Poèmes de Jean Alexandre

 

 

 

 

 

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Sur le souffle de…

 

 

Sur le souffle de poètes qui m’ont un jour émerveillé,

fort divers assurément, afin de ne pas me ressasser les vers,

j’ai aimé en écrire de nouveaux, bons ou mauvais,

le sais-je ? D’ailleurs ils sont évolutifs…

 

On peut aussi retrouver une page pleine de poèmes

souvent parus sur cette page au long des semaines

en allant sur la page poésie.

 

 

 

… Jean-Paul de Dadelsen

 

 

Enfants heureux

 

 

Près du hameau les enfants courent, sous la chaleur du soir, sous l’odeur des tilleuls, criant

malgré les ombres qui s’allongent aux murs, ils se poursuivent, fuyant le lit, des enfants

pâles des villes, et que la paix soit avec eux !

Derniers jours de l’été, fin août a confié à la nuit qui vient ses parfums et ses rires.

À peine le matin viendront des jamais plus, au temps où les beaux jours s’achèvent,

l’automne et l’oubli pour refrain.

 

Au loin les soldats ont peiné sous le casque, leur pas lent fait rouler la longue mémoire

de ces pierres insoumises, pour toujours fichées là en rebelles ; la foi des pauvres avec elles

éveille à nouveau, pour longtemps, sa rancœur.

Revient l’inévitable, au retour du malheur, lorsque l’encre des messieurs, et leur verbe,

redéfait une longue épissure de travaux et de jeux, et d’alliances, et de danses,

ainsi revient la guerre aux hommes.

 

La jeune femme, à ses anciens voisins l’a dit, redit, d’autres temps viendront où pourtant

il sera temps de refaire une histoire, de rassembler les brins, de trouver un village

de tendresse tressé, au cœur las de haine.

Qui le croira, qui va le croire, et les soldats ont ri, pourtant vêtus de peur, d’habits

de sang versé ou de tortures, à la terre ira leur rire comme un chien a hurlé

à mort, il n’est pas de pardon.

 

Où s’en vont les anges quand il pleut, leurs ailes salies par la haine, je ne sais ce qu’ils

veulent, ont-ils aperçu, honteux, ces liens d’amours cachées dessous, je ne sais pas ce qu’ils

disent, privés de sang rouge, aux pures élytres.

S’en vont-ils pleurant, riant de nous autres humains, sommés de rapporter à leur maître

leurs proies, les ailes ensoleillées, irisées de tant d’éclairs et de combats, de peines,

chaînes trop lourdes à porter ?

 

Or paisibles sont les villages, ignorant ce qui vient, les ciels de bromure et de plomb

sous les orages, ainsi vont les gens que nous sommes, incertains et confiants, tous incrédules,

enfants de vide mémoire du mauvais.

Seul un sage a semé les graines du futur, ne sachant, ne voulant, visité seul

par les esprits errants revenus vifs de très anciennes guerres, gitans de sa mémoire

voyageant sur ses folles routes.

 

Un vieil homme est passé ce soir, mille nouvelles dans la tête, et des chansons

à faire entendre, admirer, dispersant à l’envi les brins de son tabac, mi-rieur,

mi-sinistre, rageur, la langue embarrassée,

ancien enfant justement, vif encore et déconcertant, l’œil allumé par des joies

anciennes et des bonheurs datés, par des soucis dont il n’a plus que faire, les soupesant.

Aux vieux que devient l’avenir ?

 

En attendant la mort il est si doux de rire, amis rions, attablons-nous ensemble

avant d’être cueillis pour une autre aventure, saisis de peur, habités de désir.

Ne sommes-nous pas de ces curieux amants,

aimant la guerre et la fuyant, aimant la vie et la foulant, aimant si fort, enfants

voués à vivre aimés et menacés de haine, envoûtés, encroûtés, fort amusés

aussi, qu’on n’en peut plus de rire.

 

Et les filles chantonnent, se tenant par la main, oublieuses dans leurs tabliers de ferme

de ce qu’il faut de crainte pure ou de fière malice, pour sauver son estime aux jours

où pleuvent les cris de vengeance et les pleurs.

Je sais ce que je dis, j’ai souvenir du temps maudit des reîtres vert-de-gris, barbares

civilisés, faut-il le dire, tout affolés de leur orgueil, de leur blessure d’être,

âmes retournées à jamais.

 

Les gens d’ici en ont le souvenir, on en trouve les traces, on se demande encore

en quel dessein les enfants à l’étoile avaient à se cacher, lapereaux apeurés,

sans leurs poupées ni leurs peluches aimées,

enfants tués, et le faut-il, que dans la vie des hommes, les ogres soient autorisés ?

Oh comme on s’en souvient ! Et le ciel, en vérité, peut tomber, la lune en sang rougir,

mon Dieu, tu as de ces idées…

 

Et peuple qui n’a su, venu le froid des morts, que la nuée soulevée par les chars

t’apprendrait à courir, te souviens-tu, ces jours où tu fuyais auront sauvé pour toi

tes cartons à chapeau, tes robes à fleur.

Je dis ce qui était, je ne mens pas, mais pourtant on chantait, et la plus belle histoire,

peut-être, est celle où l’on verra le peuple menacé, tout comme ces enfants qui jouent,

chanter avant la mort qui vient.

 

Car les enfants, en tous les temps, près du hameau de leur naissance, aimeront à courir

à l’ombre des tilleuls, sans souci, ignorant le zonzon de ces milliers d’abeilles

attachées à leur labeur, comme un tueur.

Qu’ils s’amusent au soir, que les rayons du soleil de la guerre ne les traquent, ainsi

que fait la flak, elle qui a piégé l’avion, cloué au faisceau blanc d’un projecteur,

et qu’ils ne meurent, non, qu’ils ne meurent.

 

Insensibles à nous et poursuivant leur quête, têtues, les fleurs, les plantes et les bêtes

continueront, obtus, sans nous, quand nous fuirons notre festin, notre destin lassé,

et qu’il est doux de dire à cet avenir

que des enfants un jour auront joué, crié, soûlés de rires, ou de pleurs sans objet,

avancés dans le soir, que l’appel de finir et venir se coucher était leur seule crainte,

enfants heureux sous les étoiles.

 

 

(sur le souffle de Bach en Automne,

in Jonas – Jean-Paul de Dadelsen – Gallimard – 1962)

 

 

 

 

… Xie Tiao

 

 

Il a fait mauvais

 

 

Il a fait mauvais cet hiver, les mésanges ont disparu,

nichent-elles plus au sud ? 

Leur chant ne viendra pas tantôt ; c’est le printemps,

elles sont allées trop loin.

La chanson, faut-il que tu la demandes ? Et l’envol,

l’été l’attend, déploie tes ailes.

Resterons-nous sans légende pour longtemps, semblables

aux peuples qui ont froid ?

 

 

 

Moineaux

 

 

elle parlait de chanter 

femme triste au chant perdu

 

l’entourent les traces menues

d’un moineau petit être affamé

 

qui a faim connaît le monde

en son dedans et chemine le vent

 

dans le silence j’ai froid

et les moineaux pépient

 

 

 

(sur le souffle de Celui auquel je pense, de Xe Tiao (464-499),

in Sagesse et Poésie chinoises – éd. Pierre Seghers – Robert Laffont – 1986)

 

 

 

 

… Blaise Cendrars

 

 

Les Pâques à Charonne

 

 

Seigneur, Seigneur c’est moi, moi tout seul qui te parle.

Pour ta Pâque aujourd’hui je ne fais plus le marle.

 

Il y a des jours, Seigneur, où le monde s’écroule.

À chaque rue sont des rois qui ont perdu la boule.

 

En te suivant j’ai vu toutes ces choses atroces.

Ce matin dans la rue j’ai vu mendier des gosses.

 

Ceux-là auront du pain, ils auront de la chance,

Dans leur camp de la faim beaucoup d’autres dansent.

 

La ville est sale, Seigneur, pour ceux qui vivent à l’Est.

Tous les soleils du jour sont en allés vers l’Ouest.

 

En ce matin tu te relèves et il fait sombre !

Tu gardes ton soleil pour un tout petit nombre

 

Et l’on entend chanter tes amis épanouis.

Merci pour ce sourire au milieux de la nuit :

 

Je sais que même les loubards ou les concierges

Éclairent un peu du monde en allumant un cierge ;

 

Des larmes de tendresse viennent aux yeux des dealers…

Mais dès ce soir ils vont descendre un des leurs.

 

Sur ta croix tes deux bras sont pourtant étendus

Pour que tous les crevards viennent à ton cœur perdu.

 

Parmi eux sont des gus qui n’iront pas si loin.

Ils s’échappent, Seigneur, pour se rouler un joint.

 

Les filles ont de ces yeux qui tentent les pépères

Leurs seins sont dangereux, fleuris comme un parterre.

 

Leurs jambes s’écartèlent au moment où tu meurs,

Quand elles oublient leur mère et ta mère et leur peur.

 

Quand elles pleurent, le ciel ne chante plus ta gloire.

On marche sur des corps dans l’ombre noire du soir.

 

En passant je sentais la pisse et la merde des chiens

Et j’ai pourtant souri à l’un de mes voisins :

 

Un grand rire entre pauvres résonne en cette impasse.

Les femmes noires allaitent leurs petits d’un lait de grâce.

 

La nuit vient, et leurs dents brillent, et tu es heureux,

Et c’est le monde entier que célèbrent leurs yeux,

 

Tu le sais bien, Seigneur, tout s’en va vers la mort ;

En ce jour mourant toi-même tu meurs encore.

 

Sur le sol du bistrot je dessine dans la sciure,

Comme tu fis un jour, de pauvres aventures.

 

Là-haut dans ton ciel noir les étoiles scintillent.

Au-dessus de nous, ici qui règnent, sont des grilles :

 

Un cimetière où sont les noms des révoltés.

La rue le sait, leur sang lui sert de sainteté.

 

Mémoire des gamines et des petits roublards

Accrochée à leurs soirs et leurs nuits de brouillard.

 

On attend la lumière et c’est ton deuil qui vient.

C’est comme un mendiant de la rue qu’on entretient.  

 

C’est l’heure où je ne te parle plus, que dirais-je ?

On t’a mêlé à tant d’heures blanches comme neige.

 

Riches heures de tant de riches et tous leurs Te Deum.

Tu n’es pas dans les bars à femmes abruties de rhum.

 

C’est ta nuit, ton matin vient mais c’est la nuit noire

Encore et que croire, sans repos, à quelle eau boire ?

 

Là tes anges ont passé sous leur lumière bleue,

Les vitrines voyaient loin leurs gros yeux globuleux.

 

Mon ombre avance dans la rue plaquée aux murs.

Un réverbère me suit, arbre de nuit sans ramure.

 

Les Juifs ont souvent de ces sages et l’un des leurs

A parlé d’un cri qui ne sort pas, d’une clameur.

 

Quand le cri s’est tu, disait-il, alors on crie.

C’est alors que l’on crie quand plus un mot ne prie.

 

Ton silence, ô Seigneur, est de nuit dans la ville,

Quand grognent des poivrots trébuchant sur leur bile.

 

Sous les arbres du square on voit des enfants bruns

Essayer de dormir en des duvets d’emprunt.

 

Toi le fils des humains sortis nus de la boue,

De quels rires ou quels pleurs les sans-papiers te louent ?

 

Mais dans le frais d’avril piquant de ce matin,

Dansant presque, une fille a souri au clandestin.

 

Les platanes ont verdi eux aussi près du square :

Faudra-t-il que cette fille elle-même perde espoir ?

 

Ta patience fait peur, ta patience fait peur, ô Seigneur,

Et tous ceux-là seront-ils accueillis en tes demeures ?

 

 

 

(sur le souffle de Les Pâques à New-York,

in Du monde entier – Blaise Cendrars – Gallimard – 1947)

 

 

 

 

 

… Claude Roy

 

 

Limerick à la grenouille

 

 

Avec une grenouille qui a sauté de strophe en strophe

 

 

Le limerick à la Grenouille

A fait l’effet d’une chatouille

À deux enfants confits

À coup sûr déconfits :

Mais c’est que la grenouille, ça mouille.

 

Elle a pour toujours pris la fuite,

La Grenouille, et loin des trois huit,

Elle a fait l’imbécile :

C’est beaucoup plus facile.

Ah hou ! la mauvaise conduite !

 

Elle a enlevé son polo.

Ne louchez pas sur ses lolos :

La Grenouille a des puces

Et un pou qui la suce.

Il la veut, c’est son gigolo.

 

Deux enfants qui vont au marché

D’un coup s’arrêtent de marcher.

Ils l’ont vu en chemin :

La Grenouille a des mains !

Ils ont trop peur d’être touchés.

 

La Puce a mis son beau chapeau

Pour saluer Monsieur Crapaud.

Mais il lui fait du gringue,

Et elle, à tout berzingue,

Rejoint la Grenouille au tripot.

 

 

(sur le souffle de Limerick des gens excessivement polis,

in Enfantasques – Claude Roy – Gallimard – 1974)

 

Dessin : Fotolia_40626763_XS

 

 

 

 

Jacques Prévert

 

 

Salut soleil !

 

 

Ce sont les bas-quartiers

c’est dans la ville haute

et le soleil est là avec sa grande gueule rouge

le soleil-clochard

avec sa barbe rousse

et ses poux de lumière qui sautent sur les toits sans pluie

sur les toitures en zinc

de l’une à l’autre

et l’un d’eux saute sur le trottoir

dans l’eau du balayeur sénégalais

dans l’œil du chien de la rue

dans le lait du crémier qui aime sa crémière

alors elle décroise les bras

et elle prend plein ses dents de sourire solaire

jusqu’au bout de sa langue rose

mais le soleil n’insiste pas – il s’en va

l’amour ça ne l’intéresse pas

il préfère les toits métalliques

où la lune ne l’attend pas

où il n’y a pas un chat

c’est plus calme là-haut qu’en bas

et il déambule sur les fils électriques

d’ici qu’il se casse la pipe avisez les journaux

le soleil s’est écrasé dans la rue Haxo

à l’endroit précis où un horloger nommé Varlin

a été tué autrefois

jadis

antan

Pas de ça se dit le soleil

en éclatant le drapeau rouge de sa hure vermeille

et il saute agilement

prestement énormément

savamment

la savate en avant

d’un fil de l’EDF à un des PTT

tous les gens qui téléphonent dans le quartier

ont leur rayon de soleil pour la journée

irradiée

il s’en passe des choses sur les hauteurs de Télégraphe

marmonnent les jeunes-cadres dans leur duplex

dans la rue de Belleville

et le soleil les entend et il marche pesamment

exagérément lourdement

d’une tour à l’autre expressément

un pas un autre et en avant

les tours les tours s’écrasent lentement

se fissurant

et les jeunes-cadres s’envolent

vole leur cœur vole au vent

un envol plein de chefs d’escadrilles

un envol lourd de corps

beaux sur nos plaines et sur nos champs

exagérément

loin dans l’infini le croissant noir du vol rouge

se met au vert

pendant que les tours des hauts-de-paris finissent de s’écrouler gentiment

et que le soleil s’en va vers le soir

vers la mer

survolant à toute vitesse les beaux-quartiers d’où on le surveille

et toutes les flaques sont braquées sur lui

avec méfiance

comme un mauvais pressentiment

et lui

il les éclabousse de lumière rouge

rouge comme les flaques du sang de l’horloger prénommé Eugène

et comme le sang des partisans

le rouge du sang de Manouchian

son cousin au soleil

venu d’Orient

venu de loin jusqu’au XXème arrondissement

rue du Groupe-Manouchian justement

et les autochtones des belles avenues de l’ouest baissent les yeux

éblouis par les reflets violents

aveuglés comme ils étaient justement

comme ils sont souvent

Et le soleil pudiquement

passe les yeux fermés au-dessus de Versailles

en vol plané

sans toutefois oublier d’incendier le château du Roi-Soleil

une fois de plus

en représailles

c’est tous les jours le soir sur Versailles

et le grand clochard du ciel jette une pièce

un mégot allumé

à son confrère

le clochard ramasse-clopes de la Cour d’Honneur

en lui disant bonsoir à demain

avant de plonger dans les draps verts de l’oubli

avec un goût de menthe

un goût de lendemain qui le hante

salut salut les gars la paix soit avec vous des étoiles

Salut à toi soleil

salut à toi rouquin

salut dors bien

lui répond le clochard avec son chien

et il s’adosse à la grille dorée dans le soir

et il regarde vers la ville

là-bas où c’est noir

et il sourit un peu pendant qu’en Amérique

aborde en riant un soleil éclatant.

 

(sur le souffle de Événements,

in Paroles – Jacques Prévert – Gallimard – 1949)

 

 

 

 

… Agnès Gueuret

 

 

Marie de Magdala

 

 

Ils retournaient en Galilée

           désirant le rencontrer

 

Avec eux, sur le soir,
elle avait cheminé.
Voilà ce qui importe,
le souffle était en elle
aussi bien que chez eux.
Le son de Sa parole
ne l’a jamais quittée.

 

                                              … marchant d’un même pas,

                                                   se taisant tout comme elle…                      

 

(sur le souffle de Sa mère, ses frères,

in D’un âge à l’autre – Agnès Gueuret – le corridor bleu – 2012)

 

 

 

 

 

 

Table

 

Enfants heureux

Il a fait mauvais suivi de Moineaux

Les Pâques à Charonne

Limerick à la grenouille

Salut soleil !

Magdala

 

 

 

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