Poèmes de Jean Alexandre

 

 

 

 

 

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Tant pis la pluie

 poèmes brefs

                                                                          À mon petit-fils Benjamin

 

Quatre-vingt-six ans, quatre-vingt-six gouttes de poésie.

Certaines datent d’hier, d’autres de bien cinquante ans.

Les unes ont été publiées, les autres sont inédites.

Alignées par ordre alphabétique, les voici rassemblées en une unique ondée.

 

D.R.

 .

 

On peut aussi retrouver une page pleine de poèmes

souvent parus sur cette page au long des semaines

en allant sur la page poésie.

 

 

 

1

À bord diras-tu

hissons les voiles ?

 

la mésange dit moi je reste 

il n’y a pas d’ailleurs

 

 

 

2

À demain, quel demain ?

s’il en est un qui nous vient, à venir

nous pourrions nous aimer

j’aime ta joue

j’y poserais la mienne

à ton oreille je dirais

encore un jour

 

 

 

3

À fleurir sans soleil nul n’est tenu

dit le lilas de Perse

sans eau sortir de terre et comment donc ?

a dit le haricot

ils te font la leçon

tu n’avais plus d’amour

 

 

 

4

Ailleurs est en moi et qui tient de la place

caravansérail en grand désordre, populace

surtout la nuit mais dedans

bulles d’air à danser, danser

qui remuent et parfois l’une s’échappe

ainsi le rêve

 

 

 

5

À l’aube pure

en une lumière de fin du monde heureuse

les cerisiers glorifient le jour qui naît

et l’impalpable de leur fleur offre à ce jour

une gloire immatérielle et le goût d’une éternité

ainsi le pardon

 

 

 

6

Amour

l’enfant qui sait

 

enfant perdu qui fêles les horloges

un sourire étranger

 

 

 

7

As-tu fini

oubli

et t'en vas-tu

fétu,

reviendras pas

de là

à pas de loup

du tout ?

 

 

 

8

Au centre de chacun tout un nœud de possibles

que sur cet avenir ouvert un jour se penchent

les fées les mélusines les merlins

quelques-uns des amants de la vie pleine

alors d’un bout de chair va naître humain

un être de lumière ou le malheur de vivre

 

 

 

9

Au plus haut serait la vague

en elle déjà

se joue son avenir

grêlons d’écume

 

 

 

10

Bouche bouche !

quel est ton dégoût

et gorge gorge !

ta répulsion ?

 

poitrine !

quelle est ta nausée ?

qu'on sache, enfin !

comment te nourrir.

 

 

 

11

Ce moi que j'ignore

un peu plus chaque jour

car moi est un arbre

un bois

un silence habité

un torrent qui s'apaise

un grand refus

tout plein d'acquiescements

 

 

 

12

Ce n’est pas l’oiseau que je vise

c’est son vol

a dit l’archer

ni la colombe, où va ma flèche

mais l’esprit

le vent le mène et c’est le souffle

il m’emplit

aussi me porte ce temps lourd 

lui qui me lie 

 

 

 

13

Ce sont choses

à haïr sans retour

qui vont du haut

qui étreignent qui noient

 

 

 

14

C’est pas tous les soirs

qu’on peut

ouvrir la fenêtre

pour entendre les arbres remuer

et dormir

comme un chat qui entrouvre un œil

 

 

 

15

C’est que juste au moment

où la flèche

est au plus haut

elle retombe

 

même douce

sa courbe mène à toi

où tu danses

 

 

 

16

C’était l’homme aux oiseaux

et les oiseaux l’aimaient

cet amour entre toutes

est la chose la plus simple

qui tenait

en un geste

connu des seuls oiseaux

 

 

 

17

Cette grâce un instant

ton regard

 

puis un signe léger

dans le mouvement de ta destination

 

 

 

18

Dans le cercle intérieur où règne la colère

recouverte de neige la graine qui attend

amasse des fureurs à peine écloses

et tu naîtras pourtant, malgré le gel

la haine ne tient pas

 

 

 

19

D’arbre en arbre en arbre

va qu’elle est folle

et survenant toujours

l’aurore qui naît

 

 

 

20

Dis-lui que la vie

pique les yeux comme l’oignon

et mets-la dans les rires

et mets-toi dans les pleurs

rire et pleurer

même cœur

 

 

 

21

Elle parlait de chanter 

femme triste au chant perdu

 

l’entourent les traces menues

d’un moineau petit être affamé

 

qui a faim connaît le monde

en son dedans et chemine le vent

 

dans le silence j’ai froid

et les moineaux pépient

 

 

 

22

Et chaque nuit, sur moi

la femelle du moustique

vient prélever la goutte de sang

celle qui fait vivre ses petits

 

l’amour est sanguinaire

qui nous vient de si loin

 

 

 

23

Et puis le souvenir évanescent de femmes, au village, qui pilaient le mil

leurs enfants sur le dos, ensemble, dans la cadence, dans l'effort partagé

les hommes, assis devant la case, les yeux errants et protecteurs

ici et là femmes pourvoyeuses, éternelles servantes, et d'où leur vient

femmes fatiguées et chargées, parfois cet éclatant sourire

 

 

 

24

Et que savons-nous

que l’on aime

si ne sont signes

savoirs si celés ?

sachant ne sachant

ces dits ciselés

entre les lignes

des poèmes

vont devant vous

 

 

 

25

Et sans savoir si la terre est ronde

ni comment elle se meut

où seriez-vous

un oiseau vous annoncera l’aube

lui le premier

tout autour de la terre

l’aimerez-vous ?

 

 

 

26

Fleurs de ciel

sur le papier de l’aquarelle

 

ciel fragile

 

 

 

27

Il a fait frais ce matin

la pluie fine a dansé

elle ment

 

mon jour est un secret

il pense à son retour

veillant sur ses amours

 

 

 

28

Il a pris un caillou

c’est tout ce qu’il avait

il a

ramassé une branche

par terre et

un objet dans chaque main

avec

il a sauté au ciel

 

 

 

29

Il a vu ce qu’il était

il a vu que le monde est en lui, lui dans le monde

il a vu que le monde n’est pas fini

et que lui, il l’a vu, n’est pas fini

en devenir

devenir, le plus beau des verbes de la terre

et du ciel

 

 

 

30

Il fait frais ce matin

j'étends la main sur l'ombre

je coule vers le haut

je nage sur le dos

je passe

et sur les nerfs du monde

le soleil

est un voile de silence

 

 

 

31

Il pleurait en dormant

pour se nettoyer l’œil

 

et voyant

il voulait en parler

 

ses mots étaient salés.

 

 

 

32

Il pleuvait sur les foules de la ville

dans la ville veillaient sur les files

le reflet de chacun, l’effigie de chacune

aux vitres nues des rues

aux vitrines des rues

dansant, se répétant, changeant

l’une ou l’autre, nulle importune

importante ou nulle, aucune

 

 

 

33

Ils étaient beaux étaient charmants marqués marqués de rose

et fut un temps où les petits enfants marqués de jaune

étoilés de haine et tachés de sang marqués marqués de rouge

poursuivis et repris dans les champs marqués de fer

s’en allèrent mourir aux camps marqués de nuit marqués de noir

marqués de nuit souvenez-vous de ces petits enfants  

 

 

 

34

Il y avait ce lointain jour

un peu de brume entre mes pieds

de la douleur éparse autour

à se renier

 

tu m’avais dit chasse l’amour

c’est toi que j’avais éloignée

il reste pourtant ce vol sourd

d’ailes saignées

 

 

 

35

Indigo

fils de la mer

as-tu toujours voulu

partir en or

 

J’ai dit que jamais

le vol d’un cormoran

ne dira les amers

où lire d’avenir mon vol

 

 

 

36

J’ai appris que le cher Unamuno

la perle de Castille

avait parlé de la vie avec ses faibles mots

dans le fracas des Stuka et des Savoïa

et que la mort avait eu le dernier mot

 

 

 

31

J’ai déjà vu un ovni, si si

et rencontré un ange aussi

 

faits réels à ne pas dire

choses qui font sourire

 

car l’inconnu dans la maison

fait plic ploc sur la raison

 

 

 

38

J’ai fini d’écrire et le geste pourtant

demeure

et s’en ira rejoindre d’autres gestes

évanouis

milliers de desseins disparus

ainsi nos baisers

 

 

 

39

J’ai jeté ce cri

ardeur de fleur

tournée vers le haut

pour un aujourd’hui

 

c’est encore trop tôt

pour te dire un champ d’étoiles

 

 

 

40

J’attends toujours ici

j’attends encore, avec curiosité

à chaque instant

cette trouée de lumière annoncée

le ciel serait-il déjà bleu

– d’anciennes sagas ont parlé de cela

ce jour où demain frappe à la porte 

 

 

 

41

Je fus en la montagne

en la montagne veiller

les alouettes y chantaient

cent cris d’azur à la mêlée

dix bruits de source qui tintaient

souffle du ciel désamarré

pleurant comme font les damnés

et le monde le monde s’ouvrait

 

 

 

42

Je ne vais pas leur jeter la pierre

vu que je n'ai pas de pierre

sous la main

 

mais seulement une grosse

sur la tête

 

 

 

43

Je suis assis sur des millions de poèmes

c’est mon trésor, sur lui je veille

ainsi je trône

on n’est jamais assez prudent, je veille

ils sont à moi…

mais je tremble et je m’éveille

il en manque un !

 

 

 

44

L’abîme a basculé

apprenez à marcher au mur

l’instant épingle

avant que l’abîme retombe

– l’éclair a deux sens –

dans le sens courant

 

 

 

45

La nuit, lampe allumée

une parabole se dessine sur le mur

là où l’ombre finit, s’achève aussi la lumière

ligne incertaine, inexistante

lieu de silence entre ce qui fut et sera

ainsi tes jours

 

 

 

46

L'aube trop jeune, l'aube s'éteint

vient le soir

trop court fut le jour

 

j'ai parlé et j'ai ri

ce fut mon insolence

 

mon jour, mon cher secret...

 

 

 

47

Le chant du soir s’en va, souffle léger au-dessus de nos toits

dans le fouillis de l’érable les cancans des mésanges s’apaisent

tête repliée, calotte bleue penchée, elles cherchent le sommeil

l’air s’est fait translucide, reste, vers l’océan, ce halo qui s’étire

quelqu’un chantonne sur la terrasse, je crois bien que c’est moi

 

 

 

48

Le monde il est plus

que les on-dit

et même

plus que dire

et faut laisser flotter les guides

peut-être

qu'une parole va viendre

 

 

 

49

Le peuple qui danse

n’a pas oublié sa danse

 

ses longues filles prunes

font les boucles de nard

 

et ses garçons divans

les rythmes de casse-noix

 

 

 

50

Le rescapé des grandes faillites

s'en va se promener

la tête pleine d'histoires

qui mourront avec lui

les pieds dans des sabots

de vent

 

 

 

51

Les anges

quand ils parlaient

même en français

c’était d’ailleurs

pas une langue mais

un jeu d’ivoire 

 

 

 

52

Le songe parfois

dévoilant l’avenir

naît du rêve

en ton sommeil

 

et dormant

tu t’arrangeais la vie

mais un dieu

t’adresse la parole

 

 

 

53

Liberté mon amour exilé

liberté mon enfance rasée

liberté mon village

 

laisse-moi deviner où

tu reviendras

pour de nouvelles aventures

 

 

 

54

L’idéal

ce serait d’être un arbre

fruitier de préférence

il est bon de donner

 

 

 

55

Moi m'en fous

sais pas le japonais

alors français moyen

mais sans chapeau

 

 

 

56

Parler

avancer

 

se détruire

et se recomposer

 

balladin de corde

dansant sur trois torons

 

faits de fibres défaites

et assemblées

 

 

 

57

Par les cheveux je vais

enraciné dans le ciel

bref séjour et la terre m’attend

ricanant par avance

de ses mille et une dents de bois

 

 

 

58

Passent les oies dans l’indigo

un survol 

 

semaison et sol rouge

 

 

 

59

Pensez à la nature quoi

quoi

tous les jours à cinq heures

sortez marquise

jusque vers sept heures

avant le pernod

 

 

 

60

Plaisir

un coup le jour

est de rire

sur soi –

sursaut de soi

 

 

 

61

Poème, en ajoutant sur l’absence

sur la neige et la nuit un pas de danse

contre le noir un rire, ou sur le blanc

le visage léger d’un faux semblant

un amour de papier, un rythme pur

tu ne tues pas la mort, ni son murmure

tu fais entendre un peu de son silence

es-tu léger, ce n’est qu’une apparence                                    

 

 

 

62

Pour le passeur

la passe existera

 

pour le patient

le passé passera

 

 

 

63

Quand solidaires deux mâchoires s’opposent

utopie et désespoir

et qu’elles mâchent la vie

pointe la langue charnue de l’éphémère

et son goût de fraises du jour

 

 

 

64

Qu’elle naisse aujourd’hui

cette étoile

et s’en aille hors le vent

au loin l’esprit

il faut bien que rire

ainsi se passe

 

 

 

65

Qui a parlé en ce petit matin

au-delà des lilas

entre fleur et soleil ?

Et quelle odeur a remonté cette vapeur

humide et nue

pour se polliniser

femme odorante enjambant les tout premiers rayons ?

Ô monde vibrant de cent mille façons !

 

 

 

66

Qui n’a jamais pêché

dans les yeux d’une femme

le pardon d’être si peu

jette la première pierre

la première poignée de terre

sur ma tombe

c’est bien lui

le messager de la mort

 

 

 

67

Qui peut parler

en sorte qu’on l’entende

 

à qui a l’oreille

et le souffle régulier

peut parler et dire

qui a le cœur brisé

 

et le cœur est un son

renfermé

 

 

 

68

Soupçonne

pendant ta sieste

le soleil

et ces arbres

dits mélèzes

d’en vouloir à vos prés

qu’ils les changent ainsi

en infinis hamacs

de litières qu’ils étaient

et fourrage à venir

 

 

 

69

Si les saints

n’étaient pas des statues

ils s’envoleraient

mais ils sont en pierre

ou en bois

il arrive pourtant que par méfiance

on les mette en cage

en plus

 

 

 

70

Soleil j’ai mes nuits

j’ai mes ténèbres

 

voir

je ne peux

 

entrailles

cercueils

 

par la fissure

vient le voleur

 

femme qui désarme

au seuil

 

 

 

71

Terminés les combats

vient régner le silence

et dans l’obscurité

par delà cette brume

de rocher en rocher

même de loin les veilleurs

de l’un à l’autre se crient

qu’il vienne le soleil

enfin que l’on se voie

lavés à sa lumière

 

 

 

72

Toujours j’aurai posé les armes

toujours je serai près des larmes

et la joie d’un enfant

la voix des vieilles gens

joueront d’un souvenir

mouilleront l’avenir

toujours

 

 

 

73

Tous regardaient

ils admiraient la splendeur

la grandeur

pour la journée du patrimoine

 

à côté du monument

historique

il y avait seul un enfant

anémique

 

et beau

 

 

 

74

Toute la gloire est du matin

et c’est le soir

 

pensée

tu fais même un bonheur

du plus haut point d’angoisse

 

je dis pensée et c’est retraite

et tu fais de ce soir

un feu

 

 

 

75

Tant pis la pluie

au moins la brume s’éclaircit

je t’ai vue nue comme tu danses

sous le ciel noir et ta peau

qui luit 

je la touche

et l’amour est vapeur et frissons 

 

 

 

76

Tout n’est pas dans le riche et l’apprêt

ce qui est beau ici c’est le vent et la pluie

le froid, l’eau fraîche, encore le vent d’ailleurs

ce qui vient et fait voir, deviner devant vous

dans un frisson, qui sait, l’attente d’un amour

une œuvre, une vie vraie, la vie que l’on rêvait

 

 

 

77

Tu as bougé

les murs sont tout à coup de chair

toute passion mise à part

 

 

 

78

Tu marches dans la ville

les pavés se consument

en un clair dénuement

tu viens vers toi

du bout du monde

 

 

 

79

Tu penses

à la course des mondes

et à l'immensité du temps et de l'espace

 

tu imagines leur fin

et frémissant

pris de vertige

 

tu te retiens à cette table

 

 

 

80

Un temps vient

loin de nous

 

un rosier que je vois

même avant le temps des feuilles

 

 

 

81

Un vivant se pare de quoi

se vêt aujourd’hui le temps

et fou oui

rira

qui cache bien en arborant

ce vert buisson, lui

tout en brûlant

 

 

 

82

visage rond

qui n’est que rond

visage long

qui n’est que long

 

 

 

83

Vol d’hirondelle

vie torrentielle

sans parapluie

 

un seul oiseau

vie à tire-d’aile

dessous la pluie

 

un seul moineau

vie vermicelle

et vie en pluie

 

 

 

84

Voyez que sous mon crâne

quelque désordre gît

 

tristesse poitrine tapie

remontée vers là-haut

 

tristesse

un mot bien beau

 

venu des pieds

venu des pieds

 

 

 

85

Y avait-il un mort ce jour-là, jour de combat,

disloqué sur le tas de charbon, dans la cave ?

En chemise blanche ? Mon esprit en débat.

L’ai-je tué ? Rêvé ? J’étais un enfant grave…

Je n’ai pas vu de sang.

 

 

 

Plus une

je suis un sac de pleurs

au milieu

règne la joie

 

 

 

 

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