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Le feuilleton hebdomadaire
Visite
ou j’ai rencontré quelqu’un !
D.R.
Il s’agit d’une impression gardée après la rencontre d’une personne
parmi quelques célébrités.
Certaines ont déjà eu l’occasion de se voir évoquées sur ce site,
mais elles sont revisitées ici, parfois plus légèrement…
Visite 10 — Patrice de la Tour du Pin et
le débutant
Dans
les années Soixante, je fus bombardé hébraïsant. Les spécialistes semblaient y
croire ou faisaient comme si. En réalité, ils cherchaient un dernier protestant
capable de traduire les Psaumes et ils m’avaient trouvé. J’étais loin du
compte, mais ce n’était pas très grave, car ils ne manquaient pas de
traducteurs émérites.
Il
fallait seulement que le groupe qui s’attaquait à cette montagne soit composé à
parité entre catholiques et protestants car il s’agissait de la Traduction
œcuménique de la Bible. Bref, j’ai remplacé le spécialiste protestant manquant.
Le
groupe que je rejoignis se composait de gens comme le professeur de littérature
hébraïque au Collège de France, le spécialiste de la culture biblique à l’École
pratique des Sciences religieuses de la Sorbonne, ou le doyen de la Faculté de
Théologie catholique de Strasbourg, etc…
On
voit que j’y étais posé sur un strapontin ! Mais pendant les sept ans de
ce travail, j’ai tout appris aux côtés de ces grands savants, dont André
Caquot, qui devint mon maître en science hébraïque.
Il
y avait un autre groupe, né d’ailleurs un peu auparavant, auquel on m’avait
aussi intégré et qui était chargé de traduire les mêmes Psaumes, mais pour la
liturgie, c’est-à-dire en un texte lu à voix haute devant une assemblée. Il
était composé de musiciens et de poètes accompagnés de deux hébraïsants, un
jeune professeur d’hébreu à la Catho et moi.
Ce
groupe n’était pas destiné à paraître dans la TOB, mais devait bien plus tard
figurer dans la Bible catholique officielle. Il était sous la gouvernance du
Père Joseph Gelineau sj, l’un des rénovateurs du
chant sacré catholique apparu après le Concile du Vatican. Et parmi les poètes,
on trouvait le Père Didier Rimaud sj
ou Patrice de la Tour du Pin. Ce dernier fut mon maître en poésie, tellement
indulgent quant à mes propres poèmes.
Si
mon origine sociale et ma formation m’avaient préparé à quelque chose, ce n’est
sûrement pas à passer sept ans en compagnie d’un des plus grands poètes
français du XXe siècle. Comte descendant de croisés qui plus est, et catho
jusqu’à l’os.
Dans
son château croulant, la comtesse et lui nous recevaient à la fortune du pot.
La cuisinière polonaise nous préparait néanmoins du sanglier aux myrtilles, un
grand souvenir. Monsieur le Comte était chasseur. On nous régalait d’histoires
de revenants, le soir à la veillée.
Révérence
parler ça foutait les chocottes, et je dois reconnaître que, me couchant dans
une chambre décrépie un tantinet moyenâgeuse, tout en haut d’un escalier
destiné aux gens d’arme d’autrefois, j’ai regardé sous mon lit, après avoir
entendu le récit des éclats de mauvaise humeur d’un grand-oncle de Patrice, un
vieux qui ne voulait pas rester mort tout le temps. Pas besoin d’aller en
Écosse, comme on voit.
Nous
travaillions tout le jour, à huit ou dix, des dix heures d’affilée, à traduire
les Psaumes. Parfois aussi ça se passait dans un couvent breton, ou dans les
poussiéreux locaux d’un village huguenot du Vivarais, ou encore... On se
découvrait amis, voire frères, catholiques et protestants
Patrice
ne savait pas l’hébreu, il fallait lui expliquer toutes les nuances
qu’impliquait la forme particulière d’un mot, la tournure bizarre d’une
phrase... C’était un boulot passionnant.
On
ne trouvait pas le français de ce mot ou de cette phrase, c’était la panne.
Patrice se levait, il allait à la fenêtre, il tournait à mi-voix des syllabes
dans sa bouche. On lui lançait quelque proposition, il revenait, il disait
pourquoi elle n’était ni juste ni belle. Pour lui c’était la même chose.
Puis
on apprenait d’un coup la vérité d’une situation, à la fois très pratique,
hautement concrète, et spirituellement profonde. Et terriblement féconde.
Parler n’était plus parler, mais sourire en ami sans lâcher le fil d’une
respiration du monde. C’est pourquoi je l’aimais, tout hérétique et anar que
j’étais.
Lorsqu’on
me pria de faire en sorte qu’il vienne parler de sa poésie à une classe de
terminale du lycée public de ma commune, il accepta tout simplement et,
apparemment semblable au premier pékin venu, il charma les jeunes, séduits par
sa simplicité et de sa justesse extrêmes :
Mais
si je fus un riche d'esprit couché sur un trésor,
jamais je ne l'ai vraiment tenu pour le mien.
Puis
un jour, assassiné par une douloureuse maladie cardiaque, il est mort dans de
grandes souffrances et on l’a oublié. Mais pas moi.
–oOo–
Les chapitres déjà parus :
Visite 1 – Alexandre et Dumas 1
Il
s’agit cette semaine de visiter l’histoire de la rencontre d’un milliardaire et
d’un faubourien. Cela constitue les produits de deux lignées, et l’on va
commencer par celle du milliardaire.
L’histoire
commence avec le mariage d’une demoiselle Hermès et d’un monsieur Dumas. Cela
se passe à Paris à la fin du XIXème siècle. La mariée est la fille du patron
d’une entreprise florissante de sellerie du Faubourg Saint-Antoine. Une famille
d’origine allemande descendant de huguenots français. Le marié est le fils de
Frédéric Dumas, pasteur de la paroisse luthérienne du quartier, l’Église de Bon-Secours, fondée à l’origine pour desservir les émigrés
allemands du quartier. C’était le temps où la France était riche et certains
États allemands, pauvres.
C’est
ainsi qu’un Dumas devient plus tard le patron de la maison Hermès, dont on
connaît aujourd’hui le rayonnement. Mon histoire concerne Jean-Louis Dumas, qui
était le dirigeant de la maison Hermès International à la fin du XXème
siècle et grâce à qui cette entreprise a connu un développement extraordinaire.
L’autre
lignée commence avec l’une des fréquentes épidémies de choléra qu’a connu ce
même faubourg à l’époque de ce mariage. Les parents d’une famille ouvrière y
meurent de cette maladie, laissant trois enfants en bas âge. Que vont devenir
ces enfants, sachant qu’il n’existe aucune loi sociale les concernant, sinon
l’Assistance publique, particulièrement néfaste pour les pauvres ? Devenir
un enfant de l’Assistance, c’est le plus souvent finir clochard ou brigand. À
moins d’y mourir, tout simplement.
Ernestine,
la voisine, une jeune veuve blanchisseuse de son état, les prend sous son aile.
Elle a déjà deux petits, une fille, Adeline, et un garçon, Louis.
Cinq
enfants dans un petit logement, de plus filles et garçons mêlés, ça n’est ni
sain ni correct, pense-t-elle. La moralité de ces gens du peuple était très
sévère. Et ça fait aussi beaucoup d’argent à trouver, et comment ? On lui
conseille l’aide des curés… à elle qui est fille d’un communard fusillé sous
les applaudissements du clergé…. Non mais !
On
lui apprend alors qu’elle peut aller trouver un pasteur connu dans le quartier
pour son action sociale. Les pasteurs, connaît pas, mais en désespoir de cause,
elle va le voir.
Il
la reçoit, elle lui raconte. C’est un saint homme, créateur d’une série
d’œuvres sociales coordonnées : treize écoles de la Bastille à Bagnolet,
un orphelinat, une école ménagère, une école professionnelle du bois, un combat
contre l’alcoolisme des jeunes… Il lui propose de prendre en charge les
orphelins et de mettre les cinq moutards à l’école de la paroisse.
Gratuitement. Bien sûr, elle est contente, mais pas complètement. Elle est
normande : que donner en échange pour ne pas devoir ?
Elle
s’avise alors qu’au cas où elle trouverait la même fin que ses voisins, il y
aurait là une solution pour ses mioches et, comme elle dit, elle les met
protestants, le pasteur sera content. C’est ainsi que la petite Adeline, qu’on
appelle Aline, va à l’école. C’est ainsi qu’elle devient protestante sans le
savoir.
Ce
pasteur s’appelait Frédéric Dumas, et il s’agit là de la première rencontre.
Bien
plus tard, Aline est devenue la grand’mère d’un petit garçon prénommé Jean. Il
s’agit de moi. Un petit prolo comme ses parents et ses grands-parents, et ceci
jusqu’à la fondation du monde. Donc promis à la vie ouvrière. C’est pourquoi
l’on s’est étonné lorsqu’on a appris que le petit Jeannot, le p’tit-fils à la
blanchisseuse, le fiston au machiniste d’autobus, voulait devenir pasteur
protestant. Le pharmacien d’à côté n’en revenait pas.
Bien
plus tard encore, ce pasteur quittait un poste assez élevé dans la nomenklatura
protestante. Il voulait revenir à une paroisse, de préférence dans un quartier
populaire. Question de pedigree.
En
même temps, il se passait des choses dans la paroisse de Bon-Secours,
rue Titon, Paris XIème. Ou plutôt dans son église. La
paroisse était crevotante, sans pasteur, mais le
bâtiment était en passe d’être classé au patrimoine de la Nation. C’est
Frédéric Dumas qui l’avait fait construire, et son petit-fils avait tenu à ce
que ses fondations, ébranlées par la fonderie qui l’avait longtemps jouxtée, et
l’ensemble du bâtiment soient remis en état. Certes, il vivait dans les beaux
quartiers, mais ce témoin de ses origines ne pouvait selon lui disparaître. Il
fallait enfin un pasteur à cette paroisse.
Cette
histoire est une histoire d’origines. Une certaine histoire de la bonté
originelle de certaines origines. Dans le faubourg et malgré lui.
–oOo–
Visite 2 – Alexandre et Dumas 2
Ma
bonne grand’mère avait appris à lire, à écrire, à compter, à réciter les fables
de La Fontaine et la liste des départements avec leur préfecture, enfin à
porter la croix huguenote. Tout cela, elle le devait au grand-père de
Jean-Louis Dumas.
Bien
plus tard, ce grand patron et moi le pasteur se sont donc rencontrés. Le
président du Conseil presbytéral de la paroisse de Bon-Seours,
le Dr Scali, ayant entraîné le premier jusqu’au
bureau du second. Ce jour-là fut un grand jour pour moi. Mais pour lui, je le
sais, ce fut le jour où le PDG d’Hermès International se fit
purement et simplement petit-fils reconnaissant.
Petite
notation : Jean-Louis Dumas, en arrivant à cette toute première prise de
contact, m’a tout de même offert une cravate Hermès. Jusque
là, j’avais toujours réussi à ce que la fête des pères m’évite le don
d’une cravate, mais là...
Ce
fut donc la seconde rencontre, faisant suite à celle d’Ernestine avec le
pasteur Dumas. À partir de là, ayant accepté le poste de Bon-Secours
avec joie, cet endroit d’où venait le protestantisme de ma famille, j’ai donc
découvert ce paroissien fidèle, membre du Conseil, présent au culte chaque fois
que l’un ou l’autre de ses voyages professionnels ne l’en empêchait pas.
On
a dit, bien sûr, que ce jour-là je devenais l’aumônier personnel d’un
milliardaire et chapelain de sa chapelle privée. Rien de plus faux. Je fus
toujours totalement libre d’exercer mon ministère sans me soucier
particulièrement de ce paroissien-là, de même que le Dr Scali
présida en toute liberté. Tout ce que l’on peut dire, c’est que la paroisse
comptait en son sein un milliardaire, ce qui, évidemment, arrangeait ses
finances, quoique sans excès. Jean-Louis Dumas était très soucieux de ne pas
déséquilibrer ls finances paroissiales ni de se comporter en bienfaiteur.
Son
épouse aurait été sans doute moins discrète que lui, disant, chaque fois qu’une
dépense s’imposait, « Parlez-en à mon mari » ! Mais elle était
grecque et orthodoxe et n’accordait que peu de poids au sens de la mesure du
protestantisme français.
C’était
un homme d’une grande finesse. Il savait se tenir dans les limites d’un accord,
d’ailleurs tacite, le maintenant dans ce rôle de membre de l’Église parmi les
autres. Il n’en était pas moins, par ailleurs, un grand patron dès qu’on
sortait soi-même de ces limites.
J’en
fis l’expérience lorsque je lui demandai s’il ne pourrait pas soulager
l’Inspection luthérienne de Paris, l’évêché, en quelque sorte, de quelques
dettes trop lourdes pour elle. Je sortais là de notre entente, il me le fit
comprendre d’un seul regard impérieux. C’est ce jour-là que je compris très
précisément en quoi consiste le pouvoir et que sont les gens du vrai pouvoir.
On ne peut le contester, on ne peut que le renverser, celui-là. Mais ceci est
une autre histoire.
Ce
pouvoir, Jean-Louis Dumas en jouissait sans aucune réticence. Il lui paraissait
naturel. Je le compris à nouveau le jour où, apprenant qu’il était malade,
fidèle aux nécessités de mon ministère, je vins le visiter. Il s’en montra
d’ailleurs très ému. Puis, tout emmitouflé et bien que fiévreux, il se fit
conduire sur la terrasse de sa maison pour m’en montrer la vue. Il y tenait.
C’était
un immeuble de haute taille situé au bord de l’Esplanade des Invalides, à deux
pas de la Seine. On voyait de là toute une partie du beau Paris. La terrasse
couvrait toute la surface du bâtiment, on aurait pu y tenir un synode si ce
n’est qu’il ventait, nous redescendîmes et ce faisant, Dumas me dit :
« Pas mal hein, cette demeure ! », et il ajouta, sur le ton de
la malice, « Je l’ai soufflée à Berlusconi ! ».
Cela
dit, à l’église il se comportait tout aussi naturellement comme le premier
venu. Pendant le culte, assis à peu près vers le milieu de l’assistance, il
prenait des notes pendant le sermon, attentif comme un catéchumène qui aurait
pris les choses au sérieux. Je ne sais pas ce qu’il en faisait plus tard, mais
j’imagine qu’il les relisait dans l’avion lors d’un de ses nombreux voyages
internationaux, c’était le genre.
Lors
des séances du conseil, il participait ni plus ni moins que les autres. Une
fois, pourtant, repris par ses habitudes professionnelles, il prit la parole en
dernier pour conclure et se montra surpris que je prenne la parole après lui
pour conclure. Il me fit alors un grand sourire d’excuse.
La
plupart des membres de l’assistance ignoraient qui était ce monsieur bien mis
que l’on voyait ainsi si recueilli. Seul, le trésorier l’avait repéré et
commençait à se réjouir par avance du résultat final de la quête…
Lors
des repas de paroisse, Dumas s’installait à table dans les derniers. C’est
ainsi qu’il se retrouva un jour seul à une table et qu’une famille africaine
intimidée arriva tard et ne put qu’entourer ce monsieur. Il s’agissait d’une
maman camerounaise du genre à OQTF et de ses deux filles, des petites toutes
jolies avec leur robe blanche, leurs socquettes et surtout, leurs petites
nattes qui tressautaient gaiment autour de leur tête. Vers la fin du repas,
cette table retentissait de rires, ce monsieur-là était vraiment
impayable !
Bien
plus tard, ayant gardé le contact avec ces filles devenues de charmantes
parisiennes, je demandai à l’une d’elle si elle se souvenait de ce repas et de
ce monsieur si drôle. Elle me répondit que non. Et il est vrai qu’après tout,
c’était juste un monsieur de la paroisse comme un autre.
–oOo–
Visite 3 – Chirac et les Polynésiens 1
En
95, Chirac est élu Président de la République. Le soir de ce vote qui fait de
lui, le gaulliste, le successeur du socialiste Mitterrand, il est à une fenêtre
de l’Hôtel de Ville et porté par son enthousiasme, il manque de tomber… Plus
tard, une myriade de journalistes à moto tentera de le prendre en photo
lorsqu’il rentre chez lui avec Madame dans les rues d’un Paris nocturne et cela
fera la Une des journaux télévisés.
Une
des premières décisions de Chirac, nouvellement élu, consiste à relancer les
essais nucléaires en Océanie. Cette initiative fâche évidemment l’Église
évangélique de Polynésie française, aujourd’hui L'Église protestante mā'ohi.
Elle
a toujours été vent debout contre ces essais, à la fois dangereux pour la santé
des humains et pour la fenua, un terme au sens complexe pour un Européen
mais qui désigne à la fois la terre, mer comprise, ou le territoire, l’île,
mais plutôt, plus profondément ancré dans l’âme polynésienne, le milieu vivant
dont vivent les humains. C’est un peu comparable au sens donné actuellement au
terme Gaïa par toute une école écologique.
La
dangerosité de ces essais n’était plus à démontrer, seules les autorités ou
institutions françaises, aumônerie militaire protestante comprise, la
contestaient encore. J’avais d’ailleurs eu l’occasion de consacrer un dossier à
ce sujet pour le mensuel Mission dont j’étais alors rédacteur-en-chef.
Le
synode polynésien vote alors un texte de protestation et demande qu’une
délégation soit reçue à l’Élysée, ce qui, à la surprise générale, est accordé.
Une délégation, composée des pasteurs Ihoraï et Teinaoré, respectivement président et secrétaire général de
leur Église, ainsi que Gilles Marsauche, leur attaché
de presse, se rend à Paris et loge au siège du Service protestant de Mission
(DÉFAP) chargé de la coopération entre les Églises protestantes françaises et
les Églises anciennement issues de la mission. J’en suis alors secrétaire
général, et le président de la Fédération protestante, le pasteur Jacques
Stewart, me demande d’accompagner la délégation jusqu’au palais de l’Élysée. Il
prépare de son côté une conférence de presse au siège de la Fédération, 47 rue
de Clichy.
En
fait, mon rôle consiste simplement à véhiculer mes collègues polynésiens
jusqu’au portail, sachant que le président Ihoraï n’a
encore jamais quitté la Polynésie et ne se sent pas tout à fait à l’aise à
l’idée de rencontrer Jacques Chirac. Je dois juste les attendre là pour les
emmener ensuite au siège de la Fédération protestante. J’arrête donc la voiture
devant l’entrée du palais présidentiel et un colonel de la Garde républicaine
en grand uniforme se penche à la portière pour me dire de ne pas rester là.
–
J’amène trois visiteurs pour le Président, lui dis-je.
–
Ah bon, répond-il, alors qu’ils viennent au poste de police aux fins de
vérification, et vous, entrez la voiture dans la cour, le parking des visiteurs
est au fond à gauche.
Il
me prend pour le chauffeur... que je suis effectivement. J’entre donc la
voiture, la gare au fond à gauche et reviens à pied dans l’intention de sortir
et d’aller boire une bière. Mais c’est là que mon rôle va changer sans que j’y
soie pour rien.
Je
croise en effet mes trois amis accompagnés d’un autre colonel (ou assimilé) qui
les mène au fameux perron.
–
Qui êtes-vous ? me demande-t-il.
–
C’est le pasteur Alexandre, lui dit Ihoraï.
–
Ah bon, alors venez avec nous !
Je
les suis jusqu’au perron de l’Élysée, que je gravis avec eux. Je m’attends à
rester dans le hall d’entrée avec ces huissiers à chaîne qui nous reçoivent
avec urbanité. L’un d’eux, lisant la fiche que lui tend le colonel et n’y
trouvant pas mon nom, me demande qui je suis.
–
C’est le pasteur Alexandre, lui dit aussitôt le digne militaire avant que j’aie
eu le temps de me présenter.
–
Ah bon, répond l’huissier qui se tourne vers moi : alors montez par-là
vous aussi. Et il nous montre, sur la gauche, un escalier qui nous mène au
premier étage.
Nous
montons et sommes reçus au premier par un jeune homme bien mis qui se présente
comme étant le secrétaire de Monsieur le Président de la République. Il nous
conduit jusqu’à un salon assez confortable et nous propose de nous asseoir et
d’accepter une tasse de café.
Il
nous précise alors que seul Monsieur le Président de l’Église Évangélique de
Polynésie Française sera autorisé à rencontrer Monsieur le Président de la
République.
Nous
attendons, soutenant le frère Ihoraï de notre prière,
il en a besoin car il a le trac.
Chirac
arrive en coup de vent, on lui présente Ihoraï, il
lui serre la main en vitesse et l’entraîne vers son bureau. Une minute après,
il revient et s’adresse à nous, qui attendons :
–
J’apprends que Monsieur le pasteur Ihoraï est
accompagné, je vous en prie, Messieurs, entrez le rejoindre !
Le
secrétaire introduit les autres dans le haut-lieu, et voyant que je ne bouge
pas, il revient et me fait signe d’accélérer.
Je
suis étonné, je lui demande s’il ne fait pas erreur, je ne suis pas membre de
la délégation, mais il me fait entrer avec nervosité, on dirait qu’il y joue sa
place, le pauvre garçon.
J’entre
donc d’abord dans une salle de travail puis dans le bureau présidentiel sans
l’avoir fait exprès, sans y avoir été autorisé, ayant passé comme une fleur
tous les contrôles sans même sortir ma carte d’identité. Coup de chance pour
Chirac, je ne suis pas un terroriste.
–oOo–
Visite 4 — Chirac et les Polynésiens 2
Jacques
Chirac est venu nous chercher dans la salle de réunion qui précède son bureau
et nous a fait entrer, il a rassemblé lui-même, très vivement, quelques légers
fauteuils cannés, les disposant en cercle et nous prie de nous y installer. Il
se meut comme un colonel de cavalerie qui viendrait de prendre le palais
d’assaut. Tout souriant, il attend maintenant que quelqu’un commence.
C’est
donc à Ihoraï, en tant que président du Conseil de
l’Église polynésienne, de parler et de délivrer le message dont le Synode l’a
chargé. Mais voilà, il est très tendu, c’est la voix coincée qu’il réussit à
murmurer : « Monsieur le Président, nous sommes venus vous dire de ne pas
procéder aux essais... » Chirac sursaute, et d’un petit saut sec, rapproche son
fauteuil du pasteur pour mieux entendre : ce type semble lui enjoindre de
changer de politique !
Enhardi,
Ihoraï répète, et se lance dans une longue et pieuse
exhortation pastorale, qu’il termine en expliquant que les essais vont souiller
une fois de plus la fenua, la Terre-mère des
Tahitiens.
Chirac
est stupéfait : « Moi, je suis catholique, dit-il (ce qui me fait sourire),
mais il me semble que cette théologie naturelle (et là il me bluffe) n’est pas
compatible avec la théologie protestante. »
Suit
alors un cours de théologie contextuelle donné en exclusivité au Président par
Ralph Teinaoré, le volumineux secrétaire général, un
théologien rompu aux débats œcuméniques et internationaux auxquels il a
participé. On sent que Chirac est réellement intéressé, il apprend des choses
inconnues de lui et qui ont manifestement du sens pour lui.
Il
écoute donc sans broncher, puis reprend la parole et donne, lui aussi, un
cours, cette fois de géopolitique, non sans avoir précisé à Marsauche,
le communicant, que ce qui va suivre sera Off. Il en ressort qu’il n’y aura pas
d’arrêt des essais avant la fin de la série en cours, la dernière. C’est que
les bombes, explique-t-il en substance, sont avant tout en URSS et menacent la
France et l’Occident. Il ne faut pas être naïf, dit-il, les Russes ne nous
veulent pas du bien et ils sont les compétiteurs d’un conflit larvé dont on ne
sait pas comment il se conclura. La France, comme le pensait le Général de
Gaulle, doit continuer à disposer de sa propre défense, sans quoi elle ne sera
jamais indépendante à l’égard des États-Unis, qui la mèneront à la baguette.
Pour éviter cela, il ne reste que ces derniers essais, qui permettront que cela
soit achevé. Ces essais auront lieu, donc, mais ce seront réellement les
derniers.
Bien
sûr, il ne peut savoir que l’URSS vit ses dernières années, et encore moins que
son point de vue retrouvera sa pertinence trente ans plus tard avec Poutine.
La
séance est maintenant sur le point d’être levée, Ihoraï
remercie le Président de son accueil. L’entrevue a duré trois quarts d’heure et
elle a été passionnante. Mais Chirac, tout comme moi, ne sait toujours pas ce
je que fais là, moi qui n’ai pas encore dit un mot. Il me lance des regards de
côté.
Or
il reste une chose à dire, essentielle pour les Tahitiens mais que leur
conception de la politesse leur interdit sans doute d’exprimer. Après avoir
précisé mon statut, je le fais à leur place : « Comment pouvez-vous agir ainsi
chez nous sans avoir d’abord demandé notre accord ! » (je dis cela de
façon plus diplomatique, évidemment), et le Président nous assure sans broncher
qu’il en tiendra compte à l’avenir… Une promesse qui n’engage à rien mais qui
fait bien dans le tableau.
Au
moment où nous sortons du bureau, Chirac serre la main à chacun et, arrivé à
moi, me dit : « Transmettez mes respects à Monsieur le Président de
la Fédération protestante… que vous représentez ! » En homme du bon
ordre républicain, il avait fini par me trouver un rôle officiel dans cette
histoire…
Nous
sortons donc, et sur le perron de l’Élysée, un petit groupe de journalistes
attend nos amis polynésiens. Je m’éloigne, ne tenant pas à me trouver pris une
fois de plus dans un rôle qui n’est pas le mien, et je me retrouve au milieu
d’un groupe de messieurs qui semblent inoccupés.
En
les entendant parler entre eux, je me rends compte qu’ils sont tous plutôt
costauds et discutent d’armement personnel. Des gardes du corps. Et ce qui me
ravit, c’est qu’ils semblent me considérer a priori comme l’un de leurs
collègues. Après tout, ces bronzés, là, qui ont parlé avec le Président, ils
ont bien un gars comme eux pour les accompagner !
–oOo–
Visite 5 — Robert et Lamoureux 1
Dans
les années Soixante-Dix, Robert Lamoureux reconnut un fils naturel né dans les
années Quarante. Ce dernier devint par là-même son fils aîné. J’ai eu envie de
revisiter cette histoire. Une histoire du Faubourg, au départ.
Il
y avait dans la rue d’Avron, Paris XXème, une jeune fille claquemurée par son
père, le vieux Thibaud, un veuf un peu bizarre. Elle s’appelait Marguerite.
Elle vivait avec son père dans leur petit deux-pièces et n’avait pas le droit
d’en sortir sans lui. Le dimanche, par beau temps, il l’emmenait promener au
Bois de Vincennes, c’était sa seule sortie.
Un
jour, pourtant, elle dut sans doute se sauver car elle se retrouva seule au
Bois, et là, un jeune homme très gentil l’aborda, elle était jolie, et, du
moins je le suppose, l’emmena gentiment dans un coin isolé. Il semble que cela
leur ait fait très plaisir.
Ce
jeune homme s’appelait Robert, il la raccompagna rue d’Avron et, quand il vit
et comprit où elle vivait et dans quelles conditions, il s’enfuit. Il la revit
quelques temps plus tard longeant le Bois et il lui sembla qu’elle poussait un
landau… Mais il venait de signer un contrat pour le Sahara.
Ce
jeune homme n’avait pas de père, il vivait non loin du Bois avec sa mère, une
Madame Lamoureux connue dans les environs pour être poinçonneuse à la station
de métro la plus proche et d’y déployer son mauvais caractère.
La
période était au chômage, et Robert avait répondu à une offre d’emploi dans les
pétroles près de Colomb Béchar, en Algérie. Il y partit. C’était un jeune homme
un peu paumé, à l’époque, sans repères, une fois livré à lui-même, sans but et
sans intérêt dans la vie, il ne mit pas longtemps à faire comme les autres et à
picoler…
De
son côté, Marguerite accoucha d’un garçon qu’elle appela Robert, évidemment. Le
père Thibaud accepta la chose, bien obligé, et prit l’enfant en plus de sa
fille. Quelque temps plus tard, il mourut.
Marguerite
se retrouva seule avec son petit. Elle ne savait rien faire, ne pensait à rien
faire, ne disposait d’ailleurs d’aucune instruction, d’aucune amitié, d’aucune
expérience. Au début, elle se débrouilla plus ou moins en allant faire la fin
des marchés, ce genre d’expédients, et les voisins l’aidèrent un peu, on était
dans un immeuble ouvrier.
Mais
sur les six ans du petit Robert, elle avait abandonné. Elle se laissait vivoter
seule dans un réduit isolé sans eau que le propriétaire avait mis gratuitement
à sa disposition après qu’elle ait été saisie par huissier. Elle n’avait plus
rien d’autre, en guise de mobilier, que des liasses de papier journal.
Lamoureux,
lui, au fond, avait du caractère, il se rendit compte un jour qu’il courait
vers une sorte d’avilissement et il décida d’un coup de fuir cette existence
privée de dignité. Il se savait mieux que ça. Il se retrouva donc seul, un
jour, sur le port de Marseille, n’ayant sur lui, dirait-il bien plus tard, que
sa chemise et son pantalon.
Il
monta à Paris, prit d’abord un boulot alimentaire et se lança dans l’art dont
il avait fait profiter ses copains là-bas, celui de conteur d’histoires
inventées par lui-même. Fantaisiste, comme on disait à l’époque. Pendant un bon
moment, il mangea de la vache enragée, à courir les cabarets de la rive Nord et
les caves du Quartier latin, mais devint célèbre assez vite dans ce registre où
il était inimitable, avec son reste de gouaille parisienne, sa fausse naïveté,
sa tendresse innée et son imagination baroque.
On
ne connaît plus aujourd’hui de Robert Lamoureux que les films de La
Troisième Compagnie, qui repassent régulièrement à la télé, mais il fut
d’abord un formidable raconteur, désopilant, doté d’un rythme et d’un débit
inimitables portés par un voix nasale reconnaissable entre toutes.
Avec
lui, « le canard était toujours vivant » et « Papa, Maman, la
bonne et moi » vivaient tranquillement leur bizarrerie tout
ordinaire. Assise près de sa radio, la France se marrait. Puis ce furent les
disques, puis le théâtre et enfin le cinéma.
Dans
les années Soixante-dix, vedette incontournable, il vivait en bordure du Bois
de Boulogne avec sa seconde épouse, authentique comtesse cévenole et
parpaillote, actrice connue sous le nom de Magali Vendeuil. Ils menaient là une
vie bien plus rangée que celle qu’on aurait pu imaginer. Sa famille et quelques
amis mis à part, la vie de Lamoureux n’était faite que de travail.
–oOo–
Visite 6 — Robert et Lamoureux 2
À
sept ans, le petit Robert vivait toujours avec sa mère et, Marguerite, la
pauvre, étant devenue ce qu’elle était, il s’occupait d’elle et subvenait à ses
besoins et aux siens dans la bienheureuse rue d’Avron, au Faubourg de Charonne,
entre les deux boulevards de Charonne et Davout.
Si
l’on se demandait à quoi ressemblait, à cette époque, un titi parisien, il
suffisait de considérer le petit Robert Thibaud. Il habitait sa rue et les
zones étrangères environnantes avec l’entregent et la débrouillardise quelque
peu insolente de cette race.
Il
est possible qu’il ait pu chaparder, cela se faisait, mais il vivait et faisait
vivre sa mère de son art du théâtre, un art inné. Tout blond, d’esprit vif et
de physique agréable, pas bien propre et habillé comme l’as de pique, il était
à la fois drôle et émouvant. C’était son arme, il savait faire rire et
attendrir.
Il
avait ses techniques et ses habitudes. Par exemple, planté devant la
boulangerie d’en face, le visage collé à la vitrine, il fixait la boulangère
d’un air contemplatif. Il ne demandait rien, mais il obtenait du pain, voire
quelque pâtisserie invendue. Comment résister ? On n’est pas des chiens,
et la clientèle n’apprécierait pas une insensibilité.
Autre
chose. Toujours affairé, il avait passé un contrat oral avec le contremaître de
la petite usine de biscuits de derrière la maison. Il avait droit à volonté aux
biscuits cassés, on lui en réservait la priorité.
Au
marché aux Puces, il trouvait sans peine et sans argent de menus objets
nécessaires, tels qu’un peigne ou une savonnette. On était juste après-guerre,
et à cette époque, il y avait encore à Paris des enfants qui venaient à l’école
pieds nus. Il y passait des infirmières dans les écoles, qui veillaient autant
que possible sur la santé des enfants, sans doute en profitait-il.
Car
si ces occupations avaient tout d’un vrai métier, il allait à l’école et s’en
tirait bien. Lecture, écriture, pas de problème. Les maîtresses le protégeaient
en lui fournissant les habits ou les chaussures devenus trop petits de leurs
enfants.
Toutefois,
personne n’était jamais venu se rendre compte des conditions dans lesquelles il
vivait avec sa mère. L’absence de meubles, les repas toujours froids, le lit de
papier journal, les affaires en tas par terre. Personne sauf, un jour, ma
grand’mère, qui habitait deux étages plus haut. Dans l’escalier, en passant,
elle avait bien vu de quoi il s’agissait mais elle ne savait pas quoi faire.
Elle
appela ma mère, qui vint, qui vit et appela l’assistante sociale. Celle-ci ne
trouva qu’une solution pour le môme, l’Assistance publique, et rien pour la
mère si ce n’est peut-être une petite aide. C’est beaucoup plus tard que
Marguerite dut être placée chez les aliénés et qu’elle y mourut.
Ma
mère en parla à mon père et ils proposèrent une solution d’attente, ils
prendraient l’enfant chez nous, à Bagnolet, et l’on verrait si une adoption
était possible. C’est que le petit Robert était pour nous, moi compris, un peu
de la famille, nous avions vécu comme lui dans cet immeuble ouvrier, et je me
souvenais fort bien de ce petit moutard, de son grand-père et de sa mère.
Ainsi
fut fait, et Robert devint pour moi comme un petit frère, moi qui n’en avais
pas. J’avais deux-trois ans de plus que lui, Il dormait dans ma chambre,
faisait ses devoirs avec moi, et je l’emmenais à l’école.
Il
était là comme un coq en pâte, le Robert, pensant devoir rester toujours avec
nous, ce qui était le vœu de mes parents. Il y avait pourtant un hic, la loi de
l’époque interdisait d’adopter un enfant quand on en avait déjà fait maison. Vu
d’ici, je pense qu’il s’agissait d’une loi vichyste encore valide.
Le
pasteur s’avisa de cette difficulté et conseilla à mes parents, pour le bien de
l’enfant, de le confier à un organisme protestant spécialisé dans l’adoption.
Il ne se sentirait jamais légitime, disait le saint homme, s’il restait avec
nous sans être légalement des nôtres. Même si cela les attristait fortement,
car nous aimions Robert et il répondait à cet amour, mes parents firent ainsi.
Pour son bien… Ce fut une erreur.
On
lui trouva des parents légitimes en Suisse, qui le prirent en charge mais ne
l’adoptèrent pas. Ils avaient peut-être un doute, car sa vivacité faubourienne,
due à son passé, choquèrent dès le premier jour leur sens de la bienséance. À
ses quinze ans, il se sauva et disparut. Il ne revint pas chez nous, pensant
que nous l’avions abandonné.
Il
ne réapparut qu’à la suite de son service militaire. Ma mère, qui le
recherchait, avait pensé que l’armée pourrait lui donner son adresse. Il vivait
à Paris, maigre comme un clou, amer et sarcastique, et renoua avec nous.
–oOo–
Visite 7 — Robert et Lamoureux 3
Le
grand-père fou de Robert Thibaud était mort dans le Vingtième arrondissement de
Paris. À la mairie, on pouvait donc apprendre où il était né. Robert s’en
enquiert et apprend qu’il s’agit d’un village du Médoc. Il y va, se disant qu’à
défaut de père il trouvera là sans doute de la famille. C’est le cas. Ses
cousins, en le voyant paraître, commencent à craindre qu’il leur réclame sa
part d’héritage mais il les rassure, il n’a jamais pensé à cela, il ne se voit
pas dans la peau d’un propriétaire de vignes, lui qui est pourtant fauché comme
un régiment sacrifié.
En
revanche, une cousine de l’âge de sa mère lui fait quelques révélations.
Marguerite était venue en vacances une fois dans le village et elles étaient
devenues amies, d’où des confidences. En riant, elle lui apprend que sa mère
avait un amoureux qui s’appelait justement… Lamoureux !
Tilt !
Robert revient dare-dare à Paris. Il sait tout, enfin ! Son père
s’appelait Lamoureux, ce ne peut être une coïncidence. À peine sorti du train
il se précipite chez moi : « Allez, Jean, tu peux faire ça,
appelle-le ! Moi, il ne me prendra même pas au téléphone, et même !
je pourrais pas, tu comprends, tu me vois appeler Lamoureux et lui dire ‘Je
suis votre fils’ ? Toi, t’es pasteur… Tiens : note son numéro.
»
Et
voilà. Robert était un peu mon frère, je ne croyais pas trop à cette histoire
mais un jour, en fin de journée, j’ai appelé Lamoureux. Il n’était pas là, je
tombe sur sa femme qui, apprenant que c’est un pasteur qui l’appelle, pense
qu’il s’agit du catéchisme de sa fille. Embarrassé, je lui dis que non, que
c’est à son mari que je désire parler au sujet d’une affaire très personnelle…
D’un ton un peu frais, elle me dit de l’appeler le lendemain à la même heure.
J’appelle
le lendemain et Lamoureux me répond. Sa femme a pris l’écouteur d’appoint, ce
que j’ignore. Je suis au pied du mur. Je me présente et ajoute :
« Voilà, j’ai une question à vous poser au sujet d’une histoire qui se
passe rue d’Avron, dans le Vingtième et qui date de quarante ans. » Et il
me répond du tac au tac : « Comment va Marguerite ? » J’en
reste abasourdi. Puis je lui dis qu’elle est morte.
Il
ajoute : « Il y avait un enfant. » C’est sur un ton qui hésite
entre l’affirmation et la question. « Oui, un garçon, Robert, c’est à son
sujet que je vous appelle. » Et là, on reconnaît l’homme de spectacle
habitué aux coups de théâtre, car sur le même ton incertain, il me
demande : « C’est vous. » Imaginez l’histoire : le grand
artiste, encore inconnu, abandonne son enfant à la naissance et ce dernier
réapparaît en pasteur quarante ans plus tard ! Voilà qui ferait le texte
d’une belle goualante.
Mais
je le détrompe, je lui apprends que Robert est pour moi un ami très proche.
Alors il m’invite à venir le voir pour que je lui raconte toute l’histoire et
lui parle de ce garçon dont il ignore tout.
Tâche
ardue, car on ne peut pas dire que Robert, à cette époque, soit le gars
blanc-bleu… Il vit souvent d’expédients, marié à une chanteuse lyrique sans
emploi et un peu hystérique, et père d’une petite fille apeurée. Comment faire
passer ça sans que Lamoureux ne se détourne ?
Me
voici donc chez Lamoureux, nous sommes seuls lui et moi dans son bureau, et
c’est une conversation à cœur ouvert. Très vite il va m’appeler Jean. Il me
presse de questions et ce qu’il lui semble, c’est en tout cas que j’aime ce
garçon, ce Robert, son fils, et cela lui suffit. Nous restons longtemps ainsi
cloitrés, lui aussi va me faire des confidences, il va me raconter toute
l’histoire de son point de vue mais il me parle aussi de lui, de son travail,
de sa façon de vivre. Il faut imaginer tout cela dans la voix et le style de
Robert Lamoureux, c’est tellement lui au naturel. Puis il m’entraîne voir son
épouse à qui il me présente, et il lui raconte tout. Elle reçoit cela très
paisiblement, c’est une grande dame, vraiment.
Voilà.
Ils vont se rencontrer un soir tard, le père et le fils, à la sortie d’une cave
proche de Saint-Sulpice, dans la voiture du père. L’état de tension et
d’émotion de mon Robert n’est pas imaginable, il pleure en me le racontant.
Plus
tard, Lamoureux l’invitera chez lui et là, ça ne se passera pas très bien. Il
faut voir comment les amies de sa femme, ignorante du contexte, parleront de ce
type aux cheveux dans le cou, au blouson râpé et à l’accent faubourien… Après
le départ de Robert, l’une d’elle dira de lui : « On n’aimerait pas
le rencontrer un soir au coin d’un bois ! »
Au
bout de quelques semaines, Robert Lamoureux m’appelle. Il m’explique que ce
fils-là est impossible, qu’ils se brouillent une fois sur deux parce qu’il
magnifie, par exemple, la rue d’Avron et son enfance, dont lui pense qu’elle
est très bien, cette rue, à condition d’en partir ! Bref, ça ne va pas et
ils ne se voient plus. Il me raconte tout cela à sa manière, et à cause de sa
façon de l’exprimer, qui est celle de l’auteur du fameux canard toujours
vivant, il fait se plier de rire Hélène, ma femme, qui écoute et n’aurait
jamais raté un tel sketch…
Il
faudra de longues années pour que le père et le fils se rapprochent. Il aura
fallu pour cela que le fils soit devenu un auteur renommé dans le domaine des
écrits ésotériques, qui le fascinent, ce qui impressionnera son père, et qu’il
se soit remarié avec une femme adorable… et soigneuse.
Finalement,
Lamoureux reconnaîtra Robert comme son fils légitime et avec lui une
petite-fille qu’il gâtera. Ce fut heureusement peu de temps avant la mort de
Robert, à soixante ans. Ce jour-là, Lamoureux m’appela. Il pleurait.
–oOo–
Visite 8 — Roland Barthes et le pasteur 1
Peu
avant la mort de Roland Barthes, je ne m’étais pas décidé à faire le voyage
pour lui rendre une dernière visite. Je m’en veux pour cela. J’étais peut-être
l’un des seuls pasteurs avec lesquels il avait aimé s’entretenir, avant que je
ne quitte Paris pour m’installer près de Nîmes.
Apprenant
sa mort le 26 mars 1980, j’avais envoyé ce texte à l’hebdomadaire Réforme, qui
l’avait publié. Je reste aujourd’hui en plein accord avec lui :
Roland
Barthes, un protestant sans frères
D'autres
ont dit ou diront qui il fut pour eux, et ce qu'on lui doit.
Je
ne veux y ajouter ici qu'un regret, dont l'objet paraîtra mince à beaucoup.
Barthes
était de cette nombreuse sorte de protestants qui se sont éloignés de leur
confession, et pourtant, il était protestant plus que bien des pasteurs.
Qu'on
se rassure, aucune institution confessionnelle ne cherche ici à le récupérer.
Plutôt,
ce que je viens d'écrire en scandalisera quelques-uns parmi les pieux.
La
recherche de Barthes était protestante : quête fragmentée, paradoxale, sans loi
autre qu'interne, d'une langue qui échappe à la raison du plus fort, du plus
"bête", de l'épais.
Le
jeu de l'être Barthes était protestant : sujet lui aussi fragmenté, sans
unité externe, sans règle externe, sans pape dans sa tête ni son cœur, ni ses
reins.
Et
cet accord du dire et du faire, enfin, était protestant, cette voie entre
souffrance et plaisir qui est en perspective la carrière du juste.
Protestant,
et plus purement et simplement que nos prédicants, vraiment.
Eux
qui remplacent un pape par mille ; un pape, par le désir inassouvi d'un
pape.
Qui
ne savent trouver entre eux la paix, sans pape.
Mais
protestant, au sens où je l'entends ici, bien sûr, cela n'existe pas.
C'est
un chemin ; et parfois quelqu'un s'y trouve.
C'est,
au beau sens, une tradition, et quelqu'un à l'occasion s'y rencontre.
Le
regret, c'est que Roland Barthes n'ait pas trouvé de frère parmi ceux de sa
tradition.
Comme
à Gide, comme à quelques autres, quelque idole en forme du Dieu biblique lui
aura barré ce plaisir.
Ma
rencontre avec Roland Barthes avait commencé dans les années Soixante. Nous
étions quatre jeunes pasteurs qui nous trouvions engagés dans une expérience
paroissiale plus qu’originale, disons extrême, voire extrémiste. Cela
s’appelait l’Expérience de Corbeil et a duré de 1964 à 1968. Entre autres
sujets, nous nous étions attaqués à une remise en question de l’usage ecclésial
de la Bible.
C’est
à ce sujet qu’il nous apparut utile de nous adresser au très célèbre Roland
Barthes, sémiologue réputé, auteur de Le Degré zéro de l'écriture
et de Mythologies, à l’époque l’un des grands maîtres d’une lecture dite
poststructuraliste des faits sociaux. C’était une spécificité de nos travaux de
se reporter plus aux grands maîtres de l’époque, comme Deleuze ou Foucault,
qu’à nos théologiens réputés d’alors, comme Barth ou Bultmann.
Il
a accepté de nous recevoir et nous a invités à le rejoindre à son domicile, rue
Servandoni, dans le Quartier latin. Je crois qu’il était un peu interloqué en
nous découvrant, nous et notre entreprise. Malgré tout, il était sans doute
trop parpaillot tradi, quoique dans le style dit
libéral, pour apprécier entièrement les perspectives ouvertes par cette
dernière. Néanmoins, il s’est montré tout à fait ouvert à nos questions.
D’emblée,
il nous a déclaré qu’il n’abordait pas facilement la Bible, « trop
phallique » pour lui. Sans y penser, il accompagnait ce mot d’un geste
exprimant le poids sexuel de cette mise à distance. Il n’avait pas encore pensé
la Bible comme somme de fragments ainsi qu’il aurait pu le faire bien plus
tard.
Nous
n’avons pas appris grand-chose ce jour-là quant à nos préoccupations initiales,
plutôt sur lui, lorsque sa mère, qui habitait quatre étages plus haut dans la
même immeuble, l’appela. La tendresse qu’il lui témoignait m’avait
impressionné.
De
même, il n’avait pas manqué de nous faire connaître les trois grands H dont il
était marqué : l’héroïne, l’homosexualité et, comme protestant, l’hérésie.
Lorsqu’il publia, plus tard, à ce sujet, il omit le troisième H.
Telle
fut notre première rencontre.
–oOo–
Visite 9 — Roland Barthes et le pasteur 2
J’ai
revu Roland Barthes en 1971, cette fois à propos d’une question personnelle.
Cela se passait à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales où il
enseignait.
Ce
qui s’était passé, c’est que Claude Lévi-Strauss, grand savant spécialiste de
la culture des sociétés archaïques, m’avait étrillé, d’une façon qui m’a parue
exagérément dogmatique.
À
l’École Pratique des Hautes Études, il était membre du jury de mon travail sur
l’histoire biblique du Jardin d’Éden, lequel comprenait de nombreuses
références à son œuvre, ce qu’il n’a pas apprécié : petit-fils de rabbin,
il ne supportait pas qu’on applique ses méthodes à la Bible… Mais surtout,
j’étais sorti de la méthode qu’il avait instaurée dans le cadre de ces études.
Questions :
est-ce que je me trompe, dois-je continuer à travailler dans le même
sens ?
J’étais
comme une truie qui doute, comme dit le proverbe occitan. J’ai voulu en avoir
le cœur net, je suis allé demander ce qu’il en pensait à Roland Barthes, à
l’époque grand manitou des études littéraires. Car finalement, me disais-je,
mon travail était plus une étude littéraire qu’ethnologique.
Barthes
me reçoit très facilement, dans son bureau de la rue de Tournon. Il s’intéresse
assez peu à mon histoire, et me dit de Lévi-Strauss ce que je sais déjà.
Mais
le fait qu’un pasteur aborde l’étude de la Bible d’un point de vue culturel le
surprend, cela ne correspond pas à l’image qu’il a gardé des pasteurs de son
enfance huguenote. La question l’intéresse assez pour qu’il m’invite à le
retrouver quelques jours plus tard dans un bistrot du Quartier latin.
C’est
un entretien très ouvert, il se montre intéressé par mon parcours, qui va
bizarrement de Barth (Karl), à cette époque le théologien suisse omniprésent en
France dans les études de théologie, à Barthes (Roland), le sémiologue lu et
relu comme une autorisation à rouvrir la question des rapports entre l’écriture
et la parole, et pour moi, l’Écriture et la Parole.
Il
apprend alors qu’à cette époque, j’anime, à deux pas de chez lui, rue de
Vaugirard, un séminaire mensuel de formation permanente dans le domaine
biblique, destiné aux pasteurs de la région. Nous nous revoyons ensuite dans le
cadre de ce séminaire et cela l’intéresse assez pour qu’il y participe
régulièrement.
Les
participants ne réalisent pas tout de suite que le monsieur grisonnant qui se
tient là sans rien dire ou presque est le célèbre Roland Barthes –
peut-être le prennent-ils pour un pasteur d’une autre Église ?
Lorsqu’ils
l’identifient, mon public passe de quatre à trente collègues en moyenne, et
Barthes est obligé d’intervenir et de réagir à mes propos.
Cela
nous amène, lui et moi, à aborder ensemble un texte biblique, avec le récit du
combat nocturne de Jacob au gué du Yabbok. Il en
tirera un texte qui paraîtra entre autres dans Analyse structurale et
exégèse biblique. Il m’y fait l’honneur de me citer comme son conseiller en
la matière.
Je
garde une très grande admiration, voire une affection certaine, pour Roland
Barthes, mais la vérité m’oblige à dire qu’il était parfois un peu paresseux –
pour ses amis ce n’était d’ailleurs pas un secret.
C’est
pourquoi il me propose un jour de venir faire le topo à son séminaire à lui,
toujours sur le combat de Jacob.
Et
là, c’est la grand’messe : des centaines de gens sont massés dans une
salle qui s’avère trop petite, dont la double porte du fond est ouverte si bien
qu’on se presse dans le couloir, qu’on se hausse sur les pointes de pied pour,
en pure perte, entendre et voir.
On
me dévisage : quel est ce jeune inconnu qui parle en lieu et place du
maître, de quoi traite-t-il, et de quel intérêt subit faut-il se prendre
désormais, en bon thuriféraire* du maître, pour la Bible ?
À
ces questions ne répondront que les deux minutes finales pendant lesquelles le
grand mage inscrira négligemment au tableau noir un croquis, pour moi
indéchiffrable.
Quant
à moi, je termine en gloire, entouré par ceux des disciples qui ont une idée
sur le sujet.
Et
c’est après cela que je quitte Paris pour le Languedoc, me trouvant alors trop
loin du maître pour le visiter lors de son accident.
*
Thuriféraire :
clerc chargé de l'encensoir, porteur d'encensoir. Sens figuré et littéraire :
encenseur, flatteur, laudateur. On peut ainsi qualifier les partisans acharnés,
les flagorneurs de tous poils, les lèche-cul zélés...
–oOo–
Visite 10 — Patrice de la Tour du Pin et
le débutant
Dans
les années Soixante, je fus bombardé hébraïsant. Les spécialistes semblaient y
croire ou faisaient comme si. En réalité, ils cherchaient un dernier protestant
capable de traduire les Psaumes et ils m’avaient trouvé. J’étais loin du
compte, mais ce n’était pas très grave, car ils ne manquaient pas de
traducteurs émérites.
Il
fallait seulement que le groupe qui s’attaquait à cette montagne soit composé à
parité entre catholiques et protestants car il s’agissait de la Traduction
œcuménique de la Bible. Bref, j’ai remplacé le spécialiste protestant manquant.
Le
groupe que je rejoignis se composait de gens comme le professeur de littérature
hébraïque au Collège de France, le spécialiste de la culture biblique à l’École
pratique des Sciences religieuses de la Sorbonne, ou le doyen de la Faculté de
Théologie catholique de Strasbourg, etc…
On
voit que j’y étais posé sur un strapontin ! Mais pendant les sept ans de
ce travail, j’ai tout appris aux côtés de ces grands savants, dont André
Caquot, qui devint mon maître en science hébraïque.
Il
y avait un autre groupe, né d’ailleurs un peu auparavant, auquel on m’avait
aussi intégré et qui était chargé de traduire les mêmes Psaumes, mais pour la
liturgie, c’est-à-dire en un texte lu à voix haute devant une assemblée. Il
était composé de musiciens et de poètes accompagnés de deux hébraïsants, un
jeune professeur d’hébreu à la Catho et moi.
Ce
groupe n’était pas destiné à paraître dans la TOB, mais devait bien plus tard
figurer dans la Bible catholique officielle. Il était sous la gouvernance du
Père Joseph Gelineau sj, l’un des rénovateurs du
chant sacré catholique apparu après le Concile du Vatican. Et parmi les poètes,
on trouvait le Père Didier Rimaud sj
ou Patrice de la Tour du Pin. Ce dernier fut mon maître en poésie, tellement
indulgent quant à mes propres poèmes.
Si
mon origine sociale et ma formation m’avaient préparé à quelque chose, ce n’est
sûrement pas à passer sept ans en compagnie d’un des plus grands poètes
français du XXe siècle. Comte descendant de croisés qui plus est, et catho
jusqu’à l’os.
Dans
son château croulant, la comtesse et lui nous recevaient à la fortune du pot.
La cuisinière polonaise nous préparait néanmoins du sanglier aux myrtilles, un
grand souvenir. Monsieur le Comte était chasseur. On nous régalait d’histoires
de revenants, le soir à la veillée.
Révérence
parler ça foutait les chocottes, et je dois reconnaître que, me couchant dans
une chambre décrépie un tantinet moyenâgeuse, tout en haut d’un escalier
destiné aux gens d’arme d’autrefois, j’ai regardé sous mon lit, après avoir
entendu le récit des éclats de mauvaise humeur d’un grand-oncle de Patrice, un
vieux qui ne voulait pas rester mort tout le temps. Pas besoin d’aller en
Écosse, comme on voit.
Nous
travaillions tout le jour, à huit ou dix, des dix heures d’affilée, à traduire
les Psaumes. Parfois aussi ça se passait dans un couvent breton, ou dans les
poussiéreux locaux d’un village huguenot du Vivarais, ou encore... On se
découvrait amis, voire frères, catholiques et protestants
Patrice
ne savait pas l’hébreu, il fallait lui expliquer toutes les nuances
qu’impliquait la forme particulière d’un mot, la tournure bizarre d’une
phrase... C’était un boulot passionnant.
On
ne trouvait pas le français de ce mot ou de cette phrase, c’était la panne.
Patrice se levait, il allait à la fenêtre, il tournait à mi-voix des syllabes
dans sa bouche. On lui lançait quelque proposition, il revenait, il disait
pourquoi elle n’était ni juste ni belle. Pour lui c’était la même chose.
Puis
on apprenait d’un coup la vérité d’une situation, à la fois très pratique,
hautement concrète, et spirituellement profonde. Et terriblement féconde.
Parler n’était plus parler, mais sourire en ami sans lâcher le fil d’une
respiration du monde. C’est pourquoi je l’aimais, tout hérétique et anar que
j’étais.
Lorsqu’on
me pria de faire en sorte qu’il vienne parler de sa poésie à une classe de
terminale du lycée public de ma commune, il accepta tout simplement et,
apparemment semblable au premier pékin venu, il charma les jeunes, séduits par
sa simplicité et de sa justesse extrêmes :
Mais
si je fus un riche d'esprit couché sur un trésor,
jamais je ne l'ai vraiment tenu pour le mien.
Puis
un jour, assassiné par une douloureuse maladie cardiaque, il est mort dans de
grandes souffrances et on l’a oublié. Mais pas moi.
–oOo–
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