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Le projet de Katé
revient,
mais
on peut retrouver ma Suite civique : civique.
Katé (projet)
Selon une
fréquence aléatoire
et
selon des styles et une portée variables,
on
trouvera sur cette page quelques éléments
de
mon projet de caté fragmentaire,
par
construction voué à l’inachèvement.
Un caté
pour adultes… avancés,
et
qui me causeront le bonheur d’être pris à partie !
Pour lire
l’ensemble à la suite : cliquer ici !
On peut se
reporter à la table des matières : cliquer ici
Suite complÈte des entrÉes
sur la vague
Catéchisme 1
Ce qui suit est à lire étant entendu
que lorsqu’on parle de Dieu on ne peut dire que des bêtises, qui sont au mieux
des images – et cela s’appelle poésie, art du dire :
Le Désir et son
Dire
Dieu est ce grand Désir qui se
dirige vers un accomplissement, en un formidable défi dont il connaît seul
l’enjeu, comme se meut une vague immense et lente à nos yeux.
Dieu est alors comme une
parturiente. Et comme en une matrice, il porte en lui le Dire, sagesse et
poésie de Dieu, langage créateur qui institue, instruit, construit, crée, parle
le monde qui se forme et naîtra peut-être de ce défi.
(N.B. : Il est préférable
d’employer le Dire plutôt que la Parole, dont on a trop oublié
les fonctions créative et prédictive – Au commencement, Dieu ne parle pas, il
dit !)
Alors tout comme le fœtus est
distinct de sa mère tout en étant lié à elle, de même, tout ce qui émerge du
travail de Dieu est tout autre que lui et pourtant lié à lui.
Lié à lui justement parce que
distinct de lui.
Des fétus
Quant à nous, nous sommes pour un
temps dans ce Dire, qui nous compose et nous anime, et Dieu ne compte pas tant
sur nous, peut-être espère-t-il juste que nous parlions son Dire avec assez de
justesse.
Cela l’aiderait ? Peut-être…
Et ce qu’il faut comprendre, c’est
que Dieu est le Sujet. C’est lui le héros de l’histoire. Pas nous. Nous qui
sommes portés par cette histoire de Dieu, dans cette histoire de Dieu, comme
des fétus dont il se peut qu’il fasse un jour quelque chose. Ou non.
Ce Ou non est important car
il nous fixe à nous aussi, à notre mesure, des enjeux. Il se peut que nous
disparaissions. D’une manière ou d’une autre.
Soit nous tous, parce que c’est
ainsi que la chose serait prévue pour l’ensemble des vivants. Soit certains
d’entre nous, parce qu’un tri ferait partie du processus.
Mais il se peut aussi que nous
soyons tous récupérés et utilisés d’une manière ou d’une autre dans la marche
de Dieu vers son accomplissement.
L’appel du néant
Cet accomplissement, dont nous ne
savons rien, doit bien, cependant, avoir pour condition l’effacement de forces
négatives majeures, dont nous percevons confusément l’existence à notre faible
niveau, nous qui en sommes habités comme l’ensemble de notre monde.
Il s’agit de la tentation du néant.
Dans cette histoire, le néant n’est pas rien, il est une force, ou une tendance
forte. Elle habite toute réalité présente dans le monde de Dieu et la
travaille.
Le néant est alors comme une pâte
molle et sans forme, une négation que Dieu traverse et veut structurer en
l’entraînant vers un devenir.
Là est sa souffrance. Et elle
résonne et rayonne sans mesure dans tout ce qui existe.
Là est aussi sa joie, improbable
dépassement de la souffrance.
L’appel à
l’existence
La force inverse de celle du néant,
la force que porte le Dire de Dieu, se nomme amour, c’est-à-dire appel à
exister – au sens propre de ce verbe, qui signifie sortir, apparaître, naître,
surgir –, appel à sortir du néant.
Et sortir du néant signifie, pour
tout ce qui existe, se lier, se connecter, se soutenir mutuellement, faire en
sorte que la dispersion, l’émiettement, la corruption, la futilisation qui sont
l’œuvre du néant ne l’emportent pas pour toujours.
C’est en quoi l’amour est à la fois
combat, travail et plaisir. Bonheur et malheur mêlés d’exister, d’émerger, de
naître et de louer.
Dieu porte en lui cette force,
peut-être même n’existe-t-il, ne surgit-il, qu’en cette force, qui se propulse
vers la poursuite de son désir…
La loi en
mouvement
Quant au Dire, il est la mise en
œuvre de l’amour, de l’émergence hors du néant, il en est la grammaire et
l’exécution. C’est lui qui fait exister ce qui avance vers l’émergence – ou non
– de la satisfaction de Dieu, de ce Désir majeur.
Le Dire, c’est à la fois l’ensemble
des lois qui soutiennent tout ce qui existe, la condition de cette existence,
la logique qui permet que s’organise toute existence, de quelque ordre que soit
celle-ci, la pleine connaissance, aussi, de tout cela, enfin le déséquilibre
créatif de tout cela.
Mais c’est aussi, pour ce qui est de
nous, la parole des humains quand elle tente de rendre compte de tout cela et
d’agir, à leur faible mesure, dans le sens du mouvement d’amour de Dieu.
Et ce qui est spécifique à la foi du
Christ – à la différence de tout ce qui vient d’être écrit et qui ne se veut
pas confessionnel –, c’est qu’un humain particulier, Yéchou’
de Nazareth, est considéré comme la mise en œuvre pleinement vécue de cette
parole, étant lui-même le Dire de Dieu. Parabole vivante du malheur et du
bonheur de Dieu, tendue vers la pleine réalisation du défi de Dieu.
Le Souffle
Le Dire est porté par un souffle. Il
n’est besoin que d’avoir parlé un jour pour le savoir. Ce souffle est ce qui
met le Dire de Dieu en branle, le fait émerger pour faire de lui un devenir
orienté. Ce souffle est le formidable mouvement entraîné par l’avancée de Dieu,
par l’émergence de son désir. C’est le souffle qui meut et secoue tout ce qui,
sinon, tomberait, se pétrifierait, mourrait.
Oui, le Souffle de Dieu, porteur de
son Dire, tendu vers l’accomplissement de son Dire, vers l’aboutissement de son
désir.
Tout parleur de Dieu est comme un
surfeur, porté sans filet par ce Souffle sur la vague immense de Dieu, vers
l’inconnu…
Et si, à l’image de celui qui porta
le Dire de Dieu parmi nous, il garde en lui toute enfance et toute confiance,
sans doute a-t-il part au grand œuvre de Dieu.
21
novembre 2016
La ruse ÉvangÉlique
Catéchisme 2
Toute société humaine oriente le
désir de ses membres vers les éléments d’un grand récit qui sert de matrice à
l’ensemble des comportements et des idéaux. Ce récit met aussi en scène un
spectacle.
La question posée à chacun
est la suivante : à quoi te relies-tu et vers quoi te tournes-tu pour t’identifier
et te justifier d’exister ?
On trouve alors, pour citer les
trois exemples majeurs, ces grands récits qui lient les gens :
– aux origines et aux identités,
– à la domination et à la puissance,
– enfin à la compétition et au
commerce.
On assiste alors aux spectacles,
soit de la quête d’identité, soit de la lutte pour le pouvoir, soit de
l’enrichissement. Ce qui suppose des indigènes et des étrangers, ou des
vainqueurs et des vaincus, ou des riches et des pauvres.
La Terre-mère (Gaïa), César, Mammon.
Par rapport à ces récits fondateurs,
l’Évangile a ceci de différent qu’il ne se base pas sur le besoin de justifier
nos existences. Pour lui, cela est acquis par avance, tous sont qualifiés pour
la suite, le Christ a assumé cela.
Sans cette certitude radicale,
autant se retourner vers les récits précédents, il ne sert à rien de se dire
chrétien.
J’insiste : s’il est question
de dire l’Évangile, une seule chose est à proclamer, sur tous les tons et sur
toutes les places, à mettre en œuvre autant qu’il est possible :
Rassurez-vous ! Vous êtes totalement justifiés
d’être là,
totalement
qualifiés pour exister, qui que vous soyez. Toutes et tous.
Y compris les plus faibles, les plus pauvres, les moins
blancs, les plus moches, les moins valides, les ignorants, les homos, les
étrangers, les prostituées,
les
taulards… Et ceux, les plus nombreux, qui se croient normaux.
Et c’est vrai là où vous vous trouvez. Et c’est vrai
maintenant.
Ne croyez pas un mot des discours qui vous enfoncent.
N’acceptez pas les gestes qui vous salissent.
Combattez les institutions qui vous délégitiment.
À partir de là, loin de fuir les
grands récits qui courent, l’Évangile ruse et les reprend, mais il réoriente
désirs et spectacles à sa manière :
Il réoriente le désir identitaire,
non vers une source mais vers un avenir à édifier, et propose pour cela le
spectacle de la fraternité.
Il réoriente le désir de puissance
vers le service et propose le spectacle du don.
Il réoriente le désir de commerce
vers l’esprit du lien et propose le spectacle de la coopération.
Le Père, le Fils, l’Esprit.
Ceci posé, l’Évangile se trouve à
chaque instant menacé d’être réinvesti à son tour par tel ou tel des désirs et
des spectacles en question. Sinon par tous... D’où l’exhortation finale du
Christ : Veillez !
N.B. : le chapitre 13,
intitulé Cultures, Évangile, Anti-culture, reprend ce texte en le
développant.
23
novembre 2016
PÂques, alliance universelle
Catéchisme 3
La création, au sens biblique, est
fondation d’alliances. C’est en cela qu’elle consiste. Elle extrait du nouveau
à partir d’un magma indifférencié et privé de sens, et elle organise ce nouveau
en ensembles cohérents.
1 – Une création
continue
De quoi s’agit-il quand on parle
d’alliance au sens biblique ?
Avant d’aller plus loin, disons
qu’on peut s’étonner en constatant la façon dont l’hébreu biblique envisage la
conclusion d’une alliance ou d’un contrat. Il dit en effet, littéralement,
"couper une alliance" mais cela signifie à l’inverse, paradoxalement,
"conclure une alliance". On trouve donc là une image inverse de celle
que l’on attendrait, image de réunion, d’ajout ou de construction.
Pour comprendre cela, sans doute
faut-il se reporter au rite qui pouvait accompagner la conclusion d’une
alliance à l’époque biblique, rite dont on trouve une description assez
complète dans Genèse 15.9-18, où des animaux sacrifiés sont coupés en deux et
séparés en sorte qu’un chemin commun soit tracé pour les contractants.
En dehors de la déambulation des
contractants, il y a deux éléments matériels dans ce rite : le découpage
et le sang qu’il fait couler. On y tue par séparation et on y laisse s’écouler
le principe de vie. Lequel, selon les conceptions de l’époque, retourne à la
terre d’où la vie a été tirée (Genèse 2.7 et 9.4).
Or la séparation, ou distinction,
est l’acte par excellence de la création, qui consiste en l’inauguration d’un
ordre au sein du chaos. Cet ordre inaugure un monde fait de paires suivant le
cas inverses, contraires, opposées ou couplées, mais dont un des éléments ne va
pas sans l’autre. On trouve cela clairement exposé dans Genèse 1 et 2 :
ciel et terre, ténèbres et lumière, jour et nuit, soir et matin, eaux d’en-bas et eaux d’en-haut, mer et continent, herbes et
arbres, astres et terre, animaux terrestres et animaux aériens, animaux marins
et animaux aériens, quadrupèdes et reptiles, humain mâle et humain femelle,
époux et épouse.
Ce dernier exemple amène à relever
plusieurs enseignements. D’une part, il y apparaît clairement que c’est bien la
distinction qui cause le réel, à savoir ici le couple. De même que le ciel et
la terre forment un ensemble indissociable, c’est parce que distincts
que l’homme et la femme constituent une existence unique. D’autre part, on voit
que les mêmes éléments peuvent parfaitement participer à diverses alliances
composant ensemble une sorte de nœud d’alliances à dimensions multiples, ici le
mariage patriarcal, image mixte dans laquelle le couple humain est vu à la fois
comme physiquement sexué et socialement hiérarchique, l’épouse étant soumise à
l’époux.
Dans cet imaginaire, il n’y a
d’ordre, et donc de réel possible, de vie possible, d’existences (de chairs,
en hébreu ou en grec bibliques) qui tiennent ensemble, qui ne se délitent pas,
que grâce à la composition de multiples associations de paires primitivement
découpées. Sachant que ces paires se construisent elles-mêmes en ensembles
complexes, de base deux, selon des modalités diverses et infinies.
Concernant les contrats que passent
les humains, c’est ce que dit le rite, ce qu’il met en scène. Un nouvelle réalité apparaît lorsque le rite s’accomplit,
une création nouvelle composée intimement des deux contractants. C’est une
nouvelle pierre insérée dans la construction du monde du vivant.
Mais le sang de l’alliance
n’appartient pas à cette nouvelle création humaine, il appartient au divin, il
est de l’ordre de l’origine, raison pour laquelle il doit s’écouler et
retourner à sa matrice terrienne. S’il n’en était pas ainsi, on assisterait à
quelque chose qui s’apparenterait à un court-circuit, à une sorte d’inceste.
Toutefois, le sang versé, celui des
deux moitiés, joue le rôle de ce qu’est pour nous la double signature au
bas du texte d’un contrat : il n’y a pas eu d’alliance s’il n’a pas été libéré.
C’est à ce sang versé que l’on constate l’alliance, c’est-à-dire l’existence
d’un lien indéfectible.
C’est ce que signifie, concernant
l’union d’un homme et d’une femme, l’expression littérale une même chair
(Genèse 2.24), en réalité, une même existence : paradoxalement,
elle n’est même chair que si elle est chairs distinctes.
Le point
important est à mon sens que chaque nouvelle alliance est de l’ordre de la
création, non au sens où il ferait partie des éléments constitutifs
primordiaux, présents à l’origine du monde et pour l’éternité, mais en ce sens
qu’il ajoute un élément nouveau au monde, parmi tous ceux qui se font et se
défont chaque jour dans ce dernier.
Tel est alors le sens du septième
jour (Genèse 2.1-3) : la création s’y continue, s’y enrichit ou s’y défait
à chaque instant par la mise en œuvre du paradigme posé par l’ensemble des
actes créateurs de Genèse 1.
2 – Un rite de
création
Dans les tout premiers temps de la
mise en forme de la foi du Christ, ces aspects de l’imaginaire biblique n’ont
pas encore disparu. Cela n’arrivera sans doute que progressivement, pour en
arriver à la prédominance de lectures liées à des représentations venues des
philosophies gréco-latines. C’est ainsi que Paul, cet élève du rabbi Gamaliel
qui raisonne en hébreu comme il le dit lui-même, aura bien du mal à transmettre
cela à l’ensemble de nouveaux croyants habités par d’autres façons de voir que
la sienne. On voit cela dans l’Épître aux Romains.
Il y a sans doute là, d’ailleurs,
bien des pistes à suivre quant à ce qu’on pourrait appeler une acculturation de
la foi biblique. Voici par exemple comment l’image du rite d’alliance auquel il
est fait référence plus haut peut éclairer le sens de la mort du Christ
autrement que cela n’a été fait le plus souvent.
Nombre de croyants refusent
aujourd’hui une conception sacrificielle de la mort de Jésus, c’est-à-dire une
conception qui le considère comme l’agneau sacrifié pour le salut des croyants,
à la place de ceux-ci. La difficulté est que cette conception semble
biblique et qu’elle paraît figurer dès le tout début, avec Paul, parmi les
fondements de la pensée chrétienne.
Néanmoins, il faut bien voir que
cette conception sacrificielle, si elle nous apparaît telle, dépend en réalité
d’une façon de voir fort différente de la nôtre, ce qui invite à reconsidérer
ce que nous pouvons faire d’elle au sein de notre propre façon de voir
lorsqu’elle est liée au Christ.
Prenons l’exemple du fameux texte
paulinien de Romains 3.21-26. J’en livre ma traduction :
À présent – sans
la loi la justice de Dieu a été manifestée ––– attestée par la Loi et les
Prophètes
Justice de Dieu –
par la foi de Jésus – messie ––– pour tous les croyants
Car il n'y a pas
de distinction – car tous ont erré ––– et ils sont privés de la gloire de
Dieu
Justifiés
gratuitement de par sa grâce ––– par la délivrance qui est dans le messie Jésus
Lui que Dieu a
installé en réconciliation ––– par la foi en son sang
Pour montrer sa
justice par la mise au rebut des erreurs passées ––– en la patience de
Dieu
Pour montrer sa
justice – dans le moment présent ––– en vue d’être lui-même justice
Et de justifier
––– quiconque est de la foi de Jésus
Dans ce passage, le rôle de Jésus
comme victime sacrificielle se joue autrement qu’on ne l’a compris après que
les Églises aient pris leur distance à l’égard de l’ancienne façon de voir
sémitique.
À l’époque du juif Paul, la croix
("le sang") du Christ, est vue plutôt comme une sorte de signature
sacrificielle, et offre un nouveau départ, une nouvelle alliance. Dans cette
façon de voir, la réconciliation et la délivrance à l’égard du poids d’un passé
malheureux ou malfaisant (le péché et la mort) peuvent être en effet les
conséquences d’une alliance que doit absolument signer un sacrifice sanglant.
Celui-ci permet de trancher cette alliance. À partir de là, on l’a vu, une
nouvelle histoire commence.
Certes, le fait de la crucifixion
n’obéit pas aux règles rituelles du sacrifice d’alliance que l’on trouve dans
la Thora, mais il leur est assimilé par Paul dans une logique parabolique, elle
aussi caractéristique de cette façon de voir.
Cette alliance provient d’une
décision de justice, délivrée, dans ce texte paulinien, par celui, Dieu, qui
est en lui-même, puisque Seigneur universel, "ce qui est juste" et
dont sourd toute justice comme toute justesse.
La signature de cette alliance
suffit à intégrer de nouveaux partenaires dans l’éminente suprématie ("la
gloire") d’un seigneur. Se fonder sur une telle alliance pour régler sa
pensée comme ses affects ou ses conduites est la définition de la foi
réciproque des contractants. C’est en ce sens qu’un humain est sauvé par la
foi. Il s’agit de "la foi de Jésus", expression ambivalente : la
foi que Jésus a manifestée et la foi des croyants en Jésus.
Ce n’est pas sa mort qui gagne le
salut des croyants à la place de la leur. C’est l’établissement d’une alliance
universelle entre Dieu, qui en décide en toute seigneurie, et ceux des humains
qui l’acceptent. S’ils le font, c’est eu égard à la signature absolue que la
croix signifie pour eux.
Ainsi, si le Christ est mort pour
les croyants, c’est au sens où ils reconnaissent en elle la signature de Dieu.
Tout comme les Anciens reconnaissaient la validité absolue d’un contrat à
l’écoulement du sang de l’animal sacrifié.
Pour le croyant, ce salut n’est pas
premièrement le moyen d’obtenir la vie éternelle après sa mort, il est d’abord
un partenariat avec un seigneur supérieurement fidèle, et il commence dès le
geste qui consiste à reconnaître en Jésus celui qui signe, par sa mort, la
fidélité de Dieu.
Le croyant Paul voit donc plutôt
dans la croix le moment unique d’un sacrifice de réconciliation destiné à
établir une alliance éternelle. Scandale spécifiquement biblique : le Dieu
tout-autre et les mortels unis arbitrairement par une fraternité de
sang !
Telle est la façon dont le sacrifice
du Christ pouvait être compris au tout début de la pensée chrétienne, au temps
où elle était encore directement liée aux conceptions classiques de la foi
hébraïque. Il semble qu’il pourrait être intéressant, voire nécessaire, de
repartir de là pour repenser le sens du moment de Golgotha.
On a vu là de tout temps
l’instauration d’une alliance, nouvelle ou renouvelée, d’où l’expression Nouveau
Testament. En tout cas étendue à l’ensemble des humains. Mais peut-être
doit-on aussi la comprendre, à la suite de Paul, comme nouvelle création, celle
d’un nouvel Adam, non seulement au sens d’un remplacement d’un premier humain
failli, mais comme l’invention d’un nouveau monde, courant dès aujourd’hui et
pour toujours.
Il est enfantin de dire que si le
Christ n’était pas mort il ne serait pas ressuscité, mais autre chose est
d’affirmer que la Passion, en tant que rite de l’alliance du contractant
suprême, signe l’établissement d’une nouvelle modalité du réel, l’instauration
d’une nouvelle histoire du monde. Qu’une nouvelle création apparaît : le
Christ debout, érigé.
Bref, que ce que nous appelons
résurrection, littéralement un surgissement… fait partie de la crucifixion,
considérée comme sacrifice d’alliance. Non pas, au-delà de la logique
narrative, la mort puis la résurrection, mais le surgissement du nouveau dans
la mort elle-même.
25
novembre 2016
N.B. : On trouvera une version
plus complète, comportant diverses justifications de ce qui est affirmé ici, en
allant à la page Suite
de ce site (Pâques comme rite d’alliance).
EN venir À la raison
Catéchisme 4
C’est une lecture restrictive du
Nouveau Testament qui laisse penser que son message n’appartient qu’à ceux qui
font partie de telle ou telle communauté restreinte nommée Église.
De même, c’est une lecture
restrictive qui laisse penser que lorsque ce message s’adresse à des personnes
qui ne font pas partie d’une communauté d’Église, c’est dans le but de les
amener à y entrer.
Non que ces deux façons de voir
soient absentes du Nouveau Testament, mais la conviction qui s’exprime ici veut
qu’il s’agisse alors de compréhensions restrictives incluses parmi d’autres
dans le mouvement global des Écritures en question.
L’Évangile de base, c’est-à-dire le
message simple et central issu de ce mouvement global, issu du souffle de vie
qui mène le monde, s’adresse à tous et à toutes, il est totalement inclusif et
il ne contraint personne.
Dans un effort d’intense
simplification, il dirait alors que l’examen final porté sur l’espèce humaine,
son monde et leur survie, est passé, qu’il a été raté, qu’il n’y avait pas là
d’avenir.
Il ajouterait qu’une session de
rattrapage extrêmement coûteuse a permis néanmoins de laisser passer tout ce
monde en vue d’un autre mode de fonctionnement expérimental conduit par un
mentor éprouvé, le Christ.
Vu l’insuccès du fonctionnement
antérieur, il fallait bien cela.
Cela s’adresse donc à tout ce monde,
et il est temps que celui-ci considère l’aspect pratique de ce message :
Il s’agit de
remettre les lieux en ordre à tous égards à partir de critères plus efficaces
que ceux qui ont précédé.
Ce qui règne désormais, c’est un
ensemble de comportements vigoureux privilégiant la douceur, la consolation, la
recherche de la paix, la justice et la justesse, la simplicité, la miséricorde,
Compte tenu de la pauvreté de
l’esprit, de la faiblesse du souffle qui caractérise l’espèce humaine, tout
cela peut être facilité par le souffle de vie qui mène le monde, lequel est à
rechercher sans cesse.
C’est d’ailleurs ce que signifiait
cette expression de l’ancienne langue : Heureux les pauvres en esprit,
le règne des cieux est à eux.
Que certains estiment nécessaire de
se regrouper pour s’entraider dans cette recherche peut être un bien, à la
rigueur, à condition que cela n’aboutisse pas à la constitution de cercles
exclusifs : condition sine qua non !
Quant à ceux qui croient que
l’ancien mode de fonctionnement est encore celui qui règne aujourd’hui, ils
vivent donc dans l’illusion. Ils seront détrompés le jour venu mais d’ici là,
leur interférence risque de faire à nouveau rater l’expérience. On ne saurait
donc trop les interpeller afin qu’ils en viennent à la raison.
10
décembre 2016
Catéchisme 5
Quel sens a le concept de Trinité
pour nos sociétés actuelles ? Ou plutôt l’image de la Trinité ?
Parlons d’abord musique sacrée. Que
l’on soit monothéiste ou polythéiste, cela n’y fait sans doute rien : dans
la musique monodique, qui fut à peu près la seule pendant des siècles, voire
des millénaires, plusieurs personnes chanteraient-elles ensemble à l’unisson
que l’on n’entendrait en quelque sorte qu’une autorité unique.
L’Auteur unique. Quelqu’un parle,
les autres écoutent. Sur le plan structurel, c’est un monothéisme absolu,
peut-être même dans le polythéisme, dans lequel on peut imaginer que chaque
dieu chante ou soit chanté pour lui seul.
Certes, de nos jours, le chant,
monodique comme polyphonique, n’est pas nécessairement religieux, mais c’est le
chant religieux qui lui a servi de conservatoire, à la fois modèle et mémoire.
Je fais l’hypothèse que la
polyphonie ne pouvait croître et s’imposer que chez ceux qui croient en un dieu
tri-un. Qui ont reçu l’image d’un dieu tri-un. Dieu unique et cependant apte
par construction à la conversation intime. Désireux de cette conversation
intime.
En Occident, cette musique est née
chez les moines et a connu son apogée vers le XIIIe siècle. Est-ce un hasard si
ce fut au temps de Saint Thomas d’Aquin, celui qui porta là aussi à son apogée
la théologie occidentale ?
Après tout, on s’était déjà
accoutumé à ce qu’il existe, non pas un, mais quatre évangiles canoniques. À ce
qu’on ait refusé l’autorité d’un seul langage.
C’est ainsi, sur cette base, je le
suppose, que le chant devint pluriel. Et qu’à partir de là il se développa et
se démultiplia, se laïcisa, pour devenir pour une large part l’une des bases de
la culture des peuples qui furent chrétiens.
Contrairement à ceux qui, tels en
islam, n’imaginent pas ce débat interne au divin comme principe fondateur,
antérieur aux pensées humaines.
Et je fais cette autre
hypothèse : ainsi s’inventèrent, sur la longue durée, les conditions de la
démocratie moderne, celle des divers, non la grecque, qui était celle des
mêmes.
Une démocratie moderne où ce sont
toutes les catégories sociales présentes, dans leur ensemble, qui se
concertent. Noter ce terme musical.
Ainsi, l’émergence d’une pensée et
d’une piété théologiques trinitaires serait à l’origine de l’une des bases de
notre culture. Celle-ci aurait pour double principe une sorte de confiance à
l’égard d’une harmonie plurielle fondamentale, à rechercher toujours, et d’une
profonde défiance à l’égard des pensées uniques.
Sans toutefois éviter qu’on en
revienne toujours à ces dernières, qu’on y retombe toujours, tentation et
danger permanents.
2 janvier
2017
LEçON SPATIO-TEMPORELLE
Catéchisme 6
Ce qui suit s’apparente à une leçon
de théologie, il faut m’en excuser : un moment d’égarement. Si cela nuit à
la lectrice, au lecteur, éloignés en leur âme de ces
jeux d’Esprit, qu’ils passent à autre chose.
D’autant que j’utilise des outils
techniques inhabituels, ceux de la poésie. On n’y trouvera donc nulle
certitude, juste des interrogations et propositions portant sur quelques thèmes
liés à la foi du Christ. Sachant que mon Seigneur sourit avec bienveillance de
ma belle ignorance.
(NDLR : tel qu’il est employé
ici, le terme poésie ne doit pas être associé à l’émotion ou à la
sensation, mais, selon son étymologie, au travail aventuré du langage)
Tout d’abord, je constate que le
messie s’est appelé lui-même "le fils de l’humain", ho huiòs toû anthôpou,
des termes grecs traduits texto de l’expression araméenne bar ènoch (Daniel 7.13) pour dire l’humain par excellence,
l’humain tel qu’en lui-même.
C’était pour signifier, je pense,
qu’au regard de Dieu, sa vie et sa Passion fournissent le sens de l’aventure
humaine. En cela, elles permettent de juger de tout ce qui est humain. Un
jugement que les Écritures, qui se situent comme nous dans une histoire
orientée temporellement, associent le plus souvent aux fins dernières.
Mais si vous vous détachez en pensée
des liens de votre espace-temps, vous pouvez imaginer que ces fins sont
dernières en ce sens qu’elles sont radicales, actuelles et perpétuelles. Si
vous voulez alors comprendre le sens de ce qui arrive chaque jour à votre
espèce au sein de l’ensemble du monde créé, visible et invisible, regardez à
l’histoire du messie.
Et maintenant, si vous vous souciez
de votre situation personnelle vis-à-vis de Dieu, le dieu de l’Évangile,
dites-vous d’abord que tout est accompli, vous concernant. Votre compte est
réglé, à vous et au monde. C’est fait. Acquis. Signé sur une croix. Vous voilà
mort, vous êtes libéré de la question. Et au fond, au moins en tant qu’espèce
c’est bien ce que vous cherchiez, non ? Et ça règle tout.
Passez du temps là-dessus, prenez le
temps de vous en convaincre. Puis – mais seulement après cela – dites-vous que,
le Dieu biblique n’ayant de cesse de créer du neuf à partir de l’abîme
préexistant (Genèse 1.1-2), une belle aube d’un dimanche fait de vous, de ce
mort que vous êtes, un être nouvellement créé.
Nouveau. Donc en partance, debout,
votre tombeau vidé, n’ayant plus maintenant qu’à vous occuper. Utilement.
Courageusement. Avec plaisir. Méditez ces trois termes, surtout le dernier.
Mais, accidenti !
nombre de théologiens vous ont enseigné qu’en fait,
vous vivez en un temps à deux niveaux, le temps du déjà et du pas encore, votre
salut se trouvant déjà accompli mais pas encore manifesté.
N’en croyez rien, car vous trouverez
cette représentation source de trouble, surtout si vous la reliez à une
représentation spatiale : ce Royaume de Dieu dans lequel il est question
d’entrer ou non.
Or ici et maintenant vous ne
connaissez rien de l’espace-temps de Dieu (si toutefois ce langage a du sens
pour Lui). Au sujet de ce Royaume, vous ne pouvez donc penser, ni en terme
spatial, ni en terme temporel. C’est pourquoi vous ne croyez pas pouvoir vous
trouver DEDANS, ni déjà ni pas encore.
Heureusement, les Écritures emploient
un terme grec, basileía (aujourd’hui, les
Grecs le prononcent à peu près vassilie), que
l’on peut traduire, soit par royaume, soit par règne. Vous notez
alors que le choix quasi-constant du mot royaume par les traducteurs
résonne avec l’obsession humaine du pouvoir territorial, de ses normes imposées
et de ses frontières. Façon de vous faire un Dieu à votre image.
Tandis que le terme règne
ouvre la possibilité d’un service hors normes, hors frontières, à l’égard d’un
maître lui-même hors norme et hors frontière. Vous le préférerez donc.
Vous constatez d’ailleurs que royaume
est purement un nom alors que règne est identique au verbe conjugué – il
règne. Voilà qui parle. Or vous avez souvent noté que les Écritures sont
plus à l’aise dans le mouvement du verbe que dans le statisme de la
nomination.
C’est que, vous l’avez remarqué, l’image
du royaume est congruente avec le rêve historique des empires ou de la
chrétienté, tandis que l’histoire du règne peut ouvrir à la
dissémination et à la potentialité évangéliques. Elle est elle-même une voie,
un chemin, non un état.
Est-ce pour cela que la toute
première appellation de ce qu’on nommera plus tard christianisme était la
voie ? (Actes 9.2)
Eh bien pour vous, le salut est accompli,
le drame en a eu lieu, en cela vous avez foi. Point final. Vous ne reviendrez
pas là-dessus, c’est un fait posé par le Christ dans votre espace-temps.
Aussi, heureux et tremblant devant
l’aventure qui s’ouvre à vous, vous vous trouvez libre de vous placer, dès ici
et maintenant, SOUS le Règne de Dieu, en son espace-temps certes mystérieux,
mais qui, vous l’imaginez, inclut votre ici et votre maintenant.
Et bien sûr – est-il utile de le
souligner ? – vivre sous ce règne comporte nombre de cheminements qui
tous, mènent vers ce qui fait du bien aux gens, aux êtres de la Terre et du
Ciel, à Dieu lui-même, et même à vous.
J’insiste : ni déjà, ni pas
encore, mais sous le règne, maintenant comme pour les siècles des siècles. Sur
votre Terre qui est dans le Ciel.
10 avril
2016
POÉSIE THÉOLOGIQUE
Catéchisme 6bis
À la suite de ma leçon de théologie
poétique intitulée Leçon spatio-temporelle, j’ai reçu quelques réponses
fort pertinentes d’amis théologiens auxquels j’ai répondu directement de façon
tout aussi pertinente (hem…). D’autres questions étaient en fait des objections
masquées. J’y réponds ici :
– Mais que fera-t-on des trahisons de cette
foi, de cette alliance, de ce lien, de cette dépendance ? C’est ce qu’on
vous demandera. Et vous rétorquerez, juste un peu agacé par ce relent de
juridisme, que la réponse est au cœur de cette leçon, qu’il suffit de relire,
refaisant ce parcours : mort puis relèvement. Une leçon qui aurait pu
s’intituler elle aussi Dans nos recommencements.*
– Mais qu’en est-il alors de la mort ? On va vous
le demander, à coup sûr, et vous répondrez que vous n’en savez rien car il ne
faut pas mentir, c’est vilain. À moi-même je dirai cependant que rien n’est
plus pénible, sans doute, qu’un changement d’espace-temps… Ce serait comme
changer de chair, non ? Brrr.
– Mais qu’en est-il alors de l’Enfer, ou plutôt du
Séjour des morts ? On vous le demandera et vous rappellerez qu’on lui
préfère aujourd’hui le néant, pour les morts, du moins chez nous, mais que
c’est affaire de disparité culturelle, qu’on a le droit de préférer un séjour
infernal… mais que dans tous les cas, l’Évangile annonce, au bout de tous les
comptes, une nouvelle création. Restez ferme là-dessus.
– Mais qu’en est-il alors de votre droit à affirmer de
telles choses ? Alors ça, à coup sûr, on vous le demandera. Au besoin on
vous assénera en même temps un bon nombre de coups de versets dans le but de
vous ramener à la saine doctrine, celle qui comporte à la clé une condamnation
dernière. Vous répondrez que vous, vous lisez les Écritures comme cela. Point.
Mais que, vous le reconnaissez, il ne s’agit en rien d’un savoir. Il est
tellement difficile de parler de ces choses à l’aide de notre perception de
l’espace et du temps...
* Dans nos recommencements est le
titre d’un recueil de poèmes de Henri Meschonnic
(Paris, Gallimard, collection Le Chemin, 1976).
Catéchisme 7
Dans les Écritures, l’homme de Dieu
n’est pas censé méditer pour trouver la paix intérieure et finir uni au grand
tout. Il se fout de cela, préparer sa fin ne l’intéresse pas : elle est
écrite ! Quant à la paix, il sait qu’il n’y a pas de paix, la crierait-on
partout.
Aussi, parlant clair un jour, une
autre fois par parabole, il attaque. Attestant, contestant et protestant. Tel
est son devoir, qui n’a rien d’irénique. La voie du Christ est celle du combat.
Il vient porter l’épée de la parole juste. Non pas vraie, mais juste, au sens
de la justesse.
Et il convient de tenir pour vrai,
toujours et partout, qu’une parole juste change le monde.
Non point l’épée, non point le char,
non point la bombe, ni même l’outil quel serait-il : une parole juste.
L’homme de Dieu a vu le monde, il en
voit la malfaçon. Ce monde, des forces inconnues, néfastes, l’habitent et le
tordent. Aussi y trouve-t-on par exemple ces aveugles, ces boiteux, ces
sourds-muets, ces lépreux qui sont signes du malheur
propre à cet espace-temps.
Aussi y trouve-t-on ces potentats
dévorants et destructeurs, ces religieux inquisiteurs et punisseurs. Ces filles
perdues et ces garçons violents. Ces riches, mâles et femelles, qui se voient
beaux et bons, qui bâfrent ou qui amassent et marchent sur les petits.
Car il n’est pas besoin, car il ne
suffit pas de changer de linge chaque jour pour être quelqu’un de bien.
Ou encore ces conquérants, ces
empereurs incendiaires et massacreurs, imposant à quiconque leur hégémonie
pernicieuse, leur grandeur illusoire, leur civilisation, dont la beauté
provient, en ses moyens, de la ruine des simples. Ces possédants transformant
votre humble champ en parcelle anonyme dans l’immensité de leurs biens. Vous
usant puis vous jetant.
Tout ce dont, sous de multiples
formes et occurrences, on constate la présence. Aujourd’hui comme hier.
Quand la beauté du monde, sa bonté,
son bonheur, est ainsi pervertie, alors l’homme de Dieu se lève et, pris de
colère*, habité par la colère de Dieu, la sainte colère de Dieu, il crie à la
face de ce monde la vérité de ce monde et c’est ainsi qu’il meurt, écrasé par
ce monde.
Tel est son devoir, son obéissance,
sa vérité. Divine vérité.
C’est alors ainsi que lève, incessamment
que lève, obstinément que lève, toujours et partout que lève la chaleur des
jeunes gens en colère, des mamans en colères, des vieillards en colère, des
jeunes femmes en colère, des moines en colère, des pères en colère, en un
mouvement de colère qui jamais ne s’arrête ni ne s’arrêtera jamais.
Jusqu’en un jour à venir où la
colère se mue en construction collective, au jour de la fraternité, et quand
donc viendra-t-elle ?
C’est ainsi que l’homme de Dieu se
lève, c’est ainsi que l’homme de Dieu qui meurt est un homme de Dieu qui se
lève.
Homme-Parole.
* Marc 3,5
Catéchisme 8
J’évoque ici la résurrection du Christ
mais en fait, le terme est impropre, c’est une traduction mal orientée :
il ne s’agit pas d’un retour mais d’une ouverture.
La "résurrection" du
Christ évoque le plus souvent pour nous la question de la réalité du
miraculeux, c’est d’ailleurs ainsi que nos médias en parlent – quand ils en
parlent.
À l’époque du Nouveau Testament,
cependant, la question n’était pas celle du miracle, au sens d’événement
d’origine surnaturelle, mais celle de la puissance de vie que Dieu accepte ou
non de manifester.
C’est que Dieu n’était pas alors
considéré comme surnaturel, mais plutôt, c’est notre monde qui n’était pas
vraiment naturel : il n’était pas conforme à son objet véritable, ne
répondait pas à sa finalité réelle !
Alors que dans le vrai monde, celui
de Dieu, la vie s’exprimait, pensait-on, dans toute sa gloire.
D’où cette réflexion ultérieure de
rabbi Nahman de Breslau : « Les gens
disent qu’il y a ce monde-ci et le monde qui vient. Nous croyons dans le monde
qui vient. Quant à ce monde-ci, peut-être existe-t-il aussi. »
C’est en ce sens que le corps du
Christ est présenté dans les évangiles comme ressuscité. Ce terme veut
traduire, non un retour à sa vie précédente, mais une entière manifestation de
ce que serait la vie dans un monde véritable.
Les termes grecs utilisés dans le
Nouveau Testament n’évoquent pas en effet l’image d’un retour, mais d’un lever.
Il ne s’agit pas d’une abolition de la mort, mais d’une nouvelle création.
Si l’on essaie de transcrire cela
dans notre langage actuel, ce qui est dit alors, et que l’on peut croire ou ne
pas croire, c’est qu’une fêlure, une brèche, s’est ouverte ce matin-là dans le
temps de ce monde-ci, par laquelle est apparu le réel d’un autre monde, d’un
autre temps.
Un temps, si toutefois ce dernier
terme convient alors, qui ne peut être qu’un avenir, pour nous qui sommes
immergés dans le temps.
Un monde qui ne peut être reçu par
nous que comme venant de l’avenir, immergés que nous sommes dans notre
aujourd’hui. Un aujourd’hui né du passé, fils d’un monde ancien.
Un monde qui n’est donc pas, pour
nous, le fruit d’un retour à un temps originel, à un passé fondateur à jamais
abandonné, mais un point d’arrivée… lui-même peut-être nouveau départ, qui
sait ?
Et puisque temps il y a, il s’agit
d’un récit, tourné comme tout récit vers sa fin. On peut alors entrer dans
cette narration, s’y projeter, devenir l’un de ses protagonistes. Poser sa vie
dessus. C’est ce que l’on appelle la foi, au sens biblique.
Les personnes ou les communautés qui
entrent dans cette narration se trouvent alors précipitées vers ce temps d’un
monde à venir. Elles tendent à se baser, elles tentent de se baser, sans trop
se soucier de réussite, sur la puissance de vie bonne qui est en Dieu, l’ayant
entrevue ce jour-là, premier jour de leur semaine.
le pratique
de la chose
Catéchisme 9
Je reprends aujourd’hui une
thématique qui m’est chère, celle de l’actualité très pratique du message
évangélique dans la situation mondiale présente. Simplement, je me fais du
message évangélique une lecture moins spiritualiste, c’est-à-dire moins
dualiste tendance céleste, que celle qui a cours le plus souvent.
Dans cet esprit, je pense à cette
citation d’Edgar Morin : « J’ai foi dans l’amour, dans la fraternité,
l’amitié, la communion. C’est une foi que je ne peux pas justifier par la
raison. » Cet athée écrivait cela après avoir avancé que l’avenir de
l’humanité est grandement compromis, voire désespéré.
Ce genre d’attitude me paraît plus
sain que de me soucier de ma petite existence, si dénuée d’importance comparée
à l’immensité de l’univers. Même de mon salut éternel, dont un autre s’occupe.
Car quand je dis salut éternel, je ne sais pas de quoi je parle, c’est cet
autre qui le sait, moi je suis dans l’inconnu.
Je remarque alors à quel point la
chrétienté ordinaire a fait peser sa marque jusque sur un esprit aussi éloigné
d’elle que celui d’Edgar Morin, ce juif séfarade sécularisé qui écrit :
« À la différence de religions telles que le christianisme, qui dit :
"Soyons frères pour que nous soyons sauvés", je préfère dire :
"Soyons frères parce que nous sommes perdus". »
Pour lui, l’offre chrétienne est
donc le salut par les œuvres : je suis sauvé si je me comporte de la bonne
manière aux yeux de Dieu. Or à cela s’oppose l’offre évangélique, du moins
telle que Luther l’a redécouverte : "Soyons frères parce que nous
sommes sauvés." Dans cette dernière optique, rien n’est à gagner, tout est
donné.
Sauvés, donc, mais de quoi ?
Car la question d’Edgar Morin concerne le salut tout à fait temporel de
l’espèce humaine et, plus largement, de la vie sur la planète Terre. Un salut
qu’il n’estime plus trop plausible en l’état. D’où s’ensuit cette réaction que
je trouve paradoxale : "Soyons frères !" Or pourquoi l’être
si tout est foutu ?
Et s’il convient alors de se montrer
frères, ceci contrairement à notre habitude, on ne saurait mieux dire, à
rebours, que la violence qui définit les relations internes à l’espèce humaine
représente la cause majeure, profonde, initiale, de la perdition à venir.
Rien n’est plus conforme à la pensée
centrale qui s’exprime dans les Écritures bibliques. Alors que le bouddhisme,
par exemple, se soucie premièrement de supprimer la souffrance, la question
majeure de la foi biblique est la violence humaine, et ce n’est pas pour rien
que le récit évangélique culmine avec l’élimination physique du messie par
l’ensemble des représentants patentés de la société de son temps.
Ce n’est pas pour rien non plus que,
dès le tout début du livre de la Genèse, le premier homme né d’un couple
humain, Caïn, est à la fois le meurtrier de son frère et l’instaurateur de la
civilisation.
Caïn, celui qui se dit que la
première personne qui va le rencontrer n’aura qu’une idée, le tuer (on dirait
l’un de ces messages hostiles aux étrangers trouvés sur Facebook,
venus parfois de certains qui se pensent paradoxalement chrétiens). C’est
pourquoi sa descendance n’a qu’une idée : tirer le premier.
Conduis-toi donc en frère, lui
conseillerait en quelque sorte Edgar Morin, cesse de penser de cette manière,
car tout est perdu, tu ne te sauveras donc pas en rejetant ou zigouillant un
humain de plus.
Or ce conseil me semble frappé au
coin de la ruse qu’employaient les prophètes, dans les Écritures :
supposons que les gens le suivent, et la prophétie de malheur perd son sens,
tout est sauf à partir du moment où règne la fraternité.
Tu n’y parviendras pas, répond la
sagesse évangélique, tu en es incapable. Tu te montrerais frère ? Caïn
l’était, vois ce qu’il en est advenu ! Il n’est pires ennemis que des
"frères" humains car il y en aura toujours un pour taper sur les
autres, et si ces autres survivent ils répliqueront. Ceci jusqu’à extinction de
l’espèce.
La violence est inhérente au genre
humain, elle fait partie de son être, poursuit-elle, car elle procède d’un
défaut, au sens où ce terme évoque à la fois un manque et une malfaçon. D’où
ressort chez elle la sensation profonde d’une perte irrémédiable.
De cette perte, les évangiles
parlent à leur manière en évoquant une dette. Curieusement, cette
"dette" disparaît de toutes les traductions, par lesquelles elle est
remplacée par des termes évoquant l’offense ou la culpabilité. Il faut croire
qu’elle dérange.
Simple exemple parmi d’autres
possibles, nous retrouvons dans le Notre Père, avec Pardonne-nous nos
offenses, ce recul devant les termes grecs, qui disent Remets-nous
nos dettes…
Habitude malheureuse qui consiste à
projeter notre moralisme dans les Écritures. Car la dette est un fait objectif,
non un comportement. La dette des humains est structurelle, universelle, elle
vient de loin, même si chacun y prend sa part.
Nous sommes redevables, c’est le
sort commun, en nous quelque chose manque, que nous ne pouvons rendre. Plus ou
moins ? Quelle importance, le passé, et tout le mal qui va avec, fait
partie de nous. Le bonheur aussi, mais il n’ôte rien au malheur. Je ne
rattraperai jamais ce qui a échappé, m’a échappé, nous a échappé. C’est là,
dans notre histoire.
Je porte en moi toutes les disgrâces
de la terre. Erreurs sans nombre, malheurs sans limite. Méfaits de naguère ou
de jadis. Erreurs petites ou gravissimes.
Alors, au bout du compte, tu te sais
perdu, perdant par construction, et tu n’es pas content. Tu vas te rebeller
contre ce destin, tu vas te construire, contre lui, tous les succédanés, tous
les artéfacts possibles.
Tu vas vouloir ainsi régner sur le
monde et tu vivras alors habité sans cesse par la peur de l’échec, par la
connaissance intime de ton incapacité. Aussi la colère te prendra, tu feras des
autres les responsables de ton malheur, ils paieront pour cela.
Et l’Évangile conclut : tout
cela est inutile. Rien ni personne n’est perdu. Va, et recommence autrement,
recommence toujours, repars, laisse ta dette derrière toi, d’elle aussi un
autre s’occupe.
L’Évangile, c’est avant tout une
pratique, ce n’est pas une explication du monde, ce n’est pas une extinction du
malheur des temps, c’est un sourire sur le passé, un courage donné pour faire
avancer, pour travailler au bonheur promis.
C’est juste savoir qu’à la fin,
cette fin qu’à vues humaines tu ne connaîtras pas de ton vivant, c’est la
fraternité qui gagne. C’est plus sage, plus efficace. Tout commence.
21 février 2017
Catéchisme 10
L’écrivain algérien Kamel Daoud
disait récemment que, dans son pays, le Coran est vécu comme une réponse qui
précède les questions. Alors il n’y a plus qu’à se taire, une chape de plomb
recouvre le vécu des gens, croyants ou non.
J’ajouterai à cela qu’il n’y a plus,
aussi, qu’à courber le dos devant les interprètes auto-qualifiés du Livre
saint. Tant le type de rapport que l’on entretient avec lui résonne avec un
type de pouvoir temporel.
Concernant la Bible, j’ai beaucoup
écrit dans mon jeune temps, avec d’autres, sur ce thème : quand la lecture
n’est plus une rencontre présente entre deux sujets, l’Écriture et nous, nous
devenons ses objets, et pire : nous faisons d’elle notre objet.
Luther, dont nous parlons beaucoup
en cette année 2017, avait vu le problème, lui pour qui l’usage de la Bible
était la pratique d’une rencontre existentielle plutôt qu’une répétition.
Il a toujours existé, en deçà de
cette liberté, des zélotes, murmurants ou claironnants, qui prétendent attester
d’une fidélité aux Écritures là où se joue en réalité, de leur part, souvent à
leur insu, une prise de pouvoir.
Heureusement, cette fidélité
littéraliste permet néanmoins une libération lorsqu’elle s’adresse à des
personnes, voire à des milieux, dont la blessure est si profonde qu’elle ne
leur permettrait pas d’entrer d’un coup dans un rapport de liberté avec les
Écritures.
Je sais ce qu’il en est, j’ai été
moi-même, adolescent, au bénéfice de cette libération-là. Je résonne de tout
mon être avec le témoignage des nouvelles personnes libérées par l’Évangile,
dans une profonde communion avec la plupart des Églises évangélicales*,
elles qui portent ce type de message.
Mais cela ne peut être qu’une étape.
Sinon, on s’entretient ensemble dans la répétition perpétuelle d’une louange
qui doit bien finir par lasser, à terme, sinon ceux qui la prodiguent, du moins
Celui à qui elle s’adresse.
Car sans mouvement vers une
créativité constante de la parole du croyant dans sa rencontre avec les
Écritures, dans la libre rencontre de celle-ci, en lui, avec les enjeux de ce
monde, il s’agit bel et bien, au bout du compte, d’une régression.
Car la Bible est devenue pour lui
cette réponse qui précède toutes les questions, le laissant dépourvu de sa
propre parole et transformant les Écritures en purs témoins du passé.
Quand la Bible, en effet, se confond
avec une origine à retrouver sans cesse dans les mêmes termes, elle fige son
lecteur en cymbale qui résonne (comme disait l’autre) au lieu de lui permettre
de parler lui-même.
C’est pourquoi la réussite du
mouvement évangélical est à la fois une réponse au
malheur du temps et une régression par rapport à la promesse d’heureuse
libération que porte l’Évangile.
Il existe un signe aisément
repérable quant à la possibilité de cette régression : la confusion entre
deux faits pourtant dissemblables, l’écriture et la parole. Et donc entre
Écritures saintes et Parole de Dieu.
Cette confusion est quasi-constante,
propre à toutes les Églises. Quand un digne prédicateur bien installé dans sa
chaire, serait-elle séculaire, ouvre la Bible et dit : Écoutons
maintenant la Parole de Dieu, au lieu de : Écoutons maintenant la
lecture des Écritures saintes, il se trouve déjà dans le risque de
régresser jusqu’à la pure et simple paraphrase.
Certes, la régression est moindre
quand le prédicateur remplace le littéralisme évoqué ci-dessus par un effort
herméneutique plus ou moins scientifique chargé d’interpréter l’Écriture. Mais
comme il le fait alors avant même qu’elle ait parlé aux gens et que les gens
lui aient parlé, les chances de la Parole sont minimes.
Car la Parole vivante vient après
l’Écriture, non avant. Elle est le fruit d’une lecture. Elle vient d’elle-même,
librement, en nous qui ne pouvons que la recevoir par surprise. On ne peut que
l’y aider en aplanissant son chemin par une lecture éclairée.
* J’emploie
le néologisme évangélical pour nommer l’une
des spiritualités évangéliques. Dans les Églises issues de la Réforme,
toutes les spiritualités de type évangélical –
pentecôtistes par exemple – sont évangéliques, mais toutes les spiritualités
évangéliques ne sont pas évangélicales : par
exemple, le luthéranisme classique est évangélique mais n’est pas évangélical.
21 février 2017
IN-CERTAIN
Catéchisme 11
« Quand
on parle de Dieu, on ne peut dire que des bêtises. » Je tiens qu’il faut
s’en tenir à ce principe fort simple. Autrement, Dieu ne serait plus Dieu.
Au
passage, c’est quand vous acceptez ce principe que la critique principale faite
à votre monothéisme va tomber. Je fais allusion à cette remarque selon laquelle
le monothéisme serait nécessairement violent puisque prétendant représenter la
seule et ultime vérité.
Croire
en un dieu unique dont vous ne pouvez parler vraiment – c’est-à-dire selon la
vérité – ne peut aboutir à la violence. Sauf si vous tenez absolument à exercer
la violence de toute façon, mais alors il ne s’agit plus du
monothéisme mais de votre propre stupidité.
Selon
ce principe, vous reconnaissez que croire n’est pas savoir mais se fonder sur
un Inconnu qui rend toutes choses in-certaines. Donc
non-contondantes.
Le
paradoxe de toute Révélation, c’est alors que, dans son principe, elle doit
parler l’indicible. Cela revient à tenir les Écritures comme des efforts
multiples et in-certains à nous consentis pour
qu’approche le grand Inconnu. L’Inconnu par principe.
C’est
pourquoi, en pratique, ce sont les verbes, pas le nom, qui conviennent
pour parler de Dieu. Les verbes sont multiples par définition, divers, mobiles
et mutables, puisqu’ils se conjuguent. Alors que le nom tend à dire la chose en
son être, ce qui ne se peut.
Les
verbes servent à raconter, plus que le nom, plus qu’à décrire, puisqu’ils
servent l’action.
Bref,
se fonder en toute chose sur un Inconnu à aimer, donc à raconter, peut sembler
paradoxal, pour le moins ; pourtant, croire, avoir foi, n’est pas autre
chose.
Il
convient de souligner que ce paradoxe, quand il devient une histoire vécue,
représente aussi une tragédie, au sens propre : une histoire dans laquelle
les personnages sont pris dans une contradiction fatale. Cruciale. Car tous les
bornages, en vous, vont sauter.
Vous
serez alors en danger, en vous-même, et vous serez un danger pour ceux que le
bornage du monde rassure et assure. Croire est donc mortel, car d’une manière
ou d’une autre, physiquement ou symboliquement, les assurément-assis vous
tueront*.
Le paradoxe dont il est question ici se trouve
particulièrement mis en acte, accompli, dans la crucifixion, ce moment où le
Croyant par excellence, cet humain achevé, meurt, in-certain
et se fiant.
* C’est d’ailleurs pourquoi j’ai illustré mon caté in-certain intitulé Ce qui (m’)importe
par une photo qui fait peur, la statue d’un homme couché découpé par une croix.
AU COUCHANT !
Catéchisme 12
Une chose amusante est que les mots Maghreb
et Europe ont la même et lointaine étymologie. L’un par l’arabe, l’autre
par le phénicien, ils proviennent tous deux d’une racine commune aux langues
sémitiques. Entre autres nombreuses significations, elle désigne la direction
du coucher du soleil.
Le Couchant, le Ponant, l’Occident.
Et par conséquent la fin du monde connu. Du moins pour ceux qui se trouvaient
au Proche-Orient il y a longtemps.
Et qui dit fin du monde dit aussi
l’inconnu et la mort possible, par opposition au Levant, à l’Orient, vers où se
tourner en direction de la naissance du Soleil source de vie.
Chez nous, les églises sont
orientées de préférence vers Jérusalem, et les mosquées vers la Mecque, ce qui
correspond en gros à la direction du lever du soleil. Elles se tournent vers
une naissance, une aurore, une aube, un matin. Elles tournent le dos au soir,
au crépuscule, à la nuit qui vient.
Ce n’est pas sans raison : la
religion est liée aux origines. Pour elle, celles-ci donnent leur sens au
présent et à l’avenir. Aussi est-elle tentée de toujours faire retour vers ce
qui était avant.
Un avant qui, paradoxalement, tourne
le dos au pèlerin qui suit le cours du soleil, de l’histoire, de la vie que
l’on vit. Cet avant est le contraire d’un devant-nous.
Dès le début et le plus souvent, les
Écritures bibliques inversent cette orientation vers l’Orient. La suivre est
pour elles la marque ou la conséquence d’une erreur. Là est le danger.
C’est Adam et Ève fuyant l’Éden vers
l’Orient, les humains s’en allant de ce côté-là pour construire une tour qui va
s’effondrer, Jacob se sauvant vers la Syrie, Jonas allant mourir (croit-il) à
Ninive la cruelle, que sais-je encore ? Et c’est évidemment la direction
que prennent les Israélites déportés, vers Assour ou Babylone.
La route de la justesse et du salut
est plutôt celle qui revient de là-bas, et à partir de là-bas. Nul retour vers
les origines, la naissance, les fondations, seraient-elles constitutives,
seraient-elles éclairantes.
On s’en ira vers l’Ouest malgré le
danger de mort qui y rôde. Ainsi en est-il d’Abraham, le père des croyants, et
ceci jusqu’à Paul, qui porte l’heureuse annonce jusqu’à la grande ville
occidentale, impériale, Rome, où réside pourtant l’abomination.
De préférence, la Parole biblique
suit le cours du soleil, elle va vers l’inconnu, vers une promesse, vers un
monde à venir, non vers les temps originels, ces refuges identitaires. Avis au
fond très actuel…
Saint-Coutant
– 2015
cultures, Évangile, anti-culture
Catéchisme 13
Les réflexions qui suivent
représentent un développement du chapitre 2, intitulé La ruse évangélique.
Sur le fond, elles sont évidemment sujettes à caution. Elles visent à exprimer
de la façon la plus lapidaire possible, mais non sans humour, cette question
d’une extrême complexité : quel pourrait être l’impact de l’Évangile, à
supposer qu’il soit mis en œuvre, sur les différents types de sociétés
connues.
Trois grands
modes culturels
Avec certains historiens et
ethnologues, on peut distinguer trois grands types de sociétés humaines. Du
moins si l’on prend comme critères trois réalités qui font l’objet premier du
désir des peuples considérés. Se dessinent alors trois grands modèles. Dans
cette hypothèse, on identifiera :
– la culture de la Terre-Mère,
– la culture de l’Empire,
– la culture du Capital
(à quoi il
faudrait ajouter une quatrième culture, ou plutôt contre-culture, celle du
refus du désir).
Dans chacun de ces grands modes
culturels, le désir des gens se fixe sur l’un de ces éléments, et fait naître
un grand rêve qui est en quelque sorte la matrice de l’ensemble des
comportements et des idéaux. Ajoutons que ces trois modes se succèdent au cours
de l’histoire, et que chacun des nouveaux venus intègre le précédent à sa
manière plutôt qu’il ne se substitue radicalement à lui. Aussi n’existe-t-il au
bout du compte que des cultures mixtes.
Au cours de l’histoire de
l’Occident, ces trois grands rêves ont donc peu ou prou constitué trois étapes
successives, mais chacun des deux derniers a compris plus ou moins les éléments
de chacune de ces étapes. La description de celles-ci représente donc à tous
égards une intense simplification de la réalité.
1 – Le rêve
d’être un jalon, ou la culture de la Terre-Mère.
Sur le plan des représentations
religieuses, ce rêve correspond aux cultes animistes et chamaniques.
Dans les sociétés en question,
chacun désire avant tout s’inscrire, inscrire le sens de sa vie et de la vie
des siens, sur le corps de la Terre-Mère. C’est ainsi que celle-ci est
parcourue d’itinéraires symboliques et de lieux marqués, mis en rapport avec la
saga fondatrice des dieux et des ancêtres, et avec les légendes qui justifient
les lignées et les alliances humaines.
Dans le corps de la Grande Mère sont
inclues toutes les réalités qui l’habitent, dont les végétaux et les animaux.
Ces réalités sont les dons qu’elle offre à la consommation de ses enfants mais
aussi les signes qui la déclinent elle-même, aussi peuvent-elles devenir pour
les humains des clés d’appartenance, des voies diverses permettant de se situer
dans le monde de la Mère, c’est-à-dire constituer des totems.
C’est en fonction de cela qu’en
retour et en quelque sorte en écho, le corps de chacun est marqué rituellement
de signes qui relient l’individu à une appartenance : à une lignée, à un
système d’alliances et à une géographie faite d’itinéraires et de lieux
préférentiels. Il s’agit d’être situé dans la suite des générations et dans
l’espace des pérégrinations ou des installations.
Là, la relation privilégiée est
clanique.
2 – Le rêve
d’être un rouage, ou la culture de l’État impérial.
On est ici en rapport avec les
grandes religions organisées : confucianisme, hindouisme, shinto,
chrétienté, totalitarismes…
On y désire s’inscrire à sa juste place dans l’ordre impérial, et cela même lorsque
« l’Empire » en question est tout petit car il s’agit d’un état
d’esprit et d’un état de société, d’un modèle idéal. Ce qui importe alors est,
pour chacun, de se faire connaître au moyen de ses titres et de se faire
respecter en fonction d’un code d’honneur.
Ce qui est en question, c’est que
chacun soit justifié dans son être aux yeux du Roi, ou de la figure
emblématique qui le remplace, en fonction d’une hiérarchie. Cette dernière,
pyramidale, est co-extensive à un territoire et à la
domination qui s’y exerce.
On s’y rapporte d’abord à de vastes
corpus d’écrits, complexes, dans lesquels l’ensemble des connaissances, des
morales et des sagesses peuvent se mêler aux récits des rapports tumultueux que
les dieux ou les puissances entretiennent avec des héros qui deviendront des
rois fondateurs.
Ce modèle est lié à la figure du
Père, dont le roi, ou paradoxalement la reine, ou toute figure idéale, est
l’incarnation terrestre.
Il suppose l’exploitation raisonnée
d’un territoire. Celui-ci appartient fondamentalement aux dieux (ou à leurs
avatars : religion, nation, parti), qui le dispensent à leur suppléant
humain, le roi ou le chef, afin qu’il le gère au bénéfice des humains qui
dépendent de lui. Ainsi se construit l’empire, par l’accumulation des biens et
leur relative redistribution.
Enfin, ce modèle est historique au
sens où, dynastique et territorial, il suppose une suite ininterrompue de
compétitions de diverses natures, tant guerrières que scientifiques et
culturelles, et de progrès au moins techniques suscités par ces compétitions.
Il évolue ainsi en fonction des époques et des systèmes socio-économiques
induits, faisant par exemple muter un régime impérial en république
oligarchique.
La relation type de ces sociétés est
territoriale, elle va du féodal au civique.
3 – Le rêve
d’être une onde ou une particule, ou la culture du Capital.
Dans ces sociétés, les religions
classiques, d’origine impériale, sont réactives et tendent à se concentrer dans
les milieux en perdition. En revanche, apparaissent des
« spiritualités » de type initiatique et gnostique sans visées
communautaires établies. Car le type relationnel propre à ces sociétés est le
groupuscule informel, qui permet à l’individu d’évoluer en fonction des
constants changements d’orientation des flux de capitaux.
Il s’agit là du désir d’être l’un des
passages de la rente à l’intérieur de la circulation des échanges, et de
trouver sa valeur dans sa capacité à produire et consumer de la production.
Dans les sociétés considérées, le
sens des conduites est subordonné à la constante succession des désorganisations
et réorganisations du processus de production, d’échanges et de consommation.
Contrôler radicalement ce processus, en pensée comme en action, est impossible,
y compris en ce qui concerne la rapidité ou le ralentissement de son
développement, ou la localisation à venir de ses zones géographiques
privilégiées.
C’est pourquoi le lien au territoire
étatique ou à la Terre n’a pas de valeur, même s’il peut apparaître encore, de
façon là aussi réactive, comme subjectivement important. En réalité, on se
situe socialement par la possession renouvelée d’objets manufacturés ou grâce à
l’usage passager de "concepts" particuliers, élaborés à cette fin,
objets et "concepts" transitoirement et arbitrairement élevés au rang
de marques d’adhésion au mouvement général qui affecte la production. Ce qui a
pour effet paradoxal de distraire en permanence l’individu de son environnement
social dans le mouvement même par lequel il vise à s’y fondre.
Si le capital est le repère
caractéristique de ces sociétés, c’est parce qu’il n’est contrôlé par personne,
pas même par ceux qui sont censés le détenir. Aussi nul n’est-il justifié
d’être ce qu’il est ni de faire ce qu’il fait.
La relation type de ce genre de
société s’apparente au gang ou à la mafia.
La ruse
évangélique
Il y a toujours eu des réactions
visant à la libération des êtres à l’égard des liens constitutifs de chaque
culture, c’est-à-dire à l’égard du désir particulier qui les anime. Même sous
des formes apparemment mondaines, comme pour le communisme réel, elles ont
toujours eu un moteur religieux.
L’une des plus radicales parmi ces
réactions est le bouddhisme, qui vise à supprimer le désir. Il s’agit en effet
pour lui d’abolir, pour chacun, le désir de s’inscrire dans quoi que ce soit.
L’Évangile – qu’il convient ici de
distinguer radicalement de la religion chrétienne, de nature impériale –,
cherche à intensifier au contraire le désir social, ceci quel que soit le type
de société dans laquelle il agit, mais dans le but de le réorienter :
– Aux sociétés animistes, il dit que
la Terre n’est pas Dieu, que la Nature comme les Ancêtres sont de simples
créatures. Il réoriente et vivifie le désir vers le Créateur.
– Aux sociétés impériales, il dit
que le Seigneur est celui qui se donne, qu’il est Serviteur. Il réoriente le
désir vers le service, non plus vers le haut mais en direction du bas.
– Aux sociétés déterritorialisées
liées au Capital, il dit que la circulation de l’Esprit l’emporte sur le cycle
individualiste produire-consumer mais crée l’orientation communautaire
créer-servir-destiner.
– Aussi propose-t-il aux
non-désirants un partenariat avec le sens, selon ce triple et néanmoins unique
processus : la création pour le service en fonction d’une visée.
En bref, Évangile et culture sont
dans un rapport paradoxal : pour reprendre la formule paulinienne, avec
l’Évangile il s’agit d’être dans sa culture comme n’y étant pas. Pour chacun,
cela signifie jouer avec ses valeurs et ses désirs pour les détourner en
soi-même. C’est justement ainsi qu’on change sa propre culture sans la
dénaturer.
* Notes en
vue d’un exposé dans le cadre du Service protestant de Mission, Paris, 1994.
AUX ORIGINES
DU PEUPLE HÉBREU
Catéchisme 14
Cette fois-ci, je me fais carrément
pédant, tant pis ! Il me fallait tout de même tirer les conséquences du
fait que le récit biblique concernant l’origine du peuple hébreu, entièrement
dépendant d’un point de vue théologique, ne correspond pas aux données
apportées par les chercheurs des diverses disciplines scientifiques qui
abordent cette question.
Le grand récit biblique interprète
et réécrit en effet d’anciennes traditions, aujourd’hui disparues en tant que
telles, en fonction d’un faisceau d’intentions qui se rapportent en priorité à
la foi de ses auteurs.
Ce récit est le résultat concerté
d’une œuvre littéraire que l’on peut dater approximativement de la période qui
a suivi le retour en Judée des exilés juifs de Babylone, soit du Ve au IVe siècles avant notre ère.
Pour le croyant que je suis, cela,
comme on le verra, n’enlève rien à la pertinence, sinon de l’historicité de ses
narrations, du moins des intentions dont il se fait le porteur.
Ceci dit, le point de vue que je
vais exposer ici obéit lui aussi à une intention, s’il est toutefois le
résultat d’une quête que j’espère de nature objective et historique. Le
discours de l’histoire est en effet toujours une réinvention du passé en
fonction de critères qui peuvent différer d’un auteur à l’autre.
Mon intention, ici, est de
privilégier un point de vue de nature politique, celui qui donne la prééminence
aux rapports de force entre divers formations ou milieux sociaux aux intérêts
divergents.
L’histoire d’une
longue confrontation
Toute l’histoire biblique, qu’il
s’agisse des Écritures elles-mêmes ou de ce qu’en disent aujourd’hui les
historiens, se passe dans le cadre d’un monde où régnaient des empires, cela
dès le Quatrième millénaire avant notre ère avec les premiers empires
mésopotamiens, et jusqu’à l’Empire romain.
L’histoire du peuple hébreu antique,
sous ses diverses appellations et organisations, ne saurait être abordée en
dehors de son lien avec cet état de fait, principal invariant de cette longue
succession de périodes par ailleurs fort dissemblables.
On peut lire l’histoire de ce
peuple, de son émergence à sa disparition en tant qu’entité territoriale
antique au IIe siècle de notre ère, comme celle de ses relations avec la
réalité impériale de l’Antiquité, telle que cette réalité a existé au cours des
temps sous diverses modalités au sein de cette aire de civilisation. Et plutôt
que de relations, sans doute vaudrait-il mieux parler de confrontation.
La naissance elle-même du peuple
hébreu, ou plutôt des premiers éléments qui ont fini par le constituer, a à
voir avec cette confrontation permanente, qu’elle inaugure. Une confrontation
dont on sait qu’elle a été foncièrement religieuse, mais dont on oublie souvent
que cet aspect ne se sépare jamais, dans l’Antiquité, des réalités économiques,
sociales, culturelles et politiques. C’est nous, en effet, qui séparons ce que
les dieux de l’époque unissaient…
Je partirai de cette question :
que s’est-il passé pour que, vers l’an –1000, on trouve en Palestine – quelques
petites cités-États cananéennes mises à part – un ensemble de tribus
sédentaires, assez récemment installées, confédérées, et connues sous le nom
d’Israël, partageant un même culte, celui d’un dieu unique se présentant comme
leur seigneur commun, et évoluant vers la création controversée d’un royaume,
celui de la dynastie de David ?
L’hypothèse que je formerai pour
tenter de répondre à cette question est que cette situation était le résultat
d’un processus complexe mettant en œuvre une intention durable, celle qui
consistait, pour des types de populations primitivement hétérogènes, à se
défaire ensemble de leur sujétion à l’égard de pouvoirs ressortissant au
système royal matérialisé par l’ordre impérial.
En d’autres termes, ma thèse est que
la naissance du peuple hébreu est le résultat d’une révolution et des
mutations qu’elle a produites.
Les éléments que je retiendrai pour
construire cette hypothèse sont les suivants :
– L’existence, dans les sociétés
proche- et moyen-orientales étatisées de l’Âge de bronze, de grands empires
régis par un même modèle relationnel, tout à la fois global et universel, que
j’appelle modèle idéologique royal.
– L’existence, au XIIIe siècle AC,
de populations fort diverses ayant pour point commun de se mouvoir à l’écart
des zones au peuplement sédentarisé et étatisé.
– Le double affaiblissement de la
civilisation cananéenne de l’Âge du bronze moyen : affaiblissement
économique et politique de ses cités-États, affaiblissement de la présence du
pouvoir régulateur égyptien dans cette région.
– Liée à cet affaiblissement, une
révolte paysanne au sein de la société cananéenne de la même époque.
– L’apparition d’une variante
"aberrante", insurrectionnelle, du modèle idéologique royal mentionné
ci-dessus, découverte qui pourrait être due à un groupe égyptien dissident et
attribuée à Moïse (XIIIe siècle AC).
– Enfin, à la faveur de cet ensemble
de facteurs, l’afflux en Canaan, dans la seconde moitié du XIIIe siècle AC, de
populations erratiques diverses et leur mélange plus ou moins pacifique avec
les populations paysannes autochtones au cours des XIIe et XIe siècles AC.
Le système royal
au Proche- et Moyen-Orient à l’Âge du bronze récent (-1550 à -1200)
La conception antique suppose que le
monde céleste des dieux est le monde par excellence, le nôtre dépendant de lui,
n’en étant qu’une sorte de dépendance accrochée au vrai monde par un tenon qui
est le roi. Celui-ci, considéré comme fils du dieu local, participe en effet
des deux mondes.
Le roi est vu comme don divin destiné
à soulager l’humain par la justesse/justice et le droit, et pour garantir au
peuple les conditions de vie et de production. Ainsi les grands travaux, en
particulier hydrauliques, sont-ils la marque la plus évidente de son règne.
Pour l’ensemble des peuples du
Proche et du Moyen-Orient antique, un système s’était généralisé une fois les
royaumes et empires installés et institués, et il était devenu fort banal.
Selon mon hypothèse on peut le schématiser ainsi :
Lorsqu’un potentat prend le contrôle
du domaine d'un roi voisin ou installe un de ses vassaux dans un domaine qui
lui soit propre, il devient le "seigneur" (par exemple l’hébreu adôn) de ce dernier, devenu son
"serviteur" (hébreu ‘èvèd).
Le serviteur garde son autonomie en
son domaine mais doit des prestations à son seigneur, lequel y est tenu lui
aussi, apportant paternellement protection et soutien. Si bien que les deux
tenants de ce contrat inégal sont cependant obligés à une foi mutuelle.
Il s'agit d'un enchâssement dont les
dieux (èlohim) sont les garants, promettant
aux uns et aux autres, selon le cas, bénédiction ou malédiction.
Un tel contrat est affaire de vie ou
de mort, aussi un sacrifice sanglant est-il versé lors de sa conclusion :
"le sang de l'alliance". Un objet matériel installé au cœur du
domaine du serviteur peut servir de témoin permanent de ce pacte, comme signe
de la présence virtuelle du seigneur (cet objet pouvant être le texte du
pacte).
Telle est du moins la formalisation
la plus schématique possible de réalités évidemment bien plus complexes et plus
variées.
C’est ainsi que les petites
cités-États cananéennes étaient, par la force des choses, des enjeux de pouvoir
pour les grandes puissances de l’époque, suivant le moment l’Égypte ou les
empires hittite et/ou mésopotamiens. Elles étaient toujours plus ou moins
« serviteur » de l’une ou de l’autre de ces puissances.
Mais qu’il s’agisse des grands
empires ou de ces petites cités, on trouvait une société de type pyramidal dans
laquelle une cour royale administrait une population comprenant diverses
strates d’artisans et de commerçants, pour descendre jusqu’à la masse paysanne,
au statut souvent proche du servage, la gestion de la terre étant la plupart du
temps considérée comme une attribution du roi.
Dans les zones semi-désertiques,
alors comparativement fort vastes, qui séparaient les territoires ainsi
gouvernés se mouvaient, pour simplifier, deux sortes de populations :
D’une part, des tribus de pasteurs (comparables
aux bédouins modernes). Il s’agissait de semi-nomades, c’est-à-dire de clans
faisant paître leurs troupeaux selon un parcours annuel régulier, de point
d’eau en point d’eau. L’image pacifique qu’a le berger chez nous ne doit pas
voiler la capacité guerrière de ces clans, d’ailleurs souvent apparentés ou
fédérés.
D’autre part, des populations
mouvantes et diverses, dont le point commun était une plus grande liberté de
mouvement ou de réactivité que les paysans ou que les pasteurs. Cela allait du
milieu des caravaniers, souvent razzieurs, à ceux des brigands ou de diverses
bandes d’irréguliers aspirant à l’opportunité d’une conquête.
Du XVIe au XIIIe
siècles AC, ces populations composites sont désignées par ces
termes : l’égyptien shasou ou le sémitique
‘apirou (francisé en habirou),
des termes qui évoquent à la fois l’errance, le passage, la traversée et la
possible transgression.
Canaan à l’Âge du
bronze récent (-1550 à -1200)
Les Lettres d'Amarna, qui datent du
règne d’Akhénaton, permettent de se faire une idée de
Canaan vers –1350 : le pays est contrôlé par des cités-États dans
lesquelles se trouvent des garnisons égyptiennes. L
es
petits potentats cananéens, vassaux de l’Égypte, se plaignent des méfaits sur
leurs territoires des shasou et des ‘apirou. Ils réclament de l’aide à l’Égypte.
Aux confins des XIV et XIIIes siècles AC, les habirou
ont grandement accru leur importance et leur dangerosité, peut-être en
conséquence du déclin économique de la région. Leurs raids, joints aux conflits
permanents entre cités, ont provoqué en tout cas le déclin progressif de la
civilisation cananéenne. C’est ainsi qu’au cours du XIIIe siècle AC, de nombreuses villes ont été
détruites.
L’installation
d’Israël en Canaan
On situe l’histoire de Moïse et de
l’Exode vers –1250-1230, celle de Josué vers –1230-1220.
Il est à noter que la stèle du
pharaon Mérneptah (–1207) atteste de l'existence
d'Israël comme un peuple distinct en Canaan, sans doute perçu comme un groupe habirou. On peut d’ailleurs supposer, sans
certitude, que, pour simplifier, le terme habirou
est à l’origine du terme hébreu.
Les historiens modernes ont une
lecture différente de la lecture biblique des événements de cette histoire mais
ne diffèrent pas notablement d’elle en ce qui concerne son sens socio-politique, du moins tel qu’il est présenté dans les
Écritures : « En ce temps-là, il n’y avait pas de roi en Israël,
chacun faisait ce qui lui semblait bon en Israël » (Juges 21,25) est la
conclusion du livre des Juges, qui conclut l’évocation de cette période.
Le point de vue des historiens les
amène souvent à concevoir l’histoire de cette époque comme celle d’une
révolution rurale remplaçant les petites suzerainetés cananéennes par
l’instauration d’une idéologie forte portée par un petit groupe de révoltés
primitivement venu d’Égypte sous la conduite de Moïse, puis grossi dans les
steppes du Sinaï et du Néguev par l’apport de populations erratiques (shasou, habirou)
refusant les seigneuries impériales environnantes.
À la faveur d’une baisse de la
puissance égyptienne, la partie révoltée de la paysannerie cananéenne aurait
appelé ces groupes à l’aide, ou bien ceux-ci seraient arrivés d’eux-mêmes comme
par appel d’air. Enfin, des éléments de tribus semi-nomades plus ou moins
membres de pactes auraient rejoint l’ensemble par infiltrations
successives.
Le renversement
hébraïste
Pourquoi cette coalition d’intérêts
a priori dissemblables entre une part de la paysannerie cananéenne et ces
irréguliers ? La raison peut en être l’apparition d’une idéologie
religieuse – c’est-à-dire globale, à la fois théologique, économique, sociale,
politique et culturelle – qui répondait à leur attente commune : sortir du
modèle impérial. La foi dans le dieu de Moïse…. Ou d’un groupe particulier
représenté par la figure de Moïse.
Mon hypothèse est que le coup de
génie de "Moïse" fut la mise en forme d’une variante de
l’alliance-type évoquée plus haut. Cette variante excluait toute seigneurie
humaine et faisait du dieu libérateur à la fois le seigneur unique (adonaï) et l’unique dieu à adorer (èlohim). Ce dieu occupait alors deux positions de la
structure paradigmatique, celles de garant divin des alliances (dieu) et celle
de partenaire supérieur d’une alliance (seigneur).
Il s’agissait à la fois d’une
reprise et d’une transgression du modèle que les gens avaient dans la tête
depuis des millénaires.
En fonction de ce pacte d’alliance paradoxal, les tribus et les villages confédérées
se seraient alors considérées comme les "serviteurs" d’un même
"seigneur" divin, le Seigneur-Dieu, se libérant ainsi de la
tutelle de tout seigneur humain possible. Ils devenaient en quelque sorte
confédérés, solidaires face à tous les tenants de l’ordre seigneurial
antérieur.
Aussi la "Loi de Moïse"
aurait-elle alors été, dans son principe et ses éléments originels, un code
permettant à cet ensemble social et ethnique composite de subsister en Canaan
face à la suzeraineté armée des potentats locaux ou environnants, Pharaon
compris…. et face à leurs dieux.
(Notons que tous les milieux
cananéens n’ont pas d’emblée adopté l’idéologie hébraïste et que cela s’est
réglé souvent de façon violente).
En un mot, il s’agirait d’un moyen
de mettre en œuvre, sur le long terme, un refus radical du système impérial
asiatique et de l’idéologie royale. La finalité étant là aussi celle de la
justice/justesse comme don divin, d’où devaient découler, du moins en théorie,
justesse personnelle ou cultuelle, et justice sociale et politique.
Ce serait donc le fait de cette
Alliance d’un nouveau genre qui aurait induit le monolâtrisme
hébreu, d’où serait sorti beaucoup plus tard le monothéisme juif, et non le
monothéisme qui aurait conduit à l’instauration d’une théologie de l’Alliance.
C’est l’idéologie née de cette
hypothèse que j’appellerai hébraïsme. On l’attribue à Moïse, évidemment sans
certitude, n’ayant aucune raison de refuser l’existence historique de ce
personnage.
Le schéma biblique, on le sait, est
différent : le dieu tribal des Hébreux (« Je suis le Dieu d’Abraham,
d’Isaac et de Jacob ») libère son groupe fidèle de la servitude en Égypte,
le conduit au désert, lui donne sa Loi au Sinaï pour en faire son
peuple-serviteur, devenant ainsi son Seigneur, le conduit au travers de
royaumes ennemis et lui donne Canaan, le tout malgré les révoltes réitérées de
son peuple.
La Loi est donc un don, permettant à
ce peuple de vivre sans seigneurs humains, dans la liberté et l’équité, sous la
conduite et la protection d’un Seigneur divin. Le tout en fonction de
bénédiction ou de malédictions qui signent l’ensemble comme un traité
d’alliance.
Comme on le voit, l’intention
première et la finalité de ce schéma sont comparables à celles de l’idéologie
hébraïste, si les voies suivies sont néanmoins fort différentes.
Le peuplement
« israélite » de Canaan
Selon l’hypothèse historique
retenue, de quelle nature étaient alors, plus précisément, les différents
groupes qui se sont fondus dans la population cananéenne en adoptant le modèle
hébraïste ?
Ces groupes se représentaient
eux-mêmes comme des tribus, c’est-à-dire comme
des ensembles d'hommes et de femmes de toutes les générations qui se
considèrent comme apparentés et solidaires du fait qu'ils affirment descendre
d'un ancêtre commun soit par les hommes, soit par les femmes.
Or les archéologues
qui explorent le développement des tribus pré-étatiques montrent que les
structures tribales présentent une capacité d'adaptation aux situations. Cela
signifie que, sous l’influence de telle ou telle situation plus ou moins
contraignante, tel ou tel groupe peut s’allier à un autre pour fonder une
entité nouvelle, aux intérêts communs, que l’on pourra appeler à nouveau tribu.
Cela leur impose alors de fusionner leurs généalogies.
Cette dernière figure peut
parfaitement s’appliquer, on le voit, à ces groupes errants de l’époque,
pasteurs semi-nomades et/ou groupes erratiques (shasou
et habirou) lorsqu’ils font alliance
avec des populations rurales indigènes. La question se pose alors de savoir
selon quelles modalités ces groupes hétérogènes auraient pu se considérer comme
unis par des liens tribaux.
Leur arrivée au sein du milieu rural
cananéen et l’adoption, commune à ces divers éléments, de l’idéologie hébraïste
devait donner à chacun de ces divers milieux le sentiment d’une solidarité
nouvelle. Si bien que des traditions narratives diverses concernant les
ancêtres tribaux auront pu être collationnées et réorganisées ultérieurement en
fonction d’une pensée de type généalogique, au sens propre : touchant à
l’engendrement des uns par les autres.
Abram,
Abraham, Isaac, Jacob, Israël, Joseph, patriarches présentés comme les
fondateurs de tribus subséquentes mais évoquant probablement des clans
semi-nomades ou erratiques pré-existant à l’époque
cananéenne, pouvaient ainsi devenir, une fois la révolution hébraïste
effectuée, les protagonistes d’une "histoire" originaire unifiée
("histoire" se disant, en hébreu biblique, toledoth :
« engendrements »).
Ce point de vue suppose que la
conception finale selon laquelle les douze tribus d’Israël se composent chacune
des descendants des douze fils de Jacob-Israël, lui-même fils d’Isaac,
petit-fils d’Abram-Abraham et père de Joseph, est au
départ purement idéologique. Il en est de même, alors, d’un sentiment originel
d’étroite fraternité entre ces tribus, lesquelles n’ont d’ailleurs été douze
que par périodes et selon des regroupements variés.
C’est ainsi que s’est instaurée
en Canaan un type de société de type anarchique, du moins au sens étymologique
du mot, privée d’État, d’armée de métier, d’administration centrale qui a pu
fonctionner pendant deux siècles, ceci nonobstant l’agression quasi-permanente
venue des sociétés royales environnantes et de leurs divers séides.
Cette agressivité a fini néanmoins
par devenir si pressante et si efficace, aux alentours de l’an –1000, grâce à
la pression philistine probablement encouragée par l’Égypte, que la nécessité
d’un État s’est finalement imposée.
Ce fut l’occasion d’une crise d’une
extrême profondeur, mais aussi, du moins pour quelques décennies, de
l’existence d’un type original de royauté, celui du roi vicaire du seul
monarque véritable, le dieu libérateur : ou quand le roi hébreu dépend
d’une loi intangible connue de tous.
Le paradoxe
biblique
Mon hypothèse est que la mise
progressive en écriture de l’idéologie patriarcale fondatrice, c’est-à-dire la
fusion des diverses traditions claniques ou tribales antérieures à
l’installation en Canaan, peut avoir commencé dès l’époque du roi Salomon (–950
environ) pour être arrêtée définitivement lors de la rédaction finale du
Pentateuque après le retour d’Exil (à partir de –500 environ).
Les écrivains bibliques partent donc
de ce fait paradoxal selon lequel une idéologie anti-royale, c’est-à-dire aussi
anti-étatique, a abouti à la constitution d’un État
et à l’instauration d’une royauté, cela sans abolir la dévotion à l’égard
d’un dieu considéré comme l’unique roi…
On peut voir dans ce paradoxe, et
surtout dans l’effort permanent, au cours des temps, pour le mettre en œuvre de
façon effective dans l’histoire d’un peuple, le nerf central de
l’historiographie biblique.
Autrement dit, la question biblique
est la suivante : comment servir un dieu unique, éthique et libérateur au
sein d’un monde régi par l’hégémonie des puissants ?
N.B. :
on trouvera à la page Suite
de ce site une version beaucoup plus complète de ce texte.
ACCOMPLIR
LES ÉCRITURES
Catéchisme 15
Quel est l’intérêt de se reporter
sans cesse aux Écritures bibliques, à l’histoire et à la religion d’un peuple particulier,
comme le font tous ceux qui s’en remettent à Jésus de Nazareth ?
La première réponse, évidente, c’est
que celui-ci faisait partie de ce peuple. Mais il faut aller plus loin, et
rappeler qu’il prétendait justement accomplir les Écritures données à lire par
les hommes de Dieu de ce peuple. En d’autres termes, accomplir l’héritage des
combats de ce peuple.
C’est pourquoi j’ai longuement
évoqué l’histoire de la fondation du peuple hébreu dans le chapitre précédent.
Je terminais ainsi, en une intense simplification : « la question biblique
est la suivante : comment servir un dieu unique, éthique et libérateur au
sein d’un monde régi par l’hégémonie des puissants ? »
Je précise maintenant cette
affirmation, ou plutôt je l’élargis : avec cette hégémonie des puissants
de toute sorte, on rencontre une constante majeure de l’histoire, non seulement
de l’espèce humaine, mais du monde dans lequel se nichent les humains. On a
affaire à cette faille profonde, cette dette qui est évoquée plus haut, au chapitre
9.
La violence du monde humain n’est
autre que la violence présente dans le monde, mais au niveau humain. C’est
alors que Saul de Tarse, dit saint Paul, aurait parlé, non de la violence des
puissants, permise par l’hégémonie dont ils disposent, mais de celle des Puissances
qui régissent le monde. Il s’agit là du Cosmos, de cet Univers dont nous
formons l’un des innombrables éléments.
C’est bien de cela que parlent les
Écritures bibliques, en leur fond. Il n’est pas un iota de leur écriture qui,
au bout du compte, ne se rapporte à cela. Telle est du moins ma compréhension
de leur ambition.
C’est donc cela que le Fils de
l’humain – le bén adam
hébreu, le bar ènoch araméen, le huiòs toû anthôpou grec des Écritures bibliques – a pour mission
d’accomplir.
Ce verbe, accomplir, il ne
faut pas le comprendre comme une répétition totalisante de l’ensemble des
éléments antérieurs. Il évoque plutôt la mise en œuvre de la vision ultime de
cela, de cette perspicace vision des racines du mal, telles que les hommes de Dieu
de son peuple l’ont perçue.
Accomplir les Écritures, c’est, pour
le Messie d’Israël, mettre en œuvre leur aboutissement.
Il s’agit d’un faire.
On trouve là le sens premier de
l’expression « mettre la Parole en pratique ». Elle ne signifie pas
répéter dans son action ce que disent déjà les anciennes paroles, mais les créer
dans l’ici et l’aujourd’hui en vue de demain. Ou, si l’on préfère, faire naître
une Parole d’hier qui soit transmuée en Parole d’aujourd’hui. Traduite.
C’est-à-dire, oui : créée, j’allais écrire inventée.
C’est difficile à comprendre dans un
monde culturel façonné par le dualisme, dans lequel il y a le sens de ce qui
est dit d’un côté, et la façon de le dire de l’autre. Les mots, alors, peuvent
être changés sans que le sens change, et ce sens peut être simplement recopié.
Mais si vous cessez de penser ainsi
pour adopter le mode de pensée de gens qui vivaient dans un autre monde que le
nôtre, jadis et ailleurs, sans dualisme, alors vous verrez clairement que l’on
ne peut jamais dire ni faire la même chose quand on répète mot à mot et geste à
geste ce qui fut dit et fait dans un autre contexte.
C’est alors qu’il vous faut créer
votre langue à vous de cet ancien dire et de cet ancien faire-là.
Jésus fait ainsi, il crée la parole
d’autrefois pour son heure et pour les heures qui viennent. C’est en ce sens
qu’il accomplit les Écritures.
Il ne les répète pas, il ne les mets
pas en pratique au coup par coup, au "déjà dit par déjà dit", il fait
de sa vie une traduction accomplie des Écritures.
Il fait des Écritures une Parole.
Celle qu’ainsi, il devient lui-même.
Et là, il s’agit de poésie, terme
dont le sens premier, tiré du mot grec poíèsis,
a été détourné par des siècles de petites fleurs et de petits oiseaux mais qui
évoque justement l’art de la création. Car créer est un art, celui qui consiste
à faire apparaître le nouveau que contenaient les anciennes choses. Nos
troubadours et nos trouvères de jadis ne faisaient rien d’autre : ils trouvaient,
au sens de faire apparaître, les nouveaux mots de l’amour (occitan trobar, français trouver).
Or la poésie ne se limite pas au
domaine de la parole, parce que toute réalité humaine est parole, toute chose
venue de l’être humain parle à sa manière.
Aussi la poésie du Christ – dans cette création majeure,
radicale et universelle des Écritures de son peuple que fut son existence, à la
fois parole, acte, comportement – trouve-t-elle son accomplissement à Pâques.
Mort/Résurrection, ou plutôt Meurtre/Surgissement, ces deux faces d’un même
faire.
LE DIEU-AVEC ET LA RÉGULATION
Catéchisme 16
Les nouvelles questions que nous
nous posons actuellement sur notre rapport d’humains avec le monde dont nous
faisons partie nous amènent à revoir la façon dont nous lisions les Écritures.
Il se pourrait en effet que, sur quelques sujets, nous ayons en quelque sorte
refusé jusqu’à maintenant d’y lire ce qui y est pourtant écrit...
Car nous avons bien retenu ce que
disent les Écritures de notre position dans le monde lorsqu’elles nous placent
en situation de seigneurie sur les autres êtres de la terre… mais nous n’avons
pas pris la peine de retenir ce que supposait cette relation "seigneuriale"
aux yeux des écrivains bibliques.
Nous n’y avons vu que la supériorité
et l’autorisation d’exploiter, nous n’y avons pas vu, ou voulu voir, la commune
et mutuelle condition de créatures dépendantes d’un même auteur.
Le point de vue du poème biblique
est pourtant clair à cet égard, qui fait des animaux, pour prendre ce simple
exemple, des êtres faits de la même matière que celle de l’humain ("formés
de la terre", 2.7 et 2.19).
Nous n’avons pas voulu voir non plus
la relation en quelque sorte cybernétique qui unit l’humain et le cosmique dans
les Écritures. Or l’interrelation et l’interdépendance y sont pourtant
permanentes.
C’est ainsi par exemple que la
violence humaine y produit pourtant le dérèglement universel, comme on peut le
voir dans le récit du déluge, mais aussi chez les prophètes.
Le lien que fait Amos, par exemple,
entre les catastrophes physiques (séisme, inondation du genre tsunami) et la
violence instituée, structurelle, de la société de son temps suppose une
relation profonde entre l’ordre de l’humain et l’ordre du cosmos.
C’est donc que pour lui, l’humain
fait partie du cosmos et interagit totalement avec lui… et
réciproquement !
C’est en Dieu – en tant que
personnage central du récit – que se tient ce lien de réciprocité. En lui se trouve le tout premier lien de relativité
universelle des éléments existants quels qu’ils soient. Aussi – ceci toujours
dans le langage du poème – ressent-il tout affect, tout bonheur, toute douleur
et toute colère, en est-il affecté et en affecte-t-il en retour sa création, et
en premier lieu ses créatures humaines. Ce pathos est celui des prophètes
presque dans leur entièreté.
Pourquoi cela me fait-il penser à ce
bref passage de Genèse 4.1 : qaniti ich éth adonaï
("J’ai acquis un homme avec Adonaï"), phrase mise dans la bouche
d’Ève et qui accompagne la naissance de Caïn, lui qui est à la fois le premier
humain né d’un homme et d’une femme et le premier meurtrier ?
Le dieu biblique est donc présent
lors de cette naissance, il en est, dirait-on, le témoin, comme l’indique ce éth, traduit par
"avec".
En hébreu biblique, il existe au
moins deux mots traduits habituellement par "avec" : ‘im et éth ; éth signifie ordinairement "en compagnie de, au
voisinage de". Il indique l’accompagnement et diffère de ‘im, qui suppose plutôt un faire commun.
Il y a tout lieu de penser que la
phrase prononcée par Ève se rapporte à celui des passages précédents qui la
concerne : "tu enfanteras…" (3.16), et que la naissance de Caïn
bénéficie de ce parrainage décisif.
Le Seigneur accompagne donc la
naissance de Caïn et, par là, toute son existence. Tout comme l’oncle maternel
d’un enfant né dans une famille matrilinéaire : c’est lui, et non le
géniteur, qui joue le rôle du père.
C’est donc avec lui que se jouent
pour Caïn – pour l’humain, ce "serviteur de la terre" (4.2) – la
perte mortelle de sa face (4.5), l’incapacité d’entrer dans l’échange (4.8), et
finalement le meurtre, puis l’errance, cette caractéristique dernière du sort
de ce terrien.
Le dieu-avec – que le terme
de "Seigneur" traduit dans la culture de l’époque puisqu’il indique
une relation de dépendance réciproque entre deux parties de valeur inégale –
porte dans sa création cet élément de trouble permanent qui la met en défaut.
Il le porte comme le parent assume les errements de ses enfants, des errements
qui mettent le désordre, et parfois la violence, dans toute la vie familiale.
Les prophètes, ou certains d’entre
eux, ont vu cela, et l’auteur multiple de la Genèse les suit sur ce
terrain : le monde est cette création cohérente faite d’interrelations
tellement multiples et si complexes (un jardin) que la défaillance d’un élément
retentit peu ou prou sur le tout. Cette possibilité de nuire (le serpent…) fait
partie de la création, qui comprend la possibilité de son dysfonctionnement.
Mais lorsque l’un des éléments du système de régulation ("servir et
protéger", 2.15) déraille, c’est la mise en danger absolue de l’ensemble.
C’est ce qu’ont très bien vu Stanley
Kubrick et Arthur C. Clarke, les scénaristes de "L’Odyssée de
l’espace", ce film génial où l’ordinateur central veut prendre le pouvoir.
Tel est le dérèglement majeur auquel
le dieu-avec doit répondre en usant de tout son art de créateur, ce qui
l’amène à une transaction permanente avec l’élément qui tourne fou
("errant et divaguant", 4.14), faute de pouvoir le détruire sans
conduire la cohésion de sa création tout entière à l’inanité première de toute
chose ("les ténèbres de l’abîme", 1.2). Tant il est vrai, dans ce
récit, que l’amour porté à l’humain par le dieu-avec est la
pointe absolue de l’amour qu’il porte à son chef-d’œuvre à la visée pourtant
suspendue, à son jardin désormais sans promeneur.
L’enjeu est là dès la Genèse : comment
réintégrer la fonction de régulateur de notre partie de cosmos que nos
aptitudes particulières nous ont conférée ? Comment y parvenir en toute
interrelation et rétroactions permanentes avec l’ensemble ? Cette question
est posée tout au long de cette immense parabole au verbe créateur qu’est la
Bible.
Certes, ce n’est pas la seule
question majeure qu’elle pose, mais elle la pose, et la réponse qu’elle lui
donne n’est pas vraiment rassurante : "Je mets devant toi la vie et
la mort, la bénédiction et la malédiction, choisis la vie, afin que tu vives,
toi et ta descendance" (Deutéronome 30.19)…
29 mai 2017
UN RÈGNE
QUI NEST PAS UN RÈGNE
Catéchisme 17
Pourquoi chercher le Royaume de Dieu
dans le ciel ?
Si vous lisez les paraboles dites du
Règne, dans Matthieu (13.24-51), vous verrez, dans une première vague, que le
règne n’est pas comme un royaume.
Il est d’abord comme un homme, comme
une graine petite, comme du levain.
Ou plutôt, il est comme leur
histoire, leur devenir, leur mission : semer, pousser, grandir, produire,
lever.
Est-ce clair ? Non. Car que
sont en réalité cet homme, cette graine, ce levain ? On ne sait pas, ce
sont choses cachées.
Mais on vous explique : chaque
élément de l’histoire trouve sa traduction. Et la finalité de tout cela
est le grand tri lors de l’achèvement de cette ère.
Alors est-ce clair ? Non. Car
que signifie, par exemple, faire tomber les autres, ce qu’ont fait les réprouvés,
ou quelle loi doit-on suivre pour être choisi ?
Ce qui est extraordinaire dans ces
paraboles, c’est que le faire qui est demandé ou rejeté n’y est jamais
explicité. À toi pourtant, lecteur ou auditeur, de te vouloir et de te faire
acteur de ce faire du règne et de sa loi. Maintenant.
Ainsi resplendiras-tu, tel sera pour
toi le règne des cieux.
Puis, dans une nouvelle vague de
paraboles dites du règne, celui-ci n’est pas semblable à un règne mais à
l’histoire de gens qui trouvent une chose qui leur est profitable, un bien qui
les rend heureux. Voilà qui rappelle d’autres paroles : Heureux est
l’homme qui… Heureux les… Heureux êtes-vous, vous qui…
La trouvent-ils par hasard ou bien
la cherchaient-ils, cette chose ? L’histoire d’un marchand qui trouve une
perle, ou celle de pêcheurs chanceux vont dans le second sens : pour
trouver il faut chercher.
Il n’y a pas de règle : l’un
achète tout un champ pour un trésor, l’autre vend tous ses biens pour une
perle. Tout vendre, tout acheter, qu’importe, si le bien que l’on cherche est
là.
Mais d’une manière ou d’une autre,
il y a un prix à payer.
Chercher, trouver, payer, être
heureux de cela.
Qui cherche le règne le trouve,
ainsi font eux aussi les anges, à la fin : il me plaît de comprendre que
le règne des cieux est aussi ce que cherchent les anges, les messagers de Dieu,
au sein de l’espèce humaine…
Chez celle-ci, le trésor est là,
tout y est déjà présent, le règne était là en toi, il sera là par toi.
Car tu es sur la terre… qui est dans
le ciel.
Est-ce clair ? Non, car que
signifie chercher en soi ce que l’on ne connaît pas et qui pourtant vous
rendrait heureux ?
L’idée de base, c’est que tu le sais
très bien. Quelque chose, quelqu’un, en toi le sait très bien, qu’il te reste à
trouver, à rencontrer.
En toi, Machin, Machine… ou espèce
humaine tout entière.
Un mode d’Être
Catéchisme 18
Certains de mes amis animent sur Facebook (à la page Echange sur l’Evangile) une
expérience de lecture continue de livres bibliques. Ils importent le texte d’un
chapitre et ceux qui le désirent y réagissent librement.
Ce qui est intéressant à mes yeux
dans cette expérience, c’est entre autre qu’elle fait réfléchir sur le type de
rapport qui s’établit ou pourrait s’établir avec ces écrits. Et l’expérience
est particulièrement intéressante lorsqu’elle est extrême, c’est-à-dire
lorsqu’il s’agit de livres prophétiques, comme par exemple celui d’Osée, dans
lesquels se trouvent de nombreuses paroles extrêmement violentes mises dans la
bouche du Seigneur-Dieu.
Les réactions de la plupart des
lecteurs, souvent vives, sont pleines d’enseignement : j’aime, je n’aime
pas, j’accepte, je n’accepte pas, je ne crois pas cela, ce dieu-là n’est pas le
mien, etc.
Les textes de vengeance ou de
punition par la guerre, la déportation ou la catastrophe sont lus au premier
degré, donnant l’image d’un dieu violent et vindicatif qui conduit l’histoire
des sociétés humaines de cette manière cruelle, en fonction de son choix d’un
peuple unique, qu’il malmène, et sans considération des autres. Au mieux, ils
voient là, si j’ose dire, de l’amour vache.
Les plus proches du discours
habituel des Églises, gênés par cette violence, préfèrent souvent parler alors
de révélation progressive. Dieu, pour eux, se fait connaître petit à petit au
long de l’histoire humaine jusqu’à ce point ultime qu’est l’Évangile, où
l’amour domine. Mais cela revient tout de même à dire que le visage du dieu
d’Osée n’est pas le bon, qu’il en est une approche imparfaite et qu’il ne faut
donc pas tenir compte de sa violence.
Bref, une grande part de l’écriture
Osée ne rencontre pas l’adhésion des lecteurs car elle n’est pas conforme à
l’image préétablie de Dieu qu’ils portent en eux, et que, d’ailleurs, tout
l’Occident chrétien ou post-chrétien porte en lui.
Concernant la question du rapport
qui s’établit avec ces écritures, on discerne donc une attitude commune, qu’il
s’agisse de croyants, d’agnostiques ou d’incroyants. En gros, pour ces lecteurs,
il faut que le texte soient rentable dans l’immédiat, et cela à leur
convenance. Qu’il rende du vrai, du beau, du bon, de l’utile. Sinon, qu’il
existe ou non, il ne s’agit pas vraiment de Dieu.
J’ai conscience de caricaturer cette
attitude en écrivant que la plupart des lecteurs veulent un dieu gentil ou
rien. Il me paraît que cela ressemble à une exploitation de type néo-libéral : « Il faut que ça rapporte tout de
suite, et à court terme. Je veux maintenant ma plus-value de sens. »
On fait alors l’impasse sur le fait
poétique de cette écriture d’Osée, si l’on entend le mot poétique dans
son sens premier de création littéraire exigeante. Car le livre d’Osée, pour
continuer avec cet exemple, s’insère dans un vaste ensemble d’écriture dans
lequel le dieu en question est présenté comme le suzerain particulier d’un
peuple-test en même temps qu’il est le Créateur universel.
Il s’agit d’un récit aux
rebondissements multiples qui se lit normalement comme une parabole, non comme
un mode d’emploi. Son intérêt ne consiste pas à porter chacun de ses éléments à
l’absolu et à dire le vrai de la métaphysique, mais à se situer soi-même comme
lecteur passionné quoique distant. Car il s’agit d’une œuvre littéraire
gigantesque qui ne s’apprécie qu’en se tenant à bonne distance.
Une lecture au long terme, sans
visée utilitaire, permet de découvrir que ce n’est pas toi, lecteur individuel,
qui est concerné, mais l’espèce humaine tout entière. Ceci vu sous différents
angles narratifs selon lesquels notre espèce se trouve plongée au long cours
dans son histoire tourmentée, faite de bonheurs et de malheurs, de paix et de
guerres, d’amour et de haine. Elle est alors à la fois tout entière, et peuple
élu sans cesse infidèle, et pourtant, globalement, ennemie mortelle du projet divin.
C’est ainsi que la figure du dieu
biblique, le héros de cette histoire, apparaît petit à petit à nos yeux comme
un personnage tragique, toujours frappé par un malheur dont il n’est pas
l’auteur, une faille qui n’est pas la sienne, un ratage dont il est la victime.
Et en même temps un dieu puissant qui toujours refuse le chaos et
l’informe et remet sans cesse de l’ordre dans le monde afin qu’il vive.
On comprend alors que cette figure
littéraire complexe a pour objet de nous renvoyer à Celui qu’à bon droit on
peut appeler Dieu, ce grand Inconnu. Celui qui ne se livre que dans cette
écriture au travers de laquelle il se montre à la fois, et masqué, et pourtant
révélé.
Un dieu-histoire qui, en tant que
seigneur des humains, combattant avec et contre eux, habité par leurs passions,
meurt fidèlement d’amour à la fin. En une fin qui n’est pas l’aboutissement de
sa révélation mais qui est là, inscrite, dès le début, comme en toute tragédie.
Et, j’insiste, en même temps
un autre, le Créateur garant de l’ordre universel : celui qui toujours met
de la vie là où il y a de la mort, et fait vivant celui qui est mort, ce qui
est mort. En une finalité qui est là dès le début, lorsque ses six premiers
jours sont une victoire sur l’abîme, lorsque la résurrection, la surrection,
précède la mort.
Si bien que Pâques – croix et
tombeau vide – ne se tient pas à la fin mais au centre des Écritures.
Voilà donc un dieu terriblement
autre que nous, donc. Ni méchant ni gentil, mais confondant. Car pour nous qui
avançons la tête dans le guidon, dire Dieu, c’est forcément dire du paradoxal,
du contradictoire, du fou…
Je crois que telle est aujourd’hui
la toute première vocation des communautés de croyants attachés au dieu des
Écritures : apprendre à lire la Bible à nouveau frais. Autrement que dans
l’urgence de l’efficacité morale, intellectuelle, spirituelle, mais dans la
confiance du long terme, sachant que c’est en s’imbibant du mode de son
dire qu’il est possible d’entendre parler en nous ce Seigneur-Dieu
tout-autre.
5 août
2017
un avenir dans le prÉsent
Catéchisme 19
Où l’on reprend autrement le thème
de la leçon 17, en fonction de cette question : à quoi pensait Jésus quand
il parlait du Royaume ou du Règne de Dieu, du Royaume ou du Règne des
Cieux ?
Sachant que le terme grec basiléia peut signifier aussi bien règne que
royaume, c’est-à-dire se rapporter, selon le contexte, plutôt à l’espace, à
l’étendue, ou plutôt au temps, à la durée.
On peut relever diverses
représentations, à ce sujet, dans les évangiles. J’en vois trois, au risque
d’une extrême simplification et d’une classification abusive :
La première est l’annonce dite
apocalyptique d’un royaume final, descendu du ciel sur la terre, porteur d’un
jugement universel lui aussi final. On est là dans une conception temporelle,
on se situe selon l’axe d’un temps orienté, c’est-à-dire dans la logique de
notre espace-temps.
En pratique, la conséquence
fonctionnelle de cette conception impose au croyant de veiller, dans l’attente
de cette irruption annonciatrice d’un jugement dernier.
Une irruption d’abord imminente
puisqu’on l’attendait pour tout de suite, puis toujours imminente, à chaque
instant, lorsqu’on a constaté un peu plus tard qu’elle n’était pas survenue.
La seconde représentation se
présente elle aussi selon l’axe du temps. Il semble s’agir d’un changement
d’éon, c’est-à-dire du passage progressif à une nouvelle phase du rythme
cosmique tel que les astrologues (les mages) le concevaient.
Selon cette représentation, l’ère
est pleine d’énergie heureuse en ses débuts puis s’affaiblit régulièrement. Les
temps de sa fin sont alors catastrophiques mais annoncent l’instauration pleine
et entière d’une nouvelle ère au dynamisme renouvelé, donc d’un temps de
bonheur.
Dans les évangiles, il s’agit alors
probablement de la dernière des ères cosmiques, celle qui accomplit de façon
heureuse l’histoire immémoriale de la Création. Une sorte de septième
"Jour".
C’est une autre façon de concevoir
le thème de l’attente et de la préparation, pour le croyant ou la communauté,
car il s’agit moins de veiller pour ne pas être surpris et rejeté que d’être
prêt à entrer en consonance avec la nouvelle ère lors de l’avènement de
celle-ci.
Le royaume est alors plutôt un
règne, selon la loi duquel la nouvelle ère sera régie.
Ces deux conceptions rejoignent à
leur manière le thème rabbinique classique de l’opposition entre "ce
monde-ci" (ha’olam ha-zè) et "le monde qui vient" (ha’olam ha-ba).
Une troisième image ne concerne plus
seulement l’axe temporel. Il semble qu’il s’agisse d’un règne qui traverse la
distinction entre notre espace-temps et celui de Dieu. Les mondes communiquent.
On peut vivre alors sous ce règne
dès aujourd’hui, ce qui fait de la basiléia
autre chose que la figure spatiale du royaume d’un potentat céleste ou que la
stabilité finale du dernier des éons.
Le règne de Dieu est alors en nous,
au milieu de nous, dans les Cieux aussi, pourtant, puisqu’il est en Dieu.
Le règne ressemble d’ailleurs, en
particulier dans les parabole dites justement du
règne, non à un royaume, mais à l’histoire existentielle, heureuse quoique
dangereuse, des uns et des autres en ce monde-ci.
C’est le propre de la venue du Christ
de l’avoir fait "approcher" jusqu’à nous, "tout près" de
nous, dans l’espoir que nous nous placions dès aujourd’hui sous ce règne ainsi
présent.
Alors quel était réellement
l’enseignement de Jésus ? Bien entendu je n’en sais rien, précisément,
mais cela ne m’empêche pas de tenter d’y répondre à ma mesure.
Une règle bien connue des critiques
textuels consiste à choisir la solution la plus difficile à comprendre (lectio difficilior)
lorsque plusieurs possibilités différentes se présentent ensemble. Je l’interprète
ici comme le choix de la complexité. En fonction de quoi je suppose nécessaire
de tenir ensemble les trois conceptions.
Cela convient d’ailleurs au
poéticien que j’espère être car au fond, ce mode de pensée est celui de l’image
poétique, qui superpose les plans en une seule énonciation.
En réalité, il n’y a là pour le
croyant, au-delà des représentations plus ou moins mythiques qu’il peut
imaginer, que deux plans : celui du temps orienté, allant du passé au
futur, et celui du présent intérieur vécu. On attend le royaume, ou l’on vit
sous le règne.
Ou les deux, finalement ? Mais
alors, il vaut sans doute mieux dire – selon une pensée complexe qui soit à la
mesure, justement, du sens complexe du mot grec – que l’on vit à la fois sous
le règne et dans l’attente qu’il s’instaure.
Un monde qui vient demain et qui vit
pourtant en nous dès aujourd’hui… Supposant que cette distinction n’existe sans
doute pas en Dieu.
Ce qui est alors demandé au croyant, c’est de contribuer, à sa mesure, à l’instauration à venir du Règne en vivant de lui dès aujourd’hui.
14 août 2017
Catéchisme 20
Qui lira ce qui suit devra
supporter, sous couvert de méditation, les cheminements tortueux d’un maniaque
de la lettre. Voyons :
L’Évangile selon Matthieu confère à
Jésus, lors de l’annonce de sa naissance, le nom (ou le titre ?)
d’Emmanuel.
On peut traduire cet ‘immanou él (très
littéralement : "avec nous Dieu") par "Dieu avec nous",
bien sûr, mais aussi par "Dieu est avec nous", ou par "Que Dieu
soit avec nous". ou même par "Dieu, sois avec nous !" Il
provient d’un passage du livre du prophète Ésaïe,
dans les Écritures hébraïques. On le trouve au chapitre 7, verset 14 :
Voici la jeune
femme // elle a conçu / et elle enfante un fils // et elle prononcera son nom /
Avec nous Dieu.
Il y aurait beaucoup à dire (en mal)
sur la façon dont ces mots ont été traduits au cours des temps. Je m’en
abstiendrai, pour rappeler simplement au passage que les chrétiens y ont
toujours vu l’annonce prophétique de la naissance messianique de Jésus, mais ce
qui m’intéresse aujourd’hui est ailleurs. Il s’agit de cet "avec".
Bien sûr, il me faut dire un mot de
cette jeune femme et de son fils, mais ce qui m’importe c’est le
"avec". On notera qu’il précède le mot "Dieu", ce qui
signifie que celui-ci, en tant que dernier mot du verset, en est le mot
important : dans ce verset, c’est jusqu’à lui que l’on va. Jusqu’à Dieu.
Pour qui en douterait je rappellerai
ces mots de Cohéleth : « Le bon d’une
parole est dans sa fin ».
À mon sens, ce n’est ni la jeune
femme ni le fils qui sont spécialement à considérer dans ce verset, mais
l’ensemble constitué, avec eux, par la triple action qui consiste, en un tout,
à concevoir dans le passé, à enfanter dans le présent, et pour finir à nommer
dans l’avenir.
Et tout cela est appelé un signe,
dans les versets suivants. Un signe adressé à des gens, en un temps de terrible
malheur. Ce malheur est l’aujourd’hui de ce verset, et c’est là que naît
l’enfant.
Il ne naît pas par hasard, il a été
conçu par avance, en vue de sa survenue. Il était déjà là mais pas encore en
vue, et puis le voici. Un enfant qui naît au temps de la dévastation, quand
plus rien n’a de sens. Quand, écrit Ésaïe, seules
règneront encore les mouches, ces êtres friands de chairs mortes.
Qui est-il ? On ne le sait pas
encore, il n’a pas encore été nommé. Il est là, c’est tout. Et son nom à venir
est à la fois une affirmation, une revendication et une demande. Avec nous
Dieu.
C’est là le signe, en trois temps,
et l’on a trop tendance à oublier à quel point les signes sont difficiles à
interpréter. Mais à proprement parler, puisqu’il s’agit d’une petite histoire
qui se déroule dans le temps, du passé à l’avenir en passant par le présent, il
s’agit plutôt d’une petite parabole. Une parabole, c’est un signe mis en récit,
en histoire.
Avec nous Dieu. Voilà, c’est
l’histoire initiée par une jeune femme prise au ventre, comme on dira plus tard
dans le grec populaire des évangiles. Quelle est-elle ? Peut-être la
personnification de tout un peuple, de ce peuple frappé par la malédiction.
Tant de femmes touchées par la
difficulté d’enfanter, dans les Écritures ! Et si peu de maris ou de
médecins capables d’y apporter remède, ou disposés à le faire… Aussi
resteront-elles stériles, peut-être atteintes d’une incessante perte de sang,
mais que nul ne guérit d’un revers de tunique, bien au contraire ?
Un autre prophète, plus ancien,
Amos, parlait, lui, d’une "vierge Israël". Elle était tombée,
incapable de se relever. Morte ? On ne sait, mais nul ne lui disait Talitha qoumi,
"jeune fille, lève-toi !" Elle ne risquait pas d’être enceinte…
En tout cas, ici, elle n’est plus
vierge. Si c’est la même, son histoire aura avancé, elle aura pu se relever et
se donner, puisque sa grossesse ne semble pas forcée. À partir de là, il va
bien falloir qu’elle accouche mais on remarquera que l’on ne se soucie
aucunement des circonstances dans lesquelles elle s’est trouvée, est tombée,
enceinte. C’est fait, voilà tout.
Et l’enfant est là. Et l’on
remarquera que la seule chose qui compte, à son sujet, est qu’il va s’appeler
Avec nous Dieu. À peine circoncis, au moment où la femme articulera ce nom.
Il est là pour cela, et c’est elle
qui va en décider. Pour qu’un jour on dise, devant l’évidence :
« Dieu est avec nous. » Ou bien, dans l’espérance : « Que
Dieu soit avec nous ! » Ou dans la prière : « Dieu, sois
avec nous ! »
Et l’on voit alors que le
signe-parabole n’a pas d’autre sens pour nous que cet "avec". Avec
celui vers qui l’on avance, ce dieu dont le nom n’est pas dit. Car la femme a
choisi le mot le plus banal, le plus simple, él,
le plus universel, pour le désigner.
Elle aurait pu choisir le terme Ya
(ou Yo, ou Yah,
ou Yahou), sorte d’indice pointant vers le nom
qu’on ne prononce pas, celui qu’on lit habituellement Adonaï, "mon
Seigneur", ou même tout simplement Hachém,
"le Nom", quand on est fils ou fille d’Israël. Elle aurait alors
particularisé, israélisé, judaïsé, ce dieu vers qui l’on
va.
Mais non, elle ne l’a pas fait, elle
a choisi Él, le nom du dieu suprême de tous
les panthéons, le nom de la puissance dernière, le nom de la justice et de la
justesse sans faille qui est au bout de tout, quelle que soit votre religion,
votre… conception.
Et donc, le fils qui naît pour nous
en cet instant de la lecture n’a d’autre sens, pour nous, que cet "avec un dieu" qu’on nomme simplement Dieu
parce qu’il est cet aboutissement-là.
Mais pour qui ? Pour nous, qui
que nous soyons, qui nous projetterions dans la parabole-signe au moment où
nous la lisons. Qui deviendrions l’un de ses "actionnaires", de ses
metteurs en œuvre, en des histoires vécues de conceptions, d’accouchements et
de paroles. À la fois, avec elle : femme, fils, nous – et Dieu avec ?
Et pour que cela ait du sens pour
nous, il faudrait que nous en soyons nous aussi au point où tout s’écroule,
pour nous et autour de nous, au point où ne nous restent comme tout bien que
des mouches à merde. Affaire de lucidité, quand toutes les illusions sont
tombées ?
Car avant ce point, quoi qu’il en soit, comment Dieu – quel que soit son nom – serait-il avec nous ?! On ne pourrait le dire alors qu’au nom des autres. Avec eux Dieu !
Saint-Coutant
– 2015–2017
Catéchisme 21
En traduisant les évangiles, j’ai eu
mainte fois l’occasion de découvrir à quel point une coutume séculaire
consistait en ce domaine à moraliser ou psychologiser
des textes qui n’en peuvent mais. Ce faisant, on oublie en effet le geste
premier, la pratique première qui servent de matrice au sens théologique ou
spirituel porté par ce qui est réellement écrit. J’en donne ici un exemple.
Soit la phrase bien connue qui nous
est parvenue en langue grecque et que l’on a traduit ainsi pendant longtemps,
d’après le latin de saint Jérôme : "Heureux les pauvres en
esprit" (en grec : makárioi hoi ptôkhoì tô
pneúmati).
On aura reconnu les premiers mots de
ce qu’il est convenu d’appeler les Béatitudes (Évangile selon Matthieu,
chapitre 5, versets 1 à 10), sorte de poème aux termes paradoxaux qui semble
servir d’introduction, voire de clé de lecture, à ce grand discours
programmatique, le Sermon sur la montagne, que l’évangile selon Matthieu pose
en écho lointain à cette autre montagne ou la Thorâ
fut révélée à Moïse (Exode, chapitres 19 et 20).
L’ennui est que la traduction
habituelle est fautive, comme je vais tenter de le montrer ci-dessous, au mot à
mot.
Heureux
L’enseignement du Christ est placé
ainsi sous le signe de ce premier mot, le bonheur. Mais de quel
sorte de bonheur s’agit-il ? La suite semble l’indiquer, ce serait le
bonheur de ceux qui savent qu’une grande récompense les attend dans les cieux,
eux qui ont accepté de souffrir dans ce bas monde (chapitre 5, versets 11 et
12).
Il semble pourtant que ces derniers
mots ne font pas réellement partie des Béatitudes proprement dites (versets 1 à
10). Il s’agit plutôt d’un second temps, au style moins lapidaire, du discours
de Jésus. D’ailleurs, le dernier vers débutant par "Heureux", dans
les versets 1 à 10, est parallèle au premier, ce qui fait un système poétique
clos. Aussi est-ce bien ainsi que l’on a toujours compris puisque, sous le
titre de Béatitudes, on ne récite généralement que les dix premiers versets.
Ce qui est patent, c’est que les
Béatitudes parlent d’un bonheur tout à fait actuel (le Règne des cieux, versets
3 et 10) qui commande des bonheurs subséquents (versets 4 à 9).
Comment comprendre ce que signifie
ce "bonheur" ? Pour y aider, je propose que l’on se réfère à un
autre commencement emblématique, les tout premiers mots du livre des Psaumes,
dans la Bible hébraïque : "Heureux celui qui…" (en hébreu, achréi–hâ’îch achèr…, Psaume 1,
verset 1).
On trouve là en quelque sorte le
titre du livre de piété majeur d’un Juif comme Jésus. Nul doute pour moi que le
Nazaréen ait pensé à cela en prenant la parole. Or de quel ordre est le bonheur
dont il s’agit dans le psaume ? La suite le dit explicitement : cet
homme heureux est celui qui réussit tout ce qu’il entreprend parce qu’il trouve
son plaisir dans la Thôra. C’est ainsi que, dans ce
contexte, le terme "bonheur", qui évoque en français une satisfaction
des désirs, est plutôt synonyme de "réussite" !
Les pauvres
Le terme grec traduit généralement
par "pauvres" est plus précis que ne le signifie ce mot en français.
Il désigne celui qui est tellement démuni qu’il se trouve en demande, et
particulièrement en demande de protection. En grec courant de l’époque, il
arrive même qu’il soit synonyme de "mendiant".
Voilà qui donne tout son sens au
thème de la réussite : ce pauvre plein de désir réussira, il obtiendra ce
qu’il demande.
En esprit
"Les pauvres en esprit",
cette expression traditionnelle, éculée et d’ailleurs le plus souvent détournée
vers l’image de la bêtise, est malheureusement une erreur de traduction, elle
n’est pas conforme à la grammaire. En effet, ptôkhoì
("pauvres") est suivi ici d’un datif, alors que c’est avec un génitif
qu’il signifie habituellement "pauvre en ceci ou en cela". Avec ce
datif, on devrait plutôt comprendre plus précisément : "ceux qui sont
en demande pour (recevoir)". Il s’agit de gens à qui manque l’esprit et
qui le mendient.
À ceci, il faut ajouter qu’en
français actuel le terme "esprit" a justement pour défaut de faire
oublier le côté pratique de la chose, le geste, le corps, ce que son premier
sens, "le souffle", rend parfaitement. Ces gens sont à bout de
souffle, ils ont besoin d’un second souffle, ils en manquent terriblement, seul
le souffle de Dieu peut répondre à leur désir, ils demandent à le recevoir, ils
le mendient.
Je traduirais donc ce demi-verset
ainsi, de façon volontairement provocatrice : "Réussite de ceux qui
mendient le Souffle". La suite, qui est une réponse à cette quête, est
alors évidente, le Règne des cieux, domaine du Souffle divin... Maintenant. Car
qui demande reçoit.
De
ceux-là
Mais les choses se compliquent car,
curieusement, il n’est pas écrit en grec "à ceux-là", mais « de
ceux-là est le Règne des cieux". Comme si ce règne n’était pas une réalité
extérieure, purement transcendante, qui viendrait les récompenser, mais,
oserai-je dire sans certitude, la naissance de ce qui ressort naturellement de
leur propre demande, le Souffle de Dieu né en eux par l’effet de ce désir-même,
ou quand Dieu règne en eux parce qu’il est lui-même le Souffle qui les habite désormais.
Mais le sens le plus évident est
sans doute que, porteurs du Règne de Dieu, leur mission est de le
propager : c’est d’eux que nous vient le Règne de Dieu.
Les Réussitudes
J’ai parfaitement conscience de la
bizarrerie de la traduction que je propose et que je n’emploierais certainement
pas dans un cadre liturgique, mais elle présente cependant l’avantage, pour
moi, de déplacer le lecteur, de sa propension habituelle à comprendre ces
paroles en fonction d’une disposition intérieure, à une conception plus
concrète, pratique, qui me semble résonner plus avec l’esprit du temps et du
lieu de l’écriture évangélique, qui vise l’accomplissement des promesses. On
oublie trop souvent que l’Évangile se veut efficace.
Et ce qu’il affirme ici, c’est que
le Règne des cieux est présent ici et aujourd’hui pour ceux qui le demandent et
qui en payent le prix.
Je m’avance donc à présenter ainsi
des Béatitudes devenues des Réussitudes :
Réussite pour les
mendiants du Souffle,
car d’eux vient le
Règne des cieux.
Réussite
pour les endeuillés
car ceux-là seront
consolés.
Réussite
pour les doux
car ceux-là hériteront
la terre.
Réussite
pour les affamés et assoiffés de justesse
car ceux-là seront
rassasiés.
Réussite
pour les miséricordieux
car ceux-là
obtiendront miséricorde.
Réussite
pour les cœurs sans mélange
car ils verront Dieu.
Réussite
pour les faiseurs de paix
car on les appellera
fils de Dieu.
Réussite pour les
inculpés à cause de la justesse
car
d’eux vient le Règne des cieux
6 octobre
2017
LIRE AU PLURIEL
Catéchisme 22
« Je crains l’homme d’un seul
livre », écrivait saint Thomas d’Aquin, le grand docteur de l’Église
d’Occident à l’époque du Moyen-Âge. Je ne sais dans
quel contexte cette phrase se trouvait dans son œuvre et ne peux donc
valablement la commenter. Néanmoins, elle me parle telle quelle, à moi qui suis
protestant… Car aussitôt me vient à l’esprit le Sola Scriptura
(par l’Écriture seule), l’un des principes fondateurs de la Réforme.
Seule la Bible,
traduit-on aussitôt sans même avoir besoin de le formuler. Un seul livre !
Or c’est là, pour moi, une erreur grosse de conséquences néfastes. Luther
lui-même, à la suite de nombreux maîtres, en est responsable avec tous ses amis
et successeurs.
Car la Bible, au singulier, ne
devrait pas exister, son étymologie devrait à elle seule alerter
là-dessus : tà biblía,
en grec, est en effet un pluriel, celui de tò
biblíon, nom commun neutre qui signifiait d’abord
rouleau, c’est-à-dire un support d’écriture que l’on peut dérouler. C’est en
passant au latin qu’il est devenu le nom propre féminin singulier, Biblia, de cet ensemble de nombreux livrets que nous
appelons la Bible. Il s’agit en quelque sorte d’une erreur de traduction…
Mais ce n’est pas tant cette
étymologie faussée qui compte au fond, si elle est tout de même un indice d’une
faute d’appréciation. Car ce qui importe là, c’est de bien saisir qu’il
n’existe pas réellement une sainte bible, mais de multiples écritures saintes.
Saintes par le choix que les croyants ont fait d’elles pour signifier leur
rapport à Dieu.
D’ailleurs, le seul fait que les
Écritures saintes ne soient pas tout à fait identiques d’une Église à l’autre
devrait aussi nous alerter.
C’est là que la citation de Thomas
d’Aquin prend pour moi toute sa pertinence : si la Bible est un seul
livre, cela doit faire l’objet de crainte. Car les Écritures sont multiples, et
diverses à de nombreux égards. Réunies en un ensemble supposé fondamentalement
et totalement cohérent, elles risquent de devenir, en tant qu’unique réceptacle
d’un message d’origine surnaturelle, une instance de nature totalitaire.
C’est sans doute pourquoi Roland
Barthes, lors d’un entretien privé, disait craindre d’aborder la Bible, lui qui
fut pourtant élevé avec elle, parce qu’elle représentait pour lui, sans doute
en lien avec l’enseignement de Jacques Lacan, un élément phallique par trop
intimidant.
Comme on sait, ce risque de faire de
LA Bible l’occasion et l’emblème d’un fondamentalisme hystérique, parfois
violent, a réellement été encouru en de nombreuses circonstances. Mais sans
aller si loin, on peut constater que l’unicité du livre a aidé aussi, plus
largement, à la traduction et à l’édition d’un langage biblique uniforme, là où
de nombreux modes d’expression existent au sein des Écritures. On a laminé
cette diversité, ce qui laisse penser que l’on a laminé aussi ce qui était dit
par elle et en elle.
J’ai pointé plus haut, au Catéchisme
18, ce besoin de rendre le texte biblique immédiatement rentable qui place un
filtre sur l’écriture. C’est qu’un livre unique est facilement censé porter un
message unique, à retrouver partout et toujours au long de la lecture.
On oublie alors que le mode
d’expression fait partie de ce qui est dit par lui. Ou, si l’on préfère, que le
contenant fait partie du contenu, si j’ose m’exprimer ainsi. On ne dit pas la
même chose quand on la dit autrement !
Mais voilà qui inquiète. Car si la
Bible ne parle pas de la même manière et ne dit pas la même chose de l’une de
ses parties à l’autre, alors où est la vérité ? Par exemple : Dieu
est-il vengeur, comme chez Nahum, ou est-il amour, comme chez Jean ? Si
l’on s’attache à Jean, faut-il tacler Nahum, ou bien ce dernier se tient-il
debout à lui tout seul à proximité de Jean ? Et inversement.
Il serait plus facile de se tenir
dans une circulation paisible entre de si fortes et si diverses personnalités
si l’on se rendait compte qu’il s’agit en réalité de littératures fort
différentes à de nombreux égards, et si l’on était amené à sentir la force et
la beauté particulières de chacune d’entre elles.
Bref, si l’on se rendait compte
qu’il s’agit d’œuvres, et je dirai d’œuvres d’art, aussi, tant leur écriture,
dans leur état final, est le résultat d’un travail concerté et achevé. Ce point
de vue supposerait qu’on les aborde chacune à sa façon, selon son mode propre,
comme s’il s’agissait d’une personne rencontrée, et que l’on se situe alors
dans l’attitude de celui ou celle qui cherche à rencontrer l’autre, le
différent tel qu’en lui-même, à chaque fois, dans ces livres, cela en toute
liberté, plutôt que dans celle de la demande d’un sens préfabriqué.
Quelle est alors la vérité de cet
ensemble si divers ? Y existe-t-il un sens, malgré tout ? Peut-on
trouver une unité dans cette diversité ? Luther, pour revenir à lui, avait
vu le problème. Or il n’a jamais dit que les Écritures étaient unes, mais que
chacune d’entre elles devait être reçue par le croyant à la lumière de Pâques –
Golgotha et Tombeau vide –, ce qui n’est pas la même chose.
C’est alors le choix du lecteur
Église qui, par une sorte de coup de force, tient à rassembler tout ce monde
bigarré sous une même lumière, comme l’œil rassemble les bois, les champs et
les toits éparpillés en un paysage.
Mais si ce lecteur agit ainsi, c’est
parce qu’il est premièrement l’auteur de cet arrangement. Car c’est l’Église
qui a rassemblé tous ces écrits en un ensemble qu’elle a appelé d’abord Les
Livres. C’est elle qui a tenu a conserver dans cet ensemble
la pluralité des Écritures hébraïques, que l’hébreu nomme Les Lectures (ham-miqrâoth), et
c’est elle qui a assumé le fait que L’heureuse annonce qui l’a mise en
route se décline en quatre évangiles, non en un seul. Que l’enseignement
christique qu’elle a retenu s’éparpille en l’ensemble disparate d’une
littérature épistolaire. Et ainsi de suite.
Or placer chacune de ces
littératures sous la lumière d’un regard unique ne consiste en rien à les
fondre en un langage unique, mais à poser à chacune une même question :
que te dit, à toi, le mystère de Pâques ?
Que dit mon frère Nahum (Mon
Seigneur est un dieu jaloux, il se venge ; mon Seigneur se venge, il est
plein de fureur ; mon Seigneur se venge de ses adversaires, il garde
rancune à ses ennemis) lorsqu’il se trouve ausculté par la Croix du
Christ ? Voilà qui est intéressant ! On aurait tort de le ranger dans
la catégorie des vieux birbes dépassés, ce poète de la colère et de la
destruction, tant il est actuel, tant son dieu est celui que l’on désire si
souvent voir agir enfin !
C’est un espace de tension, une aire
électrisée, qui apparaît et dans laquelle nous nous trouvons pris. Apparaît
alors le terrible et merveilleux paradoxe, vital, que porte l’esprit du
poème-bible. Cela parce que Nahum est devenu le prochain que l’Évangile
transperce… comme il transperce le lecteur : humains frères et sœurs,
témoins de Pâques, que ferons-nous de l’horreur ?
C’est ainsi que la Bible n’existe
pas, mais des feuillets qui auraient dû rester épars, au moins en notre esprit,
et qui nous sont proposés comme partenaires. Tous ont été portés à notre vue et
à notre ouïe pour être laminés par la folie de Dieu. Eux qui sont si divers, et
tellement fragiles, et tellement résistants. Comme nous le sommes.
11
Novembre 2017
LA CHAIR
DU VERBE
Catéchisme 23
Comme suite au Catéchisme 15, voici
quelques remarques à propos de la traduction des Écritures bibliques.
J’aimerais faire admettre que la
Bible est poème. Poème fait de multiples poèmes. Non pas fleur bleue et petit
oiseau, mais gigantesque fleuve oral, composé de larges courants comme de
clairs filets d’eau. De profondeur et de limpidité, de violence dernière et de
paix.
En tant que poème elle s’adresse à
tout l’homme, son intellect, ses émotions, ses sens, sa capacité d’action, ceci
de façon globale.
Si l’on m’accorde cela, on verra que
le programme qui s’impose au traducteur, aujourd’hui, consiste aussi à éduquer
la sensibilité biblique de ses lecteurs, leur capacité d’user aussi de leurs
sens comme moyens de connaissance. Car la poésie biblique, les écritures
bibliques, sont aujourd’hui étrangères à nos habitudes culturelles. Il ne faut
pas sacrifier cette étrangeté, qui nous sort des contraintes mentales de notre
monde actuel, sur l’autel d’une intelligibilité réductrice, égalisatrice,
privée du souffle de la vie. Mais il faut s’éduquer, se faire l’oreille et la
bouche au langage autre, tout comme on doit faire effort pour recevoir le
français hésitant de l’étranger qui demande son chemin. Nul doute pour moi que
cet effort n’enrichisse au même titre, et notre foi, et notre culture, et notre
langue même, et plus généralement notre vie sociale, car cela est tout un : ou
bien notre foi serait-elle séparée de notre vie ?
Une bonne traduction part donc du
principe que la Bible est poème, c’est-à-dire un langage construit sur des
rythmes et des sons, qui font sens, et pas seulement sur la valeur des mots et
la construction grammaticale. Dans le poème, tout est sens. Le suspens
rythmique aussi bien que le choix d’une tournure. On ne pouvait pas dire la
même chose autrement, car autrement on eut dit autre chose.
La traduction proposée suivra donc
quelques principes simples. S’agissant d’un poème, il faut traduire aussi et le
rythme et les sons, qui forment un système de sens. Pour le Premier Testament,
on peut se borner à suivre les indications précises fournies par les
Massorètes, ces copistes pointilleux du texte hébreu, mais en les simplifiant :
nous n’avons pas l’oreille aussi fine, en matière de rythme oral, que les
Anciens ; et d’ailleurs nous ne disposons pas d’un système établi de notation
qui corresponde.
Pour le Nouveau Testament, en
revanche, tout est à faire en ce domaine car nous n’avons malheureusement pas
bénéficié du travail de massorètes chrétiens ! Il est pourtant possible de
retrouver, pour donner un seul exemple, la diction particulière du Jésus des
évangiles, avec ses rythmes typiques propres aux parlers araméens de son
époque.
Il peut arriver que ce genre de
recherche paraisse gratuit. Il n’en est rien. L’enjeu de ce travail est la
perception de ce que les Écritures ne sont pas composées d’un sens, important,
et d’une forme sans pertinence. Le sens d’un langage, en réalité, est fait à la
fois d’un vocabulaire, d’une grammaire, d’un style littéraire, d’une sonorité
particulière… et d’un mode d’énergie qui lui est propre et qui s’appelle le
rythme. Et lorsqu’il s’agit d’une parole forte, l’unité qui compose cela en un
tout est le poème, c’est lui qui tout entier est sens : forme-sens. Extraire le
sens de sa matière verbale, selon la sempiternelle erreur dualiste, c’est le
dénaturer. Plus, c’est être à vide, car le dualisme, sous toutes ses formes et
en toutes ses occurrences, est la marque de l’absence.
Il s’agit donc d’un appel à
privilégier, par une traduction totale, la connaissance des Écritures, au sens
d’une expérience tout autant sensorielle et motrice que mentale ou
émotionnelle. Le jour où les croyants, en effet, aimeront à nouveau d’amour la
chair du verbe biblique, ils en porteront en eux le sens.
Saint-Coutant
– 2007
Catéchisme 24
C’est toujours vrai, qu’un enfant
nous est donné, ce n’est pas Abraham ou Moïse qui diront le contraire. Ni Ève
ni Marie. Mais pour quel avenir ?
Certes, les Écritures bibliques sont
enracinées dans l’ensemble culturel du Moyen-Orient et de la Méditerranée
antiques et elles en épousent les valeurs, fastes ou néfastes à nos yeux,
serait-ce pour les réorienter. Concernant les enfants, la continuité assurée
des générations, l’extension de la fécondité, la nécessité de la piété filiale
font grandement partie de ces valeurs, avec la primauté de la lignée
paternelle, qui attribue les enfants au père et fait des femmes avant tout des
génitrices.
À première vue, la particularité
biblique en ce domaine consiste à mettre en avant des situations qui font
problème. Cela est sans doute lié au parti-pris narratif : pourquoi raconter
des récits de vies... sans histoire ? Or si la Bible raconte, entre autres, des
histoires d’amour ou de lutte pour la nourriture, pour la terre, pour le
pouvoir, etc., c’est pour questionner toujours l’ensemble de la condition
humaine sur ce mode : à qui ou à quoi les humains doivent-ils allégeance et
fidélité ? Ce qui peut se dire ainsi, dans les termes de cette antique culture
: de qui sont-ils les enfants ?
C’est comme une immense parabole qui
se déroule sur deux mille ans et dans laquelle un enfant – l’espèce humaine –
se détache de son père, l’abandonne, le trompe, le
combat. Ou encore, c’est l’histoire d’une épouse et mère – la nation sainte, le
peuple élu – qui donne au père des enfants qui ne sont pas de lui... Les
malheurs viennent de là, les crises, les questions qui tourmentent : « L’enfant
retournera-t-il à son père ? l’épouse à son mari ? les enfants adultérins seront-ils reconnus, réintégrés... ou
bien chassés, voués à l’errance et à la destruction ? »... Suspense.
Tout cela se joue de bien des
manières mais on comprendra que là, la figure de l’enfant, donc, fasse
problème. Avant sa venue, déjà : ses futurs parents peuvent-ils se poser comme
tels ? Peuvent-ils enfanter si l’on ne sait de qui ils sont eux-mêmes, en
vérité, les enfants ?
Au fond, de qui Abraham est-il
l’enfant, sinon du Dieu qui le coupe de « la maison de son père » (Genèse 12)
et le détache ainsi d’une humaine piété ? De cette coupure naîtra finalement
une progéniture, mais alors de qui cet enfant-là, Isaac, est-il l’enfant ? Du
dieu qui le sépare du désir de paternité d’Abraham (Genèse 22)...
Le « père des croyants » n’avait
donc à lui ni parents ni enfants sur la terre. Mais cela suffit-il pour faire à
Dieu un peuple d’enfants purement témoins de son Alliance filiale ?
Non, il faut encore qu’apparaisse
Moïse (« Mose », l’enfant en ancien égyptien),
abandonné et déclassé, pour que l’Alliance prenne corps dans l’histoire des
nations.
Ces deux figures, celle d’Abraham et
celle de Moïse, sont emblématiques : c’est toujours vrai, je le disais, qu’un
enfant nous est donné.
Aussi l’épouse et mère par
excellence n’est-elle pas, elle non plus, naturellement féconde : voir les
Sara, Rachel, Tamar, Anne, Noémi, Bethsabée, Gomèr, Élisabeth...*
Stérile, privée d’homme, mère de
fils morts, prostituée ou adultère aux enfants rejetés, « la femme de Dieu »
(on dit bien « l’homme de Dieu » !) ne doit souvent sa maternité qu’à une
grâce... au parfum parfois douteux. Ou étrange : n’est-ce pas « avec » le
Seigneur qu’Ève, pour finir, conçoit Caïn ? Quant à Marie...
Il y a dans tout cela besoin d’une
Parole qui donne vie et avenir, sens, à ces enfants. Seraient-ils les morts que
pleurent un Jacob, une Rachel, ou une veuve de Naïn.
C’est en ce sens que les « liens de
la chair » ont besoin d’une mort et d’une résurrection qui tirent de tel
malheur originel un étonnant courage d’être, ou qui transmuent le lien de
dépendance vitale – le lien du parent à l’enfant, de l’enfant au parent – en relation
d’alliance. On le voit dans le Nouveau Testament, où la foi en la résurrection,
justement, amène chez les croyants un affaiblissement des liens biologiques – «
qui sont ma mère et qui sont mes frères ? » dit Jésus – au profit d’une
relation choisie, et où le même Jésus, ou Paul, ou Jean nomment donc leurs
disciples « mes petits enfants ».
Il ne s’agit pas pour autant de
rabaisser la chair, car cette histoire particulière, le récit biblique, n’est
qu’un fil dans le tissu de toute l’histoire humaine. C’est à grand renfort de
sperme et d’ovulations que la grande Histoire avance, mais cette
drôle d’histoire-là dit pourtant que le sens et la fin sont ailleurs,
dans la figure de ce Père qui attend ses enfants.
* Sara
(Genèse 17.17), Rachel (Genèse 30.1), Tamar (Genèse 38.6-9), Anne (1 Samuel
1.1-8), Noémi (Ruth 1.11), Bethsabée, femme d’Urie (2 Samuel 12.15-16), Gomèr
(Osée 1.2-9), Élisabeth (Luc 1.36).
Saint-Coutant,
2002, 2017
Faut-il fÊter Noël ?
Catéchisme 25
Cette chronique
est certes décalée par rapport à celles qui précèdent, mais vu l’engouement
marchand pour ce que l’on appelle les Fêtes, j’ai cru bien faire en intégrant ici
ce chapitre de l’un de mes livres, Ce qui (m’)importe (Éditions Théolib) :
J’ai bien connu un pasteur
d’autrefois. Le 25 décembre, il n’acceptait pour sa famille aucune autre
festivité que celle du culte paroissial. Peut-être le repas familial était-il
plus festif que d’habitude, son épouse y veillant, qui allumait de plus, malgré
tout, une ou deux bougies…
Noël, ce n’était pas une occasion de
ripailler en vendant son âme aux marchands ou aux propagateurs de mièvreries.
C’était le jour de la naissance du messie, nu dans sa mangeoire.
Les enfants devaient le comprendre.
J’admire. Mais c’est parce que je
n’ai pas passé mon enfance dans cette famille-là.
Chez les grands-parents prolétaires
et incroyants qui m’ont élevé pendant la guerre, le Père Noël passait pendant
la nuit, raison pour laquelle il faisait froid au petit matin (on n’allait pas
allumer du feu dans la cheminée par laquelle il descendait)…
… et chaud au cœur à cause de tous
les cadeaux, témoignages d’amour pour moi, qui entouraient le Godin, amassés et
cachés depuis des jours.
Chez les uns, on apprenait aux
enfants, à la dure, le sens de l’irréductible irruption de la sainteté dans le
monde.
Chez les autres, on entourait les
enfants de la durable sécurité d’une chaude affection.
Les deux ont leur avantage, du moins
s’il s’agit des enfants.
Or Noël n’est pas pour les enfants.
Je veux dire celui de la Bible.
C’est pourquoi, le 25 décembre, j’en
tiens pour la fête, non du Petit Jésus, mais du Père Noël, avec les cadeaux,
les escargots, les huîtres, le gigot, la bûche, le champagne et les bouilles
illuminées des moujingues.
En cas de dèche, on peut toujours se
partager tout ça.
Et pour ce qui est du messie,
fêtez-le la veille, allez à l’église, à la vigile la plus simple et la plus
sobre, celle où l’on chante alléluia devant un cierge unique environné d’une
ombre séculaire.
Mais dans votre cœur, de quoi
s’agira-t-il ?
De l’avenir incertain d’un enfant
émigré menacé de mort par la police de son pays. Une histoire d’aujourd’hui,
bien sûr, d’ici et de là-bas, et qui va vous pousser à résister, à combattre, à
ruser, à exploser d’amour et de rage.
Saint-Coutant,
2013
À DES JEUNES…
Catéchisme 26
Le monde a
un sens et ta vie a un sens. C’est ce que, à moi-même, déjà, je me dis.
Il en est ainsi de tous les êtres,
de chacun pris en lui-même et de tous dans leur ensemble.
Il en est ainsi de chacune des
sortes d’êtres qui composent le monde. Ainsi en est-il de l’humanité. Ainsi en
est-il, tout aussi bien, des animaux, des végétaux et des minéraux ; et
ainsi de suite.
Un sens, cela veut dire une
direction et un but. Rien d’abstrait en cela. Il y a
une histoire du monde comme une histoire de chacun.
Il y a un commencement, un
déroulement, et un but.
Mais attention : il s’agit bien
d’une histoire, si bien que le déroulement, qui relie le commencement au but,
n’est pas écrit à l’avance. Ni pour le monde, ni pour l’humanité, ni pour toi.
Si je crois, pour ma part, que le
but sera atteint, au moins dans l’ensemble, cela ne signifie pas que je m’en
remette au destin. J’ai au contraire à prendre bien conscience de mon rôle dans
cette histoire, et à tenter de le remplir au mieux.
Je suis, à ma place, l’un des
auteurs de l’histoire, l’un de ses protagonistes.
Le monde a un commencement. Avant,
rien.
Ou si quelque chose, cela ne m’est
comme de rien, car cela se situe en dehors de cette histoire. Je n’ai rien à y
voir.
Avant, rien. Si ce n’est celui qui a
fait tout commencer.
De même, pour toi, se trouve un
commencement. Avant, rien. Avant, il y a certes des tas de choses, mais sans
toi.
Il y a de la matière qui nous
constitue petit à petit.
Il y a de l’histoire : un homme
et une femme, une famille le plus souvent, un milieu, un pays, une langue, une
nation, un passé, une culture. Etc.
Et c’est là que tu commences.
Vois-tu l’arbitraire de ce commencement ?
Tu te trouves, que tu le veuilles ou non, français, malien, algérien,
vietnamien. On te communique d’autorité tout ce qui va avec : langue,
histoire, coutumes, goûts, cuisine, patrie, etc. Tu te trouves riche ou pauvre,
nourri ou affamé, cultivé ou ignare – cultivé d’une manière ou d’une autre,
selon que tu es prolétaire ou bourgeois, rural ou citadin, occidental ou
asiatique. Tu te retrouves avec une religion, ou sans. Etc.
Vois-tu l’arbitraire ? C’est
pareil pour le commencement du monde. Pour le commencement de la vie. Pour le
commencement de l’espèce humaine.
Il y a de l’Extérieur qui te précède
et qui t’entoure. De l’Autre. Qui te fait.
Et moi, je crois que cet extérieur,
cet autre, qui précède le monde et qui l’entoure, est un
réalité Un Autre.
Ne me demande pas de preuves,
là-dessus. J’ai dit « je crois ». Je finirai bien par te dire un jour
pourquoi je le crois. Je te dirai même ce que veut dire « je crois ».
En tout cas ce n’est pas quelque chose comme une opinion, ou une croyance.
Disons que c’est une fondation. On y reviendra.
Ne me demande pas non plus comment
il est, cet Autre. De fait, personne ne l’a jamais vu. Il est Autre. On ne peut
savoir de lui que ce qu’il fait connaître, de lui-même. Si cela se
trouve !
Et de ce qu’il fait connaître de
lui-même, on ne peut en outre comprendre que ce qui est à notre portée.
Car ne l’oublions pas, nous, nous
sommes à l’intérieur de l’histoire, et lui en dehors. Que peut-on comprendre du
dehors quand on n’est jamais sorti ?
En réalité, il fait connaître de lui
beaucoup de choses, mais nous ne sommes capables de percevoir que très peu.
Le spectacle du monde, par exemple,
devrait nous en apprendre beaucoup sur lui. Mais l’expérience de l’humanité
prouve qu’il n’en est rien. Ou fort peu. On aperçoit, on entrevoit, et puis on
oublie.
Il faut savoir que l’humanité est
étonnamment distraite.
Pourtant, depuis fort longtemps,
certains se sont aperçu que l’Autre ne fait pas que se laisser deviner au
travers du monde.
Une poterie, par exemple, en dit
long, quand on veut bien la regarder vraiment, sur le potier qui l’a conçue et
réalisée. Mais si en plus le potier se met lui-même à intervenir directement,
alors évidemment ça renseigne. On peut alors apprendre à se servir vraiment de
la poterie.
Depuis très longtemps, des humains,
hommes ou femmes, ont eu la perception de ce que l’Autre était lui-même à
l’action, directement, dans le monde, pour se faire connaître, et pour les
renseigner sur l’usage de ce monde.
Pour les renseigner sur l’usage
d’eux-mêmes, de l’Univers – avec tout ce qu’il contient – et surtout sur le
but.
Je ne suis pas moi-même l’un de ces
humains-là, et tout ce que je te raconte, je le tiens d’un certain nombre
d’entre eux.
Et ceux-là ont découvert une
chose : cet Autre était lui-même le but.
Curieusement, selon eux, nous allons
vers cet Autre. Lui qui était au commencement, qui est maintenant tout autour
du monde, et au cœur de ce monde, et tout autour de toi, et au cœur de toi.
Lui, il nous attend.
Très souvent, cela n’a rassuré
personne. Car il est clair qu’il n’est pas très agréable d’être à la fois cerné
et habité par un Autre qu’on ne connaît pas. On se sent prisonnier. Observé,
jugé, ligoté. Par derrière, par dessus, par dedans, par devant.
On se débat. On fuit. On se bat. On
pense à autre chose. On dit « il n’existe pas ». On agit pour soi
tout seul. Ou bien on fait semblant de se soumettre et, en douce, on détourne
sa vie de lui.
Tout cela pour se défendre. Pour
être soi. Pour être libre.
D’une certaine manière, cette
attitude résume à elle seule tout l’histoire de
l’humanité.
Ces humains qui ont perçu la
présence de l’Autre parmi nous disent pourtant que c’est une erreur. Que
l’Autre n’est pas à fuir.
L’un d’entre eux disait :
« Il n’est pas semblable à un grand vent, l’Autre, à une tempête qui
arrache tout, non, il est comme un souffle léger qui palpite dans la fournaise
d’une montagne pierreuse, écrasée de chaleur. »
Un souffle léger. On respire.
Un autre disait : « Il ne
te charge pas d’un lourd fardeau, comme celui d’un âne qui trébuche sous le
poids de la charge, non, son fardeau est léger, c’est un plaisir de le
porter. »
Et encore : « Il n’est pas
la chaleur étouffante qui assomme à midi, et qui tue les plantes assoiffées,
non, il est comme un ruisseau d’eau fraîche. »
Ou bien : « comme une
lumière dans la nuit ». « comme un berger
qui porte un agneau nouveau-né. » « Comme une pluie qu’on
attendait. »
Et l’un va jusqu’à dire :
« Comme un avocat devant tes juges. »
Mais tiens ! On court toujours.
On ne l’écoute pas. Certains de ceux dont je parle ont même été battus, tués.
Et puis un jour on a appris que le
vrai mot pour dire cet Autre, c’était le mot amour.
Ce qui est avant, ce qui est
pendant, ce qui est après : l’amour.
On voyait bien qu’on avait tort de
se sauver.
Tu as donc, comme le monde que tu
habites, un commencement. J’y reviens.
Pourquoi ce commencement ? Pour
aller de l’avant.
Pour développer au mieux, et mener à
son accomplissement, ce qui est sans prix, ce qui est une pure merveille :
toi.
Un Autre t’attend, et te voudrait
accompli, achevé, lumineux, harmonieux, pour t’adjoindre à lui.
C’est comme un stage que tu
commences. Mais un stage très dur, avec beaucoup d’épreuves, de tests, de
défis, de dangers, le tout entrecoupé de temps de repos, de détente, de
plaisir.
Du malheur et du bonheur.
Mais ne te fais pas
d’illusion : un stage très dur. Un stage à mort, mais pour la vie.
C’est comme un match en vue de la
qualification. Et ton adversaire te combat à fond, sans concession. Mais saches
que ton adversaire est en réalité celui qui t’aime. Il te veut champion.
C’est comme une guerre : il ira
jusqu’au bout. D’une manière ou d’une autre il te vaincra. Mais c’est à qui
perd gagne. Tu auras la victoire.
C’est comme cela qu’il fait.
Lui-même l’a vécu avant toi.
Beaucoup refusent le match. Plus
encore : ignorent son existence. Mais le match existe. Il est ta vie.
Tu as un commencement. Et sur cette
terre tu as une fin. On l’appelle la mort.
Bien qu’elle fasse partie de
l’ensemble de l’itinéraire complet, la mort est néanmoins la grande ennemie,
pour nous comme pour l’Autre.
C’est qu’il y a deux façons de la
considérer.
La première manière consiste à voir
qu’elle est utile à la réfection permanente de la création. Adéquate à sa
rénovation, sa remise en état constante, comme lorsqu’on change les pièces
usées d’un moteur pour en mettre une neuve afin que ça fonctionne.
La seconde manière consiste à
considérer chaque vie qui se perd ainsi, et à refuser qu’elle se perde.
Parce que toute existence est la
cause possible d’un émerveillement.
Ainsi, parce que tu es cause
possible d’émerveillement, ta mort n’est pas acceptable.
En ce sens-là, la mort n’est pas
adéquate, elle est au contraire le résultat d’une erreur de parcours.
Le grand Autre, qui en a accepté la
nécessité, la remet pourtant sans cesse en cause.
Il y a comme une contradiction entre
le commencement, qui instaure une histoire qui va vers la mort, la suppression
régulière des vies, et la fin, qui suppose que tout ce qui a été, que toute vie,
se retrouve récupérée.
On a cherché beaucoup d’explications
pour justifier cette contradiction.
Je n’en ai aucune. Je la constate.
C’est que je ne suis pas cet Autre, et de très loin.
Les témoins auxquels je faisais
allusion n’en ont pas plus que moi. Ils s’en tiennent à ce qui se passe selon
la logique de la seconde façon de voir.
Parce que, assurent-ils, le vrai nom
de l’Autre, je le disais à leur suite, est l’amour.
Alors la mort devient le résultat
d’une erreur, d’un manque, d’un ratage.
Cela se voit bien : elle
introduit dans la vie le malheur, la douleur, l’angoisse. Elle est contraire à
l’amour. Elle est opposée à cet Autre qui nous attend.
Dans la situation actuelle, elle
règne cependant, produisant la séparation.
Séparation à l’intérieur du tout
qu’est ton être. Séparation, en toi, puisque toutes tes solidarités sont
détruites. Les éléments de ton être physique comme les éléments de ton être
historique, toutes tes solidarités. Séparation entre les êtres, entre ceux et
celles, surtout, qui s’aiment. Désintégration.
Les témoins auxquels je me réfère
disent que la réunion finale, la réunion de l’être au complet, la remise en
harmonie de tous les éléments de son histoire, est le résultat de l’œuvre d’un
héros, justement cet Autre qui nous aime.
Selon eux, cette histoire-là a
détruit, non la réalité de la mort, mais sa puissance. La mort a été traversée,
dépassée, et finalement intégrée à la grande histoire de la vie. C’est le fait
d’un être historique, à un moment donné de l’histoire humaine, en un lieu
précis.
Comme si la fin de toute l’histoire
était concentrée par avance en ce temps et en ce lieu, dans la personne et
l’œuvre d’un humain nommé Dieu avec nous.
L’Autre en nous : la fin, le
but, le sens de notre vie, concentré là.
Montpellier,
1986
Mon pÈre m’a
confiÉ un domaine…
Catéchisme 27
Selon les Écritures bibliques, Dieu
a créé le monde dans une intention qui reste mystérieuse : est-ce pour le donner
en apanage à un seigneur, l’espèce humaine, ou bien est-ce pour ce monde
lui-même, pour sa beauté et sa folle gratuité, l’humain étant alors un
serviteur au pair chargé de la maintenance ? Peut-être pour ces deux raisons
conjointes, dans le cadre d’une hiérarchie dans laquelle le serviteur du
seigneur Dieu serait à son tour le seigneur des êtres de son monde.
L’emploi constant de ces termes
eux-mêmes, seigneur et serviteur, indique que tout le rapport qui s’établit
entre les éléments de la création – humain compris – et Dieu est vu selon le
mode d’une grande parabole dans laquelle il s’agit de fidélité réciproque.
C’est le terme clé d’une alliance, dans laquelle seigneurs et serviteurs sont
liés par mutuelle allégeance, le seigneur devant protection et secours, et le
serviteur, certes rentabilité et concours, mais avant tout parfaite loyauté.
La parabole du
Seigneur et du serviteur
Ainsi, le Dieu créateur, puissance
inconnaissable et sans visage, sans nom, se révèle par fidélité dans les
Écritures comme mon seigneur, à moi l’humain, c’est-à-dire comme le vis-à-vis
que je sais nommer et à qui je dis tu. Le fidèle auquel je suis fidèle. Ou non.
Cette "fidélité ou non"
est tout l’enjeu du rapport que les Écritures installent entre l’humain et le
reste de la création. Elles révèlent qu’il existe une loi. Dans des écrits bien
antérieurs à la dérive légaliste que connaîtront Paul et les évangiles,
l’alliance est à la fois loi et grâce : si le Dieu auteur de l’univers créé y
devient celui auquel j’obéis et celui qui me protège, cela se retourne : c’est
aussi ce que je suis pour les éléments de la création.
Les Écritures ne connaissent pas la
notion de néant. Pour elles, le contraire de la création est le magma,
l’indifférencié, l’absence de structure. D’où ces images : l’abîme liquide de
Genèse 1,2 ou le bourbier illimité de Genèse 2,6. Des images que l’on peut
associer à celles de la mort : pourriture et poussière.
La création, alors, est
paradoxalement un acte de résurrection : il y avait la mort, et voici la vie !
Telle est la puissance du dieu biblique, le Vivant.
Selon ces récits inauguraux, son
action créatrice consiste à instaurer des distinctions, des différences, des
limites, des normes. À partir de l’indifférencié mortel, il sépare, spécifie,
subdivise, organise, hiérarchise.
S’ensuit la confondante, terrible et
merveilleuse splendeur de ce monde nouveau qui naît alors, tiré de l’abîme
innommable.
La loi est là dès cette origine,
depuis les lois d’alternance structurelle (lumière et ténèbres, jour et nuit,
terre et mer) en passant par celles qui régissent le renouvellement des
éléments créés (chacun "selon son espèce"), jusqu’à celles qui
codifient le droit relatif aux humains ("du fruit de tous ces arbres tu
pourras manger, sauf de cet arbre-ci").
Au fond, cela consiste à parvenir à
la plus grande justesse dans la relation. Celui qui y parviendrait serait à la
fois humain véritable, tel que voulu par Dieu, et authentique fils du Père qui
est dans les cieux. Pour ceux qui tentent de marcher sur ce chemin, il s’agit
de se tenir dans les termes de l’alliance. Ce qui inclut aussi ses relations
avec la création.
Un organisme
social unique et cohérent
Gérer la création est un combat
permanent car la force de l’inertie mortifère initiale reste grande. Selon les
images bibliques, elle tire vers un retour à l’indifférencié de la
pulvérulence, ou encore c’est le risque d’un cataclysme qui rétablirait le
magma premier. La création est sans cesse en butte aux attaques, directes ou
insidieuses, de la désagrégation.
L’acte premier de Dieu, créateur de
vie et fondateur d’alliance, est en danger d’être renversé, inversé. Et il est
dit d’emblée que la plus grande force négative réside au plus haut : dans
l’espèce humaine. Pas la seule, car le monde est plein de dangers, mais la plus
grande. C’est ce qui est nommé violence
: un désordre, et plus précisément une "injustesse".
Prenons l’exemple de notre rapport
aux animaux domestiques. Si l’humain est leur seigneur, c’est qu’ils jouent leur
rôle au sein de sa gestion du monde qui lui a été confié. De même qu’un
seigneur local voit le champ de sa domination englobé dans celui de son
suzerain, de même l’animal vit à l’intérieur de l’aire de maîtrise de l’homme.
Son seigneur tire en partie de lui les moyens de sa subsistance et de sa
maîtrise. Mais la relation est réciproque car l’homme devra protéger et
enrichir son vassal animal. Ils forment un organisme social unique, cohérent
quoique complexe. Nuire à l’un nuit à l’autre. Qui nuit aux siens se nuit à
lui-même. Qui soigne les siens se soigne lui-même. Sortir de là, c’est
dangereusement manquer à la justesse.
Il s’agit bien sûr d’une antique
parabole. Mais la visée d’une parabole consiste à inclure ses lecteurs dans le mouvement
de sa narration. Aussi, parce qu’il s’agit d’une parabole, cela reste une
proposition universelle.
Saint-Coutant
– 2005
TU ES JEUNE ?
Catéchisme
28
Celui que l’on appelle Dieu n’est
pas d’abord Dieu pour toi. Il est le barreur du navire Univers.
Ce qui t’est proposé, c’est d’entrer
dans le mouvement d’avenir qu’il imprime au monde.
Grande aventure. Invitation à
laquelle il t’est proposé de répondre, ce qui, à soi seul, te vaudra d’être
qualifié.
Toutes les épreuves de qualification
ont été réunies en une seule, unique mais radicale et mortelle. Cruciale.
Passée et dépassée une fois pour
toutes, elle vaut pour tous ceux qui s’engagent pour la vie dans la grande
aventure.
Une aventure qui court sur l’étendue
de toutes les modalités et de tous les temps du monde, visibles ou invisibles.
C’est une aventure qui coûte, car
c’est du travail, et c’est du combat. Mais c’est aussi du plaisir.
Tu choisis ainsi ce qui va vers le
bon et le bien du monde – tu laisses ce qui va vers le mauvais et le mal du
monde.
Tu n’es pas le bon et le bien du
monde, mais tu peux aller vers ce qui est bon pour le monde, vers ce qui fait
du bien au monde.
Tu es qualifié pour cela. Bon
voyage, avec le capitaine !
14 juillet
2018
QUAND JE LIS LA BIBLE
Catéchisme
29
Texte revu et corrigé
Vous
scrutez les Écritures parce que vous pensez acquérir par elles
la vie éternelle : ce sont elles qui rendent
témoignage à mon sujet.
Jean 5.39
Quand je lis la Bible, qu’est-ce que
je fais ? En quoi cela consiste-t-il ? Eh bien pour ce qui me concerne,
je m’entretiens avec quelqu’un. Avec l’un de ses participants. Nous sommes
deux, cette personne et moi. Que ce soit Ésaïe ou
Paul, par exemple, même si ce sont en fait des noms accolés à un groupe, à une
école, à une communauté, il s’agit pour moi d’une écriture particulière avec
laquelle j’entre en relation comme avec une personne. Alors on discute.
Prenons donc ces deux-là,
déjà mentionnés : prophète hébreu ou fondateur d’Églises, ils ont quelques
points communs, le premier étant qu’ils me parlent depuis l’Antiquité
proche-orientale, régie globalement par le modèle impérial asiatique, et qu’ils
sont juifs (juifs comme ceux de l’époque, qui n’est pas notre époque, juifs
avec temple, prêtres et force sacrifices, par exemple). Aussi sont-ils pour moi
des étrangers.
Or ils me parlent. Eh bien quand je
lis l’un d’eux, l’erreur, ce serait d’oublier, justement, que nous sommes deux.
Lui et moi. Moi et lui. Si différents, si étrangers l’un à l’autre. Et je me
demande alors pourquoi ce serait lui qui aurait raison et pas moi, dans la
discussion, ou lui qui m’enseignerait ?
Après tout, j’en sais plus que lui
sur la suite ! Exemple : Paul, quand il me parle, ne sait pas – ce
que je sais – qu’une partie fondamentale de la Loi dont il discute est caduque
à mon époque, j’y faisais allusion : celle qui concerne le temple,
disparu, et les sacrifices, abolis.
Et Ésaïe !
Il n’a aucune idée, par exemple, de la possibilité d’une démocratie, celle dans
laquelle je vis, il s’intéresse à un roi-potentat, tout aussi antique que lui.
Ce qui me laisse largement ignorant de ce que cela signifie vraiment pour lui.
Et surtout, il témoigne d’un dieu qui n’est pas vraiment le mien, moi qui viens
après Golgotha et le Tombeau vide. Mais quelque chose, chez lui, me concerne pourtant.
Il me parle. Il évoque tant d’enjeux…
Il y a, chez ces deux-là
comme chez les autres, une ardeur, un désir, un amour, une colère, une force,
une faiblesse, une foi humaines qui me concernent infiniment et qui témoignent
d’un lien tellement problématique et pourtant essentiel avec celui que, moi
comme eux, nous appelons Dieu.
De tous ces entretiens que l’on
appelle lecture, de toute cette nourriture, que vais-je faire ? Comment
déciderai-je de les prendre avec moi avec tout leur dire et pour quoi faire,
pour quoi vivre ?
Et, si j’ose écrire, quelle
nouveauté mon intrusion va-t-elle produire en eux ? (mais on comprendra
peut-être que le "je" que j’emploie est à comprendre aussi comme un
"nous").
Eh bien il y a chez moi, au départ,
avant la rencontre effective, ce mouvement vital, cet élan qui m’a amené à me
poser à jamais, pour vivre, sur une base, un socle, et qui s’appelle le Christ,
mis à mort et pourtant levé, ayant sergi. Ce qui
n’est pas de ce Christ-là, serait-il biblique, ne me concernera pas.
Pourquoi ? Parce que son geste
est ce qui a scellé une alliance de sang (je parle en parabole) entre Dieu et
le monde dans lequel je vis, donc aussi avec moi, fétu promis à destruction et
pourtant tellement aimé. Là-dessus je me fonde et suis en paix.
Là-dessus aussi viennent se fondre
tous les dires anciens, vis-à-vis desquels je suis libre, desquels je tire l’or
et le fumier, avec lesquels je me bats, je me plais, je travaille.
On me dira, bien sûr, que ce Christ
est venu à moi par le canal de ces Écritures, qui me sont donc premières. Cela
paraît certain mais au fond ne l’est pas. Ce qui convoque ces Paul ou ces Ésaïe dans notre histoire est bien plus, en réalité, la
longue et patiente communication qui en a été, et en est faite jusqu’à
aujourd’hui et jusqu’à moi, par la parole de ce fameux "nous" qu’est
la communauté des croyants présente dans l’histoire et dans le monde.
J’aime alors à généraliser
ceci : le Christ, je l’ai connu bien avant de m’être mis à lire la Bible.
Certaines personnes m’avaient d’abord parlé de lui avec amour.
S’il y a pour moi des Écritures qui
parlent, c’est parce qu’elles ont été conçues, élues et autorisées par la foi
originelle des croyants. C’est cette foi qui est première, foi au salut dont le
Christ est le Dire. Mouvement qui consiste à se fonder sur le Christ.
Sans cette foi, les Écritures
seraient restées ce qu’elles étaient, des témoignages datés et situés, témoins
d’un passé lointain à classer sur les étagères d’une bibliothèque de
l’Antiquité, dans le musée des civilisations orientales. À supposer qu’elles
aient été écrites.
C’est pourquoi il n’existe pour moi,
qui partage cette foi, rien d’autre que le Christ que l’on puisse appeler la
Parole de Dieu, ou plutôt le Dire de Dieu au monde (car Dieu ne parle pas, il
dit, parole qui crée, qui oblige, qui institue, qui fonde, qui entre en
relation).
Dénier à la Bible le titre de Parole
de Dieu a pour conséquence de me classer, dit-on, parmi les pasteurs libéraux.
Je ne vois pas l’intérêt de ces classifications. Pour moi, l’intérêt est dans
ce "nous", ce chœur bi-millénaire, à
vocation universelle, auquel j’appartiens. Patiemment, à longueur de temps et à
largeur d’espace, il entretient cet échange qui le passionne et le nourrit sur
le fondement du Dire divin, de cette divine histoire humaine : le
Christ.
9-25
novembre 2018
1
Sur la vague, ou
le Dire de Dieu
2
La ruse ÉvangÉlique, ou
le désir humain réorienté
3
PÂques, ALLIANCE UNIVERSELLE,
ou un rite de création
4
EN venir À la raison, ou
remettre les lieux en ordre
5
POLYPHONIE, ou
de l’usage de la Trinité
6
LEçON SPATIO-TEMPORELLE, ou
que tout est accompli
6bis. Poésie théologique, ou réponse aux objections
7
UN DEVOIR DE COLÈRE, ou
l’homme de Dieu
8
RÉsurrection, ou
qu’il s’agit de création
9
LE PRATIQUE DE LA CHOSE, ou
la dette infinie
10
RÉGRESSIONS, ou Écritures versus Parole
11
IN-CERTAIN,
ou le paradoxe du Croyant
12
AU COUCHANT ! ou la marche
vers l’inconnu
13
14
AUX ORIGINES DU PEUPLE HÉBREU, ou l’hébraïsme
15
ACCOMPLIR LES ÉCRITURES, ou la poétique du Christ
16
LE DIEU-AVEC ET LA RÉGULATION, ou quel
amour ?
17
UN RÈGNE QUI NEST PAS UN RÈGNE, ou chercher
18
UN MODE D’ÊTRE, ou lire les Écritures à perte
19
un avenir dans le prÉsent, ou contribuer au Règne
20
AVEC, ou
l’Emmanuel à venir
21
rÉussitudes, ou le Souffle et son prix
22
LIRE AU PLURIEL,
ou que LA Bible n’existe pas
23
LA CHAIR DU VERBE,
ou faire place à l’étrangère
24
NAISSANCES,
ou que l’enfant est donné
25
FAUT-IL
FÊTER NOËL ?,
ou une histoire d’aujourd’hui
26
À des jeunes,
ou qu’un Autre est le but
27
MON PÈRE
M’A CONFIÉ UN DOMAINE…,
ou la fidélité
28
TU ES JEUNE ?,
ou un mini-caté
29
QUAND JE
LIS LA BIBLE,
le Christ passe avant
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