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réactions : jean.alexandre2@orange.fr
C’est un feuilleton hebdomadaire terminé le 13
décembre 2021. Il reprend point par point une histoire réellement vécue. Il
s’agit des événements qui ont conduit à une OQTF (obligation de quitter le
territoire français) opposée à un couple de migrants nés musulmans, Nebez et Sînem.
Les prénoms ont été changés mais pour le reste, ce
qu’on lira sera aussi exact qu’il est possible, sachant que de rares éléments
ont demandé une interprétation de ma part.
Ce récit est maintenant terminé, mais vu l’intérêt
qu’il a suscité,
il restera sur
ce site pendant quelques semaines.
Stéphane Pahon – D.R.
Chapitre 1er
Nebez et Sînem vont émigrer
Nebez est kurde, un Kurde d’Irak originaire de la ville de Al Sulaymaneyah, proche de la frontière iranienne. Sa famille,
au sens large, est sunnite et pratique un islam populaire fondamentaliste et
très exigeant. C’est d’abord cette stricte obligation que Nebez,
le non-conformiste, ne va pas supporter. Dès l’adolescence il va regimber.
Son père est mort l’année de sa naissance, en 1991,
ce sont donc ses frères et demi-frères, tous plus âgés que lui, qui se chargent
de son éducation. Or ils n’acceptent pas son attitude, ils ne tolérent aucun écart vis-à-vis de la norme islamique
reconnue.
Lui s’efforce de croire dans les enseignements de
cette religion et de la pratiquer de la façon dont elle lui a été transmise,
mais, malgré ses efforts, il n’y adhère pas. Il la trouve trop sévère, trop
intolérante. Aussi, il commence très vite à faire semblant. Il fait semblant de
pratiquer le jeûne mais il mange en cachette. Il fait semblant de faire la
prière mais il ne prie pas. Il fait semblant d’aller à la mosquée, mais en fait
il ne s’y rend pas, ou le moins possible…
Il va aller plus loin, il se rebelle d’abord à sa
manière. Il s’intéresse, Internet aidant, à des coutumes venues d’autres
civilisations, comme le kung-fu, voire à des pratiques interdites, entre autres
le tatouage.
C’est ainsi qu’en 2012, à vingt-et-un ans, il décide de se faire faire un tatouage sur le bras.
Lorsqu’ils s’en rendent compte, ses frères et demi-frères l’agressent et le
molestent au point de tenter de lui arracher la peau tatouée à l’aide de leurs
couteaux. Pour eux, son tatouage rend tout son corps haram, impur, et
jette la honte sur toute la famille, aux yeux de Dieu comme aux yeux de la
communauté. Il garde encore les cicatrices des nombreuses blessures, celles-là
et d’autres, que ses frères lui ont causées. Dès lors, il a perdu le peu de foi
qui lui restait dans l’islam.
Adulte, Nebez s’installe
en ville comme professeur de kung-fu. Il loge désormais dans son local
professionnel. Il ne doit pas être le seul de son genre dans sa ville car il va
réussir au point de pouvoir commencer à construire un petit hôtel. Entre temps,
il a rencontré Sînem, qui est coiffeuse dans une
boutique voisine.
Sînem est kurde, elle aussi, mais iranienne. Son enfance a été très dure. Sa
mère a mystérieusement disparu et sa belle-mère l’a toujours traitée avec une
grande brutalité. Finalement, elle a fui, à cause de la décision de son père,
un imam rigoriste, de la marier à un voisin en tant que seconde épouse.
Elle a donc passé la frontière afin d’être à l’abri
de poursuites inéluctables. Elle ne gardera de là-bas que de mauvais souvenirs.
En particulier, elle se souviendra toujours avec horreur du jour où elle a été
excisée. Elle avait neuf ans. Elle n’est donc pas plus adepte de cet islam
qu’elle connaît que Nebez. Néanmoins, bien obligés,
ils se marient à la mosquée. Il n’existe pas de régime civil du mariage dans le
pays.
S’il refuse l’islam de sa famille, Nebez reste profondément religieux. Il cherche, aidé par ce
qu’il peut trouver sur Internet, un peu au hasard, à propos du Coran comme à
propos de la personne de Jésus, personnage très prisé par ses interlocuteurs
inconnus.
Il trouve alors ceci : selon le Livre,
Mohammed est le dernier des prophètes et par conséquent le seul dont le message
soit totalement vrai. Pourtant, c’est ce même Livre qui dit que le messie Issa
(Jésus) viendra clore la fin des temps. C’est donc Issa le dernier, non
Mohammed !
Ce n’est pas tout. Face à ce que l’islam de sa
famille lui a enseigné, fait d’intolérance et de coercition à son égard, il
découvre le message de ce messie Jésus : la douceur. C’est ainsi que, seul
dans sa quête d’une vérité, il décide de se faire disciple de ce prophète-là,
devenu pour lui le vrai.
Est-ce à ce moment que ses frères brûlent son
hôtel ? « J’ai quitté mon pays au mois d’octobre/novembre 2015 à
cause des menaces de mort et des agressions répétées à mon encontre de la part
de mes frères et demi-frères. Ils me persécutaient pour des motifs
religieux », dira-t-il plus tard. Il n’est plus seulement menacé par eux à
cause de sa déviance maintes fois démontrée, mais bien parce qu’il a plus ou
moins adopté la foi chrétienne.
Mais est-il alors vraiment ce que l’on peut appeler
un chrétien ? Peut-être pas tout à fait mais il est en passe de le devenir
par l’étude. L’étude solitaire et sans règle de l’autodidacte. C’est elle qui
le met en contact avec les propagandistes chrétiens de tout poil
trouvés d’abord sur Internet. Il ne fera pas le tri entre eux, il lui
suffit que ses interlocuteurs se disent disciples du Christ. Il n’est d’aucune
Église, comme son parcours ultérieur le montrera.
D’ailleurs, s’il est considéré comme renégat par
les siens, il ne l’est pas encore du point de vue des autorités doctrinales de
l’islam puisqu’il n’est pas baptisé. Pour elles, il n’a pas franchi le pas.
Chapitre
2
Partis
pour cause de religion
Nebez s’en va donc. Il, émigre pour cause de religion. Il part vers l’Ouest,
comme Abraham, avec femme et enfant, car Sînem est
enceinte.
Est-il alors devenu chrétien au sens habituel,
a-t-il rejoint une Église ? Non, car c’est sa quête personnelle qui l’a
conduit. C’est elle qui l’a mis en contact avec nombre de sites chrétiens qui
pullulent sur la Toile. Il ne fera pas le tri entre eux. On l’a vu déjà, il
n’appartient à aucune Église, et son parcours ultérieur le montrera plus
encore.
C’est à souligner, sa démarche ne doit rien à une
quelconque mission évangélisatrice, par exemple évangélique originaire des
États-Unis, qui aurait tenté de le convertir et y aurait réussi. À aucun moment
il n’apparaît dans ses déclarations qu’il ait rencontré personnellement un seul
chrétien en Irak.
Bien sûr, il existe près de chez lui, à Al Sulaymaneyah ou dans les environs, des Églises chrétiennes
traditionnelles, syriaques de rite romain ou orthodoxe, mais il va de soi qu’il
ne les a pas rejointes, sachant bien qu’elles sont interdites de prosélytisme
par le régime coranique du dhimmi qui concerne juifs et chrétiens.
C’est donc essentiellement à cause des brutalités
de leur famille, des coups de couteau, des attentats dont les siens sont les
auteurs, de l’excision, que le couple décide de partir à l’étranger. Nebez n’a pas le choix, sa femme et lui ne peuvent pas
déménager ailleurs dans le pays car son clan est tellement large et disséminé
qu’on pourrait le retrouver facilement dans n’importe quelle ville ou village
irakien. D’ailleurs, dans ce pays, les autorités ne se mêlent pas de ce genre
de conflits familiaux, d’autant moins lorsqu’ils touchent à la religion. Elles
n’offrent donc aucune protection aux victimes de ces conflits.
Sînem va donc le suivre. S’il n’a pas été converti par d’autres mais bien
par sa propre recherche, ce qui le desservira plus tard, il a su communiquer sa
foi nouvelle à son épouse. Elle va l’adopter lucidement, fidèlement et
fermement, non sans avoir d’abord bien réfléchi.
« Mon niveau d’étude, dira-t-elle, me posait
des difficultés dans la compréhension de la nouvelle religion embrassée par mon
mari. Progressivement, je me suis familiarisée avec la Bible et l’enseignement
chrétien, surtout à partir de notre arrivée en Europe, où mon mari pouvait
pratiquer librement le christianisme, et moi aussi je pouvais participer sans
contrainte aucune à son culte. Progressivement, j’ai appris les fondements de
cette religion qui me fascinait de plus en plus ; ainsi, j’ai décidé de me
convertir au christianisme. »
Les voilà
donc parcourant les routes de l’exil. Leur but est l’Allemagne, où se trouve
tout un milieu de Kurdes, souvent des immigrés turcs en recherche de travail.
Certains ont rejoint l’une ou l’autre des diverses assemblées évangéliques
disséminées dans le pays.
Ils quittent
l’Irak en octobre 2015. Ils ont des économies, ils se rendent en avion à
Istanbul avec leur passeport, puis, environ deux semaines plus tard, ils
traversent la Méditerranée sur un bateau clandestin pour arriver en Grèce.
Là, ils évitent les camps de regroupement de
l’Union européenne, et c’est la traversée des Balkans, en compagnie
d’innombrables migrants, syriens pour la plupart, Ni lui ni elle
ne feront de commentaires sur cette dernière traversée, dont on sait
pourtant à quel point elle a été ponctuée de misères pour des centaines de
milliers d’émigrants semblables à eux.
Et en janvier 2016, les voici enfin en Allemagne,
d’abord à Mönchengladbach, en Rhénanie du Nord Westphalie. Leur premier enfant, un garçon, y naît en mai 2016.
C’est là qu’ils demandent l’asile à l’Allemagne,
mais leur demande est rapidement rejetée. Les voilà menacés d’être renvoyés en
Turquie, puis où ? Séparés, chacun dans son pays ? À partir de ce
moment, tout laisse supposer qu’ils se sont cachés ici ou là en Allemagne, en
attendant de trouver une solution.
En tout cas, leur séjour dans ce pays a été mis à
profit par Nebez pour entrer en contact avec les
milieux évangéliques kurdes. Toujours aussi entreprenant, il ne s’en tiendra
pas là, il va contribuer activement à la création d’une ecclésiole
de type pentecôtisant, membre du Réseau d’Églises
kurdes de Hesse, comme en fait foi l’attestation d’un des responsables de ce
réseau.
Il faut toutefois rappeler qu’aux yeux des milieux
qui font autorité en ce domaine en islam, ces deux-là ne sont toujours pas
suffisamment avancés dans leur apostasie pour être passibles de mort, il leur
reste à demander le baptême. Ce point aura plus tard son importance. Eh bien,
le baptême, ils vont le demander, non en Allemagne chez les pentecôtistes, mais
en Islande chez les luthériens.
Il n’était plus question, en effet, de rester en
Allemagne. Ils risquaient à tout moment d’être arrêtés et de se retrouver très
vite dans un avion à destination d’Ankara. Ils sont donc partis clandestinement
en Islande, par bateau, en passant par le Danemark.
Une fois arrivés là-bas, en mars 2017, les voilà
placés sous procédure dite de Dublin… et par conséquent renvoyés en Allemagne
dès décembre 2017. Un deuxième enfant, une fille, naît alors en juin 2018 en
Allemagne, à Mönchengladbach. L’Islande, pour eux, cela ne durera donc
qu’environ neuf mois. Un bref séjour, certes, mais largement gratifiant au
moins sur un point, la découverte d’une Église protestante occidentale.
Chapitre
3
En
Islande
Le séjour de Nebez et Sînem en Islande, s’il a été bref, leur a beaucoup apporté.
Et sans doute le plus important pour eux a-t-il été leur rencontre avec un
pasteur luthérien de l’Église nationale d’Islande.
Il s’agit de Toma Toshiki,
pasteur de la paroisse de Hjalla, à Reikjavik, mais aussi chargé de l’aide aux migrants. On
peut supposer que cette spécialisation a quelque chose à voir avec le fait
qu’il est japonais et, probablement, envoyé comme témoin d’unité entre Églises
par la Communion luthérienne mondiale.
Quoi qu’il en soit, Toshiki
est connu sur place pour avoir, avec sa collègue, Kristín
Thórunn Tómasdóttir,
accueilli dans une église locale des demandeurs d'asile qui cherchaient un
refuge contre l'expulsion, ce qui a amené la police à intervenir, à entrer dans
l’église et à en extraire les migrants de force, traînant certains d’entre eux
par les pieds, ceci devant les caméras...
Une affaire qui a posé beaucoup de questions là-bas
compte tenu du fait que l’ancien droit d’asile, c’est-à-dire la protection des
personnes en rupture du droit commun, est souvent reconnu à l’Église par la
vieille coutume scandinave.
C’est dans la paroisse de ce pasteur que Nebez et Sînem, nouvellement
arrivés, vont se présenter un dimanche au culte en anglais. À l’issue du
service, ils lui demandent une formation à la foi chrétienne.
Ayant trouvé parmi ses paroissiens un homme qui
parle farsi, Toshiki va donc organiser une série de
cours particuliers pour ce couple manifestement très concerné. Cela va durer
six semaines, au bout desquelles Nébez et Sînem lui demandent de les baptiser.
Au fond, Nebez est arrivé
au bout de sa quête. Ce 13 août 2017 le voit accomplir, en aube blanche, à côté
de son épouse, dans une Église instituée, officielle, ce qui est pour lui l’un
des gestes les plus importants de sa vie. Ça y est, il est chrétien ! Et
quelques photos en témoigneront.
Les autorités allemandes n’avaient pas voulu le
croire lorsqu’il disait s’être converti. Trop facile, avaient-elles dû se dire,
car impossible à démentir. Pour elles, bien entendu, un demandeur d’asile est
quelqu’un qui va chercher les raisons les plus sûres pour être accepté, quitte
à mentir, et quoi de plus certain que le risque de mort encouru dans son pays
par un musulman converti au christianisme ?
Ce raisonnement est celui que tiennent l’ensemble
des pays européens lorsqu’une telle demande accompagnée d’une telle raison leur
est faite. Ce fut donc, pour Nébez et sa femme, le
cas de l’Allemagne, puis de l’Islande, comme ce sera celui de la France.
Trouvez autre chose ! dit-on au demandeur d’asile.
Ce qui, tout de même, est curieux, puisque le
baptême est justement ce qui entraîne la peine de mort en cas de retour du
requérant dans son pays…
« Je comprends qu’un certain doute existe,
écrivait Toshiki, quant à la conversion de demandeurs
d’asile, sur la question de savoir si la conversion est basée réellement sur
leur foi ou sur d’autres raisons. » Quoi qu’il en soit, il ajoutait :
« Mais dans leur cas, je ne doute pas du tout de ce que leur motivation
était sincère et qu’ils cherchaient une orientation spirituelle basée sur
l’amour et la grâce du Christ. »
Une chose est sûre, en tout cas, Nebez n’utilise ni cette conversion, ni ce pasteur, ni
cette Église pour subvenir aux besoins de sa petite famille. À peine arrivé à Reikjavik, il s’installe comme professeur de kung-fu et
semble bien réussir à en vivre !
C’est peut-être ce qui va le rendre populaire dans
la cité nordique. C’est une petite ville, les médias découvrent ce résilient à
la fois courageux et entreprenant tout autant que ce témoin d’une foi
chrétienne à vrai dire quelque peu en perdition dans le pays comme chez bien
d’autres nations européennes.
C’est pourquoi sa demande d’asile est un sujet qui
devient populaire. Des articles de presse la soutiennent. Lorsqu’elle sera
refusée et que cette famille devra retourner en Allemagne, il y aura de
l’émotion chez les nordiques ! Mais rien n’y fera, et nos amis se
retrouveront en Allemagne comme devant.
Les voici donc de nouveau à Mönchengladbach, demandant
l’asile… qui leur est de nouveau refusé. Alors ils se cachent, cette fois-ci
dans les bois, comme des hors-la-loi ou des clochards, eux dont la capacité à
s’intégrer dans un pays européen vient d’être démontrée en Islande.
Telle est la sinistre logique
de la procédure européenne dite de Dublin. Un demandeur débouté sera renvoyé – dubliné
– dans le premier pays de l’Union dans lequel il a été déclaré pour la première
fois. Aux autorités de ce pays de décider de son sort : accepté finalement
ou renvoyé dans son pays d’origine. C’est à nouveau cette seconde possibilité
qui est choisie par l’Allemagne au sujet de la famille de Nebez.
Mais renvoyée dans quel pays ? Nebez est irakien, Sînem
iranienne, et leur fils, puis la petite fille qui survient, sont nés en
Allemagne… Le doute règne, mais Nebez n’attend pas de
savoir ce qu’on lui destine, il quitte sa retraite et se sauve une seconde fois
avec femme et enfants.
Comme beaucoup de migrants, il s’est sans doute dit
que le plus sûr, finalement, c’était l’Angleterre. À condition d’y
parvenir.
Chapitre 4
De
la Jungle du Nord à l’Occitanie
Partis d’Allemagne, voilà Nebez
et Sînem à la Grande-Synthe. Comment y sont-ils
parvenus, mystère. Traverser une partie de l’Europe sans papiers ni voiture
avec un petit d’à peine deux ans et un nourrisson, cela demande de l’entregent
et l’on sait bien sûr de quelle sorte car, moyennant finances, les passeurs
s’emploient à assurer ce genre de déplacement.
C’est un trafic juteux pour ceux qui constituent
aujourd’hui les représentants d’un corps de métier certes illégal, voire
criminel, mais néanmoins florissant. C’est ainsi qu’on peut sans doute
comprendre pourquoi nos amis se retrouvent sans un sou sur la côte flamande de
notre pays.
On a beaucoup parlé de ce qui s’y passe à propos
des migrants. Cela s’appelle la Jungle, ce qui dit tout. Et les efforts
notables de la commune et la tolérance relative des habitants n’y font rien. On
sait que le maire, Damien Carême, a souhaité la création d'un camp humanitaire
pour mettre à l'abri les personnes en perdition.
Il a sollicité l'ONG Médecins Sans Frontières qui a
accepté de construire ce camp sur un terrain appartenant à la commune.
Constitué de cabanons en bois destinés à recevoir chacun quatre personnes et
géré par des associations composées pour la plupart de bénévoles, ce camp a
malheureusement brûlé en avril 2017 à la suite d’une rixe entre ethnies
différentes...
C’est que, camp sauvage ou camp humanitaire, un tel
rassemblement de personnes ou de groupes désespérés forme par construction le
vivier d’une violence, d’une insécurité et d’une criminalité qui restent
souvent sans réponse. Les femmes et les enfants y sont bien souvent considérés
comme des proies par les hommes, les viols et les passages à tabac y sont
nombreux et restent impunis.
Précédent plus qu’inquiétant pour la famille de Nebez, on peut rappeler qu’en décembre 2015, un Iranien
converti au christianisme a été tué en raison même de cette conversion. On ne
peut nier en effet la présence dans ces camps de certains migrants qui, venus
de pays musulmans, sont tout aussi intolérants que les autorités religieuses de
leur patrie.
À l’époque de l’arrivée de Nebez
et des siens, le camp de cabanons de la mairie étant détruit, la plupart des
migrants étaient plus ou moins rassemblés dans des camps composés de petites
tentes, à raison d’une par famille, et recevaient l’aide des associations de
bénévoles. Une aide matérielle, bien sûr, avec ses dons de couchage, de
nourriture, de soins d’urgence, mais aussi une aide tout simplement humaine
faite de présence et d’attention.
C’est ainsi qu’une des bénévoles se prend d’intérêt
pour cette famille dont la situation matérielle, sanitaire et morale se trouve
désormais aux limites de la résistance. Elle est loin maintenant de la quête
d’un passage vers l’Angleterre, elle cherche tout simplement à survivre.
Cette dame alerte les réseaux sociaux à son sujet.
C’est un SOS. Il s’agit d’une situation vraiment catastrophique,
signale-t-elle, ces gens ne tiendront pas, ces enfants ne survivront pas
longtemps dans les conditions qui leur sont faites, d’autant que l’hiver
approche. Quelqu’un accepterait-il de les prendre en charge ?
Depuis l’autre bout de la France, un couple
montpelliérain répond. David et Chloé. « C’est d’accord, envoyez-les, nous
pouvons les accueillir, dit leur message, mettez-les dans un train, nous
prenons les frais à notre compte. »
Chloé est sage-femme, David est chercheur, elle la
quarantaine, lui la cinquantaine. Ils forment un couple mais n’habitent pas
ensemble. Ils se sont rencontrés grâce à leur habitude commune d’accueillir des
migrants en perdition et il se trouve que l’appartement qu’occupent Chloé et
ses deux filles est disponible.
Un beau jour d’octobre 2018, ils attendent donc
tous les deux à la gare l’arrivée de la famille, font sa connaissance et
l’emmènent dans sa nouvelle résidence provisoire, sachant qu’ils en sont
désormais au point de départ d’une nouvelle histoire de rencontre et d’amitié
possible.
L’histoire, aussi, d’un parcours du combattant au
travers de cette autre jungle, la législation française et les conditions
qu’elle impose aux migrants... Car si ces nouveaux venus, qui ne possèdent
rien, doivent, dans l’urgence, être hébergés, nourris, soignés, mis en
confiance et rassurés, ils sont aussi des hors-la-loi. Des sans-papiers qui ne
disposent d’aucun titre à demeurer dans le pays.
David, qui est protestant, va rester durablement
attaché au bien de ces convertis, il les accompagnera désormais en toute
circonstance. En théorie, il n’y a malheureusement pas grand-chose à
faire : ils devront être dublinés, c’est-à-dire renvoyés en Allemagne,
premier pays où ils sont entrés dans l’Union européenne, puis expédiés dans
leur pays.
Leur chance, c’est que cela se passe au moment où,
l’aire des régions ayant été modifiée dans l’impréparation, comme on sait, par
le Président Hollande, de nombreux dossiers restent à Montpellier sans pouvoir
y être traités au lieu d’être transférés à Toulouse, la nouvelle capitale
régionale. C’est le cas de celui de Nebez et de Sînem, si bien que les voilà à nouveau en mesure de
demander l’asile, leur cas se trouvant repris sur place à zéro…
Chapitre
5
De
Cada en Centre social
Espérer se voir acceptés par la France, cela commence
donc, pour Nebez et Sînem,
par une demande d’asile en préfecture. C’est l’affaire d’une amie avocate de
David. Cette demande déposée, ils sont pris en charge par l’Office français de
Protection des Réfugiés et Apatrides (Ofpra) et
envoyés dans un Centre d’Accueil de Demandeurs d’Asile (Cada) de la Région pour
y être hébergés. On les envoie alors à celui de Langogne, à l’extrême Nord du
département de la Lozère, en attente d’un entretien prévu à l’Ofpra.
Le but est que leur demande soit traitée puis
transmise à la Cour nationale du Droit d’Asile (CNDA) qui décidera de leur
sort : admis à résider en France ou dublinés, c’est-à-dire renvoyés en
Allemagne une fois de plus. Il s’agit d’une sorte de procès qui ne dit pas son
nom et qui est traité par des fonctionnaires du Ministère de
l’Intérieur. La défense est assurée par l’ONG France Terre d’Asile.
En théorie, le cas de Nebez
et Sînem semble de nature à légitimer la protection
de la France. On sait que, convertis de l’islam au christianisme, un retour
dans leur pays leur vaudrait la mort.
Mais, suite aux entretiens
tenus en août 2019, l’avis de l’Ofpra est négatif.
Aux yeux de la fonctionnaire chargée de traiter leur dossier, il n’est pas
certain, pas prouvé, que les demandeurs soient réellement convertis. Il leur
reste cependant la possibilité d’une procédure d’appel.
À Langogne, il leur est impossible de trouver du
travail. Ils végètent sur place, sans autre perspective que celle de voir enfin
acceptée leur demande d’asile… déjà refusée une première fois. De plus, Sînem, enceinte, fait une fausse couche. On imagine l’état
moral de ces gens…
Néanmoins, nulle remise en question de sa démarche
religieuse, chez Nebez. La grosse croix de bois nue
qu’il arbore sur la poitrine en est aussi la marque. Au risque de se retrouver
persécuté par d’autres réfugiés. Il ne cesse de chercher le contact avec une
Église protestante, mais à Langogne nous sommes en terre catholique, il faut
descendre vers les Cévennes, jusqu’à Florac, à une heure et demie de route, ou
monter vers le Puy-en-Velay, à au moins une heure, pour trouver une paroisse.
Pourquoi pas, pensera-t-on alors, s’en remettre à
la paroisse catholique du lieu ?
C’est voir leur situation à notre aune. Si les Français ne sont plus
trop intéressés par ces distinctions, ce n’est pas le cas pour Nebez. Sa démarche, qui lui vaut tant de misères, est née
d’une découverte, pas d’une autre, et c’est en fonction d’une forme d’esprit
restée musulmane qu’il l’a reçue. Il lui reste tout naturellement fidèle. Pas
d’images ni de statues de saints, pas de sainte Vierge.
Alors comment rejoindre ses frères et ses sœurs
dans la foi ? Les amis montpelliérains se sont débrouillés pour qu’il
dispose d’une voiture, mais il n’a pas l’argent pour payer l’essence, ou si
peu. Alertée, la pasteure de Florac fait le déplacement. Elle trouve avec eux
des gens qui prient et lisent la Bible, tout comme le constatera aussi le vieux
pasteur montpelliérain qui les appelle au Cada et qui met le pasteur du Puy sur
le coup.
Ce dernier trouve le moyen de faire venir la
famille au culte dominical de sa paroisse et, avec l’approbation des fidèles,
la considère en conséquence comme membre de la communauté. Ces pasteurs
français de l’Église protestante unie témoignent de la ferveur de ces
convertis, comme l’on fait ceux de la communauté évangélique kurde de
Mönchengladbach et de l’Église luthérienne d’Islande. Mais cela fera-t-il enfin
preuve ?
Ou bien est-ce la belle croix que Nebez se fait tatouer et qui s’étale sur tout le dos de sa
main gauche qui le démontrera ? Tout cela, croix comme pasteurs, peut-il
prouver que ces gens sont réellement devenus chrétiens, ou bien, au contraire,
qu’ils en font trop et simulent ?
Il faut d’ailleurs se rappeler que cette question
de la preuve, devant les autorités chargées de statuer sur une demande d’asile,
n’est pas réservée à la situation des musulmans convertis. La même difficulté
se rencontre aussi, par exemple, à propos des homosexuels, dont l’existence se
trouve mise en danger dans nombre de pays.
Nebez et Sînem, quant à eux, vont donc se présenter à l’Ofpra en appel, chacun à son tour, pour demander l’asile à
notre pays. Ces entretiens aboutiront à la même conclusion : on ne peut
être assuré de la réalité de leur conversion. On verra dans les chapitres
suivants comment l’Ofpra a été conduit à cette
décision.
Sur ces conclusions, le CNDA décide donc une
Obligation de quitter le territoire français (OQTF) pour tous les deux. En
attendant son exécution, la Préfecture de Lozère les confie à un Centre social.
Ils sont logés dans un appartement qu’ils doivent difficilement partager avec
d’autres déboutés… musulmans.
L’histoire, pourtant, n’est pas terminée, des
recours restent possibles à propos de certains points de droit : qu’en
est-il du sort des deux enfants, et bientôt d’une troisième que Sînem attend ? Ils sont nés dans l’Union européenne et
les deux filles seraient menacées d’excision, en cas de retour en Irak ou en
Iran. C’est au mépris du droit international qu’on les y enverrait..
Telle est la situation en septembre 2021,
c’est-à-dire six ans tout juste après le départ d’Irak en octobre 2015 :
une famille désespérée, démunie, épuisée, attend d’être envoyée à la mort.
Chapitre 6
Un entretien à haut risque
Le sort de Nebez et de sa
famille a donc été – sauf ultimes recours encore possibles – scellé par deux
auditions auprès de l’Ofpra dont l’issue a été un
refus de se voir concéder l’asile. Mais comment la fonctionnaire* en charge du
dossier a-t-elle été amenée à acquérir sa conviction ? On l’apprendra en
lisant de près le compte rendu d’audience d’août 2019.
Signalons que l’entretien se tient en la seule
présence de l’enquêtrice, d’une interprète et de Nebez.
Pas d’avocat. L’enquêtrice parle en français, et Nebez
en kurde sorani. On pourra constater que la traduction du kurde vers le
français n’est pas totalement fiable.
Précisons également que Nebez
joue sa vie et celle de sa famille dans le cadre d’institutions et d’une
culture qui lui sont étrangères et selon des modalités qui ne lui sont pas
familières… Tout comme l’enquêtrice ne semble disposer que de très faibles
connaissances de la mentalité d’un homme comme Nebez
ou des théologies musulmane et chrétienne.
La question posée est donc celle-ci : Nebez est-il réellement devenu chrétien ou
simule-t-il ? Dans le premier cas, il obtient l’asile en France, dans le
second, il est renvoyé en Allemagne puis expulsé vers l’Irak. Or dans ce
semblant de procès, c’est celui qui est mis en cause, non l’enquêteur, qui doit
prouver la validité de ses dires.
Voici un premier extrait de l’audition, au cours
duquel Nebez explique que pour lui, l’islam qui lui a
été transmis est mensonger.
– Question : Quels sont ces mensonges ?
– Réponse : La création de l’islam.
– Q : C’est-à-dire ?
– R : Par exemple, Jésus-Christ, quand ils se
réunissent, avec ses disciples, ceux-ci lui demandaient : « Mon
seigneur que va-t-il se passer après vous ? Lui, il répondait :
« Après moi, ce sera la tuerie et des meurtres. » Il dit que les
êtres humains vont s’entretuer après lui. Après lui, il va y avoir beaucoup de
prophètes menteurs. Que ces prophètes menteurs vont attirer des gens vers eux.
« Attention ne tombez pas dans ce piège ! »
– Q : Donc d’après vous toutes les autres
religions sont mensonge, il n’y a que le christianisme qui existe ?
– R : Je ne peux pas dire religion, le
christianisme n’est pas une religion. Le christianisme est un message, le
message d’optimisme de bonne nouvelle.
– Q : Donc, d’après vous les religions n’existent
pas ?
– R : Je ne dois pas dire ça. S’il vous plaît, je
ne veux pas parler d’autres religions, on va se concentrer sur l’islam. Je
voudrais que notre discours se concentre uniquement sur l’islam.
– Q : Mais on ne peut pas nier que d’autres
religions existent, si ?
– R : Il y a d’autres religions qui existent mais
je ne veux me concentrer que sur l’islam.
– Q : Vous me dites que le christianisme n’est
pas une religion puisqu’il y a d’autres religions qui existent, que pensez-vous
vraiment ?
– R : Jésus Christ a dit : « Après moi
il va y avoir beaucoup de prophètes menteurs. » Le prophète des musulmans
est un des prophètes menteurs. Nous, tous nos ancêtres, on a été des esclaves
de ce prophète. Est-ce que c’est clair pour vous, Madame ?
– Q : Non. Que pensez-vous, du coup, du
judaïsme ?
– R : Dans l’Ancien testament, tout est correct,
tout est vrai.
– Q : Donc vous y croyez ?
– R : (Il sort son livre, la Bible) Dans ce livre
saint, la moitié, on parle de l’Ancien Testament, on parle des prophètes, la
moitié c’est la Bible. J’y crois beaucoup, après je suis leur lignée.
– Q : Donc que pouvez-vous me dire sur le
judaïsme ?
– R : Qu’est-ce que vous voulez savoir sur le
judaïsme ?
– Q : Ce que vous a enseigné votre livre saint et
à quoi vous croyez ?
– R : Nous croyons en le prophète Moïse, il y a
un prophète Ashia (Ésaïe, NDLR), plusieurs années
auparavant il avait déjà annoncé qu’il va y avoir une autre personne qui va
s’appeler Emmanuel et que cela signifie que Dieu est avec nous. Le dernier
prophète est Malari (Malachie).
– Q : Donc quand vous dites que Jésus Christ a
dit que tous les prophètes après lui sont des menteurs, donc, cela ne concerne
pas le judaïsme puisqu’il est apparu avant le christianisme ?
– Oui, c’est cela.
Cette insistance de l’enquêtrice sur la question
des religions en général reviendra dans le cours de l’entretien lorsqu’elle
demandera pourquoi, quittant l’islam, notre ami a choisi d’adopter le
christianisme plutôt que n’importe quelle autre religion. Le sous-entendu
pourrait être celui-ci : s’il s’est présenté en Europe comme chrétien,
c’est parce qu’il pensait y être plus facilement accepté que s’il se
prétendait, par exemple, bouddhiste.
Pour Nebez, elle détourne
ainsi la question de fond – son parcours à lui – à laquelle il la ramène :
il ne parle pas de religion en général mais de la vérité du Christ opposée au
mensonge que l’islam est devenu pour lui.
Son argument est celui-ci : qui est le dernier
véritable prophète sinon Jésus Christ ? Or pour les musulmans, pour le
musulman qu’il fut, l’argument d’autorité qui fonde la vérité de l’islam, c’est
le fait que Mohammed est le dernier des prophètes. Il ne semble pas que
l’enquêtrice cherche à aller plus loin dans ce débat.
Notons surtout que la question de la foi de Nebez ne sera jamais abordée par elle et qu’elle en restera
toujours au niveau des connaissances ou des idées.
* N.B. : Il n’est pas certain que l’audition
ait été mené par une femme, il s’agit d’une conjecture.
Chapitre 7
Tatouage et conversion
Évaluer la validité du sentiment religieux d’un
autre ne peut évidemment se faire qu’en développant une empathie personnelle à
l’égard de cet autre, tant il s’agit d’un domaine niché au plus intime. Or
cette empathie est évidemment à proscrire lorsque l’on doit en juger selon la
légalité, et plus encore quand il s’agit de le faire à partir d’un a priori
officiel selon lequel il y a fort à parier que la personne jugée va mentir.
D’où l’absurdité du principe même d’une telle
audition, qui ne pourra prendre en compte que les connaissances du demandeur en
matière de religion, comme si la foi religieuse était un savoir pur et simple.
Elle est d’autant plus absurde qu’il suffit de se
souvenir, pour juger du danger encouru par le demandeur renvoyé chez lui, que
les autorités religieuses d’un pays musulman comme la majorité de sa population
estiment passible de mort quelqu’un qui déclare avoir demandé et reçu le
baptême. Or on se souvient que telle est le cas de Nebez
et de Sînem.
Néanmoins, l’enquêtrice doit tenter de comprendre
d’où viendraient et comment se seraient développées les motivations d’une telle
décision, la conversion de Nebez, si toutefois
celle-ci était réelle. D’où le dialogue qui suit :
– Q : Comment, vous qui avez grandi dans cette
tradition rigoriste islamique, prenez-vous conscience que vous « êtes dans
une boite » et comment sortez-vous de cette boite ?
– R : Jour après jour j’ai pris conscience. Je
prenais conscience des mauvaises actions. Moi je savais que si c’était une
vraie religion le peuple aurait dû la suivre, et non pas la religion qui suit
le peuple.
– Q : Qu’est-ce qui concrètement vous fait
prendre conscience de cela ?
– En 2012, je me suis tatoué sur le bras gauche. Ils
ont failli m’arracher le bras. Avec un couteau ils ont mutilé l’endroit où
j’avais mis le tatouage. Depuis mon enfance je suis contrarié à cause de
l’islam. Je ne suis pas la personne dans laquelle je trouve une place dans la
religion de l’islam.
– Q : Comment cette révolte intérieure que vous
évoquez durant votre enfance a-t-elle surgi ?
– R : En termes d’action à aucun moment je n’ai
osé le montrer à mes proches et à la famille, j’avais tout gardé au fond de
moi.
– Q : Qu’est-ce qui vous révolte tous les jours
depuis votre enfance ?
– R : L’agression et leurs mauvais propos.
– Q : Bis ? Avez-vous des exemples de choses
qui vous ont révolté durant votre enfance ?
– R : C’est la haine contre cette chose, je ne
l’aimais pas donc je prenais mes distances.
– Q : Durant votre enfance vous preniez déjà vos
distances avec la religion ou bien c’est arrivé plus tard ?
– R : Pas de l’enfance mais leurs actions me
faisaient… J’apprenais des choses de leur action.
– Q : Est-ce que le tatouage est interdit par les
pratiques de votre famille ?
– R : Pas uniquement dans notre famille, dans la
société musulmane c’est interdit.
– Q : Comment décidez-vous de braver
l’interdit ? Qu’est-ce qui vous pousse à le faire en 2012 ?
– R : J’avais envie.
– Q : Ne ressentiez-vous pas de peur ?
– R : J’avais envie, peur ou pas peur, j’avais
envie, il fallait que je le fasse.
–
Q : Est-ce un tatouage religieux ?
–
R : Non.
L’enquêtrice reviendra sur ce tatouage et sur les
sentiments de Nebez au sujet de l’islam ainsi que ses
démêlés avec ses frères, sa famille au sens large mais, changeant de pied, elle
va revenir comme on le verra à la question de la conversion proprement dite.
Cette conversion étonne bien d’autres personnes
qu’elle en Occident. Une loupe déformante liée à nos perceptions immédiates
fait que nous sommes habitués à voir dans l’islam la religion qui monte et dans
le christianisme celle qui décline. Or c’est l’inverse qui se passe dans le
monde, du moins d’un point de vue statistique.
De plus, il est notable que le nombre des
conversions au christianisme soit justement croissant dans les pays musulmans.
On attribue cela à une intense activité prosélyte des missions évangéliques
anglo-saxonnes ou coréennes mais il se pourrait que l’on trouve plutôt à la
racine de ces départs vers la foi du Christ l’action des membres d’Al Qaïda, de l’État islamique, des Talibans ou autres
mouvements islamistes intolérants et violents actifs au sein-même de l’Oumma,
la communauté mondiale des croyants… Ces gens en dégoûtent plus d’un de
l’islam.
D’autre part, comme on le voit avec l’histoire de Nebez, il n’est pas besoin de missionnaires héroïques
parcourant les souks, les déserts ou les djebels pour que cela se fasse en
grand nombre. C’est à ce propos qu’Olivier Roy, le spécialiste reconnu de
l’islamisme, écrivait ceci dans La Sainte Ignorance* :
« Ce qui est nouveau, c’est aujourd’hui la
prédominance de conversions effectuées suivant un choix individuel et dans des
contextes très variés. Elles ont un caractère massif. […] Les convertis sont
d’abord des nomades, même s’ils ne bougent pas physiquement : ils font
leur marché, goûtent et expérimentent, surfent sur Internet. Beaucoup de
conversions sont des auto-conversions : on choisit soi-même sa religion,
on s’en déclare membre et on va ensuite chercher une autorité religieuse pour
entériner son choix. »
La démarche de Nebez et Sînem représente, avec celle de bien d’autres nouveaux
venus en Occident, des exemples vivants de cela.
* Olivier
Roy, La sainte ignorance, coll.
« Points Essais », Paris, Le Seuil, 2008.
Chapitre 8
Malentendus
Converti au christianisme, Nebez
doit le prouver à la dame de l’Ofpra. Cela appelle
évidemment un certain nombre de questions, de la part de l’enquêtrice, portant
maintenant sur le comment :
– Q : Comment faites-vous la connaissance du
christianisme ?
– R : Via l’Internet, moi. J’ai tenté d’aller à
sa recherche. Jusqu’à ce que je suis parvenu à
l’atteindre.
– Q : Que recherchiez-vous à cette période ?
– R : Sur la biographie de Jésus.
– Q : Pourquoi vous cherchiez plus Jésus que
Moïse ou même l’athéisme ou le bouddhisme ?
– R : Non, dans la religion de l’islam on sait
que Jésus a atteint la résurrection mais sans avoir plus d’amples informations
sur lui. Dans la religion islam, on dit que le christianisme c’est kafr, et en même temps Mohammed dit une fois
que c’est la fin du monde il y a cinq personnages à apparaître : deux des
pays arabes, le troisième c’est Mohamadi Mahdi, le
quatrième il va y avoir l’imposteur (dijal),
c’est un monstre dont un œil est aveugle et il est le chef des diables. Le
cinquième ils disent que Jésus-Christ va revenir sur la terre. Ça c’est l’islam
qui dit cela. Ce Jésus qui va descendre sur la terre, que devient-il
Mohammed ? Pourquoi il ne descend pas, cela veut dire que ce Jésus est
plus important que Mohammed. Je l’ai suivi jusqu’à ce que j’y suis arrivé. J’ai
lu le bouquin entièrement. Il n’y a pas que ça. À plusieurs reprises dans le
Coran on parle de Jésus. Alors pourquoi dans la vie des autres prophètes, dans
aucun de leur livre, on ne parle pas de Mohammed ? On a parlé à plusieurs
reprises dans leurs livres qu’il y aura une nouvelle personne et ils ont bien
décrit la façon dont il est né, ils ont parlé de Jésus. Jésus même pas une fois
il n’a pas dit qu’il va y avoir une telle personne comme Mohammed.
Où l’on voit que c’est en tant que musulman, sinon
croyant, du moins de culture musulmane, que Nebez
répond aux questions. C’est une constante, que les différents enquêteurs ou
interlocuteurs qu’il a rencontrés ont toujours eu de la peine à enregistrer.
Ils réagissent toujours sur la base de leur substrat culturel européen, voire
spécifiquement français, concernant les questions religieuses, laissant de
côté, probablement sans y penser, le fait que l’homme qui est devant eux
ignore tout de l’agnosticisme rationaliste qui fait loi chez nous, ne pense
qu’en termes religieux, n’a pour tout bagage intellectuel que le Coran tel
qu’il est lu et reçu en tout cas comme une référence évidente, non seulement
dans sa lettre, mais dans son esprit.
Aussi, questionné sur Jésus, va-t-il partir du
Coran, sans prendre conscience de la contradiction par laquelle il place comme
point de départ avéré ce qu’il a déclaré mensonger. Il est possible que cela
renforce chez l’enquêtrice le sentiment d’avoir affaire à un imposteur, d’un
homme qui se prétend chrétien alors qu’il ne connaît rien d’autre que l’islam.
Elle va en tout cas tester sa foi chrétienne d’une
autre manière :
– Q : Vous faites la connaissance spirituelle du
christianisme, mais en faites-vous la connaissance concrète à Suleymaniyeh ?
– R : Oui, complètement. […] Une fois que j’ai lu
le livre j’ai appelé Jésus, je l’ai appelé au secours. J’étais intimement
convaincu qu’il était venu à mon secours car ma vie a été complètement
bouleversée et changée. J’ai abandonné la haine. J’ai laissé tomber le fait que
j’envisageais de me venger contre ma famille. J’ai eu un tel sentiment que mon
âme ancienne était morte et que j’ai une nouvelle âme.
– Q : Quand et comment concrètement avez-vous
appelé Jésus ?
– R : Je l’ai prié, je lui ai adressé des
demandes. Je lui disais « mon Père au ciel », « mon Dieu »,
je te désigne comme mon père du Ciel. Je te désigne d’être le pacha des terres
et des ciels.
– Q : Vous rendez-vous physiquement dans des
Églises ?
– R : Je n’ai pas fini de parler.
–
Q : Concrètement, vous êtes en Irak, à Suleymaniyeh,
dans une région conservatrice, vous allez où pour pratiquer votre foi ?
–
R : Non, nulle part.
–
Q : Pourquoi ?
–
R : Car il n’y a pas d’Église à Suleymaniyeh.
–
Q : Il y a pourtant une communauté chrétienne en Irak.
–
R : Oui mais à Erbil.
–
Q : Avez-vous eu la curiosité de mettre les pieds dans une Église à
Erbil ?
–
R : J’étais très curieux de mettre les pieds dans la maison de Dieu mais
l’occupation de ma vie, ma famille, à cause d’elle, de leur mauvais
comportement, j’ai informé ma famille que c’est fini, que je suis désormais
chrétien et je vais quitter votre milieu.
Il y a donc malentendu sur le mot concrètement.
L’enquêtrice ne semble pas imaginer que la prière soit concrète ! Comme on
le lira dans ses conclusions, elle va plutôt voir un
échappatoire dans les réponses de Nebez,
incapable d’évoquer un quelconque passage à l’acte.
Or le malentendu va plus loin car il n’est pas
certain que le mot Église désigne la même chose pour elle ou pour Nebez. En effet, celui-ci ne peut ignorer qu’il existe
plusieurs Églises syriaques à Suleymaniyeh, mais il
pense, on peut l’imaginer, à une Église d’un autre type, sans doute
évangélique, à ses yeux une véritable « communauté chrétienne »,
située à Erbil. Il doit être évident pour lui qu’il n’aurait jamais été
accueilli dans les Églises traditionnelles, interdites de prosélytisme en
raison de leur statut de « religion du Livre » défini par l’islam. Ce
que l’enquêtrice a dû ou aurait dû savoir elle aussi.
Chapitre 9
Ressenti, ou certitude ?
Au cours de l’entretien, l’enquêtrice a cherché à
savoir si Nebez a réellement voulu rejoindre une
Église, d’abord en Irak, puis en Europe. C’est ainsi qu’elle pense déceler le
ressenti religieux véritable du jeune homme. Mais il apparaîtra vite que les
réponses ne correspondent pas aux questions ! On peut se demander si le
vocabulaire employé est compréhensible par ce dernier… ou par son
interprète :
– Q : À votre arrivée en Europe
quelle est la première Église que vous visitez ?
– R : En Allemagne.
– Q : Que ressentez-vous à ce
moment-là ?
– R : J’étais très content. Chaque
fois que j’allais je prenais plein de photos.
– Q : Quoi d’autre sur votre
ressenti ?
– R : J’ai eu un rejet et une
déportation en Allemagne. Je suis allé en Islande. Là-bas j’ai fait la
connaissance d’un prêtre, on s’est apprivoisé, pendant six semaines il m’a
enseigné le livre sacré (il ressort de son sac une Bible en arabe).
– Q : Mais vous parliez en quelle
langue là-bas ?
– R : Oui, il y avait une personne
qui parlait l’anglais, en fait ce prêtre il venait me rendre visite à la
maison, il était accompagné d’une personne qui parlait anglo-kurde. J’ai été
baptisé là-bas de ses mains. Ma femme aussi là-bas elle a fait sa foi
chrétienne. Voici mon certificat de baptême, je me suis prénommé Daniel.
– Q : Pourquoi ce prénom ?
– R : C’est un prophète.
– Q : Qui est-il
concrètement ?
– R : L’Ancien Testament dans la
Bible.
– Q : Qui est-il concrètement ?
Pourquoi l’avez-vous choisi ?
– R : C’est un prophète.
– Q : Qu’a-t-il apporté ?
– R : Il parle de la puissance de
Dieu.
On le voit, Nebez raconte son histoire, il en reste aux
événements : quel est son ressenti ? Il est content ; qui était
Daniel ? Un prophète. C’est sans doute ce que lui inspire le mot
concrètement, mais aussi que la foi n’est pas pour lui un ressenti, un
sentiment ou une sensation comme cela semble être le cas pour l’enquêtrice,
mais une certitude et une allégeance. Sur ce point il s’est déjà exprimé en
parlant du Christ comme de son pacha ! Là encore apparaît la distance
culturelle qui existe entre deux modes d’appréhension du fait religieux. Reste
que Nebez vient de marquer là un mauvais point.
À propos du baptême, il a
été produit dans le dossier afférent à cette affaire une copie du certificat de
baptême ainsi que des photos liées à cet événement. Ce document n’a pas emporté
la conviction de l’enquêtrice, comme elle l’écrira dans ses conclusions
(« il a peut-être été baptisé »). Or ce point est essentiel ! Il
suffit en effet, on l’a vu, aux autorités religieuses islamiques des pays
d’origine pour qu’elles décident une condamnation à mort, ce qui entraîne
quasi-automatiquement le statut de réfugié par les autorités françaises.
En voici un exemple :
à peu près au même moment où était traitée l’affaire de Nebez,
deux autres familles, iraniennes converties de l’islam au christianisme et
baptisées, ont vu elles aussi leur demande rejetée dans le même département. Il
a suffi que l’annonce de leur condamnation à mort par les autorités iraniennes
parvienne en France pour que cette décision de rejet soit immédiatement
annulée, remplacée par le statut de réfugié. Or le tribunal iranien n’avait
disposé d’aucun document attestant de ce baptême, il lui suffisait que les
personnes concernées aient affirmé l’avoir reçu pour prouver leur apostasie.
Sans s’attarder sur ce
point et fidèle à ce qui ressemble à une technique d’interrogatoire,
l’enquêtrice change à nouveau de sujet.
– Q : Vous dites que vous avez été
maltraité par vos proches en raison de votre tatouage. Pouvez-vous revenir sur
votre altercation ?
– R : Au moment où j’ai fait ce
tatouage ils l’ont mal pris car c’est haram. Tout
est haram dans mon pays, dans ma culture, dans la religion de l’islam.
Si on parle des choses haram il va falloir une dizaine d’entretiens.
– Q : Concrètement, comment
découvrent-ils votre tatouage et quelle est leur réaction concrète ?
– R : On vivait dans la même maison,
on ne peut pas cacher ce tatouage, si j’ai mis ce tatouage c’était pour le
faire apparaître. Ils m’ont torturé d’une telle façon. Je n’ai pas d’autre
chose à rajouter. Il n’y a pas que ça. Vous voulez que je me déshabille et que
je vous montre mon corps ?
– Q : Concrètement qui découvre votre
tatouage et qui vous maltraite ?
– R : Mes frères. Ils sont salafistes
et ma famille aussi. Ce sont des fils qui suivent la lignée de Mohammed.
– Q : Quelles sont les tortures ou
les maltraitances qu’ils vous infligent à la vue de votre tatouage ?
– R : Avec un
couteau, ils ont enlevé ce tatouage ce n’est pas un mauvais traitement ?
–
Q : Ils vous ont poignardé ?
– R : Ils voulaient l’enlever avec un
couteau. Parce que selon l’islam un tatouage sur la peau d’un musulman il ne peut
plus habiliter à faire ses prières, car il est considéré comme sale. La
personne qui a un tatouage ne peut plus jamais faire ses ablutions.
– Q : Quelles autres tortures
avez-vous subi de leur part et dont vous gardez selon vos dires les
cicatrices sur le corps ?
– R : Ils m’ont attaqué à plusieurs
reprises dans ma salle, accompagnés de gens avec eux. Si je n’avais pas fui mon
pays j’allais avoir le même destin que la fille qui s’appelait Doa. Dans la rue on a écrasé son crâne avec des briques.
– Q : À Suleymaniyeh ?
– R : Non, à Shangal
dans le Kurdistan, tout simplement car elle avait changé de religion.
Suit un entretien détaillé
au cours duquel Nebez montre sur des photos les
nombreuses blessures parfois graves qu’il a subies.
– Q : De quand datent les dernières
agressions ?
– R : 2015.
– Q : Plus précisément ?
– R : Deux mois avant mon départ, je
ne me souviens pas de la date exacte.
La question des dates, à la
réponse encore imprécise, est importante car elle va montrer si Nebez a fui son pays à la suite de tortures subies à cause
de sa conduite au sein de la famille, telles le tatouage,
ou à la suite de sa conversion. Dans le premier cas, il ne s’est pas réfugié en
Europe à cause de celle-ci… qui reste alors peu crédible.
La suite va donner la
réponse à cette question.
Chapitre 10
Une pure affaire de religion
Lorsque quelqu’un comme Nebez se convertit au christianisme au milieu des siens,
les suites n’ont rien à voir avec celles qui apparaîtraient chez nous. Ce n’est
pas une affaire personnelle mais familiale, au sens large, et même tribale. Il
ne s’agit pas seulement de fâcher des proches qui pourraient se sentir
abandonnés, voire trahis, mais de jeter l’opprobre, la honte, sur l’ensemble du
groupe social. C’est le début d’une série de comportements violents liés au
point d’honneur collectif, ou même à une souillure touchant tout l’ensemble.
Bref, c’est une atteinte très violente, et la honte ressentie ne peut être
lavée que dans le sang.
À cela s’ajoute le fait que
le christianisme est associé, dans l’esprit des gens, à nombre de
représentations négatives allant suivant les cas de la haine à l’égard des
puissances occidentales considérées comme agies par un esprit séculaire de
croisade, à la décadence et à l’impureté de nos mœurs tels qu’ils sont du moins
évalués là-bas, en passant par la démarche blasphématoire que représente notre
comportement courant à l’égard de la religion. Ainsi, le christianisme n’est
pas seulement une religion mensongère quoique tolérée, mais aussi un carrefour
d’impuretés.
Enfin, la réussite
insolente de nos sciences et de nos technologies et la suprématie qui est allée
avec ne sont pas sans susciter un sentiment complexe mêlé d’amertume, de
rancune et d’envie. Il faut se souvenir que l’islam ne sépare pas la vie
spirituelle de la vie matérielle si bien que la réussite matérielle des
infidèles est difficile à accepter.
Pour revenir maintenant à
l’entretien, on va voir que l’enquêtrice de l’Ofpra
va chercher à savoir si Nebez est parti d’Irak à la
suite d’une grave mésentente familiale ou réellement à cause d’une conversion.
D’où, entre autres, la question des dates, posée (volontairement ?) sans
trop d’ordre.
– Q : Vous aviez quitté le domicile
de vos parents en 2012. Dans quelles circonstances ?
– R : Le jour qu’ils ont enlevé le
tatouage avec le couteau.
– Q : Votre conversion s’est sue au
sein de la tribu, de la communauté ?
– R : Oui, c’est ce qui a fait que je
ne pouvais plus avoir de place dans cette société. Ma famille n’a pas arrêté
dans leur comportement vis-à-vis de moi, ils allaient encore plus loin en
provoquant mes amis contre moi.
– Q : C’est-à-dire que tout le monde
vous a tourné le dos ?
– R : Oui. Et encore j’ai eu des
dommages financiers.
– Q : C’est-à-dire ?
– R : J’avais mis en place un hôtel
touristique Mais tout simplement parce qu’il y avait un jardin, après un an et demie après l’inauguration, on voulait faire un nettoyage,
une rénovation, on a pris un mois de congé pour rénover l’hôtel. Pendant ce
mois-là, on avait mis une affiche indiquant que « pour des raisons de
travaux l’hôtel est fermé durant un mois », quand ils ont appris qu’il n’y
a plus de personnes dans l’hôtel, ils ont incendié l’hôtel la nuit.
– Q : Qui ?
– R : Je savais très bien qu’il
s’agit de ma propre famille mais ils n’ont laissé aucune preuve.
– Q : Quand ?
– R : 2013.
– Q : Quel mois ?
– R : Vers avril, j’ai des problèmes
de mémoire.
– Q : Pour finir sur le motif de
votre conversion, vous leur annoncez celle-ci le même jour où ils découvrent le
tatouage ?
– R : Non ce n’est pas le même jour,
si je leur avais dit ils m’auraient tué, j’ai annoncé ma conversion après mon
départ.
– Q : Comment alors ?
– R : Ils m’ont dit « pourquoi
tu ne rentres pas (au pays) ? », j’ai envoyé des messages via des
personnes, en disant que c’est fini entre nous, que j’ai quitté la religion de
leurs ancêtres.
– Q : Vous évoluez dans un tissu
social tribal dans votre environnement n’est-ce pas ?
– R : Oui et en plus ils sont
salafistes, on est une grande tribu.
Suit une série de questions
dont on ne voit pas bien l’utilité portant sur les noms des chefs de la tribu
du Jaf dont Nebez est
membre.
– Q : Comment arrivez-vous alors à
faire du business, à ouvrir votre salle de sport alors que vous avez été renié
par votre tribu ?
– R : Moi personnellement j’ai quitté
ma famille, en même temps je travaillais pour me reconstruire, moi je n’étais
pas sur place, j’avais plusieurs employés dans cet hôtel. Je ne sais pas
comment ma famille a appris que je suis propriétaire d’un hôtel.
– Q : N’avez-vous pas un conflit
plutôt avec une autre famille oui tribu ?
– R : Non il n’y aucun lien avec
cela. Ce sont que les musulmans, ma famille, je n’avais pas ma place dans leur
société c’est pour cela qu’ils me faisaient subir tout cela. Étant professeur
de kung-fu, je suis parvenu à me défendre et rester en vie. Le kung-fu ce n’est
pas de l’acier, je suis un être humain comme vous.
Il apparaît donc que Nebez quitte sa famille en 2012, suite à
l’affaire du tatouage, et disparaît pour un temps de la vue des siens. À ce
moment, il a déjà noué des contacts fructueux avec les sites évangéliques
puisqu’il annonce en partant qu’il n’est désormais plus musulman. C’est
seulement trois ans plus tard, en 2015, qu’il émigre par peur d’être tué pour
raison de religion, mais on voit que c’est la violence de l’islam salafiste de
ses parents au sens large qui le décide. Il n’y a donc pas lieu de séparer le
conflit familial du conflit religieux.
Chapitre 11
Une histoire frauduleuse ?
Le dossier présenté à l’Ofpra par la défense en préparation de cette audience
comprenait un certain nombre de photos. Ce sont elles qui allaient servir de
base aux questions suivantes. Nebez présente d’abord
les photos du baptême, ce qui ne suscite pas l’intérêt de l’enquêtrice, qui,
sans autre, poursuit ainsi :
– Q : Avez-vous d’autres documents à
verser ?
– R : Ici le jour où j’ai été dubliné
avec l’Allemagne, il y a eu une pétition de 7000 signatures pour que je ne sois
pas déporté.
– Q : Vous avez été soutenu par
qui ?
– R : 7500 familles islandaises,
elles ont dit que j’étais quelqu’un de réputé. Pour information, c’est un
important site web islandais, j’ai été plusieurs fois cité dans les médias
islandais.
Il présente quelques autres
photos qui concernent son activité religieuse en Europe. Il pense manifestement
faire ainsi la preuve de son ardeur de converti.
– Q : Qu’est-ce ?
– R : Une Église kurde, quand j’ai
été déporté d’Islande en Allemagne. J’ai servi à la fois en Islande et à la
fois en Allemagne car j’avais rendu service dans cette Église, j’étais devenu
membre du réseau des Églises kurdes. J’ai transformé ma maison en Église, c’est
ma maison là (photo). Une petite Église ici on l’a transformée en grande
Église, cela avait commencé chez moi puis c’est devenu une grande Église,
Monsieur Delbarin avec moi on supervisait cette
Église.
– Q : En Islande toujours ?
– Non, après notre retour en Allemagne.
J’ai servi à la fois en Islande et à la fois en Allemagne. J’ai fait du
prosélytisme sur les réseaux sociaux. Je continue ici en France.
– Q : Que faites-vous concrètement
sur les réseaux et êtes-vous visible ?
– R : Je me déplace toujours avec
cela tout le temps (Bible). Je reçois depuis l’Allemagne ce bouquin en langue
arabe, persan et turc. Je les diffuse ensuite ici.
– Q : Auprès de qui ?
– R : Les gens qui parlent la même
langue que moi.
– Q : Où ça concrètement ?
– R : Je connais des personnes
croyantes chrétiennes qui n’arrivent pas à mettre la main sur le livre en
langue kurde sorani, je les apporte moi. On fait des prières, on chante.
– Q : Êtes-vous en lien avec la
communauté yézidie ici ?
– R : Non.
– Q : Pourquoi ?
– R : Je ne me mélangeais pas avec
eux dans mon pays.
– Q : Et des chrétiens d’Irak en
connaissez-vous ici ?
– R : Oui bien sûr. Mais je ne peux
pas donner leur nom car ils ne veulent pas qu’on le dise même ici même en
France. Ici, la page du « Réseau d’Églises kurdes ».
– Q : Êtes-vous administrateur de
cette page ?
– R : Oui. C’est la page du père
Hakim. Qui est le gérant des Églises kurdes, c’est ici qu’on diffuse
quotidiennement les newsletters, on se rassemble tous les Kurdes et on fait nos
prières.
L’enquêtrice ne parvient
pas à trouver une preuve « concrète » à partir des photos. Après
tout, celles du baptême mises à part, rien ne prouve qu’elles concernent
réellement Nebez ! Il aura pu se les procurer
ailleurs. De même, les pétitionnaires islandais peuvent être agis par
sentimentalisme, sans connaître le fond de l’histoire. Quand on cherche à
débusquer la fraude, il convient évidemment de tout mettre en doute.
La difficulté est que
l’enquêtrice semble fort peu au courant des réalités
de la scène religieuse non musulmane irakienne. C’est ainsi qu’on retrouve le
malentendu sur l’expression Églises chrétiennes, l’une pensant aux
communautés syriaques émigrées en France, l’autre aux réseaux évangéliques
kurdes. Plus étonnant est la mention des Yézidis, qui ne sont pas chrétiens et
dont on devrait savoir qu’ils n’ont aucun autre lien avec les évangéliques que
celui d’être eux aussi persécutés au Proche-Orient.
Un indice de véracité
pourrait être que Nebez se comporte parmi les siens,
dans les pays de ses pérégrinations, à l’instar des colporteurs bibliques
clandestins agissant au service des huguenots persécutés d’autrefois. Cela ne
s’invente pas, c’est du « concret » : à situation comparable,
activité comparable au service d’une même cause.
Mais connaître cela serait
trop demander à une digne fonctionnaire d’un État qui confond souvent laïcité
et mise à l’écart du fait religieux. Qu’on permette une anecdote à ce
sujet : il y a une trentaine d’années, un préfet nouvellement nommé en Charente
maritime convoquait la présidente du Conseil presbytéral de l’Église réformée
de La Rochelle pour lui demander ce que c’était réellement (aurait-il pu dire
« concrètement » ?) que son association. On rappellera au
lecteur ou à la lectrice distraite que La Rochelle, cité protestante, fut la
bête noire de nos bons rois jusqu’à ce que Richelieu la soumette par le fer et
la faim. On voit que même l’ÉNA n’enseigne pas tout.
Cela pour souligner une
fois de plus que, lors de cette audition aux funestes conséquences, il s’est
agi certes du déni d’une preuve concrète, la photo du baptême, mais aussi d’une
suite de méconnaissances. On en retrouvera sous peu la trace lorsque l’enquêtrice
demandera à Nebez pourquoi il aurait choisi de se
convertir au christianisme plutôt qu’au taoïsme ou au bouddhisme…
Mais dans l’immédiat, il va
être question de la persécution subie par Nebez
ici-même, en Europe, de la part de représentants de l’islam.
Chapitre 12
Évangéliser
Nous sommes presque à la
fin de cette première audition de Nebez, l’enquêtrice
va maintenant s’enquérir des moyens dont il prétend se rendre visible en tant
que converti au christianisme. Mais l’entretien passera vite aux dangers que
son activité évangélisatrice auprès des Kurdes vivant en Europe représentent
pour lui :
– Q : Comment vous rendez-vous
présent et visible sur les réseaux sociaux ?
– R : Via mon facebook,
mais ils ont piraté plusieurs comptes facebook.
– Q : Qui ?
– R : Les musulmans.
– Q : Mais qui, vos autorités ?
– R : Sur le facebook,
on vous menace.
– Q : Mais qui ferme votre facebook ?
– R : Ils ont bloqué mon compte.
– Q : Facebook a bloqué votre
compte ?
– R : Non, eux ils ont un programme,
les musulmans. Ici (il montre une vidéo), ici la façon dont je fais du
prosélytisme. Une copie ici que je suis membre d’une Eglise kurde. M. Dalberin et moi on gère et dirige cette Église.
– Q : Vous dites diriger cette
Église, qui se situe en Allemagne. Mais vous êtes aujourd’hui en France,
comment procédez-vous ?
– R : Non j’y suis sorti, mais mes
traces sont là-bas. On est uni, on est tous ensemble.
– Q : Aujourd’hui vous ne travaillez
plus pour cette Église.
– R : Maintenant je rends service que
via internet.
– Q : Est-ce que vos activités sont
connues en Irak ?
– R : Oui bien sûr.
– Q : Par qui ?
– R : Tous les Kurdes. Dès que je
publie, je dis un discours, il va être prélevé et diffusé sur d’autres comptes.
Il va se propager. J’avais juste fait une seule critique, et j’ai reçu une
menace, qui m’a dit qu’il ira même jusqu’à vendre sa maison, c’est pour pouvoir
venir et me tuer.
– Q : Quand et où avez-vous reçu
cette menace ?
– R : Quand j’étais en Allemagne j’en
ai reçu souvent des menaces comme celle-là, c’est très souvent qu’ils piratent
mon compte.
– Q : Est-ce que vos proches vous ont
depuis menacé en raison de vos activités en Europe ?
– R : Moi j’ai quitté à cause d’eux
le Kurdistan.
– Q : Bis ? Depuis la diffusion
de vos activités en Europe, avez-vous des menaces de votre entourage en
Irak ?
– R : Depuis que je suis en France j’ai
arrêté, même s’il y a des menaces elles arrivent sous pseudo, ce ne sont pas
des vraies personnes. Cela est un imam (il montre une photo). Oui. Et il est à
la fois professeur de kung fu.
– Q : Et ?
– R : Il m’a inquiété quand il a su
que je suis chrétien, ils ont provoqué à plusieurs reprises des personnes
contre moi. J’espère que vous allez écouter ces trois imams qui sont très
réputés.
– Q : Et ?
– R : Ils traitent toutes les
religions, hormis l’islam, d’infidèles.
– Q : Y a-t-il dès lors une fatwa
lancée contre vous ?
– R : Quand il
disent les chrétiens cela inclut tout le monde.
– Q : Vous nomment-ils précisément
dans les prêches ?
– R : Aucun mollah ou imam ne donne
de nom, ils parlent implicitement.
– Q : Le nom des dits imams ?
– R : Imam Abdulatif,
mollah Halo, Sabuun Karan (quartier) ma salle de kung fu est dans ce quartier, lui c’est mollah Soran.
Là encore, le dessein de
l’enquêtrice consiste à trouver des preuves « concrètes » de la
conversion de Nebez, cette fois dans le domaine de
ses activités de propagandiste. On voit qu’elle n’en trouve pas car aucun des
documents que ce dernier lui présente ne prouve qu’il s’agit bien de lui.
Il est probable qu’à ce
stade, l’opinion de l’enquêtrice est faite : pour elle, il doit s’agir
d’un affabulateur assez malin pour avoir bien conçu son affaire, ceci au point
de s’être réellement rapproché des chrétiens. C’est pourquoi la petite suite de
questions finales jouera sans doute pour elle le rôle de compléments d’enquête.
Reste pourtant la question
du baptême, question cruciale, c’est le cas de le dire : pourquoi ne
consent-elle pas à le prendre en compte, pas plus que les documents et les
témoignages qui l’accompagnent ? On ne le saura pas. Il s’agit pourtant de
la preuve par excellence, comme on l’a vu : la seule affirmation par Nebez d’avoir reçu le baptême, affirmation recoupée par ces
éléments, suffit à le rendre passible de mort dans son pays.
La question suivante a sans
doute pour but d’éclaircir une fois de plus ce que Nebez
entend par christianisme :
– Q : Vous faites du kung fu. Pourquoi se tourner vers le christianisme au lieu
d’une pratique culturelle asiatique comme le taoïsme, le bouddhisme ou
autre ?
– R : Le kung
fu est basé sur le phénomène physique et le phénomène spirituel. Ils n’ont rien
à voir l’un et l’autre, ce n’est pas la même chose. J’ai choisi la
reconnaissance du Dieu éternel, ce n’est pas un désir, mais mon métier est un
désir. La religion n’est pas une envie, il faut suivre une religion de vérité.
Et ne pas suivre une religion fabriquée. J’aimerais mentionner enfin que, soyez
certains, tout le monde retourne dans les bras de Jésus-Christ.
(On notera pour information
hors sujet que cette dernière affirmation de Nebez
l’éloigne des conceptions des milieux évangéliques et le rapproche de certains
milieux protestants plus traditionnels : est-ce l’œuvre du pasteur Toshiki ?)
Enfin, Nebez,
on le voit, essaie d’évangéliser même son enquêtrice… D’où peut-être le sujet
de la question qui va suivre.
Chapitre 13
Une preuve d’imposture ?
L’audition touche à sa fin.
On aura remarqué au passage
que, tout au long, il n’a été fait nulle mention des témoignages qui
proviennent de personnalités protestantes ou de pasteurs en poste en Europe,
quelle que soit leur Église. L’activité missionnaire de type évangélique en
Allemagne, le baptême luthérien en Islande, les entretiens avec des pasteurs
français et l’adhésion à une paroisse réformée, rien de cela ne fait foi, si
l’on ose dire, ni ne mérite d’ailleurs d’être mentionné. Concernant la
religion, on ne peut faire confiance aux religieux, portés naïvement à se
pencher sur le sort de victimes éventuelles ?
Viennent alors quelques
questions dont la première est la seule qui concerne directement la question de
la conversion… même si les derniers échanges ont évidemment pour but de
décrédibiliser, comme on le verra, toute la démarche de Nebez.
– Q : Vous portez aujourd’hui une
croix chrétienne relativement ostentatoire par sa taille, vous menez beaucoup
d’activités de manière visible, pourquoi cette fuite en avant dans la
multiplication d’activités religieuses ?
– R : C’est mon choix personnel. J’ai
eu envie pendant des années de mettre en collier autour de mon cou et
maintenant j’ai réussi. Et ici la loi ne permet à personne de venir dans le rue et me tuer. Si j’avais fait cela dans mon pays,
j’aurai été exécuté.
Cette croix
« ostentatoire » résonne évidemment avec d’autres situations
problématiques qui concernent l’islam dans l’esprit de l’enquêtrice. Elle la
mentionnera dans sa conclusion destinée à la CNDA comme indice d’un désir, chez
Nebez, d’en faire trop et par conséquent de ne pas
être crédible. On a là un trait culturel typique de nos sociétés européennes
laïcisées, mais que le jeune homme ne partage pas : s’il est une chose que
sa culture d’origine promeut, c’est bien l’affirmation de la ferveur religieuse.
Encore n’en sommes-nous qu’à sa première demande d’asile car à la suivante, il
arborera une croix tatouée tout autant ostentatoire mais bien plus difficile à
cacher !
Mais l’audition
continue :
– Q : Avons-nous tout mentionné dans
votre demande d’asile ?
– R : Je vous donne encore un
document. Cela prouve que je suis propriétaire d’un hôtel au Kurdistan. C’est
le syndicat des hôteliers. Une personne qui n’a pas un hôtel ou de restaurant
ne peut pas faire partie du syndicat (ou association). Je vous donne mon casier
judiciaire en Allemagne, comme quoi il est vierge.
– Q : Pourquoi avez-vous besoin de
prouver que votre casier judiciaire est vierge ?
– R : Car je ne veux pas faire de mal
à personne. Dans ma vie je suis comme ça, quand je dis quelque chose, je donne
une preuve. Je sais et j’ai entendu dire qu’il y a peu de chance (cite un
pourcentage) à l’Ofpra pour les Irakiens pour obtenir
l’asile et que ce taux est plus élevé à la CNDA. Je vous demande de répondre
positivement à ma demande.
– Q : (explication de l’appréciation
des craintes personnelles au cas par cas, pas de taux global) C’est bien pour
cela que je vous ai entendu durant deux heures, pour évaluer votre cas
personnel.
Où sont situés votre hôtel et votre salle
de sport à Suleymaniyeh ?
– R : À Shesti
(62ème rue).
– Q : Vers où ?
– R : Bazna
Malik Mahmoud (rond point).
– Q : Votre domicile était situé
où ?
– R : Kara zaoushik,
mais je n’avais pas ma propre maison je vivais dans ma salle de sport, je
m’étais fait une petite chambre d’habitation, depuis 2012 je n’ai pas de
domiciliation en Irak.
– Q : Pour quelle raison ?
– R : Je suis seul, je peux même
dormir dans un parc. J’aimais beaucoup ma salle car c’était à la fois mon
métier.
– Q : Le domicile de votre
mère ?
– R : À Aw
kari.
– Q : Où a été fait l’acte de mariage
d’avec votre épouse ?
– R : À Suleymaniyeh.
Après avoir fait connaissance avec mon épouse, on s’est marié.
– Q : Mariage religieux du coup.
– R : On ne peut pas choisir comment
on se marie là-bas, si on veut ou pas, ils marquent « religion :
islam », sur toutes les pièces d’identité il est marqué
« islam ».
– Q : Mariés devant un imam ?
– R : Je n’ai pas vu le mollah, au
tribunal ils m’ont posé la question « avez-vous fait un mariage devant un
imam » j’ai dit « oui ». En fait l’imam ne vous donne aucun
document, le mariage est officialisé au tribunal.
– Q : Date de l’union ?
– R : 18 août 2015.
– Je vous remercie (explication de la
procédure).
Après quelques questions
faciles et rassurantes pour le demandeur, l’enquêtrice a donc choisi de placer
en point d’orgue le seul élément patent, « concret », dont elle
dispose qui aille dans le sens de l’imposture : ce prétendu chrétien tout feu
tout flamme, converti selon ses dires en 2012, s’est marié officiellement en
2015 en tant que musulman !
Évidemment, il n’est pas
tenu compte du fait que cette dernière date est proche du départ du couple vers
l’exil, en octobre de la même année, et qu’ils mettent toutes leurs chances de
leur côté en désirant arriver mariés en Europe afin de ne pas risquer d’êtres séparés par telle ou telle administration. Bref, ils
n’avaient sans doute pas le choix, il leur fallait accepter les conditions qui
leur étaient imposées.
Chapitre 14 et dernier
La honte
Voici donc la fin de
l’histoire. Les démarches accomplies par Nebez et ses
conseils ont abouti à un refus de lui conférer le droit d’asile. Même chose en
ce qui concerne son épouse.
Il en est allé de même en
Allemagne comme en Islande, et l’on retrouvera des situations analogues en
d’autres pays de l’Union européenne, comme en Suède, habituée au rejet des
chrétiens afghans. Ces rejets ne sont pas systématiques, mais on remarque une constante :
ces convertis sont mal reçus en Europe.
En France, les rapports des
auditions de Nebez devant l’Ofpra
ont été communiqués à la Cour nationale du Droit d’Asile (CNDA) qui en a suivi
les conclusions. On pourra lire ci-dessous en quels termes la CNDA donne les
motifs de son refus final :
[…] les pièces du dossier et les
déclarations du requérant lors de l'audience à la Cour n'ont pas permis de
tenir pour établis l'ensemble des faits allégués ni pour fondées ses craintes
de persécutions. En effet, s'il n'est pas exclu qu'il ait été baptisé en
Finlande, ses propos trop sommaires n'ont pas permis à la Cour d'apprécier la
démarche spirituelle qui aurait été la sienne en Irak.
A cet égard, il a relaté de manière trop
vague les circonstances dans lesquelles il se serait progressivement rapproché
du christianisme, sans étayer ses propos d'éléments personnalisés. Il a
notamment manifesté des connaissances trop parcellaires sur le christianisme et
s'est limité à des déclarations générales sur son cheminement intellectuel et
spirituel.
En particulier, la circonstance qu'il
n'ait pas eu connaissance de l'existence d'églises chrétiennes à Souleymaniyé, ville dans laquelle il a pourtant
régulièrement résidé, fragilise davantage ses allégations tenant à sa
conversion religieuse et à sa volonté de découvrir et d'épouser le
christianisme.
Au surplus, les diverses agressions dont
il aurait été victime en Irak par ses frères n'ont pas été évoquées en des
termes précis. À ce titre, il a tenu des propos peu circonstanciés et n'a livré
aucun élément détaillé sur les circonstances des agressions. S'il a versé au
dossier des photographies attestant de lésions physiques, ainsi que des
certificats médicaux du 20 septembre 2015, du 6 décembre 2019 et du 7 janvier
202I, attestant de lésions physiques et de troubles psychiques, ses
déclarations dénuées d'éléments de vécu ne sauraient permettre d'apprécier
l'origine exacte de ces lésions.
Par conséquent, les motifs précis de son
départ d'Irak ne sauraient être tenus pour établis. Dans ces conditions, les
documents attestant de son baptême en Islande, notamment les photographies
versées au dossier, le certificat d'appartenance à l'église kurde d'Allemagne,
l'attestation du 24 mai 2018, ainsi que les témoignages religieux du 2l juin
2018, du 29 novembre 2019, du 26 novembre 2020 et des 9 et 13 avril 2021,
n'apportent à eux seuls aucune indication complémentaire sur les réflexions
spirituelles qui auraient été les siennes en Irak.
Enfin, s'il n'est pas exclu qu'il ait été
actif au sein de la presse islandaise et sur les réseaux sociaux, ces seuls
éléments ne pallient nullement ses propos lacunaires s'agissant de sa démarche
spirituelle. Ainsi, ni les pièces du dossier ni les déclarations faites à
l'audience devant la Cour ne permettent de tenir pour établis les faits
allégués et pour fondées les craintes énoncées, au regard tant de l'article
1", A, 2 de la convention de Genève que de l'article L. 512-l du code de
l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors, le recours
de M. […] doit être rejeté.
Voilà donc un homme dont
toute la conduite indique qu’il se revendique de la
foi chrétienne, qui prend en conséquence tous les risques, mais qui n’est pas
formellement reconnu comme tel, ceci essentiellement pour trois raisons.
La première consiste à dire
qu’il n’est pas établi qu’il se soit converti en Irak. Même si l’on admettait
ce doute dont on ne discerne pas bien les raisons, cela l’empêche-t-il d’être
chrétien, et donc de risquer la mort en Irak ?
La deuxième s’appuie sur le
fait qu’il n’a pas tenté de rejoindre une des Églises présentes près de chez
lui. Or on devrait savoir que cette démarche n’aurait pas abouti, ces Églises
n’acceptant pas de convertis venus de l’islam.
La troisième consiste cette
fois à douter de sa foi chrétienne parce qu’il n’a pas su en exprimer la
réalité « en des termes précis », mais l’a fait « de manière
trop vague », « trop sommaire ». Il n’est pourtant pas dit selon
quels critères il aurait dû s’exprimer, en fonction de quels présupposés
« intellectuels et spirituels » connus de la seule Cour.
Ni les témoignages de
personnalités compétentes en la matière, par ailleurs fort diverses, ni même le
baptême, dont la réalité est mise en doute sans qu’il soit dit pourquoi, ne
pèsent face à cette autorité de la Cour en matière de religion…
On peut craindre, hélas,
que ces doutes de la Cour ne soient pas partagés par les autorités religieuses
irakiennes, ou tout simplement par les concitoyens et les proches de Nebez, au cas où il réapparaîtrait chez eux. Car il
convient de rappeler que le seul fait de revendiquer son baptême leur suffirait
pour le mettre à mort.
Comme on le voit, il s’agit
bien du résultat d’une sorte de procès policier (c’est le ministère de
l’Intérieur qui officie) selon lequel le doute ne profite pas à l’accusé, et
dans lequel la charge de la preuve lui échoit.
Un homme, avec sa femme et
ses trois enfants, devrait donc être renvoyé à ses persécuteurs pour n’avoir
pas su exprimer assez doctement que le Christ est devenu son
« pacha ». Moi j’ai honte.
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