Poèmes de Jean Alexandre
 
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Une page pleine de poèmes

 

 

« La poésie vit dans les couches les plus profondes de l’être, alors que les

idéologies et tout ce que nous appelons idées forment les strates les plus

superficielles de la conscience. »

Octavio Paz

in "L’arc et la lyre"

 

 

Voici le poème de la semaine : 

 

L’aube

26/07

 

premier rayon posé sur la rosée

sur le pétale d’une fleur des champs

c’est l’aube

un jour commence

un avenir ouvert, rien de banal

 

un jour nouveau

jour de service, de plaisir, de combat

ouvert

sur la beauté du monde

en sa fragilité

 

nous respirons

portés par le respir du ciel et de la terre

en ce jour qui commence

un premier jour

un premier tour renouvelé

 

 

 

 

Voici un choix des derniers poèmes parus sur ce site suivis de certains

qui sont vieux de cinquante ans, publiés ou non :

 

La mésange

 

de loin je vois la mésange

perchée sur le coin d’une gouttière

de l’autre côté de la place

petite boule de plumes

elle ne bouge pas

on dirait qu’elle réfléchit

à quoi pense un oiseau repu 

quelles idées la tiennent-elles immobile

quel monde est celui d’une mésange ?

on ne peut l’imaginer

sans doute est-ce réciproque

et qui dira que le nôtre est plus vrai ?

 

 

 

 

Sieste tardive

 

la fenêtre est grand ouverte

et moi

étendu sur mon lit je dors

conscient toutefois du pépiement d’une petite pluie 

 

elle pénètre mon sommeil

sommeil léger d’un après-midi d’été

et je me souviens

je suis au milieu de champs entourés de collines 

debout comme au milieu du monde

et je suis seul car il va pleuvoir

solitude heureuse

pleine comme une fin du monde

 

et je le sens je rêve

et je sens qu’il pleut dans la douceur de cette fin du jour

heureux

heureux

puis un visage m’apparait

tu es là

 

 

 

 

Paris square

 

Sous les arbres du square on voit des enfants bruns

essayer de dormir en des duvets d’emprunt.

 

Simples fils des humains sortis nus de la boue,

à quels rires ou quels pleurs ces sans-papiers se vouent ?

 

Mais dans le frais d’avril piquant de ce matin,

dansant presque, une fille a souri aux clandestins,

 

Les platanes ont verdi eux aussi près du square :

faudra-t-il que cette fille elle-même perde espoir ?

 

 

 

 

Sentinelles

 

Voici le soir et c’est le temps mauvais, le temps des loups en meute

car le jour est passé dans une brume opaque aux ramures amères

dans la forêt

irons-nous promener comme autrefois, promener et jouir de beaux jours à lacs purs

non, car il n’est plus temps de rire et le temps est à rage et colère et courage

courage aussi

on en est aux armes du langage et la raison reste de s’y tenir

mais les figures de théâtre qui montrent leur besoin de haine et de rire mauvais

eux sont aux aguets

elles demandent leur lot de chair humaine, oui, de chair brune à chasser

et qui rêve de cela et le demande est un autre toi-même, un autre nous-mêmes

sans espoir

et qui se placera entre chasseur et proie sans espérance ni pouvoir, balayé sera

car c’est le soir et les paisibles nefs qui voguent dans le noir

vont couler

préparez vos caches et vos ruses et tous vos savoirs anciens, les savoirs

de ceux qui toujours ont eu à mettre le fugitif à l’abri et celui qui fuit en lieu de paix

car il se peut

ici, que les temps tournent à l’orage, que les temps sous peu soient mauvais

ainsi l’on se prépare à l’ombre afin qu’elle demeure et reste au loin

très loin du jour

 

 

 

 

Marcher de nuit

 

il fait nuit

nuit sombre-noire

 

le poids des nuages

ils masquent toute étoile

 

à quoi bon lever les yeux

à quoi bon les baisser

 

et je dis où vas-tu

le sais-tu

 

pourtant je sais

suivant du pied la route

 

car j’ignore et je sais

en moi quelqu’un le sait

 

ce chemin que je suis

ne m’a pas dit son nom

 

je vais dans l’improbable

mes pieds m’y conduiront

 

 

 

 

Chèvrefeuille

 

le sentier suit un long mur de pierres

bonnes grosses pierres qui furent blanches

et de loin en loin, comme un buisson épais

accroché au mur

une masse de feuilles dures et luisantes

et la parsèment des centaines de petites fleurs

blanches, odorantes

senteur chaude enveloppante d’appel à l’amour

vibrante d’appel à la vie

et je passe ainsi lentement d’odeur en odeur

et je remercie

tellement satisfait de la rencontre

 

 

 

 

Samedi

 

le matin vient

ô sentinelle de la nuit

le ciel s’élève il monte

laissant un jour venir

et ce jour qu’elle enfante

la nuit ne le connaît pas

 

le matin vient

et vient aussi la nuit

que l’on devine

embusquée après le jour

après lui toujours

acharnée à le détruire

 

le matin vient

naît un beau jour 

et la nuit vient aussi

pas de nuit sans le jour

et ce que doit la sentinelle

c’est annoncer le jour

 

 

 

 

Le jour paraît

 

le jour s’élève

à qui pardonner ?

l’effacement des choses dites

des volées reçues

ne se peut, ne se doit

 

car le jour avance

derrière les pins voici la clarté

au loin les nuées

le ciel est blanc

et par-dessus déjà les moutons noirs

 

voici le jour

à qui se donner ?

les temps vont se rencontrer

hier et demain ne sont qu’un jour

et le soleil paraît

 

le jour hésite

la nuit des fleurs est une paix

tu ne peux la faner

et leur jour une aventure

fête humide du matin

 

 

 

 

Interlude

 

L’arbre qui bouge

un squelette habillé

la mort a erré en ce jardin

 

un petit souffle passe

et les enfants se taisent

 

un gravier roule

une feuille tombe

 

une branche a craqué

un petit merle a sifflé

 

un jeu se dessine

vite on a repris la course

 

 

 

 

Naissance

 

statuette de terre

je fus ainsi

muet j’étais alors

j’étouffais

sans entendre ni voir

je sentais peut-être

autour des bras qui s’agitaient

c’était le vent

qui sait

ou qui ou quoi

qui m’entrait par la bouche

qui soufflait

puis j’ai vu les arbres

et plus tard les gens

peut-être bien les gens d’abord

 

 

 

 

Marcher, chercher

 

il marchait sur un sentier

forêt profonde tout autour

ombre et nulle présence

il se retourne tout paraît

dans la beauté du monde

où la mort avait erré

mais il n’est pas écrit

qu’au tout commencement

l’abîme ait disparu

 

est-ce à moi de parler

or je ne sais que dire

ami fais-moi connaître

je suis pauvre de cœur

que vois-tu dans le noir

sais-tu trouver l’étoile

dis-le-moi car je cherche

dans le ventre des choses

dans le noir des rumeurs

 

 

 

 

Dites-moi

 

Je le sais on te nomme comme on nomme

les bateaux, les voitures ou les chiens.

Il le faut pour se comprendre

mais le nom n’est qu’un verbe au repos, toi tu marches

sur les nuées, tu te meus et tout se meut avec toi,

et voici toute chose en marche avec toi.

 

Mais sur le bitume des rues, sur le pavé des cours,

même sur les cours des palais cardinaux

ou les sentiers forestiers parcourus par les daims

déambulent des gens qui ne savent où ils vont.

Et nous voici parcourant des chemins imbéciles,

logeant en des maisons comme on loge les chiens

comme nichent des bêtes privées du savoir.

 

Dis-moi ma sœur, dis-moi mon frère, mon camarade,

fais-moi connaître car je suis pauvre de cœur :

que vois-tu dans le noir, sais-tu où retrouver l’étoile ?

Dites-moi car je cherche et ne sais qui

et ne sais quoi dans la nuit du monde et de mon cœur.

Où l’on rit comme on pleure. 

 

 

 

 

Vivants

 

Les chanceux, le Vivant les appelle

à rire, à sourire, à bénir

à vivre une vie qui soit telle

que son règne à venir

irise toute vie enfin belle 

 

 

 

 

La clé

 

laisser tomber la clé

laisser la porte ouverte

même ouvrir le chemin

et faire table offerte

laisser aller son pain

sur les eaux de demain

le retrouver peut-être

dans la main d’un ami

ou bien d’un ennemi

dans le sourire espiègle

d’un enfant démuni

 

Avec Dominique Ratto

 

 

 

 

Te souviens-tu ?

 

te souviens-tu de nos chansons

nous les chantions ensemble aux soirs de mauvais temps

devant la cheminée, son feu flambant

les anciens chants du soir on les chantait souvent

à la maison, au temple ou à l’école

et nous étions enfants

le monde était en sang

et nous n’y pensions guère

quand ton village ou ma rue étaient en guerre

rien de plus rassurant que les vieilles chansons

aujourd’hui on ne les chante plus

mais devant la cheminée d’antan

nous deux chantant

souriants

le temps qui passe ne passait plus pour un temps

même à deux voix nous nous trouvions unis

te souviens-tu de ce temps-là

quand nous chantions unis les anciens temps  

 

 

 

 

Tiens ?

 

ils cherchaient ils cherchaient

ce que ça veut dire tout ça

mais ça ne voulait rien dire

 

ça disait

comme une pomme

ça se mangeait, il fallait l’avaler

ou ça pourrissait

tombait

avec la terre ça faisait d’autres pommes

 

manger avant

or jamais je n’ai pas faim

 

aimez le monde et le prenez

c’est bon

comme disent les gens d’en haut

prenez-en plein la gueule

 

 

 

 

Quittant la nuit

 

quittant la nuit, ils sont entrés dans le matin fragile

la joie, la peur, l’ardeur mêlées, la ferveur malhabile 

 

parlant, ils seraient obligés, ils seraient menacés

dansant, chantant, ils se mueraient en oiseaux pourchassés

 

mais la mort, en son fond, avait passé, restait le jour

la vie qui s’entrouvrait, tendre bourgeon que l’on savoure

 

elle s’ouvrait, papillon qui se déplie, proie facile

et qui tenait en leur parole, en leur parler labile

 

aussi, en cet instant, se sont-ils tenus cois, en leur patience

avant d’oser sortir et dire, et trouver leur audience

 

lâchés comme un vol d’étourneaux, ou sur l’eau comme une onde 

ils se sont égaillés, cognés, ont rencontré le monde

 

au soir ils sont entrés, quittant le jour aux mots sans nombre 

confiants, tâtant des mains la nuit, au lieu où finit l’ombre

 

 

 

 

Enfants dépravés

 

les enfants, les petits enfants, tous les enfants

qu’on en tue un, qu’on en tue cent ou mille, ou bien dix mille

selon la pente de nos raisons

nos raisons folles, ô combien déraisonnables ces raisons

il reste qu’ils sont morts

 

toi qui ne sais rien de l’avenir

sinon donner la mort

que fera-t-on de toi, quel sera ton sort

sinon le pire

 

et qui a le droit de tuer les enfants

je vous le demande

qui s’arroge le droit d’assassiner même les petits, les enfants

qui es-tu toi qui tue

tu es un imbécile, un enfant dépravé, le sais-tu

 

lui qui ne sait rien de l’avenir

sinon viser la mort

que fera-t-on de lui, quel sera son sort

sinon le pire

 

tuez-vous les uns les autres

vous qui aimez la mort, qui haïssez l’amour

les enfants vous regardent, ils voient ce que vous êtes

est-ce pourquoi vous les tuerez

aimez vos engins de mort, eux seuls vraiment sont vos enfants

 

vous ne savez rien de l’avenir

rien d’autre que la mort

que fera-t-on de vous, que sera votre sort

sinon le pire

 

 

 

 

Frêle

 

sous les débris

les fracas

la source infime d’un chant

 

aux oreilles du veilleur

un filet d’eau

murmure

 

écoute

tendu vers le silence

la paix qui vient

 

aux tempes martelées

naît

une fissure intime

 

cela suffit

imperceptible

l’infiltration s’impose

 

écoute

et continue continue

en toi se fraie le charme

 

car le combat des frêles

use d’armes futiles

mais vives

 

 

 

 

Nuit

 

je pleure

il me faut bien sourire

comme un rai sous la porte

viens

donnons le jour aux fifres

sortons les tambourins

 

j’ai peur

il me faut bien tenir

comme un arbre au désert

tiens

je ne veux que poèmes

la lune me pardonne

 

je meurs

il me faut bien bénir

comme l’aube entre les nuits

lien

entre deux blocs de pierre

entre nuit et lumière

 

 

 

 

Les chanceux

 

les chanceux

mendient le souffle de l’Esprit

le règne de Dieu est à eux

 

les chanceux

ce sont les doux

ils vont hériter la terre

 

les chanceux

ce sont les malheureux

ils vont être consolés

 

les chanceux

ont faim et soif de justice

ils vont être rassasiés

 

les chanceux

pratiquent le pardon

ils vont le recevoir   

 

les chanceux

ont le cœur sans mélange

ils vont voir Dieu

 

les chanceux

sont les faiseurs de paix

on va les dire nés de Dieu

 

les chanceux

sont persécutés pour la justice

le règne de Dieu est à eux

 

 

 

 

Emballements

 

il arrive parfois que

les temps s’emballent

et les saisons

 

ils délivrent un message

en urgence

pour le bien des fruits à venir

 

et toujours à ceux-là

qui savent tout lire

des temps et contretemps

 

puis les temps se replient

dans le silence

et les humains oublient

 

pas les plantes ni les bêtes

ni la pierre ou la boue

ni la terre

 

ni même l’eau

eau du ciel, eau de la terre

et surgit le malheur

 

alors pour les humains

tout casser, tout refaire

pourvu qu’ils ne soient vieux

 

 

 

 

Participant

 

il ne se

sentait pas à sa place

il n’était pas à sa place

 

un peu dedans un peu dehors

un pied dehors un pied dedans

déplacé

 

toujours un peu ailleurs

en même temps parlant d’autre chose

parlant à côté

 

déclassé

d’ailleurs mal habillé

bien habillé pas à l’aise

 

dans les rassemblements

fredonnant

un air en dedans

 

souriant poliment

les doigts marquant son rythme allant

distraitement 

 

triste quoique au fond

aimant bien les gens

distraitement

 

 

 

 

Terriens

 

humain fils de l’humus

fils de la terre

 

en état de culture

non pas nu mais vêtu

des enfants de cet arbre

de toute science

 

de l’arbre de beauté

et de malheur

 

père de l’eau salée

qui pleut de lui

et fait lever le grain

et lui casse les reins

 

inventeur meurtrier

en la cité première

 

et pourtant paysan

auteur de paysages

fondateur de pays

 

et familier d’errances 

 

 

 

 

Espérance

 

en elle qui se cache

je crois

je parle d’amour

 

elle qui va sans âge

ce jour

me dit courage

 

au sein du rêve

songe

des croyants endormis

 

au plus profond

je vis

comme au cœur de la nuit

 

je suis un sac de pleurs

et tout au milieu

la joie

 

 

 

 

La voie

 

la courbe d’une parabole

voici le chemin

qui va droit se méprend

croit savoir, se croit sachant

il se perd

 

la route en son dessein

est de grâce    

élégante et modeste

ainsi va la voie

un sourire

 

aussi va-t-on cherchant

par la roue du moment

cerclée de fer

l’inflexion d’une allée

où s’anime le souffle

 

 

 

 

Que dis-tu

 

que dis-tu de la vie

que dis-tu de l’amour

que dis-tu de la guerre

tu ne sais pas

 

tu l’as vue s’écrouler

la maison, s’ébouler

ton monde s’en aller

tu ne cries pas

 

il faudrait bien qu’un jour

il faudrait qu’en tes jours

il faudrait qu’à jamais

tu ne haies pas

 

non, ce que tu veux

non, tu le chéris

cet aujourd’hui qui va

tu l’aimes là

 

 

 

 

Les arbres avec le vent

 

le vent, le grand vent, s’était levé

alors les arbres se sont mis à bruisser

ils aimaient sa façon de les malmener

quand il les traversait

quand il les chamboulait

imaginez toutes les histoires qu’il leur racontait

venant de loin

 

on ne comprend pas les arbres

ils ne sont pas de bois

ils aiment que l’on s’occupe d’eux

c’est humain

les arbres sont en nous

et nous sommes en eux

parfois même ils chantent

et c’est comme un appel

 

ils on besoin qu’on entre dans leur monde

là où ils sont vivants

dans leur monde vert

leur monde de terre et d’air

surtout quand le vent retombe

épuisé

 

 

 

 

L’entends-tu ? 

 

L’an qui vient, d’où vient-il, pour un bel en demain ?

Dis-le moi : s’en va-t-il, espoir tombé des mains ?

Qui peut encor parler en sorte qu’on l’écoute

sans que naisse le doute ?

 

Qui peut parler et dire s’il a le cœur lié ?

Ô toi qui as l’oreille, le souffle régulier,

qu’entendras-tu venir, verras-tu ce qui vient

renouveler les liens ?

 

Si mon maître était là, vraiment le dirait-il ?

Il tarde à investir des esprits peu subtils,

il me parle peut-être et je ne l’entends pas.

Toi perçois-tu ses pas ?

 

 

 

 

Joie

 

ce n’était pas compliqué

c’était juste un peu de joie

aurait-il revendiqué

bien plus, un feu qui rougeoie

une source, un puits, de l’eau

un toit, un abri de pierre ?

la joie, non tel bout de terre

 

il a eu la peine amère

et la joie qu’il demandait

ne fut pas même éphémère

il ne l’a reçue jamais

sauf en la pompant de force

au profond de ses vieux os

sa joie, telle un doux fardeau

 

il a le toit de bardeau

la maison aux volets verts

la source et l’eau à plein seau

le lit chaud et le couvert

saura-t-il puiser la joie 

circulant sous son écorce ?

la joie, ce vieux s’y efforce

 

 

 

 

Naissance de l’humain

 

Fils de l’homme, fille de l’humain, fils et fille des humains, fils des hommes et des femmes, fille des femmes et des hommes, humains en nombre qui naissent chaque jour sur la planète bleue,

 

humains de chair et de sang, corps rouges et blancs, glissants, d’humains ensanglantés, fils et filles des femmes et sortant de leur ventre, filles et fils des hommes qui les font leurs enfants,

 

petits humains au premier cri, première parole de douleur et d’effroi quand vient en eux le souffle, humains aveuglés et apeurés déjà, humains fils d’Adam fille de Dieu et semblables à lui,

 

enfants de la violence humaine, de la violence terrienne, enfants de la terreur de la guerre et de la chaleur de l’amour, divins enfants pour qui sonnent les tambours de l’amour et de la guerre,

 

humains homme et femme en un seul être advenu, seul enfant chez tous les enfants nus, mort avec les autres de Bethléem, né avec les autres à Bethléem, tous les autres en lui, bel enfant de l’humain, 

 

enfant de la beauté du monde et fils de la terreur du monde et fille de l’amour du monde et fils de la douleur du monde, enfant de l’avenir du monde et fils de la mort du monde et fille des aurores…

 

 

 

 

Bonjour

 

je dis bonjour

je dis bonjour, je dis merci, ou s’il-vous-plaît, excusez-moi, je dis au-revoir

ce n’est pas que je sois poli, ça voudrait dire frotté au papier de verre

non merci, excusez-moi, pas ça !

non, c’est par provocation

c’est pour pousser l’autre, en souriant, à montrer son visage, celui du dimanche

j’aime les visages des gens, leur visage du dimanche même un lundi

c’est beau

 

 

 

 

Chanter

 

il s’était remis à chanter

l’ombre s’était retirée

il chantait

 

c’est ainsi qu’on s’éveille

tourne la terre

au matin nouveau

 

pourtant c’était la guerre

il chantait

le cœur ouvert

 

on ne peut attendre

vienne ce jour

la fin des crimes

 

vienne un chant nouveau

de ces ruines 

qui serait amoureux ?

 

 

 

 

Autre

 

mais bien sûr il fallait que nous changions de monde

à défaut de changer 

 

on a toujours besoin d’un autre monde à faire

alors on l’imagine

 

et quand il nous arrive il est déjà caduc

s’il n’est pas malfaisant

 

il faudrait il faudrait qu’un autre monde existe

par lui-même et pour nous

 

pourquoi faut-il toujours que celui qu’on nous montre

soit celui des puissants

 

un autre nouveau monde où les gens compteraient

et qui ferait vibrer

 

 

 

 

Le banc

 

à cet endroit de la colline

le chemin sortait des bois

dans la douceur des vents

on voyait là toute la plaine

 

on a fini par oublier l’accord

celui de la terre et de l’homme

un long travail

pour un paysage de paix

 

et je repense à ce banc

un homme, un paysan

il avait installé un banc

d’où contempler la plaine

 

cet homme est mort

reste le banc, reste la plaine

reste le regard de paix

le souvenir du cœur des hommes

 

 

 

 

Matin

 

avancer sur le sentier

soleil aigrelet de novembre

entre vigne et taillis

au vert de l’yeuse

 

au loin l’église

au sommet du village

sa cloche tinte, perdue

qui ne parle plus

 

vers nous le jour avance

écouter

ce monde là, autour

vibrer du bruissement du monde

 

un souffle passe

passe un oiseau

 

 

 

 

Guerre

 

là se révèle d’où vient le sang

feu qui n’est pas tombé du ciel

mais qui monte vers le ciel

vue d’une terre en sang

 

demain viendra le sang

tout au loin se voit le ciel

le sang atteindra-t-il le ciel

le ciel s’abreuve-t-il du sang

 

en nos jambes cuit ainsi le sang

jusqu’à nos cœurs il monte au ciel

viendra-t-il un arc-en-ciel

circulerait le sang

 

 

 

 

Chien andalou*

                                         * clin d’œil à Buñuel

 

aucun doute c’est un chien

une chienne 

elle trotte seule vers on ne sait où

 

pas de maître

aucun humain 

pas de collier, de laisse abandonnée, rien

 

son poil est bleu

naturellement bleu de lune bleue

soir pâle, brume de nuit

 

la chienne furtive envoyée de la mort

qui court sans se lasser   

imperceptible au vrai dans le paysage

 

elle sait  

elle va vers où, s’en va vers qui elle va

tu n’as pas à le savoir

 

 

 

 

Source

 

vient le mot source

et le mot cristalline

et ce mystère

que l’eau me vienne

s’appelle toi

 

et son nom véritable

qui soigne tout

on ne sait d’où

mais tu le sais

s’appelle toi

 

et l’eau qui sourd

source de joie

du très profond

du long désir 

s’appelle toi

 

 

 

 

L’île aux oiseaux

 

il y a dans cette île 

tant de choses inutiles

que les humains aimaient

et délaissaient

sous les arbres de jais

et le maître des nids

loin tout là-haut

 

comme un enfant

je te parlais de lui

aux ailes lamées d’or

à l’œil de flamme aiguë

au long manteau de pourpre

plumes du soir

il te regarde

 

cette île

est celle des esprits

maîtres des vents et des pluies

on en revient salé

sorti des nids de conque

comme habité de mer

jeté vers les nuages

 

 

 

 

Visage

 

ce qui chante

en moi

n’est pas mien

fil de joie

que j’avais demandé

 

venu de loin

ce cœur d’enfant

ennuie les gens        

cheveu blanc

et sang rouge

 

ce sourire

ne dit rien

sauf en dedans 

visage sans valise

murmurant 

 

 

 

 

Songe

 

la nuit

viennent des rêves qui ne sont plus des rêves

des rêves qui enseignent

et qui disent

et vous mènent au vrai

là où tu ne voulais pas aller

 

ce sont des songes

fleurs accomplies

et le don est en elles

gratitude et tristesse

ainsi que joie

car ce qui vient en songe accorde le pardon

 

 

 

 

Bip

 

c’est la nuit 

et aux bois d’alentour

un oiseau fait appel à sa belle

patiemment

 

il n’est pas grand musicien

elle non plus sans doute

il ne lui intime qu’un bip

répété répété 

 

alors elle vient

à moins qu’elle ne se lasse

et s’en aille chasser

une autre fois peut-être

 

j’aime la nuit

l’oiseau qui ne se lasse

le souffle qui le porte

et la vie à voix basse

 

 

 

 

Danse du sable et de l’eau

 

je lève les mains, je touche le sable

je danse

ô ciel immense

je bois la vague, enfance

infatigable

 

je suis le fils, l’enfant de l’eau c’est moi

ma mère

enfance amère

me noie, elle m’aère

il pleut là-haut

 

il n’est de ciel que d’eau, danserez-vous

en transe

le sel m’encense

le ciel, chaude présence

se mouille à nous

 

 

 

 

Chante !

 

rien n’est plus beau

que les chants de la douleur humaine

plus encore que les chants du bonheur

 

rien n’est plus beau

que les chansons qui consolent au soir

que les refrains qui réchauffent les âmes

 

rien n’est plus beau

que les péans des combattants qui sauvent

et les regards de paix des survivants

 

chante, toi qui pleures

afin que ce monde perdu s’émeuve

et que l’humain s’éveille un clair matin

 

 

 

 

Regret

 

des étés on en a vu

des beaux ciels à bébé

des marie-couche-toi-là

sorties des roses

étés à la demande

oubli des vents d’ailleurs

 

souviens-toi mon amour

tu n’aimais pas cela

non

ni les hivers à dents noires

à cheveux de varech

leur neige même en gris

 

on aurait dû l’inventer

le printemps

il n’aurait pas dit non

ni l’automne en casquette

tiens

on aurait eu les temps

 

 

 

 

Parabole du platane 

 

une allée de platanes

des deux côtés

alignés tous les dix mètres

comme font les humains

mécaniques

 

mais sous terre tout du long

deux chaînes de racines liées

et d’un côté à l’autre

d’arbre en arbre

ce même lien

 

pour les platanes la vie

est ce lien

un seul arbre enfoui 

et mille expériences feuillues

qui prennent aussi l’air

 

 

 

 

Caillou

 

il marche avec sa tête

il marche dans sa tête

pleine d’images

 

et ses jambes s’oublient

et ses pieds

et s’il trébuche où ira-t-on ?

 

pense à tes pieds 

à ce méchant caillou

celui qui roule

 

et si tu tombes où s’en iront

mortes en chemin

en tête les images ? 

 

de quel ventre inventif

de quel désir

est sorti ton chemin ?

 

 

 

 

Nuées

 

le sol ne tient plus

la maison se disloque

fissures puis lézardes

ouvertures hagardes

dans les combles du vent

 

venu le temps

où l’osier est plus sûr

l’herbe tendre au pied nu !

veiller au scarabée

et entrer dans les arbres

 

comment se cacher

entre les nuées

les ciels d’améthyste ? 

déshabités

dans l’immensité

 

 

 

 

Qui tient

 

du fruit

la pulpe fait plaisir

ou bien rebute

c’est le noyau qui tient

 

aussi la chair

que l’on caresse

ou que l’on blesse

le dur qui tient c’est l’os

 

l’âme qui tient

 

 

 

 

Randonnée

 

il a plu ce jour

de la boue sur les talons

bienheureux le vent

 

sorti de la ville

on frissonne sous la pluie

averse choisie

 

une pluie d’été

l’estomac dans les talons

vienne une accalmie

 

tiens ça dégringole

longue marche au ciel trempé

repas chaud ce soir

 

 

 

 

Départ

 

à peine avais-je pour toujours abandonné la maison

elle s’est lézardée

elle s’est lâchée

 

à peine avais-je pour toujours dit adieu au grand cèdre

il s’est effondré

lui que j’aimais

 

à peine avais-je tourné les pieds qu’ils ont dû m’en vouloir

et finir d’espérer

je m’en allais

 

 

 

 

Canicule

 

entre deux murs une venelle

à l’ombre déjà

et une chaise à dessein postée là

chaleur tout autour

comme une huile de vidange

épaisse, lourde et noire

 

mais là un souffle

comme la main d’une amante

frais et ténu et qui suffit

contre toutes les fournaises

une assise là

et juste un souffle

 

passé entre deux murs

je n’avais plus soif

frais comme une éponge d’autrefois

et bien allant

comme un grand vent de mer

pour marcher

 

 

 

 

En ce temps-là

 

Il y a longtemps de cela

il était là

tu ne le savais pas

 

En ce temps-là tous les boiteux

les estropiés les malheureux

les paralysés, les lépreux

les aveugles et les gâteux

tous ces gars-là venaient à lui

ils repartaient sains et guéris

 

En ce temps-là les pauvres filles

filles de joie comme on disait

pleuraient les larmes de leur corps

leur corps vendu et profané

redevenu digne d’amour

redevenu temple de Dieu

 

Et les acheteurs et les vendeurs

les raisonneurs

lui ont pas pardonné

 

 

 

 

La joie

 

il cherchait la joie, la demandait

il le sait maintenant

elle n’apparaît qu’en des instants fugaces

mais vrais

comme l’imprévu d’un hiatus 

un temps d’entre deux temps

(les temps pouvant se disjoindre)

 

tu marchais

l’air t’enveloppait, te frôlait

devenu souffle, se faisant brise

et là tu t’arrêtes

les arbres sont des arbres, les fleurs des fleurs

et tu t’arrêtes

 

la joie en moi

en un pur apaisement

la poitrine exultant

reconnaissant

ne sachant que faire d’autre que rire

les oiseaux se taisant

puis je repars enveloppé du vent

 

 

 

 

La poésie s’est envolée

 

« Quand le Divin a fini de parler dans l’Écriture,

la poésie commence. »

Erri de Luca

 

il arrive que la poésie se taise, honteuse

elle n’avait pas entendu ce que disait le maître

elle n’avait pas écouté, elle restait coite

toute rouge

avec ses nattes bien serrées pourtant

son petit col amidonné

son tablier rose et ses socquettes blanches

ses souliers cirés bien noués

 

vous me ferez cent lignes avait dit le maître

cent lignes ce n’est pas de la poésie, c’est du recopiage

la poésie s’est sauvée

avec ses ailes amidonnées, son luth aux cordes rouges

à force d’être pincées

et ses pieds de iambes entrecroisés

ses histoires à rire et à pleurer

la poésie s’est envolée

 

toute la classe a respiré, partie la petite bêcheuse

pour qui se prenait-elle

chouchoutée par le maître avec ses airs de sainte-nitouche

on allait pouvoir travailler

sérieusement s’emmerder, le crayon mâchonné

mais on avait oublié le poème

rêvant au fond, près de la fenêtre, de l’encre sur les doigts

cheveux embroussaillés

 

 

 

 

Évêques

 

dans le ciel bleu bleu bleu

quelques nuages blancs 

le vent est leur maître, ils ne sont que vapeur

c’est pourquoi je les aime

on a toujours raison de contempler là-haut

ces avaleurs de vent sur la mer translucide

 

ils nous parlent de pluies promises pour plus loin

le souffle qui les mène les sculpte par instants

transformés en troupeau comme brebis fantômes

en armée démunie, en nuées assombries

en bêtes malfaisantes, en ombres maudissantes

(le vol de l’hirondelle effrange alors la cime des forêts)

 

humains aussi parfois, nuages effigies transmués en gisants

longs évêques allongés s’avançant pieds devant

la mitre effilochée

austères, en partance vers les prairies célestes

monde mouvant

quand un coup de vent les transforme en serpents

en dragons bénissant

chimères au-dessus de nos têtes rêveuses 

 

ombres éphémères s’en allant

ainsi peut-être les gens

 

 

 

 

Chaînons

 

la chaîne faite par orfèvre

ses chaînons peuvent s’ignorer

étrangers l’un à l’autre

la chaîne même ronde

n’a-t-elle pas de sens ?

 

mes jours te portent

et chacun d’eux t’ignore

dispersés par le vent

l’odeur du lien demeure

avant de s’évanouir

 

un matin l’on s’éveille

sentant l’odeur étrangère

on l’imagine toute à soi

c’est le rêve de la nuit

c’est ton souffle de la veille

 

 

 

 

Samedi matin

 

Samedi matin assez tôt j’ouvre les volets

la place est calme, pas un bruit hors le bruissement des platanes

comme disait un homme arrivé trop tôt, le monde il est pas

 

au fond, entre la poste et l’école, un grand espace est libre

la route le longe,  puis le moutonnement des bois s’attaque à la colline

au loin, tout en haut, maître des lieux, un if

 

sur la route, de gauche à droite passe un humain

il disparaît derrière l’école 

puis un corbeau, de droite à gauche, vers la poste

 

tous les volets sont fermés

passe un moment, une porte s’ouvre

une jeune femme, son chien tenu en laisse, traverse la place en silence

 

impavide, là-haut, se tient déjà le soleil

côté cour, côté de l’ombre sur les murs

c’est du côté jardin que viendra le soir, journée passée

 

je sortais de la nuit et voici que j’y vais, le temps d’un tour

samedi traversé, bienheureux jour de vide et de silence

demain c’est le dimanche

 

 

 

 

Rébecca

 

Celle qui me donnera l’eau

disait-il sera celle

que mon seigneur envoie chercher

pourvu qu’elle soit belle !

  Voici l’Esprit

                                                                                                                         

Vers elle un jour ira le fils

et se voilera-t-elle

émue de le voir approcher ?

Je la devine telle

  Voici l’Esprit

 

À la source le messager

lui dira « Demoiselle

le maître veut une épousée

et c’est toi que j’appelle ! »

  Voici l’Esprit

 

Ma mère il faut que je m’en aille

j’entends battre les ailes

du vent d’ailleurs à me toucher

mon cœur à lui se mêle

  Voici l’Esprit

 

Je fus à la claire fontaine

à la source fidèle

et ne saurais me détacher

de la soif qui vient d’elle

  Tel va l’Esprit

 

 

 

 

Jour

 

il y eut un jour

il en est peu dans une vie

longue soit la vie

un seul parfois

 

il y eut ces jours

où se mirent en place

en place toutes choses

et t’enrôlèrent

 

il y eut le jour

où s’enroulèrent

comme un ballot de nippes

tous les parcours

 

en un tel jour

tu ne vois pas la sente

en l’ombre devant toi

où tu marches pourtant

 

en certains  jours

où se presse la fin

se tresse de tous les brins

rien n’importe enfin

 

au demi-jour

après voilages et feuillages

tu peux apercevoir

un visage

 

venant au jour

l’espace enfin devient séjour

ainsi vas-tu

pourquoi broncherais-tu

 

 

 

 

L’étrange

                                   à Rafilipo

 

il riait comme un cheval

les dames se retournaient

 

j’aimais cet homme étrange

pareil aux vieux poèmes

 

quand les morts lui parlaient

quand il parlait aux morts

 

les os se retournaient

dans les tombeaux de pierre

 

il disait des secrets

dans sa langue inventée

 

les femmes caressaient

lissaient son crâne d’os

 

et pour les oiseaux du ciel

son épaule était amie

 

 

 

 

Au front

 

au front aucun doute

dans cette boue humaine

et ce vacarme humain

dans la sanie humaine

sous les bombes mortelles 

le courage fou des humains

la folle peur des humains

leur frénésie

disent tout de l’humain

l’humain

privé de son amour

 

 

 

 

Chœur

         À Míkis Theodorákis, i.m.

 

il est un chant qui monte dans la rue

qui l’entend pourra s’en émouvoir

et ton cœur sait bien qui le chante

 

dans le noir une voix s’est levée  

qui l’écoute pourrait pleurer de honte

c’est ton frère et tu l’entends chanter

 

dans le ventre des gueux il est une chanson

dans leurs jambes se meut une danse 

dans leurs mains se glissent des barreaux

 

où est-il, ma mère, cet oiseau rouge et noir

qui planait au-dessus des eaux ?

où est allé le souvenir des hommes ?

 

 

 

 

Mon ombre

 

je dois vous dire que la nuit

je le sais, mon ombre disparaît

comment reconnaître alors

où se tient mon soleil ?

 

je sais pourquoi, la nuit

enfant j’avais peur du noir

pas d’ombre sans lueur

sans l’ombre quel espoir ?

 

la nuit plus de repère

disparue ma profondeur 

sans l’ombre comment croire

qui règne en ma nuit noire ?

 

 

 

 

Serait-ce un peu

 

mais si je devais vivre encore

serait-ce un peu

ne parlant guère du passé

comme font les vieux

je raconterai je dirai

les beautés des moments à venir

au-delà du malheur

plus loin que la peur

                                           

je dirai les matins en gloire

les soirs de paix fragile

les garçons et les filles

pour chanter leurs amours

après toute laideur

 

plus loin que les tueries

au-delà des offenses

je dirai la beauté  

dans l’odeur du jasmin

la salure de la mer

les délices de la peau

le chant des grandes eaux

la danse des moineaux

 

je ne dirai du passé

que le courage des humains

l’amour des miens

et pour le temps qui vient

le bonheur têtu de vivre

 

 

 

 

Les trous et les éclats

 

la robe de l’angelesse était pleine de trous

robe que les étoiles, les soleils ont ruinée à l’usage 

les puissances

elle qui détenait en ses mains en sa bouche et son cœur

les mille et une justesses semées au jour le jour

nuits et matins lourds

 

mais elle a dit

 

pour filles et garçons, pour les hommes, les femmes

cœurs sans ruse, aux mains de cuir tanné

mains au lavoir ébouillantées

souliers lourds, cannes familières, mouvants dentiers

têtes lourdes enrubannées de soucis, de graves pensées

 

elle a dit l’amour

dans leur ventre mis l’espoir, attente rude, fier regard

par les éclats de sa robe, éclats d’un monde heureux

pour eux

 

de là le courage 

 

 

 

 

Pâques

 

Une porte est ouverte

le monde n’est pas fini, l’univers n’est pas clos.

Imaginez une existence avec une porte ouverte à l’intérieur...

 

Vous êtes à l’entrée, juste au seuil

aventure inouïe d’une vie autre

découverte des ailleurs

 

– Je fais du neuf, dit Dieu, je vais plus loin

je dis oui à l’aventure, je dis oui à la bonté, je dis oui à la beauté

oui à la justesse, à l’élégance de la vie

je dis oui au combat !

 

 

 

 

Leurs savoirs

 

commande commandera

ce sont les messieurs

leur savoir et leurs sous

chacun le sait depuis l’enfance

et au-delà

 

le savent hommes et femmes

avec leurs mains et leur savoir

leur infini courage

leur colère concentrée

tout en dedans

 

 

 

 

Le soldat et sa fleur

 

Le soldat était sale     couché dans la boue

il tenait chaud à la terre     elle dégelait

il était là depuis longtemps     sans bouger

la boue rougissait     il saignait     le sang coulait

un éclat dans la cuisse     plaie ouverte

il s’enfonçait dans cette soupe de terre noire

boueuse     et de glace fondue et de sang

 

le plus souvent il dormait     il somnolait  

sans souffrir     le froid l’en protégeait

un rêve le tenait éveillé     même à moitié

le rêve d’une fleur émergeant de la boue

à demi gelée     vivante     crasseuse et flétrie

d’autres aussi     un peu plus loin     éparses

la fleur était proche de sa main     une main 

rougie de froid et de sang     à demi gelée

et la fleur était bleue     d’un bleu tendre et terne

un bleu-roi de ciel ouvert     sous un ciel mort

 

le blessé cherchait dans sa mémoire

il voulait se souvenir du nom de cette fleur

il se disait     quand je l’aurai trouvé je mourrai

trop fatigué    tranquillement je partirai

tout était clair dans son rêve de fleur perdue

puis il s’est éveillé     non     il n’avait pas rêvé

la fleur bleu délavé était là     à sa main

elle n’avait pas disparu     et son nom     bleuet 

 

les sauveteurs sont arrivés     ils se sont évertués   

ils ont écrasé la fleur     alors il est mort 

 

 

 

 

Ritournelle

 

La Lulu

n’a pas bu

l’eau du ru

y en a plus !

 

et Josette

l’a perçu

menues bêtes ?

disparues !

 

Janicot

s’est émue

d’asticot

y en a plus !

 

Isabeau

est déçue

les moineaux ?

disparus !

 

Jeanneton

n’a pas vu

d’hanneton

y en a plus !

 

Marylou

l’a pas su

le hibou ?

disparu !

 

À Margot

n’a paru

d’escargot

y en a plus !

 

Jacqueline

t’as pas chu

sur l’hermine

disparue

 

Émilie

a voulu

voir la pie

y en a plus !

 

pour Mireille

c’est foutu

les abeilles

disparues

 

 

Ah la la ! le sais-tu ?

tout cela ? c’est perdu !

 

 

 

 

Le sabot du cerf (cinq dires)

 

comme le monde en marche, allant

laisse un temps jouer sa roue

pour qui l’écoute

 

ainsi avance le poème

silence percé de trous

 

 

visage rond

qui n’est que rond

visage long

qui n’est que long

 

                                                                            qui dira l’or

                                                                            caché au fond ?

 

 

c’est le silence

comme une nuit, comme une paix

 

quand cesse le silence

reste un voile sur le monde qui bruit

 

le monde existe

 

 

en mouvement est le poème

fermé ou non sur soi

 

comme le monde

troué ici ou là

 

 

le cerf n’a pas besoin de voir

où son sabot se pose

il le sait

 

au monde

que de mystères !

 

 

 

 

Le mensonge

 

qui es-tu, on me demande

si je voulais je ferais comme les autres

je mentirais

je dirais qui je suis pour les gens

nom prénom date et lieu de naissance

ça suffirait

 

là ne se tient pas le mensonge

mais plus profond

qui règne dans le silence et l’oubli

dans ce qu’on ne peut pas dire

il se tient à ton insu

dans l’indicible et l’impensé

 

quelle importance ?

il ne te revient pas de te nommer

en vérité

car plus profond encore

et plus avant

un autre s’en occupe

 

 

 

 

À Magdala

 

Possédée

elle se souvient de tout

s’est toujours souvenue

amour jamais effacé

pourtant brusquement arrêté

 

c’est lui qui l’a laissée

abandonnée pour suivre son chemin

mourir à cet amour

et quand il est revenu il ne l’a pas touchée

elle n’a pas reçu la grâce d’un baiser

 

se reverront-ils ?

est-il heureux de son attente ?

elle se le demande

tant de démons le lui demandent

viendra-t-il seulement ?

elle attend 


 

 

 

Dix bulles au hasard

 

chemin de terre choisi

courir souffle rendu

pour aller où ?

 

                                             tu occupes le terrain

                                             l’indigo du ciel tourne au mauve

                                             toi tu parles

 

restent les mésanges

les autres ont foutu le camp

les oiseaux

 

                                             éviter les rues

                                             prendre les venelles furtives

                                             on s’y rencontre sans faire exprès

 

sous ce grand soleil

il fait très froid

comment faire confiance ?

 

                                             quand hier devient demain

                                             que d’ennui

                                             mais l’amour éveille encore

 

en vélo il tire un cheval

avec une corde

le cheval imagine l’inverse

 

                                             on ne meurt pas pour une cause

                                             mais pour des gens

                                             arrivé là

 

prendre son temps

chaque pierre tombe à l’eau

autant qu’elle éclabousse !

 

                                             on a tout dit de tout cela

                                             de plus encore

                                             j’en tire ici un résumé succinct

 

 

 

 

Religion

 

les belles choses

aux yeux des gens ont du prix

et les violents s’en emparent

recherchant le prix sans saisir la chose

mais l’ayant investie ils font d’elle

ce qu’ils valent, la violence et le mal

et parfois même la beauté du mal

mais le pauvre cherche la chose

sans prix

 

 

 

 

Dieu ma voie 

 

ma voie justement n’est pas la mienne

elle est un flux, un courant

 

avançant je me démène dedans

ou reculant

 

un courant qui traverse les mouvances

des univers, des temps

 

un flux dont l’origine se perd dans l’hier

et la visée, demain

 

me suis-je mis dedans, m’y a-t-on mis

j’y nage, pas content, content

 

à l’aise pourtant

mêlé aux croisements des temps

 

et je dis à ma voie, veux-tu rallier

un jour un océan de paix ?

 

je crois qu’elle s’y efforce en son désir

elle que je crois désir

 

mais elle ne répond pas

mon chemin aime qu’on le devine

 

 

 

 

Non

 

au petit détour du matin

j’ai toujours su qu’en moi

un noyau lourd et dur

disait non

 

noyau de paroles dites mortes

où des voix très chères

des voix très proches

disaient non

 

au soir je les ai retrouvées

miennes autant que la mienne

contrepoint de chaque heure

disant non

 

et je m’entends parfois

dire leurs mots qui sont miens

car un oui de pure vie

dit ce non

 

 

 

 

Il a faim

 

il a faim

je dois dire

il faut partir de là

 

il s’agit de l’humain

de tout l’humain

il a faim

 

faim de pain

aussi faim de rire

l’œil rouge de vin

 

et faim d’amour

homme et femme

faim de joie

 

il a faim l’humain

faim de paix

et d’amitié

 

faim d’œuvres à créer

faim de travail

et de beauté

 

et je dois dire

faim de sens

pour être vrai

 

faim de pourquoi

moi l’humain

et de réponse 

 

besoin d’un chemin

d’une voie pour aller

avancer

 

et que roulent

comme un torrent

et justice et justesse

 

 

 

 

L’orage

 

ici assez d’eau

notre bouche est amère

bienvenu soit le temps de la fête

 

venu l’orage, le grand, venue la pluie

passé le vent, allé plus loin

un peu d’eau coule encore

 

l’orage a filé vers son maître

le fleuve appelle à sa bise

le fleuve a crié vers le vent

 

l’eau du bas s’assoiffe vers l’en-haut

le ciel la couvre

chiens du haut, filez

 

danserons-nous, aimerons-nous

mangerons-nous et boirons-nous ?

on dit les yeux du messie rouges de vin

 

 

 

 

Ouverture

 

tenez, dit Dieu, ce n’est pas tant l’année

qui s’ouvre

mais peut-être vos yeux et peut-être vos mains

et tenez, votre cœur, même

et vos entrailles

 

et si m’en croyez, alors vous verrez

vous serez étonnés

moi-même je suis étonné, dit Dieu

quand je vois la bonté, et la beauté, et l’amitié

et l’aménité sur l’année

 

le mal, ça ne m’étonne pas

ni la brutalité, ni la méchanceté, ni la cruauté

non, mais la rose sur le fumier

elle m’étonne, tenez

elle me fait pleurer

 

 

 

 

Choisir

 

sans pathos

de façon très pratique, s’aimer

 

 

l’année, direz-vous, fut mauvaise

qui s’en va

je vois plutôt que cette année

nous montra

ce qui se tiendra devant nous

qui viendra

et qui n’a fait que commencer

 

 

quand sont mis

devant eux la mort et la vie 

les humains

choisiront-ils la mort demain 

ou s’aimer

 

 

 

 

Je suis venu

 

tu attends que je vienne ?

je suis venu

avance toi vers moi

ta vie est dans la mienne

 

je suis venu

pour toi, pour l’univers

espère-moi

je viens, ne le sais-tu ?

 

le temps de ma présence

de mon absence

de ma venue

font un seul temps de vie

 

je viens encore en toi

je suis venu

ces deux fois n’en font qu’une 

à venir comme advenu   

 

avance encore, avance

tu vas vers l’inconnu

tu vas me trouver nu

je suis venu

 

 

 

 

Devenu vieux

 

ne cherchez pas

c’est une guêpe aiguë

elle pique comme on mord

rien d’autre, un remord

un regret vous agresse

mauvaise pensée triste

et noire une aile passe

un corbeau, un mainate

rabâche vos méfaits

une ombre survenue

les efface sans hâte

devenu vieux

 

 

 

 

Un qui passe

 

un étranger sur le chemin

un autre que les autres

est passé tout à l’heure

 

or voici que j’aime

ceux qui passent

 

homme, où vas-tu danser

quel bal, au bout de ce chemin

quelle aventure ?

 

rester ici le cœur me pèse

il faut que j’aille un peu plus loin

 

je veux le vent, je veux le large

je veux braver l’immensité

fut-ce la noire immensité

 

dans les abîmes pour m’ancrer

aucun bateau n’est au mouillage

 

qui lui rendra ce que lui-même

aura perdu ?

 

 

 

 

Aller

 

mon corps est un tamis que traversent les ondes

mon cœur est un foulard que transpercent les vents

 

et trembler, frissonner, tu vois filer ma vie

 

mon corps est un taillis que les gelées parcourent

mon cœur est un hallier que les bises rebroussent

 

mais chanter, fredonner, tu allèges ma vie

 

mon corps est un estran que les noroîts survolent 

mon cœur est un hiver que les printemps délivrent 

 

s’abandonner, aller, tu fais vibrer ma vie

 

 

 

 

Tu te tais

 

entre toutes les rapidités

les fureurs, les fracas

affolements de foules effrayées

ou rires exagérés

trombes ou traversées de foules

 

tu te glisses

tu es la couleur du silence

 

interstices de peurs

intermittentes colères exténuées

rages et tendresses cependant

souffle des soulèvements

misères

 

tu vas sans bruit

est-il important que l’on t’ignore ?

 

 

 

 

tel quel

 

au fond, ça marche tout seul

ce truc-là, la poésie

suffit d’écouter le silence

la nuit

 

en toi, le silence, faut dire

n’existe pas

ça n’arrête pas de parler, là-dedans

 

alors si tu écoutes bien

tu en apprendras, des choses

que tu ne savais pas

de toi

 

que tu ne peux dire

aussi

tant il en est

du monde et de là-bas

 

 

 

 

Impoli

 

j’ai déjà vu un ovni, si si

et rencontré un ange aussi

 

faits réels à ne pas dire

choses qui font sourire

 

car l’inconnu dans la maison

fait sourciller la raison

 

 

 

 

Dans le noir

 

cette nuit-là, dans l’ombre 

j’ai discerné la rougeur d’un tison

la crête rouge de l’oiseau du matin

brasillant dans le noir

 

crois-tu vraiment, m’a-t-on dit

voir autre chose que la nuit

au travers de l’obscur et après lui ?

sombre est le monde où tu vis !

 

j’ai dit non, il me faut 

avant toute lueur mensongère

percevoir dans le noir

la crête rouge de l’amour et de l’espoir

 

car il se peut que les yeux agrandis

les yeux noirs des enfants de la nuit

des enfants à l’avenir volé

annoncent des vies étoilées

 

que leur mère leur apprenne

le sourire après la peine

et que l’humain soit promesse

un peu serait-ce

 

 

 

 

Non

Réformation

 

tu dis non comme un fusil

tu dis non

tu cloues sur le mur le Non de ta jeunesse

tu colles sur le mur l’affiche de ta jeunesse

on te dit viens tu dis non

on te dit que valent et que vaudront

tes brèves vérités contre le vrai

bonheur d’être ensemble et tu dis non

homme libre tu dis non

l’amour d’un Seul est ta raison  

 

in memoriam Martin Luther

 

 

 

 

Ainsi parfois

 

ainsi parfois le vent se lève

et le mot vie se pose sur ta bouche

mot de feu

 

les temps remuent, les esprit bougent

les ifs du jardin en vivants se muent 

plus de tombes

 

là tout se met en mouvement

comme les mois et les années qui passent

et les jours

 

et tous ont à cœur de parler

aussi tous les mots et toutes les phrases

les oracles

 

ainsi parfois souffle un esprit

et la poitrine et le cœur se dilatent

vient le jour

 

 

 

 

Plongées

 

un jour peut-être, un autre jour

nous aborderons la lèvre des lacs noirs

et nous camperons là comme on campe

pour avoir été chassé d’un ailleurs

 

au bord des lacs noirs avant d’y plonger

nous allumerons des feux et nos visages

rougis par le feu de l’amitié se contempleront

dans la chaleur d’un sourire

 

toujours à nous se rappellera ce moment

où nous nous aimions au bord des lacs noirs

avant d’entrer vers l’inconnu

dans le dénuement, la nudité de l’amitié

 

notre souvenir, caduc, aura-t-il disparu

ou bien sur l’autre rive des lacs noirs

sortirons-nous lavés après longtemps

pour tant d’autres aventures ?

 

 

 

 

Rêve de marche

 

J’étais assis sur le pas d’une porte

je regardais passer les gens   

leur mot d’ordre était ″colère″ 

les maisons bâties en paix

semblaient courroucées, volets fermés 

et les gens qui passaient me regardaient fâchés 

leur regard me disait marchons marchons 

ils ne dansaient pas de joie

contents de marcher ensemble

le cœur en joie

non ils m’en voulaient

je ne répétais pas leurs dires de marche pour aller où ?

et comme ils ne savaient pas où aller pour marcher marcher

ils ont compris

c’était contre moi qui ne marchait pas

qu’il fallait se tourner

et ils se sont massés devant moi

qui étais assis sur le pas d’une porte car j’avais mal aux pieds

et qui les regardais passer

et ils m’ont tué

soulagés

 

 

 

 

Mon amour s’est levé

19/09

 

lève-toi

mon amour s’est levé

mon amour est devant

 

les injustes ont crié

ils ont maudit

levé la main

 

souris

ouvre ta main

 

sur leur fer

sur leur colère

laisse couler les larmes

 

regarde leurs visages

c'est nous peut-être

 

avance

nul n’est exempt de haine

nous sommes aussi ceux-là

 

que sa ville ne te charme

il n'y est pas

 

il s'en est allé

les royaumes écroulés

il vivra

 

il a su tuer en lui

la force du combat

 

 

 

 

Par la fenêtre

 

je suis assis, j’écris

je lève la tête, je regarde par la fenêtre

elle est grand ouverte

 

elle cadre un espace étranger

une autre réalité 

un dehors

 

on voit loin, au-delà des maisons

on voit les arbres, vie multiple

platanes, mûriers ou fayards élancés

 

et plus loin, dans un effet de brume

comme un voile léger

les collines, brousse mouvementée

 

elles vont loin

mais plus vaste est le ciel

autre monde encore 

 

rarement traversé, rarement peuplé

habité de quelques nuées

un autre monde

 

et toi, où es-tu ?

 

 

 

 

Deux rois

 

la légende légère

par les bois par la lande

courait citant deux rois

 

deux rois qui désertèrent

foulant au pied les lois

ainsi dit la légende

 

 

parut un jour un roi

assis dans la poussière

ne parlant que d’effroi

 

parut un jour un roi

qui écrivait par terre

qui renversait la foi

 

on les disait prophètes

ils prédisaient la guerre 

la chute de nos pierres

 

on les chassa sans peine

avant que tout ne vienne

on chassa la défaite

 

ce furent jours de fête

nos murs se relevèrent

la guerre se calma

 

 

ne croyant pas cela

nous écoutions le bruit

le son du cœur qui bat

 

c’est le cœur de la terre

le songe de la nuit

les mots vrais qui libèrent

 

 

 

 

Mariam âgée*

 

j’aime imaginer Mariam

sur une canne courbée

Mariam une vieille femme

voyant mal et dents tombées

 

elle aura vécu longtemps

chez l’ami de son fils mort

il la traite tendrement

lui parle du temps d’alors

 

bien des femmes de son âge

ont vu leur fils crucifié 

et ne seront, quel dommage

comme elle ainsi consolées

 

parfois l’ami lui rappelle

ce qu’il a vécu, et cru

tombeau vide bien réel

et corps vivant qu’il a vu

 

elle le sait et le croit

pourtant, non sans embarras

elle aimerait mieux, ma foi

tenir son fils dans ses bras

 

des rêves l’ont étonnée

car c’est elle qu’elle y voit

jeune, belle et couronnée

l’enfant blond lui semble un roi

 

on ne peut dompter un rêve

se dit-elle un peu gênée

simple bulle à la vie brève

suffit de s’être donnée

 

autrefois elle a dit oui

comme elle était jeune alors

en son cœur elle a enfoui

ce bonheur tel un trésor

 

elle avance vers la mort

elle y pense bien souvent

bienheureuse de son sort

s’être ouverte au dieu vivant

 

* Dans les langues bibliques, hébreu

et grec, Marie se dit Mariam.

 

 

 

 

Le prunier d’Aline

 

le prunier d’Aline

a perdu toutes ses feuilles

couchées dans l’herbe rousse  

on ne sait ce qu’il deviendra

laid tout nu, il ne respire pas

noir écrit dans le ciel du soir

c’est une année, la nôtre, sans avenir

et trouvera-t-il assez de racine

au monde qui vient

un de ces jours à naître

pour repartir

ou devra-t-on l’abattre, se passer des oiseaux

des merles et des moineaux

attirés par ses prunes ainsi que les enfants 

bruissement d’ailes et mille rires vibrants

le prunier d’Aline, il faudra qu’on y pense

le voudrait-on voir reverdir

vie nouvelle, notre monde à venir

et produire, source de plaisir

un nouveau devenir 

 

 

 

 

Sud

 

c’est un village qui a deux mains

sa main fermée se serre sous les pluies

seaux d’eau longtemps jetés à la face des villages

et tu vois que ce pays est clos

 

et toi venant de lieux qui connaissent en la pluie

l’occasion de maisons chaudes

et de flambées et d’alcools

et de longs parlers d’amis

tu vois la rue torrent boueuse et dévalant

rouge comme une plaie d’Égypte

et le village ne sait plus vivre avec les autres

 

perdu le grand témoin là-haut

qui marque en bas les heures d’ombre

les vieux maudissent sous le rideau

 

avec un visage de vent le village vivra

main ouverte et tu verras

sa paume ne veut rien garder mais elle envoie

sa fleur offerte au soleil rebroussée par le vent

à l’odeur bonne

 

 

 

 

Fuite

 

un jour un jour tu diras

enfin te voilà

fini le combat

        j’attends cela

 

j’attends le jour ce jour

où tu m’attendras

des fleurs alentour

            et dans tes bras

 

image naïve il est vrai

carte postale d’anciens jours

amour amour à jamais

            et cœurs lourds

 

j’invente tout cela

je ne sais où j’en suis

tu me manques et voilà

            mon temps s’enfuit

 

 

 

 

Cyprès

 

Il y avait ce lointain jour

un peu de brume entre mes pieds

de la douleur éparse autour

sans se renier

 

Je t’ai portée d’entre mon cœur

au par devant de mes cyprès

et je t’ai dit dans ma douceur

va-t’en d’auprès

 

Tu m’avais dit garde l’amour

alors tu t’étais éloignée

il reste pourtant ce vol sourd

d’oiseaux saignés

 

 

 

 

En marchant

 

marchant bon an mal an

habité de questions

habillé de raisons

j’oublie le vent

 

je porte ainsi le temps

passant inessentiel

sous les oiseaux du ciel 

croisant les gens 

 

et les imaginant

j’invente des histoires

saugrenues, dérisoires

en attendant

 

 

 

 

Le livre des Nombres

 

Je fus un jour jeté

entre quatre étoiles

et cinq comètes

chevelues

je fus un jour jeté.

 

Je fus un jour perdu

parmi deux mille rues

trois mille routes

incongrues

je fus ce jour perdu.

 

Je fus un jour blessé

aux quatre cent trois piques

aux carreaux du chemin

aigus

un jour je fus blessé.

 

Je fus un jour parlé

deux et trois mots

déliés et liés

inconnus

je fus parlé un jour.

 

 

 

 

Plus encore

 

maintenant

ta main tenant

cela que tu tiens

que tu tiens dans ta main

 

tout cela qui est là

à ta main

le monde qui est là

où tu vis

 

tant que tu tiens

jour qui dure

durant, durant le jour 

maintenu trop court

 

allonge-le, allonge

ce jour, hui, trop court

dis alors aujourd’hui

maintenant le jour tenu

 

et plus encore

pour que dure la vie

dis encore

au jour d’aujourd’hui

 

que tu ne meures

 

 

 

 

Le poste de TSF

 

au soir on allumait le poste

chacun faisait silence

pour soi seul

mais ensemble

 

on se tait

on se cache ainsi parfois

ou l’on se relie

tous ensemble

 

un ange passe

moment de profondeur

où chacun s’abolit

mais ensemble

 

poste allumé qu’on se taise

on parlerait

sans se parler au fond

ensemble

 

 

 

 

Dires

 

Si le dire a du sens

il n’est de dire qu’une caresse

il n’est de dire que d’une fleur

il n’est de dire que d’un bon goût  

il n’est de dire que d’un regard

il n’est de dire qu’une écoute

et je n’ai que cinq sens…

 

 

 

 

Comme nous

 

les arbres

par la racine

s’entendent

et se soutiennent

racine vive

 

ainsi s’élèvent-ils

ainsi produisent-ils

allant fouiller

le riche de la terre

 

enracinés trop peu

pris d’enthousiasme

allant trop vite

au premier vent

ils tombent

 

si jeunesse savait

point de chute

si vieillesse pouvait

plein de fruits

l’arbre vit de raison

 

 

 

 

Pâques, chanson

 

le cadavre enterré

dans un jardin tranquille

le corps du mort serré

en des hiers stériles

 

ces jours étaient les pires

y venait affleurer

l’abîme et son empire

venu nous effleurer

 

le mal était plus fort

la vie l’a emporté

le vivant était mort

il marche à nos côtés

 

la pierre qui s’efface

et le mur qu’on franchit

un souffle neuf qui passe

un corps qui s’affranchit

 

il mange mains percées

on voit le coup de lance

il marche pieds troués

devant nous il avance

 

c’était un jour à rire

à ne plus se leurrer

un jour à tout se dire

à rire et à pleurer

 

 

 

 

Le cri

 

au fond de moi le souvenir des bombes

au fond de moi naît le bruit des combats

au fond de moi sont des morts qui s’empilent

 

il faisait beau il faisait chaud c’était l’été

le printemps vient c’est un hiver les gens mouraient

les tués les corps au sol comme des paquets

les oiseaux se taisaient les corbeaux attendaient

 

grincement des chenilles les tanks ont avancé

regarde dans les champs le vert tendre du blé

les chars t’ont labouré la boue t’a dévasté

pas de pain cet été le blé assassiné

 

les femmes sont parties et leurs enfants aussi

un seul resté ici qui regarde a compris

tout ce deuil est le fruit d’un grand amour détruit

 

au fond de lui les pleurs ont resurgi

au fond de toi tu vois l’humain qui gît

au fond de moi le cri

 

 

 

 

Au peuple démuni

 

ce qui est dans ton cœur est plus grand que la mer

c’est pourquoi tu fais peur, ô peuple démuni

à toi-même tu fais peur

car au bout de ta nuit crèvent les veines, coule le sang

quand devant toi le monde devient rouge

quand ton désir est grand

quand tu ouvres les portes à ton envie de vie

à ton rêve, ô nuit

et tu ne sais alors ce que tu enfantes

vers où t’emportait ton ennui

 

chante ô ma nuit quand le rêve se lève

quand se tient près du lit l’esprit qui te veillait

c’est ton plexus qui cède et fait mourir l’angoisse

elle s’évanouit

te voici comme une veste ouverte qui habite le monde

et veut le revêtir

ton désir est un cogneur, et c’est lui qui te frappe

c’est lui qui s’écorche les mains

et s’il t’a mené un jour vers toute justesse  

qui peut le retenir ?

 

 

 

 

La pluie est là

 

au fourmillement des gouttes

sur les toits

tu l’entends

en pluie fine et obstinée

vient le printemps

cette année le voici modeste

faire apparaître d’un coup le renouveau

fleurs et bourgeons

lui serait trop facile

trop m’as-tu-vu

cette année est année de silence

la pluie traverse le fracas des bombes

et sur le sol contourne le sang des morts

ténue

comme un dieu qui se ferait murmure

quand l’ouragan se croit

 

 

 

 

Ma rose

 

mémoire d’une rose

belle que j’admirais

quand tu seras éclose

je te cueillerai

 

quand je suis revenu

ma rose qu’as-tu fait ?

elle avait disparu

elle que j’aimais 

 

et voici le mystère

elle n’est pas à moi

suis-je propriétaire

de la rose au bois ?

 

 

 

 

J’ai vu

                                                                  poème ancien)                                                                 

 

j’ai vu ce que j’ai vu lorsque j’étais enfant

j’ai vu ce que l’humain sait faire des enfants

je sais ce qu’il en est j’ai su ce que c’était

nul ne fera encor que je croie en l’humain

je savais à cinq ans ce qu’il me faut savoir

serais-je en illusion à plus de soixante ans

l’enfance m’a suffi il me reste à durer

tout le reste est travaux pour mesurer l’abîme

pour tenter d’y sauver serait-ce un seul moineau

 

 

 

 

Requiem 9

 

tenez

ils marchent

ils vont vers un exil

ils fuient

droit devant eux

vers une terre d'asile

égypte douloureuse

 

colonne chancelante

des va-nu-pieds

alourdis harcelés

affamés

ils se sauvent

et parmi eux

un couple et un bébé

 

chemin d'amertume

et de danger

quand vagit

quand roucoule

quand rougit de colère

une petite vie

au dos d'une marie

 

et quand oscille

charge dérisoire

sur la tête dure d'un joseph

ce qu'il a pu sauver

que le tueur

le massacreur

a méprisé

 

reviendront-ils

reviendra-t-il

l'enfant d'un avenir ouvert

marchera-t-il

les pieds légers

sur les chemins de pierre

en liberté en vérité

 

faisant le bien

dans le chaos du monde

pour enseigner

les maîtres de la terre

et soigner

le malheur

au cœur des simples gens

 

nul ne le sait

rien ne l'y aide

une simple parole

venue de bien plus loin

le dit pourtant

qu’un jour peut-être

le ciel s'entrouvrira

 

 

 

 

Souffle

 

en traversant le temps

le souffle de la mer

gémira

 

par ces tuyaux d’un orgue

l’air mis en mouvement

chantera

 

la parole en ce vent

la parole instrument

agira

 

je formule ton dire

ma gorge le module

il naîtra

 

ta parole est devant

qui traverse les temps

qui viendra

 

nous sommes l’instrument

ta parole en ce vent

lèvera

 

 

 

 

Bonsoir misère

                                                                    

En hommage à mon ami Patrice Gauthier – Paris, 1974.

Scène vécue de la vie des pauvres : un homme entre ″dans un bistrot pourri du pauvre Paris″ et salue la compagnie par ces mots : ″Bonsoir misère !″

 

Un jour je dessinerai un taureau – tout le monde le reconnaîtra du premier coup – la force de l'habitude

 

bonsoir misère

 

personne ne verra la fausse perspective tellement je l'aurai habilement faite exprès

 

bonsoir misère

 

le plus souvent ce qui saute aux yeux n'est pas remarqué – il est rare celui qui regarde lui-­même

 

bonsoir misère

 

être présent devant un taureau dessiné par un dingue on peut se demander l'importance que ça a

 

bonsoir misère

 

on glisse ce qu'on veut sous les yeux des gens dits ordinaires – s'en aperçoivent pas – d'où la force des escrocs

 

bonsoir misère

 

aussi heureusement la chance des évadés – ça me rappelle le tonneau de vin de Moselle que mon père prisonnier de guerre

 

bonsoir misère

 

avait rentré dans le stalag sous le nez des – beaucoup d'autres histoires du même genre

 

bonsoir misère

 

rappelez‑vous le temps des galoches – et des tabliers noirs – sur ses gardes peut‑être pour vous forcer a devenir plus malins

 

bonsoir misère

 

le bon vieux pédago – il rit dans ses moustaches en racontant comme ses petits malins ont cru le feinter

 

bonsoir misère

 

ce qui leur apprend le mieux la vie – un bon maître qui sait passer pour un vieux con – eux s'ingénient a trouver toujours la parade

 

bonsoir misère

 

rappelez‑vous – l'œil aux aguets sans avoir l'air – pas rater un geste – une attitude en dit long

 

bonsoir misère

 

pour apprendre à vivre c'est l'œil – ne dormir que d'un – pensez à un chat mais tous les animaux – dès tout petit les enfants s’habituent

 

bonsoir misère

 

il y aura toujours des matons pas toujours idiots – rappelez‑vous – le prisonnier a l'avantage sur le gardien

 

bonsoir misère

 

dépasser le stade artisanal – le niveau fabliau – méchant coup en douce isolé ou passager – immoral de réaliser n'importe quoi sans l'utiliser contre

 

bonsoir misère

 

elle vous détruit la société des puissants petits ou grands – n'importe où – toi‑même un puissant con desfois

 

bonsoir misère

 

comme dessiner un taureau – c'est viril – voyez‑moi cette puissance – voyez le genre

 

bonsoir misère

 

une fausse perspective – j'étudie – mon taureau n'est pas exactement image du mâle dominateur – savoir pourquoi

 

bonsoir misère

 

un coup d’œil rapide – type blasé qui joue aux durs – en connaît un bout sur les taureaux – ça n’a l'air de rien

 

bonsoir misère

 

faussez toujours une image – un brin de mou dans une phrase – toujours un défaut minime – ça ait l'air sur pied les temps sont durs

 

bonsoir misère

 

jamais le révolté genre mode – on comprend pas – la préciosité fut toujours proche du pouvoir

 

 

 

 

Des trous

 

des trous dans l’cœur j’en ai eu plein

paf et repaf

mais vous connaissez-ça 

faites-en vous pas

ça reste, on s’habitue

le cœur passoire

avec des trous pas réguliers

des gros, des ptits

on peut bien passer au travers

mais ça fait mal

pas mal de mals

et en passant de l’un à l’autre

oubliez pas la chair qui tient

on est pas les premiers dites-vous bien

c’est ça la vie, des trous, du plein

le cœur qui tient 

le plein qui fait du bien 

un pas, un pas

et ton amour en plein

 

 

 

 

Sample

 

Tu fais le tri

le violent tu le vois agir

 

on me dit de fuir

tel l’oiseau qui s’envole

 

je ne crains nulle tempête

c’est toi que je verrai

quel autre refuge ?

 

 

 

 

Incrustation

 

ce n’est pas dit

tenu celé

cette douleur

 

pas en toi

comme enfermée

car tu l’habites

 

c’est ta maison

en elle tu vas

tu vis en elle

 

qu’est-il ce toi

qui vit là 

tu ne le sais

 

 

 

 

Fête de Tristes-Rois

 

Les rois de la Terre

et les reines du monde

assis sur leur derrière

reposent sur un trône

 

leur trône est un fauteuil

et leur main de justice

tout juste une souris

de plastique

 

et quant à leurs ministres

de grands ordinateurs

tout constellés de chiffres

qui sont des sous

 

richesses qu’ils amassent

à la sueur de nos fronts

de nos cœurs, de nos têtes

aux dépens de nos joies

 

de nos douleurs

de nos amours

qu’ils engrangent

les innocents

 

l’esprit leur manque

l’esprit qui vient

monde nouveau

tel un séisme

 

 

 

 

Passant par là

 

Un promeneur d’éternité passait devant chez moi

ses larges ailes de pensées alourdissaient son pas

il s’arrêta.

 

Homme qui passe et qui au loin s’en va, homme qui va

que dis-tu de la vie, que dis-tu du trépas, dis-moi

de l’au-delà ?

 

Je ne dis mot de ceci, je ne dis mot de cela 

choses que l’on ne dit pas, que l’on garde au fond de soi

jusque là-bas.

 

L’ami, tiens cela tout en toi, fais ta vie pas à pas

un jour tout se découvrira, ce jour te surprendra

tu souriras.

 

 

 

 

Elle pleurait

(Fête des morts)

 

elle pleurait

je lui ai tendu mon mouchoir

il est propre, je lui ai dit

elle a souri

les femmes savent faire deux choses à la fois

elle souriait en pleurant   

 

c’est un mouchoir en tissu à carreaux

du coton véritable

en le voyant elle avait souri

je lui ai dit vous me le rendrez plus tard

je n’aime pas les mouchoirs jetables

c’est du gâchis

 

elle m’a dit merci, elle pleurait 

merci monsieur

je l’ai quittée

bien sûr je n’ai jamais revu mon mouchoir

la vieille femme non plus

on vit de drôles de choses

 

 

 

 

Des saints

(Toussaint, sotie en forme de sonnet)

 

Humain, n’est-on saint que défunt, je le demande

or peut-il exister ici-bas des lions saints

ou des manchots, des moustiques, des limandes

qu’il faudrait célébrer, fleurir pour la toussaint ?

 

Tenez, des humains morts ou des saints animaux,

des morts inoffensifs, des bêtes innocentes,

l’une qui suit sa loi et l’autre ôté des maux,

et l’une et l’autre espèce en tout du mal absentes !

 

Pensons-y pour de bon, considérons les choses :

seuls les humains vivants auraient droit au péché,

à l’erreur qu’on maintient dans l’infamie enclose.

 

Luther l’avait bien dit, on le lit dans sa prose,

rien de plus alarmant qu’un pécheur empêché ;

qu’il pèche, et qu’aux tréfonds c’est la foi nue qu’il ose !

 

 

 

 

Deux silences

 

Où es-tu

où te caches-tu

tout en haut

tout au fond

devant, peut-être ?

Dieu je te cherche

et tu te tais.

 

Et il a dit

C’est moi

moi qui te demande

où tu es.

Depuis toujours

au souffle du jour

et tu te tais.

 

Répondras-tu ?

 

Et j’ai dit

Je suis celui

qui ne sait pas

car la nuit m’environne

car je suis aveuglé

et par ton jour.

Tu me rends muet.

 

 

 

 

Juste comme un atelier

 

atelier bricolé

mais rien de plus, allez

ces poèmes que vous lisez

 

atelier à mitonner

des paroles filées

tout attelé à chantonner

 

vous voici peu sensés

à prendre en vos gésiers

faribole et billevesées  

 

c’est pour vous amuser

c’est pour vous étonner

quelques mots, rien de plus, allez

 

 

 

 

Démente elle ment

 

la bêtise

était devenue mortelle

elle tuait

par million elle tuait

 

fallait briser la langue

la bêtise vivait dedans

elle la portait

devenue la langue

 

la briser une fois

deux fois dix ou cent fois

la tuer l’arracher

comme une dent

 

mais le nerf vit encore

fou de douleur toujours

il ment 

ne veut pas souffrir

 

la langue est folle

démantèlement

que de ruse 

alors pour dire 

 

 

 

 

Seuls les enfants

 

j’attends la pluie, celle qui lave 

la nettoyeuse à petit bruit

la blanchisseuse aux refrains graves

vienne la pluie

 

je l’attendrai en cette nuit

fraîche, tenant  jusqu’au matin

quand tous les feux seront éteints

vienne la pluie

 

la pluie que j’espère en esclave

de tant de liens secs que je fuis

me libérant de leurs entraves

vienne la pluie

 

première goutte qui m’atteint

première perle d’eau qui luit

bonheur, seuls les enfants le savent

vienne la pluie

 

 

 

 

Cinq poèmes brefs

 

Ailleurs

 

À bord diras-tu

hissons les voiles ?

 

pourtant l’oiseau dit moi je reste 

il n’y a pas d’ailleurs

 

Très tôt

 

D’arbre en arbre en arbre

va qu’elle est folle

et survenant toujours

l’aurore qui naît

 

Survol

 

Passent les oies dans l’indigo

un survol

 

semaison et sol rouge

 

Retombée

 

Au plus haut serait la vague

en elle déjà

se joue son avenir

grêlons d’écume

 

Plus loin

 

Un temps vient

loin de nous

 

un rosier que je vois

même avant le temps des feuilles

 

 

 

 

Haïti

 

femme qui crie, qui te regarde

ne te voit pas

ne voit que le cri

le cri qui ne vient pas

femme qui crie sans aucun cri

 

femme pays, ville silence

ville écroulée 

ville poussière 

vacarme qu’on n’entend pas

en ces bras un enfant mort 

 

 

 

 

Présents

 

Alors que je suis vieux mes grands-parents me veillent

depuis la méridienne indienne où ils se tiennent 

assis.

 

Pour eux, au teint vermeil, je ne fais que merveille

avec tous mes boutons, mes cadrans… Ces antennes

ici.

 

À tout moment, et leur étonnement s’éveille,

et leur rire, ou des raisonnements leur viennent

aussi.

 

Ils sont d’un autre temps, pour autant ils surveillent

tant et tant le parcours de la vie qui fut mienne

si, si.

 

Elle me fait les cartes, il pense aux quarts, aux veilles,

il parle de sa guerre. J’aime qu’on s’entretienne

ainsi.

 

 

 

 

Le rêve de durer

 

Oh dans une pomme que de rêve ! non pour durer, du moins pas trop – trop, elle se déferait, sa pulpe éparpillée

 

non, elle accepte de se perdre au temps fixé aux pommes pour tomber

 

le rêve de la pomme est de tomber et se perdre pour toujours en la terre – maternelle

 

chaude – afin que la graine y délivre son avenir de pomme – le rêve de la pomme est dans la graine

 

il est dans le pommier à venir, oh dans un pommier que de rêve ! dix mille graines perdues pour un rêve

 

comme rêve un empire aux morts nombreuses, aux morts nombreux, ceux des guerres à venir, à venir

 

comme rêve un magnat, riche de rêves féconds, aux multitudes vouées par lui à la ruine, perdus

 

 

 

 

Impoli

 

ce qui embête c’est la mort

on ne parle pas d’elle à table

c’est du hors-champ

comme si à l’église

tu pétais dans le silence qui suit la prière

chacun fait comme s’il n’avait rien entendu

comme s’il

était malpoli de dire aux gens

quand vous serez mort

ou même

quand l’humain aura disparu

 

et pourtant…

 

 

 

 

Réunion de famille

 

ceux-là que veulent-ils

qui sont-ils

que disent-ils

 

ceux qui sont là

ceux que je vois

assemblés près de moi

 

venus me voir

venus de loin

venus se rendre compte

 

l’une sourit

dit me voici

je connais ce sourire 

 

me connais-tu

toi nous vois-tu

en cette nuit du monde

 

oui je te vois

tu es ma mère

et lui voici mon père

 

il est venu

avec les siens

tous ceux de son village

 

et les cousins

les siens les miens

leurs outils à la main

 

à leur sueur

à leur labeur

oui je les reconnais

 

je les salue

tous me saluent

je suis de votre monde

 

montre-le-nous

ne nous viens pas

laissant traîner l’ouvrage

 

 

 

 

Ravage

 

laisse la paix te ravager

elle a du travail

en toi

ce qui me fut dit

casser tous tes barrages

blocs de béton aux fers rouillés

 

un lit de ruisseau

limpide

ainsi t’accepteras-tu

laisse-le couler en un murmure ailé

au fond roulent des pierres

d’aurore

 

 

 

 

Quand le chat dort

 

quand le chat dort

c’est la maison qui s’ennuie

elle baille et son haleine s’étend

naît un souffle paisible

 

il sort de la maison

les ouvertures sont amicales

et les oiseaux se rassurent

ceux des bois

 

ils viennent picorer

ils n’ont plus peur de la maison

et le monde respire autour d’elle

même au-dessus d’elle

 

et les oiseaux du ciel, les voyageurs

viennent se poser près d’elle

éclatants de couleurs

sonores d’un chant multiple et doux

 

chant qui réveille le chat

et tous s’enfuient

oiseaux des bois, oiseaux du ciel

et les souris se cachent

 

tous attendent que le chat se rendorme

ou qu’il vieillisse

oiseaux comme souris

sans souci des humains

 

 

 

 

Il y eut un soir

 

méfions-nous du soleil

il ment souvent

tu crois que tout est clair

pense à la nuit cachée

après la lumière

 

noir il y eut un soir 

l’ennui la nuit 

 

je t’aimais et c’est fini

nous n’aurons plus la pluie

ni le vent demain

nous traverserons la nuit

nous tenant la main

 

la nuit l’ennui 

il y eut un soir noir

 

ni toi ni moi ne le savons

si le vent tournera

le jour qui vient n’est pas à faire

il apparaît

il vient je crois

 

 

 

 

Pour Irène Tan

 

fleurs de ciel

sur le papier de l’aquarelle

ciel fragile

 

vie craquelée

venu le vent

tout a séché très vite

 

ainsi cet homme

bouche ouverte qui l’espère 

l’eau du ciel

 

 

 

 

Trouver-clos

sur les maîtres menteurs

faillis

 

I

C’était de la fureur

ici

le règne de la peur

partout

et vous

vous faisiez des promesses

hardis

professeurs d’allégresse.

 

II

C’était le paradis

pour nous

du lundi au lundi

paresse

et qu’est-ce

sinon de vos mensonges

en tout

vous bergers de nos songes.

 

III

Il fallait être fou

altesses

pour voir en vos licous

la longe

qu’allongent

de feintes libertés

largesses

pour croire en vos clartés.

 

IV

Qu’une paille apparaisse

que ronge

tel acide tes liens

et tes

bontés

sans souci de parjure

tu plonges

en hauts-fonds nos voilures.

 

V

Plus amer que l’oronge

jetez

jetez dis-tu l’éponge

et sur

le mur

de castels d’arrogance

plantez

plantez là l’espérance.

 

VI

L’espoir a résisté

murmure

feinte tranquillité

offense

que lance

à nos maîtres d’erreur

la dure

envie d’ôter la peur.

 

VII

Faut-il que la vie dure

si dense

au gré de l’aventure

fureur

et peur

si l’on ne voit où gît

la transe

la danse aux pieds rougis ?

 

 

 

 

Solitude

 

L'enfant dans son jardin

et tu vois son erreur

une à une

il croit nommer les choses

se prévaut d'elles comme un maître et cependant

ressent son impotence

 

Enfance

chemin barré

ton errance derrière la vitre n'est pas heureuse

seul le dira qui ment

et deviendra se retournant

statue de sel

 

Avance

et vois ta main qui change

changeant les choses elle te change

paroles vives

il n'est que gestes

et plus de maître.

 

 

 

 

Comme

 

Comme

la gorge de l'oiseau

chaude et douce est fragile

sous le doigt

 

et comme

le chant de l'oiseau

par dessus le grand bruit social

triomphe

 

Comme l'oreille d'un vivant

a entendu le chant

et ne l'a pas

traduit

 

comme

l'agencement du monde

en son regard

changea

 

et comme encore

tu connus le chant seul de l'oiseau

par un regard porté sur l'œil aigu qui vit

 

Ainsi s'étend

et de même triomphe

et se perd dans le vrai silence nu de l'œil

le sens

 

 

 

 

Paraboles

 

quelle idée !

faire passer un chameau par le chas d’une aiguille

même grand modèle, voire alêne

 

ou perdre une pièce de monnaie !

exprès pour qu’une ménagère affairée au ménage

la retrouve

 

cette porte ! la rendre étroite

dans le seul but que les gros ne puissent la passer

tant pis pour eux

 

et la perle de grand prix du grigou !

le marchand qui l’achète en perdant tout le reste

il est fou

 

des bandits !

ils s’en vont sans leur proie pour qu’un Samaritain

en profite pour se faire mousser

 

comme ce festin qui n’est pas un festin !

sûr que ses invités ne vont pas se faire embrigader

trop facile

 

le benêt !

avec l’argent réclamé à son papa il a fait la nouba

vraiment pas intéressant ce type-là

 

toutes ces histoires, on n’en finirait pas !

d’ailleurs on n’en finit pas de les raconter, raconter

ça meut

 

 

 

 

Marcher, chanter

 

Je voudrais je voudrais

dire à nouveau pour vous un poème de feu

et chanter oui chanter les merveilles de la mer

de la terre et du ciel

le refrain de la vive lumière.

 

Je voudrais comme je voudrais

que les petites filles s'en émerveillent

et sourient au soleil

lorsque marchant sur des chemins d'exil

elles cherchent en pleurant leur avenir de soie.

 

Je voudrais dire aussi aux hommes plus anciens

les mots d'une ancienne sagesse

pour que naisse en leur face une fleur de sourire

lorsque butant sur les pistes obscures

ils vont très lentement vers leur tombeau de terre.

 

Chanter oh oui marcher

car c'est ainsi que chacun marche

vers une ombre qui gît au cœur de chaque vie

et s'illumine ou se bleuit

aux couleurs de la nuit.

 

 

 

 

Lundi de Pâques

 

Comme il marchait devant

notre Dieu s’est retourné

 

il a dit vous êtes saufs, libérés

faites vibrer la vie

 

il a dit viens, fais-le, mon règne

un nouveau monde où habiter

 

un monde où coulera

justice et droit comme un torrent

 

où les enfants, tous les enfants

riront, mangeront et boiront

 

où leurs parents

leur feront un avenir

 

une terre où tous travailleront

sachant pour qui, pour quoi

 

où l’on se parlera et s’entendra

s’aidera, se soutiendra

 

où l’on rira et chantera, et dansera

fêtera le travail et l’amour

 

il nous dit venez

si vous m’aimez inventez tout cela 

 

car Dieu s’est retourné vers nous

nous appelant à lui

 

attaché, notre Dieu, à son rêve 

rêve d’un monde quand il règne

 

et nous disant venez

visez cela, tentez cela, faites cela 

 

et si pour vous c’est impossible 

commencez déjà 

 

 

 

 

Dires

 

1

Ce doit être un oiseau

il me palpite à l’endroit du plexus

un papillon, vous croyez ?

ça fourmille, ça veut sortir peut-être

où est l’issue, dans la gorge ?

ou bien là, à la base de la langue 

tiens c’est parti !

je ne saurai jamais ce que ça voulait dire

 

2

de quoi parles-tu ?

non, tu as dit un mot, que veut-il dire ?

tiens, tu choisis des mots, on les dirait muets

je me dis

c’est pas des mots pour l’apéro

c’est pas des mots pour la cantine

à parler des choses vraies faut pas aller si loin

juste chercher profond comme qui se tairait

 

3

tu me dis dis-moi s’il te plaît

eh bien non ça ne me plaît pas

c’est comme à la caisse douze euros s’il vous plaît

eh bien non

je ne suis pas un distributeur de dire

– je relis ça et je me dis tu es sûr ?

car je me dis dire ça coûte

et ça n’a pas de prix

sauf mourir

 

4

tu me dis que veux-tu dire ?

mais je ne veux rien dire

ça sort comme ça

je jette les mots sur la table

je les étale et je trie

tout à coup je me dis c’est ça

tu dois le dire

même si ça ne veut rien dire

qui sait si après quelqu’un en aurait besoin

 

 

 

 

Espoir

 

explose

       explose

du cercle de feu dans ton ventre

centre

       explose

 

je sans espoir gros de tout espoir

explose

le beau je le je gros de tous les tu

impose

       impose

un jeu de perte né des failles

 

les lauzes

       des toits

écailles de tous les moi

reposent

sur l’arête des vents souples qui tous vrais

explosent

       de frais

 

 

 

 

Le quart naval

Sotie

 

je me moque du tiers comme du quart

je me moque du tiers

je me moque du quart

du tiers-monde comme du quart-monde

même de la quinte

 

il fait zéro

et sur la hune

comme pas deux

je suis le tiers

qui fait le quart

 

alors apeuré je ne fais ni une ni deux

apeuré je ne fais une

apeuré je ne fais deux

apeuré je n’y vais ni à la une ni à la deux

mes bras : zéro

 

 

 

 

Sissongo

Un culte au Sahel

 

vieille édentée assise dans la poussière

poudre rougeâtre de l’aire où l’on chante

poudre sèche ici qui tient lieu de la terre 

vieille ridée au pagne rougi de poussière

assise pour le temps qui suit la prière

et qui gémit

 

tous sont attentifs alors, ils se recueillent

l’Esprit la visite et elle parle en son nom

sa parole est pour moi, habillé de coton

pasteur venu de loin sur des ailes de métal

venu tel l’ange inabouti chaussé de cuir

et porteur de lunettes

 

pour me dire voici ce que te dit l’Esprit

et que tu porteras, que tu diras, répéteras

quand tu retourneras parmi tes frères

et leur diras ne regardez pas à tout cela

vos beaux habits, vos chaussures de cuir

à vos belles maisons

 

à vos avions, à vos voitures de fer

elles qui brillent sans besoin de soleil

et ne regardez pas à vos frigos, à vos vélos

toutes ces choses, objets destinés à finir

et dit l’Esprit, tu leur diras ne regardez  

qu’à Golgotha !

 

 

 

 

La chanson de Libère

 

J’écoute

et les mots et les mots

passent

 

j’entends au vent

le chant

des mots du temps 

 

Monstrueux

tumultueux

 

faits de bulles

somnambules

 

faits de carreaux

idéaux

 

C’est la chanson

des méchants sons

que j’écoute

 

et le courant

serrant les rangs

des maîtres-mots 

 

Ils passent

je me cramponne

 

ils lassent

et je chantonne

 

en anémones

j’approvisionne

mon chant vorace

 

 

 

 

Solitude

 

voici le temps, le joli temps

de solitude

c’est bien le tour, le joli tour

d’un interlude

jour feuille blanche, feuille vide

nulle habitude

nulle idée, survenue d’idée

qu’un rien élude

espace, aucun espace là

nulle attitude

et ni devoir, quelque devoir

ni bravitude

 

 

 

 

À quoi ?

 

à quoi tu penses, il me demande

à des oiseaux avec des arbres

à des corbeaux tout noirs

aux nuits de peine à s’endormir

aux grandes plaines à blé

 

au visage de celle que j’aime

au rivage des marées

à la pluie douce de septembre

à l’encrier des temps passés

à quoi peut-on penser ?

 

 

 

 

Souvenir

de Willie Johnson

et Gary Davis

chanteurs de blues

 

Sombre était la nuit

froide la terre

on entendait pleurer les anges

anges noirs aux yeux brûlés

noirs enfants de la colère

cœurs broyés, cœurs incendiés

 

Sombre était la nuit

froide la terre

on entendait chanter les anges

guitares sèches aux mains de terre

aux mains de sol gelé

mains craquelées

 

Sombre était la nuit

froide la terre

anges humains dépossédés

voix blessées d’un amour rauque  

tissées par la tendresse

tiède au-dessous du gel

 

Sombre était la nuit

froide la terre

vient un sang qui bat le flux

naît un chant qui noue les temps

quand tiède était la nuit

la nuit noire étoilée

 

 

 

 

Mais si tu viens

 

mais si tu viens chez nous

une fois de plus en décembre

tu verras

les aveugles même s’ils voient

ne voient pas

et les boiteux même s’ils marchent

ne marchent pas

les enfants pauvres même s’ils jouent

ne mangent pas

car les pauvres même s’ils vivent

ne vivent pas

tu le verras et tu diras

comme autrefois tu le diras

trois fois tu le diras

la paix sur vous

j’ai mis devant vous la paix ou la guerre

la paix sur vous

j’ai mis devant vous la justice ou l’effroi

la paix sur vous

j’ai mis devant vous la vie ou la mort

changez de sens

et tu diras

à mes yeux chacun de vous est sauf

j’ai fait le nécessaire

mais tous ensemble ne sombrez pas

 

 

 

 

Dire d’un songe

                                      Deuxième essai

 

colombe ou bien corbeau, merlette ou tourterelle

qu’importe, je dormais, je n’ai perçu qu’en songe

un oiseau inconnu palpitant jusqu’à moi

 

ce qu’il a dû me dire a quitté mon esprit

je n’ai plus discerné ce que cachait l’oiseau

rien de son vol ne m’est resté, alors que dire ?

 

c’était un bel oiseau, je ne sais de quel nom

sans le voir je savais qu’il était tout de plumes

au fil lamé d’argent, au parfum de silex

 

dis-le donc, cependant, résolu, m’a-t-on dit

mais quoi dire et à qui ? l’oiseau s’est envolé

j’ai senti qu’il dansait au-dessus des nuages

 

je le dis, cet oiseau portait une parole

il m’en reste le son, cependant, comme une onde

comme un rien qu’on désire, un chant perçu de loin

 

 

 

 

Le convoi

 

c’est arrivé ainsi 

Ève était dans ce convoi

suivant son fils Abel

et celui qui conduisait

elle ne le savait pas

son fils Caïn

 

ainsi s’en alla-t-elle

disant c’est mon petit

voyez c’est mon petit

que fait mon grand ?

il les tua

c’est lui qui les tua

 

les soirs de soleil rouge

de nuées en convoi

on peut les voir encore

les trois

au couchant qui se cherchent

et vienne le matin !

  

 

 

 

Content

 

"J’ai été flouée"

(Simone de Beauvoir)

 

je sais qu’on m’a volé

devrais-je être content ?

 

c’était il y a longtemps

au temps de tous les temps

 

ailleurs, c’était ailleurs

c’était à tous les vents

 

par un autre sans visage

quelqu’un d’inconséquent

 

par la porte du fond

en prenant les devants

 

pour toutes les raisons

dans la tête des gens

 

qui fut floué, c’est moi

volé mon moi d’avant

 

moi-même, oh juste un sas

s’y meut le vent, content

  

 

 

 

Cependant

 

parler dis-tu ne coûte un fil de souffle

que dans l’air et pourquoi te troubles-tu ?

les monts percutés ne frémissent ni ne croulent

quand tu crois avoir dit que tu aimes

bulles au coin des lèvres

 

et le temps que cela touche une oreille

humaine ou non-humaine

l’univers a déjà modulé des ondes incertaines

à qui crois-tu au monde parler qui t’écoutera

te répondra ?

or un dire à jamais a façonné le monde

 

 

 

 

Tu es là

 

je me souviens de toi, tu ne saurais mourir

on te dit disparu, je te ramène à toi

une foule est en moi, je t’en ferai sortir

tel un poème obscur, un mouvement de foi

 

les années ont passé, leur poids sut m’alourdir

mais tu restes présent, souvent tu viens vers moi

et je ne sais que dire, et ne peux t’accueillir

plus de place pour toi, mon aujourd’hui fait loi

 

mais tu reviens ce soir, tu es là, je te vois

si la nuit vient sur moi, rien ne peut assombrir

ce moment, ce sourire et cet oubli de soi

 

voici, tu étais là, moi dans ton souvenir

je me croyais sans toi, je te pleurais cent fois

il me fallut apprendre à me laisser chérir

 

 

 

 

Un ange malgré tout

 

avant d’être mort et même un peu après

le consul de Xanthe ne voulait s’envoler, partir

que sur les ailes d’un ange

on avait beau lui dire que les anges ça n’existe pas

il n’en démordait pas, il disait je suis consul et j’ai droit à mon ange

on avait beau lui dire que les consuls, et Xanthe, ont disparu

il n’en convenait pas

on lui disait même le fleuve, le Xanthe, a disparu

il riait, il disait un fleuve ne disparaît pas

il ne comprenait pas, semblable à notre monde entre deux mondes

mais l’ange est apparu, ange aux ailes lamées d’argent

il l’a donc embarqué, il était temps

 

 

 

 

Un moment délicat

 

cette fois-ci c’était l’ange qu’il fallait déppanner

l’ange du consul de Xanthe

ppas facile à bouger, en pplus il faisait nuit

l’a fallu le caler, on a fini ppar y arriver

le consul était inquiet mais rien n’était cassé

juste froissé

l’ange était requinqué, tout juste un ppeu ppomppette

faut dire qu’on l’avait décrassé à l’alcool

bien sûr, ppour voir, il a voulu dépplier ses ailes

c’était risqué mais on n’allait ppas l’en emppêcher

sur le moment ça a un ppeu craqué, même grincé

– doucement, doucement, lui disait le consul –

finalement il y est arrivé

et ppour nous rassurer il a fait un ppetit survol

même ppour nous remercier

quand il a atterri, on y est allé d’une ovation

il a fait le modeste mais il était content

ppuis le jour s’est levé et l’ange s’est envolé

le consul sur son dos, entre deux ailes argentées

il sentait déjà, il ne ppouvait pplus attendre

du coup on a ppleuré

 

 

 

 

Planter un arbre

 

“Si l'on m'apprenait que la fin du monde est pour demain,

je planterais quand même un pommier.” Martin Luther

 

Qui sait jamais ce qui peut arriver ?

J’ai donc planté un arbre, un beau pommier.

À quoi pensais-je alors, je ne le sais,

quelle idée ou dessein me traversait ?

Garnir un coin de terre à découvert,

fournir ainsi de l’ombre à ce désert,

agrémenter la vue de tout l’ensemble,

attendre du fruit de lui, ce me semble.

 

Et j’y ai réussi, j’ai dit merci :

Pourra venir la fin du monde ici !

 

 

 

 

Et que je te la file…

 

trop d’eau dans mon delta

fleuve que je suis

quel bras suivre ?

 

depuis le ru que d’accidents !

parcours tumultueux

méandres

 

torrents

peurs et violences dévalant

tumultes

 

parfois cours majestueux

père à péniches

et lacs à musarder

 

affluents affluant

sans cesse

et coudes surprenants

 

or, non, retournement !

remontant à plaisir le courant

j’approche de la source

 

 

 

 

Dieu comme j’aspire…

 

rien de bien original

les temps sont durs et

j’avais besoin de grands espaces

 

marcher sur les longues plages

j’imaginais des plages normandes ou vendéennes

au bord de vraies mers à marées lointaines

 

avec le vent

le vrai vent, celui de la mer occidentale

oui, le noroît, que je préfère

un vent d’iode et de sel et de pluie

 

Dieu comme j’aspire à respirer cela un jour

et, oui, marcher

comme pour un avant-goût d’éternité heureuse

 

promesse d’aventure dans le souffle d’ailleurs

sous un vrai ciel exagéré

jour après jour marcher

 

 

 

 

Veille

 

je suis assis sur des millions de poèmes

c’est mon trésor, sur lui je veille

ainsi je trône

on n’est jamais assez prudent, je veille

ils sont à moi…

mais je tremble et je m’éveille :

il en manque un !

 

 

 

 

Oubli

 

oubli est un mot que j’aime

et que je l’aime, j’aime à m’en souvenir

l’oubli que j’aime est celui du malheur lorsque son souvenir

te conduit vers la peur

non l’oubli que toute vie importe et qu’en chacune il se pourra

que réside un bonheur, même caché le bonheur

oubli car sans l’oubli des noirceurs, il n’est pas né

celui que tu croyais perdu

nié

le sourire à venir

 

 

 

 

Nœuds

 

dans une vie, peu de nœuds

faisant tenir le reste

et quels débuts, quelles fins

quels liens ?

 

te retournant, tu vois comment

à tel moment tel glissement

notable nullement

t’a orienté

 

comment de tels instants

s’articulaient

et te menaient sans le savoir

où tu te tiens

 

peu de nœuds en vérité

t’ont raccordé

et comme incidemment

t’ont créé

 

 

 

 

Et pourtant…

 

le goût du sel

pour purifier l’odeur de la mort

dans la bouche

et tant de relents nauséabonds

du monde

 

même les os

on les croit purs et secs

mais ils vivent en-dedans d’une vie grumeleuse

telle aux temps de la soupe primordiale

la vie est sale au regard des étoiles

collante et gluante

 

et pourtant…

 

 

 

 

Encore un jour

 

                                                      

 

du gris ardoise à l’indigo

se mouvant au ciel   

deux étoiles

 

d’arbre en arbre en arbre

va qu’elle est folle

l’aurore qui naît

 

dormir pensant encore

et cette nuit s’enlève

l’œil alerté

 

mon jour est un secret

il pense à son retour

veillant sur ses amours

 

encore un jour

tu me diras si tu aimes

ainsi passera-t-il

                                                                                          

 

 

 

À Ouessant

                                                                                                                                 à Nicole Ferroni

 

debout pour la première fois devant l’Océan du bout du monde

pour la première fois devant l’immense et la puissance du monde

et sa violence

 

sa beauté brutale comme autrefois, comme du temps des elfes et des trolls

du temps des korrigans, sa beauté d’enfance abrupte, sa beauté nue

 

la jeune femme se tait, saisie, ses larmes naissent, elle pleure

 

que faire d’autre, être humain tout à coup démuni, son aisance tombée 

le monde est si vaste et sa force si grande, à craindre, à frémir, à chanter

humble et profondément heureuse, elle pleure, en larmes de sel et de vent

 

 

 

 

Rêve de l’arbre en fleur

 

à nouveau toute fleur est en soie

à nouveau la sève sort du bois

l’arbre à nouveau explosera de joie

 

fidèlement, il le sait, où il va

son idée de fruit aboutira

conçue par ses ancêtres d’autrefois 

 

son rêve s’avérera

le fruit viendra, qui l’empêchera ?

enraciné, l’arbre est armé pour cela

 

verdeur de la sève

sur l’arbre, que le soleil flamboie

que l’eau du ciel ou des fonds le noie

 

l’arbre rêve qu’il résistera

si ce n’est lui, l’autre que voilà

le rongerait la bête, le scierait l’humain 

 

le jour vient, et l’arbre fleurira

et la bête mourra, et l’humain s’en ira

abandonnée sa quête aux mil tracas

 

son rêve d’incendie

 

 

 

 

Dire d’un songe 1

 

colombe ou bien corbeau, merlette ou tourterelle

qu’importe, je dormais, je n’ai perçu qu’en songe

un oiseau inconnu palpitant jusqu’à moi

 

il n’est de dire

que d’un sentir 

 

ce qu’il a dû me dire a quitté mon esprit

je n’ai plus discerné ce que cachait l’oiseau

rien de son vol ne m’est resté, alors que dire ?

 

il n’est de dire

qu’une caresse

 

c’était un bel oiseau, je ne sais de quel nom

sans le voir je savais qu’il était tout de plumes

au fil lamé d’argent, au parfum de silex

 

il n’est de dire

que d’une odeur 

 

dis-le donc, cependant, résolu, m’a-t-on dit

mais quoi dire et à qui ? l’oiseau s’est envolé

j’ai senti qu’il dansait au-dessus des nuages

 

il n’est de dire

que d’un regard

 

je le dis, cet oiseau portait une parole

il m’en reste le son, cependant, comme une onde

comme un rien qu’on désire, un chant perçu de loin

 

il n’est de dire

que d’une écoute 

 

 

 

 

Frontières ?

 

Si tu regardes bien, il n’est pas de frontières

et c’est tout uniment que s’étire la terre.

Lorsqu’elle est découpée, c’est par une rivière,

par un fleuve, un cours d’eau dont les deux bords sont frères.

D’un côté ou de l’autre, un même enfant s’affaire,

aucun de ses parents ne veut vraiment la guerre,

et tous, ils aimeraient que leurs deux mains se serrent,

à moins que l’on ait fait leur tête prisonnière

et submergé leur cœur de venins délétères.

La terre, en vérité, ne s’en occupe guère ;

serait-elle blessée par l’espèce guerrière,

lassée, abandonnant sa fibre nourricière,

secouant de son dos l’orgueilleuse poussière,

elle irait à nouveau, en son cours millénaire,

rouler paisiblement au long de vents stellaires.

Que seraient devenues frontières ou barrières ?

 

 

 

 

 

Chanter

 

ce qu’il faut c’est chanter

survient peut-être alors

en harmonique

comme un filet de joie

 

au loin montent des peurs

la joie vaudra contre elles

arme du cœur

dans la nef chant du chœur    

 

chanter jouer danser

des oiseaux en parade

pour un amour

comme un aveu de vie

 

 

 

 

Sommeil 

 

la petite fille qui dormait par terre

était si fatiguée

qu’elle avait omis de veiller

oublié les dangers

la peur, la colère et les pleurs

 

elle s’était ramassée

enroulée sur son ventre

les mains cachées

et reposait dans la poussière

en tout cas à l’abri 

 

ainsi s’en va le monde

environné de forces bienveillantes

ignorées

à longuement tester

pourquoi désespérer ?

 

 

 

 

Un secret ?

 

l’oiseau le sait

(une mésange)

le chien le sait

même le petit chat

aussi la chatte

 

et le lapin le sait

lapine ou lapereau

les poules

(pourtant très bêtes)

et les canards

 

au loin le lion le sait

(dormirait-il)

et le chameau

le buffle obtus

les pieds dans l’eau

 

le lama la vigogne

au-dessus le condor

eux tous le savent

elle vient la mue

(et l’humain ?)

 

 

 

 

Ma poutre à moi

 

dites donc je suis mal

j’ai ma poutre dans l’œil

et depuis ma naissance

imaginez la douleur

du saignant

 

à chaque pas je me cogne

j’y vois mal je cogne

je cogne les murs

je cogne les arbres

je cogne les gens

 

c’est un mal continu

orgelet d’un géant

qui fait mon intérêt

car ma poutre c’est moi

je me présente ainsi

 

aïe ma poutre

je l’ai toujours aimée

et je m’aime ayant mal

et souffre de m’aimer

et souffre de l’aimer

 

 

 

 

Buées du jour

 

à l’instant

là-bas un ciel inconsistant

se fait corps

sur un monde inconscient

puis naît l’aurore

 

au levant

au loin lève une pâte épaisse

et l’on fête

après des amours secrètes

des relevailles

 

et l’orient

hardi vers l’occident se tend

sans détour

le soleil suit son cours

vers son néant

 

au couchant

avec la terre le ciel se couche 

puis en gloire

le soleil va plonger

dans la nuit noire

 

au demeurant

qu’à jamais notre joie demeure

chaque jour

que notre joie ne meure

tour après tour

 

maintenant

la main ténue qui tient le monde

se fait douce

passe un sourire aimant

tout maintenant 

 

 

 

 

Cette main

 

voici je le vois bien

le monde est tout en moi

cette main qui écrit

provient de l’univers

et le sourire me vient

enfant de vibrations

d’au-delà du soleil

j’appartiens au ciel pur

et peut-être au-delà

que me sont les années ?

 

 

 

 

Dis-le

 

dis-le à la rivière et dis le au fleuve tout-puissant

au courbes des eaux vives qui roulent et s’en vont vers l’aval

et dis-le au nuage qui va et au vent qui le pousse

remonte vers l’amont et dis-le, redis-le, à la cime des monts

 

dis-le à la mésange comme au merle, à toute bête ailée qui volera

à tous ceux qui traversent le ciel ou vont piquer le grain perdu

et dis-le, dans les profondeurs, à la truite insouciante et volage

à toute famille des eaux nageant en nuages de vivants

 

dis-le qu’il est venu, le dieu, comme un enfant

qu’il revient de la brûlure de sa colère

et que nul ne se perdra

 

 

 

 

Avent 4

 

manquerait un souffle

brise légère

silencieuse, aérienne, ténue   

venue on ne sait d’où

allant où l’on ne sait

 

manquerait-il

tout irait comme devant

tout suivrait son chemin

chemin de grandes peines

voies de petits bonheurs

 

et suffirait d’un souffle

haleine de buée

toute chose convertie

muée, bouleversée, retournée

tournée vers ce qui vient

 

un souffle saint

et viendrait l’enfant

celui qui vint, qui vient

ce souffle qu’il vienne enfin

à la bouche des humains

 

 

 

 

Avent 3

 

comme l’oiseau attend le jour

et l’épouse le soldat 

comme la mère attend l’enfant 

j’attends, mon amour, ta venue

j’espère ton retour

 

je ne sais quand tu viendras

mais tu seras surpris 

je vais changer tu verras

je serai là pour toi

j’espère ton retour

 

 

 

en haut de l’escalier je serai là

à l’entrée de la maison 

à la grille du jardin je serai là

sur notre chemin

j’espère ton retour

 

sur la route qui va je serai là

à l’entrée de la ville 

sur le quai de la gare je serai là

à la porte du wagon 

j’espère ton retour

 

 

 

comme on attend le parloir

comme on attend la gamelle

comme on attend le coup de rouge

comme on attend le lit au soir

j’espère ton retour

 

je serai beau je serai belle

comme file une étoile   

lavée, briquée dans la nuit sale

changée, comme astiquée

si tu reviens 

 

 

 

 

Avent 2

 

venir, tu es venu

comme à chaque bouleversement

quand la terre s’ébranlera

quand tombe la lune et fond le soleil

à nos yeux éperdus

 

tout semble aller comme devant

l’eau ruisselle et clapote la pluie

au matin luit la lumière

lentement elle s’estompe au soir

et l’on ne te voit pas venir

 

passent les jours

entre la guerre, entre la paix

calme public et tumulte des gens

ainsi que jamais ou toujours

jours après jours, temps après temps

 

et l’on ne te voit pas venir

peut-être ne viendras-tu jamais

alors que voici, tu es présent 

aujourd’hui tu viens

quand en secret change le monde

 

 

 

 

Avent 1

 

entre toutes les rapidités

les fureurs, les fracas

affolements de foules effrayées

ou rires exagérés

trombes ou traversées de foules

 

tu te glisses

tu es la couleur du silence

 

interstices de peurs

intermittentes colères exténuées

rages et tendresses cependant

souffle des soulèvements

misères

 

tu vas sans bruit

est-il important que l’on t’ignore ?

  

 

 

 

Dis-leur…

 

dis-le à la rivière et dis le au fleuve tout-puissant

au courbes des eaux vives qui roulent et s’en vont vers l’aval

et dis-le au nuage qui va et au vent qui le pousse

remonte vers l’amont et dis-le, redis-le, à la cime des monts

 

dis-leur que l’être humain se tournera vers eux

dis-leur et ne mens pas qu’il a perdu sa gloire et implore la leur

 

dis-le à la mésange comme au merle, à toute bête ailée qui volera 

à tous ceux qui traversent le ciel ou vont piquer le grain perdu

et dis-le, dans les profondeurs, à la truite insouciante et volage

à toute famille des eaux nageant en nuages de vivants

 

dis-leur que désormais l’être humain leur implore la paix

pourrait-il, devant eux, recevoir un pardon, conclure une alliance

 

et dis-le à tous ceux qui rôdent dans les bois, qui hantent la forêt

ceux qui parcourent la toundra ou paissent en la savane

dis-le au tigre comme au cerf, à la biche comme au lion

et dans leur migration, aux lourds troupeaux de buffles rescapés

 

dis-leur que l’être humain, en vérité, présente ses excuses

qu’il aimerait, avec eux, remonter tout le temps, et tout renouveler

 

dis-le à la poule, au poulailler, au lapin dans son clapier

dis à l’oie qu’elle cesse, s’il lui plaît, de criailler pour écouter

au bœuf émasculé, à la vache nourricière, au taureau dépité

dis-le aux bêtes asservies, à la niche du chien, à la chatte opérée

 

dis à tous que nous sommes, nous les humains, tout à fait désolés

que nous n’avons plus qu’eux, tous les êtres du monde, à aimer

 

dis-le à la Terre et à la Lune, la bleue et la jaune, violentées

dis à la Terre, celle des eaux pures, des ciels, des airs limpides

la planète de grâce, havre de toute vie, qui règne en son soleil

dis-le-lui, dis-le, à moins de mourir, simple poussière d’étoiles

 

 

 

 

À la réflexion, j’ai…

 

loué un habit d’ermite sans robe de bure

juste veste en denim, pantalon de coutil

 

et sauf exception, économie de paroles

un jour puis un jour, sauf les dimanches

 

brûlé les vieux papiers, pensées d’hier

cogité lentement, économisé le cahier

 

de l’aménité envers les vivants du chemin

bonjour aux arbres, sourire aux oiseaux

 

remis le papillon sur sa voie de liberté

repoussé la guêpe d’un geste pacifique

 

froissé personne, serait-ce un imbécile

admiré de loin de belles jeunes femmes

 

mangé lentement et bu à petits coups

récolte aléatoire pour des plats réfléchis

 

puis, vivant au monde, pris les nouvelles

et rugi de colère et pleuré de tendresse

 

imaginé tout cela, même pratiqué parfois

ou souvent, heureux, mais pas longtemps

 

appris ainsi d’être inutile, sans se croire

pour un temps, fait ermite comme école

 

 

 

 

Toile

 

des nids de vagabonds

piqués sur toute la terre

en corolles de peur

– et aller où ?

habités de rêves menacés

alors inventer

des lois de subsistance

 

car il est dit :

de tous les jours de la terre

que rien ne cesse

et semence et moisson

et froidure et chaleur

l’été l’hiver

le jour la nuit

 

frères tenez

nous ferons des réseaux

voilà, nous nous tisserons

– parlons ensemble

monde, la toile que voilà

toile sur toute la Terre

world wide web

 

 

 

 

Je ne mens pas

 

il a dit cet humain

en son domaine

je suis abasourdi

voyez ma peine

 

je vois partir un monde

je ne mens pas

je vois dans mon jardin

que tout s’en va

 

j’ai perdu les abeilles

sur les rosiers

aussi le papillon

volant voilier

 

et j’ai perdu l’oiseau

plus d’hirondelles

tenez plus de pivert

plus de sitelle

 

ces nids pour la mésange

au creux des pierres

ce vol de l’alouette

brisant son erre

 

mortelles sont les graines

que l’oiseau becte

pas une fourmilière

et plus d’insecte

 

partie la dame blanche

qui ululait

parti le hérisson

qu’elle cherchait

 

j’ai perdu le crapaud

chantant sa peine

et même la couleuvre

qui tait la sienne

 

le cri rauque des huppes

ne sonne plus

la course des lézards

ne file plus

 

des guêpes ou des taons

on en voit peu

ils résistent longtemps

la hargne en eux

 

les chevreuils n’osent plus

venir ici

sur leurs brisées l’humain

a trop bâti

 

restent deux écureuils

un rouge un brun

plus un chardonneret

hardi un brin

 

le ramier dure aussi

qui va par deux

son aubade roucoule

encore un peu

 

j’ai perdu le thuya

il a jauni

le sapin l’a suivi

pelé aussi

 

je vois les fruits tomber

pêches ou poires

elles sont déjà blettes

et bientôt noires

 

quand donc viendra la pluie

dites-le moi

avant que meure aussi

le magnolia

 

 

 

 

Une visite

 

bonheur minuscule

au sein d’un temps de pluie

au-dehors au-dedans

long temps de pluie

temps de menaces et de craintes

et d’ennui

voici qu’entre ici guilleret

le chardonneret replet

malgré le chat 

il veut me rendre la politesse

souvent je le visite aussi

chez lui

dans son domaine d’arbres

et de buissons à fleurs

de graines à manger

de nids à protéger

de vent léger

 

 

 

 

Je suis là

19/08

 

l’ange me dit : Qu’espères-tu

je ne sais lui répondre il faudrait pour cela

viser quelque bonheur un gain une victoire 

que je ne connais pas dont je ne sais rien

mon ange insiste : Au moins durer peut-être

alors je trouve que lui dire : M’oublier

mais je le sais c’est une voie fermée

je dois me trouver là dans la présence

où le dieu jamais ne compose ni ne pèse

et je suis là dis-je à l’ange qui s’en va

 

 

 

 

Frissons

 

à jamais les ciels bleu, tout bleu, me ferment sur moi-même

j’ai toujours fui le pavé du soleil

je vivais autrefois en longues giboulées

petits frissons heureux lorsque soufflait la bise

j’aimais ces temps d’automne et ces jours de nuées

et je m’ouvrais alors

je préférais l’averse, elle qui vient de l’ouest

quand les rues, sous la pluie, psalmodient des versets de guitares

au coin d’impasses à gitans

les ongles de l’ondée toquant sur le pavé

et quand vive, la bruine s’écoulait dans mon cou

tout mon dos frémissait, ma peau se hérissait

– plaisir

le pavé s’irisait à la moindre lueur

et tout s’ouvrait en moi, et naissait un refrain

bien que mélancolique il me rendait heureux dans ma chaleur mouillée

et ma tristesse, alors, retrouvait ses chemins

de pluie mêlée de vent

 

 

 

 

Zones

 

tous ces îlots

toutes ces clairières

en toutes ces mers et ces bois

et nous

postés là

 

pourquoi là on ne sait pas

nous inventons des lois

de subsistance

 

aux rêves menacés sont les chemins

s’en aller jusque là

marcher plus loin 

que souhaiter si monde et rêve sont menacés

élire l’inconnu

 

en tous ces îlots

des perdus se rassemblent

l’inconnu pour toujours élu

 

 

 

 

Annonce

 

et sans savoir si la terre est ronde

ni comment elle se meut

où seriez-vous

un oiseau vous annoncera l’aube

lui le premier

tout autour de la terre

l’aimerez-vous ?

 

 

 

 

Buée

 

vient le temps, vient la pluie

souffle le vent

trois tristesses, deux chemins

se lover sous la couette

marcher, marcher mouillé 

 

 

 

 

L’écran

 

l’enfant derrière la vitre

devant la pluie qui tombe

ruisselets sur la vitre 

 

il voit la pluie fuser

la pluie qui tombe tombe

et la buée couvre la vitre

 

ruisseaux et brouillard

pénombre et crépuscule

entre deux eaux la vitre

 

lui, la vitre, le monde 

ou bien lui dans le monde

mais le monde l’expose

 

et l’enfant s’est mouillé

la fenêtre est ouverte

et la chambre respire

 

 

 

 

Chapeau pointu

 

où es-tu

que fais-tu ?

 

j’avais mis mon chapeau, j’avais mis ma casquette

ma casquette à la noix, casquette qui déçoit

ma tête de crapaud ainsi couverte en jette

c’est ainsi d’habitude, autrement j’aurais froid

 

où es-tu

que fais-tu ?

 

j’avais mis ma chaussette, elle chausse un pied droit

quant à mon pied tordu il faisait des claquettes

et je claquais des dents de peur, aussi de froid

un froid de mort aux dents et des dents de belette

 

où es-tu

que fais-tu ?

 

j’avais mis mon futal, un falzar en faux bois

ses pattes d’éléphant semblaient deux patinettes

je me glissai dedans avec mon entre soi

une fesse à la fois qui s’affaisse, est-ce bête ?

 

où es-tu

que fais-tu ?

 

j’avais mis ma chemise à couvre poil de fête

et remis sur ma mise une aigrette de soie

révisé mon squelette et lissé ma toilette

à voir ma goélette on en gueulait d’effroi

 

où es-tu

que fais-tu ?

 

ah j’étais beau, j’étais peau, ce faux c’était moi

belles dents et faux-cul, smoking et sandalettes

je fus au rendez-vous, j’ai tout rendu sur toi

j’ai bouffé mon chapeau, j’ai ri dans ma gapette

 

où es-tu

que fais-tu ?

 

 

 

 

Accord

 

je marchais au bord de l’eau

et l’eau me regardait marcher

elle clapotait pour moi sur le bord

elle et moi on était d’accord

il faisait beau

 

je marchais au long des arbres

en bruissant les arbres m’écoutaient

parlant de choses et d’autres

et j’étais bien d’accord

le temps s’y prêtait

 

l’eau, les arbres vibraient en accord

bruissement et clapot sur les bords

à l’endroit même où je marchais

juste là et juste alors

sur mon sentier

 

 

 

 

À l’aube pure

 

à l’aube pure

en une lumière de fin du monde heureuse

les cerisiers glorifient le jour qui naît

et l’impalpable de leur fleur offre à ce jour 

une gloire immatérielle et le goût d’une éternité

ainsi le pardon  

 

Seigneur je suis heureux ce matin

 

 

 

 

Bidonville

 

le soir était tombé

devenir prohibé

mitée sa redingote

 

un petit garçon noir

dansait sur le trottoir

retenant sa culotte

 

tout enclos dans sa danse

comme un homme qui pense

comme un vieux qui radote

 

sans chemise et pieds nus

un sourire ténu

juste un regard qui flotte

 

seul au monde il est là

concentré sur son pas

sous la lune qui trotte

 

le vieux monde est autour

l’enfant est dans sa tour

seul un ange sanglote

 

 

 

 

Ça dépend

 

il dormait sur un cintre

tel un habit usé

qui pend

ventre vidé

blanc comme un singe

du passé

 

ça lui donnait des idées

il rêvait de fleuves insurgés

de lentes chevauchées

de lanciers

il en était traversé

 

se posaient des questions

toutes bien armées

où donc la vie est-elle allée

 

à son revers lui répond une fleur

une fleur rouge sang

émue c’est moi dit-elle

toute rouge

je suis là

 

il l’avait caressée

 

 

 

 

Parabole

 

la nuit, lampe allumée

une parabole se dessine sur le mur

là où l’ombre finit, s’achève aussi la lumière

ligne incertaine, inexistante

lieu de silence entre ce qui fut et sera

ainsi tes jours

 

 

 

 

Faits dits vers

(sotie)

 

ce matin

un tapin

a tué un masseur

 

et ce soir

un rasoir

égorge un casseur

 

à midi

un caddy

culbute un passeur

 

au coucher

un boucher

découpe un chasseur

 

mais

 

à pas d’heures

un p’tit beurre

régale ma sœur

 

 

 

 

Regarde bien

 

Hitler ne pouvait pas mourir, mon cœur

il est toujours là

on nous annonçait son suicide, nous ne pouvions le croire

il ne pourrait disparaître

son ombre est là, présente alentour

 

enseveli même dans la fosse il reviendrait

il revient toujours

nous avions raison d’émettre un doute, tu te souviens

il a reparu

il reparaît toujours

 

on le chasse, on le chasse il revient

par la porte on le chasse il revient par la cave

par les profondeurs des âmes tordues des humains

des âmes torturées des humains

 

regarde bien, regarde, jusqu’au fond de toi regarde

tu vois bien qu’il est là, on ne l’aura pas tué

il se sera raté

tu souris, tu dis c’est ridicule, tu te retournes

il était derrière-toi

 

il se tient au coin d’un mur, où sont écrits ses cris

plus loin il a laissé sa marque

il a laissé sa marque sur les tombes paisibles des gens

regardes-tu les signes que tu l’entends hurler

  

et son cri les attire

il attire les chiens galeux qui veulent lécher le sang

sur terre lécher le sang des gens

ils le savent bien, eux, qu’il est là

hyènes qui rient ils tueront

 

vois-tu mon cœur

Hitler ne pouvait pas mourir

 

 

 

 

Au peuple démuni

 

ce qui est dans ton cœur est plus grand que la mer

c’est pourquoi tu fais peur, ô peuple démuni

à toi-même tu fais peur

car au bout de ta nuit crèvent les veines, coule le sang

quand devant toi le monde devient rouge

quand ton désir est grand

quand tu ouvres les portes à ton envie de vie

à ton rêve, ô nuit

et tu ne sais alors ce que tu enfantes

vers où t’emportait ton ennui

 

chante ô ma nuit quand le rêve se lève

quand se tient près du lit l’esprit qui te veillait

c’est ton plexus qui cède et fait mourir l’angoisse

elle s’évanouit

te voici comme une veste ouverte qui habite le monde

et veut le revêtir

ton désir est un cogneur, et c’est lui qui te frappe

c’est lui qui s’écorche les mains

et s’il t’a mené un jour vers toute justesse, il s’en va 

qui peut le retenir ?

 

 

 

 

Ce qui venait

 

la femme regardait au loin, elle s’était redressée

penchée vers la terre on ne voit que la terre

on ne voit que l’outil pour sarcler

et les pieds

 

les pieds sont importants, il n’y a pas que la tête

elle se le dit souvent

avec les pieds tu te poses, tu avances

tu vas chercher de l’eau, il n’y a pas que la tête

 

tu vas chercher de l’eau, le vase sur la tête

et tu portes l’enfant bien calé sur le dos

et tu avances

les pieds te portent, et pour aller où ?

 

mais cette fois elle s’était dressée, redressée

debout on voit plus loin

on voit loin, la tête dégagée, le cou délassé

et la femme debout voyait la tempête qui venait

 

le sable se soulevait, les branches se tordaient

là-bas, et ça venait

et la femme a souri, elle a souri et elle a dit

tendez toutes les toiles, l’eau va tomber

 

puis elle a regardé, elle a bien regardé

elle a vu ce qui venait, la tête droite et le regard

le regard lavé

elle a vu ce qui venait, la femme s’est agenouillée

 

 

 

 

L’électricien

 

Qui suis-je et que vais-je devenir ? demandait le boucher de la place du marché

à l’électricien

où vais-je ? où donc s’en ira l’œuvre d’une vie, et mes enfants que feront-ils ?

or l’électricien

lui pas plus que l’autre ne le savait, ne pouvait le dire, l’avenir se faisait trou noir

et l’électricien

n’a pu que hausser les épaules pour le faire comprendre au boucher qui préparait

pour l’électricien

un sauté de veau à cuire avec des champignons, frais de préférence, et voilà…

 

 

 

 

Pause

 

Nous faisions une pause, ce jour de fin d’été, quelque part en Europe

était-ce à Lucerne, à Vaduz, à Constance ?

Tu te souviens ? Tu étais assise sur un banc de pierre, jambes nues, tournée vers le soleil

tu souriais, tu paraissais heureuse et je te désirais.

Nous avions tourné tant de pages, visité tant de lieux, construit tant de fortes histoires.

Tu ne fus jamais si belle, aussi forte, aussi vive, accomplie

ni l’amour si paisible qu’en ce jour-là.

La Terre, depuis, a tourné tant de fois, nous passons et pourtant

voilà ce qui fut, écrit en quelque endroit

assise et paresseuse, ta cigarette au bout des doigts, le soleil tourné vers toi

l’amour en pause.

 

 

 

 

Les cadeaux

 

Quel est mon idéal ?

 

ce serait d’être un arbre

fruitier de préférence

il est bon de donner

 

tu prendrais de la terre

de l’eau et du soleil

tu les transformerais

 

cela ferait de l’ombre

et des fruits à manger

même des jus à boire

 

aussi de la beauté :

tu serais grappillé

les enfants aimeraient

 

 

 

 

L’amour en décembre

 

l’amour en novembre est moins beau que l’amour en décembre

moins de paillettes

moins de bougies de cierges de lampions de lampes en guirlande

moins de flonflons

 

pour aimer en novembre on manque de vitrines resplendissantes

de pères noël

à trogne rouge comme leur habit tout bordé de fausse fourrure

barbe en coton 

 

l’amour à froid ne s’offre pas des marrons chauds au coin des rues

en novembre

on rate la fanfare et la marmite et l’uniforme de l’armée du salut

même la messe

 

on ne respire pas en novembre l’odeur de résine des sapins coupés 

et puis dehors

on ignore l’immensité bleu nuit du ciel et le silence gelé des étoiles

qui scintillent

 

car en décembre tout l’amour s’illumine et clignote comme les feux

aux croisements

et les cars de police ou les voitures des pompiers quand Paris brûle

ainsi les cœurs

 

 

 

 

Soir

 

J’aime bien, le soir, entre chien et loup, quand on reste à parler longtemps, paisiblement,

avant d’allumer la lumière et de passer à table.

 

On trouve parfois de beaux soirs, même en novembre, des ciels rose et carmin vers

le couchant, apaisés on contemple cela par la fenêtre.

 

On rêve d’un feu de tisons rouges dans un âtre, alors peut-être qu’on sert un petit verre,

cela réchauffe au moins le cœur et porte à se sourire.

 

On se dit quelques mots, on les espace, on n’a pas trop envie de briser le calme du soir,

on profite des silences, ils parlent si bien d’aménité.

 

Un ange passe, on entend, au dehors, les enfants rire, on n’a pas souci d’interrompre

leurs jeux, on fait durer ces moments, ce n’est pas si souvent.

 

Enfin l’un ou l’autre se lève et allume, on ne se voyait plus, il est temps de reprendre

le cours du jour et de la nuit, l’allant des choses nécessaires.

 

 

 

 

Tu me disais

 

tu me disais que l’on risque en amour

comme au jeu nommé mourre

 

ça tourbillonne à la façon des feuilles

le vent te mouille l’œil

 

ça te taille la peau, c’est un ciseau

ta vie est en morceaux

 

ça te met sur le poil un poids de pierre

ton cœur lourd court derrière

 

et c’est profond comme le fond du puits

c’est chaud comme la nuit

 

puis ayant dit tu remontes le drap

tu t’endors dans mes bras

 

 

 

 

Entrez

 

venez la tente est mise 

il vous reste à entrer

 

venez la table est mise

venez vous attabler

 

vous la personne admise

avec tous les paumés

 

soignez bien votre mise

tous sont à honorer

 

venez nulle entremise

topez de gré à gré

 

d’amour nulle remise

il est tout plein donné

 

la gaîté est de mise

bien plus que s’ennuyer

 

la tristesse est permise

douleur à consoler

 

haine et peur sont omises

on les a balayées

 

la violence est soumise

chantez dansez riez

 

puis quittez la chemise

nu vous serez lavé

 

 

 

 

Rouge

 

le ciel est bleu, la terre est rouge

petit souffle en ces cris du matin

mais novembre, images aux pleurs

 

souffle frisquet et les arbres s’agitent

arbres de sang aux feuilles rouges

guerre finie pour elles

à peine au sol elles sont mortes

 

chutaient tourbillonnant les aviateurs

les gars dans la boue s’affalaient

le ciel est gris, la terre est rouge

 

 

 

 

Le dit dans l’arbre

 

j’étais monté sur l’arbre

au temps d’avant les temps

sur une branche un jour

puis un jour sur une autre

celle d’en bas, celle d’en haut

je regardais

 

quand tu sciais du bois

quand tu lavais le linge

 

le chat vers moi grimpait

une chatte, tout l’étonne

le chien grondait

il aboyait puis il pleurait

voulait me voir descendre

je regardais

 

quand tu bêchais le sol

quand tu cueillais les pommes

 

quand tu semais la graine

quand tu berçais l’enfant

 

je t’aime, je te regardais

 

 

 

 

Dada, donc, des dits 

 

Le dit du canasson quand il hennit se ment :

On se croit étalon, on n’est que rossinante…

On offre cependant son dos au garnement

À la fille gentille, au boy comme à l’infante.

 

Le dit de l’écureuil a pour visée la noix,

Sa demeure est le cèdre, il y paye un loyer.

« J’avais caché, dit-il, en multiples endroits

La noisette et la noix, mais où ? J’ai oublié ! »

 

Le dit du sanglier se veut des plus modestes :

« Il me suffit qu’au bois on me fiche la paix,

Sinon je chargerai, croyez-moi je suis leste ! »

Bigleux, pourtant, il cherche, il a perdu sa laie…

 

Le dit de la marmotte, encline à persifler,

Fait croire à qui viendra qu’il la verra frémir :

« Approchez donc, dit-elle, entendez-moi siffler,

Vous me croyez dehors ? Je suis partie dormir ! »

 

Le dit de la mésange a de quoi vous charmer.

Vous l’approchez, saisi d’une joie sans mélange.

Elle vous dit, perchée, bien loin de s’alarmer :

« Tu ne sais pas voler, tu n’es pas même un ange ! »

 

Le dit du dromadaire – il vous toise de haut –

Semble venir d’un sage, en fait il déblatère :

« À vos dépens, crétins, vous montez sur mon dos

Car au moindre cahot, je vous foutrai par terre ! »

 

 

 

 

Trois buées de l’aube

 

1

ailleurs est en moi

gros pépère et qui tient de la place

édredon, et dedans

bulles d’air à danser danser

qui bougent et parfois

l’une s’échappe

 

ainsi le rêve !

 

2

j’ai fini d’écrire et le geste pourtant

demeure

et s’en ira rejoindre d’autres gestes

évanouis

milliers de desseins disparus

ainsi nos baisers

 

3

et chaque nuit, sur moi

la femelle du moustique

vient prélever la goutte de sang

elle qui fait vivre ses petits

 

l’amour est sanguinaire

qui nous vient de si loin

 

 

 

 

Montées ?

 

il te vous vient parfois des besoins d’épopée

des misères avérées

à corriger, la flamberge en papier

des vers à la hugo, des stances à la rostand

des finales envolées

et ce je ne sais quoi qui te met au grand large

poitrine soulevée

de grandes chevauchées, de grandes équipées

des david et des rude à raconter

des magnifiques au rire carnassier

des causes à sauver, des drapeaux à lever

enfin de quoi mourir le nez dans le ruisseau

de quoi tomber par terre, on est monté si haut

 

or si la terre est ronde et l’univers immense

ce monde est plat

 

 

 

 

Car il est souffle

 

je le dis, vous ne vous en tirerez pas sans vous refaire une image, une ressemblance d’un dieu, image à votre portée

 

tenez c’est d’abord chasser en vos têtes, vos cœurs et vos reins, vos mains, jusqu’à la moelle, à l’os du cœur

 

chasser l’image et la ressemblance d’un seigneur, le désir en vos fonds d’un maître, d’un roi, d’un céleste

 

voici déjà ; cela fait et fait à nouveau, refait encore reste de vous le squelette 

 

ossements, blancs d’un désir de royaume, bien dénudés, grattés, frottés, nus devant un ciel, des cieux vidés de tout règne

 

nus debout vos histoires flottant là derrière, l’avenir devant, sans motifs et sans voix

 

qu’une petite porte s’ouvre alors en vous et le dieu en vous se meut comme une vague immense

 

vague lente à nos yeux en sa visée, désir se déployant, montez pleurant, heureux, sur la nuée qui va 

 

ainsi va le dieu se mouvant qui vous entraînera, peuple dansant à lui vous emmenant

 

 

 

 

Gus

 

mon grand-père est un homme jeune

enterré en deux parties

au cimetière de son village

avec sa moustache et sa trompette

et son arc

depuis longtemps longtemps

 

c’était après une guerre

avant qu’on le ramène il nourrissait

une croix de bois là-bas

ici maintenant elle est en fer

et sur ses os

du gravier

 

on a bien fait les choses

et comment il s’appelle est inscrit

sur la place

où il n’est pas le seul

avec ses copains morts de la clique

ou de l’Espérance de Meaux

 

bleu nuit les ailes d’un corbeau

miroitent

sur une tête en pierre casquée

la statue est en un seul morceau

elle qui n’a pas été coupée en deux

comme lui

 

 

 

 

Adieu la nuit

 

la reine de la nuit a beau chanter si fort

la nuit n’a cessé de boire l’immensité

des millions d’yeux de feu ont veillé sur la terre

ont fait taire le chant, ont semé le silence

et les champs et les bois sommeillent dans la paix

les vents ont stridulés, calmés, sur la campagne

elle a soupiré d’aise, attendant la rosée

cependant, les cités n’ont pas voulu se taire

la folle y crie toujours en vibrations de peur

la cape de la nuit, zébrée de traînées blêmes

fait place peu à peu à des champs d’éclairage

on a chassé les ombres, il reste les terreurs

 

 

 

 

L’allée d’en bas

 

c’est plus qu’un chemin une allée claire ma promenade

d’un côté les bois qui s’élèvent jusqu’au plateau où j’habite

de l’autre la plaine et les champs aux multiples aires colorées

 

on marche à l’aise on s’arrête on regarde on contemple

la paix se pose alors et dos aux bois on aspire l’espace

même on devient soi-même cet espace et partie de ce monde

 

bouge au loin tout petit quelque engin un humain est aux champs

un camion empressé croise comme il peut sur la route qu’on suppose

on est avec ces gens on les devine le ciel est leur abri

 

on va sur ce chemin comme on va dans le monde juste un moment

juste un temps de tous les temps du monde et rien que le monde

ainsi que l’enfant dans le ventre une canne à la main

 

 

 

 

Ombres

 

ombres de ma mémoire

en sortent des figures

comme en la nuit les phares

font naître puis disparaître

un passant inconnu

 

des pas dans la nuit

des pas dans la pluie

quelqu’un marche

une ombre à jamais disparue

ombre entrevue

 

murmures d’autrefois

au loin des voix chuchotent  

s’élèvent puis retombent

souffles à jamais perdus

en ma nuit réapparus

 

 

 

 

Le dit du pommier

 

ici un pommier

il fait des pommes, en voici une

 

observée jour après jour, elle grossit, elle grossit

un jour elle arrête, elle ne grossit plus

elle est parfaite

 

ou se sachant imparfaite, elle ne peut rien de plus

belle sagesse car au-delà elle se déferait

sa chair se déliterait, tomberait en pulvérulence

finirait en pourriture

 

voici la sagesse du pommier

il se défait de sa pomme

de sa pomme achevée

parfaite ou non, achevée

alors elle tombe

 

ainsi lâches-tu le poème achevé

ainsi te lâche-t-il

ainsi ta vie te lâche-t-elle

et tombe

 

 

 

 

Sur le chemin de traverse

 

les grandes filles m’avaient emmené, j’étais enfant

ce jour de plein été, elles chantaient, la laide et la belle

 

chemin de traverse au milieu des blés, robes légères voletant

elles qui ne l’ont jamais connu, elles chantaient l’amour

et cueillaient des bleuets

 

et ce chemin pour jamais traverserait leur vie comme un trait

dans le bruissement des hautes tiges, sous le vent léger

et des épis

 

au-dessus d’elles, l’immensité d’un ciel lège et la superbe du soleil

jour de blondeur, jour de midi, jour de traverse

 

vous dont la vie ne fut que le gris d’une route

heureuses, lumineuses, pour toujours en ce jour vous marchez

allant, légères sur le chemin de traverse

 

 

 

 

Quand il vient

 

bruissement d'un souffle ténu, ainsi survient mon ami

 

multiples voix, chemins multiples, mille jeux d’harmonie

or on n’entend que dissonance quand nous aimerions ce chœur

vivant, ce chœur, d’une vive entente à l’écoute infinie

et ce que nous voudrions, que tout prophète tient au cœur

ce chant universel s’élevant d’une terre attentive

n’est pas, ne vient pas à naître, absent il ne vient pas à l’être

et ce n’est qu’une amorce, esquisse indéfinie, tentative

comme un fragile espoir, juste un pas dans le noir, un peut-être

 

or bruissement d'un souffle ténu, tel survient mon ami

 

 

 

 

Thomas

 

comme sur le bois on suivra les veines

sur le bras nu le dessin des veines

 

qui a suivi du doigt le cours du sang

apprends que sur les temps règne le sang

 

avec son poids de souffrance et de peur

ses enfants nus qui naissent dans la peur

 

parcours partout de violence et de mort

des mains lavées font sentences de mort

 

et nul déni n’effacera le meurtre

naître à la vie est avouer le meurtre

 

et tu vivras, en tes veines la vie

rouge le sang, passée la peur, la vie

 

 

 

 

courez – courez

 

! pierre a roulé

poussée – poussée

 

espace vide

parti – parti

 

reste le trou

la peur – la peur

 

parole nue

pas là – pas là

 

il faut sortir

courez – courez

 

épouvantées

vivant – vivant !

 

! vivant 

 

 

 

 

Ânon*

 

l’âne aimait ce sentier, il aimait y trotter 

– sur le sentier qu’on aime

on ne tourne plus la tête

il aimait cet ânier, il aimait l’écouter

– qui suit l’être qu’il aime

viendrait-il de Nazareth

aimera ce prophète, aimera le porter

– quand le monte un qui l’aime

avancer est une fête

 

* Tiré de Toutes ces mondanités

 

 

 

 

Runes dispersées

 

Neige, sur un ciel noir, a passé son traîneau

et repasse et louvoie, semant des fleurs de gel.

Neige morte, absence gelée, nul arc-en-ciel

n’irise ta blancheur, que hachent les moineaux.

 

Bravant le vent d’hiver, sur ton immensité

ils vont de ci de là, leurs pas sont des étoiles,

traçant, illisibles, des runes que seul voile

un souffle qui, rasant, les change en vérités.

 

Au loin s’en vont ces mots que nos livres ont dits,

fuyant leurs pages blanches et celant leur mystère,

alors que ces vivants nous laissent interdits.

 

Nul ne pensait saisir en leurs vives manières,

en leurs cheminements, leurs petits bonds hardis,

le langage à traduire en son dire éphémère…

 

 

 

 

On rigolait

 

c’était un jour où le rire fusait

un jour heureux

 

le ciel riait, riait, la mer riait

serait-ce un peu

 

on n’en finissait pas d’un rire heureux

rire à grands traits

 

du nord au sud on ne pensait qu’au jeu

du chaud au frais

 

rire mélancolique autant que gai

rire en un feu

 

en guerre en vrai, c’est vrai, rictus hideux

on se forçait

 

 

 

 

Ordre dispersé

 

qui descend la rivière ?

au fil du courant, une barque sur son erre

 

et qui happent leur ver ?

des corbeaux égaillés sur un champ labouré

 

chevreuils allant brouter

ainsi mes pensées, harde aux légères foulées 

 

un ordre dispersé

aux bois où nulle route n’invite à passer

 

liure et liberté

pour tous, enfin, terre et soleil, fleuve et nuées

 

 

 

 

Elle dort

 

elle dort, elle est épuisée, tant de douleurs

elle a vécu plus que les autres, intensément

un jour puis un jour 

 

ô femme, terre mère, et roche plus que sable

aussi dure qu’une enfance et tendre infiniment

dormir, elle dort

 

ses yeux, aigue-marine aux prunelles de mer

sont fermés, abaissées les paupières, apaisée

voir au loin, si loin

 

des images, des sons, des souvenirs dansants

et tout un devenir habitent son sommeil

sourire, sourire oui

   

 

 

 

Vœu

 

il a vu que le monde est en lui, lui dans le monde

et ce fut là qu’au centre un être vint gésir

que savons-nous que l’on aime si ne sont signes

on dit les yeux du messie rouges de vin

 

abreuvé de ta pluie ou de ton souffle

voici le monde et voici les étoiles

face à toi qui ne le vois s’en va ton avenir

changez la terre est le vœu

 

(presque cadavre exquis)

 

 

 

 

La rose de Luther

 

vole une fleur qui vole, aux couleurs de l’aurore

jamais ne fanera, rose folle qui danse

et libre sous le vent elle s’en vient éclore  

venue d’un sol vibrant, venue du ciel immense

 

croix de mort, cœur de sang, rose blanche, cercle d’or

la rose du matin, dès l’aube d’un dimanche

a pour toujours fleuri au sortir de la mort

sa rosée donne vie où sa fraîcheur s’épanche

 

évangile est son nom, parole dont l’essor

a fait trembler des mondes, plier des arrogances 

vaciller des empires, et veut le faire encor

 

une fleur est fragile, elle semble impuissante

mais qu’il habite un cœur et qu’il suscite un corps

l’évangile à la rose est faiseur de naissances

 

 

 

 

Transitives

 

les paroles sérieuses sont légères 

comme l’oiseau qui passe

transitives

elles ne s’appuient guère

seulement sur l’espace qui s’en va

sur l’espace qui s’en vient 

sur la présence qui passe

paroles de la porte

 

 

 

 

Requiem pour un monde

première tentative (juillet-août 2017)

à retrouver à la page Requiem

 

 

 

 

On dit adieu

 

à bien parler vaut seul le seuil

à qui entre on dit le bon jour

qui sort déjà pense au revoir

on dit à dieu

 

au temps où tout vous devient seuil

vous voici loin du premier jour

nombre de gens sans nul revoir

on dit à dieu

 

un temps neuf vous ouvre le seuil

d’une aventure au jour le jour

d’un soi où tout est à revoir

on dit à dieu

 

 

 

 

Sur un joug

 

aux sages     reste à comprendre     qu’il ne savent pas

l’intelligent     doit apprendre encore     qu’il a saisi le vent

le fort et le puissant     auront peine à porter     l’instant

 

et ta parole     au monde     pèse plus que le joug du pouvoir

et ton verbe     enseigne plus     que le poids du savoir

et ton dire a plus de prix     que l’avoir     et son or

 

 

 

 

Aux messagers

 

une coupe d’eau fraîche

à qui la donner ?

 

je la donnerai

aux messagers du ciel

 

quand renaît leur courage

au sortir de la nuit

 

alouettes et merlettes

qui m’annoncent l’aurore

 

et le goût de cerise

de la journée qui vient

 

je la leur donnerai

pour leur amour du ciel

 

 

 

 

Septième jour

 

au commencement l’humain chantait

il ne parlait pas il chantait

ses premiers mots ne furent pas des mots

il n’a pas nommé les animaux

car il les a chantés ou peut-être sifflés

c’est toujours de la musique

 

et bien sûr il mimait en chantant

il était joueur

il chantait il mimait il jouait

son chant était un cheval et le cheval courait

c’était un caïman le caïman nageait

un cormoran et il volait

 

et le monde le monde s’animait

même les arbres bruissaient

et le ruisseau roucoulait le tonnerre tonnait

et Dieu pour cette unique fois

riant aussi pleurant vit cet humain

de son monde faire une œuvre belle

 

 

 

 

Entrevues

 

Je me revois à Etchmiadzine

avec la fille d’un soldat russe

elle traduisait

dans l’odeur de vodka

 

Ou je repense à Pusan

une fille aux yeux d’amande

elle riait et nous buvions

puis elle pleurait

 

Je nous revois à Managua

la blonde et moi

quand nous chantions ensemble

"Aux marches du Palais"

 

chantez chantez-moi

 

Et je repense à Tana

ville aux mille vivants

elle se moquait je crois

la femme aux cheveux lourds

 

Reviendrai-je à Ouaga

à la fille en prière

croix d’or sur la peau noire

et les regards trahis

 

Et je repense à Stavanger

akvavit sous la neige

l’élan qui erre dans les bois

et la caverne aux trois serveuses      

 

parlez parlez-moi

 

Souvenir de Bizerte

aux soirées de citron pressé 

danseuse arabe fière  

et la splendeur du jasmin

 

Et je repense à Berlin

quand nous marchions ensemble

elle aux yeux de charbon

un monde de tristesse

 

C’était à Mombassa

le port était languide

où fut trompée la fille

aux longs pas de savane jaune

 

criez criez-moi

 

Et je repense à Lomé

l’hôtel et la chemise repassée

et ce sourire au miel amer

aux yeux noirs sans espoir 

 

Était-ce à Setúbal ?

pieuse au milieu de la foule

quand tu tenais ma main

un rire nous a pris

 

Et je repense à Port-Saïd  

ton voile sous le vent

du quai tu captais nos regards 

quand se glissaient les voleurs 

 

jouez jouez-moi

 

Était-ce à Cracovie ?

me croyant allemand

une effrontée criait Polska !

me bousculant elle riait 

 

Et je repense à Antigua

nos amies s’étonnaient

car nous parlions sans peine

notre langue de hautbois

 

Et je médite sur Sofia

cheveux fous d’une gamine róm

amère à qui je disais va

ne m’ennuie pas

 

pleurez pleurez-moi 

 

Multiples femmes entrevues

dessus la belle boule bleue

fragile

elles que sont-elles devenues ?

 

 

 

 

Jeudi

 

blanchâtre, aujourd’hui, le ciel est pris

telle une taie sur l’œil noir de mes jours 

aucun rai du soleil ne traverse les nuées

nulle échelle d’en haut pour descendre

pas de montée, pas de jeu pour les anges

 

certes, on parlait d’ascension, de montée

de bousculer les cieux, de s’y installer

et puis non, tenez, il vaut mieux profiter

jouir de la pluie tiède, entêtée, du noroît

car si tu règnes, c’est au fond de moi

 

 

 

 

Allégeance

 

il ôte son manteau

il ôte sa splendeur

assis dans la poussière

ainsi agit le roi qui meurt

 

il n’est de dieu pour toi

que sans rois ni seigneurs

que sans les voleurs

les accapareurs 

 

tu sers le roi qui meurt

aurais-tu peur très peur 

il ôte son manteau

il ôte sa splendeur

 

 

 

 

Trois aïe-coups au "grand"

 

(le aïe-coup est pour moi une sorte de haïku écrit sur douze syllabes)

 

 

grand ciel ce jour

pas un mot

il n’est pas ici

 

 

sur le chemin blanc marchant

grande joie

tu viens

 

 

au sol effacé l’écrit

l’esprit

un grand vent

 

 

 

 

Reste un doute

 

La plupart du temps existe

sans aucun doute

mais le reste du temps ?

 

La plupart une fois mise de côté

y a-t-il un autre côté ?

il y a un doute

 

Mais que font les autres doutes 

les autres fois ?

et où sont les autres ?

 

La plupart en reste de côté

sans aucun doute

mais à chaque fois ?

 

 

 

 

Grève générale

 

pendant longtemps ce fut la sécheresse

les sources avaient cessé de couler

elles étaient fâchées, on ne cessait de les empoisonner

 

l’herbe avait blanchi, les fruits étaient tombés

on n’avait plus de lait, on n’avait plus d’espoir

sans sa copine, en-bas, la pluie se retenait

 

puis Jeanneton vint accoucher sur l’herbe rousse

auprès de l’ancien ru de son village

elle qui est si jolie

 

Elle était simplette aussi, elle dit « O m fedré d l’ève »*

la source entendit, sourit à la façon des sources

mais ne bougea pas, ne voulut pas céder

 

or quand le bébé pleura la source ne put se retenir

elle gazouilla, puis elle chantonna, puis elle bouillonna

elle en perdit les eaux – le ru coula

 

 

* « Il me faudrait de l’eau » (parler poitevin).

 

 

 

 

J’aimais ta robe bleue 

 

j’avais bien vu la fille en robe bleue

celle qui ne riait pas

elle était venue seule et quand elle est partie

un bout de ciel nous a manqué

nous vivions en hiver

et quand elles sont belles les filles faut s’en méfier

 

dis-moi pourquoi ce jour-là tu vins seule

pourquoi tu es partie

pourquoi gelé un bout de mon ciel est tombé

ce jour raté quand le ciel a fermé

grande ombre noire terrée

au gué au gué ta robe bleue m’a envoûté

 

 

 

 

L’ombre noire 

 

dans les bois

dans les bois l’enfant s’en va

le chien aboie

dans les bois l’ombre noire est là

le chien s’en va chercher dans les bois

chercher l’enfant qui s’en va

s’il le trouve une amitié naîtra

de joie le chien aboie

du sanglier voici l’effroi toute l’histoire est là

un sanglier, un enfant et un chien qui aboie

un chien plein de joie, le tout dans les bois

le sanglier tel l’enfant reste coi

l’ombre noire est là

la peur de l’ombre noire est là

 

 

 

 

Temps ?   

 

beau jour

où est ton chant ?

le temps est court

instant

 

es-tu

un jour sur terre ?

temps d’un fétu

mystère

 

sourire

le plus beau don ?

un temps pour dire

pardon

 

à vous

qui donc se mêle ?

le temps l’avoue

une aile

 

désir

jamais assez ?

temps sans rosir

laissez

 

 

 

 

Écoute s’il pleut 

 

il n’est là d’origines

ne cherche pas si loin

la source n’est que signe

c’est un fil d’eau qui coule

sous la source qui sourd

et la source en est signe

 

écoute

sous la source

passent les souvenirs

passent les remords

passent les regrets

filets d’eau qui s’emportent

 

filets d’eau sale sous la terre

au loin qui vont et meurent

ils coulent sous la source

elle qui chantonne

elle qui murmure

l’aujourd’hui qui s’écoule

 

écoute

écoute s’il pleut

si la source se perd

si les eaux de la terre

sont lavées sous le ciel

et si tes yeux se mouillent

 

 

 

 

La fille du magasin 

 

elle ne le sait pas

elle ne sait pas qu’elle est belle

on lui dirait que son nom à elle

que son nom rime avec belle

ses yeux s’élargiraient, elle se détournerait

elle resterait là figée, sans bouger

ne sachant que dire, ne sachant où aller

bouleversée

gêné on insisterait on lui dirait

que ses yeux

que ses yeux d’aigue-marine

qu’ils sont les plus beaux de la commune

elle fuirait, elle s’enfuirait

elle courrait se cacher

se cacher dans l’arrière-boutique

on ne dit pas ces choses-là elle penserait

d’ailleurs à penser, elle n’aurait pas que ça

elle n’aurait pas que ça à faire

arrêtez de m’embêter elle dirait

en revenant elle essuierait ses yeux

ses yeux les plus beaux yeux de la commune

car elle aurait pleuré

 

 

 

 

Cris d’enfants

 

ils rient les enfants du malheur

dans leurs camps ils rient plus que les autres

ils rient très fort, à celui qui rit le plus fort

car ils ont connu la peur

ont éprouvé la peur

ont éprouvé sur eux les mauvais et leur mal 

elle a passé sur eux la cruauté 

la cruauté des cruels et la folie des fous

ils savent

ils ont su où se tient la folie, ce qu’elle veut

et quand il jouent

quand ils jouent

oui quand le temps du jeu leur est enfin rendu

alors plus fort que tous les autres

alors plus fort encore

ils crient très fort

 

 

 

 

Paradis froid

 

surgit du brouillard alentour

l’armée de givre d’arbres nus glacés

hors du temps monde mort

bleuté d’un purgatoire étincelant

 

soleil brusque illuminant

naît ébloui un monde neuf

quand la forêt de givre abandonnée  

se mue soudain en paradis de fées

 

la beauté la beauté la beauté

sans même une bonté juste pour rien

 

 

 

 

Ouragan

 

la tempête s’annonce

qui la verra venir ?

 

un roseau agité

sous le vent du désir

 

cela suffira-t-il

et pourra-t-on saisir ?

 

tu fermeras les portes

l’ouragan va t’ouvrir

 

le vent qui te dévaste 

il venait t’avertir

 

 

 

Vitrail

 

Tout aurait pu arriver

heureusement tout s’est bien passé

 

la dame aurait pu refuser

l’ange aurait pu se tromper

la dame aurait pu perdre sa chaussure

elle aurait pu avoir mal et s’en aller

et l’ange aurait pu se vexer

il aurait pu se froisser

ses ailes se ternir ou se flétrir

même se faner

 

le temps qu’on retrouve cette chaussure tout aurait pu rater

on sait qu’une chaussure perdue ne peut pas repousser

il faut la retrouver aurait dit l’ange

la prochaine fois tâchez d’être moins maladroite

sans l’écouter la dame s’en serait allée

 

mais tout s’est bien passé et quand il est venu

la dame l’attendait pieds nus

 

 

 

 

Au chemin d’en bas  

 

au chemin qui descend en quittant la maison s’entend la paix des bois

chênes et châtaigniers, leur bruissement sans fin, sans projet, sans vouloir

pur désir de tenir, c’est leur aspiration, et je le sais fort bien, je leur suis étranger

pour ne plus être craint il me faudra chanter, chantonner, murmurer

doucement inspirer, largement respirer si je voulais tenir

partager leurs accords, apprendre à devenir

et si j’ai leur appui, remonter tout à l’heure, flatté de l’entrevue  

 

 

 

 

Conversation

 

au passage d’un ange

un trou dans nos paroles

je suis tombé dedans

 

quand l’échange a repris

je suis resté en bas

plongé au fond du trou

 

l’ange est venu au bord

il s’est penché vers moi 

m’a dit de remonter

 

je n’ai pas répondu

je me plais bien au fond

il a repris ma place

 

 

 

 

Échappée

 

il s’est passé qu’une ombre

a recouvert l’étang

et qu’un héron cendré

aussi sa belle effarouchée

saisis d’un brusque envol

ont quitté ces parages

 

ainsi s’enfuient bien loin

les amants de vives lueurs

quand une nuit les frôle

aussi leur monde

 

nous demeurons

 

 

 

 

Qui ?

  

je fais des vers en je

je fais des vers en tu

je fais des vers en il

je fais des vers en elle

je fais des vers en nous

et pourquoi pas en vous

mais ni en eux ni en elles

c’est que ce ne sont pas  

mes à faire

  

 

 

 

Résister                                   

 

les chefs n’y ont pas réussi, les rois n’y ont pas réussi

aux empereurs nous avons survécu, aux prêtres même

venus jusque dans nos cœurs et nos têtes et nos reins

aux évêques et aux papes, aux pasteurs desséchés

à leurs synodes, leurs conciles, leurs fatwas et leurs bulles

nous avons résisté, à leurs États, leurs juges, leurs docteurs

leurs diseurs de vérités sur nous autres, leurs savoirs

leurs prisons, leurs goulags, leurs charniers, leur raison

leur bon droit, nous avons tout souffert, morts par millions

au long des millénaires, écrasés, formatés, chair humaine

souvent nous l’avons cachée, nous l’avons sauvegardée

nous avons su conserver, têtes à claque, notre antique

mauvaise tête 

 

 

 

 

La visite

 

il vient me voir parfois

c’est entre chien et loup

nous parlons en confiance

toujours entre les temps

il n’a pas d’apparence

 

dans les premières fois

il me parlait de moi

je crois que je l’amuse

il me montrait du doigt

les failles de mes ruses

 

il n’était jamais dupe

je ne l’étais pas plus

nous le savons tous deux

les humains sont trompeurs

et moi je suis l’un d’eux

 

on se ment à soi-même

on finit par se croire

la visite d’un ange

empêche assez souvent

qu’on se donne le change

 

aujourd’hui quand il vient

nous dépassons mon cas

nous parlons d’autre chose

de la force du mal

du bien et de ses causes

 

de ce déséquilibre

où se forme le monde

au temps qui dérapa

de la matière en lutte

au rythme de nos pas

 

nos rencontres sont brèves

il lui faut peu de temps

pour éclairer des jours

pour redresser un dos

défroisser un détour

 

en un mot un sourire

une question subtile

il sait faire apparaître

un pan de l’irréel

et ce qui vient à naître

 

c’est pourquoi je l’attends

chaque nuit chaque soir

à l’aube au crépuscule

espérant sans le voir

que l’ange me bouscule

 

 

 

 

Kyrié éléison

(Seigneur aie pitié)

 

je ne suis pas un chien

je ne saute pas de joie

je ne gambade pas

je ne rapporte pas

je ne jappe pas de joie

d’ailleurs je n’aboie pas

 

je ne suis pas un chien

je ne suis pas fidèle

je ne te défends pas

ne te protège pas

je ne garde pas ta maison

d’ailleurs je n’obéis pas

 

je ne suis pas un chien

je ne cours pas en rond

je ne geins pas, collé au sol

je ne supplie pas des yeux

je ne hurle pas à la lune

ni à la mort, ni à la mort

non

 

 

 

 

Juste un panier

 

comme un panier, je suis comme un panier

comme un panier pansu tressé d’osier

je me remplis de fruits tombés de cent ou de mille arbres

on m’en jette aussi dedans, qu’on me confie, ou que je vole

quelle importance, au fond ils ne sont à personne

en tombant là-dedans certains me feront mal

ils ont de gros noyaux, il faut bien les comprendre

certains, de nuit, se glissent en mon sommeil 

d’autres sont tels qu’ils attendent une main qui les prenne 

alors je prends, je tends la main, je regarde et caresse 

fruits de toute espèce et de toute part du monde

de toute couleur et de toute saveur, et légumes aussi

plantes qui verdoient, fleurissent et fructifient

graines qui s’en vont germant, et selon leur espèce

tel va le panier que je suis, qui déborde parfois

au fond jamais rempli, pourtant, ni jamais alourdi

et j’accepte et souris d’être juste un panier 

juste un panier, comme un panier pansu tressé d’osier

   

 

 

 

Éveil

 

quand je suis arrivé tout au bout de mon rêve

je me suis éveillé

il faut que telle histoire en cet instant s’achève

au jour ensoleillé

 

je vivais du malheur au long de mon sommeil

de joies échevelées

l’aventure inouïe ou l’amour sans pareil

l’arcane révélée

 

et puis le jour paraît et le vrai qu’il révèle

au matin nettoie l’œil

ainsi vient l’essentiel et l’avent qu’il recèle

 

du songe on fait le deuil

on reçoit ce qui vient, malsonnant ou fidèle

chaque jour est un seuil

 

 

 

 

Prière à l’usage de la maman de François Villon

 

Père qui vis et vivais avant nous,

Montre-nous tes cheminements :

Que, face au monde immense devant nous,

Nous ne pensions petitement !

 

Ô Père qui vis au-dessus de nous,

Apprends-nous tes commandements,

Et que, l’image de ton Fils en nous,

Nous ne vivions petitement !

 

Ô Père qui vis au-dedans de nous,

Fais-nous respirer largement.

De l’étroitesse du cœur garde-nous :

Que nous n’aimions petitement !

 

Ô Père qui vis si proche de nous,

Vivons-nous fraternellement ?

Qu’envers celui qui chemine avec nous,

Nous n’agissions petitement !

 

Ô Père qui vis tout autour de nous,

Le monde joue injustement.

C’est toi qui mets ce défi devant nous :

« Ne luttez pas petitement ! »

 

Ô Père qui veux le bonheur pour nous,

Pour le construire, joyeusement,

Que jamais, dans ce chantier devant nous,

Nous travaillions petitement !

 

Ô Père qui viens au-devant de nous,

Quand pour chacun c’est le moment,

Fais que, logeant la foi très fort en nous,

Nous ne croyions petitement !

 

Ô Père qui viens pour toujours à nous,

Tu veux apaiser nos tourments.

Que, l’espérance ancrée au fond de nous,

Nous ne mourions petitement !

 

 

 

 

Fêter le dire

 

dans le champ / dans le champ est l’épi / dans le champ est semée la graine / dans le champ / la graine là se trouve / dans l’épi / dans la graine se trouve le germe / cherche la graine et cherche le germe / il a dit tu ne me / chercherais pas / si tu ne m’avais / trouvé

 

ils ont pris la parole / ils l’ont prise pour eux / ils ont dit nous parlons / c’est nous c’est nous / ils ont mouillé le monde / mouillé de leur parole / qui n’est pas la parole / et qui jamais ne dit / pas le verbe qui dit / corps de celui qui dit / de celle qui dira / jamais eux 

 

n’ont pas émis le verbe / n’ont pas osé le temps de dire / pas le temps du faire / le temps du dit qui fait / du dit qui crée / oh non car ils étendent / ils allongent / vois comme leur temps est long / sans effet / sans autre effet que l’ennui / que l’embrouillamini / salive qui englue  

 

et le roi leur avait donné la parole / le roi l’avait disséminée / le roi l’avait jetée aux uns / et même aux autres / abandonnée / riant de les savoir à même / de les vouloir ainsi / à même de dire / aptes à faire d’une parole un dire / dire de lui / digne de lui / dru comme lui

 

alors pleurer se retrouver et rire / ainsi le verbe à ton côté / trouvé le pain / trouvé le grain / trouvé le germe / dans le grain le germe / et le dire qui lève / boire le vin boire la rosée / boire la brume / fêter le dire / jamais assez

 

 

 

 

Comment ?

 

c’est un arbre qui rêve

juste une envie de ciel

et comment le gagner ?

un arbre est désarmé

 

ni gagner par violence

ni monter par jactance

non plus que par prudence

 

il a pu s’élever

approcher de son rêve

car la ruse des arbres

est de s’enraciner

 

 

 

 

Comme le vin

Ballade

 

Comme le vin tu me captives

comme le vin

et mieux puisque tes yeux

me font chuter dans le silence

parfois

 

Je te vois et compréhensive

comme le vin

plus ferme qu’un vin vieux

te voici l’avenir de ma danse

parfois

 

Lumière brune lampe vive

comme le vin

ton regard est non-lieu

il pense au soir en mon enfance

parfois

 

Couvrant ce que la peur active

comme le vin

et mieux car oublieux

devin il devine ma transe

parfois

 

Au loin ma dame un peu naïve

comme le vin

sous le ciel rocailleux

d’amour me donne intelligence

parfois

 

 

 

 

Le jour où tu pars

 

le matin est neuf, sauf est le soir

entre les deux, veuf est l’espoir

il va pleuvoir et tu t’en vas

pas un matin que tu ne sauvas

 

ce jour est lourd, celui où tu pars

 

neuf est le soir, ce jour fut trop court

araignée du soir, l’air est lourd

au noir mon espoir a sombré

la pluie tombe, asile enténébré  

 

dis, le jour où tu pars est trop lourd

 

veuf est le matin de ton départ

en allée, vois le monde épars 

je ne sens que tu reviendras

si noire, la nuit étend son drap

 

il fait trop nuit le jour où tu pars

 

 

 

 

Pétaudière

 

tu sais ce que je pense

je pense que tu le sais

et ce que je sais

c’est que tu le penses

quand tu penses que tu le sais

et que tu sais quand je pense

et ne sais que je le pense

au moment où tu le sais

mais que sais-tu, j’y pense

j’y pense bien, tu penses

tu le sais bien, je sais

toi et moi le savons

de Marseille  

 

 

 

 

Préliminaire  

 

je dis que le mal ce n’est pas étonnant

le dur et le méchant, c’est l’habitude

et ce qui me surprend

c’est la bonté en marche, celle qui a des mains

et puisqu’il est un dieu, là il rit de bonheur

 

Au cœur du malheur

 

vois, de toutes les miettes disséminées, miettes éparpillées, tombées, inconséquentes et légères sous la table, tu fais du pain

 

c’est ton secret, fort bien gardé, tu lèves ce qui est tombé, ce qui est pulvérisé, tout ce qui est défait, tu le dresses et l’unis et l’assembles

 

de toutes les écailles, de toutes les arêtes rejetées, tu inventes le poisson, et tu le mets à l’eau comme s’il n’avait jamais nagé

 

tu n’es pas embarrassé, quelques pains ou poissons te suffisent, de cela tu feras un banquet, face à nous tu dresseras la table, et nous tes ennemis, mangerons et boirons

 

ce n’est là que prémices, tu n’as pas de limite, tu nous prévois heureux, usagers d’un éden, èves tout éprises, adams tout amoureux

 

de tout duvet léger, voletant sous la brise, tu vas tisser l’oiseau, tu le lâches dans l’air, tu attends qu’il s’envole, tu espères qu’il ose, et tu le vois planer

 

et chaque jour, chaque seconde, incognito, amoureux du devenir, tu nous fais le coup de tes six premiers jours

 

de toute goutte postillonnée, tu rassembles une mer, et tu bâtis la terre de toutes les poussières, celles qui sans raison tourbillonnent sous le vent

 

tu amasses le fétu, pour qu’il serve à ton œuvre de verdure, à ton idée de forêts, de taillis et de futaies, d’ombrages propices à toute bête  

 

et pendant que nous dispersons, que nous défaisons, face à nous, face à tes ennemis, ennemis de toute œuvre à venir, tu te fais inlassable

 

et de tout ce qui est, qui vit sous ton soleil, toi tu te fais un monde que tu aimes, et à qui tu souris, qui te fait rire de plaisir, tressauter de bonheur

 

et de chaque minute, et de chaque heure comme de toute année, tu nous offres un temps, une ère de merveilles, au creux du temps damné, des jours abandonnés

 

n’es-tu pas, ce fut dit, le seigneur de la danse, n’es-tu pas, en nos cœurs, en nos morts, en nos deuils et nos crimes, en nos malheurs sans nom, le maître de la joie

 

 

 

 

Paisible

 

le chant du soir s’en va, souffle léger au-dessus de nos toits

dans le fouillis de l’érable les cancans des mésanges s’apaisent

tête repliée, calotte bleue penchée, elles cherchent le sommeil

l’air s’est fait translucide, reste, vers l’océan, ce halo qui s’étire 

quelqu’un chantonne sur la terrasse, je crois bien que c’est moi

 

aux temps de mon enfance il arrivait que toute paix survienne

dans le silence oublié par les bombes, retombé le nuage

une paix sidérée, telle incrédule, habillée de stupeur 

frayeur de qui se voit survivre et ne sait plus où cela mène

et je crois bien que c’était moi, cet enfant blanc couvert de poudre

 

ainsi s’en vont les bombes, concédant, à qui veut, quelque répit

ou à qui peut, quand se lasse un pilote attaché à son œuvre

ramenant un bilan de désastre aux palais blancs de ses maîtres   

quand se terrent par milliers, en des trous, les enfants d’aujourd’hui

dans leurs pays lointains, et je crois bien que c’est moi qu’on bombarde

 

là, une herbe impavide à trouvé son peu d’espace, entre deux blocs

un fétu vert paraît dans le béton, dans l’amas imbécile 

la vie renaît quand les humains sont morts, leurs enfants éventrés

or les oiseaux d’ici, pinsons, chardonnerets, nous laisseront vivre

nous ignorant, et celui qu’ils oublieront, je crois bien que c’est moi 

 

 

 

 

Margot Margot

 

si j’écris à la plume

c’est pour te faire un mot

Margot Margot

 

je suis comme un rat d’eau

je compte pour des prunes

ballot ballot

 

elle me lance une agrume

je lui jette un bon mot

pas beau pas beau

 

je m’en vais à vau l’eau

ni chacun ni chacune

bateau bateau

 

pense pense à moi

 

à l’heure de l’apéro

je songe au lamparo

et tu rêves à la brune

hello hello

 

et Margot je présume

que tu erres en la brume

moi je te cherche trop

rends-moi ma plume

 

 

 

 

Yggdrasil

 

assis où j’ai choisi

me disait le grand arbre

de là je sème, de là j’essaime et je vais loin

 

comme un chef de tribu

j’enseigne et je conduis

trônant sous l’arbre de nuages et de pluie

 

jambe en terre plantée

et quand je me déploie

les bras ouverts, je suis le tronc de toute science

 

de loin ma chevelure

indique le chemin

amoureuse des vents et amante des temps

 

c’est ainsi qu’immobile

je voyage et navigue

au-delà de la vue, mon ombre portant loin

 

mon nom importe peu

je suis l’arbre du monde

qui me touche et m’enlace, il se renforcera

 

 

 

 

Cène    

 

alors les voici tous à table

avec les enfants et les femmes

 

la peur est cachée par derrière

en un paisible remuement

 

ils ont faim, loin d’être repus

manquant de pain et d’amitié

  

ils sont ensemble pour fêter

le sachant que proche est la fin       

 

celui qui parle va mourir

et tous ceux-là vont s’en aller

 

un seul repas va leur suffire

il nourrira leurs aventures 

 

 

 

 

Utopie

 

ce qu’on nomme utopie n’est autre que le rêve

où tu sais, en rêvant, que l’avenir se lève

 

un jour vient, puis un autre, et l’horizon s’éclaire

chaque étape à pour elle un nouveau monde à faire

 

tu le crois, tu le penses ou le veux et l’espères

jamais les démentis ne vaincront tes colères

 

comme il te faut d’audace, et comme tu t’égares

quand meurt pourtant le jour heureux que tu prépares

 

après la pluie vient le beau temps, dit-on souvent

la pluie revient pourtant, la pluie des mauvais vents

 

alors tu recommences, alors loin d’oublier

l’enjeu de ton courage est de ne point plier

 

on te dira follingue, étrange en la maison

on verra qu’à la fin, c’est toi qui as raison

 

 

 

 

Envolées

 

plume qui vole, qui s’envole,

tel va l’aveu, l’avis, le vœu,

s’en vont les envolées, valaient-elles,

et le vote, volatil où va-t-il ?

 

plume qui vole et volera

avec les vieux, va, la vie s’en va,

vaine la vie, que vaut-elle,

mais que vive la vie vraie !

 

plume qui vole, envolée belle,

vivre est un vide, vivre est un vin,

vivants valides, voulant ou veules,

qu’ouvert, en vous, veille un visage.

 

 

 

 

Étrange

 

le monde en moi

toi dans le monde

en toi voici le monde bleu

je te vois si jolie

couchée sur l’herbe bleue

le bleu de tes yeux dit-il tout rouge

 

je te vois rouge

le monde est rouge

je te vois bleue le monde est bleu

tu fais entrer en moi le rouge

tu fais entrer le bleu

une orbe rouge et bleue

 

et si le ciel orange est un orage

mon cœur en moi se fend

tous ses quartiers s’épandent

sur l’herbe verte et bleue

du ciel sur elle a coulé tout l’étrange  

et tu dis quel mélange

 

quand je suis toi je suis le monde 

le monde rond comme une orange

où comme au ciel les anges

ma chair est rouge et bleue 

couchée sur l’herbe noire

et tu me dis étrange

 

 

 

 

Aériennes

 

ce jour-là, les oiseaux eux-mêmes étaient lourds

les poissons aussi, ils étouffaient, toute cette eau

une eau sans air, un air pesant, la chaleur lourde

c’était un jour où l’attraction terrestre jouait à plein

les pieds collaient au sol, les jambes gonflaient

la terre s’effritait sous les pas, attirée vers plus bas

sûr qu’on rigolait pas, on étouffait, comment rire ?

 

il a dit que non, qu’il sauterait en l’air, jambes en l’air

 

tranquille il l’a fait et les oiseaux se sont mis à voleter

remis à voler, même les plus gros, l’émeu lui-même

et voyant, les poissons se sont mis à rêver de la nage

à nager dans une eau redevenue légère, même aérée

avec des bulles, et la terre les a senties, les bulles

elle s’est mise à respirer, elle s’est assouplie, légère

et il est retombé, les pieds ailés, les jambes déliées

 

même, il a dit qu’il n’hésiterait pas à recommencer

 

 

 

 

Pour une combattante

 

la belle est morte au combat

pleurez sur le corps d’une dame

femme brune de là-bas

chantez le courage des femmes

 

femme, elle a pris le fusil

tombée, elle gît dans le sang

honte à l’homme qui s’enfuit

quand sa sœur meurt en partisan

 

toi, tu n’auras pas d’enfants

la guerre te fut imposée

veuf qui se veut ton amant

la guerre au loin t’a emportée

 

on pleure, on chante là-bas

on chante la force des femmes

la belle est morte au combat

fière et belle comme une lame

 

(Lieutenante Reem Hassan, commandant

une unité de femmes kurdes et chrétiennes

face à Daéch en Syrie)

 

 

 

 

Bluette

 

adieu à mes amis 

doux comme un doigt de miel

ou comme un poing unis

étoiles dans le ciel

 

des bras de mon amour

aux serres des vautours

de lèvres de velours

à la mort sans atours

 

les signes sont tracés

les enfers sont pavés

les bêtes vont émerger

leur règne est annoncé

 

elles seront douces

elles seront cruelles

seuls survivront

ceux qui sauront aimer

 

 

 

 

Enfants heureux

 

Sur un rythme de Jean-Paul de Dadelsen

 

Près du hameau les enfants courent, sous la chaleur du soir, sous l’odeur des tilleuls, criant

malgré les ombres qui s’allongent aux murs, ils se poursuivent, fuyant le lit, des enfants

pâles des villes, et que la paix soit avec eux !

Derniers jours de l’été, fin août a confié à la nuit qui vient ses parfums et ses rires.

À peine le matin viendront des jamais plus, au temps où les beaux jours s’achèvent,

l’automne et l’oubli pour refrain.

 

Au loin les soldats ont peiné sous le casque, leur pas lent fait rouler la longue mémoire

de ces pierres insoumises, pour toujours fichées là en rebelles ; la foi des pauvres avec elles

éveille à nouveau, pour longtemps, sa rancœur.

Revient l’inévitable, au retour du malheur, lorsque l’encre des messieurs, et leur verbe,

redéfait une longue épissure de travaux et de jeux, et d’alliances, et de danses,

ainsi revient la guerre aux hommes.

 

La jeune femme, à ses anciens voisins l’a dit, redit, d’autres temps viendront où pourtant

il sera temps de refaire une histoire, de rassembler les brins, de trouver un village

de tendresse tressé, au cœur las de haine.

Qui le croira, qui va le croire, et les soldats ont ri, pourtant vêtus de peur, d’habits

de sang versé ou de tortures, à la terre ira leur rire comme un chien a hurlé

à mort, il n’est pas de pardon.

 

Où s’en vont les anges quand il pleut, leurs ailes salies par la haine, je ne sais ce qu’ils

veulent, ont-ils aperçu, honteux, ces liens d’amours cachées dessous, je ne sais pas ce qu’ils

disent, privés de sang rouge, aux pures élytres.

S’en vont-ils pleurant, riant de nous autres humains, sommés de rapporter à leur maître

leurs proies, les ailes ensoleillées, irisées de tant d’éclairs et de combats, de peines,

chaînes trop lourdes à porter ?

 

Or paisibles sont les villages, ignorant ce qui vient, les ciels de bromure et de plomb

sous les orages, ainsi vont les gens que nous sommes, incertains et confiants, tous incrédules,

enfants de vide mémoire du mauvais.

Seul un sage a semé les graines du futur, ne sachant, ne voulant, visité seul

par les esprits errants revenus vifs de très anciennes guerres, gitans de sa mémoire

voyageant sur ses folles routes.

 

Un vieil homme est passé ce soir, mille nouvelles dans la tête, et des chansons

à faire entendre, admirer, dispersant à l’envi les brins de son tabac, mi-rieur,

mi-sinistre, rageur, la langue embarrassée,

ancien enfant justement, vif encore et déconcertant, l’œil allumé par des joies

anciennes et des bonheurs datés, par des soucis dont il n’a plus que faire, les soupesant.

Aux vieux que devient l’avenir ?

 

En attendant la mort il est si doux de rire, amis rions, attablons-nous ensemble

avant d’être cueillis pour une autre aventure, saisis de peur, habités de désir.

Ne sommes-nous pas de ces curieux amants,

aimant la guerre et la fuyant, aimant la vie et la foulant, aimant si fort, enfants

voués à vivre aimés et menacés de haine, envoûtés, encroûtés, fort amusés

aussi, qu’on n’en peut plus de rire.

 

Et les filles chantonnent, se tenant par la main, oublieuses dans leurs tabliers de ferme

de ce qu’il faut de crainte pure ou de fière malice, pour sauver son estime aux jours

où pleuvent les cris de vengeance et les pleurs.

Je sais ce que je dis, j’ai souvenir du temps maudit des reîtres vert-de-gris, barbares

civilisés, faut-il le dire, tout affolés de leur orgueil, de leur blessure d’être,

âmes retournées à jamais.

 

Les gens d’ici en ont le souvenir, on en trouve les traces, on se demande encore

en quel dessein les enfants à l’étoile avaient à se cacher, lapereaux apeurés,

sans leurs poupées ni leurs peluches aimées,

enfants tués, et le faut-il, que dans la vie des hommes, les ogres soient autorisés ?

Oh comme on s’en souvient ! Et le ciel, en vérité, peut tomber, la lune en sang rougir,

mon Dieu, tu as de ces idées…

 

Et peuple qui n’a su, venu le froid des morts, que la nuée soulevée par les chars

t’apprendrait à courir, te souviens-tu, ces jours où tu fuyais auront sauvé pour toi

tes cartons à chapeau, tes robes à fleur.

Je dis ce qui était, je ne mens pas, mais pourtant on chantait, et la plus belle histoire,

peut-être, est celle où l’on verra le peuple menacé, tout comme ces enfants qui jouent,

chanter avant la mort qui vient.

 

Car les enfants, en tous les temps, près du hameau de leur naissance, aimeront à courir

à l’ombre des tilleuls, sans souci, ignorant le zonzon de ces milliers d’abeilles

attachées à leur labeur, comme un tueur.

Qu’ils s’amusent au soir, que les rayons du soleil de la guerre ne les traquent, ainsi

que fait la flak, elle qui a piégé l’avion, cloué au faisceau blanc d’un projecteur,

et qu’ils ne meurent, non, qu’ils ne meurent.

 

Insensibles à nous et poursuivant leur quête, têtues, les fleurs, les plantes et les bêtes

continueront, obtus, sans nous, quand nous fuirons notre festin, notre destin lassé,

et qu’il est doux de dire à cet avenir

que des enfants un jour auront joué, crié, soûlés de rires, ou de pleurs sans objet,

avancés dans le soir, que l’appel de finir et venir se coucher était leur seule crainte,

enfants heureux sous les étoiles.

                                                                                                                                         

 

 

 

Le cœur  

 

comme un lit de plume

j’aime bien dire je t’aime

j’aime bien dire ça va

ces petits mots-là

un envol d’oiseaux

un bateau sur l’eau

le cours d’un canal

la vie vers l’aval

 

mais puisque mon cœur bat

tu me fais remonter

tu m’aimes tu m’emmènes

où l’on se bat 

 

 

 

 

Le bruit du vent

 

en moi, bien en dedans

ruisseaux et bruit du vent

tu les vois, canaux et courants

envolées d’avant, fous de bassan

 

je regarde en moi et volant

vont les signes du temps

bons amis et bonnes gens

moineaux et fleurs des champs

 

des monstres avec des dents

dieux contents et mécontents

une averse, un vent d’autan

en moi le monde et moi dedans

 

 

 

 

Invisible  

 

invisible et pourtant déjà là tu le dis impossible

inconnu tout encore et présent devant toi

face à toi qui ne le vois s’en va ton avenir

mortel un jour immortel aussi bien tu le nies

naître et croire et décroire et voir et devoir naître

impossible inconnu bel invisible tu viens

 

 

 

 

Au plumage d’or pâle

 

une plume descendait

elle voletait, dansait

et ce n’était qu’un souffle

ainsi chose de l’air

 

la plume se posait

venue d’une colombe

ailes lamées d’argent

et plumage d’or pâle

 

qu’elle passe aujourd’hui

dis-tu, telle une voile

et s’en aille hors le vent

qu’au loin parle l’esprit

 

tu raisonnes, tu ris

aux temps tu dis allez

que ces temps ne s’en aillent

que tout ainsi ne passe

 

que tout malheur ne puisse

alors jamais éclore

et que naisse le chant 

en des gorges de paix

 

car cela tu l’espères

que toujours te revienne

ainsi la plume neuve

sous le couvert des ombres

 

 

 

 

La marguerite

 

est-ce bien l’engrenage

ou cette fleur en soie 

qui nique la mécanique

nique nique ?

 

qui nique la mécanique

nique nique ?

est-ce saint dominique

ou est-ce saint françois ?

 

est-ce un cerveau stainless

ou le cœur pur en soi

qui nique la mécanique

nique nique ?

 

qui nique la mécanique

nique nique ?

ce n’est pas la marguerite 

c’est l’acier qui déçoit 

 

 

 

 

À quoi tu penses ?

 

À quoi tu penses ? elle demande – À des choses lointaines qu’on ne peut partager

ce sont choses d’enfance et voudrait-on les dire il y faudrait un livre

on y lirait le temps, les habits, les nuages, et ces heures et ces toits, et ces gens

on y dirait le vent, quand il vous emportait, volée de nuées de feuilles jaunes

ou rouges et brunes, et vertes encore, et dans le bruissement des dernières accrochées

aux branches des marronniers – qui se souvient des marronniers et des cours des écoles ?

des choses de récré, on y lirait aussi, choses de craies, d’ardoises, de blouses grises

et dirais-je ces mots, ces verbes et ces noms, ceux de ce temps, ce serait inutile

au livre même, au film, à la bédé, il manquera l’odeur, et manquera la peau

quand elle frissonne, sous la pluie et le vent, en automne, ta cape voletant

et comment, malgré ce temps, sous le chandail, sous le tricot, une moiteur s’étend

et ce que tu ne pourras dire, que le livre écrit ne saurait dire, c’est le plaisir

de marcher comme on rêve, comme on s’endort paisible, sous le couvert du temps

sous la bruine, dans le vent, comme le percheron qui patiente et fait sonner son fer

et le pavé de grès s’irise, et le ciel s’immisce entre les hautes maisons des gens

et tu ne sais si tu souris ou si tu pleures, car tu ignores où se tient la douleur.    

 

 

 

 

L’homme qui fuit

 

le vent tourne

le vent souffle

aidez-moi

 

il m’emporte

je m’en vais

adieu toi

 

il me chasse

le vent fou

loin de lui

 

la colère

prends ma main

que veut-elle

 

je suis seul

un désert

plus de nous

 

je vous aime

je vous fuis

loin de vous

 

des lueurs

et je cours

devant elles

 

incendiaires

souffles fous

j’ai peur d’eux

 

où courir

es-tu là

plus personne

 

 

 

 

Chaleur d’été

 

Nuit

 

fraîcheur

je suis étendu

me reste le ciel

 

chant du coq

très loin dans la nuit

un enfant pleure

 

dans le noir

un aboi

une envolée de chiens

 

tu dors

au loin chante la hulotte

je suis seul

 

 

Matinée

 

au pied du pêcher

c’est l’aube

poignée de poils gris

 

peau de pêche

au matin

la rosée l’a perlée

 

sur ma main

la montée du soleil

et les mûres

 

vois

c’était cette nuit

le renard a chassé

 

 

Journée

 

souffle doux 

le feuillage miroite

il fait chaud

 

seul humain là

les arbres m’entourent

ils respirent

 

un cri rauque

peur

la pie-grièche qui s’envole

 

chaleur épaisse

un sentier caillouteux

quel souffle ?

 

 

Soir

 

temps sec

les racines vont profond

ma soif

 

très bas le soleil rouge

une abeille

et mon verre

 

mort

j’entends la chouette

la sauvagine est sortie

 

vent du soir

l’air s’allège

temps heureux à dormir

 

 

Coda

 

vois les colchiques

un souffle passe

l’été n’est plus

  

 

 

 

Je viens de loin

  

aujourd’hui je me sens pierre à feu

silex et l’eau dessus pour en goûter l’aigu

 

calcaire aussi, de quoi en mes os je suis fait

et de la terre, a dit l’antique enseignement

 

et toutes ces chairs anciennes d’autrefois

elles, en leurs encontres, dont je suis advenu

 

je viens de loin, en moi gît le serpent originel

juste à demi soumis en la boite crânienne

 

et de plus loin, de poudre, de poussière

nuées, subtile pulvérulence interstellaire

 

de laves, de marais, et d’eau pure et céleste

de fourrures de bêtes, de squelettes enfouis

 

et le grand rire d’ogre qui vient de tout cela

dit la peur et la rage, le plaisir, le bonheur 

 

je suis enfant du monde et de tout l’univers

le reflet d’un visage et le souffle éternel

 

 

 

 

Plage normande 

 

pieds nus salure promenade sur l’estran

crachin suave et poussières d’embrun  

humide sous le pull et cheveux emmêlés

derrière nous tiédeur des prés salés

 

accord de nos pas et je te regardais

soleil sous la pluie et le vert de tes yeux   

tu disais au noroît des paroles envolées

éclaboussées giclées d’eau et de sable 

 

ce jour ce temps ce moment à jamais

heure perdue mémoire paroles envolées

en doux sépia elles reviennent volées

les ramène la bruine d’aujourd’hui 

 

 

 

 

Pouvoirs

 

L’été est là, sa douceur, et ces nids qui se vident,

nourri on se met à voler.

Les ailes, sous la pluie, se couvrant de perles d’eau,

n’ira-t-on pas trop loin ?

Pouvoirs plus étendus, enhardi, tu te risqueras plus,

jusqu’à y perdre tes ailes ?

Se glisser entre deux airs, tel le chasseur nocturne,

dans la justesse du vol.

 

 

 

 

Noroît qui va

 

au pays de nuages et de vent

où nul soleil ne découpe

rêvant, tu vas pensant, aimant

chantre du vent

 

s’agitent bonheurs et misères

en nombre au noroît tu les contes

afin qu’il les porte là-bas   

voire là-haut, qui le saura ?

 

tu n’en gardes que les moindres

il te les faut pour rire

et pleurer ou chanter, ou sourire

 

et tu respires allant

t’échevelant le vent va, t’enveloppe

cheveux qui nagent dans le ciel 

 

 

 

 

Moineaux

 

rien n'est plus beau

que le courage des moineaux

 

rien n'est plus beau

que le plus vieux des sages

qui va tenant

en sa main d'homme d'âge

la main d'enfant

d'une fille qui saute

d'un pas très sûr

sur un pied sur un autre

tout en éclaboussures

 

rien n'est plus beau

qu’une amitié d’oiseau

 

 

 

 

Chœur  

à Mikis Theodorakis

 

il est un chant qui monte dans la rue

qui l’entend pourra s’en émouvoir

et ton cœur sait trop bien qui le chante

 

dans le noir une voix s’est levée  

qui l’écoute pourrait pleurer de honte

c’est ton frère et tu l’entends chanter

 

dans le ventre des Grecs il est une chanson

dans leurs jambes se meut une danse 

dans leurs mains se glissent des barreaux

 

où est-il, ma mère, cet oiseau rouge et noir

qui planait au-dessus des eaux ?

où est allé le souvenir des hommes ?

      

 

 

 

Mouillé

 

impalpable, crachin léger

pas même une brume 

ne tombe pas, semble monter

imperceptible, le sol humecté 

et les roses, les roses perleront

 

la peau, à peine une moiteur 

et les cheveux qui frisent

la main sur eux sera mouillée

un ondoiement de pauvre

pour un homme en sabots

 

les oiseaux font silence

 

 

 

 

Selve

 

dans les bois qui sont derrière

passé le hameau

s’en va chasser la dame blanche

 

à son cri le chevreuil endormi dresse l’oreille

toute la sauvagine

 

au loin la nuit

des cités cœur ravagé vivent ainsi   

 

 

 

 

Repartir

 

au bord des fleuves de Babylone

où nous sommes assis

faut-il chanter enchaînés ou pleurer

nous faudra-t-il danser

 

sur les plages nues de servitude

où nous sommes assis

lequel de nous demain se lèvera

osera déserter

 

au long des canaux d’obéissance

où nous sommes assis

enchaînés, quand poserons-nous les rames

qui va cesser de ramer

 

au fil des courants de déshérence

resterons-nous assis

la liberté, qui l’aime et qui la veut

qui voudra la goûter

 

par les rivières de renaissances

sur nos radeaux assis

savoureuse va s’inventer la vie

va remonter le cours

 

 

 

 

L’esprit   

 

ce que l’arbre me dit c’est je vis

que le vent m’agite de toute part je vis

je ne suis pas de bois de tout côté je m’élargis

mais ce n’est pas ainsi pas ainsi que je vis

je pousse vers le haut c’est ainsi que je vis

pour cette élégance achevée ainsi je vis

ainsi j’aime et respire ainsi j’offre mes fruits

et la terre s’en nourrit d’où je vis

de l’arbre tel va l’esprit

 

 

 

 

Et je n’ai que cinq sens…

 

Qui a parlé en ce petit matin

au-delà des lilas

entre fleur et soleil ?

 

Et quelle odeur a remonté cette vapeur

humide et nue

pour se polliniser

femme odorante enjambant les tout premiers rayons ?

 

Ô monde vibrant de cent mille façons !

 

 

 

 

Attente

 

d’anciennes sagas ont parlé de cela

du jour où demain frappe à la fenêtre

 

rien ne se passe, et les jours et les jours

derrière la vitre les vieux maudissent

 

j’attends toujours ici, j’attends encore

avec curiosité, à chaque instant

 

vienne la trouée de lumière annoncée

et resplendisse, le ciel serait-il bleu

 

 

 

 

À sa fenêtre

 

là c’est juste un homme à sa fenêtre

et qui attend

 

contre le mur d’en face, une bicyclette

aussi un chien

 

un vieux vélo boueux, les pneus usés

un chien pouilleux

 

désœuvrés, ils s’appuient contre une porte

aux planches usées

 

la rouille a mangé la peinture du vélo 

la porte est bleue

 

un jour, le vieux chien fut blanc et roux

mais là il dort

 

on se demande ce qu’il y a derrière la porte

toujours fermée

 

et tout cela espère peut-être une venue

pour s’animer

 

l’homme qui attend tient sa fenêtre ouverte 

longtemps longtemps

 

 

 

 

Litanie

 

de la violence

délivre-nous

de la violence, délivre-nous seigneur

 

de la violence

 

ils sont entrés

ils ont tué

ils ont tué tous ceux que nous aimions

 

de la violence

délivre-nous de la violence

 

ils sont entrés

ils ont violé

et notre envie à nous fut de les tuer

 

délivre-nous

 

émasculés

ensanglantés

notre désir à tous ce fut de tous les tuer

 

délivre-nous

 

contaminés

que le sang coule

et c’est en nous, le sang nous saoule

 

de tous les tuer

les massacrer

l’envie de tuer qui est en nous, les supprimer 

 

les effacer

 

le sang qui coule

le sang nous saoule

nous sommes nés pour le répandre, le bénir

 

pour le chanter

nous en vanter

 

que le tambour

que le bruit sourd

de nos envies, de nos désirs de nous venger

 

il coule en nous

délivre-nous

 

que du tambour

de nos désirs

de la violence enfin tu nous délivres et purifies

 

 

 

 

Jours qui passent

 

un rongeur a rongé

il avance dans son bois

il le met en poussière aboutie :

tu disparais

un peu fini

un jour puis un jour

 

et qu’elle naisse aujourd’hui

l’étoile à venir

que s’en aille au loin l’esprit ?

tu raisonnes et tu ris

aux temps passés tu dis pardon

ils s’en vont

 

 

 

 

Porte

 

une fenêtre s’est ouverte

sous le souffle

fenêtre close

 

là se nichait le silence

se lovait le non-dit

un dire celé

 

il explose

brusque naissance

fenêtre du cœur franchie

 

un dire inattendu

non plus que voulu

puis la fenêtre devint porte

 

 

 

 

Dans la rue où vit 

 

dans la rue où vit mon souvenir je n’irai jamais plus

elle est loin d’elle-même  

ils sont heureux ces jours où sans peine elle devient l’habit

le nid d’autres enfants

ils verront s’éloigner d’eux un jour, comme elle fait de moi

son camaïeu de gris

le grès de ses trottoirs ou le zinc de ses toits, l’argenté

l’irisé de ses pluies

d’autres encor viendront, et leur rue en sera transformée

arrivant d’autres lieux

nous qui sommes divers, eux et moi, ne formons qu’un seul peuple

de purs déracinés

 

 

 

 

Comment

 

l’arbre, vois-tu son cœur

son cœur, l’arbore-t-il

 

et l’oiseau  

ce qu’il voile et dévoile en son vol

le vois-tu

 

la truite

au courant traître des eaux

que trahit-elle

 

tant de choses cachées

des mystères

                  

comme à Pâques un enfant 

cherchera  

 

 

 

 

Fille qui chantonne 

 

trois maisons basses

au long d’une allée claire

et trois arpents de terre

entre fleurs et gazon

 

fille qui chantonne

sous le ciel si haut

que penser d’elle

lorsque la nuit se tend

 

soie de peau

mouvements d’aile

c’est un voilier tout blanc

il s’éloigne en dansant

 

pointe l’éphémère

avant qu’un avenir

brûle un morceau de vie

et que changent les temps

 

 

 

 

Pèlerins, apôtres

 

quittant la nuit, ils sont entrés dans le matin fragile

la joie, la peur, l’ardeur mêlées, la ferveur malhabile 

 

parlant, ils seraient obligés, ils seraient menacés

dansant, chantant, ils se mueraient en oiseaux pourchassés

 

mais la mort, en son fond, avait passé, restait le jour

la vie qui s’entrouvrait, tendre bourgeon que l’on savoure

 

elle s’ouvrait, papillon qui se déplie, proie facile

et qui tenait en leur parole, en leur parler labile

 

aussi, en cet instant, se sont-ils tenus cois, en leur patience

avant d’oser sortir et dire, et trouver leur audience

 

lâchés comme un vol d’étourneaux, ou sur l’eau comme une onde 

ils se sont égaillés, cognés, ont rencontré le monde

 

au soir ils sont entrés, quittant le jour aux mots sans nombre 

confiants, tâtant des mains la nuit, au lieu où finit l’ombre

 

 

 

 

Arbres qui marchent

 

comment je t’aime

je t’aime comme

comme un jacaranda tu sais

l’arbre qui pleure

 

comme le magnolia

quand il se trompe

se trompe de pays

se trompe de saison

 

ou comme le grand cèdre

il a perdu sa tête

à cause d’un grand vent

d’une tempête

 

je t’aime comme un thuya

arbre modeste

il prend parfois le feu

se flétrit, se rougit

 

ou comme trois sapins

qui ne font qu’un

au-dessus d’un petit toit

de tuiles rêches

 

arbres qui marchent

comme un homme qui sèche

comme jaunit le pré

quand la pluie a manqué

 

 

 

 

Sortie

 

il était allé à la messe

juste une idée bizarre

tout le monde le regardait

les gens se retournaient

 

lui regardait les statues

une qu’il aimait bien

c’était une dame en bleu

un bébé dans les bras

 

on se levait on s’asseyait

et tout le monde chantait

il fallait s’y connaître

pourtant ça lui plaisait

 

et tout au fond de la salle

un type qu’il connaissait

bras tendus sur une croix 

le regardait le regardait

 

 

 

 

Papillon

 

la vie, cela se jouera donc en un temps court

trois jours, de ce jour noir jusqu’au lever du jour 

journée de mort, jour de néant, jour éclatant

juste le temps d’une aube et demain vient à nous

juste l’instant qu’il faut, battra l’aile du temps

papillon noir… papillon blanc jaillit du trou

 

 

 

 

Brume

 

Temps de brume, contours flous, temps paisible,

Petits frissons heureux.

 

Plus de jugements tombant du ciel,

Plus de contours coupants.

 

Émerge la pointe des sapins,

Demi-géants amènes.

 

Et la rosée, ténue, qui s’étend,

Une onction qui pardonne.

 

Qui avance dans l’herbe trempée

Accepte ce baptême.

 

 

 

 

Amour 

 

vois

vois comme

les mots amers de mon amour t’appellent

 

toi

que j’aime

pourquoi te tiens-tu loin, si loin de moi

 

moi

que l’aile

a touché, aile noire au désespoir

 

toi

qui sèmes

en moi les perles d’un amour puni

 

moi

fidèle

et moi l’aimé cependant infidèle

 

vois

vois comme

les mots ailés de ton amour me portent

 

 

 

 

Le grain de la voix

 

sillons tracés comme sur un guéret

creusées les écritures s’alignent 

files de grains enfouis portant parole

et germeront-elles ?

 

seul un grand souffle alors portera 

multiples des voix à semer alentour

ainsi des lignes naissent des paroles

et s’entendront-elles ?

 

 

 

 

Détraqué  

 

détraqué détraqué, vous voulez-dire démonté

le monde il est démonté, complètement démonté

et même, démonté, carrément en morceaux, plutôt

 

jusqu’au dernier boulon, il est démonté, le monde

croyez-moi, pour le remonter ça demande du boulot

et même, du boulot, faudrait du savoir-faire, plutôt

 

remonter remonter, vous croyez que c’est facile

on n’est même pas sûr de retrouver le monde pareil

et même, pareil pareil, l’en faudrait un autre, plutôt

 

 

 

 

Pourquoi toi ?

 

C’est une femme, voyez-vous, que j’aime

cela me vint comme ça

le vent d’aimer, alentour, l’amour sème

c’est bien ainsi qu’il passa

 

Et je me dis Serait-ce pur hasard

cela viendrait-il sans loi

tout nu, l’amour naîtra-t-il quelque part

sans qu’un sens ne s’y emploie ?

 

Celle qui me fait du bien, pourquoi elle

et qui l’aime, pourquoi moi

le charme et la force et la vie, le zèle

tout cela ne vient-il que de soi ?

 

Je crois voir qu’une chose aussi certaine

cette histoire que voilà

doit provenir de causes souveraines

et qu’un vouloir s’en mêla ?

 

Envoi

 

Encore et encore faut-il le dire

voulu d’avant ou né de nul empire

j’aime cette femme-là 

 

 

 

 

Percée

 

au soir

se glissant sous les nuages

parfois le soleil survient  

le pire

on le dit n’est jamais sûr

tu croyais que la lumière

expire

le ciel au rouge s’embrase

percée d’un jour au futur

plaisir

 

 

 

 

 

Le choix                 

 

à qui viendrait de loin que dire

sinon va ton chemin

ou plutôt ne rien dire

laissant la porte ouverte

 

à qui s’introduirait que faire

sinon le jeter loin

à moins de ne rien faire

juste poser le pain

 

à qui le mangerait que prendre

sinon le pressurer

ou se garder de prendre

à plein verser le vin

 

à qui le boira que devoir       

sinon rire et moquer        

or il reste un devoir

lui proposer un lit

 

 

 

 

Rafle               

à M. Grinfeld, in memoriam

 

ils sont tous partis

on les a tous emmenés

à leur place des trous

la rue une bouche édentée

les dents qui manquent

où sont-ils 

morts assassinés

 

ici vivait une famille

un homme une femme des enfants

là une femme et son homme

une femme et ses enfants

l’échoppe d’un tailleur

une vieille et son vieux

 

l’école aussi a des trous

aux tables pour deux un seul reste

un cancre manque ici

là le meilleur élève

la fierté de leur maître

sa place est vide

ne reste qu’une craie

 

dans la cour comment jouer 

des cases manquent à la marelle

les filles balancent la corde à sauter

personne pour sauter

la balle ne cogne plus le mur

parce qu’on est triste

où sont-elles et où sont-ils

 

s’ils reviennent

ceux qui reviendront

ce ne sera plus pareil

on aura manqué d’eux

ils seront abîmés

on ne leur parlera plus

ils seront trop étranges

pour toujours étrangers

 

avec ceux qui manquent

on ne pourra jamais 

plus remplir cette rue

parce qu’ils sont partis

traînés sur leurs paliers

dans leurs escaliers

tassés dans l’autobus

emmenés

 

 

 

 

Devenir

 

il a vu ce qu’il était

il a vu que le monde est en lui, lui dans le monde

il a vu que le monde n’est pas fini

et que lui, il l’a vu, n’est pas fini

en devenir

devenir, le plus beau des verbes de la terre

et du ciel

 

 

 

 

Paix

 

dans le cercle intérieur où règne la colère

recouverte de neige la graine qui attend

amasse des fureurs à peine écloses

et tu naîtras pourtant, malgré le gel

la haine ne tient pas

 

 

 

 

Holà

 

 

sans rien dire à personne

j’ai sifflé ma voiture

elle arrive en piaffant

pas une égratignure

je suis monté dedans

son humeur a changé

elle faisait la tête

voulait pas démarrer

plus rien à en tirer

 

faut pas trop m’énerver

qui me cherche il me trouve

 

 

sans rien dire à personne

j’appelle mon portable

il ne veut pas répondre

ils s’étaient mis d’accord

j’avais pourtant tout fait

j’avais mis de l’essence

j’avais changé les piles

tapoté la calandre

caressé le boîtier

 

faut pas trop m’énerver

qui me cherche il me trouve

 

 

sans rien dire à personne

je suis allé à pied

voir mon ordinateur

je lui ai raconté

il a pris leur parti

et la wifi aussi

je les savais amis

mais c’était pour me nuire

j’y ai mis le holà

 

fallait pas m’énerver

si j’ai tué qu’on le prouve

 

 

 

 

Souffle

 

pour écrire un poème il faut être bien soi

il faut le respirer c’est la première chose

c’est la première cause tout le reste s’ensuit

on rêve que l’on marche on oublie que l’on souffre 

on ne ressent qu’un souffle

 

se soucier des mots est la dernière chose

ils ne sont pas la cause ils viendront bien tout seuls

et s’ils ne venaient pas on ira les quérir

le monde est plein de bêtes mots qui se ressemblent

or vivre est dans le souffle

 

on marie les cadences elles sont des servantes

liées au bon plaisir des rythmes qui sont rois

au plaisir des ressacs ou des sursauts du temps

semblables aux blés lourds que rebroussent les vents

bousculés sous le souffle

 

 

 

 

Amitiés

 

si je pouvais entrer dans l’amitié de la mer et du vent

dans l’amitié des arbres et des champs

du ciel, enfin, tout étoilé

si je pouvais entrer dans l’amitié des plantes et des bêtes

dans l’amitié des oiseaux des champs

enfin des poissons de la mer

si je pouvais entrer dans l’amitié des enfants et des gens 

dans l’amitié des contes et des chants

de toute les histoires, enfin

 

plus de bonheur surviendra peut-être

si ma vie à leurs vies s’enchevêtre

 

 

 

 

Lieux

 

s’il fallait s’installer, pensait-il

choisir les genêts, entre les dunes d’un bord de longue plage

y nicher quelques rares maisonnettes aux larges coursives de planches

y attendre les marées, y entasser, pour les hiver, les bois flottés laissés par le reflux

voir loin, très loin

dormir là, paresser, patienter, même, jusqu’à  longtemps

ou bien, c’est le plus facile, rester ici, ou là, se lever, déménager, prendre un bail

se souvenir alors des amitiés possibles, des voisinages, du rire des enfants

aménager les lieux, peindre et meubler, sourire

s’il fallait prendre part, pensait-il

 

 

 

 

Souffle

 

entre toi et moi le léger de ta parole

là va le souffle ténu

qui palpite

 

comme un vide qui n’est pas le vide

vide qui relie sans lier

qui évide

 

comme un pont qui n’est pas un pont

pont de légère buée

qui dessine

 

comme un blanc sur une page écrite

espace où l’on se place

qui esquisse

 

comme une voix qu’on n’entend pas

qui tinte entre les choses

qu’on devine

 

entre toutes choses et tous les êtres

entre toi et moi le souffle

qui délivre

 

 

 

 

Prenez  

 

vous prendrez bien une petite goutte 

ou deux peut-être 

tendez vos lèvres, tendez votre langue, voilà

deux gouttes de poésie pour alléger la peine

donner du poids à l’innocence 

et chaudes ou fraîches, choisissez

voyez à travers elles le monde s’iriser

ou bien, alentour, se briser

et si pour un temps ces deux perles y suffisent 

prenez

 

 

 

 

Scansion

 

un pur visage un jour paraîtra

dis seras-tu celui-là

le saurons-nous mais tu surviendras

des brumes des nuées là

 

forgés sont les récits la saga

des histoires qu’on mêla

coulpes et pleurs et peurs qu’on légua

tout noirs secrets qu’on cela

 

mais face de pluie de vent frimas

pur visage par-delà

éclatant perçant de lourds amas

nu je dirai te voilà

 

 

 

 

Printemps

 

Il a fait mauvais cet hiver, les mésanges ont disparu,

nichent-elles plus au sud ? 

Leur chant ne viendra pas tantôt ; c’est le printemps,

elles sont allées trop loin.

La chanson, faut-il que tu la demandes ? Et l’envol,

l’été l’attend, déploie tes ailes.

Resterons-nous sans légende pour longtemps, semblables

aux peuples qui ont froid ? 

 

 

 

 

Samedi

 

samedi, samedi le grand, samedi du soir

jour de nuit, samedi des cœurs noirs

dès le soir du vendredi aux treize espoirs

heures sans au revoir

 

on ment, tu sais, on ment, on ne dit aujourd’hui

la vérité, le grand parler des jours enfuis

des jours passés, tus dans l’ombre, en des nuits

de tombes et d’ennui

 

mais après, après toi tu ne sais ce qui viendra 

samedi, samedi sombre, habitacle des rats

ils rôdent dans les têtes, et les cœurs, les bras

crois-tu qu’un jour naîtra 

 

 

 

 

Tuer

 

tu le sais tu l’entends la corne au loin te parle

une puis deux puis trois et le tambour s’ajoute

on dirait je ne sais quelle fête assourdie

ils vont danser je crois pour quelque réjouissance

mais entends peu à peu ces bruits se pervertir

se teinter de venin devenir menaçants

ce ne sont pas des chants mais des cris de tuerie

alors le bruit s’approche il devient roulement

très fort et tu comprends qu’il n’est pas de musique

ni de chants mais la mort en ces lieux qu’on encercle

et ces longs hurlements sont doublés de musique

cliquetis grincements ce sont des chars venant

pour incendier la ville et tuer les enfants

 

 

 

 

Et quoi encore

 

et ce petit enfant couché près d’une vipère

croyez-vous que ce soit raisonnable

je me le demande

je me dis que faut-il attendre

que faut-il entendre

les prophètes étaient-ils pleins de vin doux

 

et ce petit enfant couché dans une crèche

pensez-vous que ce soit adorable

je vous le demande

vous laisserez-vous surprendre

qu’y a-t-il à apprendre

et les mages étaient-ils des dingues doux

 

et ces petits enfants victimes du massacre

dites-vous que ce soit acceptable

qui se le demande

qui cherche à vraiment le comprendre

tués dans leur âge tendre

et rachel a-t-elle versé des pleurs si doux

 

 

 

 

La chatte des voisins

 

comme chaque jour la chatte noire et blanche est là

elle erre sur notre terrasse elle ne sait plus où s’installer

nous avons rangé pour l’hiver la table où elle s’allongeait

où soir et matin elle prenait le doux soleil d’automne

sa chaleur réverbérée par le haut mur de l’aile sud

elle s’y tenait à l’abri des vents coulis échappés du noroît 

où aller désormais où se mettre elle interroge du regard

mais comment le lui expliquer elle est de langue anglaise

 

 

 

 

Neige

 

Neige a tombé

dame au paletot

les os cassants

pelure gelure

il fera beau

cerises aux branches

quand on rira

 

mésange a froid

chardonneret

pattes brindilles

duvet duvet

quand il viendra

tu souriras

le roi printemps

 

la goutte au nez

gelez gelez

et les doigts gourds

le sol est dur

doigt de porto

pas d’eau pas d’eau

réchauffons-nous

 

 

 

 

Sens

 

un escalier c’est quand même bizarre

on peut descendre on peut monter

c’est pareil pour un sentier de montagne

ou la rue de Belleville à Paris

 

on peut monter on peut descendre

aussi d’un autobus quand il s’arrête

on croit qu’il est facile de descendre

et que monter fatigue plus

 

cela il ne faut pas le croire 

monter n’est pas plus dur que descendre

à la longue je me le dis toujours

et descendre me fait mal aux genoux

 

il faudrait monter dans certains autobus

descendre plutôt de certains autres

parfois monter sur le chemin

plutôt que le descendre pour aller où ?

 

 

 

 

Est-ce toi ?

 

je peux te prendre par la main

– est-ce toi qui es là ? –

le jour ou la nuit

dans cette nuit profonde

en un jour éclatant

et tu peux me saisir la main

 

aurions-nous peur en ce moment

– mais en suis-je aussi là ? –

tout environnés

de la forêt profonde

d’un vacarme éclatant

et devons-nous fuir ce moment ?

 

est-ce toi est-ce moi ensemble

– car te caches-tu là ? –

sans un souvenir

ni mémoire profonde

l’aujourd’hui éclatant

devant nous qui marchons ensemble

 

 

 

 

Passage

 

un étranger

est passé tout à l’heure

c’est drôle comme je n’aime

que ceux qui passent

homme où vas-tu danser

quel bal est au bout de ce chemin

quelle maison pour y porter ta peine

rester ici le cœur lui pèse

son trésor est au bout du chemin

il va où le vent le porte

il est heureux

et pourtant son cœur est veuf

où est dit-il ma chaîne

qui me faisait mal

et que j’aimais

 

 

 

 

Où ?

 

ce dont je parle n’a pas de paix

apaisera-t-on les étoiles

et voit-on la colombe d’amitié ?

 

ce dont je parle n’a pas de prix

qui donc achètera la lune 

car où seraient les banques d’équité ?

  

ce dont je parle n’a pas de poids

et qui pèsera le soleil

où sont les balances de vérité ?

  

 

 

 

Sonnet

 

que pleure ou vente fort le temps

avec toi je sors de la pluie

avec toi je sors du néant

que chante ou sonne clair le bruit

 

que veille ou passe loin l’ennui

avec toi j’accueille le vent

avec toi j’accueille la nuit

que sourie ou pleure le chant

 

avec toi la peur est d’avant

que j’aime ou non ce que je fuis

avec toi mon jour est levant

 

que pur malheur ou joie s’enfuient

avec toi ma vie est devant

que brûle ou non ce que je suis

 

 

 

 

Attente

 

il se peut

car connaît-on les choses

qu’il vienne

à nu se montre à nous

une danse

une odeur de jasmin

plus un luth

trois richesses à merci

l’attendre

douleur d’espoir

sévère une absence a paru

faut-il aussi danser

 

 

 

 

Éveil

à J. Philip Newell

 

mon âme fut blessée dans cette nuit

blessures et cassures dans ma vie

en tous les environs de cette nuit  

ceux que j’aime sont en souffrance   

dans la vie du monde sont des agonies

en ce printemps

remue tout ce qui vit

 

chant d’oiseau aux cimes du verger

dans la vie du monde sont des agonies

branches qui remuent sous le vent

ceux que j’aime sont en souffrance

lumière du matin dans les feuillages 

en ce printemps

remue tout ce qui vit

 

lumière du matin dans les feuillages 

branches qui remuent sous le vent

chant d’oiseau aux cimes du verger

comme un parfum de fleur après la pluie

tout miroite et tout résonne ici

en ce printemps

remue tout ce qui vit

 

 

 

 

Si belles…

    

quand les armes se sont tues

que les hommes sont rentrés

les femmes vont à la fontaine

 

elles ont rangé le linge

un lourd paquet sanglant

en des bassines de sérénité

 

les rinçures de la violence

les teintures de la peur

les sales rognures du dégoût

 

elles sont allées là-bas

tout laver lessiver blanchir

de leurs deux poings agiles

 

belles comme une aurore

comme un vol de cigognes

aussi fortes qu’un évangile   

 

 

 

 

Avenir

 

en ce pays je sais 

depuis longtemps tu restes en sommeil

sans doute qu’il le fallait

de toi nos mémoires étaient fatiguées 

lassées de ton image conviens-en

icône très ancienne

toi-même souviens-toi

tu ne tenais plus guère à elle

n’as-tu pas décidé alors

de t’effacer 

incertain de ton envie de revenir

et puis je sens ici ou là que tu respires

l’air a frémi légèrement

un lit gémit c’est un dormeur qui bouge

il va reprendre souffle

repense lentement son monde

il se demande s’il ne va pas

s’il n’aurait pas envie de

s’éveiller se souvenir

se lever se regarder se voir renouvelé

offrir au miroir de toutes ces années

la neuve image d’un visage défatigué

s’il entrevoit qui sait

au monde comme un air

serait-ce un air encore vicié

et pourtant oui, propre à imaginer

à se représenter

un avenir

 

 

 

 

Magnolia

 

il va très bien ce magnolia, nous aimerions que tous nos arbres

se tiennent aussi bien que lui, il va bien tous l’admirent

qu’il pleuve, vente, fasse soleil ou même gris

 

pourtant chaque année quelque chose en lui se souvient

un pleur peut-être en son bois cassant, sous l’écorce raide

c’est toujours au printemps, peut-être fin mai début juin

 

il se met à perdre ses feuilles, grandes et luisantes feuilles dures

qui bientôt recouvrent l’allée, feuilles jaunes vertes ou fauves

qu’il faut ratisser, une pleine remorque, elles déjà sèches, cassantes

 

il se souvient qu’il n’est pas de chez nous, qu’il vient d’ailleurs

il reste digne mais il vient d’ailleurs, il se croit en automne

il perd ses feuilles, ailleurs au loin c’est l’automne, bientôt l’hiver

 

 

 

 

Éclair

 

ce fut un de ces jours où je t’avais perdu

ces jours-là se tenaient, ce n’était qu’un long jour

sans qu’on y voie de fin, collier de perles noires

une perle a sauté, elle a roulé soudain

ce fut un de ces jours où le temps peut changer

où ce qui tourne au soir tout à coup devient clair

il suffit de l’éclair où tu m’es apparu

on se trompe parfois pendant longtemps longtemps

de longues parenthèses entre un jour et un jour

si je l’écris ainsi c’est que tout est si loin

c’est en quittant les temps que l’on peut les nommer

perles noires, jours de deuil, crépuscules, temps de pluie

et l’arrivée soudain d’une éclatante aurore

naissances

 

 

 

 

Vision

 

le souffle palpitait au-dessus de ce gouffre

et tel était l’esprit, semblable au papillon

sa faible agitation faisait vibrer des vitres

bien plus loin, tout au long, du levant au couchant

et du jour à la nuit, de la nuit aux lueurs

un long rêve naissait de ces matins du monde   

des ombres émergeaient de la brume du temps

des visages aigus, des regards allumés

des ponchos menant loin des bêtes au long cou

des cris et des sonnailles, et tout ces bruissements

et tout un autrefois remontant de l’abîme

poussé, mû par ce vent, se levant en tornade

et soufflé, retombant, un monde évanoui  

ce monde n’est qu’un souffle, essaim tourbillonnant

 

 

 

 

Frisson

 

et que pourront les digues si c’est le vent du diable

et que pourront les hauts murs de cyprès

puisque c’est le vent de l’âme et si c’est ton esprit

si ce qui vente au loin, qui souffle de là-bas

répond à ces bouffées qui montent aussi de toi

ce souffle qui traverse et fait que tu frissonnes

et tout à coup ce frisson se transforme en plaisir

et la tempête au loin qui rebrousse les herbes

est si proche de toi que ta peau se soulève

et que ton cœur s’abat, qu’enfin tu ris de toi

bien qu’aussitôt tu pleures les morts de ce vent-là

 

 

 

 

Éveil

 

ton souffle doux me visite et me calme

au-dehors c’est le vent, la brise du matin

douce et fraîche, vive, elle te répond

petite sœur de la tempête, et je m’éveille

et dans cette chambre environnée de vérité

tu gémis un instant, visitée par un songe

et le chassent les rideaux de vent bruissant 

moi je souris de mes longues alarmes d’avant

quand tu ne respirais plus, ni même le vent

 

 

 

 

Montée

 

le vent du nord a pris

les marais se nettoient

tu remontes le versant de la colline

on peut y voir la mer

la lointaine aux lèvres de sable

où tu marcheras

et tu seras ailleurs encore

et avant tu avais été mort

 

 

 

 

Samedi 

 

tous les oiseaux du monde s’envoleront là-bas

un jour, un jour, ce jour où le soleil pâlira

le silence règnera où les arbres chantaient

jour de paix, jour de paix avant des jours de combat

pour la pluie, en des jours où la terre sèchera

ne sera plus, ne sera, ce lieu que tu hantais

là-bas la mémoire pâlira qui t’habitait

  

 

 

 

Le reste

 

tout se tenait toujours ensemble

et tout faisait système

à ce tout qu’ajouter ?

 

voici le monde et voici les étoiles

et tout ce qui existe

et se tient en soi-même

 

et puis et puis il n’y a pas d’et puis

et puis manque le reste

le plus et l’à-côté

 

le tout ne demande pas son reste

c’est ainsi qu’il se perd

quand il croit se sauver

 

or recourant à l’alphabet complet  

à qui voudrait écrire

manque un iota de plus

 

comme à qui voudrait vivre

   

 

 

 

Hombre

 

mon pays / ce n’est pas un pays / c’est la guerre

et quelque part au monde / sur un front de mer / un homme est posté sur un toit

il tire au fusil / il retarde l’avance des fascistes

il agit posément / une balle / une autre / il s’applique / il a peu de munitions il économise

il sait qu’il va mourir

juste retarder leur avance / une balle / une balle / ce n’est pas utile pas efficace / juste faire proprement le travail

rien de plus beau qu’une balle de fusil / la forme accordée à son usage / qui est la mort

une balle un homme / c’est un message / lui ne fait pas la guerre en gros / à chaque tué s’en va son attention

eux / ils l’auront à l’arme automatique

 

 

 

 

Pirates

 

les femmes que j’aime le mieux sont des femmes pirates

vives aux pleurs et aux rires en leurs tendresses abruptes

celles qui ont des mains, qui vont la tête haute

elles qui ne sourient qu’aux prétendants modestes

elles ouvriront leurs bras ou leur cœur ou leur lit

ou leurs yeux au matin, leur chevelure au soir

comme on donne à jamais, sans retour ni question

les femmes que j’aime le mieux, ce sont des combattantes

la couleur de leurs yeux est de brume au matin

 

 

 

 

Esprits 

 

quand les esprits chantaient

en ouolof en anglais

le sien le tien le mien

c’était tout un chacun

c’était venu d’ailleurs 

 

quand les esprits pleuraient

en éwé en malais

pas une langue mais

c’était un pauvre amour

c’était un autre ailleurs

 

quand les esprits parlaient

même en français

résonnaient raisonnaient

c’était un jeu d’ivoire

c’était un jour ailleurs

 

quand les esprits riaient

s’ils se moquaient

de toi de lui ou d’elle

c’était un fouillis d’ailes

c’était un vent d’ailleurs

 

quand les esprits mouraient

plus très très frais

restait une parole

c’était tout à refaire

c’était à dire ailleurs

 

 

 

 

Femmes

 

et puis le souvenir évanescent de femmes, au village, qui pilaient le mil

leurs enfants sur le dos, ensemble, dans la cadence, dans l'effort partagé

les hommes, assis devant la case, les yeux errants et protecteurs

ici et là femmes pourvoyeuses, éternelles servantes, et d'où leur vient

femmes fatiguées et chargées, parfois cet éclatant sourire

 

 

 

 

Regard

 

un air d'avoir deux airs, un regard par en-dessous

c'est un air d'autrefois, c'est pour une autre fois

mais où es-tu passé, tu n'as pas d'avenir

tu as bien fait de passer, tu as eu tort de venir

mon ange, et un peu plus, c'en était fait de nous

je te dis à demain, comme si c'était hier

un jour, un jour viendra où nous y verrons clair

oh c'est toujours comme ça, ça arrive quelquefois

mon ange, et un peu plus, tu revenais chez nous

 

 

 

 

Bonheur

 

j’aimerais aimer Dieu comme je t’aime toi

j’attends toujours tu sais que ton œil me découvre

qu’un sourire soit pour moi qui soit sorti de toi

alors c’est du bonheur et puis c’est de l’angoisse

c’est ton prochain regard que je n’espère plus

je t’ennuie je suis là tu as d’autres entours

des tendresses à donner à qui je ne sais pas

je dois te libérer du désir de t’avoir

tout contre moi toujours et toujours avec moi

 

 

 

 

Vieux

 

il s’était réveillé gourd ce matin-là, il avait rêvé

à cheval, un songe en vérité, il avançait à dos de lion

les pieds pas même passés nus en étriers de nuée  

empêtré, il y pense, en des robes fleuries d’apparat 

alors bien sûr il avait souri la gueule à crocs ouverte 

un matin de lueurs, pensées si bleues qu’il n’osait rire    

et il a pu au jour, par la fenêtre de sa chambre

veilleur à vide, évaluer le semis d’ombre, en vérité

éclats de ténèbres minuscules obscurcissant les arbres 

il a pourtant gardé, tout refermé en lui je crois

merveilleuse éveilleuse, l’éclat du jour au-dessus d’elle

promesse infinie, la verdeur de la sève, envie de vie 

 

 

 

 

Fées

 

au centre de chacun tout un nœud de possibles

que sur cet avenir ouvert un jour se penchent

les fées les mélusines les merlins

quelques-uns des amants de la vie pleine 

alors d’un bout de chair va naître humain

un être de lumière ou le malheur de vivre 

 

 

 

 

Vérité de la pluie

 

la vérité de la pluie lui fut ouverte un jour

pluie de la vie

un jour lointain donnant loin sur les toits

ce fut à ses huit ans

derrière une fenêtre de frissons

et le poêle ouvrier qui lui chauffait les fesses

 

la profondeur des bruits en‑bas dans la rue

c'était comme la fosse d'orchestre d'un spectacle

et le théâtre des toits et du ciel devint monde pour lui

 

les maisons lui devinrent nature

la tuile et le zinc lui étaient une peau

les nuages chevelure

et il fut dur et patient

et il fut lourd

humide comme le temps

comme ce frisson et ce vent –

et il sut que le monde lui serait pluie

la vie nuage

et nuée emportée

 

et il dut pardonner cela à toutes les fées de sa naissance

et connaître en tout adulte

la prison de la pluie et le souffle d'un grand vent

le zinc et le nuage

et sur les racines de pierres et de fenêtres

l'immensité du ciel mouvant

 

l'humilité fragile des tuiles le tint

et leur nombre

leur sécheresse

et il vit que les humains sont ainsi

il a oui tout accepté

pour le plaisir transi de vivre en pluie

argile cuite pour résister

 

ce fut son jour de toitures

son jour de giboulées

jour de cœur donné

au loin tournaient les ailettes d'une cheminée

et dans le mouillé d'une cour

le courage des moineaux

 

 

 

 

Expir

 

s’ouvrait le bouton de la rose et fuyaient

comme les galaxies les pétales de l’univers

comme on lit que les cieux s’ouvrirent

 

montant de moi tout l’expir de la terre

– herbe de cristal vert et ronce et fleur montant

librement s’élargissant – il s’épanouit

 

souffle de l’univers juste et vibrant il chante

libre fibre de lumière tintinnabulant

le monde en moi moi dans le monde

  

 

 

 

Courants

 

mon corps est un tamis que traversent les ondes

mon cœur est un foulard que transpercent les vents

et plus rien qui protège

plus rien à protéger

mon corps est un damier que les gelées parcourent

mon cœur est un tapis que les bises rebroussent

et quand tous les chemins du ciel auront passé

vous pourrez lire en moi quelques moraines

des gués et des rias

je sais qu’il y existe encore deux-trois dolmens

moi-même ignore en quel endroit

 

 

 

 

Saints innocents

 

 

cette année qui se finit, disait-il, voyez-vous je ne l’aime pas trop

elle est trop pleine de malheurs

bien trop pleine de rapines

 

elle est bien trop remplie des tombes éparses d’enfants inconnus

des petits garçons, des petites filles

des innocents pas même saints

 

laissez-la aux riches et aux intelligents ils en feront bien quelque chose

ils sauront l’utiliser à leur guise

à leur service et pour leur bénéfice

 

c’est une année faite pour le chœur des anges mais quand ils pleurent

qu’ils se disent on ne va pas chanter

je ne l’aime pas trop cette année-là

 

 

cette année qui se termine, a-t-il dit, c’est une année comme les autres

autant pleine de miracles mort-nés

pleine aussi d’espérance avortée

 

elle est bien trop remplie de femmes avec le corps de leurs fils abattus

avec leurs filles au loin vendues

avec leurs gars partis, aventurés

 

rendez-la aux forts en gueule, aux vaillants de paroles, ils la sanctifieront

ils diront bien tous les mots qu’il faut

ils vous mettront la larme à l’œil

 

frères, c’est une année faite pour qu’une autre, meilleure, la remplace

celle qui pourrait tout commencer

l’an qui vient, combat renouvelé

 

 

 

                                                                                                           

Oiseau                                          

 

l'oiseau noir

et l'oiseau rouge

       l'oiseau de ton cœur et l'oiseau du matin

               et l'oiseau du battement des mains

                       l'oiseau des pieds

                               et l'oiseau blanc de la vallée, l'esprit

                                       l'oiseau du messager sur la montagne

                                                l'oiseau bonne nouvelle

 

                                      et l'alouette

                         petite fée pour un printemps

 

 

 

 

Noël d'Afrique                                   

 

ils marchent

ils vont vers un exil, ils fuient

droit devant eux

vers une terre d'asile

vers une égypte douloureuse

longue colonne de va-nu-pied

harcelée, alourdie, chancelante

affamée

 

ils marchent et parmi eux

un couple et un bébé

suivent le chemin d'amertume

une petite vie au dos d'une Marie

et sur la tête dure d'un Joseph

tout ce qu'on a pu sauver

que le tueur, le massacreur

a méprisé

 

reviendront-ils, reviendra-t-il

l'enfant d'un avenir ouvert ?

marchera-t-il sur les chemins de pierre

en liberté, en vérité

faisant le bien dans le chaos du monde ?

pourra-t-il enseigner

les maîtres de la terre

et soigner le malheur

au cœur des simples gens ?

 

nul ne le sait

rien ne l'y aide

rien qu'une simple Parole

venue de bien plus loin

rien que ces deux humains

qui le portent en leur cœur

en leur tête en leurs mains

croyant qu'un jour peut-être

le ciel s'entrouvrira 

 

 

 

 

Absence                                          

 

faudra-t-il qu’on attende

il n’est pas là ce jour

et qu’on chante

 

un parfum d’amertume

un parcours

d’où vient de loin cet air

 

et toujours

il n’est de plus beau conte

qu’une absence abolie

 

 

 

 

Arbre

 

ce moi que j'ignore

un peu plus chaque jour

car moi est un arbre

un bois

un silence habité

un torrent qui s'apaise

un grand refus

tout plein d'acquiescements

 

  

  

 

Vent                                     

 

femme d’herbe et de vent que j’aime là, portant

ton cou libre, et léger ton pas, voilà ton temps

tu penses à tes amours où se mêla, battant

l’orage, et vois de l’ennui par-delà l’étang

cesse ton détour, cette eau qui gela longtemps

ton cœur, ne l’écoute plus, quitte-la, attends

l’aube et suis la vallée où s’en alla l’autan

 

 

 

 

Chanter

 

dans mon jardin

je me mets à chanter 

qui pourrait aux oiseaux

simplement parler ?

aux arbres

aux plantes vives

viser moins qu’à respirer ?

mon air chanté

le moineau le connaît

qui d’autre mieux que lui ?

souvent dans la maison

on parle avant le souffle

mais où vais-je chanter ?

 

dans mon jardin

 

 

 

 

Soir

 

moins de lumière

tonne à cette heure

 

plus de vérité

alors qu’on entende

 

images multiples

on les assemble plus

 

je prends pour moi les lumières

j’étends les bras sur le soir

 

les vents ont mangé les appels

les chants vont régner dans le ciel

 

les temps sont légers

 

 

 

Pluies                                                                                                        

 

je me souviens de vastes et chaudes pluies

de confins ici-même où l’eau se mêle au ciel

et du fleuve univers où s’en allaient, agiles

les images de toi marchant sous les baumiers

humides et fumantes silhouettes sous le rire

sous la peine et l’espoir des humains obstinés

 

alors se font au cœur des chansons incessantes

des refrains de langueur, assauts de lassitudes

vaporeux est l’humain sous le flou et le fluide

à l’eau lui faudrait-il se résoudre, dissoudre

enfin la vaine envie de vivre, que répondrais-tu

sinon qu’il est si bon d’avancer sous l’averse 

 

 

 

 

Moineaux

 

elle parlait de chanter 

femme triste au chant perdu

 

l’entourent les traces menues

d’un moineau petit être affamé

 

qui a faim connaît le monde

en son dedans et chemine le vent

 

dans le silence j’ai froid

et les moineaux pépient

  

 

 

 

 

Fétus                                                                                                                                                                                                                                      

 

deux ou trois choses un jour

un événement demain, sans importance

un rien, deux faits mis bout à bout, trois fétus

qu'est-ce, et de quel poids, dis-tu

 

peut-être un jour, qui sait

dans un an, dans un mois, une semaine

en quelque époque proche ou lointaine

en ce temps-là reviendras-tu

 

que je sache, que tu m'apprennes

est-ce un signe que je vois dans cette plume

cette corolle au vent, ce bout de laine

et par là, si tu viens, le diras-tu

 

 

 

Visite

 

déjà me dire où elle va, où elle ira   

déjà savoir de quel visage, le ferait-elle

elle me sourira

serait-elle belle ?

 

encore, encore peut-être un monde s'ouvrira

avec encore un tel bruissement d'ailes

un ange passera

vie éternelle

 

et cet encore est là, et ce déjà, qui sait, sera

la vie torrentielle, ou juste un violoncelle

et tu deviendras

vol d'hirondelle

 

 

Attente

 

dis-moi si tu m'entends, dis-moi si tu es là 

à t'espérer déjà je ris jusqu'en mon cœur

si ma tête sait bien que tu ne viendras pas

si mon âme craint bien que tu n'existes pas

l'attente fait de moi un bazar en couleurs

si tu venais, je serais rire et pleur, stupeur  

 

 

 

 

Mains

 

il n’est rien de plus beau que ces deux mains ouvertes

il était temps, je crois, de faire cette offrande 

ce que laisse un mortel ajoute peu au monde

et ce geste pourtant donne au monde son prix

imaginer la vie sans ces poignées offertes

c’est replier ce temps, ce lieu de l’univers

comme un livre entrouvert qui se refermerait

 

 

 

 

Poème

 

poème, en ajoutant sur l’absence

sur la neige et la nuit un pas de danse

contre le noir un rire, ou sur le blanc

le visage léger d’un faux semblant

un amour de papier, un rythme pur

tu ne tues pas la mort, ni son murmure

tu fais entendre un peu de son silence

es-tu léger, ce n’est qu’une apparence

 

 

 

 

Enfants

 

ils étaient beaux étaient charmants marqués marqués de rose

et fut un temps où les petits enfants marqués de jaune

étoilés de haine et tachés de sang marqués marqués de rouge

poursuivis et repris dans les champs marqués de fer

s’en allèrent mourir aux camps marqués de nuit marqués de noir

marqués de nuit souvenez-vous de ces petits enfants

 

 

 

 

Frisson

 

tout n’est pas dans le riche et l’apprêt

ce qui est beau ici c’est le vent et la pluie

le froid, l’eau fraîche, encore le vent d’ailleurs

ce qui vient et fait voir, deviner devant vous

dans un frisson, qui sait, l’attente d’un amour

une œuvre, une vie vraie, la vie que l’on rêvait

 

 

 

 

Langue

 

quand solidaires deux mâchoires s’opposent

utopie et désespoir

                        et qu’elles mâchent la vie

pointe la langue charnue de l’éphémère

                        et son goût de fraises du jour

 

 

 

 

Petite

 

tu dors

et tu ne sais

tu dors sous mon regard

le monde est au-dessus de toi

et tout autour

et l’immensité du ciel où tu baignes

est fraîche sous ton souffle

doux

 

le passé te visite et te blesse

et tu gémis

instant que tu chasses

et l’avenir peut-être

vient à toi

et se dérobe pour plus loin

où tu n’es pas

 

ton haleine est de poivre et de sésame

et ta peau

chaude et moite dans le frais de la chambre

lieu d’ombre environné de vérité

 

tu dors

inquiète et pacifiante

et j’ose toucher ton épaule

pour jouir d’un ailleurs

venu dans tes yeux d’ombre.

 

 

 

 

Parfois

 

j’étais parti pour de violents voyages

le vent faisait partie de la même aventure

avenirs nés du cœur de la tête et des reins

amours. Il était peu de valables gens.

Je rencontrai un jour un maître de l’aurore

il m’a plu je l’avoue et j’ai voué ma vie

à la suivre en esprit en âme et dans mon corps

ô souffrance angoisse et des bonheurs

qu’on ne dit qu’à son double au travers de la vitre

et la rue au dehors se mue en accords de musique

révélante et ouverte amie des quatre vents.

Je le dis j’ai passé par des couloirs de l’ombre

en pleurant dépouillé livré à des malheurs

trop grands. J’ai voulu qu’il me laisse ma joie

le maître qui me mène et toujours non, toujours

il ne l’a pas voulu. Parfois pourtant.

 

 

 

 

Chants

 

je fus en la montagne

en la montagne veiller

les alouettes y chantaient

cent cris d’azur à la mêlée

dix bruits de source qui tintaient

souffle du ciel désamarré

pleurant comme font les damnés

et le monde le monde s’ouvrait

 

 

 

 

Nuit

 

je dois te dire d’abord c’était une fameuse nuit

on voyait les lampions très loin sur la mer

et le bruit des vagues assommant les rochers étourdissait

au-dessus le ciel noir ou bleu ne s’arrêtait pas de monter

et des pointes d’argent en dessins infinis le parcouraient te picotant les yeux

et moi j’étais assis sur le sable adossé au rocher

mettant de l’ordre dans les étoiles et surveillant la marée au son du clapotis

et je suis mort

 

 

 

 

Ta maison

Pour Alexandre Korakis

 

une voix me demande : où est ta maison ?

je n’ai pas de maison, mon peuple a disparu,

égrené, moissonné, on a soufflé dessus,

il s’est éparpillé.

 

ce que j’ai pour survivre : des paroles anciennes,

dans une langue étrange, les mots de la déroute,

et je dis à la voix : Je vis libre et léger,

je suis ici et là.

 

 

 

 

Automne

 

c’est pas tous les soirs

qu’on peut

ouvrir la fenêtre

pour entendre les arbres remuer

 

et dormir

comme un chat qui entrouvre un œil.

 

 

 

 

L’Inconnu *

 

J'aime frénétiquement

sereinement

exclusivement et inconditionnellement

l'inconnu.

J'aime d'amour l'inconnu.

 

Et quand l'inconnu m'échappe

quand il change de visage

quand il se moque de moi

quand je le perds à tout jamais :

je me réjouis.

 

Car je me dis ce n'est pas moi que j'aime

mais l'inconnu qui m'échappe

qui change de visage

qui se moque de moi.

L'inconnu

 

Qui ne m'appartient pas

et à qui j'appartiens.       

 

 

 

 

La pierre du fond du cœur

 

un trésor

c’est une pierre très belle

et qui fait très mal

 

a dit l’enfant

et comment le sait-il ?

 

un enfant parfois

sait la vérité

 

comme pour cette pierre très belle

pierre très dure

la pierre au fond du cœur

 

la pierre est lisse

elle est ronde et lourde

elle pèse

 

la petite pierre est belle

comme ça

 

elle est lourde la pierre trésor

et parfois tu es

trop léger pour elle

 

 

 

Bas de page 

 

* Les poèmes de cette page ont tous déjà paru sur ce site.

Certains d’entre eux ont été publiés dans Chants et déchants, qui est un recueil de recueils,

dans Toutes ces mondanités, dans Les jours de semaine, dans Fêter le dire ou dans

Les dires du seuil, enfin dans Le peut-être et l’après, mais on en trouvera aussi qui sont inédits

ou qui ont paru dans d’autres recueils ou encore en revue. 

On peut aussi se reporter à la page Souffles, à la page Requiem pour une planète, à la page

1.      Vu du ciel, à la page Tant pis la pluie, à la page Au huitième jour, ou à la page Premier jour,

ou encore à la page Les Psaumes à l’os.

D’autres poèmes ont paru dans Lettre à l’angelesse.

 

Une présentation de mon œuvre poétique a paru sur le site de la revue Foi & Vie

sous la signature d’Aurélie Zygel. Sur ce site, page AZB.

 

* Le poème L’Inconnu est inspiré d’un poème d’André Libérati :

J'aime frénétiquement, sereinement, exclusivement et inconditionnellement le bien. J'aime

d'amour le bien. Et quand le bien m'échappe, quand il change de visage, quand il se moque

de moi, quand je le perds à tout jamais, je me réjouis car je me dis : ce n'est pas moi que

j'aime, mais le bien qui m'échappe, qui change de visage, qui se moque de moi, le bien qui

ne m'appartient pas et à qui j'appartiens.

 (Poème d’amour, in Vieux capitaine, Editeurs Français Réunis, 1958)

  

Pourquoi ces poèmes ?

 

 

 

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