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poèmes brefs
À
mon petit-fils Benjamin
Quatre-vingt-six ans,
quatre-vingt-six gouttes de poésie.
Certaines datent d’hier,
d’autres de bien cinquante ans.
Les unes ont été
publiées, les autres sont inédites.
Alignées par ordre
alphabétique, les voici rassemblées en une unique ondée.
D.R.
.
On peut aussi retrouver
une page pleine de poèmes
souvent parus sur cette page au long des semaines
en allant sur la page poésie.
1
À bord diras-tu
hissons les voiles ?
la mésange dit moi je reste
il n’y a pas d’ailleurs
2
À demain, quel
demain ?
s’il en est un qui
nous vient, à venir
nous pourrions nous
aimer
j’aime ta joue
j’y poserais la
mienne
à ton oreille je
dirais
encore un jour
3
À fleurir sans
soleil nul n’est tenu
dit le lilas de
Perse
sans eau sortir de
terre et comment donc ?
a dit le haricot
ils te font la
leçon
tu n’avais plus
d’amour
4
Ailleurs est en moi et qui tient de la
place
caravansérail en grand désordre, populace
surtout la nuit mais dedans
bulles d’air à danser, danser
qui remuent et parfois l’une s’échappe
ainsi le rêve
5
À l’aube pure
en une lumière de
fin du monde heureuse
les cerisiers
glorifient le jour qui naît
et l’impalpable de
leur fleur offre à ce jour
une gloire
immatérielle et le goût d’une éternité
ainsi le pardon
6
Amour
l’enfant qui sait
enfant perdu qui
fêles les horloges
un sourire étranger
7
As-tu fini
oubli
et t'en vas-tu
fétu,
reviendras pas
de là
à pas de loup
du tout ?
8
Au centre de chacun
tout un nœud de possibles
que sur cet avenir
ouvert un jour se penchent
les fées les
mélusines les merlins
quelques-uns des
amants de la vie pleine
alors d’un bout de
chair va naître humain
un être de lumière
ou le malheur de vivre
9
Au plus haut serait
la vague
en elle déjà
se joue son avenir
grêlons d’écume
10
Bouche bouche !
quel est ton dégoût
et gorge gorge !
ta répulsion ?
poitrine !
quelle est ta nausée ?
qu'on sache, enfin !
comment te nourrir.
11
Ce moi que j'ignore
un peu plus chaque
jour
car moi est un
arbre
un bois
un silence habité
un torrent qui
s'apaise
un grand refus
tout plein
d'acquiescements
12
Ce n’est pas
l’oiseau que je vise
c’est son vol
a dit l’archer
ni la colombe, où
va ma flèche
mais l’esprit
le vent le mène et
c’est le souffle
il m’emplit
aussi me porte ce
temps lourd
lui qui me lie
13
Ce sont choses
à haïr sans retour
qui vont du haut
qui étreignent qui noient
14
C’est pas tous les soirs
qu’on
peut
ouvrir la fenêtre
pour entendre les
arbres remuer
et dormir
comme un chat qui
entrouvre un œil
15
C’est que juste au
moment
où la flèche
est au plus haut
elle retombe
même douce
sa courbe mène à
toi
où tu danses
16
C’était l’homme aux oiseaux
et les oiseaux l’aimaient
cet amour entre toutes
est la chose la plus simple
qui tenait
en un geste
connu des seuls oiseaux
17
Cette grâce un
instant
ton regard
puis un signe léger
dans le mouvement
de ta destination
18
Dans le cercle
intérieur où règne la colère
recouverte de neige
la graine qui attend
amasse des fureurs
à peine écloses
et tu naîtras
pourtant, malgré le gel
la haine ne tient
pas
19
D’arbre en arbre en arbre
va qu’elle est folle
et survenant toujours
l’aurore qui naît
20
Dis-lui que la vie
pique les yeux
comme l’oignon
et mets-la dans les
rires
et mets-toi dans
les pleurs
rire et pleurer
même cœur
21
Elle parlait de
chanter
femme triste au
chant perdu
l’entourent les
traces menues
d’un moineau petit
être affamé
qui a faim connaît
le monde
en son dedans et
chemine le vent
dans le silence
j’ai froid
et les moineaux
pépient
22
Et chaque nuit, sur moi
la femelle du moustique
vient prélever la goutte de sang
celle qui fait vivre ses petits
l’amour est sanguinaire
qui nous vient de si loin
23
Et puis le souvenir
évanescent de femmes, au village, qui pilaient le mil
leurs enfants sur
le dos, ensemble, dans la cadence, dans l'effort partagé
les hommes, assis devant
la case, les yeux errants et protecteurs
ici et là femmes
pourvoyeuses, éternelles servantes, et d'où leur vient
femmes fatiguées et
chargées, parfois cet éclatant sourire
24
Et que savons-nous
que l’on aime
si ne sont signes
savoirs si
celés ?
sachant ne sachant
ces dits ciselés
entre les lignes
des poèmes
vont devant vous
25
Et sans savoir si la terre est ronde
ni comment elle se meut
où seriez-vous
un oiseau vous annoncera l’aube
lui le premier
tout autour de la terre
l’aimerez-vous ?
26
Fleurs de ciel
sur le papier de
l’aquarelle
ciel fragile
27
Il a fait frais ce
matin
la pluie fine a
dansé
elle ment
mon jour est un
secret
il pense à son
retour
veillant sur ses
amours
28
Il a pris un caillou
c’est tout ce qu’il avait
il a
ramassé une branche
par terre et
un objet dans chaque main
avec
il a sauté au ciel
29
Il a vu ce qu’il
était
il a vu que le
monde est en lui, lui dans le monde
il a vu que le
monde n’est pas fini
et que lui, il l’a
vu, n’est pas fini
en devenir
devenir, le plus
beau des verbes de la terre
et du ciel
30
Il fait frais ce
matin
j'étends la main
sur l'ombre
je coule vers le
haut
je nage sur le dos
je passe
et sur les nerfs du
monde
le soleil
est un voile de
silence
31
Il pleurait en dormant
pour se nettoyer l’œil
et voyant
il voulait en parler
ses mots étaient salés.
32
Il pleuvait sur les
foules de la ville
dans la ville
veillaient sur les files
le reflet de
chacun, l’effigie de chacune
aux vitres nues des
rues
aux vitrines des
rues
dansant, se
répétant, changeant
l’une ou l’autre,
nulle importune
importante ou
nulle, aucune
33
Ils étaient beaux
étaient charmants marqués marqués de rose
et fut un temps où
les petits enfants marqués de jaune
étoilés de haine et
tachés de sang marqués marqués de rouge
poursuivis et
repris dans les champs marqués de fer
s’en allèrent
mourir aux camps marqués de nuit marqués de noir
marqués de nuit
souvenez-vous de ces petits enfants
34
Il y avait ce lointain jour
un peu de brume entre mes pieds
de la douleur éparse autour
à se renier
tu m’avais dit chasse l’amour
c’est toi que j’avais éloignée
il reste pourtant ce vol sourd
d’ailes saignées
35
Indigo
fils de la mer
as-tu toujours
voulu
partir en or
J’ai dit que jamais
le vol d’un
cormoran
ne dira les amers
où lire d’avenir
mon vol
36
J’ai
appris que le cher Unamuno
la
perle de Castille
avait
parlé de la vie avec ses faibles mots
dans
le fracas des Stuka et des Savoïa
et
que la mort avait eu le dernier mot
31
J’ai déjà vu un ovni, si si
et rencontré un ange aussi
faits réels à ne pas dire
choses qui font sourire
car l’inconnu dans la maison
fait plic ploc sur la raison
38
J’ai fini d’écrire
et le geste pourtant
demeure
et s’en ira
rejoindre d’autres gestes
évanouis
milliers de desseins
disparus
ainsi nos baisers
39
J’ai jeté ce cri
ardeur de fleur
tournée vers le
haut
pour un aujourd’hui
c’est encore trop
tôt
pour te dire un
champ d’étoiles
40
J’attends toujours ici
j’attends encore, avec curiosité
à chaque instant
cette trouée de lumière annoncée
le ciel serait-il déjà bleu
– d’anciennes sagas ont parlé de cela
ce jour où demain frappe à la porte
41
Je fus en la
montagne
en la montagne
veiller
les alouettes y
chantaient
cent cris d’azur à
la mêlée
dix bruits de
source qui tintaient
souffle du ciel
désamarré
pleurant comme font
les damnés
et le monde le
monde s’ouvrait
42
Je ne vais pas leur
jeter la pierre
vu que je n'ai pas
de pierre
sous la main
mais seulement une
grosse
sur la tête
43
Je suis assis sur des millions de poèmes
c’est mon trésor, sur lui je veille
ainsi je trône
on n’est jamais assez prudent, je veille
ils sont à moi…
mais je tremble et je m’éveille
il en manque un !
44
L’abîme a basculé
apprenez à marcher
au mur
l’instant épingle
avant que l’abîme
retombe
– l’éclair a deux
sens –
dans le sens
courant
45
La nuit, lampe
allumée
une parabole se
dessine sur le mur
là où l’ombre
finit, s’achève aussi la lumière
ligne incertaine,
inexistante
lieu de silence
entre ce qui fut et sera
ainsi tes jours
46
L'aube trop jeune, l'aube s'éteint
vient le soir
trop court fut le jour
j'ai parlé et j'ai ri
ce fut mon insolence
mon jour, mon cher secret...
47
Le chant du soir
s’en va, souffle léger au-dessus de nos toits
dans le fouillis de
l’érable les cancans des mésanges s’apaisent
tête repliée,
calotte bleue penchée, elles cherchent le sommeil
l’air s’est fait
translucide, reste, vers l’océan, ce halo qui s’étire
quelqu’un chantonne
sur la terrasse, je crois bien que c’est moi
48
Le monde il est
plus
que les on-dit
et même
plus que dire
et faut laisser
flotter les guides
peut-être
qu'une parole va
viendre
49
Le peuple qui danse
n’a pas oublié sa danse
ses longues filles prunes
font les boucles de nard
et ses garçons divans
les rythmes de
casse-noix
50
Le rescapé des
grandes faillites
s'en va se promener
la tête pleine
d'histoires
qui mourront avec
lui
les pieds dans des
sabots
de vent
51
Les anges
quand ils parlaient
même en français
c’était d’ailleurs
pas une langue mais
un jeu
d’ivoire
52
Le songe parfois
dévoilant l’avenir
naît du rêve
en ton sommeil
et dormant
tu t’arrangeais la vie
mais un dieu
t’adresse la parole
53
Liberté mon amour
exilé
liberté mon enfance
rasée
liberté mon village
laisse-moi deviner
où
tu reviendras
pour de nouvelles
aventures
54
L’idéal
ce serait d’être un
arbre
fruitier de
préférence
il est bon de
donner
55
Moi m'en fous
sais pas le japonais
alors français moyen
mais sans chapeau
56
Parler
avancer
se détruire
et se recomposer
balladin de corde
dansant sur trois
torons
faits de fibres
défaites
et assemblées
57
Par
les cheveux je vais
enraciné
dans le ciel
bref
séjour et la terre m’attend
ricanant
par avance
de
ses mille et une dents de bois
58
Passent les oies dans l’indigo
un survol
semaison et sol rouge
59
Pensez à la nature
quoi
quoi
tous les jours à
cinq heures
sortez marquise
jusque vers sept
heures
avant le pernod
60
Plaisir
un coup le jour
est de rire
sur soi –
sursaut de soi
61
Poème, en ajoutant
sur l’absence
sur la neige et la
nuit un pas de danse
contre le noir un
rire, ou sur le blanc
le visage léger
d’un faux semblant
un amour de papier,
un rythme pur
tu ne tues pas la
mort, ni son murmure
tu fais entendre un
peu de son silence
es-tu léger, ce
n’est qu’une apparence
62
Pour le passeur
la passe existera
pour le patient
le passé passera
63
Quand solidaires
deux mâchoires s’opposent
utopie et désespoir
et qu’elles mâchent
la vie
pointe la langue
charnue de l’éphémère
et
son goût de fraises du jour
64
Qu’elle naisse aujourd’hui
cette étoile
et s’en aille hors le vent
au loin l’esprit
il faut bien que rire
ainsi se passe
65
Qui a parlé en ce
petit matin
au-delà des lilas
entre fleur et
soleil ?
Et quelle odeur a
remonté cette vapeur
humide et nue
pour se polliniser
femme odorante
enjambant les tout premiers rayons ?
Ô monde vibrant de
cent mille façons !
66
Qui n’a jamais
pêché
dans les yeux d’une
femme
le pardon d’être si
peu
jette la première
pierre
la première poignée
de terre
sur ma tombe
c’est bien lui
le messager de la
mort
67
Qui peut parler
en sorte qu’on l’entende
à qui a l’oreille
et le souffle régulier
peut parler et dire
qui a le cœur brisé
et le cœur est un son
renfermé
68
Soupçonne
pendant ta sieste
le soleil
et ces arbres
dits mélèzes
d’en vouloir à vos
prés
qu’ils les changent
ainsi
en infinis hamacs
de litières qu’ils
étaient
et fourrage à venir
69
Si les saints
n’étaient pas des statues
ils s’envoleraient
mais ils sont en
pierre
ou en bois
il arrive pourtant
que par méfiance
on les mette en
cage
en plus
70
Soleil
j’ai mes nuits
j’ai
mes ténèbres
voir
je
ne peux
entrailles
cercueils
par
la fissure
vient
le voleur
femme
qui désarme
au
seuil
71
Terminés les
combats
vient régner le
silence
et dans l’obscurité
par delà cette
brume
de rocher en rocher
même de loin les
veilleurs
de l’un à l’autre
se crient
qu’il vienne le
soleil
enfin que l’on se
voie
lavés à sa lumière
72
Toujours j’aurai
posé les armes
toujours je serai
près des larmes
et la joie d’un
enfant
la voix des
vieilles gens
joueront d’un
souvenir
mouilleront
l’avenir
toujours
73
Tous
regardaient
ils
admiraient la splendeur
la
grandeur
pour
la journée du patrimoine
à
côté du monument
historique
il
y avait seul un enfant
anémique
et
beau
74
Toute la gloire est
du matin
et c’est le soir
pensée
tu fais même un
bonheur
du plus haut point
d’angoisse
je dis pensée et
c’est retraite
et tu fais de ce
soir
un feu
75
Tant pis la pluie
au moins la brume
s’éclaircit
je t’ai vue nue
comme tu danses
sous le ciel noir
et ta peau
qui luit
je la touche
et l’amour est
vapeur et frissons
76
Tout
n’est pas dans le riche et l’apprêt
ce
qui est beau ici c’est le vent et la pluie
le
froid, l’eau fraîche, encore le vent d’ailleurs
ce
qui vient et fait voir, deviner devant vous
dans
un frisson, qui sait, l’attente d’un amour
une
œuvre, une vie vraie, la vie que l’on rêvait
77
Tu as bougé
les murs sont tout
à coup de chair
toute passion mise
à part
78
Tu marches dans la
ville
les pavés se
consument
en un clair
dénuement
tu viens vers toi
du bout du monde
79
Tu
penses
à
la course des mondes
et
à l'immensité du temps et de l'espace
tu
imagines leur fin
et
frémissant
pris
de vertige
tu
te retiens à cette table
80
Un temps vient
loin de nous
un rosier que je
vois
même avant le temps
des feuilles
81
Un vivant se pare
de quoi
se vêt aujourd’hui
le temps
et fou oui
rira
qui cache bien en
arborant
ce vert buisson,
lui
tout en brûlant
82
visage
rond
qui
n’est que rond
visage
long
qui
n’est que long
83
Vol d’hirondelle
vie torrentielle
sans parapluie
un seul oiseau
vie à tire-d’aile
dessous la pluie
un seul moineau
vie vermicelle
et vie en pluie
84
Voyez que sous mon
crâne
quelque désordre
gît
tristesse poitrine
tapie
remontée vers
là-haut
tristesse
un mot bien beau
venu des pieds
venu des pieds
85
Y
avait-il un mort ce jour-là, jour de combat,
disloqué
sur le tas de charbon, dans la cave ?
En
chemise blanche ? Mon esprit en débat.
L’ai-je
tué ? Rêvé ? J’étais un enfant grave…
Je
n’ai pas vu de sang.
Plus une
je suis un sac de
pleurs
au milieu
règne la joie