par
devant de mes cyprès
et je
t’ai dit dans ma douceur
va-t’en
d’auprès
Tu
m’avais dit garde l’amour
alors
tu t’étais éloignée
il
reste pourtant ce vol sourd
d’oiseaux
saignés
En marchant
marchant bon an mal an
habité de questions
habillé de raisons
j’oublie le vent
je porte ainsi le temps
passant inessentiel
sous les oiseaux du ciel
croisant les gens
et les imaginant
j’invente des histoires
saugrenues, dérisoires
en attendant
Le livre des Nombres
Je fus un jour jeté
entre quatre étoiles
et cinq comètes
chevelues
je fus un jour jeté.
Je fus un jour perdu
parmi deux mille rues
trois mille routes
incongrues
je fus ce jour perdu.
Je fus un jour blessé
aux quatre cent trois
piques
aux carreaux du chemin
aigus
un jour je fus blessé.
Je fus un jour parlé
deux et trois mots
déliés et liés
inconnus
je fus parlé un jour.
Plus encore
maintenant
ta main tenant
cela que tu tiens
que tu tiens dans ta main
tout cela qui est là
à ta main
le monde qui est là
où tu vis
tant que tu tiens
jour qui dure
durant, durant le jour
maintenu trop court
allonge-le, allonge
ce jour, hui, trop court
dis alors aujourd’hui
maintenant le jour tenu
et plus encore
pour que dure la vie
dis encore
au jour
d’aujourd’hui
que tu ne meures
Le poste de TSF
au soir on allumait le
poste
chacun faisait silence
pour soi seul
mais ensemble
on se tait
on se cache ainsi
parfois
ou l’on se relie
tous ensemble
un ange passe
moment de profondeur
où chacun s’abolit
mais ensemble
poste allumé qu’on se
taise
on parlerait
sans se parler au fond
ensemble
Dires
Si
le dire a du sens
il n’est
de dire qu’une caresse
il
n’est de dire que d’une fleur
il
n’est de dire que d’un bon goût
il
n’est de dire que d’un regard
il
n’est de dire qu’une écoute
et
je n’ai que cinq sens…
Comme nous
les arbres
par la racine
s’entendent
et se soutiennent
racine vive
ainsi s’élèvent-ils
ainsi produisent-ils
allant fouiller
le riche de la terre
enracinés trop peu
pris d’enthousiasme
allant trop vite
au premier vent
ils tombent
si jeunesse savait
point de chute
si vieillesse pouvait
plein de fruits
l’arbre vit de raison
Pâques, chanson
le cadavre enterré
dans un jardin tranquille
le corps du mort serré
en des hiers stériles
ces jours étaient les pires
y venait affleurer
l’abîme et son empire
venu nous effleurer
le mal était plus fort
la vie l’a emporté
le vivant était mort
il marche à nos côtés
la pierre qui s’efface
et le mur qu’on franchit
un souffle neuf qui passe
un corps qui s’affranchit
il mange mains percées
on voit le coup de lance
il marche pieds troués
devant nous il avance
c’était un jour à rire
à ne plus se leurrer
un jour à tout se dire
à rire et à pleurer
Le cri
au fond de moi le souvenir des bombes
au fond de moi naît le bruit des combats
au fond de moi sont des morts qui s’empilent
il faisait beau il faisait chaud c’était l’été
le printemps vient c’est un hiver les gens mouraient
les tués les corps au sol comme des paquets
les oiseaux se taisaient les corbeaux attendaient
grincement des chenilles les tanks ont avancé
regarde dans les champs le vert tendre du blé
les chars t’ont labouré la boue t’a dévasté
pas de pain cet été le blé assassiné
les femmes sont parties et leurs enfants aussi
un seul resté ici qui regarde a compris
tout ce deuil est le fruit d’un grand amour détruit
au fond de lui les pleurs ont resurgi
au fond de toi tu vois l’humain qui gît
au fond de moi le cri
Au peuple
démuni
ce
qui est dans ton cœur est plus grand que la mer
c’est
pourquoi tu fais peur, ô peuple démuni
à
toi-même tu fais peur
car
au bout de ta nuit crèvent les veines, coule le sang
quand
devant toi le monde devient rouge
quand
ton désir est grand
quand
tu ouvres les portes à ton envie de vie
à
ton rêve, ô nuit
et
tu ne sais alors ce que tu enfantes
vers
où t’emportait ton ennui
chante
ô ma nuit quand le rêve se lève
quand
se tient près du lit l’esprit qui te veillait
c’est
ton plexus qui cède et fait mourir l’angoisse
elle
s’évanouit
te
voici comme une veste ouverte qui habite le monde
et
veut le revêtir
ton
désir est un cogneur, et c’est lui qui te frappe
c’est
lui qui s’écorche les mains
et
s’il t’a mené un jour vers toute justesse
qui
peut le retenir ?
La pluie est
là
au
fourmillement des gouttes
sur
les toits
tu
l’entends
en
pluie fine et obstinée
vient
le printemps
cette
année le voici modeste
faire
apparaître d’un coup le renouveau
fleurs
et bourgeons
lui
serait trop facile
trop
m’as-tu-vu
cette
année est année de silence
la
pluie traverse le fracas des bombes
et
sur le sol contourne le sang des morts
ténue
comme
un dieu qui se ferait murmure
quand
l’ouragan se croit
Ma
rose
mémoire d’une rose
belle que j’admirais
quand tu seras éclose
je te cueillerai
quand je suis revenu
ma rose qu’as-tu fait ?
elle avait disparu
elle que j’aimais
et voici le mystère
elle n’est pas à moi
suis-je propriétaire
de la rose au bois ?
J’ai
vu
poème ancien)
j’ai
vu ce que j’ai vu lorsque j’étais enfant
j’ai
vu ce que l’humain sait faire des enfants
je
sais ce qu’il en est j’ai su ce que c’était
nul
ne fera encor que je croie en l’humain
je
savais à cinq ans ce qu’il me faut savoir
serais-je
en illusion à plus de soixante ans
l’enfance
m’a suffi il me reste à durer
tout
le reste est travaux pour mesurer l’abîme
pour
tenter d’y sauver serait-ce un seul moineau
Requiem
9
tenez
ils
marchent
ils
vont vers un exil
ils
fuient
droit
devant eux
vers
une terre d'asile
égypte
douloureuse
colonne
chancelante
des
va-nu-pieds
alourdis
harcelés
affamés
ils
se sauvent
et
parmi eux
un
couple et un bébé
chemin
d'amertume
et
de danger
quand
vagit
quand
roucoule
quand
rougit de colère
une
petite vie
au
dos d'une marie
et
quand oscille
charge
dérisoire
sur
la tête dure d'un joseph
ce
qu'il a pu sauver
que
le tueur
le
massacreur
a
méprisé
reviendront-ils
reviendra-t-il
l'enfant
d'un avenir ouvert
marchera-t-il
les
pieds légers
sur
les chemins de pierre
en
liberté en vérité
faisant
le bien
dans
le chaos du monde
pour
enseigner
les
maîtres de la terre
et
soigner
le
malheur
au
cœur des simples gens
nul
ne le sait
rien
ne l'y aide
une
simple parole
venue
de bien plus loin
le
dit pourtant
qu’un
jour peut-être
le
ciel s'entrouvrira
Souffle
en traversant le temps
le souffle de la mer
gémira
par ces tuyaux d’un orgue
l’air mis en mouvement
chantera
la parole en ce vent
la parole instrument
agira
je formule ton dire
ma gorge le module
il naîtra
ta parole est devant
qui traverse les temps
qui viendra
nous sommes l’instrument
ta parole en ce vent
lèvera
Bonsoir misère
En hommage à mon ami Patrice Gauthier – Paris,
1974.
Scène vécue de la vie des pauvres : un homme
entre ″dans un bistrot pourri du pauvre Paris″ et salue la
compagnie par ces mots : ″Bonsoir misère !″
Un jour je dessinerai un taureau –
tout le monde le reconnaîtra du premier coup – la force de l'habitude
bonsoir misère
personne ne verra la fausse
perspective tellement je l'aurai habilement faite exprès
bonsoir misère
le plus souvent ce qui saute aux
yeux n'est pas remarqué – il est rare celui qui regarde lui-même
bonsoir misère
être présent devant un taureau
dessiné par un dingue on peut se demander l'importance que ça a
bonsoir misère
on glisse ce qu'on veut sous les
yeux des gens dits ordinaires – s'en aperçoivent pas – d'où la force des
escrocs
bonsoir misère
aussi heureusement la chance des
évadés – ça me rappelle le tonneau de vin de Moselle que mon père prisonnier de
guerre
bonsoir misère
avait rentré dans le stalag sous le
nez des – beaucoup d'autres histoires du même genre
bonsoir misère
rappelez‑vous le temps des
galoches – et des tabliers noirs – sur ses gardes peut‑être pour vous
forcer a devenir plus malins
bonsoir misère
le bon vieux pédago – il rit dans
ses moustaches en racontant comme ses petits malins ont cru le feinter
bonsoir misère
ce qui leur apprend le mieux la vie
– un bon maître qui sait passer pour un vieux con – eux s'ingénient a trouver
toujours la parade
bonsoir misère
rappelez‑vous – l'œil aux
aguets sans avoir l'air – pas rater un geste – une attitude en dit long
bonsoir misère
pour apprendre à vivre c'est l'œil –
ne dormir que d'un – pensez à un chat mais tous les animaux – dès tout petit
les enfants s’habituent
bonsoir misère
il y aura toujours des matons pas
toujours idiots – rappelez‑vous – le prisonnier a l'avantage sur le
gardien
bonsoir misère
dépasser le stade artisanal – le
niveau fabliau – méchant coup en douce isolé ou passager – immoral de réaliser
n'importe quoi sans l'utiliser contre
bonsoir misère
elle vous détruit la société des
puissants petits ou grands – n'importe où – toi‑même un puissant con
desfois
bonsoir misère
comme dessiner un taureau – c'est
viril – voyez‑moi cette puissance – voyez le genre
bonsoir misère
une fausse perspective – j'étudie –
mon taureau n'est pas exactement image du mâle dominateur – savoir pourquoi
bonsoir misère
un coup d’œil rapide – type blasé
qui joue aux durs – en connaît un bout sur les taureaux – ça n’a l'air de rien
bonsoir misère
faussez toujours une image – un brin
de mou dans une phrase – toujours un défaut minime – ça ait l'air sur pied les
temps sont durs
bonsoir misère
jamais le révolté genre mode – on
comprend pas – la préciosité fut toujours proche du pouvoir
Des trous
des trous dans l’cœur j’en ai eu plein
paf et repaf
mais vous connaissez-ça
faites-en vous pas
ça reste, on s’habitue
le cœur passoire
avec des trous pas réguliers
des gros, des ptits
on peut bien passer au travers
mais ça fait mal
pas mal de mals
et en passant de l’un à l’autre
oubliez pas la chair qui tient
on est pas les premiers dites-vous bien
c’est ça la vie, des trous, du plein
le cœur qui tient
le plein qui fait du bien
un pas, un pas
et ton amour en plein
L’entends-tu ?
L’an qui vient, d’où vient-il, pour
un bel en demain ?
Dis-le moi : s’en va-t-il,
espoir tombé des mains ?
Qui peut encor parler en sorte qu’on
l’écoute
sans que naisse le doute ?
Qui peut parler et dire s’il a le
cœur lié ?
Ô toi qui as l’oreille, le souffle
régulier,
qu’entendras-tu venir, verras-tu ce
qui vient
renouveler les liens ?
Si mon maître était là, vraiment le
dirait-il ?
Il tarde à investir des esprits peu
subtils,
il me parle peut-être et je ne
l’entends pas.
Toi perçois-tu ses pas ?
Sample
Tu fais le tri
le violent tu le vois agir
on me dit de fuir
tel l’oiseau qui s’envole
je ne crains nulle tempête
c’est toi que je verrai
quel autre refuge ?
Incrustation
ce n’est pas dit
tenu celé
cette douleur
pas en toi
comme enfermée
car tu l’habites
c’est ta maison
en elle tu vas
tu vis en elle
qu’est-il ce toi
qui vit là
tu ne le sais
Fête
de Tristes-Rois
Les
rois de la Terre
et
les reines du monde
assis
sur leur derrière
reposent
sur un trône
leur
trône est un fauteuil
et
leur main de justice
tout
juste une souris
de
plastique
et
quant à leurs ministres
de
grands ordinateurs
tout
constellés de chiffres
qui
sont des sous
richesses
qu’ils amassent
à
la sueur de nos fronts
de
nos cœurs, de nos têtes
aux
dépens de nos joies
de
nos douleurs
de
nos amours
qu’ils
engrangent
les
innocents
l’esprit
leur manque
l’esprit
qui vient
monde
nouveau
tel
un séisme
Passant par là
Un promeneur d’éternité passait devant chez moi
ses larges ailes de pensées alourdissaient son pas
il s’arrêta.
Homme qui passe et qui au loin s’en va, homme qui va
que dis-tu de la vie, que dis-tu du trépas, dis-moi
de l’au-delà ?
Je ne dis mot de ceci, je ne dis mot de cela
choses que l’on ne dit pas, que l’on garde au fond de
soi
jusque là-bas.
L’ami, tiens cela tout en toi, fais ta vie pas à pas
un jour tout se découvrira, ce jour te surprendra
tu souriras.
Elle pleurait
(Fête des morts)
elle pleurait
je lui ai tendu mon mouchoir
il est propre, je lui ai dit
elle a souri
les femmes savent faire deux choses
à la fois
elle souriait en pleurant
c’est un mouchoir en tissu à
carreaux
du coton véritable
en le voyant elle avait souri
je lui ai dit vous me le rendrez
plus tard
je n’aime pas les mouchoirs jetables
c’est du gâchis
elle m’a dit merci, elle
pleurait
merci monsieur
je l’ai quittée
bien sûr je n’ai jamais revu mon
mouchoir
la vieille femme non plus
on vit de drôles de choses
Des saints
(Toussaint, sotie en forme de sonnet)
Humain, n’est-on saint que défunt, je le
demande
or peut-il exister ici-bas des lions
saints
ou des manchots, des moustiques, des
limandes
qu’il faudrait célébrer, fleurir pour la
toussaint ?
Tenez, des humains morts ou des saints
animaux,
des morts inoffensifs, des bêtes
innocentes,
l’une qui suit sa loi et l’autre ôté des
maux,
et l’une et l’autre espèce en tout du
mal absentes !
Pensons-y pour de bon, considérons les
choses :
seuls les humains vivants auraient droit
au péché,
à l’erreur qu’on maintient dans
l’infamie enclose.
Luther l’avait bien dit, on le lit dans
sa prose,
rien de plus alarmant qu’un pécheur
empêché ;
qu’il pèche, et qu’aux
tréfonds c’est la foi nue qu’il ose !
Deux silences
Où es-tu
où te caches-tu
tout en haut
tout au fond
devant, peut-être ?
Dieu je te cherche
et tu te tais.
Et il a dit
C’est moi
moi qui te demande
où tu es.
Depuis toujours
au souffle du jour
et tu te tais.
Répondras-tu ?
Et j’ai dit
Je suis celui
qui ne sait pas
car la nuit m’environne
car je suis aveuglé
et par ton jour.
Tu me rends muet.
Juste comme un atelier
atelier bricolé
mais rien de plus, allez
ces poèmes que vous lisez
atelier à mitonner
des paroles filées
tout attelé à chantonner
vous voici peu sensés
à prendre en vos gésiers
faribole et billevesées
c’est pour vous amuser
c’est pour vous étonner
quelques mots, rien de plus, allez
Démente elle ment
la bêtise
était devenue mortelle
elle tuait
par million elle tuait
fallait briser la langue
la bêtise vivait dedans
elle la portait
devenue la langue
la briser une fois
deux fois dix ou cent fois
la tuer l’arracher
comme une dent
mais le nerf vit encore
fou de douleur toujours
il ment
ne veut pas souffrir
la langue est folle
démantèlement
que de ruse
alors pour dire
Seuls
les enfants
j’attends
la pluie, celle qui lave
la
nettoyeuse à petit bruit
la
blanchisseuse aux refrains graves
vienne la pluie
je
l’attendrai en cette nuit
fraîche,
tenant jusqu’au matin
quand
tous les feux seront éteints
vienne la pluie
la
pluie que j’espère en esclave
de
tant de liens secs que je fuis
me
libérant de leurs entraves
vienne la pluie
première
goutte qui m’atteint
première
perle d’eau qui luit
bonheur,
seuls les enfants le savent
vienne la pluie
Cinq poèmes
brefs
Ailleurs
À bord diras-tu
hissons les voiles ?
pourtant l’oiseau dit moi je
reste
il n’y a pas d’ailleurs
Très tôt
D’arbre en arbre en arbre
va qu’elle est folle
et survenant toujours
l’aurore qui naît
Survol
Passent les oies dans l’indigo
un survol
semaison et sol rouge
Retombée
Au plus haut serait la vague
en elle déjà
se joue son avenir