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« La poésie vit
dans les couches les plus profondes de l’être, alors que les
idéologies et tout ce que
nous appelons idées forment les strates les plus
superficielles de la
conscience. »
Octavio Paz
in "L’arc et la lyre"
Voici
le poème de la semaine :
Mais qui ?
20/06
dites-moi,
dites-moi pourquoi
bien des
peuples demandent-ils
pour
chefs de vrais imbéciles
des
orgueilleux ou des reptiles
et des
n’importe quoi ?
fort dépité je le demande
chez eux ne se trouve-t-il pas
de bonnes filles, de bon gars
plutôt que fous au plafonds bas
et loups garous en bande
pensons-y
la prochaine fois
quand
il faudra en nommer une
un qui
ne tombe de la lune
quelqu’un
de valeur opportune
de
sensé et de droit
Voici
les derniers poèmes parus sur ce site :
Carte de visite
Je
suis Jean de Charonne
que
plus rien n’étonne
hormis
la bonté
Je
suis Jean de Paris
qui
pleure et qui ris
mais
dur à dompter
Je
suis Jean né en France
sans
nulle arrogance
nulle
vanité
Je
suis Jean de la Lune
de
race commune
quêtant
la beauté
Je
suis Jean dit le Niais
qui
n’aime jamais
que
l’aménité
Je
suis Jean Alexandre
aussi
dur que tendre
fol
en liberté
Je
suis Jouan l’Iscandre
rimes
à entendre
douleur
et gaîté
Je
suis né "alexandre"
sans
rien à défendre
serf
et racheté
Pentecôte
Dieu
était là
simplement
là
ils
l’ont appris ils l’ont compris
ce
fut une bombe
pour
eux la fin des tombes
comme
des langues de feu
comme
un ouragan comme un souffle de fin du monde
comme
l’arrivée d’un nouveau monde
comme
un monde si tous s’entendaient
comme
quand les humains s’aimeraient
oh
la folie de Dieu !
présent
ici et présent là
tenez
chez vous le voilà
sur
la terre comme aux cieux
même
en vous présent là
sa
tente en votre cœur
cœur
sans peur
une
bombe vous dis-je
et
aujourd’hui
selon
le chemin des bombes
enterrée
là-dessous
Les enfants !
ils
tuent les enfants
c’est
ma mère, écoutez-la
ils
tuent les enfants
ils
les prenaient à leur mère
les
petits
ils
les tuaient
et
toi ma mère tu les cachais
car
tu savais
de
tout ton ventre tu savais
qu’ils
les emmenaient et les tuaient
aujourd’hui
ô Maman si tu savais
les
descendants de ces enfants
tuent
des enfants
tu
serais là tu verrais ça
tu
ne pourrais rien faire
et
l’on te dirait
je
venge mes enfants tués
ils
ont tué mes enfants je tue les leurs
en
masse
et
tu ne pourrais pas en sauver un
tu
ne pourrais pas dire à nouveau
celui-là
ils ne l’ont pas eu
regarde
Maman
ils
tuent des enfants
Souffle planant
l’homme
qui avait peur
marchait
pourtant contre le vent
vaillant
le
cœur empli d’oiseaux et de fleurs
d’amour
et de haine
gorge
serrée par la peine
contre
la pluie et le vent
battant
au-devant
de maisons vides des gens
volets
battant
perdu
pourtant
éperdu
par tant de sang répandu
tant
de vie s’en allant
cherchant
cherchant
l’endroit
où s’ouvre le ciel
vraiment
l’amour s’ouvrant
au-dessus
des eaux souffle planant
Arrête !
Ô
Israël, où es-tu
as-tu
mangé de l’arbre mortel
ne
te vois-tu pas nu ?
N’y
a-t-il plus de juifs en ce pays
mais
des hommes attachés à tuer
femmes
demandeuses de sang ?
Porteur
du Nom où es-tu aujourd’hui
toi
qui sais pourtant tout de la haine
tant
de tes morts te l’ont appris
Aurais-tu
oublié ce qu’anéantir
tuer,
humilier, mettre à nu, brûler
fait
de celui qui l’ose ?
Ô
Israël, je te pleure
quand
tu imposes à l’autre
les
douleurs que tu as connues
l’eau de la mer était profonde où tu
errais
là tu ne nageais pas, tu te mouvais
heureux
tu fréquentais des mondes
tu résidais dans l’onde, elle qui te
berçais
mère vivant hors de nos temps, si
loin du ciel
éternelle accueillante
tu glissais, caressé d’un rêve lourd
d’eau verte
au sein du règne d’êtres fluides et
patients
tu n’étais pas chez toi
l’acceptant, tu vivais, ou poisson
ou baleine
fils de la vie, et pour un temps
l’un d’entre eux
particule du monde
Sauvages
tout
cela relevait du matin
les
hardes de chevaux sauvages
pour
le soleil nouveau
couraient
libres au long des plaines
comme
faisait le bison innombrable
comme
le gnou dans la savane
et
les humains nés de la Terre
nés
de la Mère la parcouraient
la
visitaient selon tous leurs chemins
selon
leurs voies coutumières
sereins
ne sachant pas encore
ignorant
mais devinant peut-être
s’efforçant
d’oublier
de
ne pas se dire le secret terrible
car
en eux déjà vivait la maladie
en
eux déjà le meurtre séjournait
Pèlerins, apôtres
quittant
la nuit, ils sont entrés dans le matin fragile
la
joie, la peur, l’ardeur mêlées, la ferveur malhabile
parlant,
ils seraient obligés, ils seraient menacés
dansant,
chantant, ils se mueraient en oiseaux pourchassés
mais
la mort, en son fond, avait passé, restait le jour
la
vie qui s’entrouvrait, tendre bourgeon que l’on savoure
elle
s’ouvrait, papillon qui se déplie, proie facile
et
qui tenait en leur parole, en leur parler labile
aussi,
en cet instant, se sont-ils tenus cois, en leur patience
avant
d’oser sortir et dire, et trouver leur audience
lâchés
comme un vol d’étourneaux, ou sur l’eau comme une onde
ils
se sont égaillés, cognés, ont rencontré le monde
au
soir ils sont entrés, quittant le jour aux mots sans nombre
confiants,
tâtant des mains la nuit, au lieu où finit l’ombre
imaginez une existence
avec à l’intérieur
une porte ouverte
c’était un dimanche
jour un de la semaine
et Dieu a dit Ouvrez
une porte s’est ouverte
un souffle y a passé
on s’est mis à chanter
le monde n’est pas fini
l’univers n’est pas clos
ni la mort ni la vie
en ta vie imagine
tu la voyais fermée
une porte est ouverte…
Simple témoin
cette
nuit tu sais
est
nuit de lune
clarté
du soleil aucune
en
l’immensité dissimulée
tu
ne la vois que reflétée
elle
ne veut être vue
comme
une femme nue
si
belle à voir qu’on en mourrait
non
de peur
mais
de ravissement
sa
beauté ravie
voilà
pourquoi la lune est froide
porteuse
de lumière
comme
nous autres
mais
venue d’ailleurs
car
le Vivant fait peur
Reportage
un
ciel bleu-roi parsemé de nuages
pelotes
grises à la base noirâtre
l’un
d’eux dessine la carte de l’Europe
et
la tramontane le pousse
doucement
sage
au-dessus
de pins maritimes
frères
amputés de branches tombées
hier
l’autan s’était rendu fou
il
filait dévaster les plaines du Nord
aussi
la campagne se rajuste
je
croise une jeune femme replète
cheveux
outragés de teinture rouge
deux
marmots enfoncés dans leur poussette
si
grinçante que la fauvette nasille en retour
il
fait frais
le
monde fait sa pause
Dans la poussière
Ce
gamin se salit tout le temps
disait
ma grand’mère
il
est toujours par terre
disait-elle
qui
chaque jour nettoyait par terre
Viens
t’asseoir !
Je
ne jouais pas à table
pas
à ce jeu-là
qui
n’était pas un jeu
elle
ne le voyait pas
elle
ne voyait pas sur la terre
une
ombre de mystère
quand
l’ombre de mon ami
écrivait
par terre
alors
j’ai fait comme lui
ça
m’a valu des ennuis
mais
j’avais un ami
Parabole
au soleil il était midi
on ne le voyait pas les nuées le
cachaient
elles couraient comme folles vers un
ailleurs inconnu de nous
lointain sans doute et qui les
appelait
au passage brisant les branches
qui tombaient sur les chats les gens
et les voitures
chassant les couvre-chefs et
retroussant robes et manteaux
faisant tomber les vieux
le genre de choses qu’on appelle
tempête
au soleil il était peut-être midi
mais chacun comme chacune se mettait à l’abri
tentait de le faire en toute
boutique ou café ou même restaurant
là c’était la bonne aubaine
et tous riaient et se congratulaient
de s’être ainsi sauvés
s’égouttant
on n’était pourtant pas à l’abri
une vitrine puis une autre explosaient
poussées par la puissance du vent
qui redoublait
ah quelle histoire ! Julie
riait tandis que Nathalie se désolait
il était midi là-haut c’était
l’heure
et l’irruption du souffle de
l’histoire n’arrangeait pas tout le monde
Mars
ce
lointain jour le magnolia
était
en fleur
nous
n’en sommes plus là
le
grand vent de la haine et de la peur
vient
de passer
tu
sais comme ses fleurs
flétrissent
et tombent en loques misérables
vient
le temps de l’amandier
temps
d’amitié, d’avenir et de courage
au
bord des routes
des
chemins blancs épars dans la campagne
et
le sourire te vient
dans
tes yeux une lueur
pour
quel combat ?
Le cirque
Oh
comme j’aime le cirque !
et
les blagues des clowns
voici
l’Auguste
il
détruit tout ce qu’il touche
il
ne le fait pas exprès c’est dans sa nature
il
est certain de parvenir à faire des miracles
tout
le monde rit
sauf
ceux qui reçoivent sur le nez les effets de ses bêtises
il
les ridiculise
et
voici le Lion
il
avale tout ce qu’il voit
sa
faim n’a pas de limite
sa
crinière effraie les gens
ils
ne le savent pas ils ont peur mais c’est un lion de papier
un
lion pour rire à la fin
juste
pour faire peur et rire de soulagement
et
puis le Trapéziste
il
grimpe il saute il vole et il s’envole
cela
aussi fait peur
peur
pour lui dont on comprend qu’il va tomber
qu’il
va s’effondrer
sur
les siens qui l’attendaient en bas contents de l’admirer
naïfs
qu’ils sont ceux-là !
Oh
comme je n’aime pas ce cirque !
et
les blagues de ce comique-là…
Éveil
Elle
dormait
sous
la fenêtre les arbres de l’avenue bougeaient doucement leurs branches
et
les chats se faufilaient
le
cartable sur le dos des enfants riaient et chahutaient
ils
allaient à l’école
et
l’un d’eux poussait du pied une balle en marchant
soudain
la grille de l’épicier d’en bas s’ouvrit en grinçant
comme
agacée
et
les moineaux pépiaient
ils
discutaient entre eux et parfois voletaient
il
y avait on ne sait quoi de paisible et de tendre dans
la ville ce matin-là
une
moto passa dont le ronflement ne changea rien à cela
la
brume du matin se dissipait lentement plus loin sur la rivière
comme
à regret
et
le soleil nouveau-né allait peut-être éveiller le vieux chien flapi de la
concierge
un
sage qui ouvrait un œil au passage des enfants et rassuré le refermait
il
gardait son bout de trottoir
et
nul ne le savait mais il était l’ange gardien de la rue
posté
là pour approuver
tu
l’as su et tu t’es éveillée le songe s’est envolé
tu
souriais
Vérité de la pluie
la
vérité de la pluie lui fut ouverte un jour
pluie
de la vie
un
jour lointain donnant loin sur les toits
ce
fut à ses huit ans
derrière
une fenêtre de frissons
et
le poêle ouvrier qui lui chauffait les fesses
la
profondeur des bruits en bas dans la rue
c'était
comme la fosse d'orchestre d'un spectacle
et
le théâtre des toits et du ciel devint monde pour lui
les
maisons lui devinrent nature
la
tuile et le zinc lui étaient une peau
les
nuages chevelure
et
il fut dur et patient
et
il fut lourd
humide
comme le temps
comme
ce frisson et ce vent
et
il sut que le monde lui serait pluie
la
vie nuage
et
nuée emportée
et
il dut pardonner cela à toutes les fées de sa naissance
et
connaître en tout adulte
la
prison de la pluie et le souffle d'un grand vent
le
zinc et le nuage
et
sur les racines de pierres et de fenêtres
l'immensité
du ciel mouvant
l'humilité
fragile des tuiles le tint
et
leur nombre
leur
sécheresse
et
il vit que les humains sont ainsi
il
a oui tout accepté
pour
le plaisir transi de vivre en pluie
argile
cuite pour résister
ce
fut son jour de toitures
son
jour de giboulées
jour
de cœur donné
au
loin tournaient les ailettes d'une cheminée
et
dans le mouillé d'une cour
le
courage des moineaux
Corbeaux
de vieux oiseaux
noirs
s‘éparpillent sur
nos terres
y grapillent et les
pillent
se faisant blonds
se faisant bruns
se faisant amis des
humains
aussi menteurs que
la pie
aussi voleurs
au besoin nous
menaçant
de leurs becs
tranchants
de vieux oiseaux
noirs
aussi vieux
que Lémec ou Caïn
ou que Lilith aux
yeux noirs
Et leurs enfants
depuis leurs palais d’armes et d’argent
les grands se parlent de faire la guerre
ou de faire leur paix
traitant
de terres à obtenir
de terres à refuser
sous le regard de grands argentiers
régulateurs
mais sans enfants
chantez la vie
chantez la colère
et depuis leurs tranchées veillent les hommes
et les femmes
se garant des obus
et lançant des obus
et parlant de terres à aimer
sous ce débat d’en-haut
c’est qu’ils n’ont que leur sang à miser
que leur vie à offrir depuis leur seul tréfond
et leurs enfants
chantez l’amour
et chantez leur
courage
En un éclat
et de quel dire de
pères ermites
de quels marcheurs déraisonneurs
de sages à barbe de
prophète
suis-je né une
seconde fois
qui le dira
et de quelles
abbesses mères
au sage front levé
vers l’aube
bénissant au sortir
de la nuit
ai-je appris les
secrets du vent
lui qui s’en va
et de quels frères
vénérables
et de quels dits de
sœurs ailées
aux furieuses
paroles d’autrefois
je le demande depuis
des nuits
enfuies déjà
je fus agi de
paroles anciennes
de flots d’oracles
iconoclastes
de vérités au jour
renouvelées
de souffles épars et
pourtant réunis
en un éclat
Notre Père
est un combattant
qui chaque jour
repousse l’ennemi qu’on
appelle néant
Elle a pour son enfant
la tendresse d’une mère
Notre Père
est un artisan
qui chaque nuit
reconstruit ce qu’au jour a
détruit le néant
Sa clairvoyance
est celle d’une mère
Notre Père
est un enchanteur
qui nuit et jour
oppose à l’ennemi son rire
créateur
Attentive
comme l’est une mère
Notre Père
est comme un amant
qui jour et nuit
vient appeler sa belle à
sortir du néant
Jeune mère
amoureuse de son enfant
Promesse
il a plu sur le
désert
ici ou là des
pousses d’herbe
l’homme ôte son
chèche
il boit la pluie
tête levée
œil mouillé de pleur
et de pluie
bonheur
les enfants
sentiront un jour
en courant les pieds
dans l’herbe
l’odeur multiple des
fleurs
et les mères
allaiteront
les hommes n’iront
plus à la guerre
tous au labour
les reins ceints et
la gourde pendue
la branche neuve la
retiendra
et viendra la sueur
aux pères
qu’une eau lavera
un jour le blé vert
paraîtra
et plus tard
des pommes aux
pommiers
Sous la couche
c’est l’hiver
le fleuve respire
grande rivière mère
la buée se fait
brume et monte vers les humains
comme vers toute
créature
heureux sommes-nous
qui respirons
quand les arbres
s’en défendent à toute force
l’heure des arbres
est pour plus tard
quand la forêt s’est
enrichie du long repos
en sa munificence
en l’immense
ondulation de ses amours avec le vent
et déjà, sous le gel
sous la couche
épaisse et blanche du brouillard
devinons une
promesse
il le faut
sinon c’est le temps
qui casse
Un souffle
manquerait un
souffle
brise légère
silencieuse,
aérienne, ténue
venue on ne sait
d’où
allant où l’on ne
sait
manquerait-il
tout irait comme
devant
tout suivrait son
chemin
chemin de grandes
peines
voies de petits
bonheurs
et suffirait d’un
souffle
haleine de buée
toute chose
convertie
muée, bouleversée,
retournée
tournée vers ce qui
vient
un souffle saint
et viendrait
l’enfant
celui qui vint, qui
vient
ce souffle qu’il
vienne enfin
à la bouche des
humains
Santonnette
Que savez-vous de
sire Jésus ?
– Je sais, ma foi,
qu’il est apparu
tout petit et tout
menu.
Était-ce en une
chambre belle ?
– Oh ! ma foi,
ni château ni chapelle
une crèche pour
nacelle.
De quel habit fut-il vêtu ?
– On l’avait couché,
ma foi, tout nu
en sa peau il a
paru.
Comment donc, point
de dentelle ?
– Non, ma foi, pas
même une flanelle
le froid sur la
fontanelle.
Dessus n’a-t-on rien
étendu ?
– Du foin, ma foi,
pour quelques fétus
un peu de paille
perdue.
En quel temps en
vint la nouvelle ?
– Ma foi, en ce
temps de l’eau qui gèle
le mois où de froid
l’on pèle.
Nulle chaleur n’est
donc venue ?
– D’un bœuf, ma foi,
d’un âne velu
vint le souffle
assidu.
N’eut-il nulle aide
fraternelle ?
– Si, ma foi,
bergers et pastourelles
serviables et pleins
de zèle.
De quel argent
a-t-on vécu ?
– Trois rois, ma
foi, fort peu dépourvus
ont cédé leurs
invendus.
Lui a-t-on chanté
des noëls ?
– Ma foi, s’entendit
la ritournelle
celle des anges,
habituelle.
Testament
amis que vous donner, rien n’est à moi
tenez, à quoi je tiens, le vent de mer
voici pour vous le souffle du noroît
à vous soûler prenez-le, il m’est cher
chantez
avec le vent voici l’oiseau sur l’air
laissez-le vivre libre, à vous son chant
sa joie, consolation aux jours amers
sachez de lui bénir le jour naissant
chantez
et je vous lègue toute l’eau du ciel
oui, toute pluie qui vous paraisse amie
bruine qui pépie ou grain torrentiel
au soleil ardent il faut l’accalmie
chantez
prenez de moi l’ombre de la forêt
austère ou chevelue, vie pleine et belle
qui fut toujours une amie pour de vrai
en elle sourd une vie maternelle
chantez
et l’océan, prenez-le avec elle
il n’est pas mien, vraiment, je viens de lui
mais respectez sa puissance mortelle
sa liberté de maître de la nuit
chantez
Tenir
Ne reste plus qu’une feuille à ce platane d’alentour, elle tient,
les autres gisent, mortes, au pied de l’arbre, ou s’éparpillent au vent ;
elle ne bouge pas.
Je me demande en laquelle de ses nervures se tient la volonté qui
l’anime, celle de vivre encore, que sait-on des arbres et de leurs désirs, de
leur ressenti ? ils vivent, loin de se croire inanimés.
Et cette feuille qui ne veut pas tomber, ni voler jusqu’à terre, au
rebours des oiseaux qu’elle a connus lors de tant de jours, peut-être le
comprend-elle, qu’elle a perdu la guerre, telle un empire qui se sait à
l’agonie mais ne veut pas le reconnaître.
Elle tient, autant qu’il est possible, elle ne lâchera pas
d’elle-même la branchette qui la retient encore, il y faudra le vent, son ami
pourtant, qui la faisait danser si souvent, mais qui s’est retourné, devenu
violent.
Il la secoue, il la bouscule, à la faire tomber comme une vieille,
comme un vieux flageolant, accroché à sa canne dérisoire, à faire rire les
enfants jusqu’à la vision du sang, à faire accourir les passants, elle le sait
pourtant, nulle aide pour elle mais elle tient.
Une feuille, la feuille d’un platane à l’automne, que
vaudra-t-elle, que pèse-t-elle en ce monde et qu’importe ? on peut se le
demander, comme si la vie ne comptait que pour les grands, elle tient pourtant,
à la merci du grand vent.
Puis elle lâche enfin, et volète, rencontre le pare-brise d’une
voiture, s’accroche à l’essuie-glace, obstinée toujours, refusant la boue des
bas-côtés où, d’un sursaut, elle tombe pourtant, et meurt… Elle sait qu’elle
sera remplacée.
L’arrosage un
dimanche
Trois petits enfants
tout habillés de blanc
à la mod’ des vous
m’entendez
Trois petits enfants
perchés sur une machine
agricole
oiseaux du ciel en panne
Trois petits enfants
comme dans Boris Vian
et c’est l’agriculteur qui
piaille
Trois petits enfants
et la bise déroule en
piaulant
la plaine sous le vent
Trois petits enfants
émergent des chants
sur les tuyaux de la
machine
Trois petits enfants
jouent à l’orgue avec
l’appui du vent
et le concours des
mécaniciens agricoles
Trois petits enfants
en dimanche de paysan
font les vacances tout en
arrosant
Elle
elle
elle arpentait les rues de
la ville damnée
belle ici, laide là, ville
enfant de la peur
détruite pour longtemps,
bombes tombées
en sanglantes lueurs
elle
elle savait qu’un jour ça
tomberait sur elle
morte, posée dans l’herbe
douce de mai
elle est environnée de
fleurs surnaturelles
heureuse désormais
elle
elle espère s’y
tenir, ne pas revenir
et qu’enfin tu
viendras, que tu l’emmèneras
vers un monde
inconnu, vers un clair avenir
où tu la berceras
Approche
des femmes, en tas, de loin
tu peux en aimer des foules
en vrac, à la pelle, des
hommes comme pierre qui roule
si tu ne veux m’aimer
longtemps
ton sang pour mon sang
n’approche pas
et du haut d’un bureau,
d’un plateau on peut aimer le monde
ou bien mille et dix mille
inconnus à la ronde
sans aimer son voisin, sa
voisine et l’enfant
on le fait souvent
n’approchez pas
L’œil contre l’œil, la main
contre la main, tuer est difficile
à vingt mètres de là c’est
déjà plus facile
et du haut d’un avion tu en
tueras dix mille
comme en te jouant
n’approchez pas
La ville en vie
trois jeunes mamans,
poussette en avant
sur la Place du
Foyer se sont rencontrées
se sont arrêtées
pour se parler
et la ville
désormais est centrée
autour de trois
jeunes mamans
une en rouge, une en
larmes, une en blanc
et la ville se
déploie
vibrant de toutes
ses artères
de ses placettes
ombragées
ou de ses modestes
monuments imagés
de ses écoles, de
ses églises crucifiées
des ateliers, des
usines, des marchés
le profond respir de la ville tout entière
en son souffle de
vie prend sous son aile
les trois jeunes
mamans, les trois petits enfants
chacune s’en va de
son côté
contentes d’avoir
respiré
apaisée la ville
aussi s’en va veiller
La rose de Luther
vole une fleur qui vole,
aux couleurs de l’aurore
jamais ne fanera, rose
folle qui danse
et libre sous le vent elle
s’en vient éclore
venue d’un sol vibrant,
venue du ciel immense
croix de mort, cœur de
sang, rose blanche, cercle d’or
la rose du matin, dès
l’aube d’un dimanche
a pour toujours fleuri au
sortir de la mort
sa rosée donne vie où sa
fraîcheur s’épanche
évangile est son nom,
parole dont l’essor
a fait trembler des mondes,
plier des arrogances
vaciller des empires, et
peut le faire encore
une fleur est fragile, elle
semble impuissante
mais qu’il habite un cœur
et qu’il suscite un corps
l’évangile à la rose est
faiseur de naissances
Fleurir
je vais aller sur la
tombe afin de la fleurir
et que Calvin me le
pardonne
mais loin de me
gronder il me disait
ne coupez pas les
fleurs des champs
ni les fleurs des
sentiers
qui ne sont pas à
vous
les fleurs qu’on
peut couper
sont celles
de vos graines
ramassées, semées et soignées
afin de transmettre
de vous les pensées
les fleurs intimes
de vos belles amours
non les fleurs de
l’amour infini du bon dieu
Calvin me le disait
en un français ancien
mais que je
comprenais
Tribu
tu disais le mot tribu
tu voyais dans la foule
dans les rues encombrées de
la ville
tu sais, à la fin de la
journée de travail
quand tous vont chacun seul
suivant son chemin
en la fourmilière tous
mêlés
un être ici que tu aimes
un autre là dans une autre
ville
et celle-là celui-là
oui ta tribu
petit groupe disséminé
uni par ton seul souvenir
ton seul amour
et parfois s’ignorant
car ces tribus n’ont pas de
loi
Vider la maison
vider la maison n’est pas
facile
toute la maison
il s’agissait de se
déraciner
de tout déraciner
mais les arbres
s’accrochaient de toutes leurs racines
de toutes leurs branches
dans le ciel
leur écorce en tombait
leur sève s’écoulait
les oiseaux eux aussi
faisaient de la résistance
de la mésange au
rouge-gorge
ils voletaient en vous
ils vous étourdissaient de
toutes leurs chansons
de peur ils en perdaient
des plumes
elles descendaient
lentement
se balançaient dans l’air
complice
quand pleuraient les beaux
nuages mouvants
et allez donc attraper les
écureuils
trouver le hérisson sous
les rosiers qui vous piquaient
rouges de colère
on n’en finissait pas
de même la maison
quand les murs refusaient
de tomber
qu’il fallait les pousser
tous les murs du monde
enfin tout le malheur du
monde
et s’en aller
Hors la tanière
quand le loup sort de sa
tanière
c’est pour manger
on ne mange ni ne vit qu’en
sortant
on ne s’étend
on ne se répand qu’en
sortant
dans la tanière on se
repose
c’est pour sortir
assurer sa place dans le
monde
l’espèce dans le temps
un loup qui ne sort pas de
sa tanière
est un loup qui meurt
serait-ce lentement
ne le voyez-vous pas, vous
qui semblez
vivre
pour garder votre tanière
en ordre
quand c’est ailleurs
dehors
que vous avez à parler
dire
l’inexistant qui est avant
et maintenant
régnant
Une forêt
que suis-je ? dit-il,
une forêt
je suis une forêt
avec des allées, des
sentiers et des pistes
avançant vous me trouveriez
endormi sous un frêne
ou parcourant une futaie
vous iriez par les allées
les sentiers
mais évitez les voies
ces trouées par où passent
les bêtes
vous pourriez les brouiller
le chemin des humains est
le vôtre
si vous y tenez
vous l’y trouverez
Qui sait ?
on a marché sur la route
quelqu’un
au moment où le ciel pâlit
où les moines s’apprêtent
pour chanter prime
où les moineaux entonnent
leur chœur multiple
fêtant le jour
et ce matin sur la route
on ne saura jamais qui a
marché
le jour venu on ne verra
personne
en ce hameau restera le
mystère
heureux
mais on ne sait pourquoi
et l’un l’autre on se dit
et si c’était
lui ?
Chanson
le monde une merveille
et pour longtemps
beau mensonge l’humain
pour peu de temps
herbe qui sèchera
avant longtemps
avenir qui s’en va
dans un tourment
ceci est la chanson
pour avertir
ceci est la raison
à retenir
les humains s’en iront
pourquoi mentir
ni ne reste un surgeon
ni souvenir
autrefois les prophètes
avaient prédit
le ciel après la pluie
un temps maudit
suivi d’un ciel d’azur
temps de lundi
puis dimanche au ciel pur
mais qui le
dit
Là où est le mal
La tête se porte
bien merci
ce n'est pas là
qu'est le mal
mais ouvrez sa
poitrine et vous verrez
cachez vos yeux et
vos cheveux
cent mille au moins
chauve-souris sortir
en volant chaudes et
leurs cris
rendra noir le ciel
bleu le ciel bleu
et tant mieux
qu'elles sortent
qu'elles vole-vole-volent
les folles les
folles
les petites fées
noires batifolent
Ah que sa gorge
s'ouvre et son sternum
vous verrez
vous serez étonné
mais vous devrez
reconnaître que sa
tête
va bien.
Ce matin
Hommage à Haruki
Murakami
Mademoiselle Saéki est morte ce matin
et je ne sais comment
et je ne sais pourquoi
et je ne sais pour qui
elle qui était si belle
qui était si douce
et suave
si pleine d’élégance
d’aménité
sous les cerisiers
qui peut me dire comment la
plaindre
comment la célébrer
la révérer
car j’étais amoureux d’elle
en ce matin
Une goutte
vous prendrez bien
une petite goutte
ou deux
peut-être
tendez vos lèvres,
tendez votre langue, voilà
deux gouttes de
poésie pour alléger la peine
donner du poids à
l’innocence
et chaudes ou
fraîches, choisissez
voyez à travers
elles le monde s’iriser
ou bien, alentour,
se briser
et si pour un temps ces
deux perles y suffisent
prenez
Dessous dessus
sous le village, un village
secret
lieu de naissance des
arbres
fait de bois dur ou parfois
tendre
entremêlé
lieu de vie dans la terre
mère
tu te croyais maître des
arbres
et tu ne sais
tu pensais dominer la vie
et tu ne peux
le monde n’est pas tien
gérant de ton village
Plaine au soir
solitude, plénitude
c’est le soir, soleil bas
la plaine ondule sous la
brise
herbes mouvantes
à l’ouest le ciel est mauve
et les nuées légères
voilent une en-allée
vers la nuit
ici, juste ici
palpite
le lieu précis de la
quiétude
méditation du silence
L’aube
premier rayon posé sur la
rosée
sur le pétale d’une fleur
des champs
c’est l’aube
un jour commence
un avenir ouvert, rien de
banal
un jour nouveau
jour de service, de
plaisir, de combat
ouvert
sur la beauté du monde
en sa fragilité
nous respirons
portés par le respir du ciel et de la terre
en ce jour qui commence
un premier jour
un premier tour renouvelé
La mésange
de loin je vois la
mésange
perchée sur le coin
d’une gouttière
de l’autre côté de
la place
petite boule de
plumes
elle ne bouge pas
on dirait qu’elle
réfléchit
à quoi pense un
oiseau repu
quelles idées la
tiennent-elles immobile
quel monde est celui
d’une mésange ?
on ne peut
l’imaginer
sans doute est-ce
réciproque
et qui dira que le
nôtre est plus vrai ?
Sieste tardive
la fenêtre est grand
ouverte
et moi
étendu sur mon lit je dors
conscient toutefois du
pépiement d’une petite pluie
elle pénètre mon sommeil
sommeil léger d’un
après-midi d’été
et je me souviens
je suis au milieu de champs
entourés de collines
debout comme au milieu du
monde
et je suis seul car il va
pleuvoir
solitude heureuse
pleine comme une fin du
monde
et je le sens je rêve
et je sens qu’il pleut dans
la douceur de cette fin du jour
heureux
heureux
puis un visage m’apparait
tu es là
Paris square
Sous les arbres du
square on voit des enfants bruns
essayer de dormir en
des duvets d’emprunt.
Simples fils des
humains sortis nus de la boue,
à quels rires ou
quels pleurs ces sans-papiers se vouent ?
Mais dans le frais
d’avril piquant de ce matin,
dansant presque, une
fille a souri aux clandestins,
Les platanes ont
verdi eux aussi près du square :
faudra-t-il que
cette fille elle-même perde espoir ?
Sentinelles
Voici le soir et
c’est le temps mauvais, le temps des loups en meute
car le jour est
passé dans une brume opaque aux ramures amères
dans la forêt
irons-nous promener
comme autrefois, promener et jouir de beaux jours à lacs purs
non, car il n’est
plus temps de rire et le temps est à rage et colère et courage
courage aussi
on en est aux armes
du langage et la raison reste de s’y tenir
mais les figures de
théâtre qui montrent leur besoin de haine et de rire mauvais
eux sont aux aguets
elles demandent leur
lot de chair humaine, oui, de chair brune à chasser
et qui rêve de cela
et le demande est un autre toi-même, un autre nous-mêmes
sans espoir
et qui se placera
entre chasseur et proie sans espérance ni pouvoir, balayé sera
car c’est le soir et
les paisibles nefs qui voguent dans le noir
vont couler
préparez vos caches
et vos ruses et tous vos savoirs anciens, les savoirs
de ceux qui toujours
ont eu à mettre le fugitif à l’abri et celui qui fuit en lieu de paix
car il se peut
ici, que les temps
tournent à l’orage, que les temps sous peu soient mauvais
ainsi l’on se
prépare à l’ombre afin qu’elle demeure et reste au loin
très loin du jour
Marcher de nuit
il fait nuit
nuit sombre-noire
le poids des nuages
ils masquent toute étoile
à quoi bon lever les yeux
à quoi bon les baisser
et je dis où vas-tu
le sais-tu
pourtant je sais
suivant du pied la route
car j’ignore et je sais
en moi quelqu’un le sait
ce chemin que je suis
ne m’a pas dit son nom
je vais dans l’improbable
mes pieds m’y conduiront
Chèvrefeuille
le sentier suit un long mur
de pierres
bonnes grosses pierres qui
furent blanches
et de loin en loin, comme
un buisson épais
accroché au mur
une masse de feuilles dures
et luisantes
et la parsèment des
centaines de petites fleurs
blanches, odorantes
senteur chaude enveloppante
d’appel à l’amour
vibrante d’appel à la vie
et je passe ainsi lentement
d’odeur en odeur
et je remercie
tellement satisfait de la
rencontre
Samedi
le matin vient
ô sentinelle de la nuit
le ciel s’élève il monte
laissant un jour venir
et ce jour qu’elle enfante
la nuit ne le connaît pas
le matin vient
et vient aussi la nuit
que l’on devine
embusquée après le jour
après lui toujours
acharnée à le détruire
le matin vient
naît un beau jour
et la nuit vient aussi
pas de nuit sans le jour
et ce que doit la
sentinelle
c’est annoncer le jour
Le jour paraît
le jour s’élève
à qui
pardonner ?
l’effacement des
choses dites
des volées reçues
ne se peut, ne se
doit
car le jour avance
derrière les pins
voici la clarté
au loin les nuées
le ciel est blanc
et par-dessus déjà
les moutons noirs
voici le jour
à qui se
donner ?
les temps vont se
rencontrer
hier et demain ne
sont qu’un jour
et le soleil paraît
le jour hésite
la nuit des fleurs
est une paix
tu ne peux la faner
et leur jour une
aventure
fête humide du matin
Interlude
L’arbre qui bouge
un squelette habillé
la mort a erré en ce
jardin
un petit souffle
passe
et les enfants se
taisent
un gravier roule
une feuille tombe
une branche a craqué
un petit merle a
sifflé
un jeu se dessine
vite on a repris la
course
Naissance
statuette de terre
je fus ainsi
muet j’étais alors
j’étouffais
sans entendre ni voir
je sentais peut-être
autour des bras qui s’agitaient
c’était le vent
qui sait
ou qui ou quoi
qui m’entrait par la bouche
qui soufflait
puis j’ai vu les arbres
et plus tard les gens
peut-être bien les gens d’abord
Marcher, chercher
il marchait sur un sentier
forêt profonde tout autour
ombre et nulle présence
il se retourne tout paraît
dans la beauté du monde
où la mort avait erré
mais il n’est pas écrit
qu’au tout commencement
l’abîme ait disparu
est-ce à moi de parler
or je ne sais que dire
ami fais-moi connaître
je suis pauvre de cœur
que vois-tu dans le noir
sais-tu trouver l’étoile
dis-le-moi car je cherche
dans le ventre des choses
dans le noir des rumeurs
Dites-moi
Je le sais on te nomme comme on nomme
les bateaux, les voitures ou les chiens.
Il le faut pour se comprendre
mais le nom n’est qu’un verbe au repos, toi tu marches
sur les nuées, tu te meus et tout se meut avec toi,
et voici toute chose en marche avec toi.
Mais sur le bitume des rues, sur le pavé des cours,
même sur les cours des palais cardinaux
ou les sentiers forestiers parcourus par les daims
déambulent des gens qui ne savent où ils vont.
Et nous voici parcourant des chemins imbéciles,
logeant en des maisons comme on loge les chiens
comme nichent des bêtes privées du savoir.
Dis-moi ma sœur, dis-moi mon frère, mon camarade,
fais-moi connaître car je suis pauvre de cœur :
que vois-tu dans le noir, sais-tu où retrouver
l’étoile ?
Dites-moi car je cherche et ne sais qui
et ne sais quoi dans la nuit du monde et de mon cœur.
Où l’on rit comme on pleure.
Vivants
Les
chanceux, le Vivant les appelle
à
rire, à sourire, à bénir
à
vivre une vie qui soit telle
que
son règne à venir
irise
toute vie enfin belle
La clé
laisser tomber la clé
laisser la porte ouverte
même ouvrir le chemin
et faire table offerte
laisser aller son pain
sur les eaux de demain
le retrouver peut-être
dans la main d’un ami
ou bien d’un ennemi
dans le sourire espiègle
d’un enfant démuni
Avec Dominique Ratto
Te souviens-tu ?
te souviens-tu de nos chansons
nous les chantions ensemble aux soirs de mauvais temps
devant la cheminée, son feu flambant
les anciens chants du soir on les chantait souvent
à la maison, au temple ou à l’école
et nous étions enfants
le monde était en sang
et nous n’y pensions guère
quand ton village ou ma rue étaient en guerre
rien de plus rassurant que les vieilles chansons
aujourd’hui on ne les chante plus
mais devant la cheminée d’antan
nous deux chantant
souriants
le temps qui passe ne passait plus pour un temps
même à deux voix nous nous trouvions unis
te souviens-tu de ce temps-là
quand nous chantions unis les anciens temps
Tiens ?
ils
cherchaient ils cherchaient
ce
que ça veut dire tout ça
mais
ça ne voulait rien dire
ça
disait
comme
une pomme
ça
se mangeait, il fallait l’avaler
ou
ça pourrissait
tombait
avec
la terre ça faisait d’autres pommes
manger
avant
or
jamais je n’ai pas faim
aimez
le monde et le prenez
c’est
bon
comme
disent les gens d’en haut
prenez-en
plein la gueule
Quittant la nuit
quittant
la nuit, ils sont entrés dans le matin fragile
la
joie, la peur, l’ardeur mêlées, la ferveur malhabile
parlant,
ils seraient obligés, ils seraient menacés
dansant,
chantant, ils se mueraient en oiseaux pourchassés
mais
la mort, en son fond, avait passé, restait le jour
la
vie qui s’entrouvrait, tendre bourgeon que l’on savoure
elle
s’ouvrait, papillon qui se déplie, proie facile
et
qui tenait en leur parole, en leur parler labile
aussi,
en cet instant, se sont-ils tenus cois, en leur patience
avant
d’oser sortir et dire, et trouver leur audience
lâchés
comme un vol d’étourneaux, ou sur l’eau comme une onde
ils
se sont égaillés, cognés, ont rencontré le monde
au
soir ils sont entrés, quittant le jour aux mots sans nombre
confiants,
tâtant des mains la nuit, au lieu où finit l’ombre
Enfants dépravés
les enfants, les petits enfants,
tous les enfants
qu’on en tue un, qu’on en tue cent
ou mille, ou bien dix mille
selon la pente de nos raisons
nos raisons folles, ô combien
déraisonnables ces raisons
il reste qu’ils sont morts
toi qui ne sais rien de l’avenir
sinon donner la mort
que fera-t-on de toi, quel sera ton
sort
sinon le pire
et qui a le droit de tuer les
enfants
je vous le demande
qui s’arroge le droit d’assassiner
même les petits, les enfants
qui es-tu toi qui tue
tu es un imbécile, un enfant
dépravé, le sais-tu
lui qui ne sait rien de l’avenir
sinon viser la mort
que fera-t-on de lui, quel sera son
sort
sinon le pire
tuez-vous les uns les autres
vous qui aimez la mort, qui haïssez
l’amour
les enfants vous regardent, ils
voient ce que vous êtes
est-ce pourquoi vous les tuerez
aimez vos engins de mort, eux seuls
vraiment sont vos enfants
vous ne savez rien de l’avenir
rien d’autre que la mort
que fera-t-on de vous, que sera
votre sort
sinon le pire
Frêle
sous les débris
les fracas
la source infime d’un chant
aux oreilles du veilleur
un filet d’eau
murmure
écoute
tendu vers le silence
la paix qui vient
aux tempes martelées
naît
une fissure intime
cela suffit
imperceptible
l’infiltration s’impose
écoute
et continue continue
en toi se fraie le charme
car le combat des frêles
use d’armes futiles
mais vives
Nuit
je pleure
il me faut bien sourire
comme un rai sous la porte
viens
donnons le jour aux fifres
sortons les tambourins
j’ai peur
il me faut bien tenir
comme un arbre au désert
tiens
je ne veux que poèmes
la lune me pardonne
je meurs
il me faut bien bénir
comme l’aube entre les nuits
lien
entre deux blocs de pierre
entre nuit et lumière
Les chanceux
les chanceux
mendient le souffle de l’Esprit
le règne de Dieu est à eux
les chanceux
ce sont les doux
ils vont hériter la terre
les chanceux
ce sont les malheureux
ils vont être consolés
les chanceux
ont faim et soif de justice
ils vont être rassasiés
les chanceux
pratiquent le pardon
ils vont le recevoir
les chanceux
ont le cœur sans mélange
ils vont voir Dieu
les chanceux
sont les faiseurs de paix
on va les dire nés de Dieu
les chanceux
sont persécutés pour la justice
le règne de Dieu est à eux
Emballements
il arrive parfois que
les temps s’emballent
et les saisons
ils délivrent un message
en urgence
pour le bien des fruits à venir
et toujours à ceux-là
qui savent tout lire
des temps et contretemps
puis les temps se replient
dans le silence
et les humains oublient
pas les plantes ni les bêtes
ni la pierre ou la boue
ni la terre
ni même l’eau
eau du ciel, eau de la terre
et surgit le malheur
alors pour les humains
tout casser, tout refaire
pourvu qu’ils ne soient vieux
Participant
il ne se
sentait pas à sa place
il n’était pas à sa place
un peu dedans un peu dehors
un pied dehors un pied dedans
déplacé
toujours un peu ailleurs
en même temps parlant d’autre chose
parlant à côté
déclassé
d’ailleurs mal habillé
bien habillé pas à l’aise
dans les rassemblements
fredonnant
un air en dedans
souriant poliment
les doigts marquant son rythme
allant
distraitement
triste quoique au
fond
aimant bien les gens
distraitement
Terriens
humain fils de l’humus
fils de la terre
en état de culture
non pas nu mais vêtu
des enfants de cet arbre
de toute science
de l’arbre de beauté
et de malheur
père de l’eau salée
qui pleut de lui
et fait lever le grain
et lui casse les reins
inventeur meurtrier
en la cité première
et pourtant paysan
auteur de paysages
fondateur de pays
et familier d’errances
Espérance
en elle qui se cache
je crois
je parle d’amour
elle qui va sans âge
ce jour
me dit courage
au sein du rêve
songe
des croyants
endormis
au plus profond
je vis
comme au cœur de la
nuit
je suis un sac de
pleurs
et tout au milieu
la joie
La voie
la courbe d’une
parabole
voici le chemin
qui va droit se
méprend
croit savoir, se
croit sachant
il se perd
la route en son
dessein
est de grâce
élégante et modeste
ainsi va la voie
un sourire
aussi va-t-on cherchant
par la roue du
moment
cerclée de fer
l’inflexion d’une
allée
où s’anime le
souffle
Que dis-tu
que dis-tu de la vie
que dis-tu de
l’amour
que dis-tu de la
guerre
tu ne sais pas
tu l’as vue
s’écrouler
la maison, s’ébouler
ton monde s’en aller
tu ne cries pas
il faudrait bien
qu’un jour
il faudrait qu’en
tes jours
il faudrait qu’à
jamais
tu ne haies pas
non, ce que tu veux
non, tu le chéris
cet aujourd’hui qui
va
tu l’aimes là
Les arbres avec le vent
le vent, le grand
vent, s’était levé
alors les arbres se
sont mis à bruisser
ils aimaient sa
façon de les malmener
quand il les
traversait
quand il les
chamboulait
imaginez toutes les
histoires qu’il leur racontait
venant de loin
on ne comprend pas
les arbres
ils ne sont pas de
bois
ils aiment que l’on
s’occupe d’eux
c’est humain
les arbres sont en
nous
et nous sommes en
eux
parfois même ils
chantent
et c’est comme un
appel
ils on besoin qu’on entre dans leur monde
là où ils sont
vivants
dans leur monde vert
leur monde de terre
et d’air
surtout quand le
vent retombe
épuisé
L’entends-tu ?
L’an qui vient, d’où
vient-il, pour un bel en demain ?
Dis-le moi : s’en
va-t-il, espoir tombé des mains ?
Qui peut encor
parler en sorte qu’on l’écoute
sans que naisse le
doute ?
Qui peut parler et
dire s’il a le cœur lié ?
Ô toi qui as
l’oreille, le souffle régulier,
qu’entendras-tu
venir, verras-tu ce qui vient
renouveler les
liens ?
Si mon maître était
là, vraiment le dirait-il ?
Il tarde à investir
des esprits peu subtils,
il me parle
peut-être et je ne l’entends pas.
Toi perçois-tu ses
pas ?
Joie
ce n’était pas
compliqué
c’était juste un peu
de joie
aurait-il revendiqué
bien plus, un feu
qui rougeoie
une source, un
puits, de l’eau
un toit, un abri de
pierre ?
la joie, non tel
bout de terre
il a eu la peine
amère
et la joie qu’il
demandait
ne fut pas même
éphémère
il ne l’a reçue
jamais
sauf en la pompant
de force
au profond de ses
vieux os
sa joie, telle un
doux fardeau
il a le toit de
bardeau
la maison aux volets
verts
la source et l’eau à
plein seau
le lit chaud et le
couvert
saura-t-il puiser la
joie
circulant sous son
écorce ?
la joie, ce vieux
s’y efforce
Naissance
de l’humain
Fils de l’homme,
fille de l’humain, fils et fille des humains, fils des hommes et des femmes,
fille des femmes et des hommes, humains en nombre qui naissent chaque jour sur
la planète bleue,
humains de chair et
de sang, corps rouges et blancs, glissants, d’humains ensanglantés, fils et
filles des femmes et sortant de leur ventre, filles et fils des hommes qui les
font leurs enfants,
petits humains au
premier cri, première parole de douleur et d’effroi quand vient en eux le
souffle, humains aveuglés et apeurés déjà, humains fils d’Adam fille de Dieu et
semblables à lui,
enfants de la
violence humaine, de la violence terrienne, enfants de la terreur de la guerre
et de la chaleur de l’amour, divins enfants pour qui sonnent les tambours de
l’amour et de la guerre,
humains homme et
femme en un seul être advenu, seul enfant chez tous les enfants nus, mort avec
les autres de Bethléem, né avec les autres à Bethléem, tous les autres en lui,
bel enfant de l’humain,
enfant de la beauté
du monde et fils de la terreur du monde et fille de l’amour du monde et fils de
la douleur du monde, enfant de l’avenir du monde et fils de la mort du monde et
fille des aurores…
Bonjour
je dis bonjour
je dis bonjour, je
dis merci, ou s’il-vous-plaît, excusez-moi, je dis au revoir
ce n’est pas que je
sois poli, ça voudrait dire frotté au papier de verre
non merci,
excusez-moi, pas ça !
non, c’est par
provocation
c’est pour pousser
l’autre, en souriant, à montrer son visage, celui du dimanche
j’aime les visages
des gens, leur visage du dimanche même un lundi
c’est beau
Chanter
il s’était remis à
chanter
l’ombre s’était
retirée
il chantait
c’est ainsi qu’on
s’éveille
tourne la terre
au matin nouveau
pourtant c’était la
guerre
il chantait
le cœur ouvert
on ne peut attendre
vienne ce jour
la fin des crimes
vienne un chant
nouveau
de ces ruines
qui serait
amoureux ?
Autre
mais bien sûr il
fallait que nous changions de monde
à défaut de
changer
on a toujours besoin
d’un autre monde à faire
alors on l’imagine
et quand il nous
arrive il est déjà caduc
s’il n’est pas
malfaisant
il faudrait il
faudrait qu’un autre monde existe
par lui-même et pour
nous
pourquoi faut-il
toujours que celui qu’on nous montre
soit celui des
puissants
un autre nouveau
monde où les gens compteraient
et qui ferait vibrer
Le
banc
à cet endroit de la
colline
le chemin sortait
des bois
dans la douceur des
vents
on voyait là toute
la plaine
on a fini par
oublier l’accord
celui de la terre et
de l’homme
un long travail
pour un paysage de
paix
et je repense à ce
banc
un homme, un paysan
il avait installé un
banc
d’où contempler la
plaine
cet homme est mort
reste le banc, reste
la plaine
reste le regard de
paix
le souvenir du cœur
des hommes
Matin
avancer sur le
sentier
soleil aigrelet de
novembre
entre vigne et
taillis
au vert de l’yeuse
au loin l’église
au sommet du village
sa cloche tinte,
perdue
qui ne parle plus
vers nous le jour
avance
écouter
ce monde-là, autour
vibrer du
bruissement du monde
un souffle passe
passe un oiseau
Guerre
là se révèle d’où
vient le sang
feu qui n’est pas
tombé du ciel
mais qui monte vers
le ciel
vue d’une terre en
sang
demain viendra le
sang
tout au loin se voit
le ciel
le sang
atteindra-t-il le ciel
le ciel
s’abreuve-t-il du sang
en nos jambes cuit
ainsi le sang
jusqu’à nos cœurs il
monte au ciel
viendra-t-il un
arc-en-ciel
circulerait le sang
Chien andalou*
*
clin d’œil à Buñuel
aucun doute c’est un
chien
une chienne
elle trotte seule
vers on ne sait où
pas de maître
aucun humain
pas de collier, de
laisse abandonnée, rien
son poil est bleu
naturellement bleu
de lune bleue
soir pâle, brume de
nuit
la chienne furtive
envoyée de la mort
qui court sans se
lasser
imperceptible au
vrai dans le paysage
elle sait
elle va vers où,
s’en va vers qui elle va
tu n’as pas à le savoir
Source
vient le mot source
et le mot
cristalline
et ce mystère
que l’eau me vienne
s’appelle toi
et son nom véritable
qui soigne tout
on ne sait d’où
mais tu le sais
s’appelle toi
et l’eau qui sourd
source de joie
du très profond
du long désir
s’appelle toi
L’île aux oiseaux
il y a dans cette
île
tant de choses
inutiles
que les humains
aimaient
et délaissaient
sous les arbres de jais
et le maître des
nids
loin tout là-haut
comme un enfant
je te parlais de lui
aux ailes lamées
d’or
à l’œil de flamme
aiguë
au long manteau de
pourpre
plumes du soir
il te regarde
cette île
est celle des
esprits
maîtres des vents et
des pluies
on en revient salé
sorti des nids de
conque
comme habité de mer
jeté vers les nuages
Visage
ce qui chante
en moi
n’est pas mien
fil de joie
que j’avais demandé
venu de loin
ce cœur d’enfant
ennuie les gens
cheveu blanc
et sang rouge
ce sourire
ne dit rien
sauf en dedans
visage sans valise
murmurant
Songe
la nuit
viennent des rêves
qui ne sont plus des rêves
des rêves qui
enseignent
et qui disent
et vous mènent au
vrai
là où tu ne voulais
pas aller
ce sont des songes
fleurs accomplies
et le don est en
elles
gratitude et
tristesse
ainsi que joie
car ce qui vient en
songe accorde le pardon
Bip
c’est la nuit
et aux bois
d’alentour
un oiseau fait appel
à sa belle
patiemment
il n’est pas grand
musicien
elle non plus sans
doute
il ne lui intime
qu’un bip
répété répété
alors elle vient
à moins qu’elle ne
se lasse
et s’en aille
chasser
une autre fois
peut-être
j’aime la nuit
l’oiseau qui ne se
lasse
le souffle qui le
porte
et la vie à voix
basse
Danse du sable et de l’eau
je lève les mains,
je touche le sable
je danse
ô ciel immense
je bois la vague,
enfance
infatigable
je suis le fils,
l’enfant de l’eau c’est moi
ma mère
enfance amère
me noie, elle m’aère
il pleut là-haut
il n’est de ciel que
d’eau, danserez-vous
en transe
le sel m’encense
le ciel, chaude
présence
se mouille à nous
Chante !
rien n’est plus beau
que les chants de la
douleur humaine
plus encore que les
chants du bonheur
rien n’est plus beau
que les chansons qui
consolent au soir
que les refrains qui
réchauffent les âmes
rien n’est plus beau
que les péans des
combattants qui sauvent
et les regards de
paix des survivants
chante, toi qui
pleures
afin que ce monde
perdu s’émeuve
et que l’humain
s’éveille un clair matin
Regret
des étés on en a vu
des beaux ciels à
bébé
des
marie-couche-toi-là
sorties des roses
étés à la demande
oubli des vents
d’ailleurs
souviens-toi mon
amour
tu n’aimais pas cela
non
ni les hivers à
dents noires
à cheveux de varech
leur neige même en
gris
on aurait dû
l’inventer
le printemps
il n’aurait pas dit
non
ni l’automne en
casquette
tiens
on aurait eu les
temps
Parabole du platane
une allée de
platanes
des deux côtés
alignés tous les dix
mètres
comme font les
humains
mécaniques
mais sous terre tout
du long
deux chaînes de
racines liées
et d’un côté à
l’autre
d’arbre en arbre
ce même lien
pour les platanes la
vie
est ce lien
un seul arbre
enfoui
et mille expériences
feuillues
qui prennent aussi
l’air
Caillou
il marche avec sa
tête
il marche dans sa
tête
pleine d’images
et ses jambes
s’oublient
et ses pieds
et s’il trébuche où
ira-t-on ?
pense à tes
pieds
à ce méchant caillou
celui qui roule
et si tu tombes où
s’en iront
mortes en chemin
en tête les
images ?
de quel ventre
inventif
de quel désir
est sorti ton
chemin ?
Nuées
le sol ne tient plus
la maison se
disloque
fissures puis
lézardes
ouvertures hagardes
dans les combles du
vent
venu le temps
où l’osier est plus
sûr
l’herbe tendre au
pied nu !
veiller au scarabée
et entrer dans les
arbres
comment se cacher
entre les nuées
les ciels
d’améthyste ?
déshabités
dans l’immensité
Qui tient
du fruit
la pulpe fait
plaisir
ou bien rebute
c’est le noyau qui
tient
aussi la chair
que l’on caresse
ou que l’on blesse
le dur qui tient
c’est l’os
l’âme qui tient
Randonnée
il a plu ce jour
de la boue sur les
talons
bienheureux le vent
sorti de la ville
on frissonne sous la
pluie
averse choisie
une pluie d’été
l’estomac dans les
talons
vienne une accalmie
tiens ça dégringole
longue marche au
ciel trempé
repas chaud ce soir
Départ
à peine avais-je
pour toujours abandonné la maison
elle s’est lézardée
elle s’est lâchée
à peine avais-je
pour toujours dit adieu au grand cèdre
il s’est effondré
lui que j’aimais
à peine avais-je tourné les pieds qu’ils ont dû m’en vouloir
et finir d’espérer
je m’en allais
Canicule
entre deux murs une
venelle
à l’ombre déjà
et une chaise à
dessein postée là
chaleur tout autour
comme une huile de
vidange
épaisse, lourde et
noire
mais là un souffle
comme la main d’une
amante
frais et ténu et qui
suffit
contre toutes les
fournaises
une assise là
et juste un souffle
passé entre deux
murs
je n’avais plus soif
frais comme une
éponge d’autrefois
et bien allant
comme un grand vent
de mer
pour marcher
En
ce temps-là
Il y a longtemps de
cela
il était là
tu ne le savais pas
En ce temps-là tous
les boiteux
les estropiés les
malheureux
les paralysés, les
lépreux
les aveugles et les
gâteux
tous ces gars-là
venaient à lui
ils repartaient
sains et guéris
En ce temps-là les
pauvres filles
filles de joie comme
on disait
pleuraient les
larmes de leur corps
leur corps vendu et
profané
redevenu digne
d’amour
redevenu temple de
Dieu
Et les acheteurs et
les vendeurs
les raisonneurs
lui ont pas pardonné
La joie
il cherchait la
joie, la demandait
il le sait
maintenant
elle n’apparaît
qu’en des instants fugaces
mais vrais
comme l’imprévu d’un
hiatus
un temps d’entre
deux temps
(les temps pouvant
se disjoindre)
tu marchais
l’air t’enveloppait,
te frôlait
devenu souffle, se
faisant brise
et là tu t’arrêtes
les arbres sont des
arbres, les fleurs des fleurs
et tu t’arrêtes
la joie en moi
en un pur apaisement
la poitrine exultant
reconnaissant
ne sachant que faire
d’autre que rire
les oiseaux se
taisant
puis je repars enveloppé du vent
La poésie s’est envolée
« Quand le
Divin a fini de parler dans l’Écriture,
la poésie
commence. »
Erri de Luca
il arrive que la
poésie se taise, honteuse
elle n’avait pas
entendu ce que disait le maître
elle n’avait pas
écouté, elle restait coite
toute rouge
avec ses nattes bien
serrées pourtant
son petit col
amidonné
son tablier rose et
ses socquettes blanches
ses souliers cirés
bien noués
vous me ferez cent
lignes avait dit le maître
cent lignes ce n’est
pas de la poésie, c’est du recopiage
la poésie s’est
sauvée
avec ses ailes
amidonnées, son luth aux cordes rouges
à force d’être
pincées
et ses pieds de
iambes entrecroisés
ses histoires à rire
et à pleurer
la poésie s’est
envolée
toute la classe a
respiré, partie la petite bêcheuse
pour qui se
prenait-elle
chouchoutée par le
maître avec ses airs de sainte-nitouche
on allait pouvoir
travailler
sérieusement
s’emmerder, le crayon mâchonné
mais on avait oublié
le poème
rêvant au fond, près
de la fenêtre, de l’encre sur les doigts
cheveux
embroussaillés
Évêques
dans le ciel bleu bleu bleu
quelques nuages
blancs
le vent est leur
maître, ils ne sont que vapeur
c’est pourquoi je
les aime
on a toujours raison
de contempler là-haut
ces avaleurs de vent
sur la mer translucide
ils nous parlent de
pluies promises pour plus loin
le souffle qui les
mène les sculpte par instants
transformés en
troupeau comme brebis fantômes
en armée démunie, en
nuées assombries
en bêtes
malfaisantes, en ombres maudissantes
(le vol de
l’hirondelle effrange alors la cime des forêts)
humains aussi
parfois, nuages effigies transmués en gisants
longs évêques
allongés s’avançant pieds devant
la mitre effilochée
austères, en
partance vers les prairies célestes
monde mouvant
quand un coup de
vent les transforme en serpents
en dragons bénissant
chimères au-dessus
de nos têtes rêveuses
ombres éphémères
s’en allant
ainsi peut-être les
gens
Chaînons
la chaîne faite par
orfèvre
ses chaînons peuvent
s’ignorer
étrangers l’un à
l’autre
la chaîne même ronde
n’a-t-elle pas de
sens ?
mes jours te portent
et chacun d’eux
t’ignore
dispersés par le
vent
l’odeur du lien
demeure
avant de s’évanouir
un matin l’on
s’éveille
sentant l’odeur
étrangère
on l’imagine toute à
soi
c’est le rêve de la
nuit
c’est ton souffle de
la veille
Samedi matin
Samedi matin assez
tôt j’ouvre les volets
la place est calme,
pas un bruit hors le bruissement des platanes
comme disait un
homme arrivé trop tôt, le monde il est pas là
au fond, entre la
poste et l’école, un grand espace est libre
la route le longe, puis le
moutonnement des bois s’attaque à la colline
au loin, tout en
haut, maître des lieux, un if
sur la route, de
gauche à droite passe un humain
il disparaît
derrière l’école
puis un corbeau, de
droite à gauche, vers la poste
tous les volets sont
fermés
passe un moment, une
porte s’ouvre
une jeune femme, son
chien tenu en laisse, traverse la place en silence
impavide, là-haut,
se tient déjà le soleil
côté cour, côté de
l’ombre sur les murs
c’est du côté jardin
que viendra le soir, journée passée
je sortais de la
nuit et voici que j’y vais, le temps d’un tour
samedi traversé,
bienheureux jour de vide et de silence
demain c’est le
dimanche
Rébecca
Celle qui me donnera
l’eau
disait-il sera celle
que mon seigneur
envoie chercher
pourvu qu’elle soit
belle !
Voici l’Esprit
Vers elle un jour
ira le fils
et se voilera-t-elle
émue de le voir
approcher ?
Je la devine telle
Voici l’Esprit
À la source le
messager
lui dira
« Demoiselle
le maître veut une
épousée
et c’est toi que
j’appelle ! »
Voici l’Esprit
Ma mère il faut que
je m’en aille
j’entends battre les
ailes
du vent d’ailleurs à
me toucher
mon cœur à lui se
mêle
Voici l’Esprit
Je fus à la claire
fontaine
à la source fidèle
et ne saurais me
détacher
de la soif qui vient
d’elle
Tel va l’Esprit
Jour
il y eut un jour
il en est peu dans
une vie
longue soit la vie
un seul parfois
il y eut ces jours
où se mirent en
place
en place toutes
choses
et t’enrôlèrent
il y eut le jour
où s’enroulèrent
comme un ballot de
nippes
tous les parcours
en un tel jour
tu ne vois pas la
sente
en l’ombre devant
toi
où tu marches
pourtant
en certains jours
où se presse la fin
se tresse de tous
les brins
rien n’importe enfin
au demi-jour
après voilages et
feuillages
tu peux apercevoir
un visage
venant au jour
l’espace enfin
devient séjour
ainsi vas-tu
pourquoi
broncherais-tu ?
L’étrange
à
Rafilipo
il riait comme un
cheval
les dames se
retournaient
j’aimais cet homme
étrange
pareil aux vieux
poèmes
quand les morts lui
parlaient
quand il parlait aux
morts
les os se
retournaient
dans les tombeaux de
pierre
il disait des
secrets
dans sa langue
inventée
les femmes
caressaient
lissaient son crâne
d’os
et pour les oiseaux
du ciel
son épaule était
amie
Au
front
au front aucun doute
dans cette boue
humaine
et ce vacarme humain
dans la sanie
humaine
sous les bombes
mortelles
le courage fou des
humains
la folle peur des
humains
leur frénésie
disent tout de
l’humain
l’humain
privé de son amour
Chœur
À Míkis Theodorákis, i.m.
il est un chant qui
monte dans la rue
qui l’entend pourra
s’en émouvoir
et ton cœur sait
bien qui le chante
dans le noir une
voix s’est levée
qui l’écoute
pourrait pleurer de honte
c’est ton frère et
tu l’entends chanter
dans le ventre des
gueux il est une chanson
dans leurs jambes se
meut une danse
dans leurs mains se
glissent des barreaux
où est-il, ma mère,
cet oiseau rouge et noir
qui planait
au-dessus des eaux ?
où est allé le
souvenir des hommes ?
Mon ombre
je dois vous dire que la
nuit
je le sais, mon ombre
disparaît
comment reconnaître alors
où se tient mon
soleil ?
je sais pourquoi, la nuit
enfant j’avais
peur du noir
pas d’ombre sans lueur
sans l’ombre quel
espoir ?
la nuit plus de repère
disparue ma profondeur
sans l’ombre comment croire
qui règne en ma nuit
noire ?
Serait-ce un peu
mais si je devais vivre
encore
serait-ce un peu
ne parlant guère du passé
comme font les vieux
je raconterai je dirai
les beautés des moments à
venir
au-delà du malheur
plus loin que la peur
je dirai les matins en
gloire
les soirs de paix fragile
les garçons et les filles
pour chanter leurs amours
après toute laideur
plus loin que les tueries
au-delà des offenses
je dirai la beauté
dans l’odeur du jasmin
la salure de la mer
les délices de la peau
le chant des grandes eaux
la danse des moineaux
je ne dirai du passé
que le courage des humains
l’amour des miens
et pour le temps qui vient
le bonheur têtu de vivre
Les trous et les éclats
la robe de l’angelesse était pleine de trous
robe que les étoiles, les
soleils ont ruinée à l’usage
les puissances
elle qui détenait en ses
mains en sa bouche et son cœur
les mille et une justesses
semées au jour le jour
nuits et matins lourds
mais elle a dit
pour filles et garçons,
pour les hommes, les femmes
cœurs sans ruse, aux mains
de cuir tanné
mains au lavoir
ébouillantées
souliers lourds, cannes
familières, mouvants dentiers
têtes lourdes enrubannées
de soucis, de graves pensées
elle a dit l’amour
dans leur ventre mis
l’espoir, attente rude, fier regard
par les éclats de sa robe,
éclats d’un monde heureux
pour eux
de là le courage
Pâques
Une porte est
ouverte
le monde n’est pas
fini, l’univers n’est pas clos.
Imaginez une
existence avec une porte ouverte à l’intérieur...
Vous êtes à
l’entrée, juste au seuil
aventure inouïe
d’une vie autre
découverte des
ailleurs
– Je fais du neuf,
dit Dieu, je vais plus loin
je dis oui à
l’aventure, je dis oui à la bonté, je dis oui à la beauté
oui à la justesse, à
l’élégance de la vie
je dis oui au combat
!
Leurs savoirs
commande commandera
ce sont les messieurs
leur savoir et leurs sous
chacun le sait depuis
l’enfance
et au-delà
le savent hommes et femmes
avec leurs mains et leur
savoir
leur infini courage
leur colère concentrée
tout en dedans
Le soldat et sa fleur
Le soldat était sale couché dans la boue
il tenait chaud à la
terre elle dégelait
il était là depuis
longtemps sans bouger
la boue rougissait il saignait le sang coulait
un éclat dans la
cuisse plaie ouverte
il s’enfonçait dans cette
soupe de terre noire
boueuse et de glace fondue et de sang
le plus souvent il
dormait il somnolait
sans souffrir le froid l’en protégeait
un rêve le tenait
éveillé même à moitié
le rêve d’une fleur
émergeant de la boue
à demi gelée vivante
crasseuse et flétrie
d’autres aussi un peu plus loin éparses
la fleur était proche de sa
main une main
rougie de froid et de
sang à demi gelée
et la fleur était
bleue d’un bleu tendre et terne
un bleu-roi de ciel
ouvert sous un ciel mort
le blessé cherchait dans sa
mémoire
il voulait se souvenir du
nom de cette fleur
il se disait quand je l’aurai trouvé je mourrai
trop fatigué tranquillement je partirai
tout était clair dans son
rêve de fleur perdue
puis il s’est éveillé non
il n’avait pas rêvé
la fleur bleu délavé était
là à sa main
elle n’avait pas
disparu et son nom bleuet
les sauveteurs sont
arrivés ils se sont évertués
ils ont écrasé la
fleur alors il est mort
Ritournelle
La Lulu
n’a pas bu
l’eau du ru
y en a plus !
et Josette
l’a perçu
menues bêtes ?
disparues !
Janicot
s’est émue
d’asticot
y en a plus !
Isabeau
est déçue
les moineaux ?
disparus !
Jeanneton
n’a pas vu
d’hanneton
y en a plus !
Marylou
l’a pas su
le hibou ?
disparu !
À Margot
n’a paru
d’escargot
y en a plus !
Jacqueline
t’as pas chu
sur l’hermine
disparue
Émilie
a voulu
voir la pie
y en a plus !
pour Mireille
c’est foutu
les abeilles
disparues
Ah la la ! le sais-tu ?
tout cela ? c’est
perdu !
Le sabot du cerf (cinq dires)
comme le monde en marche,
allant
laisse un temps jouer sa
roue
pour qui l’écoute
ainsi avance le poème
silence percé de trous
visage rond
qui n’est que rond
visage long
qui n’est que long
qui
dira l’or
caché
au fond ?
c’est le silence
comme une nuit, comme une
paix
quand cesse le silence
reste un voile sur le monde
qui bruit
le monde existe
en mouvement est le
poème
fermé ou non sur soi
comme le monde
troué ici ou là
le cerf n’a pas besoin de
voir
où son sabot se pose
il le sait
au monde
que de mystères !
Le mensonge
qui es-tu, on me demande
si je voulais je ferais
comme les autres
je mentirais
je dirais qui je suis pour
les gens
nom prénom date et lieu de
naissance
ça suffirait
là ne se tient pas le
mensonge
mais plus profond
qui règne dans le silence
et l’oubli
dans ce qu’on ne peut pas
dire
il se tient à ton insu
dans l’indicible et
l’impensé
quelle importance ?
il ne te revient pas de te
nommer
en vérité
car plus profond encore
et plus avant
un autre s’en occupe
À Magdala
Possédée
elle se souvient de tout
s’est toujours souvenue
amour jamais effacé
pourtant brusquement arrêté
c’est lui qui l’a laissée
abandonnée pour suivre son
chemin
mourir à cet amour
et quand il est revenu il
ne l’a pas touchée
elle n’a pas reçu la grâce
d’un baiser
se reverront-ils ?
est-il heureux de son
attente ?
elle se le demande
tant de démons le lui
demandent
viendra-t-il seulement ?
elle attend
Dix bulles au hasard
chemin de terre choisi
courir souffle rendu
pour aller où ?
tu
occupes le terrain
l’indigo
du ciel tourne au mauve
toi
tu parles
restent les mésanges
les autres ont foutu le
camp
les oiseaux
éviter
les rues
prendre
les venelles furtives
on
s’y rencontre sans faire exprès
sous ce grand soleil
il fait très froid
comment faire
confiance ?
quand
hier devient demain
que
d’ennui
mais
l’amour éveille encore
en vélo il tire un cheval
avec une corde
le cheval imagine l’inverse
on
ne meurt pas pour une cause
mais
pour des gens
arrivé
là
prendre son temps
chaque pierre tombe à l’eau
autant qu’elle
éclabousse !
on
a tout dit de tout cela
de
plus encore
j’en
tire ici un résumé succinct
Religion
les belles choses
aux yeux des gens ont du
prix
et les violents s’en
emparent
recherchant le prix sans
saisir la chose
mais l’ayant investie ils
font d’elle
ce qu’ils valent, la
violence et le mal
et parfois même la beauté
du mal
mais le pauvre cherche la
chose
sans prix
Dieu ma voie
ma voie justement n’est pas
la mienne
elle est un flux, un
courant
avançant je me démène
dedans
ou reculant
un courant qui traverse les
mouvances
des univers, des temps
un flux dont l’origine se
perd dans l’hier
et la visée, demain
me suis-je mis dedans, m’y
a-t-on mis
j’y nage, pas content,
content
à l’aise pourtant
mêlé aux croisements des
temps
et je dis à ma voie,
veux-tu rallier
un jour un océan de paix ?
je crois qu’elle s’y
efforce en son désir
elle que je crois désir
mais elle ne répond pas
mon chemin aime qu’on le
devine
Non
au petit détour du matin
j’ai toujours su qu’en moi
un noyau lourd et dur
disait non
noyau de paroles dites
mortes
où des voix très chères
des voix très proches
disaient non
au soir je les ai
retrouvées
miennes autant que la
mienne
contrepoint de chaque heure
disant non
et je m’entends parfois
dire leurs mots qui sont
miens
car un oui de pure vie
dit ce non
Il a faim
il a faim
je dois dire
il faut partir de là
il s’agit de l’humain
de tout l’humain
il a faim
faim de pain
aussi faim de rire
l’œil rouge de vin
et faim d’amour
homme et femme
faim de joie
il a faim l’humain
faim de paix
et d’amitié
faim d’œuvres à créer
faim de travail
et de beauté
et je dois dire
faim de sens
pour être vrai
faim de pourquoi
moi l’humain
et de réponse
besoin d’un chemin
d’une voie pour aller
avancer
et que roulent
comme un torrent
et justice et justesse
L’orage
ici assez d’eau
notre bouche est amère
bienvenu soit le temps de
la fête
venu l’orage, le grand,
venue la pluie
passé le vent, allé plus
loin
un peu d’eau coule encore
l’orage a filé vers son
maître
le fleuve appelle à sa bise
le fleuve a crié vers le
vent
l’eau du bas s’assoiffe
vers l’en-haut
le ciel la couvre
chiens du haut, filez
danserons-nous,
aimerons-nous
mangerons-nous et
boirons-nous ?
on dit les yeux du messie
rouges de vin
Ouverture
tenez, dit Dieu, ce n’est
pas tant l’année
qui s’ouvre
mais peut-être vos yeux et
peut-être vos mains
et tenez, votre cœur, même
et vos entrailles
et si m’en croyez, alors
vous verrez
vous serez étonnés
moi-même je suis étonné,
dit Dieu
quand je vois la bonté, et
la beauté, et l’amitié
et l’aménité sur l’année
le mal, ça ne m’étonne pas
ni la brutalité, ni la
méchanceté, ni la cruauté
non, mais la rose sur le
fumier
elle m’étonne, tenez
elle me fait pleurer
Choisir
sans pathos
de façon très pratique,
s’aimer
l’année, direz-vous, fut
mauvaise
qui s’en va
je vois plutôt que cette
année
nous montra
ce qui se tiendra devant
nous
qui viendra
et qui n’a fait que
commencer
quand sont mis
devant eux la mort et la
vie
les humains
choisiront-ils la mort
demain
ou s’aimer
Je suis venu
tu attends que je
vienne ?
je suis venu
avance toi vers moi
ta vie est dans la
mienne
je suis venu
pour toi, pour
l’univers
espère-moi
je viens, ne le
sais-tu ?
le temps de ma
présence
de mon absence
de ma venue
font un seul temps
de vie
je viens encore en
toi
je suis venu
ces deux fois n’en
font qu’une
à venir comme
advenu
avance encore,
avance
tu vas vers
l’inconnu
tu vas me trouver nu
je suis venu
Devenu vieux
ne cherchez pas
c’est une guêpe aiguë
elle pique comme on mord
rien d’autre, un remord
un regret vous agresse
mauvaise pensée triste
et noire une aile passe
un corbeau, un mainate
rabâche vos méfaits
une ombre survenue
les efface sans hâte
devenu vieux
Un qui passe
un étranger sur le chemin
un autre que les autres
est passé tout à l’heure
or voici que j’aime
ceux qui passent
homme, où vas-tu danser
quel bal, au bout de ce
chemin
quelle aventure ?
rester ici le cœur
me pèse
il faut que j’aille
un peu plus loin
je veux le vent, je
veux le large
je veux braver
l’immensité
fut-ce la noire
immensité
dans les abîmes pour
m’ancrer
aucun bateau n’est
au mouillage
qui lui rendra ce que
lui-même
aura perdu ?
Aller
mon corps est un tamis que
traversent les ondes
mon cœur est un foulard que
transpercent les vents
et trembler, frissonner, tu
vois filer ma vie
mon corps est un taillis
que les gelées parcourent
mon cœur est un hallier que
les bises rebroussent
mais chanter, fredonner, tu
allèges ma vie
mon corps est un estran que
les noroîts survolent
mon cœur est un hiver que
les printemps délivrent
s’abandonner, aller, tu
fais vibrer ma vie
Tu te tais
entre toutes les rapidités
les fureurs, les fracas
affolements de foules
effrayées
ou rires exagérés
trombes ou traversées de
foules
tu te glisses
tu es la couleur du silence
interstices de peurs
intermittentes colères
exténuées
rages et tendresses
cependant
souffle des soulèvements
misères
tu vas sans bruit
est-il important que l’on
t’ignore ?
tel quel
au fond, ça marche tout
seul
ce truc-là, la poésie
suffit d’écouter le silence
la nuit
en toi, le silence, faut
dire
n’existe pas
ça n’arrête pas de parler,
là-dedans
alors si tu écoutes bien
tu en apprendras, des
choses
que tu ne savais pas
de toi
que tu ne peux dire
aussi
tant il en est
du monde et de là-bas
Impoli
j’ai déjà vu un ovni, si si
et rencontré un ange aussi
faits réels à ne pas dire
choses qui font sourire
car l’inconnu dans la
maison
fait sourciller la raison
Dans le noir
cette nuit-là, dans
l’ombre
j’ai discerné la rougeur
d’un tison
la crête rouge de l’oiseau
du matin
brasillant dans le noir
crois-tu vraiment, m’a-t-on
dit
voir autre chose que la
nuit
au travers de l’obscur et
après lui ?
sombre est le monde où tu
vis !
j’ai dit non, il me
faut
avant toute lueur
mensongère
percevoir dans le noir
la crête rouge de l’amour
et de l’espoir
car il se peut que les yeux
agrandis
les yeux noirs des enfants
de la nuit
des enfants à l’avenir volé
annoncent des vies étoilées
que leur mère leur apprenne
le sourire après la peine
et que l’humain soit
promesse
un peu serait-ce
Non
Réformation
tu dis non comme un fusil
tu dis non
tu cloues sur le mur le Non
de ta jeunesse
tu colles sur le mur
l’affiche de ta jeunesse
on te dit viens tu dis non
on te dit que valent et que
vaudront
tes brèves vérités contre
le vrai
bonheur d’être ensemble et
tu dis non
homme libre tu dis non
l’amour d’un Seul est ta
raison
in memoriam Martin Luther
Ainsi parfois
ainsi parfois le vent se
lève
et le mot vie se pose sur
ta bouche
mot de feu
les temps remuent, les
esprit bougent
les ifs du jardin en
vivants se muent
plus de tombes
là tout se met en mouvement
comme les mois et les
années qui passent
et les jours
et tous ont à cœur de
parler
aussi tous les mots et
toutes les phrases
les oracles
ainsi parfois souffle un
esprit
et la poitrine et le cœur
se dilatent
vient le jour
Plongées
un jour peut-être, un autre
jour
nous aborderons la lèvre
des lacs noirs
et nous camperons là comme
on campe
pour avoir été chassé d’un
ailleurs
au bord des lacs noirs
avant d’y plonger
nous allumerons des feux et
nos visages
rougis par le feu de
l’amitié se contempleront
dans la chaleur d’un
sourire
toujours à nous se
rappellera ce moment
où nous nous aimions au
bord des lacs noirs
avant d’entrer vers
l’inconnu
dans le dénuement, la
nudité de l’amitié
notre souvenir, caduc,
aura-t-il disparu
ou bien sur l’autre rive
des lacs noirs
sortirons-nous lavés après
longtemps
pour tant d’autres
aventures ?
Rêve de marche
J’étais assis sur le
pas d’une porte
je regardais passer
les gens
leur mot d’ordre
était ″colère″
les maisons bâties
en paix
semblaient
courroucées, volets fermés
et les gens qui
passaient me regardaient fâchés
leur regard me
disait marchons marchons
ils ne dansaient pas
de joie
contents de marcher
ensemble
le cœur en joie
non ils m’en
voulaient
je ne répétais pas
leurs dires de marche pour aller où ?
et comme ils ne
savaient pas où aller pour marcher marcher
ils ont compris
c’était contre moi
qui ne marchait pas
qu’il fallait se
tourner
et ils se sont
massés devant moi
qui étais assis sur
le pas d’une porte car j’avais mal aux pieds
et qui les regardais
passer
et ils m’ont tué
soulagés
Mon amour s’est levé
19/09
lève-toi
mon amour s’est levé
mon amour est devant
les injustes ont crié
ils ont maudit
levé la main
souris
ouvre ta main
sur leur fer
sur leur colère
laisse couler les larmes
regarde leurs visages
c'est nous peut-être
avance
nul n’est exempt de haine
nous sommes aussi ceux-là
que sa ville ne te charme
il n'y est pas
il s'en est allé
les royaumes écroulés
il vivra
il a su tuer en lui
la force du combat
Par la fenêtre
je suis assis, j’écris
je lève la tête, je regarde
par la fenêtre
elle est grand ouverte
elle cadre un espace
étranger
une autre réalité
un dehors
on voit loin, au-delà des
maisons
on voit les arbres, vie
multiple
platanes, mûriers ou
fayards élancés
et plus loin, dans un effet
de brume
comme un voile léger
les collines, brousse
mouvementée
elles vont loin
mais plus vaste est le ciel
autre monde encore
rarement traversé, rarement
peuplé
habité de quelques nuées
un autre monde
et toi, où es-tu ?
Deux rois
la légende légère
par les bois par la lande
courait citant deux rois
deux rois qui désertèrent
foulant au pied les lois
ainsi dit la légende
♣
parut un jour un roi
assis dans la poussière
ne parlant que d’effroi
parut un jour un roi
qui écrivait par terre
qui renversait la foi
on les disait prophètes
ils prédisaient la
guerre
la chute de nos pierres
on les chassa sans peine
avant que tout ne vienne
on chassa la défaite
ce furent jours de fête
nos murs se relevèrent
la guerre se calma
♣
ne croyant pas cela
nous écoutions le bruit
le son du cœur qui bat
c’est le cœur de la terre
le songe de la nuit
les mots vrais qui libèrent
Mariam âgée*
j’aime imaginer Mariam
sur une canne courbée
Mariam une vieille femme
voyant mal et dents tombées
elle aura vécu longtemps
chez l’ami de son fils mort
il la traite tendrement
lui parle du temps d’alors
bien des femmes de son âge
ont vu leur fils
crucifié
et ne seront, quel dommage
comme elle ainsi consolées
parfois l’ami lui rappelle
ce qu’il a vécu, et cru
tombeau vide bien réel
et corps vivant qu’il a vu
elle le sait et le croit
pourtant, non sans embarras
elle aimerait mieux, ma foi
tenir son fils dans ses
bras
des rêves l’ont étonnée
car c’est elle qu’elle y
voit
jeune, belle et couronnée
l’enfant blond lui semble
un roi
on ne peut dompter un rêve
se dit-elle un peu gênée
simple bulle à la vie brève
suffit de s’être donnée
autrefois elle a dit oui
comme elle était jeune
alors
en son cœur elle a enfoui
ce bonheur tel un trésor
elle avance vers la mort
elle y pense bien souvent
bienheureuse de son sort
s’être ouverte au dieu
vivant
* Dans les langues bibliques,
hébreu
et grec, Marie se dit Mariam.
Le prunier d’Aline
le prunier d’Aline
a perdu toutes ses
feuilles
couchées dans
l’herbe rousse
on ne sait ce qu’il
deviendra
laid tout nu, il ne
respire pas
noir écrit dans le
ciel du soir
c’est une année, la
nôtre, sans avenir
et trouvera-t-il
assez de racine
au monde qui vient
un de ces jours à
naître
pour repartir
ou devra-t-on
l’abattre, se passer des oiseaux
des merles et des
moineaux
attirés par ses
prunes ainsi que les enfants
bruissement d’ailes
et mille rires vibrants
le prunier d’Aline,
il faudra qu’on y pense
le voudrait-on voir
reverdir
vie nouvelle, notre
monde à venir
et produire, source
de plaisir
un nouveau
devenir
Sud
c’est un village qui a deux
mains
sa main fermée se serre
sous les pluies
seaux d’eau longtemps jetés
à la face des villages
et tu vois que ce pays est
clos
et toi venant de lieux qui
connaissent en la pluie
l’occasion de maisons
chaudes
et de flambées et d’alcools
et de longs parlers d’amis
tu vois la rue torrent
boueuse et dévalant
rouge comme une plaie
d’Égypte
et le village ne sait plus
vivre avec les autres
perdu le grand témoin
là-haut
qui marque en bas les
heures d’ombre
les vieux maudissent sous
le rideau
avec un visage de vent le
village vivra
main ouverte et tu verras
sa paume ne veut rien
garder mais elle envoie
sa fleur offerte au soleil
rebroussée par le vent
à l’odeur bonne
Fuite
un jour un jour tu diras
enfin te voilà
fini le combat
j’attends cela
j’attends le jour ce jour
où tu m’attendras
des fleurs alentour
et dans tes bras
image naïve il est vrai
carte postale d’anciens
jours
amour amour
à jamais
et cœurs lourds
j’invente tout cela
je ne sais où j’en suis
tu me manques et voilà
mon temps s’enfuit
Cyprès
Il y avait ce lointain jour
un peu de brume entre mes
pieds
de la douleur éparse autour
sans se renier
Je t’ai portée d’entre mon
cœur
au par devant de mes cyprès
et je t’ai dit dans ma
douceur
va-t’en d’auprès
Tu m’avais dit garde
l’amour
alors tu t’étais éloignée
il reste pourtant ce vol
sourd
d’oiseaux saignés
En marchant
marchant bon an mal an
habité de questions
habillé de raisons
j’oublie le vent
je porte ainsi le temps
passant inessentiel
sous les oiseaux du
ciel
croisant les gens
et les imaginant
j’invente des histoires
saugrenues, dérisoires
en attendant
Le livre des Nombres
Je fus un jour jeté
entre quatre étoiles
et cinq comètes
chevelues
je fus un jour jeté.
Je fus un jour perdu
parmi deux mille
rues
trois mille routes
incongrues
je fus ce jour
perdu.
Je fus un jour
blessé
aux quatre cent
trois piques
aux carreaux du
chemin
aigus
un jour je fus
blessé.
Je fus un jour parlé
deux et trois mots
déliés et liés
inconnus
je fus parlé un
jour.
Plus encore
maintenant
ta main tenant
cela que tu tiens
que tu tiens dans ta main
tout cela qui est là
à ta main
le monde qui est là
où tu vis
tant que tu tiens
jour qui dure
durant, durant le jour
maintenu trop court
allonge-le, allonge
ce jour, hui, trop court
dis alors aujourd’hui
maintenant le jour tenu
et plus encore
pour que dure la vie
dis encore
au
jour d’aujourd’hui
que tu ne meures
Le poste de TSF
au soir on allumait
le poste
chacun faisait
silence
pour soi seul
mais ensemble
on se tait
on se cache ainsi
parfois
ou l’on se relie
tous ensemble
un ange passe
moment de profondeur
où chacun s’abolit
mais ensemble
poste allumé qu’on
se taise
on parlerait
sans se parler au
fond
ensemble
Dires
Si le dire a du sens
il n’est de dire qu’une
caresse
il n’est de dire que d’une
fleur
il n’est de dire que d’un
bon goût
il n’est de dire que d’un
regard
il n’est de dire qu’une
écoute
et je n’ai que cinq sens…
Comme nous
les arbres
par la racine
s’entendent
et se soutiennent
racine vive
ainsi s’élèvent-ils
ainsi produisent-ils
allant fouiller
le riche de la terre
enracinés trop peu
pris d’enthousiasme
allant trop vite
au premier vent
ils tombent
si jeunesse savait
point de chute
si vieillesse
pouvait
plein de fruits
l’arbre vit de
raison
Pâques, chanson
le cadavre enterré
dans un jardin
tranquille
le corps du mort
serré
en des hiers stériles
ces jours étaient
les pires
y venait affleurer
l’abîme et son
empire
venu nous effleurer
le mal était plus
fort
la vie l’a emporté
le vivant était mort
il marche à nos
côtés
la pierre qui
s’efface
et le mur qu’on
franchit
un souffle neuf qui
passe
un corps qui
s’affranchit
il mange mains
percées
on voit le coup de
lance
il marche pieds
troués
devant nous il
avance
c’était un jour à
rire
à ne plus se leurrer
un jour à tout se
dire
à rire et à pleurer
Le cri
au fond de moi le
souvenir des bombes
au fond de moi naît
le bruit des combats
au fond de moi sont
des morts qui s’empilent
il faisait beau il
faisait chaud c’était l’été
le printemps vient
c’est un hiver les gens mouraient
les tués les corps
au sol comme des paquets
les oiseaux se
taisaient les corbeaux attendaient
grincement des
chenilles les tanks ont avancé
regarde dans les
champs le vert tendre du blé
les chars t’ont
labouré la boue t’a dévasté
pas de pain cet été
le blé assassiné
les femmes sont
parties et leurs enfants aussi
un seul resté ici
qui regarde a compris
tout ce deuil est le
fruit d’un grand amour détruit
au fond de lui les
pleurs ont resurgi
au fond de toi tu
vois l’humain qui gît
au fond de moi le
cri
Au peuple démuni
ce qui est dans ton
cœur est plus grand que la mer
c’est pourquoi tu
fais peur, ô peuple démuni
à toi-même tu fais
peur
car au bout de ta
nuit crèvent les veines, coule le sang
quand devant toi le
monde devient rouge
quand ton désir est
grand
quand tu ouvres les
portes à ton envie de vie
à ton rêve, ô nuit
et tu ne sais alors
ce que tu enfantes
vers où t’emportait
ton ennui
chante ô ma nuit
quand le rêve se lève
quand se tient près
du lit l’esprit qui te veillait
c’est ton plexus qui
cède et fait mourir l’angoisse
elle s’évanouit
te voici comme une
veste ouverte qui habite le monde
et veut le revêtir
ton désir est un
cogneur, et c’est lui qui te frappe
c’est lui qui
s’écorche les mains
et s’il t’a mené un
jour vers toute justesse
qui peut le
retenir ?
La pluie est là
au fourmillement des
gouttes
sur les toits
tu l’entends
en pluie fine et obstinée
vient le printemps
cette année le voici
modeste
faire apparaître d’un coup
le renouveau
fleurs et bourgeons
lui serait trop facile
trop m’as-tu-vu
cette année est année de
silence
la pluie traverse le fracas
des bombes
et sur le sol contourne le
sang des morts
ténue
comme un dieu qui se ferait
murmure
quand l’ouragan se croit
Ma rose
mémoire d’une rose
belle que j’admirais
quand tu seras
éclose
je te cueillerai
quand je suis revenu
ma rose qu’as-tu
fait ?
elle avait disparu
elle que
j’aimais
et voici le mystère
elle n’est pas à moi
suis-je propriétaire
de la rose au
bois ?
J’ai vu
(poème ancien)
j’ai vu ce que j’ai vu
lorsque j’étais enfant
j’ai vu ce que l’humain
sait faire des enfants
je sais ce qu’il en est
j’ai su ce que c’était
nul ne fera encor que je
croie en l’humain
je savais à cinq ans ce
qu’il me faut savoir
serais-je en illusion à
plus de soixante ans
l’enfance m’a suffi il me
reste à durer
tout le reste est travaux
pour mesurer l’abîme
pour tenter d’y sauver
serait-ce un seul moineau
Requiem 9
tenez
ils marchent
ils vont vers un exil
ils fuient
droit devant eux
vers une terre d'asile
égypte douloureuse
colonne chancelante
des va-nu-pieds
alourdis harcelés
affamés
ils se sauvent
et parmi eux
un couple et un bébé
chemin d'amertume
et de danger
quand vagit
quand roucoule
quand rougit de colère
une petite vie
au dos d'une marie
et quand oscille
charge dérisoire
sur la tête dure d'un
joseph
ce qu'il a pu sauver
que le tueur
le massacreur
a méprisé
reviendront-ils
reviendra-t-il
l'enfant d'un avenir ouvert
marchera-t-il
les pieds légers
sur les chemins de pierre
en liberté en vérité
faisant le bien
dans le chaos du monde
pour enseigner
les maîtres de la terre
et soigner
le malheur
au cœur des simples gens
nul ne le sait
rien ne l'y aide
une simple parole
venue de bien plus loin
le dit pourtant
qu’un jour peut-être
le ciel s'entrouvrira
Souffle
en traversant le temps
le souffle de la mer
gémira
par ces tuyaux d’un orgue
l’air mis en mouvement
chantera
la parole en ce vent
la parole instrument
agira
je formule ton dire
ma gorge le module
il naîtra
ta parole est devant
qui traverse les temps
qui viendra
nous sommes l’instrument
ta parole en ce vent
lèvera
Bonsoir misère
En hommage à mon ami Patrice Gauthier – Paris, 1974.
Scène vécue de la vie des pauvres : un homme entre ″dans
un bistrot pourri du pauvre Paris″ et salue la compagnie par ces
mots : ″Bonsoir misère !″
Un jour je dessinerai un
taureau – tout le monde le reconnaîtra du premier coup – la force de l'habitude
bonsoir misère
personne ne verra la fausse
perspective tellement je l'aurai habilement faite exprès
bonsoir misère
le plus souvent ce qui
saute aux yeux n'est pas remarqué – il est rare celui qui regarde lui-même
bonsoir misère
être présent devant un
taureau dessiné par un dingue on peut se demander l'importance que ça a
bonsoir misère
on glisse ce qu'on veut
sous les yeux des gens dits ordinaires – s'en aperçoivent pas – d'où la force
des escrocs
bonsoir misère
aussi heureusement la
chance des évadés – ça me rappelle le tonneau de vin de Moselle que mon père
prisonnier de guerre
bonsoir misère
avait rentré dans le stalag
sous le nez des – beaucoup d'autres histoires du même genre
bonsoir misère
rappelez‑vous le
temps des galoches – et des tabliers noirs – sur ses gardes peut‑être
pour vous forcer a devenir
plus malins
bonsoir misère
le bon vieux pédago – il
rit dans ses moustaches en racontant comme ses petits malins ont cru le feinter
bonsoir misère
ce qui leur apprend le
mieux la vie – un bon maître qui sait passer pour un vieux con – eux
s'ingénient a trouver
toujours la parade
bonsoir misère
rappelez‑vous – l'œil
aux aguets sans avoir l'air – pas rater un geste – une attitude en dit long
bonsoir misère
pour apprendre à vivre
c'est l'œil – ne dormir que d'un – pensez à un chat mais tous les animaux – dès
tout petit les enfants s’habituent
bonsoir misère
il y aura toujours des
matons pas toujours idiots – rappelez‑vous – le prisonnier a l'avantage
sur le gardien
bonsoir misère
dépasser le stade artisanal
– le niveau fabliau – méchant coup en douce isolé ou passager – immoral de
réaliser n'importe quoi sans l'utiliser contre
bonsoir misère
elle vous détruit la
société des puissants petits ou grands – n'importe où – toi‑même un
puissant con desfois
bonsoir misère
comme dessiner un taureau –
c'est viril – voyez‑moi cette puissance – voyez le genre
bonsoir misère
une fausse perspective –
j'étudie – mon taureau n'est pas exactement image du mâle dominateur – savoir
pourquoi
bonsoir misère
un coup d’œil rapide – type
blasé qui joue aux durs – en connaît un bout sur les taureaux – ça n’a l'air de
rien
bonsoir misère
faussez toujours une image
– un brin de mou dans une phrase – toujours un défaut minime – ça ait l'air sur
pied les temps sont durs
bonsoir misère
jamais le révolté genre
mode – on comprend pas – la préciosité fut toujours
proche du pouvoir
Des trous
des trous dans l’cœur j’en ai eu plein
paf et repaf
mais vous connaissez-ça
faites-en vous pas
ça reste, on s’habitue
le cœur passoire
avec des trous pas réguliers
des gros, des ptits
on peut bien passer au travers
mais ça fait mal
pas mal de mals
et en passant de l’un à l’autre
oubliez pas la chair qui tient
on est pas les premiers
dites-vous bien
c’est ça la vie, des trous, du plein
le cœur qui tient
le plein qui fait du bien
un pas, un pas
et ton amour en plein
Sample
Tu fais le tri
le violent tu le vois agir
on me dit de fuir
tel l’oiseau qui s’envole
je ne crains nulle tempête
c’est toi que je verrai
quel autre refuge ?
Incrustation
ce n’est pas dit
tenu celé
cette douleur
pas en toi
comme enfermée
car tu l’habites
c’est ta maison
en elle tu vas
tu vis en elle
qu’est-il ce toi
qui vit là
tu ne le sais
Fête de Tristes-Rois
Les rois de la Terre
et les reines du monde
assis sur leur derrière
reposent sur un trône
leur trône est un fauteuil
et leur main de justice
tout juste une souris
de plastique
et quant à leurs ministres
de grands ordinateurs
tout constellés de chiffres
qui sont des sous
richesses qu’ils amassent
à la sueur de nos fronts
de nos cœurs, de nos têtes
aux dépens de nos joies
de nos douleurs
de nos amours
qu’ils engrangent
les innocents
l’esprit leur manque
l’esprit qui vient
monde nouveau
tel un séisme
Passant par là
Un promeneur d’éternité passait devant chez moi
ses larges ailes de pensées alourdissaient son pas
il s’arrêta.
Homme qui passe et qui au loin s’en va, homme qui va
que dis-tu de la vie, que dis-tu du trépas, dis-moi
de l’au-delà ?
Je ne dis mot de ceci, je ne dis mot de cela
choses que l’on ne dit pas, que l’on garde au fond de soi
jusque là-bas.
L’ami, tiens cela tout en toi, fais ta vie pas à pas
un jour tout se découvrira, ce jour te surprendra
tu souriras.
Elle pleurait
(Fête des morts)
elle pleurait
je lui ai tendu mon
mouchoir
il est propre, je lui ai
dit
elle a souri
les femmes savent faire
deux choses à la fois
elle souriait en
pleurant
c’est un mouchoir en tissu
à carreaux
du coton véritable
en le voyant elle avait
souri
je lui ai dit vous me le
rendrez plus tard
je n’aime pas les mouchoirs
jetables
c’est du gâchis
elle m’a dit merci, elle
pleurait
merci monsieur
je l’ai quittée
bien sûr je n’ai jamais
revu mon mouchoir
la vieille femme non plus
on vit de drôles de choses
Des saints
(Toussaint, sotie en forme de sonnet)
Humain, n’est-on saint que défunt, je le demande
or peut-il exister ici-bas des lions saints
ou des manchots, des moustiques, des limandes
qu’il faudrait célébrer, fleurir pour la toussaint ?
Tenez, des humains morts ou des saints animaux,
des morts inoffensifs, des bêtes innocentes,
l’une qui suit sa loi et l’autre ôté des maux,
et l’une et l’autre espèce en tout du mal absentes !
Pensons-y pour de bon, considérons les choses :
seuls les humains vivants auraient droit au péché,
à l’erreur qu’on maintient dans l’infamie enclose.
Luther l’avait bien dit, on le lit dans sa prose,
rien de plus alarmant qu’un pécheur empêché ;
qu’il pèche, et qu’aux tréfonds c’est la foi nue qu’il ose !
Deux silences
Où es-tu
où te caches-tu
tout en haut
tout au fond
devant, peut-être ?
Dieu je te cherche
et tu te tais.
Et il a dit
C’est moi
moi qui te demande
où tu es.
Depuis toujours
au souffle du jour
et tu te tais.
Répondras-tu ?
Et j’ai dit
Je suis celui
qui ne sait pas
car la nuit m’environne
car je suis aveuglé
et par ton jour.
Tu me rends muet.
Juste comme un atelier
atelier bricolé
mais rien de plus, allez
ces poèmes que vous lisez
atelier à mitonner
des paroles filées
tout attelé à chantonner
vous voici peu sensés
à prendre en vos gésiers
faribole et billevesées
c’est pour vous amuser
c’est pour vous étonner
quelques mots, rien de plus, allez
Démente elle ment
la bêtise
était devenue
mortelle
elle tuait
par million elle
tuait
fallait briser la
langue
la bêtise vivait
dedans
elle la portait
devenue la langue
la briser une fois
deux fois dix ou
cent fois
la tuer l’arracher
comme une dent
mais le nerf vit
encore
fou de douleur
toujours
il ment
ne veut pas souffrir
la langue est folle
démantèlement
que de ruse
alors pour dire
Seuls les enfants
j’attends la pluie, celle
qui lave
la nettoyeuse à petit bruit
la blanchisseuse aux
refrains graves
vienne la pluie
je l’attendrai en cette
nuit
fraîche, tenant jusqu’au matin
quand tous les feux seront
éteints
vienne la pluie
la pluie que j’espère en
esclave
de tant de liens secs que
je fuis
me libérant de leurs
entraves
vienne la pluie
première goutte qui
m’atteint
première perle d’eau qui
luit
bonheur, seuls les enfants
le savent
vienne la pluie
Cinq poèmes brefs
Ailleurs
À bord diras-tu
hissons les voiles ?
pourtant l’oiseau dit moi
je reste
il n’y a pas d’ailleurs
Très tôt
D’arbre en arbre en arbre
va qu’elle est folle
et survenant toujours
l’aurore qui naît
Survol
Passent les oies dans
l’indigo
un survol
semaison et sol rouge
Retombée
Au plus haut serait la
vague
en elle déjà
se joue son avenir
grêlons d’écume
Plus loin
Un temps vient
loin de nous
un rosier que je vois
même avant le temps des
feuilles
Haïti
femme qui crie, qui te
regarde
ne te voit pas
ne voit que le cri
le cri qui ne vient pas
femme qui crie sans aucun
cri
femme pays, ville silence
ville écroulée
ville poussière
vacarme qu’on n’entend pas
en ces bras un enfant
mort
Présents
Alors que je suis vieux mes
grands-parents me veillent
depuis la méridienne
indienne où ils se tiennent
assis.
Pour eux, au teint vermeil,
je ne fais que merveille
avec tous mes boutons, mes
cadrans… Ces antennes
ici.
À tout moment, et leur
étonnement s’éveille,
et leur rire, ou des
raisonnements leur viennent
aussi.
Ils sont d’un autre temps,
pour autant ils surveillent
tant et tant le parcours de
la vie qui fut mienne
si, si.
Elle me fait les cartes, il
pense aux quarts, aux veilles,
il parle de sa guerre.
J’aime qu’on s’entretienne
ainsi.
Le rêve de durer
Oh dans une pomme
que de rêve ! non pour durer, du moins pas trop – trop, elle se déferait,
sa pulpe éparpillée
non, elle accepte de
se perdre au temps fixé aux pommes pour tomber
le rêve de la pomme
est de tomber et se perdre pour toujours en la terre – maternelle
chaude – afin que la
graine y délivre son avenir de pomme – le rêve de la pomme est dans la graine
il est dans le
pommier à venir, oh dans un pommier que de rêve ! dix mille graines
perdues pour un rêve
comme rêve un empire
aux morts nombreuses, aux morts nombreux, ceux des guerres à venir, à venir
comme rêve un
magnat, riche de rêves féconds, aux multitudes vouées par lui à la ruine,
perdus
Impoli
ce qui embête c’est la mort
on ne parle pas d’elle à table
c’est du hors-champ
comme si à l’église
tu pétais dans le silence qui suit la prière
chacun fait comme s’il n’avait rien entendu
comme s’il
était malpoli de dire aux gens
quand vous serez mort
ou même
quand l’humain aura disparu
et pourtant…
Réunion de famille
ceux-là que
veulent-ils
qui sont-ils
que disent-ils
ceux qui sont là
ceux que je vois
assemblés près de
moi
venus me voir
venus de loin
venus se rendre
compte
l’une sourit
dit me voici
je connais ce
sourire
me connais-tu
toi nous vois-tu
en cette nuit du
monde
oui je te vois
tu es ma mère
et lui voici mon
père
il est venu
avec les siens
tous ceux de son
village
et les cousins
les siens les miens
leurs outils à la
main
à leur sueur
à leur labeur
oui je les reconnais
je les salue
tous me saluent
je suis de votre
monde
montre-le-nous
ne nous viens pas
laissant traîner
l’ouvrage
Ravage
laisse la paix te
ravager
elle a du travail
en toi
ce qui me fut dit
casser tous tes
barrages
blocs de béton aux
fers rouillés
un lit de ruisseau
limpide
ainsi
t’accepteras-tu
laisse-le couler en
un murmure ailé
au fond roulent des
pierres
d’aurore
Quand le chat dort
quand le chat dort
c’est la maison qui
s’ennuie
elle baille et son haleine
s’étend
naît un souffle paisible
il sort de la maison
les ouvertures sont
amicales
et les oiseaux se rassurent
ceux des bois
ils viennent picorer
ils n’ont
plus peur de la maison
et le monde respire autour
d’elle
même au-dessus d’elle
et les oiseaux du ciel, les
voyageurs
viennent se poser près
d’elle
éclatants de couleurs
sonores d’un chant multiple
et doux
chant qui réveille le chat
et tous s’enfuient
oiseaux des bois, oiseaux
du ciel
et les souris se cachent
tous attendent que le chat
se rendorme
ou qu’il vieillisse
oiseaux comme souris
sans souci des humains
Il y eut un soir
méfions-nous du soleil
il ment souvent
tu crois que tout est clair
pense à la nuit cachée
après la lumière
noir il y eut un soir
l’ennui la nuit
je t’aimais et c’est fini
nous n’aurons plus la pluie
ni le vent demain
nous traverserons la nuit
nous tenant la main
la nuit l’ennui
il y eut un soir
noir
ni toi ni moi ne le savons
si le vent tournera
le jour qui vient n’est pas
à faire
il apparaît
il vient je crois
Pour Irène Tan
fleurs de ciel
sur le papier de
l’aquarelle
ciel fragile
vie craquelée
venu le vent
tout a séché très vite
ainsi cet homme
bouche ouverte qui
l’espère
l’eau du ciel
Trouver-clos
sur les maîtres menteurs
faillis
I
C’était de la fureur
ici
le règne de la peur
partout
et vous
vous faisiez des promesses
hardis
professeurs d’allégresse.
II
C’était le paradis
pour nous
du lundi au lundi
paresse
et qu’est-ce
sinon de vos mensonges
en tout
vous bergers de nos songes.
III
Il fallait être fou
altesses
pour voir en vos licous
la longe
qu’allongent
de feintes libertés
largesses
pour croire en vos clartés.
IV
Qu’une paille apparaisse
que ronge
tel acide tes liens
et tes
bontés
sans souci de parjure
tu plonges
en hauts-fonds nos voilures.
V
Plus amer que l’oronge
jetez
jetez dis-tu l’éponge
et sur
le mur
de castels d’arrogance
plantez
plantez là l’espérance.
VI
L’espoir a résisté
murmure
feinte tranquillité
offense
que lance
à nos maîtres d’erreur
la dure
envie d’ôter la peur.
VII
Faut-il que la vie dure
si dense
au gré de l’aventure
fureur
et peur
si l’on ne voit où gît
la transe
la danse aux pieds rougis ?
Solitude
L'enfant dans son jardin
et tu vois son erreur
une à une
il croit nommer les choses
se prévaut d'elles comme un
maître et cependant
ressent son impotence
Enfance
chemin barré
ton errance derrière la
vitre n'est pas heureuse
seul le dira qui ment
et deviendra se retournant
statue de sel
Avance
et vois ta main qui change
changeant les choses elle
te change
paroles vives
il n'est que gestes
et plus de maître.
Comme
Comme
la gorge de l'oiseau
chaude et douce est fragile
sous le doigt
et comme
le chant de l'oiseau
par dessus le grand bruit social
triomphe
Comme l'oreille d'un vivant
a entendu le chant
et ne l'a pas
traduit
comme
l'agencement du monde
en son regard
changea
et comme encore
tu connus le chant seul de
l'oiseau
par un regard porté sur
l'œil aigu qui vit
Ainsi s'étend
et de même triomphe
et se perd dans le vrai
silence nu de l'œil
le sens
Paraboles
quelle idée !
faire passer un chameau par
le chas d’une aiguille
même grand modèle, voire
alêne
ou perdre une pièce de
monnaie !
exprès pour qu’une ménagère
affairée au ménage
la retrouve
cette porte ! la
rendre étroite
dans le seul but que les
gros ne puissent la passer
tant pis pour eux
et la perle de grand prix
du grigou !
le marchand qui l’achète en
perdant tout le reste
il est fou
des bandits !
ils s’en vont sans leur
proie pour qu’un Samaritain
en profite pour se faire
mousser
comme ce festin qui n’est
pas un festin !
sûr que ses invités ne vont
pas se faire embrigader
trop facile
le benêt !
avec l’argent réclamé à son
papa il a fait la nouba
vraiment pas intéressant ce
type-là
toutes ces histoires, on
n’en finirait pas !
d’ailleurs on n’en finit
pas de les raconter, raconter
ça meut
Marcher, chanter
Je voudrais je voudrais
dire à nouveau pour vous un poème de feu
et chanter oui chanter les merveilles de la mer
de la terre et du ciel
le refrain de la vive lumière.
Je voudrais comme je voudrais
que les petites filles s'en émerveillent
et sourient au soleil
lorsque marchant sur des chemins d'exil
elles cherchent en pleurant leur avenir de soie.
Je voudrais dire aussi aux hommes plus anciens
les mots d'une ancienne sagesse
pour que naisse en leur face une fleur de sourire
lorsque butant sur les pistes obscures
ils vont très lentement vers leur tombeau de terre.
Chanter oh oui marcher
car c'est ainsi que chacun marche
vers une ombre qui gît au cœur de chaque vie
et s'illumine ou se bleuit
aux couleurs de la nuit.
Lundi de Pâques
Comme il marchait devant
notre Dieu s’est retourné
il a dit vous êtes saufs, libérés
faites vibrer la vie
il a dit viens, fais-le, mon règne
un nouveau monde où habiter
un monde où coulera
justice et droit comme un torrent
où les enfants, tous les enfants
riront, mangeront et boiront
où leurs parents
leur feront un avenir
une terre où tous travailleront
sachant pour qui, pour quoi
où l’on se parlera et s’entendra
s’aidera, se soutiendra
où l’on rira et chantera, et dansera
fêtera le travail et l’amour
il nous dit venez
si vous m’aimez inventez tout cela
car Dieu s’est retourné vers nous
nous appelant à lui
attaché, notre Dieu, à son rêve
rêve d’un monde quand il règne
et nous disant venez
visez cela, tentez cela, faites cela
et si pour vous c’est impossible
commencez déjà
Dires
1
Ce doit être un oiseau
il me palpite à l’endroit
du plexus
un papillon, vous
croyez ?
ça fourmille, ça veut
sortir peut-être
où est l’issue, dans la
gorge ?
ou bien là, à la base de la
langue
tiens c’est parti !
je ne saurai jamais ce que
ça voulait dire
2
de quoi parles-tu ?
non, tu as dit un mot, que
veut-il dire ?
tiens, tu choisis des mots,
on les dirait muets
je me dis
c’est pas des mots pour l’apéro
c’est pas des mots pour la cantine
à parler des choses vraies
faut pas aller si loin
juste chercher profond
comme qui se tairait
3
tu me dis dis-moi s’il te
plaît
eh bien non ça ne me plaît
pas
c’est comme à la caisse
douze euros s’il vous plaît
eh bien non
je ne suis pas un
distributeur de dire
– je relis ça et je me dis
tu es sûr ?
car je me dis dire ça coûte
et ça n’a pas de prix
sauf mourir
4
tu me dis que veux-tu
dire ?
mais je ne veux rien dire
ça sort comme ça
je jette les mots sur la
table
je les étale et je trie
tout à coup je me dis c’est
ça
tu dois le dire
même si ça ne veut rien
dire
qui sait si après quelqu’un
en aurait besoin
Espoir
explose
explose
du cercle de feu dans ton ventre
centre
explose
je sans espoir gros de tout espoir
explose
le beau je le je gros de tous les tu
impose
impose
un jeu de perte né des failles
les lauzes
des toits
écailles de tous les moi
reposent
sur l’arête des vents souples qui tous vrais
explosent
de frais
Le quart naval
Sotie
je me moque du tiers comme du quart
je me moque du tiers
je me moque du quart
du tiers-monde comme du quart-monde
même de la quinte
il fait zéro
et sur la hune
comme pas deux
je suis le tiers
qui fait le quart
alors apeuré je ne fais ni une ni deux
apeuré je ne fais une
apeuré je ne fais deux
apeuré je n’y vais ni à la une ni à la deux
mes bras : zéro
Sissongo
Un culte au Sahel
vieille édentée assise dans
la poussière
poudre rougeâtre de l’aire
où l’on chante
poudre sèche ici qui tient
lieu de la terre
vieille ridée au pagne
rougi de poussière
assise pour le temps qui
suit la prière
et qui gémit
tous sont attentifs alors,
ils se recueillent
l’Esprit la visite et elle
parle en son nom
sa parole est pour moi,
habillé de coton
pasteur venu de loin sur
des ailes de métal
venu tel l’ange inabouti
chaussé de cuir
et porteur de lunettes
pour me dire voici ce que
te dit l’Esprit
et que tu porteras, que tu
diras, répéteras
quand tu retourneras parmi
tes frères
et leur diras ne regardez
pas à tout cela
vos beaux habits, vos
chaussures de cuir
à vos belles maisons
à vos avions, à vos
voitures de fer
elles qui brillent sans
besoin de soleil
et ne regardez pas à vos
frigos, à vos vélos
toutes ces choses, objets
destinés à finir
et dit l’Esprit, tu leur
diras ne regardez
qu’à Golgotha !
La chanson de Libère
J’écoute
et les mots et les mots
passent
j’entends au vent
le chant
des mots du temps
Monstrueux
tumultueux
faits de bulles
somnambules
faits de carreaux
idéaux
C’est la chanson
des méchants sons
que j’écoute
et le courant
serrant les rangs
des maîtres-mots
Ils passent
je me cramponne
ils lassent
et je chantonne
en anémones
j’approvisionne
mon chant vorace
Solitude
voici le temps, le joli temps
de solitude
c’est bien le tour, le joli tour
d’un interlude
jour feuille blanche, feuille vide
nulle habitude
nulle idée, survenue d’idée
qu’un rien élude
espace, aucun espace là
nulle attitude
et ni devoir, quelque devoir
ni bravitude
À quoi ?
à quoi tu penses, il me
demande
à des oiseaux avec des
arbres
à des corbeaux tout noirs
aux nuits de peine à
s’endormir
aux grandes plaines à blé
au visage de celle que
j’aime
au rivage des marées
à la pluie douce de
septembre
à l’encrier des temps
passés
à quoi peut-on
penser ?
Souvenir
de Willie Johnson
et Gary Davis
chanteurs de blues
Sombre était la nuit
froide la terre
on entendait pleurer les
anges
anges noirs aux yeux brûlés
noirs enfants de la colère
cœurs broyés, cœurs
incendiés
Sombre était la nuit
froide la terre
on entendait chanter les
anges
guitares sèches aux mains
de terre
aux mains de sol gelé
mains craquelées
Sombre était la nuit
froide la terre
anges humains dépossédés
voix blessées d’un amour
rauque
tissées par la tendresse
tiède au-dessous du gel
Sombre était la nuit
froide la terre
vient un sang qui bat le
flux
naît un chant qui noue les temps
quand tiède était la nuit
la nuit noire étoilée
Mais si tu viens
mais si tu viens chez nous
une fois de plus en décembre
tu verras
les aveugles même s’ils voient
ne voient pas
et les boiteux même s’ils marchent
ne marchent pas
les enfants pauvres même s’ils jouent
ne mangent pas
car les pauvres même s’ils vivent
ne vivent pas
tu le verras et tu diras
comme autrefois tu le diras
trois fois tu le diras
la paix sur vous
j’ai mis devant vous la paix ou la guerre
la paix sur vous
j’ai mis devant vous la justice ou l’effroi
la paix sur vous
j’ai mis devant vous la vie ou la mort
changez de sens
et tu diras
à mes yeux chacun de vous est sauf
j’ai fait le nécessaire
mais tous ensemble ne sombrez pas
Dire d’un songe
Deuxième essai
colombe ou bien corbeau, merlette ou tourterelle
qu’importe, je dormais, je n’ai perçu qu’en songe
un oiseau inconnu palpitant jusqu’à moi
ce qu’il a dû me dire a quitté mon esprit
je n’ai plus discerné ce que cachait l’oiseau
rien de son vol ne m’est resté, alors que dire ?
c’était un bel oiseau, je ne sais de quel nom
sans le voir je savais qu’il était tout de plumes
au fil lamé d’argent, au parfum de silex
dis-le donc, cependant, résolu, m’a-t-on dit
mais quoi dire et à qui ? l’oiseau s’est envolé
j’ai senti qu’il dansait au-dessus des nuages
je le dis, cet oiseau portait une parole
il m’en reste le son, cependant, comme une onde
comme un rien qu’on désire, un chant perçu de loin
Le convoi
c’est arrivé ainsi
Ève était dans ce convoi
suivant son fils Abel
et celui qui conduisait
elle ne le savait pas
son fils Caïn
ainsi s’en alla-t-elle
disant c’est mon petit
voyez c’est mon petit
que fait mon grand ?
il les tua
c’est lui qui les tua
les soirs de soleil rouge
de nuées en convoi
on peut les voir encore
les trois
au couchant qui se
cherchent
et vienne le matin !
Content
"J’ai été flouée"
(Simone de Beauvoir)
je sais qu’on m’a volé
devrais-je être content ?
c’était il y a longtemps
au temps de tous les temps
ailleurs, c’était ailleurs
c’était à tous les vents
par un autre sans visage
quelqu’un d’inconséquent
par la porte du fond
en prenant les devants
pour toutes les raisons
dans la tête des gens
qui fut floué, c’est moi
volé mon moi d’avant
moi-même, oh juste un sas
s’y meut le vent, content
Cependant
parler dis-tu ne
coûte un fil de souffle
que dans l’air et
pourquoi te troubles-tu ?
les monts percutés
ne frémissent ni ne croulent
quand tu crois avoir
dit que tu aimes
bulles au coin des
lèvres
et le temps que cela
touche une oreille
humaine ou
non-humaine
l’univers a déjà
modulé des ondes incertaines
à qui crois-tu au
monde parler qui t’écoutera
te répondra ?
or un dire à jamais
a façonné le monde
Tu es là
je me souviens de
toi, tu ne saurais mourir
on te dit disparu,
je te ramène à toi
une foule est en
moi, je t’en ferai sortir
tel un poème obscur,
un mouvement de foi
les années ont
passé, leur poids sut m’alourdir
mais tu restes
présent, souvent tu viens vers moi
et je ne sais que
dire, et ne peux t’accueillir
plus de place pour
toi, mon aujourd’hui fait loi
mais tu reviens ce
soir, tu es là, je te vois
si la nuit vient sur
moi, rien ne peut assombrir
ce moment, ce
sourire et cet oubli de soi
voici, tu étais là,
moi dans ton souvenir
je me croyais sans
toi, je te pleurais cent fois
il me fallut
apprendre à me laisser chérir
Un ange malgré tout
avant d’être mort et même un peu après
le consul de Xanthe ne voulait s’envoler, partir
que sur les ailes d’un ange
on avait beau lui dire que les anges ça n’existe pas
il n’en démordait pas, il disait je suis consul et j’ai droit à mon
ange
on avait beau lui dire que les consuls, et Xanthe, ont disparu
il n’en convenait pas
on lui disait même le fleuve, le Xanthe, a disparu
il riait, il disait un fleuve ne disparaît pas
il ne comprenait pas, semblable à notre monde entre deux mondes
mais l’ange est apparu, ange aux ailes lamées d’argent
il l’a donc embarqué, il était temps
Un moment délicat
cette fois-ci
c’était l’ange qu’il fallait déppanner
l’ange du consul de
Xanthe
ppas facile à bouger, en pplus il faisait
nuit
l’a fallu le caler,
on a fini ppar y arriver
le consul était
inquiet mais rien n’était cassé
juste froissé
l’ange était
requinqué, tout juste un ppeu ppomppette
faut dire qu’on
l’avait décrassé à l’alcool
bien sûr, ppour voir, il a voulu dépplier
ses ailes
c’était risqué mais
on n’allait ppas l’en emppêcher
sur le moment ça a
un ppeu craqué, même grincé
– doucement,
doucement, lui disait le consul –
finalement il y est
arrivé
et ppour nous rassurer il a fait un ppetit
survol
même ppour nous remercier
quand il a atterri,
on y est allé d’une ovation
il a fait le modeste
mais il était content
ppuis le jour s’est levé et l’ange s’est envolé
le consul sur son
dos, entre deux ailes argentées
il sentait déjà, il
ne ppouvait pplus attendre
du coup on a ppleuré
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