Poèmes de Jean Alexandre
 
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Une page pleine de poèmes

 

 

« La poésie vit dans les couches les plus profondes de l’être, alors que les

idéologies et tout ce que nous appelons idées forment les strates les plus

superficielles de la conscience. »

Octavio Paz

in "L’arc et la lyre"  

 

 

Voici le poème de la semaine : 

 

Mais qui ?

20/06

 

dites-moi, dites-moi pourquoi

bien des peuples demandent-ils

pour chefs de vrais imbéciles

des orgueilleux ou des reptiles

et des n’importe quoi ?

 

fort dépité je le demande

chez eux ne se trouve-t-il pas

de bonnes filles, de bon gars

plutôt que fous au plafonds bas

et loups garous en bande

 

pensons-y la prochaine fois

quand il faudra en nommer une

un qui ne tombe de la lune

quelqu’un de valeur opportune

de sensé et de droit

 

 

 

 

Voici les derniers poèmes parus sur ce site : 

 

Carte de visite

 

Je suis Jean de Charonne

que plus rien n’étonne

hormis la bonté

 

Je suis Jean de Paris

qui pleure et qui ris

mais dur à dompter

 

Je suis Jean né en France

sans nulle arrogance

nulle vanité

 

Je suis Jean de la Lune

de race commune

quêtant la beauté

 

Je suis Jean dit le Niais

qui n’aime jamais

que l’aménité

 

Je suis Jean Alexandre

aussi dur que tendre

fol en liberté

 

Je suis Jouan l’Iscandre

rimes à entendre

douleur et gaîté

 

Je suis né "alexandre"

sans rien à défendre

serf et racheté

 

 

 

 

Pentecôte

 

Dieu était là

simplement là

ils l’ont appris ils l’ont compris

ce fut une bombe

pour eux la fin des tombes

comme des langues de feu

comme un ouragan comme un souffle de fin du monde

comme l’arrivée d’un nouveau monde

comme un monde si tous s’entendaient

comme quand les humains s’aimeraient

oh la folie de Dieu ! 

présent ici et présent là

tenez chez vous le voilà

sur la terre comme aux cieux

même en vous présent là

sa tente en votre cœur 

cœur sans peur

une bombe vous dis-je

et aujourd’hui

selon le chemin des bombes

 

enterrée là-dessous

 

 

 

 

Les enfants !

 

ils tuent les enfants

c’est ma mère, écoutez-la

ils tuent les enfants

ils les prenaient à leur mère

les petits

ils les tuaient

et toi ma mère tu les cachais

car tu savais

de tout ton ventre tu savais

qu’ils les emmenaient et les tuaient

aujourd’hui ô Maman si tu savais

les descendants de ces enfants

tuent des enfants

tu serais là tu verrais ça

tu ne pourrais rien faire

et l’on te dirait

je venge mes enfants tués

ils ont tué mes enfants je tue les leurs

en masse

et tu ne pourrais pas en sauver un

tu ne pourrais pas dire à nouveau

celui-là ils ne l’ont pas eu

regarde Maman

ils tuent des enfants

 

 

 

 

Souffle planant

 

l’homme qui avait peur

marchait pourtant contre le vent

vaillant

le cœur empli d’oiseaux et de fleurs

d’amour et de haine

gorge serrée par la peine

contre la pluie et le vent

battant

au-devant de maisons vides des gens

volets battant

perdu pourtant

éperdu par tant de sang répandu

tant de vie s’en allant

cherchant cherchant

l’endroit où s’ouvre le ciel

vraiment l’amour s’ouvrant

au-dessus des eaux souffle planant

 

 

 

 

Arrête !

 

Ô Israël, où es-tu

as-tu mangé de l’arbre mortel

ne te vois-tu pas nu ?

 

N’y a-t-il plus de juifs en ce pays

mais des hommes attachés à tuer

femmes demandeuses de sang ?

 

Porteur du Nom où es-tu aujourd’hui

toi qui sais pourtant tout de la haine

tant de tes morts te l’ont appris

 

Aurais-tu oublié ce qu’anéantir

tuer, humilier, mettre à nu, brûler

fait de celui qui l’ose ?

 

Ô Israël, je te pleure

quand tu imposes à l’autre

les douleurs que tu as connues

 

 

 

 

Adoption

 

l’eau de la mer était profonde où tu errais

là tu ne nageais pas, tu te mouvais heureux

tu fréquentais des mondes

 

tu résidais dans l’onde, elle qui te berçais

mère vivant hors de nos temps, si loin du ciel

éternelle accueillante

 

tu glissais, caressé d’un rêve lourd d’eau verte

au sein du règne d’êtres fluides et patients

tu n’étais pas chez toi

   

l’acceptant, tu vivais, ou poisson ou baleine

fils de la vie, et pour un temps l’un d’entre eux

particule du monde

 

 

 

 

Sauvages

 

tout cela relevait du matin

les hardes de chevaux sauvages

pour le soleil nouveau

couraient libres au long des plaines

comme faisait le bison innombrable

comme le gnou dans la savane

et les humains nés de la Terre

nés de la Mère la parcouraient

la visitaient selon tous leurs chemins

selon leurs voies coutumières

sereins ne sachant pas encore

ignorant mais devinant peut-être

s’efforçant d’oublier

de ne pas se dire le secret terrible

car en eux déjà vivait la maladie

en eux déjà le meurtre séjournait 

 

 

 

 

Pèlerins, apôtres

 

quittant la nuit, ils sont entrés dans le matin fragile

la joie, la peur, l’ardeur mêlées, la ferveur malhabile 

 

parlant, ils seraient obligés, ils seraient menacés

dansant, chantant, ils se mueraient en oiseaux pourchassés

 

mais la mort, en son fond, avait passé, restait le jour

la vie qui s’entrouvrait, tendre bourgeon que l’on savoure

 

elle s’ouvrait, papillon qui se déplie, proie facile

et qui tenait en leur parole, en leur parler labile

 

aussi, en cet instant, se sont-ils tenus cois, en leur patience

avant d’oser sortir et dire, et trouver leur audience

 

lâchés comme un vol d’étourneaux, ou sur l’eau comme une onde 

ils se sont égaillés, cognés, ont rencontré le monde

 

au soir ils sont entrés, quittant le jour aux mots sans nombre 

confiants, tâtant des mains la nuit, au lieu où finit l’ombre

 

 

 

 

Au lever du jour

 

imaginez une existence

avec à l’intérieur

une porte ouverte

 

c’était un dimanche

jour un de la semaine

et Dieu a dit Ouvrez

 

une porte s’est ouverte

un souffle y a passé

on s’est mis à chanter

 

le monde n’est pas fini

l’univers n’est pas clos

ni la mort ni la vie

 

en ta vie imagine

tu la voyais fermée

une porte est ouverte…

 

 

 

 

Simple témoin

 

cette nuit tu sais

est nuit de lune

clarté du soleil aucune

en l’immensité dissimulée

tu ne la vois que reflétée

elle ne veut être vue

comme une femme nue

si belle à voir qu’on en mourrait 

non de peur

mais de ravissement

sa beauté ravie

voilà pourquoi la lune est froide

porteuse de lumière

comme nous autres

mais venue d’ailleurs

car le Vivant fait peur

 

 

 

 

Reportage

 

un ciel bleu-roi parsemé de nuages

pelotes grises à la base noirâtre

l’un d’eux dessine la carte de l’Europe

et la tramontane le pousse

doucement sage

 

au-dessus de pins maritimes

frères amputés de branches tombées

hier l’autan s’était rendu fou 

il filait dévaster les plaines du Nord

aussi la campagne se rajuste

 

je croise une jeune femme replète

cheveux outragés de teinture rouge 

deux marmots enfoncés dans leur poussette

si grinçante que la fauvette nasille en retour  

il fait frais

 

le monde fait sa pause

 

 

 

 

Dans la poussière

 

Ce gamin se salit tout le temps

disait ma grand’mère

il est toujours par terre

disait-elle

qui chaque jour nettoyait par terre

Viens t’asseoir !

 

Je ne jouais pas à table

pas à ce jeu-là

qui n’était pas un jeu

elle ne le voyait pas

elle ne voyait pas sur la terre

une ombre de mystère

quand l’ombre de mon ami

écrivait par terre

alors j’ai fait comme lui

ça m’a valu des ennuis

mais j’avais un ami

 

 

 

 

Parabole

 

au soleil il était midi

on ne le voyait pas les nuées le cachaient

elles couraient comme folles vers un ailleurs inconnu de nous

lointain sans doute et qui les appelait

au passage brisant les branches

qui tombaient sur les chats les gens et les voitures

chassant les couvre-chefs et retroussant robes et manteaux

faisant tomber les vieux

le genre de choses qu’on appelle tempête

au soleil il était peut-être midi mais chacun comme chacune se mettait à l’abri

tentait de le faire en toute boutique ou café ou même restaurant

là c’était la bonne aubaine

et tous riaient et se congratulaient de s’être ainsi sauvés

s’égouttant

on n’était pourtant pas à l’abri

une vitrine puis une autre explosaient

poussées par la puissance du vent qui redoublait

ah quelle histoire ! Julie riait tandis que Nathalie se désolait

il était midi là-haut c’était l’heure

et l’irruption du souffle de l’histoire n’arrangeait pas tout le monde

 

 

 

 

Mars

 

ce lointain jour le magnolia

était en fleur

nous n’en sommes plus là

le grand vent de la haine et de la peur

vient de passer

tu sais comme ses fleurs

flétrissent et tombent en loques misérables 

 

vient le temps de l’amandier

temps d’amitié, d’avenir et de courage

au bord des routes

des chemins blancs épars dans la campagne

et le sourire te vient

dans tes yeux une lueur

pour quel combat ?

 

 

 

 

Le cirque

 

Oh comme j’aime le cirque !

et les blagues des clowns

 

voici l’Auguste

il détruit tout ce qu’il touche

il ne le fait pas exprès c’est dans sa nature

il est certain de parvenir à faire des miracles

tout le monde rit

sauf ceux qui reçoivent sur le nez les effets de ses bêtises

il les ridiculise

 

et voici le Lion

il avale tout ce qu’il voit

sa faim n’a pas de limite

sa crinière effraie les gens

ils ne le savent pas ils ont peur mais c’est un lion de papier

un lion pour rire à la fin

juste pour faire peur et rire de soulagement

 

et puis le Trapéziste

il grimpe il saute il vole et il s’envole

cela aussi fait peur

peur pour lui dont on comprend qu’il va tomber

qu’il va s’effondrer

sur les siens qui l’attendaient en bas contents de l’admirer

naïfs qu’ils sont ceux-là !

 

Oh comme je n’aime pas ce cirque !

et les blagues de ce comique-là…

 

 

 

 

Éveil

 

Elle dormait

sous la fenêtre les arbres de l’avenue bougeaient doucement leurs branches

et les chats se faufilaient

le cartable sur le dos des enfants riaient et chahutaient

ils allaient à l’école

et l’un d’eux poussait du pied une balle en marchant

soudain la grille de l’épicier d’en bas s’ouvrit en grinçant

comme agacée

et les moineaux pépiaient

ils discutaient entre eux et parfois voletaient

il y avait on ne sait quoi de paisible et de tendre dans la ville ce matin-là

une moto passa dont le ronflement ne changea rien à cela

la brume du matin se dissipait lentement plus loin sur la rivière

comme à regret

et le soleil nouveau-né allait peut-être éveiller le vieux chien flapi de la concierge

un sage qui ouvrait un œil au passage des enfants et rassuré le refermait

il gardait son bout de trottoir

et nul ne le savait mais il était l’ange gardien de la rue

posté là pour approuver

tu l’as su et tu t’es éveillée le songe s’est envolé

tu souriais

 

 

 

 

Vérité de la pluie

 

la vérité de la pluie lui fut ouverte un jour

pluie de la vie

un jour lointain donnant loin sur les toits

ce fut à ses huit ans

derrière une fenêtre de frissons

et le poêle ouvrier qui lui chauffait les fesses

 

la profondeur des bruits en bas dans la rue

c'était comme la fosse d'orchestre d'un spectacle

et le théâtre des toits et du ciel devint monde pour lui

 

les maisons lui devinrent nature

la tuile et le zinc lui étaient une peau

les nuages chevelure

et il fut dur et patient

et il fut lourd

humide comme le temps

comme ce frisson et ce vent

et il sut que le monde lui serait pluie

la vie nuage

et nuée emportée

 

et il dut pardonner cela à toutes les fées de sa naissance

et connaître en tout adulte

la prison de la pluie et le souffle d'un grand vent

le zinc et le nuage

et sur les racines de pierres et de fenêtres

l'immensité du ciel mouvant

 

l'humilité fragile des tuiles le tint

et leur nombre

leur sécheresse

et il vit que les humains sont ainsi

il a oui tout accepté

pour le plaisir transi de vivre en pluie

argile cuite pour résister

 

ce fut son jour de toitures

son jour de giboulées

jour de cœur donné

au loin tournaient les ailettes d'une cheminée

et dans le mouillé d'une cour

le courage des moineaux

 

 

 

 

Corbeaux

 

de vieux oiseaux noirs

s‘éparpillent sur nos terres

y grapillent et les pillent

se faisant blonds

se faisant bruns

se faisant amis des humains

aussi menteurs que la pie

aussi voleurs

au besoin nous menaçant

de leurs becs tranchants

de vieux oiseaux noirs

aussi vieux

que Lémec ou Caïn

ou que Lilith aux yeux noirs

 

 

 

 

Et leurs enfants

 

depuis leurs palais d’armes et d’argent

les grands se parlent de faire la guerre

ou de faire leur paix

traitant

de terres à obtenir

de terres à refuser

sous le regard de grands argentiers

régulateurs

mais sans enfants

 

chantez la vie

chantez la colère

 

et depuis leurs tranchées veillent les hommes

et les femmes

se garant des obus

et lançant des obus

et parlant de terres à aimer

sous ce débat d’en-haut

c’est qu’ils n’ont que leur sang à miser

que leur vie à offrir depuis leur seul tréfond

et leurs enfants

 

chantez l’amour

et chantez leur courage

 

 

 

 

En un éclat

 

et de quel dire de pères ermites

de quels marcheurs déraisonneurs

de sages à barbe de prophète

suis-je né une seconde fois

qui le dira

 

et de quelles abbesses mères

au sage front levé vers l’aube

bénissant au sortir de la nuit

ai-je appris les secrets du vent

lui qui s’en va

 

et de quels frères vénérables

et de quels dits de sœurs ailées

aux furieuses paroles d’autrefois

je le demande depuis des nuits

enfuies déjà

 

je fus agi de paroles anciennes

de flots d’oracles iconoclastes

de vérités au jour renouvelées

de souffles épars et pourtant réunis

en un éclat

 

 

 

 

Psaume

 

Notre Père

est un combattant

qui chaque jour

repousse l’ennemi qu’on appelle néant

                           

Elle a pour son enfant

la tendresse d’une mère

 

Notre Père

est un artisan

qui chaque nuit

reconstruit ce qu’au jour a détruit le néant

 

Sa clairvoyance

est celle d’une mère

 

Notre Père

est un enchanteur

qui nuit et jour

oppose à l’ennemi son rire créateur

 

Attentive

comme l’est une mère

 

Notre Père

est comme un amant

qui jour et nuit

vient appeler sa belle à sortir du néant

 

Jeune mère

amoureuse de son enfant

 

 

 

 

Promesse

 

il a plu sur le désert 

ici ou là des pousses d’herbe

l’homme ôte son chèche

il boit la pluie tête levée

œil mouillé de pleur et de pluie

bonheur

les enfants sentiront un jour

en courant les pieds dans l’herbe

l’odeur multiple des fleurs

et les mères allaiteront

les hommes n’iront plus à la guerre

tous au labour  

les reins ceints et la gourde pendue

la branche neuve la retiendra

et viendra la sueur aux pères

qu’une eau lavera

un jour le blé vert paraîtra

et plus tard

des pommes aux pommiers

 

 

 

 

Sous la couche

 

c’est l’hiver

le fleuve respire

grande rivière mère

la buée se fait brume et monte vers les humains

comme vers toute créature

heureux sommes-nous qui respirons

quand les arbres s’en défendent à toute force

l’heure des arbres est pour plus tard

quand la forêt s’est enrichie du long repos

en sa munificence

en l’immense ondulation de ses amours avec le vent

et déjà, sous le gel

sous la couche épaisse et blanche du brouillard

devinons une promesse

il le faut

sinon c’est le temps qui casse

 

 

 

 

Un souffle

 

manquerait un souffle

brise légère

silencieuse, aérienne, ténue   

venue on ne sait d’où

allant où l’on ne sait

 

manquerait-il

tout irait comme devant

tout suivrait son chemin

chemin de grandes peines

voies de petits bonheurs

 

et suffirait d’un souffle

haleine de buée

toute chose convertie

muée, bouleversée, retournée

tournée vers ce qui vient

 

un souffle saint

et viendrait l’enfant

celui qui vint, qui vient

ce souffle qu’il vienne enfin

à la bouche des humains

 

 

 

 

Santonnette

 

Que savez-vous de sire Jésus ?

– Je sais, ma foi, qu’il est apparu

tout petit et tout menu.

 

Était-ce en une chambre belle ?

– Oh ! ma foi, ni château ni chapelle

une crèche pour nacelle.

 

De quel habit fut-il vêtu ?

– On l’avait couché, ma foi, tout nu

en sa peau il a paru.

 

Comment donc, point de dentelle ?

– Non, ma foi, pas même une flanelle

le froid sur la fontanelle.

 

Dessus n’a-t-on rien étendu ?

– Du foin, ma foi, pour quelques fétus

un peu de paille perdue.

 

En quel temps en vint la nouvelle ?

– Ma foi, en ce temps de l’eau qui gèle

le mois où de froid l’on pèle.

 

Nulle chaleur n’est donc venue ?

– D’un bœuf, ma foi, d’un âne velu

vint le souffle assidu.

 

N’eut-il nulle aide fraternelle ?

– Si, ma foi, bergers et pastourelles

serviables et pleins de zèle.

 

De quel argent a-t-on vécu ?

– Trois rois, ma foi, fort peu dépourvus

ont cédé leurs invendus.

 

Lui a-t-on chanté des noëls ?

– Ma foi, s’entendit la ritournelle

celle des anges, habituelle.

 

 

 

 

Testament

 

amis que vous donner, rien n’est à moi

tenez, à quoi je tiens, le vent de mer

voici pour vous le souffle du noroît

à vous soûler prenez-le, il m’est cher

chantez

 

avec le vent voici l’oiseau sur l’air

laissez-le vivre libre, à vous son chant

sa joie, consolation aux jours amers

sachez de lui bénir le jour naissant

chantez

 

et je vous lègue toute l’eau du ciel

oui, toute pluie qui vous paraisse amie

bruine qui pépie ou grain torrentiel

au soleil ardent il faut l’accalmie

chantez

 

prenez de moi l’ombre de la forêt

austère ou chevelue, vie pleine et belle

qui fut toujours une amie pour de vrai

en elle sourd une vie maternelle

chantez

 

et l’océan, prenez-le avec elle

il n’est pas mien, vraiment, je viens de lui

mais respectez sa puissance mortelle

sa liberté de maître de la nuit

chantez

 

 

 

 

Tenir

 

Ne reste plus qu’une feuille à ce platane d’alentour, elle tient, les autres gisent, mortes, au pied de l’arbre, ou s’éparpillent au vent ; elle ne bouge pas.

 

Je me demande en laquelle de ses nervures se tient la volonté qui l’anime, celle de vivre encore, que sait-on des arbres et de leurs désirs, de leur ressenti ? ils vivent, loin de se croire inanimés.

 

Et cette feuille qui ne veut pas tomber, ni voler jusqu’à terre, au rebours des oiseaux qu’elle a connus lors de tant de jours, peut-être le comprend-elle, qu’elle a perdu la guerre, telle un empire qui se sait à l’agonie mais ne veut pas le reconnaître.

 

Elle tient, autant qu’il est possible, elle ne lâchera pas d’elle-même la branchette qui la retient encore, il y faudra le vent, son ami pourtant, qui la faisait danser si souvent, mais qui s’est retourné, devenu violent.

 

Il la secoue, il la bouscule, à la faire tomber comme une vieille, comme un vieux flageolant, accroché à sa canne dérisoire, à faire rire les enfants jusqu’à la vision du sang, à faire accourir les passants, elle le sait pourtant, nulle aide pour elle mais elle tient.

 

Une feuille, la feuille d’un platane à l’automne, que vaudra-t-elle, que pèse-t-elle en ce monde et qu’importe ? on peut se le demander, comme si la vie ne comptait que pour les grands, elle tient pourtant, à la merci du grand vent.

 

Puis elle lâche enfin, et volète, rencontre le pare-brise d’une voiture, s’accroche à l’essuie-glace, obstinée toujours, refusant la boue des bas-côtés où, d’un sursaut, elle tombe pourtant, et meurt… Elle sait qu’elle sera remplacée.

 

 

 

 

L’arrosage un dimanche

 

Trois petits enfants

tout habillés de blanc

à la mod’ des vous m’entendez

 

Trois petits enfants

perchés sur une machine agricole

oiseaux du ciel en panne

 

Trois petits enfants

comme dans Boris Vian

et c’est l’agriculteur qui piaille

 

Trois petits enfants

et la bise déroule en piaulant

la plaine sous le vent

 

Trois petits enfants

émergent des chants

sur les tuyaux de la machine

 

Trois petits enfants

jouent à l’orgue avec l’appui du vent

et le concours des mécaniciens agricoles

 

Trois petits enfants

en dimanche de paysan

font les vacances tout en arrosant

 

 

 

 

Elle

 

elle

elle arpentait les rues de la ville damnée

belle ici, laide là, ville enfant de la peur 

détruite pour longtemps, bombes tombées 

en sanglantes lueurs

 

elle

elle savait qu’un jour ça tomberait sur elle

morte, posée dans l’herbe douce de mai 

elle est environnée de fleurs surnaturelles

heureuse désormais

 

elle

elle espère s’y tenir, ne pas revenir   

et qu’enfin tu viendras, que tu l’emmèneras

vers un monde inconnu, vers un clair avenir

où tu la berceras

 

 

 

 

Approche

 

des femmes, en tas, de loin tu peux en aimer des foules

en vrac, à la pelle, des hommes comme pierre qui roule  

si tu ne veux m’aimer longtemps 

ton sang pour mon sang

n’approche pas 

 

et du haut d’un bureau, d’un plateau on peut aimer le monde

ou bien mille et dix mille inconnus à la ronde

sans aimer son voisin, sa voisine et l’enfant

on le fait souvent

n’approchez pas

 

L’œil contre l’œil, la main contre la main, tuer est difficile

à vingt mètres de là c’est déjà plus facile

et du haut d’un avion tu en tueras dix mille

comme en te jouant

n’approchez pas

 

 

 

 

La ville en vie

 

trois jeunes mamans, poussette en avant

sur la Place du Foyer se sont rencontrées

se sont arrêtées pour se parler

 

et la ville désormais est centrée

autour de trois jeunes mamans

une en rouge, une en larmes, une en blanc

 

et la ville se déploie 

vibrant de toutes ses artères

de ses placettes ombragées

 

ou de ses modestes monuments imagés

de ses écoles, de ses églises crucifiées

des ateliers, des usines, des marchés

 

le profond respir de la ville tout entière

en son souffle de vie prend sous son aile

les trois jeunes mamans, les trois petits enfants

 

chacune s’en va de son côté

contentes d’avoir respiré

apaisée la ville aussi s’en va veiller

 

 

 

 

La rose de Luther

 

vole une fleur qui vole, aux couleurs de l’aurore

jamais ne fanera, rose folle qui danse

et libre sous le vent elle s’en vient éclore  

venue d’un sol vibrant, venue du ciel immense

 

croix de mort, cœur de sang, rose blanche, cercle d’or

la rose du matin, dès l’aube d’un dimanche

a pour toujours fleuri au sortir de la mort

sa rosée donne vie où sa fraîcheur s’épanche

 

évangile est son nom, parole dont l’essor

a fait trembler des mondes, plier des arrogances 

vaciller des empires, et peut le faire encore

 

une fleur est fragile, elle semble impuissante

mais qu’il habite un cœur et qu’il suscite un corps

l’évangile à la rose est faiseur de naissances

 

 

 

 

Fleurir

 

je vais aller sur la tombe afin de la fleurir

et que Calvin me le pardonne

 

mais loin de me gronder il me disait

ne coupez pas les fleurs des champs

ni les fleurs des sentiers

qui ne sont pas à vous

les fleurs qu’on peut couper

sont celles

de vos graines ramassées, semées et soignées

afin de transmettre de vous les pensées

les fleurs intimes de vos belles amours

non les fleurs de l’amour infini du bon dieu

 

Calvin me le disait en un français ancien

mais que je comprenais

 

 

 

 

Tribu

 

tu disais le mot tribu

tu voyais dans la foule

dans les rues encombrées de la ville

tu sais, à la fin de la journée de travail

quand tous vont chacun seul

suivant son chemin

en la fourmilière tous mêlés

un être ici que tu aimes

un autre là dans une autre ville

et celle-là celui-là

oui ta tribu

petit groupe disséminé

uni par ton seul souvenir

ton seul amour

et parfois s’ignorant

car ces tribus n’ont pas de loi

 

 

 

 

Vider la maison

 

vider la maison n’est pas facile

toute la maison

il s’agissait de se déraciner

de tout déraciner

 

mais les arbres s’accrochaient de toutes leurs racines

de toutes leurs branches dans le ciel

leur écorce en tombait

leur sève s’écoulait

 

les oiseaux eux aussi faisaient de la résistance

de la mésange au rouge-gorge

ils voletaient en vous

ils vous étourdissaient de toutes leurs chansons

 

de peur ils en perdaient des plumes

elles descendaient lentement

se balançaient dans l’air complice

quand pleuraient les beaux nuages mouvants

 

et allez donc attraper les écureuils

trouver le hérisson sous les rosiers qui vous piquaient

rouges de colère

on n’en finissait pas

 

de même la maison

quand les murs refusaient de tomber

qu’il fallait les pousser

tous les murs du monde

 

enfin tout le malheur du monde

et s’en aller

 

 

 

 

Hors la tanière

 

quand le loup sort de sa tanière

c’est pour manger

on ne mange ni ne vit qu’en sortant

on ne s’étend

on ne se répand qu’en sortant

dans la tanière on se repose

c’est pour sortir

assurer sa place dans le monde

l’espèce dans le temps

un loup qui ne sort pas de sa tanière

est un loup qui meurt

serait-ce lentement

ne le voyez-vous pas, vous qui semblez 

vivre

pour garder votre tanière en ordre

quand c’est ailleurs

dehors

que vous avez à parler

dire

l’inexistant qui est avant et maintenant

régnant

 

 

 

 

Une forêt

 

que suis-je ? dit-il, une forêt

je suis une forêt

 

avec des allées, des sentiers et des pistes

avançant vous me trouveriez

endormi sous un frêne

ou parcourant une futaie

 

vous iriez par les allées

les sentiers

 

mais évitez les voies

ces trouées par où passent les bêtes

vous pourriez les brouiller

le chemin des humains est le vôtre

 

si vous y tenez

vous l’y trouverez

 

 

 

 

Qui sait ?

 

on a marché sur la route

quelqu’un

au moment où le ciel pâlit

où les moines s’apprêtent pour chanter prime

où les moineaux entonnent leur chœur multiple

fêtant le jour

 

et ce matin sur la route

on ne saura jamais qui a marché

le jour venu on ne verra personne

en ce hameau restera le mystère

heureux

mais on ne sait pourquoi

 

et l’un l’autre on se dit

et si c’était lui ?

 

 

 

 

Chanson

 

le monde une merveille

et pour longtemps

beau mensonge l’humain

pour peu de temps

herbe qui sèchera

avant longtemps

avenir qui s’en va

dans un tourment

 

ceci est la chanson

pour avertir

ceci est la raison

à retenir

les humains s’en iront

pourquoi mentir

ni ne reste un surgeon

ni souvenir

 

autrefois les prophètes

avaient prédit

le ciel après la pluie

un temps maudit

suivi d’un ciel d’azur

temps de lundi

puis dimanche au ciel pur

mais qui le dit 

 

 

 

 

Là où est le mal

 

La tête se porte bien merci

ce n'est pas là qu'est le mal

mais ouvrez sa poitrine et vous verrez

cachez vos yeux et vos cheveux

cent mille au moins chauve-souris sortir

en volant chaudes et leurs cris

rendra noir le ciel bleu le ciel bleu

et tant mieux

qu'elles sortent qu'elles vole-vole-volent

les folles les folles

les petites fées noires batifolent

 

Ah que sa gorge s'ouvre et son sternum

vous verrez

vous serez étonné mais vous devrez

reconnaître que sa tête

va bien.

 

 

 

 

Ce matin

                        Hommage à Haruki Murakami

 

Mademoiselle Saéki est morte ce matin

et je ne sais comment

et je ne sais pourquoi

et je ne sais pour qui

elle qui était si belle

qui était si douce

et suave

si pleine d’élégance

d’aménité

sous les cerisiers

qui peut me dire comment la plaindre

comment la célébrer

la révérer

car j’étais amoureux d’elle en ce matin

 

 

 

 

Une goutte

 

vous prendrez bien une petite goutte 

ou deux peut-être 

tendez vos lèvres, tendez votre langue, voilà

deux gouttes de poésie pour alléger la peine

donner du poids à l’innocence 

et chaudes ou fraîches, choisissez

voyez à travers elles le monde s’iriser

ou bien, alentour, se briser

et si pour un temps ces deux perles y suffisent 

prenez

 

 

 

 

Dessous dessus

 

sous le village, un village

secret

lieu de naissance des arbres

fait de bois dur ou parfois tendre

entremêlé

lieu de vie dans la terre mère

 

tu te croyais maître des arbres

et tu ne sais

tu pensais dominer la vie

et tu ne peux

le monde n’est pas tien

gérant de ton village

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Plaine au soir

 

solitude, plénitude

c’est le soir, soleil bas

la plaine ondule sous la brise

herbes mouvantes

 

à l’ouest le ciel est mauve

et les nuées légères

voilent une en-allée

vers la nuit

 

ici, juste ici

palpite

le lieu précis de la quiétude

méditation du silence

 

 

 

 

L’aube

 

premier rayon posé sur la rosée

sur le pétale d’une fleur des champs

c’est l’aube

un jour commence

un avenir ouvert, rien de banal

 

un jour nouveau

jour de service, de plaisir, de combat

ouvert

sur la beauté du monde

en sa fragilité

 

nous respirons

portés par le respir du ciel et de la terre

en ce jour qui commence

un premier jour

un premier tour renouvelé

 

 

 

 

La mésange

 

de loin je vois la mésange

perchée sur le coin d’une gouttière

de l’autre côté de la place

petite boule de plumes

elle ne bouge pas

on dirait qu’elle réfléchit

à quoi pense un oiseau repu 

quelles idées la tiennent-elles immobile

quel monde est celui d’une mésange ?

on ne peut l’imaginer

sans doute est-ce réciproque

et qui dira que le nôtre est plus vrai ?

 

 

 

 

Sieste tardive

 

la fenêtre est grand ouverte

et moi

étendu sur mon lit je dors

conscient toutefois du pépiement d’une petite pluie 

 

elle pénètre mon sommeil

sommeil léger d’un après-midi d’été

et je me souviens

je suis au milieu de champs entourés de collines 

debout comme au milieu du monde

et je suis seul car il va pleuvoir

solitude heureuse

pleine comme une fin du monde

 

et je le sens je rêve

et je sens qu’il pleut dans la douceur de cette fin du jour

heureux

heureux

puis un visage m’apparait

tu es là

 

 

 

 

Paris square

 

Sous les arbres du square on voit des enfants bruns

essayer de dormir en des duvets d’emprunt.

 

Simples fils des humains sortis nus de la boue,

à quels rires ou quels pleurs ces sans-papiers se vouent ?

 

Mais dans le frais d’avril piquant de ce matin,

dansant presque, une fille a souri aux clandestins,

 

Les platanes ont verdi eux aussi près du square :

faudra-t-il que cette fille elle-même perde espoir ?

 

 

 

 

Sentinelles

 

Voici le soir et c’est le temps mauvais, le temps des loups en meute

car le jour est passé dans une brume opaque aux ramures amères

dans la forêt

irons-nous promener comme autrefois, promener et jouir de beaux jours à lacs purs

non, car il n’est plus temps de rire et le temps est à rage et colère et courage

courage aussi

on en est aux armes du langage et la raison reste de s’y tenir

mais les figures de théâtre qui montrent leur besoin de haine et de rire mauvais

eux sont aux aguets

elles demandent leur lot de chair humaine, oui, de chair brune à chasser

et qui rêve de cela et le demande est un autre toi-même, un autre nous-mêmes

sans espoir

et qui se placera entre chasseur et proie sans espérance ni pouvoir, balayé sera

car c’est le soir et les paisibles nefs qui voguent dans le noir

vont couler

préparez vos caches et vos ruses et tous vos savoirs anciens, les savoirs

de ceux qui toujours ont eu à mettre le fugitif à l’abri et celui qui fuit en lieu de paix

car il se peut

ici, que les temps tournent à l’orage, que les temps sous peu soient mauvais

ainsi l’on se prépare à l’ombre afin qu’elle demeure et reste au loin

très loin du jour

 

 

 

 

Marcher de nuit

 

il fait nuit

nuit sombre-noire

 

le poids des nuages

ils masquent toute étoile

 

à quoi bon lever les yeux

à quoi bon les baisser

 

et je dis où vas-tu

le sais-tu

 

pourtant je sais

suivant du pied la route

 

car j’ignore et je sais

en moi quelqu’un le sait

 

ce chemin que je suis

ne m’a pas dit son nom

 

je vais dans l’improbable

mes pieds m’y conduiront

 

 

 

 

Chèvrefeuille

 

le sentier suit un long mur de pierres

bonnes grosses pierres qui furent blanches

et de loin en loin, comme un buisson épais

accroché au mur

une masse de feuilles dures et luisantes

et la parsèment des centaines de petites fleurs

blanches, odorantes

senteur chaude enveloppante d’appel à l’amour

vibrante d’appel à la vie

et je passe ainsi lentement d’odeur en odeur

et je remercie

tellement satisfait de la rencontre

 

 

 

 

Samedi

 

le matin vient

ô sentinelle de la nuit

le ciel s’élève il monte

laissant un jour venir

et ce jour qu’elle enfante

la nuit ne le connaît pas

 

le matin vient

et vient aussi la nuit

que l’on devine

embusquée après le jour

après lui toujours

acharnée à le détruire

 

le matin vient

naît un beau jour 

et la nuit vient aussi

pas de nuit sans le jour

et ce que doit la sentinelle

c’est annoncer le jour

 

 

 

 

Le jour paraît

 

le jour s’élève

à qui pardonner ?

l’effacement des choses dites

des volées reçues

ne se peut, ne se doit

 

car le jour avance

derrière les pins voici la clarté

au loin les nuées

le ciel est blanc

et par-dessus déjà les moutons noirs

 

voici le jour

à qui se donner ?

les temps vont se rencontrer

hier et demain ne sont qu’un jour

et le soleil paraît

 

le jour hésite

la nuit des fleurs est une paix

tu ne peux la faner

et leur jour une aventure

fête humide du matin

 

 

 

 

Interlude

 

L’arbre qui bouge

un squelette habillé

la mort a erré en ce jardin

 

un petit souffle passe

et les enfants se taisent

 

un gravier roule

une feuille tombe

 

une branche a craqué

un petit merle a sifflé

 

un jeu se dessine

vite on a repris la course

 

 

 

 

Naissance

 

statuette de terre

je fus ainsi

muet j’étais alors

j’étouffais

sans entendre ni voir

je sentais peut-être

autour des bras qui s’agitaient

c’était le vent

qui sait

ou qui ou quoi

qui m’entrait par la bouche

qui soufflait

puis j’ai vu les arbres

et plus tard les gens

peut-être bien les gens d’abord

 

 

 

 

Marcher, chercher

 

il marchait sur un sentier

forêt profonde tout autour

ombre et nulle présence

il se retourne tout paraît

dans la beauté du monde

où la mort avait erré

mais il n’est pas écrit

qu’au tout commencement

l’abîme ait disparu

 

est-ce à moi de parler

or je ne sais que dire

ami fais-moi connaître

je suis pauvre de cœur

que vois-tu dans le noir

sais-tu trouver l’étoile

dis-le-moi car je cherche

dans le ventre des choses

dans le noir des rumeurs

 

 

 

 

Dites-moi

 

Je le sais on te nomme comme on nomme

les bateaux, les voitures ou les chiens.

Il le faut pour se comprendre

mais le nom n’est qu’un verbe au repos, toi tu marches

sur les nuées, tu te meus et tout se meut avec toi,

et voici toute chose en marche avec toi.

 

Mais sur le bitume des rues, sur le pavé des cours,

même sur les cours des palais cardinaux

ou les sentiers forestiers parcourus par les daims

déambulent des gens qui ne savent où ils vont.

Et nous voici parcourant des chemins imbéciles,

logeant en des maisons comme on loge les chiens

comme nichent des bêtes privées du savoir.

 

Dis-moi ma sœur, dis-moi mon frère, mon camarade,

fais-moi connaître car je suis pauvre de cœur :

que vois-tu dans le noir, sais-tu où retrouver l’étoile ?

Dites-moi car je cherche et ne sais qui

et ne sais quoi dans la nuit du monde et de mon cœur.

Où l’on rit comme on pleure. 

 

 

 

 

Vivants

 

Les chanceux, le Vivant les appelle

à rire, à sourire, à bénir

à vivre une vie qui soit telle

que son règne à venir

irise toute vie enfin belle 

 

 

 

 

La clé

 

laisser tomber la clé

laisser la porte ouverte

même ouvrir le chemin

et faire table offerte

laisser aller son pain

sur les eaux de demain

le retrouver peut-être

dans la main d’un ami

ou bien d’un ennemi

dans le sourire espiègle

d’un enfant démuni

 

Avec Dominique Ratto

 

 

 

 

Te souviens-tu ?

 

te souviens-tu de nos chansons

nous les chantions ensemble aux soirs de mauvais temps

devant la cheminée, son feu flambant

les anciens chants du soir on les chantait souvent

à la maison, au temple ou à l’école

et nous étions enfants

le monde était en sang

et nous n’y pensions guère

quand ton village ou ma rue étaient en guerre

rien de plus rassurant que les vieilles chansons

aujourd’hui on ne les chante plus

mais devant la cheminée d’antan

nous deux chantant

souriants

le temps qui passe ne passait plus pour un temps

même à deux voix nous nous trouvions unis

te souviens-tu de ce temps-là

quand nous chantions unis les anciens temps  

 

 

 

 

Tiens ?

 

ils cherchaient ils cherchaient

ce que ça veut dire tout ça

mais ça ne voulait rien dire

 

ça disait

comme une pomme

ça se mangeait, il fallait l’avaler

ou ça pourrissait

tombait

avec la terre ça faisait d’autres pommes

 

manger avant

or jamais je n’ai pas faim

 

aimez le monde et le prenez

c’est bon

comme disent les gens d’en haut

prenez-en plein la gueule

 

 

 

 

Quittant la nuit

 

quittant la nuit, ils sont entrés dans le matin fragile

la joie, la peur, l’ardeur mêlées, la ferveur malhabile 

 

parlant, ils seraient obligés, ils seraient menacés

dansant, chantant, ils se mueraient en oiseaux pourchassés

 

mais la mort, en son fond, avait passé, restait le jour

la vie qui s’entrouvrait, tendre bourgeon que l’on savoure

 

elle s’ouvrait, papillon qui se déplie, proie facile

et qui tenait en leur parole, en leur parler labile

 

aussi, en cet instant, se sont-ils tenus cois, en leur patience

avant d’oser sortir et dire, et trouver leur audience

 

lâchés comme un vol d’étourneaux, ou sur l’eau comme une onde 

ils se sont égaillés, cognés, ont rencontré le monde

 

au soir ils sont entrés, quittant le jour aux mots sans nombre 

confiants, tâtant des mains la nuit, au lieu où finit l’ombre

 

 

 

 

Enfants dépravés

 

les enfants, les petits enfants, tous les enfants

qu’on en tue un, qu’on en tue cent ou mille, ou bien dix mille

selon la pente de nos raisons

nos raisons folles, ô combien déraisonnables ces raisons

il reste qu’ils sont morts

 

toi qui ne sais rien de l’avenir

sinon donner la mort

que fera-t-on de toi, quel sera ton sort

sinon le pire

 

et qui a le droit de tuer les enfants

je vous le demande

qui s’arroge le droit d’assassiner même les petits, les enfants

qui es-tu toi qui tue

tu es un imbécile, un enfant dépravé, le sais-tu

 

lui qui ne sait rien de l’avenir

sinon viser la mort

que fera-t-on de lui, quel sera son sort

sinon le pire

 

tuez-vous les uns les autres

vous qui aimez la mort, qui haïssez l’amour

les enfants vous regardent, ils voient ce que vous êtes

est-ce pourquoi vous les tuerez

aimez vos engins de mort, eux seuls vraiment sont vos enfants

 

vous ne savez rien de l’avenir

rien d’autre que la mort

que fera-t-on de vous, que sera votre sort

sinon le pire

 

 

 

 

Frêle

 

sous les débris

les fracas

la source infime d’un chant

 

aux oreilles du veilleur

un filet d’eau

murmure

 

écoute

tendu vers le silence

la paix qui vient

 

aux tempes martelées

naît

une fissure intime

 

cela suffit

imperceptible

l’infiltration s’impose

 

écoute

et continue continue

en toi se fraie le charme

 

car le combat des frêles

use d’armes futiles

mais vives

 

 

 

 

Nuit

 

je pleure

il me faut bien sourire

comme un rai sous la porte

viens

donnons le jour aux fifres

sortons les tambourins

 

j’ai peur

il me faut bien tenir

comme un arbre au désert

tiens

je ne veux que poèmes

la lune me pardonne

 

je meurs

il me faut bien bénir

comme l’aube entre les nuits

lien

entre deux blocs de pierre

entre nuit et lumière

 

 

 

 

Les chanceux

 

les chanceux

mendient le souffle de l’Esprit

le règne de Dieu est à eux

 

les chanceux

ce sont les doux

ils vont hériter la terre

 

les chanceux

ce sont les malheureux

ils vont être consolés

 

les chanceux

ont faim et soif de justice

ils vont être rassasiés

 

les chanceux

pratiquent le pardon

ils vont le recevoir   

 

les chanceux

ont le cœur sans mélange

ils vont voir Dieu

 

les chanceux

sont les faiseurs de paix

on va les dire nés de Dieu

 

les chanceux

sont persécutés pour la justice

le règne de Dieu est à eux

 

 

 

 

Emballements

 

il arrive parfois que

les temps s’emballent

et les saisons

 

ils délivrent un message

en urgence

pour le bien des fruits à venir

 

et toujours à ceux-là

qui savent tout lire

des temps et contretemps

 

puis les temps se replient

dans le silence

et les humains oublient

 

pas les plantes ni les bêtes

ni la pierre ou la boue

ni la terre

 

ni même l’eau

eau du ciel, eau de la terre

et surgit le malheur

 

alors pour les humains

tout casser, tout refaire

pourvu qu’ils ne soient vieux

 

 

 

 

Participant

 

il ne se

sentait pas à sa place

il n’était pas à sa place

 

un peu dedans un peu dehors

un pied dehors un pied dedans

déplacé

 

toujours un peu ailleurs

en même temps parlant d’autre chose

parlant à côté

 

déclassé

d’ailleurs mal habillé

bien habillé pas à l’aise

 

dans les rassemblements

fredonnant

un air en dedans

 

souriant poliment

les doigts marquant son rythme allant

distraitement 

 

triste quoique au fond

aimant bien les gens

distraitement

 

 

 

 

Terriens

 

humain fils de l’humus

fils de la terre

 

en état de culture

non pas nu mais vêtu

des enfants de cet arbre

de toute science

 

de l’arbre de beauté

et de malheur

 

père de l’eau salée

qui pleut de lui

et fait lever le grain

et lui casse les reins

 

inventeur meurtrier

en la cité première

 

et pourtant paysan

auteur de paysages

fondateur de pays

 

et familier d’errances 

 

 

 

 

Espérance

 

en elle qui se cache

je crois

je parle d’amour

 

elle qui va sans âge

ce jour

me dit courage

 

au sein du rêve

songe

des croyants endormis

 

au plus profond

je vis

comme au cœur de la nuit

 

je suis un sac de pleurs

et tout au milieu

la joie

 

 

 

 

La voie

 

la courbe d’une parabole

voici le chemin

qui va droit se méprend

croit savoir, se croit sachant

il se perd

 

la route en son dessein

est de grâce    

élégante et modeste

ainsi va la voie

un sourire

 

aussi va-t-on cherchant

par la roue du moment

cerclée de fer

l’inflexion d’une allée

où s’anime le souffle

 

 

 

 

Que dis-tu

 

que dis-tu de la vie

que dis-tu de l’amour

que dis-tu de la guerre

tu ne sais pas

 

tu l’as vue s’écrouler

la maison, s’ébouler

ton monde s’en aller

tu ne cries pas

 

il faudrait bien qu’un jour

il faudrait qu’en tes jours

il faudrait qu’à jamais

tu ne haies pas

 

non, ce que tu veux

non, tu le chéris

cet aujourd’hui qui va

tu l’aimes là

 

 

 

 

Les arbres avec le vent

 

le vent, le grand vent, s’était levé

alors les arbres se sont mis à bruisser

ils aimaient sa façon de les malmener

quand il les traversait

quand il les chamboulait

imaginez toutes les histoires qu’il leur racontait

venant de loin

 

on ne comprend pas les arbres

ils ne sont pas de bois

ils aiment que l’on s’occupe d’eux

c’est humain

les arbres sont en nous

et nous sommes en eux

parfois même ils chantent

et c’est comme un appel

 

ils on besoin qu’on entre dans leur monde

là où ils sont vivants

dans leur monde vert

leur monde de terre et d’air

surtout quand le vent retombe

épuisé

 

 

 

 

L’entends-tu ? 

 

L’an qui vient, d’où vient-il, pour un bel en demain ?

Dis-le moi : s’en va-t-il, espoir tombé des mains ?

Qui peut encor parler en sorte qu’on l’écoute

sans que naisse le doute ?

 

Qui peut parler et dire s’il a le cœur lié ?

Ô toi qui as l’oreille, le souffle régulier,

qu’entendras-tu venir, verras-tu ce qui vient

renouveler les liens ?

 

Si mon maître était là, vraiment le dirait-il ?

Il tarde à investir des esprits peu subtils,

il me parle peut-être et je ne l’entends pas.

Toi perçois-tu ses pas ?

 

 

 

 

Joie

 

ce n’était pas compliqué

c’était juste un peu de joie

aurait-il revendiqué

bien plus, un feu qui rougeoie

une source, un puits, de l’eau

un toit, un abri de pierre ?

la joie, non tel bout de terre

 

il a eu la peine amère

et la joie qu’il demandait

ne fut pas même éphémère

il ne l’a reçue jamais

sauf en la pompant de force

au profond de ses vieux os

sa joie, telle un doux fardeau

 

il a le toit de bardeau

la maison aux volets verts

la source et l’eau à plein seau

le lit chaud et le couvert

saura-t-il puiser la joie 

circulant sous son écorce ?

la joie, ce vieux s’y efforce

 

 

 

 

Naissance de l’humain

 

Fils de l’homme, fille de l’humain, fils et fille des humains, fils des hommes et des femmes, fille des femmes et des hommes, humains en nombre qui naissent chaque jour sur la planète bleue,

 

humains de chair et de sang, corps rouges et blancs, glissants, d’humains ensanglantés, fils et filles des femmes et sortant de leur ventre, filles et fils des hommes qui les font leurs enfants,

 

petits humains au premier cri, première parole de douleur et d’effroi quand vient en eux le souffle, humains aveuglés et apeurés déjà, humains fils d’Adam fille de Dieu et semblables à lui,

 

enfants de la violence humaine, de la violence terrienne, enfants de la terreur de la guerre et de la chaleur de l’amour, divins enfants pour qui sonnent les tambours de l’amour et de la guerre,

 

humains homme et femme en un seul être advenu, seul enfant chez tous les enfants nus, mort avec les autres de Bethléem, né avec les autres à Bethléem, tous les autres en lui, bel enfant de l’humain, 

 

enfant de la beauté du monde et fils de la terreur du monde et fille de l’amour du monde et fils de la douleur du monde, enfant de l’avenir du monde et fils de la mort du monde et fille des aurores…

 

 

 

 

Bonjour

 

je dis bonjour

je dis bonjour, je dis merci, ou s’il-vous-plaît, excusez-moi, je dis au revoir

ce n’est pas que je sois poli, ça voudrait dire frotté au papier de verre

non merci, excusez-moi, pas ça !

non, c’est par provocation

c’est pour pousser l’autre, en souriant, à montrer son visage, celui du dimanche

j’aime les visages des gens, leur visage du dimanche même un lundi

c’est beau

 

 

 

 

Chanter

 

il s’était remis à chanter

l’ombre s’était retirée

il chantait

 

c’est ainsi qu’on s’éveille

tourne la terre

au matin nouveau

 

pourtant c’était la guerre

il chantait

le cœur ouvert

 

on ne peut attendre

vienne ce jour

la fin des crimes

 

vienne un chant nouveau

de ces ruines 

qui serait amoureux ?

 

 

 

 

Autre

 

mais bien sûr il fallait que nous changions de monde

à défaut de changer 

 

on a toujours besoin d’un autre monde à faire

alors on l’imagine

 

et quand il nous arrive il est déjà caduc

s’il n’est pas malfaisant

 

il faudrait il faudrait qu’un autre monde existe

par lui-même et pour nous

 

pourquoi faut-il toujours que celui qu’on nous montre

soit celui des puissants

 

un autre nouveau monde où les gens compteraient

et qui ferait vibrer

 

 

 

 

Le banc

 

à cet endroit de la colline

le chemin sortait des bois

dans la douceur des vents

on voyait là toute la plaine

 

on a fini par oublier l’accord

celui de la terre et de l’homme

un long travail

pour un paysage de paix

 

et je repense à ce banc

un homme, un paysan

il avait installé un banc

d’où contempler la plaine

 

cet homme est mort

reste le banc, reste la plaine

reste le regard de paix

le souvenir du cœur des hommes

 

 

 

 

Matin

 

avancer sur le sentier

soleil aigrelet de novembre

entre vigne et taillis

au vert de l’yeuse

 

au loin l’église

au sommet du village

sa cloche tinte, perdue

qui ne parle plus

 

vers nous le jour avance

écouter

ce monde-là, autour

vibrer du bruissement du monde

 

un souffle passe

passe un oiseau

 

 

 

 

Guerre

 

là se révèle d’où vient le sang

feu qui n’est pas tombé du ciel

mais qui monte vers le ciel

vue d’une terre en sang

 

demain viendra le sang

tout au loin se voit le ciel

le sang atteindra-t-il le ciel

le ciel s’abreuve-t-il du sang

 

en nos jambes cuit ainsi le sang

jusqu’à nos cœurs il monte au ciel

viendra-t-il un arc-en-ciel

circulerait le sang

 

 

 

 

Chien andalou*

                                         * clin d’œil à Buñuel

 

aucun doute c’est un chien

une chienne 

elle trotte seule vers on ne sait où

 

pas de maître

aucun humain 

pas de collier, de laisse abandonnée, rien

 

son poil est bleu

naturellement bleu de lune bleue

soir pâle, brume de nuit

 

la chienne furtive envoyée de la mort

qui court sans se lasser   

imperceptible au vrai dans le paysage

 

elle sait  

elle va vers où, s’en va vers qui elle va

tu n’as pas à le savoir

 

 

 

 

Source

 

vient le mot source

et le mot cristalline

et ce mystère

que l’eau me vienne

s’appelle toi

 

et son nom véritable

qui soigne tout

on ne sait d’où

mais tu le sais

s’appelle toi

 

et l’eau qui sourd

source de joie

du très profond

du long désir 

s’appelle toi

 

 

 

 

L’île aux oiseaux

 

il y a dans cette île 

tant de choses inutiles

que les humains aimaient

et délaissaient

sous les arbres de jais

et le maître des nids

loin tout là-haut

 

comme un enfant

je te parlais de lui

aux ailes lamées d’or

à l’œil de flamme aiguë

au long manteau de pourpre

plumes du soir

il te regarde

 

cette île

est celle des esprits

maîtres des vents et des pluies

on en revient salé

sorti des nids de conque

comme habité de mer

jeté vers les nuages

 

 

 

 

Visage

 

ce qui chante

en moi

n’est pas mien

fil de joie

que j’avais demandé

 

venu de loin

ce cœur d’enfant

ennuie les gens        

cheveu blanc

et sang rouge

 

ce sourire

ne dit rien

sauf en dedans 

visage sans valise

murmurant 

 

 

 

 

Songe

 

la nuit

viennent des rêves qui ne sont plus des rêves

des rêves qui enseignent

et qui disent

et vous mènent au vrai

là où tu ne voulais pas aller

 

ce sont des songes

fleurs accomplies

et le don est en elles

gratitude et tristesse

ainsi que joie

car ce qui vient en songe accorde le pardon

 

 

 

 

Bip

 

c’est la nuit 

et aux bois d’alentour

un oiseau fait appel à sa belle

patiemment

 

il n’est pas grand musicien

elle non plus sans doute

il ne lui intime qu’un bip

répété répété 

 

alors elle vient

à moins qu’elle ne se lasse

et s’en aille chasser

une autre fois peut-être

 

j’aime la nuit

l’oiseau qui ne se lasse

le souffle qui le porte

et la vie à voix basse

 

 

 

 

Danse du sable et de l’eau

 

je lève les mains, je touche le sable

je danse

ô ciel immense

je bois la vague, enfance

infatigable

 

je suis le fils, l’enfant de l’eau c’est moi

ma mère

enfance amère

me noie, elle m’aère

il pleut là-haut

 

il n’est de ciel que d’eau, danserez-vous

en transe

le sel m’encense

le ciel, chaude présence

se mouille à nous

 

 

 

 

Chante !

 

rien n’est plus beau

que les chants de la douleur humaine

plus encore que les chants du bonheur

 

rien n’est plus beau

que les chansons qui consolent au soir

que les refrains qui réchauffent les âmes

 

rien n’est plus beau

que les péans des combattants qui sauvent

et les regards de paix des survivants

 

chante, toi qui pleures

afin que ce monde perdu s’émeuve

et que l’humain s’éveille un clair matin

 

 

 

 

Regret

 

des étés on en a vu

des beaux ciels à bébé

des marie-couche-toi-là

sorties des roses

étés à la demande

oubli des vents d’ailleurs

 

souviens-toi mon amour

tu n’aimais pas cela

non

ni les hivers à dents noires

à cheveux de varech

leur neige même en gris

 

on aurait dû l’inventer

le printemps

il n’aurait pas dit non

ni l’automne en casquette

tiens

on aurait eu les temps

 

 

 

 

Parabole du platane 

 

une allée de platanes

des deux côtés

alignés tous les dix mètres

comme font les humains

mécaniques

 

mais sous terre tout du long

deux chaînes de racines liées

et d’un côté à l’autre

d’arbre en arbre

ce même lien

 

pour les platanes la vie

est ce lien

un seul arbre enfoui 

et mille expériences feuillues

qui prennent aussi l’air

 

 

 

 

Caillou

 

il marche avec sa tête

il marche dans sa tête

pleine d’images

 

et ses jambes s’oublient

et ses pieds

et s’il trébuche où ira-t-on ?

 

pense à tes pieds 

à ce méchant caillou

celui qui roule

 

et si tu tombes où s’en iront

mortes en chemin

en tête les images ? 

 

de quel ventre inventif

de quel désir

est sorti ton chemin ?

 

 

 

 

Nuées

 

le sol ne tient plus

la maison se disloque

fissures puis lézardes

ouvertures hagardes

dans les combles du vent

 

venu le temps

où l’osier est plus sûr

l’herbe tendre au pied nu !

veiller au scarabée

et entrer dans les arbres

 

comment se cacher

entre les nuées

les ciels d’améthyste ? 

déshabités

dans l’immensité

 

 

 

 

Qui tient

 

du fruit

la pulpe fait plaisir

ou bien rebute

c’est le noyau qui tient

 

aussi la chair

que l’on caresse

ou que l’on blesse

le dur qui tient c’est l’os

 

l’âme qui tient

 

 

 

 

Randonnée

 

il a plu ce jour

de la boue sur les talons

bienheureux le vent

 

sorti de la ville

on frissonne sous la pluie

averse choisie

 

une pluie d’été

l’estomac dans les talons

vienne une accalmie

 

tiens ça dégringole

longue marche au ciel trempé

repas chaud ce soir

 

 

 

 

Départ

 

à peine avais-je pour toujours abandonné la maison

elle s’est lézardée

elle s’est lâchée

 

à peine avais-je pour toujours dit adieu au grand cèdre

il s’est effondré

lui que j’aimais

 

à peine avais-je tourné les pieds qu’ils ont dû m’en vouloir

et finir d’espérer

je m’en allais

 

 

 

 

Canicule

 

entre deux murs une venelle

à l’ombre déjà

et une chaise à dessein postée là

chaleur tout autour

comme une huile de vidange

épaisse, lourde et noire

 

mais là un souffle

comme la main d’une amante

frais et ténu et qui suffit

contre toutes les fournaises

une assise là

et juste un souffle

 

passé entre deux murs

je n’avais plus soif

frais comme une éponge d’autrefois

et bien allant

comme un grand vent de mer

pour marcher

 

 

 

 

En ce temps-là

 

Il y a longtemps de cela

il était là

tu ne le savais pas

 

En ce temps-là tous les boiteux

les estropiés les malheureux

les paralysés, les lépreux

les aveugles et les gâteux

tous ces gars-là venaient à lui

ils repartaient sains et guéris

 

En ce temps-là les pauvres filles

filles de joie comme on disait

pleuraient les larmes de leur corps

leur corps vendu et profané

redevenu digne d’amour

redevenu temple de Dieu

 

Et les acheteurs et les vendeurs

les raisonneurs

lui ont pas pardonné

 

 

 

 

La joie

 

il cherchait la joie, la demandait

il le sait maintenant

elle n’apparaît qu’en des instants fugaces

mais vrais

comme l’imprévu d’un hiatus 

un temps d’entre deux temps

(les temps pouvant se disjoindre)

 

tu marchais

l’air t’enveloppait, te frôlait

devenu souffle, se faisant brise

et là tu t’arrêtes

les arbres sont des arbres, les fleurs des fleurs

et tu t’arrêtes

 

la joie en moi

en un pur apaisement

la poitrine exultant

reconnaissant

ne sachant que faire d’autre que rire

les oiseaux se taisant

puis je repars enveloppé du vent

 

 

 

 

La poésie s’est envolée

 

« Quand le Divin a fini de parler dans l’Écriture,

la poésie commence. »

Erri de Luca

 

il arrive que la poésie se taise, honteuse

elle n’avait pas entendu ce que disait le maître

elle n’avait pas écouté, elle restait coite

toute rouge

avec ses nattes bien serrées pourtant

son petit col amidonné

son tablier rose et ses socquettes blanches

ses souliers cirés bien noués

 

vous me ferez cent lignes avait dit le maître

cent lignes ce n’est pas de la poésie, c’est du recopiage

la poésie s’est sauvée

avec ses ailes amidonnées, son luth aux cordes rouges

à force d’être pincées

et ses pieds de iambes entrecroisés

ses histoires à rire et à pleurer

la poésie s’est envolée

 

toute la classe a respiré, partie la petite bêcheuse

pour qui se prenait-elle

chouchoutée par le maître avec ses airs de sainte-nitouche

on allait pouvoir travailler

sérieusement s’emmerder, le crayon mâchonné

mais on avait oublié le poème

rêvant au fond, près de la fenêtre, de l’encre sur les doigts

cheveux embroussaillés

 

 

 

 

Évêques

 

dans le ciel bleu bleu bleu

quelques nuages blancs 

le vent est leur maître, ils ne sont que vapeur

c’est pourquoi je les aime

on a toujours raison de contempler là-haut

ces avaleurs de vent sur la mer translucide

 

ils nous parlent de pluies promises pour plus loin

le souffle qui les mène les sculpte par instants

transformés en troupeau comme brebis fantômes

en armée démunie, en nuées assombries

en bêtes malfaisantes, en ombres maudissantes

(le vol de l’hirondelle effrange alors la cime des forêts)

 

humains aussi parfois, nuages effigies transmués en gisants

longs évêques allongés s’avançant pieds devant

la mitre effilochée

austères, en partance vers les prairies célestes

monde mouvant

quand un coup de vent les transforme en serpents

en dragons bénissant

chimères au-dessus de nos têtes rêveuses 

 

ombres éphémères s’en allant

ainsi peut-être les gens

 

 

 

 

Chaînons

 

la chaîne faite par orfèvre

ses chaînons peuvent s’ignorer

étrangers l’un à l’autre

la chaîne même ronde

n’a-t-elle pas de sens ?

 

mes jours te portent

et chacun d’eux t’ignore

dispersés par le vent

l’odeur du lien demeure

avant de s’évanouir

 

un matin l’on s’éveille

sentant l’odeur étrangère

on l’imagine toute à soi

c’est le rêve de la nuit

c’est ton souffle de la veille

 

 

 

 

Samedi matin

 

Samedi matin assez tôt j’ouvre les volets

la place est calme, pas un bruit hors le bruissement des platanes

comme disait un homme arrivé trop tôt, le monde il est pas

 

au fond, entre la poste et l’école, un grand espace est libre

la route le longe,  puis le moutonnement des bois s’attaque à la colline

au loin, tout en haut, maître des lieux, un if

 

sur la route, de gauche à droite passe un humain

il disparaît derrière l’école 

puis un corbeau, de droite à gauche, vers la poste

 

tous les volets sont fermés

passe un moment, une porte s’ouvre

une jeune femme, son chien tenu en laisse, traverse la place en silence

 

impavide, là-haut, se tient déjà le soleil

côté cour, côté de l’ombre sur les murs

c’est du côté jardin que viendra le soir, journée passée

 

je sortais de la nuit et voici que j’y vais, le temps d’un tour

samedi traversé, bienheureux jour de vide et de silence

demain c’est le dimanche

 

 

 

 

Rébecca

 

Celle qui me donnera l’eau

disait-il sera celle

que mon seigneur envoie chercher

pourvu qu’elle soit belle !

  Voici l’Esprit

                                                                                                                         

Vers elle un jour ira le fils

et se voilera-t-elle

émue de le voir approcher ?

Je la devine telle

  Voici l’Esprit

 

À la source le messager

lui dira « Demoiselle

le maître veut une épousée

et c’est toi que j’appelle ! »

  Voici l’Esprit

 

Ma mère il faut que je m’en aille

j’entends battre les ailes

du vent d’ailleurs à me toucher

mon cœur à lui se mêle

  Voici l’Esprit

 

Je fus à la claire fontaine

à la source fidèle

et ne saurais me détacher

de la soif qui vient d’elle

  Tel va l’Esprit

 

 

 

 

Jour

 

il y eut un jour

il en est peu dans une vie

longue soit la vie

un seul parfois

 

il y eut ces jours

où se mirent en place

en place toutes choses

et t’enrôlèrent

 

il y eut le jour

où s’enroulèrent

comme un ballot de nippes

tous les parcours

 

en un tel jour

tu ne vois pas la sente

en l’ombre devant toi

où tu marches pourtant

 

en certains  jours

où se presse la fin

se tresse de tous les brins

rien n’importe enfin

 

au demi-jour

après voilages et feuillages

tu peux apercevoir

un visage

 

venant au jour

l’espace enfin devient séjour

ainsi vas-tu

pourquoi broncherais-tu ?

 

 

 

 

L’étrange

                                   à Rafilipo

 

il riait comme un cheval

les dames se retournaient

 

j’aimais cet homme étrange

pareil aux vieux poèmes

 

quand les morts lui parlaient

quand il parlait aux morts

 

les os se retournaient

dans les tombeaux de pierre

 

il disait des secrets

dans sa langue inventée

 

les femmes caressaient

lissaient son crâne d’os

 

et pour les oiseaux du ciel

son épaule était amie

 

 

 

 

Au front

 

au front aucun doute

dans cette boue humaine

et ce vacarme humain

dans la sanie humaine

sous les bombes mortelles 

le courage fou des humains

la folle peur des humains

leur frénésie

disent tout de l’humain

l’humain

privé de son amour

 

 

 

 

Chœur

         À Míkis Theodorákis, i.m.

 

il est un chant qui monte dans la rue

qui l’entend pourra s’en émouvoir

et ton cœur sait bien qui le chante

 

dans le noir une voix s’est levée  

qui l’écoute pourrait pleurer de honte

c’est ton frère et tu l’entends chanter

 

dans le ventre des gueux il est une chanson

dans leurs jambes se meut une danse 

dans leurs mains se glissent des barreaux

 

où est-il, ma mère, cet oiseau rouge et noir

qui planait au-dessus des eaux ?

où est allé le souvenir des hommes ?

 

 

 

 

Mon ombre

 

je dois vous dire que la nuit

je le sais, mon ombre disparaît

comment reconnaître alors

où se tient mon soleil ?

 

je sais pourquoi, la nuit

enfant j’avais peur du noir

pas d’ombre sans lueur

sans l’ombre quel espoir ?

 

la nuit plus de repère

disparue ma profondeur 

sans l’ombre comment croire

qui règne en ma nuit noire ?

 

 

 

 

Serait-ce un peu

 

mais si je devais vivre encore

serait-ce un peu

ne parlant guère du passé

comme font les vieux

je raconterai je dirai

les beautés des moments à venir

au-delà du malheur

plus loin que la peur

                                           

je dirai les matins en gloire

les soirs de paix fragile

les garçons et les filles

pour chanter leurs amours

après toute laideur

 

plus loin que les tueries

au-delà des offenses

je dirai la beauté  

dans l’odeur du jasmin

la salure de la mer

les délices de la peau

le chant des grandes eaux

la danse des moineaux

 

je ne dirai du passé

que le courage des humains

l’amour des miens

et pour le temps qui vient

le bonheur têtu de vivre

 

 

 

 

Les trous et les éclats

 

la robe de l’angelesse était pleine de trous

robe que les étoiles, les soleils ont ruinée à l’usage 

les puissances

elle qui détenait en ses mains en sa bouche et son cœur

les mille et une justesses semées au jour le jour

nuits et matins lourds

 

mais elle a dit

 

pour filles et garçons, pour les hommes, les femmes

cœurs sans ruse, aux mains de cuir tanné

mains au lavoir ébouillantées

souliers lourds, cannes familières, mouvants dentiers

têtes lourdes enrubannées de soucis, de graves pensées

 

elle a dit l’amour

dans leur ventre mis l’espoir, attente rude, fier regard

par les éclats de sa robe, éclats d’un monde heureux

pour eux

 

de là le courage 

 

 

 

 

Pâques

 

Une porte est ouverte

le monde n’est pas fini, l’univers n’est pas clos.

Imaginez une existence avec une porte ouverte à l’intérieur...

 

Vous êtes à l’entrée, juste au seuil

aventure inouïe d’une vie autre

découverte des ailleurs

 

– Je fais du neuf, dit Dieu, je vais plus loin

je dis oui à l’aventure, je dis oui à la bonté, je dis oui à la beauté

oui à la justesse, à l’élégance de la vie

je dis oui au combat !

 

 

 

 

Leurs savoirs

 

commande commandera

ce sont les messieurs

leur savoir et leurs sous

chacun le sait depuis l’enfance

et au-delà

 

le savent hommes et femmes

avec leurs mains et leur savoir

leur infini courage

leur colère concentrée

tout en dedans

 

 

 

 

Le soldat et sa fleur

 

Le soldat était sale     couché dans la boue

il tenait chaud à la terre     elle dégelait

il était là depuis longtemps     sans bouger

la boue rougissait     il saignait     le sang coulait

un éclat dans la cuisse     plaie ouverte

il s’enfonçait dans cette soupe de terre noire

boueuse     et de glace fondue et de sang

 

le plus souvent il dormait     il somnolait  

sans souffrir     le froid l’en protégeait

un rêve le tenait éveillé     même à moitié

le rêve d’une fleur émergeant de la boue

à demi gelée     vivante     crasseuse et flétrie

d’autres aussi     un peu plus loin     éparses

la fleur était proche de sa main     une main 

rougie de froid et de sang     à demi gelée

et la fleur était bleue     d’un bleu tendre et terne

un bleu-roi de ciel ouvert     sous un ciel mort

 

le blessé cherchait dans sa mémoire

il voulait se souvenir du nom de cette fleur

il se disait     quand je l’aurai trouvé je mourrai

trop fatigué    tranquillement je partirai

tout était clair dans son rêve de fleur perdue

puis il s’est éveillé     non     il n’avait pas rêvé

la fleur bleu délavé était là     à sa main

elle n’avait pas disparu     et son nom     bleuet 

 

les sauveteurs sont arrivés     ils se sont évertués   

ils ont écrasé la fleur     alors il est mort 

 

 

 

 

Ritournelle

 

La Lulu

n’a pas bu

l’eau du ru

y en a plus !

 

et Josette

l’a perçu

menues bêtes ?

disparues !

 

Janicot

s’est émue

d’asticot

y en a plus !

 

Isabeau

est déçue

les moineaux ?

disparus !

 

Jeanneton

n’a pas vu

d’hanneton

y en a plus !

 

Marylou

l’a pas su

le hibou ?

disparu !

 

À Margot

n’a paru

d’escargot

y en a plus !

 

Jacqueline

t’as pas chu

sur l’hermine

disparue

 

Émilie

a voulu

voir la pie

y en a plus !

 

pour Mireille

c’est foutu

les abeilles

disparues

 

 

Ah la la ! le sais-tu ?

tout cela ? c’est perdu !

 

 

 

 

Le sabot du cerf (cinq dires)

 

comme le monde en marche, allant

laisse un temps jouer sa roue

pour qui l’écoute

 

ainsi avance le poème

silence percé de trous

 

 

visage rond

qui n’est que rond

visage long

qui n’est que long

 

                                                                            qui dira l’or

                                                                            caché au fond ?

 

 

c’est le silence

comme une nuit, comme une paix

 

quand cesse le silence

reste un voile sur le monde qui bruit

 

le monde existe

 

 

en mouvement est le poème

fermé ou non sur soi

 

comme le monde

troué ici ou là

 

 

le cerf n’a pas besoin de voir

où son sabot se pose

il le sait

 

au monde

que de mystères !

 

 

 

 

Le mensonge

 

qui es-tu, on me demande

si je voulais je ferais comme les autres

je mentirais

je dirais qui je suis pour les gens

nom prénom date et lieu de naissance

ça suffirait

 

là ne se tient pas le mensonge

mais plus profond

qui règne dans le silence et l’oubli

dans ce qu’on ne peut pas dire

il se tient à ton insu

dans l’indicible et l’impensé

 

quelle importance ?

il ne te revient pas de te nommer

en vérité

car plus profond encore

et plus avant

un autre s’en occupe

 

 

 

 

À Magdala

 

Possédée

elle se souvient de tout

s’est toujours souvenue

amour jamais effacé

pourtant brusquement arrêté

 

c’est lui qui l’a laissée

abandonnée pour suivre son chemin

mourir à cet amour

et quand il est revenu il ne l’a pas touchée

elle n’a pas reçu la grâce d’un baiser

 

se reverront-ils ?

est-il heureux de son attente ?

elle se le demande

tant de démons le lui demandent

viendra-t-il seulement ?

elle attend 


 

 

 

Dix bulles au hasard

 

chemin de terre choisi

courir souffle rendu

pour aller où ?

 

                                             tu occupes le terrain

                                             l’indigo du ciel tourne au mauve

                                             toi tu parles

 

restent les mésanges

les autres ont foutu le camp

les oiseaux

 

                                             éviter les rues

                                             prendre les venelles furtives

                                             on s’y rencontre sans faire exprès

 

sous ce grand soleil

il fait très froid

comment faire confiance ?

 

                                             quand hier devient demain

                                             que d’ennui

                                             mais l’amour éveille encore

 

en vélo il tire un cheval

avec une corde

le cheval imagine l’inverse

 

                                             on ne meurt pas pour une cause

                                             mais pour des gens

                                             arrivé là

 

prendre son temps

chaque pierre tombe à l’eau

autant qu’elle éclabousse !

 

                                             on a tout dit de tout cela

                                             de plus encore

                                             j’en tire ici un résumé succinct

 

 

 

 

Religion

 

les belles choses

aux yeux des gens ont du prix

et les violents s’en emparent

recherchant le prix sans saisir la chose

mais l’ayant investie ils font d’elle

ce qu’ils valent, la violence et le mal

et parfois même la beauté du mal

mais le pauvre cherche la chose

sans prix

 

 

 

 

Dieu ma voie 

 

ma voie justement n’est pas la mienne

elle est un flux, un courant

 

avançant je me démène dedans

ou reculant

 

un courant qui traverse les mouvances

des univers, des temps

 

un flux dont l’origine se perd dans l’hier

et la visée, demain

 

me suis-je mis dedans, m’y a-t-on mis

j’y nage, pas content, content

 

à l’aise pourtant

mêlé aux croisements des temps

 

et je dis à ma voie, veux-tu rallier

un jour un océan de paix ?

 

je crois qu’elle s’y efforce en son désir

elle que je crois désir

 

mais elle ne répond pas

mon chemin aime qu’on le devine

 

 

 

 

Non

 

au petit détour du matin

j’ai toujours su qu’en moi

un noyau lourd et dur

disait non

 

noyau de paroles dites mortes

où des voix très chères

des voix très proches

disaient non

 

au soir je les ai retrouvées

miennes autant que la mienne

contrepoint de chaque heure

disant non

 

et je m’entends parfois

dire leurs mots qui sont miens

car un oui de pure vie

dit ce non

 

 

 

 

Il a faim

 

il a faim

je dois dire

il faut partir de là

 

il s’agit de l’humain

de tout l’humain

il a faim

 

faim de pain

aussi faim de rire

l’œil rouge de vin

 

et faim d’amour

homme et femme

faim de joie

 

il a faim l’humain

faim de paix

et d’amitié

 

faim d’œuvres à créer

faim de travail

et de beauté

 

et je dois dire

faim de sens

pour être vrai

 

faim de pourquoi

moi l’humain

et de réponse 

 

besoin d’un chemin

d’une voie pour aller

avancer

 

et que roulent

comme un torrent

et justice et justesse

 

 

 

 

L’orage

 

ici assez d’eau

notre bouche est amère

bienvenu soit le temps de la fête

 

venu l’orage, le grand, venue la pluie

passé le vent, allé plus loin

un peu d’eau coule encore

 

l’orage a filé vers son maître

le fleuve appelle à sa bise

le fleuve a crié vers le vent

 

l’eau du bas s’assoiffe vers l’en-haut

le ciel la couvre

chiens du haut, filez

 

danserons-nous, aimerons-nous

mangerons-nous et boirons-nous ?

on dit les yeux du messie rouges de vin

 

 

 

 

Ouverture

 

tenez, dit Dieu, ce n’est pas tant l’année

qui s’ouvre

mais peut-être vos yeux et peut-être vos mains

et tenez, votre cœur, même

et vos entrailles

 

et si m’en croyez, alors vous verrez

vous serez étonnés

moi-même je suis étonné, dit Dieu

quand je vois la bonté, et la beauté, et l’amitié

et l’aménité sur l’année

 

le mal, ça ne m’étonne pas

ni la brutalité, ni la méchanceté, ni la cruauté

non, mais la rose sur le fumier

elle m’étonne, tenez

elle me fait pleurer

 

 

 

 

Choisir

 

sans pathos

de façon très pratique, s’aimer

 

 

l’année, direz-vous, fut mauvaise

qui s’en va

je vois plutôt que cette année

nous montra

ce qui se tiendra devant nous

qui viendra

et qui n’a fait que commencer

 

 

quand sont mis

devant eux la mort et la vie 

les humains

choisiront-ils la mort demain 

ou s’aimer

 

 

 

 

Je suis venu

 

tu attends que je vienne ?

je suis venu

avance toi vers moi

ta vie est dans la mienne

 

je suis venu

pour toi, pour l’univers

espère-moi

je viens, ne le sais-tu ?

 

le temps de ma présence

de mon absence

de ma venue

font un seul temps de vie

 

je viens encore en toi

je suis venu

ces deux fois n’en font qu’une 

à venir comme advenu   

 

avance encore, avance

tu vas vers l’inconnu

tu vas me trouver nu

je suis venu

 

 

 

 

Devenu vieux

 

ne cherchez pas

c’est une guêpe aiguë

elle pique comme on mord

rien d’autre, un remord

un regret vous agresse

mauvaise pensée triste

et noire une aile passe

un corbeau, un mainate

rabâche vos méfaits

une ombre survenue

les efface sans hâte

devenu vieux

 

 

 

 

Un qui passe

 

un étranger sur le chemin

un autre que les autres

est passé tout à l’heure

 

or voici que j’aime

ceux qui passent

 

homme, où vas-tu danser

quel bal, au bout de ce chemin

quelle aventure ?

 

rester ici le cœur me pèse

il faut que j’aille un peu plus loin

 

je veux le vent, je veux le large

je veux braver l’immensité

fut-ce la noire immensité

 

dans les abîmes pour m’ancrer

aucun bateau n’est au mouillage

 

qui lui rendra ce que lui-même

aura perdu ?

 

 

 

 

Aller

 

mon corps est un tamis que traversent les ondes

mon cœur est un foulard que transpercent les vents

 

et trembler, frissonner, tu vois filer ma vie

 

mon corps est un taillis que les gelées parcourent

mon cœur est un hallier que les bises rebroussent

 

mais chanter, fredonner, tu allèges ma vie

 

mon corps est un estran que les noroîts survolent 

mon cœur est un hiver que les printemps délivrent 

 

s’abandonner, aller, tu fais vibrer ma vie

 

 

 

 

Tu te tais

 

entre toutes les rapidités

les fureurs, les fracas

affolements de foules effrayées

ou rires exagérés

trombes ou traversées de foules

 

tu te glisses

tu es la couleur du silence

 

interstices de peurs

intermittentes colères exténuées

rages et tendresses cependant

souffle des soulèvements

misères

 

tu vas sans bruit

est-il important que l’on t’ignore ?

 

 

 

 

tel quel

 

au fond, ça marche tout seul

ce truc-là, la poésie

suffit d’écouter le silence

la nuit

 

en toi, le silence, faut dire

n’existe pas

ça n’arrête pas de parler, là-dedans

 

alors si tu écoutes bien

tu en apprendras, des choses

que tu ne savais pas

de toi

 

que tu ne peux dire

aussi

tant il en est

du monde et de là-bas

 

 

 

 

Impoli

 

j’ai déjà vu un ovni, si si

et rencontré un ange aussi

 

faits réels à ne pas dire

choses qui font sourire

 

car l’inconnu dans la maison

fait sourciller la raison

 

 

 

 

Dans le noir

 

cette nuit-là, dans l’ombre 

j’ai discerné la rougeur d’un tison

la crête rouge de l’oiseau du matin

brasillant dans le noir

 

crois-tu vraiment, m’a-t-on dit

voir autre chose que la nuit

au travers de l’obscur et après lui ?

sombre est le monde où tu vis !

 

j’ai dit non, il me faut 

avant toute lueur mensongère

percevoir dans le noir

la crête rouge de l’amour et de l’espoir

 

car il se peut que les yeux agrandis

les yeux noirs des enfants de la nuit

des enfants à l’avenir volé

annoncent des vies étoilées

 

que leur mère leur apprenne

le sourire après la peine

et que l’humain soit promesse

un peu serait-ce

 

 

 

 

Non

Réformation

 

tu dis non comme un fusil

tu dis non

tu cloues sur le mur le Non de ta jeunesse

tu colles sur le mur l’affiche de ta jeunesse

on te dit viens tu dis non

on te dit que valent et que vaudront

tes brèves vérités contre le vrai

bonheur d’être ensemble et tu dis non

homme libre tu dis non

l’amour d’un Seul est ta raison  

 

in memoriam Martin Luther

 

 

 

 

Ainsi parfois

 

ainsi parfois le vent se lève

et le mot vie se pose sur ta bouche

mot de feu

 

les temps remuent, les esprit bougent

les ifs du jardin en vivants se muent 

plus de tombes

 

là tout se met en mouvement

comme les mois et les années qui passent

et les jours

 

et tous ont à cœur de parler

aussi tous les mots et toutes les phrases

les oracles

 

ainsi parfois souffle un esprit

et la poitrine et le cœur se dilatent

vient le jour

 

 

 

 

Plongées

 

un jour peut-être, un autre jour

nous aborderons la lèvre des lacs noirs

et nous camperons là comme on campe

pour avoir été chassé d’un ailleurs

 

au bord des lacs noirs avant d’y plonger

nous allumerons des feux et nos visages

rougis par le feu de l’amitié se contempleront

dans la chaleur d’un sourire

 

toujours à nous se rappellera ce moment

où nous nous aimions au bord des lacs noirs

avant d’entrer vers l’inconnu

dans le dénuement, la nudité de l’amitié

 

notre souvenir, caduc, aura-t-il disparu

ou bien sur l’autre rive des lacs noirs

sortirons-nous lavés après longtemps

pour tant d’autres aventures ?

 

 

 

 

Rêve de marche

 

J’étais assis sur le pas d’une porte

je regardais passer les gens   

leur mot d’ordre était ″colère″ 

les maisons bâties en paix

semblaient courroucées, volets fermés 

et les gens qui passaient me regardaient fâchés 

leur regard me disait marchons marchons 

ils ne dansaient pas de joie

contents de marcher ensemble

le cœur en joie

non ils m’en voulaient

je ne répétais pas leurs dires de marche pour aller où ?

et comme ils ne savaient pas où aller pour marcher marcher

ils ont compris

c’était contre moi qui ne marchait pas

qu’il fallait se tourner

et ils se sont massés devant moi

qui étais assis sur le pas d’une porte car j’avais mal aux pieds

et qui les regardais passer

et ils m’ont tué

soulagés

 

 

 

 

Mon amour s’est levé

19/09

 

lève-toi

mon amour s’est levé

mon amour est devant

 

les injustes ont crié

ils ont maudit

levé la main

 

souris

ouvre ta main

 

sur leur fer

sur leur colère

laisse couler les larmes

 

regarde leurs visages

c'est nous peut-être

 

avance

nul n’est exempt de haine

nous sommes aussi ceux-là

 

que sa ville ne te charme

il n'y est pas

 

il s'en est allé

les royaumes écroulés

il vivra

 

il a su tuer en lui

la force du combat

 

 

 

 

Par la fenêtre

 

je suis assis, j’écris

je lève la tête, je regarde par la fenêtre

elle est grand ouverte

 

elle cadre un espace étranger

une autre réalité 

un dehors

 

on voit loin, au-delà des maisons

on voit les arbres, vie multiple

platanes, mûriers ou fayards élancés

 

et plus loin, dans un effet de brume

comme un voile léger

les collines, brousse mouvementée

 

elles vont loin

mais plus vaste est le ciel

autre monde encore 

 

rarement traversé, rarement peuplé

habité de quelques nuées

un autre monde

 

et toi, où es-tu ?

 

 

 

 

Deux rois

 

la légende légère

par les bois par la lande

courait citant deux rois

 

deux rois qui désertèrent

foulant au pied les lois

ainsi dit la légende

 

 

parut un jour un roi

assis dans la poussière

ne parlant que d’effroi

 

parut un jour un roi

qui écrivait par terre

qui renversait la foi

 

on les disait prophètes

ils prédisaient la guerre 

la chute de nos pierres

 

on les chassa sans peine

avant que tout ne vienne

on chassa la défaite

 

ce furent jours de fête

nos murs se relevèrent

la guerre se calma

 

 

ne croyant pas cela

nous écoutions le bruit

le son du cœur qui bat

 

c’est le cœur de la terre

le songe de la nuit

les mots vrais qui libèrent

 

 

 

 

Mariam âgée*

 

j’aime imaginer Mariam

sur une canne courbée

Mariam une vieille femme

voyant mal et dents tombées

 

elle aura vécu longtemps

chez l’ami de son fils mort

il la traite tendrement

lui parle du temps d’alors

 

bien des femmes de son âge

ont vu leur fils crucifié 

et ne seront, quel dommage

comme elle ainsi consolées

 

parfois l’ami lui rappelle

ce qu’il a vécu, et cru

tombeau vide bien réel

et corps vivant qu’il a vu

 

elle le sait et le croit

pourtant, non sans embarras

elle aimerait mieux, ma foi

tenir son fils dans ses bras

 

des rêves l’ont étonnée

car c’est elle qu’elle y voit

jeune, belle et couronnée

l’enfant blond lui semble un roi

 

on ne peut dompter un rêve

se dit-elle un peu gênée

simple bulle à la vie brève

suffit de s’être donnée

 

autrefois elle a dit oui

comme elle était jeune alors

en son cœur elle a enfoui

ce bonheur tel un trésor

 

elle avance vers la mort

elle y pense bien souvent

bienheureuse de son sort

s’être ouverte au dieu vivant

 

* Dans les langues bibliques, hébreu

et grec, Marie se dit Mariam.

 

 

 

 

Le prunier d’Aline

 

le prunier d’Aline

a perdu toutes ses feuilles

couchées dans l’herbe rousse  

on ne sait ce qu’il deviendra

laid tout nu, il ne respire pas

noir écrit dans le ciel du soir

c’est une année, la nôtre, sans avenir

et trouvera-t-il assez de racine

au monde qui vient

un de ces jours à naître

pour repartir

ou devra-t-on l’abattre, se passer des oiseaux

des merles et des moineaux

attirés par ses prunes ainsi que les enfants 

bruissement d’ailes et mille rires vibrants

le prunier d’Aline, il faudra qu’on y pense

le voudrait-on voir reverdir

vie nouvelle, notre monde à venir

et produire, source de plaisir

un nouveau devenir 

 

 

 

 

Sud

 

c’est un village qui a deux mains

sa main fermée se serre sous les pluies

seaux d’eau longtemps jetés à la face des villages

et tu vois que ce pays est clos

 

et toi venant de lieux qui connaissent en la pluie

l’occasion de maisons chaudes

et de flambées et d’alcools

et de longs parlers d’amis

tu vois la rue torrent boueuse et dévalant

rouge comme une plaie d’Égypte

et le village ne sait plus vivre avec les autres

 

perdu le grand témoin là-haut

qui marque en bas les heures d’ombre

les vieux maudissent sous le rideau

 

avec un visage de vent le village vivra

main ouverte et tu verras

sa paume ne veut rien garder mais elle envoie

sa fleur offerte au soleil rebroussée par le vent

à l’odeur bonne

 

 

 

 

Fuite

 

un jour un jour tu diras

enfin te voilà

fini le combat

        j’attends cela

 

j’attends le jour ce jour

où tu m’attendras

des fleurs alentour

            et dans tes bras

 

image naïve il est vrai

carte postale d’anciens jours

amour amour à jamais

            et cœurs lourds

 

j’invente tout cela

je ne sais où j’en suis

tu me manques et voilà

            mon temps s’enfuit

 

 

 

 

Cyprès

 

Il y avait ce lointain jour

un peu de brume entre mes pieds

de la douleur éparse autour

sans se renier

 

Je t’ai portée d’entre mon cœur

au par devant de mes cyprès

et je t’ai dit dans ma douceur

va-t’en d’auprès

 

Tu m’avais dit garde l’amour

alors tu t’étais éloignée

il reste pourtant ce vol sourd

d’oiseaux saignés

 

 

 

 

En marchant

 

marchant bon an mal an

habité de questions

habillé de raisons

j’oublie le vent

 

je porte ainsi le temps

passant inessentiel

sous les oiseaux du ciel 

croisant les gens 

 

et les imaginant

j’invente des histoires

saugrenues, dérisoires

en attendant

 

 

 

 

Le livre des Nombres

 

Je fus un jour jeté

entre quatre étoiles

et cinq comètes

chevelues

je fus un jour jeté.

 

Je fus un jour perdu

parmi deux mille rues

trois mille routes

incongrues

je fus ce jour perdu.

 

Je fus un jour blessé

aux quatre cent trois piques

aux carreaux du chemin

aigus

un jour je fus blessé.

 

Je fus un jour parlé

deux et trois mots

déliés et liés

inconnus

je fus parlé un jour.

 

 

 

 

Plus encore

 

maintenant

ta main tenant

cela que tu tiens

que tu tiens dans ta main

 

tout cela qui est là

à ta main

le monde qui est là

où tu vis

 

tant que tu tiens

jour qui dure

durant, durant le jour 

maintenu trop court

 

allonge-le, allonge

ce jour, hui, trop court

dis alors aujourd’hui

maintenant le jour tenu

 

et plus encore

pour que dure la vie

dis encore

au jour d’aujourd’hui

 

que tu ne meures

 

 

 

 

Le poste de TSF

 

au soir on allumait le poste

chacun faisait silence

pour soi seul

mais ensemble

 

on se tait

on se cache ainsi parfois

ou l’on se relie

tous ensemble

 

un ange passe

moment de profondeur

où chacun s’abolit

mais ensemble

 

poste allumé qu’on se taise

on parlerait

sans se parler au fond

ensemble

 

 

 

 

Dires

 

Si le dire a du sens

il n’est de dire qu’une caresse

il n’est de dire que d’une fleur

il n’est de dire que d’un bon goût  

il n’est de dire que d’un regard

il n’est de dire qu’une écoute

et je n’ai que cinq sens…

 

 

 

 

Comme nous

 

les arbres

par la racine

s’entendent

et se soutiennent

racine vive

 

ainsi s’élèvent-ils

ainsi produisent-ils

allant fouiller

le riche de la terre

 

enracinés trop peu

pris d’enthousiasme

allant trop vite

au premier vent

ils tombent

 

si jeunesse savait

point de chute

si vieillesse pouvait

plein de fruits

l’arbre vit de raison

 

 

 

 

Pâques, chanson

 

le cadavre enterré

dans un jardin tranquille

le corps du mort serré

en des hiers stériles

 

ces jours étaient les pires

y venait affleurer

l’abîme et son empire

venu nous effleurer

 

le mal était plus fort

la vie l’a emporté

le vivant était mort

il marche à nos côtés

 

la pierre qui s’efface

et le mur qu’on franchit

un souffle neuf qui passe

un corps qui s’affranchit

 

il mange mains percées

on voit le coup de lance

il marche pieds troués

devant nous il avance

 

c’était un jour à rire

à ne plus se leurrer

un jour à tout se dire

à rire et à pleurer

 

 

 

 

Le cri

 

au fond de moi le souvenir des bombes

au fond de moi naît le bruit des combats

au fond de moi sont des morts qui s’empilent

 

il faisait beau il faisait chaud c’était l’été

le printemps vient c’est un hiver les gens mouraient

les tués les corps au sol comme des paquets

les oiseaux se taisaient les corbeaux attendaient

 

grincement des chenilles les tanks ont avancé

regarde dans les champs le vert tendre du blé

les chars t’ont labouré la boue t’a dévasté

pas de pain cet été le blé assassiné

 

les femmes sont parties et leurs enfants aussi

un seul resté ici qui regarde a compris

tout ce deuil est le fruit d’un grand amour détruit

 

au fond de lui les pleurs ont resurgi

au fond de toi tu vois l’humain qui gît

au fond de moi le cri

 

 

 

 

Au peuple démuni

 

ce qui est dans ton cœur est plus grand que la mer

c’est pourquoi tu fais peur, ô peuple démuni

à toi-même tu fais peur

car au bout de ta nuit crèvent les veines, coule le sang

quand devant toi le monde devient rouge

quand ton désir est grand

quand tu ouvres les portes à ton envie de vie

à ton rêve, ô nuit

et tu ne sais alors ce que tu enfantes

vers où t’emportait ton ennui

 

chante ô ma nuit quand le rêve se lève

quand se tient près du lit l’esprit qui te veillait

c’est ton plexus qui cède et fait mourir l’angoisse

elle s’évanouit

te voici comme une veste ouverte qui habite le monde

et veut le revêtir

ton désir est un cogneur, et c’est lui qui te frappe

c’est lui qui s’écorche les mains

et s’il t’a mené un jour vers toute justesse  

qui peut le retenir ?

 

 

 

 

La pluie est là

 

au fourmillement des gouttes

sur les toits

tu l’entends

en pluie fine et obstinée

vient le printemps

cette année le voici modeste

faire apparaître d’un coup le renouveau

fleurs et bourgeons

lui serait trop facile

trop m’as-tu-vu

cette année est année de silence

la pluie traverse le fracas des bombes

et sur le sol contourne le sang des morts

ténue

comme un dieu qui se ferait murmure

quand l’ouragan se croit

 

 

 

 

Ma rose

 

mémoire d’une rose

belle que j’admirais

quand tu seras éclose

je te cueillerai

 

quand je suis revenu

ma rose qu’as-tu fait ?

elle avait disparu

elle que j’aimais 

 

et voici le mystère

elle n’est pas à moi

suis-je propriétaire

de la rose au bois ?

 

 

 

 

J’ai vu

                                                                  (poème ancien)                                                                 

 

j’ai vu ce que j’ai vu lorsque j’étais enfant

j’ai vu ce que l’humain sait faire des enfants

je sais ce qu’il en est j’ai su ce que c’était

nul ne fera encor que je croie en l’humain

je savais à cinq ans ce qu’il me faut savoir

serais-je en illusion à plus de soixante ans

l’enfance m’a suffi il me reste à durer

tout le reste est travaux pour mesurer l’abîme

pour tenter d’y sauver serait-ce un seul moineau

 

 

 

 

Requiem 9

 

tenez

ils marchent

ils vont vers un exil

ils fuient

droit devant eux

vers une terre d'asile

égypte douloureuse

 

colonne chancelante

des va-nu-pieds

alourdis harcelés

affamés

ils se sauvent

et parmi eux

un couple et un bébé

 

chemin d'amertume

et de danger

quand vagit

quand roucoule

quand rougit de colère

une petite vie

au dos d'une marie

 

et quand oscille

charge dérisoire

sur la tête dure d'un joseph

ce qu'il a pu sauver

que le tueur

le massacreur

a méprisé

 

reviendront-ils

reviendra-t-il

l'enfant d'un avenir ouvert

marchera-t-il

les pieds légers

sur les chemins de pierre

en liberté en vérité

 

faisant le bien

dans le chaos du monde

pour enseigner

les maîtres de la terre

et soigner

le malheur

au cœur des simples gens

 

nul ne le sait

rien ne l'y aide

une simple parole

venue de bien plus loin

le dit pourtant

qu’un jour peut-être

le ciel s'entrouvrira

 

 

 

 

Souffle

 

en traversant le temps

le souffle de la mer

gémira

 

par ces tuyaux d’un orgue

l’air mis en mouvement

chantera

 

la parole en ce vent

la parole instrument

agira

 

je formule ton dire

ma gorge le module

il naîtra

 

ta parole est devant

qui traverse les temps

qui viendra

 

nous sommes l’instrument

ta parole en ce vent

lèvera

 

 

 

 

Bonsoir misère

                                                                    

En hommage à mon ami Patrice Gauthier – Paris, 1974.

Scène vécue de la vie des pauvres : un homme entre ″dans un bistrot pourri du pauvre Paris″ et salue la compagnie par ces mots : ″Bonsoir misère !″

 

Un jour je dessinerai un taureau – tout le monde le reconnaîtra du premier coup – la force de l'habitude

 

bonsoir misère

 

personne ne verra la fausse perspective tellement je l'aurai habilement faite exprès

 

bonsoir misère

 

le plus souvent ce qui saute aux yeux n'est pas remarqué – il est rare celui qui regarde lui-­même

 

bonsoir misère

 

être présent devant un taureau dessiné par un dingue on peut se demander l'importance que ça a

 

bonsoir misère

 

on glisse ce qu'on veut sous les yeux des gens dits ordinaires – s'en aperçoivent pas – d'où la force des escrocs

 

bonsoir misère

 

aussi heureusement la chance des évadés – ça me rappelle le tonneau de vin de Moselle que mon père prisonnier de guerre

 

bonsoir misère

 

avait rentré dans le stalag sous le nez des – beaucoup d'autres histoires du même genre

 

bonsoir misère

 

rappelez‑vous le temps des galoches – et des tabliers noirs – sur ses gardes peut‑être pour vous forcer a devenir plus malins

 

bonsoir misère

 

le bon vieux pédago – il rit dans ses moustaches en racontant comme ses petits malins ont cru le feinter

 

bonsoir misère

 

ce qui leur apprend le mieux la vie – un bon maître qui sait passer pour un vieux con – eux s'ingénient a trouver toujours la parade

 

bonsoir misère

 

rappelez‑vous – l'œil aux aguets sans avoir l'air – pas rater un geste – une attitude en dit long

 

bonsoir misère

 

pour apprendre à vivre c'est l'œil – ne dormir que d'un – pensez à un chat mais tous les animaux – dès tout petit les enfants s’habituent

 

bonsoir misère

 

il y aura toujours des matons pas toujours idiots – rappelez‑vous – le prisonnier a l'avantage sur le gardien

 

bonsoir misère

 

dépasser le stade artisanal – le niveau fabliau – méchant coup en douce isolé ou passager – immoral de réaliser n'importe quoi sans l'utiliser contre

 

bonsoir misère

 

elle vous détruit la société des puissants petits ou grands – n'importe où – toi‑même un puissant con desfois

 

bonsoir misère

 

comme dessiner un taureau – c'est viril – voyez‑moi cette puissance – voyez le genre

 

bonsoir misère

 

une fausse perspective – j'étudie – mon taureau n'est pas exactement image du mâle dominateur – savoir pourquoi

 

bonsoir misère

 

un coup d’œil rapide – type blasé qui joue aux durs – en connaît un bout sur les taureaux – ça n’a l'air de rien

 

bonsoir misère

 

faussez toujours une image – un brin de mou dans une phrase – toujours un défaut minime – ça ait l'air sur pied les temps sont durs

 

bonsoir misère

 

jamais le révolté genre mode – on comprend pas – la préciosité fut toujours proche du pouvoir

 

 

 

 

Des trous

 

des trous dans l’cœur j’en ai eu plein

paf et repaf

mais vous connaissez-ça 

faites-en vous pas

ça reste, on s’habitue

le cœur passoire

avec des trous pas réguliers

des gros, des ptits

on peut bien passer au travers

mais ça fait mal

pas mal de mals

et en passant de l’un à l’autre

oubliez pas la chair qui tient

on est pas les premiers dites-vous bien

c’est ça la vie, des trous, du plein

le cœur qui tient 

le plein qui fait du bien 

un pas, un pas

et ton amour en plein

 

 

 

 

Sample

 

Tu fais le tri

le violent tu le vois agir

 

on me dit de fuir

tel l’oiseau qui s’envole

 

je ne crains nulle tempête

c’est toi que je verrai

quel autre refuge ?

 

 

 

 

Incrustation

 

ce n’est pas dit

tenu celé

cette douleur

 

pas en toi

comme enfermée

car tu l’habites

 

c’est ta maison

en elle tu vas

tu vis en elle

 

qu’est-il ce toi

qui vit là 

tu ne le sais

 

 

 

 

Fête de Tristes-Rois

 

Les rois de la Terre

et les reines du monde

assis sur leur derrière

reposent sur un trône

 

leur trône est un fauteuil

et leur main de justice

tout juste une souris

de plastique

 

et quant à leurs ministres

de grands ordinateurs

tout constellés de chiffres

qui sont des sous

 

richesses qu’ils amassent

à la sueur de nos fronts

de nos cœurs, de nos têtes

aux dépens de nos joies

 

de nos douleurs

de nos amours

qu’ils engrangent

les innocents

 

l’esprit leur manque

l’esprit qui vient

monde nouveau

tel un séisme

 

 

 

 

Passant par là

 

Un promeneur d’éternité passait devant chez moi

ses larges ailes de pensées alourdissaient son pas

il s’arrêta.

 

Homme qui passe et qui au loin s’en va, homme qui va

que dis-tu de la vie, que dis-tu du trépas, dis-moi

de l’au-delà ?

 

Je ne dis mot de ceci, je ne dis mot de cela 

choses que l’on ne dit pas, que l’on garde au fond de soi

jusque là-bas.

 

L’ami, tiens cela tout en toi, fais ta vie pas à pas

un jour tout se découvrira, ce jour te surprendra

tu souriras.

 

 

 

 

Elle pleurait

(Fête des morts)

 

elle pleurait

je lui ai tendu mon mouchoir

il est propre, je lui ai dit

elle a souri

les femmes savent faire deux choses à la fois

elle souriait en pleurant   

 

c’est un mouchoir en tissu à carreaux

du coton véritable

en le voyant elle avait souri

je lui ai dit vous me le rendrez plus tard

je n’aime pas les mouchoirs jetables

c’est du gâchis

 

elle m’a dit merci, elle pleurait 

merci monsieur

je l’ai quittée

bien sûr je n’ai jamais revu mon mouchoir

la vieille femme non plus

on vit de drôles de choses

 

 

 

 

Des saints

(Toussaint, sotie en forme de sonnet)

 

Humain, n’est-on saint que défunt, je le demande

or peut-il exister ici-bas des lions saints

ou des manchots, des moustiques, des limandes

qu’il faudrait célébrer, fleurir pour la toussaint ?

 

Tenez, des humains morts ou des saints animaux,

des morts inoffensifs, des bêtes innocentes,

l’une qui suit sa loi et l’autre ôté des maux,

et l’une et l’autre espèce en tout du mal absentes !

 

Pensons-y pour de bon, considérons les choses :

seuls les humains vivants auraient droit au péché,

à l’erreur qu’on maintient dans l’infamie enclose.

 

Luther l’avait bien dit, on le lit dans sa prose,

rien de plus alarmant qu’un pécheur empêché ;

qu’il pèche, et qu’aux tréfonds c’est la foi nue qu’il ose !

 

 

 

 

Deux silences

 

Où es-tu

où te caches-tu

tout en haut

tout au fond

devant, peut-être ?

Dieu je te cherche

et tu te tais.

 

Et il a dit

C’est moi

moi qui te demande

où tu es.

Depuis toujours

au souffle du jour

et tu te tais.

 

Répondras-tu ?

 

Et j’ai dit

Je suis celui

qui ne sait pas

car la nuit m’environne

car je suis aveuglé

et par ton jour.

Tu me rends muet.

 

 

 

 

Juste comme un atelier

 

atelier bricolé

mais rien de plus, allez

ces poèmes que vous lisez

 

atelier à mitonner

des paroles filées

tout attelé à chantonner

 

vous voici peu sensés

à prendre en vos gésiers

faribole et billevesées  

 

c’est pour vous amuser

c’est pour vous étonner

quelques mots, rien de plus, allez

 

 

 

 

Démente elle ment

 

la bêtise

était devenue mortelle

elle tuait

par million elle tuait

 

fallait briser la langue

la bêtise vivait dedans

elle la portait

devenue la langue

 

la briser une fois

deux fois dix ou cent fois

la tuer l’arracher

comme une dent

 

mais le nerf vit encore

fou de douleur toujours

il ment 

ne veut pas souffrir

 

la langue est folle

démantèlement

que de ruse 

alors pour dire 

 

 

 

 

Seuls les enfants

 

j’attends la pluie, celle qui lave 

la nettoyeuse à petit bruit

la blanchisseuse aux refrains graves

vienne la pluie

 

je l’attendrai en cette nuit

fraîche, tenant  jusqu’au matin

quand tous les feux seront éteints

vienne la pluie

 

la pluie que j’espère en esclave

de tant de liens secs que je fuis

me libérant de leurs entraves

vienne la pluie

 

première goutte qui m’atteint

première perle d’eau qui luit

bonheur, seuls les enfants le savent

vienne la pluie

 

 

 

 

Cinq poèmes brefs

 

Ailleurs

 

À bord diras-tu

hissons les voiles ?

 

pourtant l’oiseau dit moi je reste 

il n’y a pas d’ailleurs

 

Très tôt

 

D’arbre en arbre en arbre

va qu’elle est folle

et survenant toujours

l’aurore qui naît

 

Survol

 

Passent les oies dans l’indigo

un survol

 

semaison et sol rouge

 

Retombée

 

Au plus haut serait la vague

en elle déjà

se joue son avenir

grêlons d’écume

 

Plus loin

 

Un temps vient

loin de nous

 

un rosier que je vois

même avant le temps des feuilles

 

 

 

 

Haïti

 

femme qui crie, qui te regarde

ne te voit pas

ne voit que le cri

le cri qui ne vient pas

femme qui crie sans aucun cri

 

femme pays, ville silence

ville écroulée 

ville poussière 

vacarme qu’on n’entend pas

en ces bras un enfant mort 

 

 

 

 

Présents

 

Alors que je suis vieux mes grands-parents me veillent

depuis la méridienne indienne où ils se tiennent 

assis.

 

Pour eux, au teint vermeil, je ne fais que merveille

avec tous mes boutons, mes cadrans… Ces antennes

ici.

 

À tout moment, et leur étonnement s’éveille,

et leur rire, ou des raisonnements leur viennent

aussi.

 

Ils sont d’un autre temps, pour autant ils surveillent

tant et tant le parcours de la vie qui fut mienne

si, si.

 

Elle me fait les cartes, il pense aux quarts, aux veilles,

il parle de sa guerre. J’aime qu’on s’entretienne

ainsi.

 

 

 

 

Le rêve de durer

 

Oh dans une pomme que de rêve ! non pour durer, du moins pas trop – trop, elle se déferait, sa pulpe éparpillée

 

non, elle accepte de se perdre au temps fixé aux pommes pour tomber

 

le rêve de la pomme est de tomber et se perdre pour toujours en la terre – maternelle

 

chaude – afin que la graine y délivre son avenir de pomme – le rêve de la pomme est dans la graine

 

il est dans le pommier à venir, oh dans un pommier que de rêve ! dix mille graines perdues pour un rêve

 

comme rêve un empire aux morts nombreuses, aux morts nombreux, ceux des guerres à venir, à venir

 

comme rêve un magnat, riche de rêves féconds, aux multitudes vouées par lui à la ruine, perdus

 

 

 

 

Impoli

 

ce qui embête c’est la mort

on ne parle pas d’elle à table

c’est du hors-champ

comme si à l’église

tu pétais dans le silence qui suit la prière

chacun fait comme s’il n’avait rien entendu

comme s’il

était malpoli de dire aux gens

quand vous serez mort

ou même

quand l’humain aura disparu

 

et pourtant…

 

 

 

 

Réunion de famille

 

ceux-là que veulent-ils

qui sont-ils

que disent-ils

 

ceux qui sont là

ceux que je vois

assemblés près de moi

 

venus me voir

venus de loin

venus se rendre compte

 

l’une sourit

dit me voici

je connais ce sourire 

 

me connais-tu

toi nous vois-tu

en cette nuit du monde

 

oui je te vois

tu es ma mère

et lui voici mon père

 

il est venu

avec les siens

tous ceux de son village

 

et les cousins

les siens les miens

leurs outils à la main

 

à leur sueur

à leur labeur

oui je les reconnais

 

je les salue

tous me saluent

je suis de votre monde

 

montre-le-nous

ne nous viens pas

laissant traîner l’ouvrage

 

 

 

 

Ravage

 

laisse la paix te ravager

elle a du travail

en toi

ce qui me fut dit

casser tous tes barrages

blocs de béton aux fers rouillés

 

un lit de ruisseau

limpide

ainsi t’accepteras-tu

laisse-le couler en un murmure ailé

au fond roulent des pierres

d’aurore

 

 

 

 

Quand le chat dort

 

quand le chat dort

c’est la maison qui s’ennuie

elle baille et son haleine s’étend

naît un souffle paisible

 

il sort de la maison

les ouvertures sont amicales

et les oiseaux se rassurent

ceux des bois

 

ils viennent picorer

ils n’ont plus peur de la maison

et le monde respire autour d’elle

même au-dessus d’elle

 

et les oiseaux du ciel, les voyageurs

viennent se poser près d’elle

éclatants de couleurs

sonores d’un chant multiple et doux

 

chant qui réveille le chat

et tous s’enfuient

oiseaux des bois, oiseaux du ciel

et les souris se cachent

 

tous attendent que le chat se rendorme

ou qu’il vieillisse

oiseaux comme souris

sans souci des humains

 

 

 

 

Il y eut un soir

 

méfions-nous du soleil

il ment souvent

tu crois que tout est clair

pense à la nuit cachée

après la lumière

 

noir il y eut un soir 

l’ennui la nuit 

 

je t’aimais et c’est fini

nous n’aurons plus la pluie

ni le vent demain

nous traverserons la nuit

nous tenant la main

 

la nuit l’ennui 

il y eut un soir noir

 

ni toi ni moi ne le savons

si le vent tournera

le jour qui vient n’est pas à faire

il apparaît

il vient je crois

 

 

 

 

Pour Irène Tan

 

fleurs de ciel

sur le papier de l’aquarelle

ciel fragile

 

vie craquelée

venu le vent

tout a séché très vite

 

ainsi cet homme

bouche ouverte qui l’espère 

l’eau du ciel

 

 

 

 

Trouver-clos

sur les maîtres menteurs

faillis

 

I

C’était de la fureur

ici

le règne de la peur

partout

et vous

vous faisiez des promesses

hardis

professeurs d’allégresse.

 

II

C’était le paradis

pour nous

du lundi au lundi

paresse

et qu’est-ce

sinon de vos mensonges

en tout

vous bergers de nos songes.

 

III

Il fallait être fou

altesses

pour voir en vos licous

la longe

qu’allongent

de feintes libertés

largesses

pour croire en vos clartés.

 

IV

Qu’une paille apparaisse

que ronge

tel acide tes liens

et tes

bontés

sans souci de parjure

tu plonges

en hauts-fonds nos voilures.

 

V

Plus amer que l’oronge

jetez

jetez dis-tu l’éponge

et sur

le mur

de castels d’arrogance

plantez

plantez là l’espérance.

 

VI

L’espoir a résisté

murmure

feinte tranquillité

offense

que lance

à nos maîtres d’erreur

la dure

envie d’ôter la peur.

 

VII

Faut-il que la vie dure

si dense

au gré de l’aventure

fureur

et peur

si l’on ne voit où gît

la transe

la danse aux pieds rougis ?

 

 

 

 

Solitude

 

L'enfant dans son jardin

et tu vois son erreur

une à une

il croit nommer les choses

se prévaut d'elles comme un maître et cependant

ressent son impotence

 

Enfance

chemin barré

ton errance derrière la vitre n'est pas heureuse

seul le dira qui ment

et deviendra se retournant

statue de sel

 

Avance

et vois ta main qui change

changeant les choses elle te change

paroles vives

il n'est que gestes

et plus de maître.

 

 

 

 

Comme

 

Comme

la gorge de l'oiseau

chaude et douce est fragile

sous le doigt

 

et comme

le chant de l'oiseau

par dessus le grand bruit social

triomphe

 

Comme l'oreille d'un vivant

a entendu le chant

et ne l'a pas

traduit

 

comme

l'agencement du monde

en son regard

changea

 

et comme encore

tu connus le chant seul de l'oiseau

par un regard porté sur l'œil aigu qui vit

 

Ainsi s'étend

et de même triomphe

et se perd dans le vrai silence nu de l'œil

le sens

 

 

 

 

Paraboles

 

quelle idée !

faire passer un chameau par le chas d’une aiguille

même grand modèle, voire alêne

 

ou perdre une pièce de monnaie !

exprès pour qu’une ménagère affairée au ménage

la retrouve

 

cette porte ! la rendre étroite

dans le seul but que les gros ne puissent la passer

tant pis pour eux

 

et la perle de grand prix du grigou !

le marchand qui l’achète en perdant tout le reste

il est fou

 

des bandits !

ils s’en vont sans leur proie pour qu’un Samaritain

en profite pour se faire mousser

 

comme ce festin qui n’est pas un festin !

sûr que ses invités ne vont pas se faire embrigader

trop facile

 

le benêt !

avec l’argent réclamé à son papa il a fait la nouba

vraiment pas intéressant ce type-là

 

toutes ces histoires, on n’en finirait pas !

d’ailleurs on n’en finit pas de les raconter, raconter

ça meut

 

 

 

 

Marcher, chanter

 

Je voudrais je voudrais

dire à nouveau pour vous un poème de feu

et chanter oui chanter les merveilles de la mer

de la terre et du ciel

le refrain de la vive lumière.

 

Je voudrais comme je voudrais

que les petites filles s'en émerveillent

et sourient au soleil

lorsque marchant sur des chemins d'exil

elles cherchent en pleurant leur avenir de soie.

 

Je voudrais dire aussi aux hommes plus anciens

les mots d'une ancienne sagesse

pour que naisse en leur face une fleur de sourire

lorsque butant sur les pistes obscures

ils vont très lentement vers leur tombeau de terre.

 

Chanter oh oui marcher

car c'est ainsi que chacun marche

vers une ombre qui gît au cœur de chaque vie

et s'illumine ou se bleuit

aux couleurs de la nuit.

 

 

 

 

Lundi de Pâques

 

Comme il marchait devant

notre Dieu s’est retourné

 

il a dit vous êtes saufs, libérés

faites vibrer la vie

 

il a dit viens, fais-le, mon règne

un nouveau monde où habiter

 

un monde où coulera

justice et droit comme un torrent

 

où les enfants, tous les enfants

riront, mangeront et boiront

 

où leurs parents

leur feront un avenir

 

une terre où tous travailleront

sachant pour qui, pour quoi

 

où l’on se parlera et s’entendra

s’aidera, se soutiendra

 

où l’on rira et chantera, et dansera

fêtera le travail et l’amour

 

il nous dit venez

si vous m’aimez inventez tout cela 

 

car Dieu s’est retourné vers nous

nous appelant à lui

 

attaché, notre Dieu, à son rêve 

rêve d’un monde quand il règne

 

et nous disant venez

visez cela, tentez cela, faites cela 

 

et si pour vous c’est impossible 

commencez déjà 

 

 

 

 

Dires

 

1

Ce doit être un oiseau

il me palpite à l’endroit du plexus

un papillon, vous croyez ?

ça fourmille, ça veut sortir peut-être

où est l’issue, dans la gorge ?

ou bien là, à la base de la langue 

tiens c’est parti !

je ne saurai jamais ce que ça voulait dire

 

2

de quoi parles-tu ?

non, tu as dit un mot, que veut-il dire ?

tiens, tu choisis des mots, on les dirait muets

je me dis

c’est pas des mots pour l’apéro

c’est pas des mots pour la cantine

à parler des choses vraies faut pas aller si loin

juste chercher profond comme qui se tairait

 

3

tu me dis dis-moi s’il te plaît

eh bien non ça ne me plaît pas

c’est comme à la caisse douze euros s’il vous plaît

eh bien non

je ne suis pas un distributeur de dire

– je relis ça et je me dis tu es sûr ?

car je me dis dire ça coûte

et ça n’a pas de prix

sauf mourir

 

4

tu me dis que veux-tu dire ?

mais je ne veux rien dire

ça sort comme ça

je jette les mots sur la table

je les étale et je trie

tout à coup je me dis c’est ça

tu dois le dire

même si ça ne veut rien dire

qui sait si après quelqu’un en aurait besoin

 

 

 

 

Espoir

 

explose

       explose

du cercle de feu dans ton ventre

centre

       explose

 

je sans espoir gros de tout espoir

explose

le beau je le je gros de tous les tu

impose

       impose

un jeu de perte né des failles

 

les lauzes

       des toits

écailles de tous les moi

reposent

sur l’arête des vents souples qui tous vrais

explosent

       de frais

 

 

 

 

Le quart naval

Sotie

 

je me moque du tiers comme du quart

je me moque du tiers

je me moque du quart

du tiers-monde comme du quart-monde

même de la quinte

 

il fait zéro

et sur la hune

comme pas deux

je suis le tiers

qui fait le quart

 

alors apeuré je ne fais ni une ni deux

apeuré je ne fais une

apeuré je ne fais deux

apeuré je n’y vais ni à la une ni à la deux

mes bras : zéro

 

 

 

 

Sissongo

Un culte au Sahel

 

vieille édentée assise dans la poussière

poudre rougeâtre de l’aire où l’on chante

poudre sèche ici qui tient lieu de la terre 

vieille ridée au pagne rougi de poussière

assise pour le temps qui suit la prière

et qui gémit

 

tous sont attentifs alors, ils se recueillent

l’Esprit la visite et elle parle en son nom

sa parole est pour moi, habillé de coton

pasteur venu de loin sur des ailes de métal

venu tel l’ange inabouti chaussé de cuir

et porteur de lunettes

 

pour me dire voici ce que te dit l’Esprit

et que tu porteras, que tu diras, répéteras

quand tu retourneras parmi tes frères

et leur diras ne regardez pas à tout cela

vos beaux habits, vos chaussures de cuir

à vos belles maisons

 

à vos avions, à vos voitures de fer

elles qui brillent sans besoin de soleil

et ne regardez pas à vos frigos, à vos vélos

toutes ces choses, objets destinés à finir

et dit l’Esprit, tu leur diras ne regardez  

qu’à Golgotha !

 

 

 

 

La chanson de Libère

 

J’écoute

et les mots et les mots

passent

 

j’entends au vent

le chant

des mots du temps 

 

Monstrueux

tumultueux

 

faits de bulles

somnambules

 

faits de carreaux

idéaux

 

C’est la chanson

des méchants sons

que j’écoute

 

et le courant

serrant les rangs

des maîtres-mots 

 

Ils passent

je me cramponne

 

ils lassent

et je chantonne

 

en anémones

j’approvisionne

mon chant vorace

 

 

 

 

Solitude

 

voici le temps, le joli temps

de solitude

c’est bien le tour, le joli tour

d’un interlude

jour feuille blanche, feuille vide

nulle habitude

nulle idée, survenue d’idée

qu’un rien élude

espace, aucun espace là

nulle attitude

et ni devoir, quelque devoir

ni bravitude

 

 

 

 

À quoi ?

 

à quoi tu penses, il me demande

à des oiseaux avec des arbres

à des corbeaux tout noirs

aux nuits de peine à s’endormir

aux grandes plaines à blé

 

au visage de celle que j’aime

au rivage des marées

à la pluie douce de septembre

à l’encrier des temps passés

à quoi peut-on penser ?

 

 

 

 

Souvenir

de Willie Johnson

et Gary Davis

chanteurs de blues

 

Sombre était la nuit

froide la terre

on entendait pleurer les anges

anges noirs aux yeux brûlés

noirs enfants de la colère

cœurs broyés, cœurs incendiés

 

Sombre était la nuit

froide la terre

on entendait chanter les anges

guitares sèches aux mains de terre

aux mains de sol gelé

mains craquelées

 

Sombre était la nuit

froide la terre

anges humains dépossédés

voix blessées d’un amour rauque  

tissées par la tendresse

tiède au-dessous du gel

 

Sombre était la nuit

froide la terre

vient un sang qui bat le flux

naît un chant qui noue les temps

quand tiède était la nuit

la nuit noire étoilée

 

 

 

 

Mais si tu viens

 

mais si tu viens chez nous

une fois de plus en décembre

tu verras

les aveugles même s’ils voient

ne voient pas

et les boiteux même s’ils marchent

ne marchent pas

les enfants pauvres même s’ils jouent

ne mangent pas

car les pauvres même s’ils vivent

ne vivent pas

tu le verras et tu diras

comme autrefois tu le diras

trois fois tu le diras

la paix sur vous

j’ai mis devant vous la paix ou la guerre

la paix sur vous

j’ai mis devant vous la justice ou l’effroi

la paix sur vous

j’ai mis devant vous la vie ou la mort

changez de sens

et tu diras

à mes yeux chacun de vous est sauf

j’ai fait le nécessaire

mais tous ensemble ne sombrez pas

 

 

 

 

Dire d’un songe

                                      Deuxième essai

 

colombe ou bien corbeau, merlette ou tourterelle

qu’importe, je dormais, je n’ai perçu qu’en songe

un oiseau inconnu palpitant jusqu’à moi

 

ce qu’il a dû me dire a quitté mon esprit

je n’ai plus discerné ce que cachait l’oiseau

rien de son vol ne m’est resté, alors que dire ?

 

c’était un bel oiseau, je ne sais de quel nom

sans le voir je savais qu’il était tout de plumes

au fil lamé d’argent, au parfum de silex

 

dis-le donc, cependant, résolu, m’a-t-on dit

mais quoi dire et à qui ? l’oiseau s’est envolé

j’ai senti qu’il dansait au-dessus des nuages

 

je le dis, cet oiseau portait une parole

il m’en reste le son, cependant, comme une onde

comme un rien qu’on désire, un chant perçu de loin

 

 

 

 

Le convoi

 

c’est arrivé ainsi 

Ève était dans ce convoi

suivant son fils Abel

et celui qui conduisait

elle ne le savait pas

son fils Caïn

 

ainsi s’en alla-t-elle

disant c’est mon petit

voyez c’est mon petit

que fait mon grand ?

il les tua

c’est lui qui les tua

 

les soirs de soleil rouge

de nuées en convoi

on peut les voir encore

les trois

au couchant qui se cherchent

et vienne le matin !

  

 

 

 

Content

 

"J’ai été flouée"

(Simone de Beauvoir)

 

je sais qu’on m’a volé

devrais-je être content ?

 

c’était il y a longtemps

au temps de tous les temps

 

ailleurs, c’était ailleurs

c’était à tous les vents

 

par un autre sans visage

quelqu’un d’inconséquent

 

par la porte du fond

en prenant les devants

 

pour toutes les raisons

dans la tête des gens

 

qui fut floué, c’est moi

volé mon moi d’avant

 

moi-même, oh juste un sas

s’y meut le vent, content

  

 

 

 

Cependant

 

parler dis-tu ne coûte un fil de souffle

que dans l’air et pourquoi te troubles-tu ?

les monts percutés ne frémissent ni ne croulent

quand tu crois avoir dit que tu aimes

bulles au coin des lèvres

 

et le temps que cela touche une oreille

humaine ou non-humaine

l’univers a déjà modulé des ondes incertaines

à qui crois-tu au monde parler qui t’écoutera

te répondra ?

or un dire à jamais a façonné le monde

 

 

 

 

Tu es là

 

je me souviens de toi, tu ne saurais mourir

on te dit disparu, je te ramène à toi

une foule est en moi, je t’en ferai sortir

tel un poème obscur, un mouvement de foi

 

les années ont passé, leur poids sut m’alourdir

mais tu restes présent, souvent tu viens vers moi

et je ne sais que dire, et ne peux t’accueillir

plus de place pour toi, mon aujourd’hui fait loi

 

mais tu reviens ce soir, tu es là, je te vois

si la nuit vient sur moi, rien ne peut assombrir

ce moment, ce sourire et cet oubli de soi

 

voici, tu étais là, moi dans ton souvenir

je me croyais sans toi, je te pleurais cent fois

il me fallut apprendre à me laisser chérir

 

 

 

 

Un ange malgré tout

 

avant d’être mort et même un peu après

le consul de Xanthe ne voulait s’envoler, partir

que sur les ailes d’un ange

on avait beau lui dire que les anges ça n’existe pas

il n’en démordait pas, il disait je suis consul et j’ai droit à mon ange

on avait beau lui dire que les consuls, et Xanthe, ont disparu

il n’en convenait pas

on lui disait même le fleuve, le Xanthe, a disparu

il riait, il disait un fleuve ne disparaît pas

il ne comprenait pas, semblable à notre monde entre deux mondes

mais l’ange est apparu, ange aux ailes lamées d’argent

il l’a donc embarqué, il était temps

 

 

 

 

Un moment délicat

 

cette fois-ci c’était l’ange qu’il fallait déppanner

l’ange du consul de Xanthe

ppas facile à bouger, en pplus il faisait nuit

l’a fallu le caler, on a fini ppar y arriver

le consul était inquiet mais rien n’était cassé

juste froissé

l’ange était requinqué, tout juste un ppeu ppomppette

faut dire qu’on l’avait décrassé à l’alcool

bien sûr, ppour voir, il a voulu dépplier ses ailes

c’était risqué mais on n’allait ppas l’en emppêcher

sur le moment ça a un ppeu craqué, même grincé

– doucement, doucement, lui disait le consul –

finalement il y est arrivé

et ppour nous rassurer il a fait un ppetit survol

même ppour nous remercier

quand il a atterri, on y est allé d’une ovation

il a fait le modeste mais il était content

ppuis le jour s’est levé et l’ange s’est envolé

le consul sur son dos, entre deux ailes argentées

il sentait déjà, il ne ppouvait pplus attendre

du coup on a ppleuré

 

 

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