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Cinquante-deux récits plus un, parus en
feuilleton
sur ce site, du 1er décembre 2006 au 28
novembre
En voici la série, suivie d’une table.
Le salut traditionnel d’un Maori (Nlle. Zélande) à
sin ami indien Toba (Argentine) – Cévaa
© Arno Gasteiger network.
Il
devait avoir dans les trente-cinq ans et il était blond, svelte, d’allure
plutôt aisée, et il n’était pas saoul.
Il me
dit s’appeler Joël.
Il avait
l’air sous tension, survolté.
Il me dit : « Je
viens de quitter ma femme.
À l’instant.
Nous étions sortis au ciné,
je lui ai donné ma veste, avec tous mes papiers et mon argent, et je suis parti
pour la Bretagne.
En stop.
J’en ai marre, je vais
m’embarquer, matelot sur le premier bateau.
Je lâche tout, famille et
boulot ».
Je lui explique que j’allais
rejoindre un groupe de jeunes couples.
Des catholiques et des
protestants qui lisaient la Bible ensemble un soir par mois.
Il me répond qu’il a reçu
une éducation très catho.
Mais pas de problème, que je
le laisse à Versailles.
Je lui propose alors de s’y
arrêter un moment dans un bistrot pour qu’il se réchauffe et qu’on boive un
coup.
Tant pis, j’arriverais en
retard.
Il est d’accord mais il me
rappelle qu’il n’a pas un sou sur lui.
Dans le bistrot nous nous
installons à une table et nous commandons, puis il va aux toilettes.
Pendant ce temps je me rends
au comptoir pour acheter des cigarettes.
Je fumais beaucoup à cette
époque.
Quand il revient, il voit
d’abord notre table vide.
Je lis sur son visage :
Plus personne, le type a foutu le camp.
Et je vois à quel point cet
abandon le blesse, et comme il est perdu, tout à coup.
Puis il m’aperçoit.
Finalement nous arrivons
ensemble à la réunion.
J’explique en deux mots la
situation de Joël, et nous nous mettons au travail.
Joël est vraiment pointu,
sur la Bible.
A la fin, deux hommes du
groupe prennent une voiture et l’emmènent en Bretagne.
Nous étions devenus amis, elle et moi, à cause d’un
de ces orages terribles qui arrivent d’un coup sur vous dans ce pays d’Amérique
centrale, le Nicaragua.
En un clin d’œil vous êtes
bon à tordre.
Ce sont des rivières qui
vous coulent des cheveux, du nez, du menton, des épaules et des bras, et ainsi
de suite jusqu’aux sandales en plastique.
C’était à Managua, la
capitale.
Nous avions un rendez-vous à l’Ambassade de France.
J’y emmenais Violeta pour
tenter de lui obtenir, contre toutes les règles édictées par notre charmant
pays, un visa pour Paris et des études en théologie.
Violeta est pasteure.
Au moment où elle arrêtait
devant l’Ambassade le pick-up brinquebalant du Centre théologique protestant,
paf, le ciel nous tombe dessus.
Rien à faire, nous étions
déjà en retard, il a fallu traverser l’avenue, puis le parc, pour entrer dans
le haut-lieu, plus que dégoulinants, plutôt blocs d’eau froide s’écoulant.
Lorsqu’on nous a fait entrer
dans le bureau de l’ambassadeur nous étions, non seulement trempés, mais aussi
écroulés de rire.
De là vient notre amitié.
L’ambassadeur était un jeune homme asiatique nommé Navarro.
Cela n’arrangeait rien côté
fou-rire.
Nous avons eu le visa et
Violeta a pu passer un an en France pour préparer son diplôme.
Aujourd’hui, je crois
qu’elle est quelque chose comme doyen de la faculté de théologie à Managua.
Violeta est petite, très
brune, d’un type plutôt indien, trapu et dense.
Dense à tous égards.
Elle élève seule Geraldina,
sa fille, et elle parle son espagnol latino à la vitesse d’un jet supersonique.
Elle est d’un pays dont les
hommes sont morts dans les guerres civiles, ou ont fui au loin, loin de la
misère, laissant là leurs femmes, leurs enfants, les oubliant, vers l’eldorado yanquì,
direction Miami.
Elle est belle, Violeta, et
les pasteurs piétistes de là-bas l’accuseraient volontiers de les tenter par sa
liberté d’allure…
Comment une femme comme
elle, habillée léger, pourrait-elle prêcher, lui disent-ils, sans exciter la
convoitise de fidèles mâles ?
À cela elle répond qu’ils
feraient mieux, eux-mêmes, de ne pas porter ces pantalons serrés à l’entrejambe
qu’affectionnent les hommes latinos…
Oui, parlez-lui du machisme,
elle vous dira qu’elle connaît.
Fin mai 1962, j’étais soldat de 2ème
classe dans les Marsouins, en partance pour Madagascar, Zone d’Outre-Mer N°3.
Après trois semaines de mer
et une courte nuit à Tamatave, aujourd’hui Toamasina, nous avions pris le train
qui montait alors sur les hauts-plateaux, à cinq à l’heure jusqu’à Tananarive,
Antananarivo.
Nous étions environ
soixante-dix pioupious fourbus.
Contents, aussi, de cette
aventure lointaine… et d’être délivrés de la guerre d’Algérie qui venait de
prendre fin.
Il était dix-sept heures et
nous descendions du train en gare de Tana.
On commençait à charger nos
paquetages dans le camion qui devait nous emmener au camp militaire français.
Vivement l’installation dans
nos quartiers et quelques heures à glander…
Un petit militaire portant
barrettes noires aux épaulettes, la cinquantaine dodue, était là, semblant
chercher quelqu’un.
Moi, bizarrement.
On m’avait nommé secrétaire
de l’aumônier protestant, il venait me chercher.
Déjà ?
Sur-le-champ ? Oui vraiment.
Mon paquetage m’attendrait
au camp, j’avais fort à faire tout de suite, illico, nous étions de service,
mon nouveau patron et moi, juste le temps de foncer en voiture jusqu’à la ville
haute, à Andohalo.
J’avais entendu parler de la
reine Ranavalo II ? Je savais qu’à l’époque elle avait fait construire une
chapelle auprès de son palais, le Rovo ?
Eh bien j’arrivais juste
pour le culte d’inauguration de cette chapelle royale entièrement restaurée
(moi je ne l’étais pas), on ne pouvait se passer de nous deux en cette
occurrence.
Evidemment nous étions en
avance, à force de nous presser.
Il n’y avait encore personne
devant la dite chapelle, si ce n’est, à l’entrée, un civil malgache, debout en
haut des marches, et qui semblait être là pour attendre et saluer.
C’était un petit homme
rondouillard et chauve, le teint foncé.
Costume trois-pièces et
cravate, chapeau à la main.
Il a paru tout content de
voir arriver enfin des gens, deux militaires français, et il nous a priés
d’entrer en nous serrant longuement la main.
C’était le Président de la République.
Ma mère ne pouvait pas croire qu’il puisse exister un tel point commun entre elle et une Allemande.
Pourtant c’était vrai, Madame Mayer et son mari avaient résisté, jeunes encore, à l’idéologie nazie.
Ils l’avaient combattue, prenant des risques à une époque où cela était réellement dangereux.
Le pasteur Mayer avait été membre, avec son épouse, de la fameuse "Église confessante" qui s’est opposée au nazisme dès 1933.
Ils avaient rejoint le séminaire pastoral de Dietrich Bonhoeffer à Finkenwalde, où Mayer avait fait des études de théologie.
On sait que Bonhoeffer devait payer de sa vie son opposition active à Hitler.
Les Mayer avaient échappé aux camps de concentration promis aux pasteurs confessants, sans doute parce qu’il était incorporé dans l’armée et n’avait pas encore eu de responsabilité directe dans l’Église.
Hélène, ma femme, connaissait les Mayer depuis l’enfance, elle avait passé des vacances chez eux, près de Cologne, pour parfaire son allemand, puis nous avions eu très tôt, elle et moi, diverses occasions de nouer des relations avec Madame Mayer, devenue veuve.
Ensuite ce fut le silence pendant trente ans.
Un jour, l’un de ses fils l’a amenée chez nous pour quelques jours.
Elle était maintenant une très vieille dame.
Elle n’était plus la grande femme droite et vigoureuse que j’avais connue, mais une petite grand’mère fragile et malhabile.
Je lui fis un petit cadeau, et je la vis me témoigner une reconnaissance éperdue.
Elle le recevait, je pense, comme le signe d’un pardon enfin accordé à l’Allemande qu’elle était.
Cela m’a fait mal, j’avais voulu l’honorer.
J’avais toujours pensé qu’il est plus estimable de combattre la Bête quand elle est de chez soi.
En février 61, je faisais partie d’une délégation envoyée par le Conseil Œcuménique des Eglises en Tunisie.
Il s’agissait de régler le sort d’un foyer d’étudiants protestants de Tunis, le Foyer Éva-Cabantous, laissé à l’abandon par le départ massif des Français après l’Indépendance.
Notre groupe était international, nous étions une dizaine et j’étais le seul Français.
Je ne me souviens pas de ce que notre visite a eu comme résultat, le gouvernement tunisien voulait récupérer le foyer, je suppose qu’il l’a fait.
Je me souviens en revanche d’une des réceptions auxquelles nous avons été invités, celle du FLN algérien.
Son Quartier Général était installé à Tunis.
Je devais partir à l’armée, sans doute direction l’Algérie, quelques mois plus tard : j’ai hésité à me rendre à cette réception avec le groupe, et puis j’y suis allé.
On nous fait visiter les lieux, puis vient le moment où nous nous trouvons réunis dans une salle, assis en rond, avec quelques responsables.
Je n’avais pas prévu que chacun devrait se présenter.
Mon tour arrive, il y a un silence.
Puis le groupe est invité à prendre une collation, et l’on me tire par la manche : un ponte, responsable de la jeunesse, veut me voir dans son bureau.
Deux ans plus tard, je devais le reconnaître sur la photo des ministres de la République algérienne, mais j’ai oublié son nom.
Il m’a impressionné, il s’agissait d’un intellectuel acéré.
Puis il m’a confié à Ahmed, un étudiant qui venait de rejoindre Tunis.
Il arrivait d’Algérie, après avoir franchi clandestinement la ligne Maurice, installée par l’armée française pour interdire le passage, et pensait repartir dans le maquis après quelques semaines de formation.
Nous avons visité Tunis ensemble, Ahmed et moi.
Le ciel était clair, il faisait doux, c’était l’hiver à Tunis.
Plus tard, nous le savions, nous risquions de nous retrouver, par malchance, face à face un fusil à la main.
Ou pire.
De part et d’autre les temps étaient à la cruauté.
Entre ces temps, un temps de paix s’est installé, suspendu, un temps trop court, un temps d’amis.
Je ne me souviens plus des
raisons qui m’avaient amené ce soir-là dans les locaux de la Cimade, rue de
Grenelle à Paris.
Je crois que cela avait à voir avec Madeleine Barrot.
Une femme étonnante, qui a créé la Cimade à l’époque des
camps de concentration français, dans les Pyrénées, en 1940.
On y rassemblait les fugitifs venus de l’Allemagne nazie,
entre autres, juifs et militants de gauche.
Avant de les remettre dans des trains pour l’Allemagne,
direction nuit et brouillard.
Quelques femmes ont résisté, qui sont à l’origine de la
Cimade.
J’avais eu parfois l’occasion de rencontrer Madeleine, et
même de boire un coup avec elle, je dois dire qu’elle avait une bonne descente.
Il se pourrait bien en effet que la réunion dont je parle
ait eu Madeleine Barrot pour centre d’intérêt.
En tout cas il y avait peut-être une quarantaine de
personnes, debout, qui écoutaient un orateur, mais lequel ?
Je connaissais la plupart d’entre elles.
Tout au moins de vue, sans toujours savoir exactement qui
était qui.
Cette petite dame aux cheveux gris, par exemple, ne m’était
pas inconnue.
Elle se tenait tranquillement au sein du groupe, un peu en
retrait.
Elle écoutait avec attention, le visage sérieux, il est
dommage que je ne me souvienne pas du sujet du discours que nous entendions.
Il me semble que je tenais un verre à la main, sans en être
certain.
Si c’était le cas je suppose que je n’étais pas le seul,
mais la dame en question n’en avait pas, j’en suis sûr.
Je me souviens qu’elle avait les chevilles enflées,
peut-être la station debout, pour une dame d’un certain âge c’est un ennui
courant.
J’étais certain de l’avoir déjà vue, de savoir précisément
qui elle était, son visage m’était familier.
Elle ressemblait pourtant à toutes les dames habillées
simplement que l’on pourrait croiser dans une rue de Paris.
Si ce n’est cette concentration dans son regard.
Elle avait de beaux yeux.
Mais personne ne faisait particulièrement attention à elle
dans l’assistance.
Et puis j’ai su qui elle était, je me suis senti tout
bête.
C’est idiot, au lieu de parler de Madeleine, je viens
d’écrire le récit d’une non-rencontre.
Le type se promenait tranquillement dans les rues de Bischwiller, en Alsace.
Il était très brun de poil et de peau, portait la barbe, et avançait en chantonnant une mélopée en langue hébraïque.
De plus, comme on était en hiver, il portait une superbe chapka en peau de lapin.
Le nouveau rabbin, sans doute, puisqu’il entrait à l’instant dans la librairie juive.
Erreur, c’était le pasteur stagiaire Chopineau Jacques, natif de Fontainebleau.
Un cas.
C’était en 63 et depuis nous sommes amis.
J’avais fait le voyage avec lui en combi Volkswagen, de Sète à Strasbourg.
Pas loin de mille kilomètres.
Pendant tout ce temps, il avait cantilé en hébreu le livre du prophète Ésaïe.
Une telle passion associée à une telle mémoire, ça ne se trouve pas.
Quelques années plus tard, nous faisions partie tout deux de l’équipe œcuménique qui traduisait les Psaumes pour la liturgie.
Quand nous achoppions sur un os, la plupart du temps Chopineau ne voyait pas le problème, l’hébreu biblique était si limpide, pour lui, si évident !
L’hébreu moderne aussi, en Israël, puisqu’il était capable d’expliquer dans cette langue la doctrine calvinienne de la double prédestination... à un kibboutznik positiviste.
Lequel en était resté bouche bée : comment pouvait-on croire à des conneries pareilles ?
Ce que Chopineau, selon ses dires, n’a pas pu lui expliquer.
Il était très drôle, je n’ai jamais autant ri avec un collègue.
Mais pas seulement, car vis-à-vis de la foi, de la religion, de la doctrine, de l’Église, nous avions à peu près la même réaction : un appel à la respiration.
D’ailleurs nous avions beaucoup de points communs, fils d’ouvriers briards élevés dans un milieu non protestant, hébraïsants...
Surtout lui.
ça lui était tombé dessus à l’armée, jeune électricien il avait devancé l’appel, et là il avait rencontré un jeune pasteur qui l’avait ensorcelé à force d’histoires bibliques.
Dès sa libération, il avait rejoint la fac de théologie et potassé l’hébreu.
Peu de temps après, un jour où nous étions dans un stage de futurs pasteurs, près de Lyon, il s’est trouvé que le prof prévu n’a pas pu venir.
On ne l’a su que le matin même.
Le stagiaire Chopineau nous faisait alors une tordante démonstration de menuet.
Il apprend la chose, et remplace aussitôt le type : exégèse de Genèse 2 et 3, avec citation de mémoire des spécialistes allemands de la question (les plus tordus) et détour par la kabbale...
La totale.
Que voulez-vous : moi j’aime les pros.
De l’autre côté de cette ligne de crêtes, c’était l’Azerbaïdjan.
Nous étions en Arménie, et il y avait la guerre.
Les Azéris qui avaient habité ce village du bout du monde l’avaient fui, et des réfugiés arméniens, venus de l’autre côté, l’occupaient désormais.
Quelques militaires avaient accompagné notre car jusque là, et pour la journée nous nous étions répartis dans les familles.
Il commençait à neiger.
Nous étions quatre visiteurs chez cette belle et grande vieille et son vieux : ma femme et moi, une étudiante qui traduisait, et un pédiatre français renommé.
La femme avait préparé pour nous un festin.
Réfugiée et démunie d’accord, mais digne de la tradition d’hospitalité de son peuple.
Notre pédiatre commençait à s’inquiéter de cette neige qui, si nous tardions, pouvait nous bloquer sur place.
Il ne voulait pas de ce repas, cela prendrait trop de temps.
Mais notre hôtesse avait son histoire à conter, et j’étais là comme journaliste.
Leur histoire, les récits de massacres, chez eux près de Bakou, la perte d’un fils volontairement écrasé par un char, les voisins de toujours qui vous tuent des enfants à coups de fourche.
Et ces anciens camarades de l’Armée Rouge, à l’époque de Stalingrad, devenus de sanglants ennemis.
Toute cette histoire.
La vieille est une femme forte, pourtant elle pleure aussi ses maigres possessions disparues à jamais, et déteste ce village azéri perdu dans la montagne, cette maison où rien ne s’adapte aux coutumes des siens.
Enfin cette bru devenue veuve, et cette fillette, seule rescapée, et malade.
Et il y a paraît-il dans notre groupe un docteur pour les enfants...
Notre pédiatre était déjà debout, prêt à partir, deux bouchées avalées, sans le dire il fait comprendre que l’on a autre chose à faire.
Il fuira cette neige, cette désolation, cette pauvreté, ce malheur.
La vieille reste digne devant l’outrage, mais ma femme dit que le docteur va ausculter la petite.
Il le fait à toute vitesse, de mauvaise grâce, puis se hâte vers le car.
Nous finissons de jouir de cet excellent repas, débarrassés de lui, souriants, pour une vraie rencontre, avant de quitter nos hôtes.
C’était un bon jour, disent les soldats, le canon azéri n’a pas tonné.
Sur la route qui nous ramènera à Érivan, il neigeote encore.
La route est longue et
cahotante, les photographes de presse se soûlent à la vodka.
Si mon origine sociale et ma formation m’avaient préparé à quelque chose, ce n’est sûrement pas à passer sept ans en compagnie d’un des plus grands poètes français du XXe siècle.
Descendant de croisés qui plus est, et catho jusqu’à l’os.
Dans son château croulant, la comtesse et lui nous recevaient à la fortune du pot.
La cuisinière polonaise nous préparait néanmoins du sanglier aux myrtilles, Monsieur le Comte était chasseur.
On nous régalait d’histoires de revenants, le soir à la veillée : révérence parler ça foutait les chocottes.
Nous travaillions tout le jour, à huit ou dix, des dix heures d’affilée, à traduire les Psaumes.
Parfois aussi ça se passait dans un couvent breton, ou dans les poussiéreux locaux d’un village huguenot du Vivarais, ou encore...
Ce n’est pas l’important.
Patrice ne savait pas l’hébreu, il fallait lui expliquer toutes les nuances qu’impliquait la forme particulière d’un mot, la tournure bizarre d’une phrase...
On ne trouvait pas le français de ce mot ou de cette phrase.
Patrice se levait, il allait à la fenêtre, il tournait à mi-voix des syllabes dans sa bouche.
On lui lançait quelque proposition, il revenait.
Il disait pourquoi elle n’était ni juste ni belle.
Pour lui c’était la même chose.
On apprenait d’un coup la vérité d’une situation, à la fois très pratique, hautement concrète, et spirituellement profonde.
Et terriblement féconde.
Parler n’était plus parler, mais sourire en ami sans lâcher le fil d’une respiration du monde.
C’est pourquoi je l’aimais.
Tout hérétique et anar
que j’étais.
J’ai cinq ans, j’ai raté la rentrée,
je suis arrivé quelques jours plus tard.
J’entre dans cette classe de maternelle, je me mets à pleurer.
La maîtresse me met au premier
rang pour me consoler, mais rien à faire.
Je finis par sortir en
hoquetant ces quatre mots : « Je veux ma femme ! »
Elle est surprise :
« Mais où est-elle ? »
Une petite voix s’élève
depuis le fond de la classe : « Madame, c’est moi sa
femme. »
Elle s’appelait Hélène mais
on disait toujours Lélou.
Nous avions été mariés en
1937, nos parents étant présents ainsi que quelques témoins privilégiés.
Nous venions de naître dans cet immeuble ouvrier du XXe arrondissement de Paris, Faubourg de Charonne.
Elle au troisième étage, moi
au cinquième.
Nos parents étaient devenus
amis à cause de cette coïncidence des deux grossesses, ils devaient le rester
jusqu’à leur mort.
Lélou était terrible, disait
ma grand’mère qui se chargeait de nous garder tous les deux le jeudi, jour sans
école.
Il est vrai que mon front
lui doit une belle cicatrice ronde, au-dessus de l’œil droit ; non qu’elle
m’ait battu, mais elle m’entraînait souvent dans des exercices périlleux.
Nous étions tous deux encore
enfants uniques, et nous nous aimions et chamaillions comme frère et
sœur ; pardon : comme mari et femme.
Cela se passait au temps du
péril vert-de-gris, et vers la fin, quand l’arrivée des Alliés approchait, nous
dormions ensemble dans le métro.
Puis le jour est venu et il
y a eu dans notre rue, pendant des heures, un combat entre cinq jeunes hommes
en Simca 5 et une section de Feldgrau que protégeait un char Panzer.
Les cinq devaient y mourir.
Nos mères et nous revenions
du square, et nous avons dû nous jeter dans l’entrée d’un hôtel pour échapper
aux balles.
Comme cela chauffait de plus
en plus près, nous sommes montés en haut de l’escalier, assis sur la dernière
marche.
Lélou sanglotait, nous
n’avions que sept ans, mais je fis preuve de caractère, je ne pleurai pas,
c’était moi l’homme.
Plus tard, Lélou se crut
veuve car j’étais sous les décombres avec ma mère, suite à un bombardement de
notre quartier.
Soixante-dix-huit
ans plus tard, nous nous appelons de temps en temps.
Il attache son ânesse à la grille, vient jusqu’à notre porte en tapant des pieds, les bottes trempées, il sonne et il entre.
Aux premiers temps de notre installation dans ce hameau poitevin il se contentait de nous saluer en chemin, maintenant nous faisons partie de ses relations privilégiées.
Monsieur Ch*** avait une petite ferme, qu’il a perdue, aujourd’hui il est retraité.
Il fait sa tournée tous les jours, pour sa santé dit-il.
Quatre ou cinq kilomètres à pied, menant l’ânesse au licol lorsque le temps le permet, ou sa petite chienne noire tenue en laisse.
Là où il se sait accepté, il s’arrête pour un moment de détente et de conversation.
Nos amis anglais du bourg ont droit à sa visite aussi bien que l’amie d’enfance de son épouse, il ne fait pas acception de personne…
Le voilà donc installé à la table de cuisine.
Il se roule cette chose qui ressemble de loin à une cigarette, une loche humide et flasque qui restera collée à sa lèvre.
Il me coule un regard finaud, je m’attends à une révélation.
De fait : il m’apprend qu’il a passé sa matinée à butter ses patates.
Ou bien il me décrit sa crise d’infection urinaire, un de ses morceaux de bravoure.
Mais il ne s’agit que d’une mise en jambe, il nous faut échanger quelques propos.
J’ai fini par mieux comprendre son langage, un mixte de bon français d’école (IVe République) et de picto-charentais.
Nous parlons politique : il connaît mes préférences, elles deviennent les siennes pour un temps.
En parlant, il les mâtine de légers biais, manière de faire comprendre qu’il nourrit pourtant des réserves à leur endroit.
Il ne pleut plus nous sortons, juste un coup d’œil au potager de ma femme.
Il regarde, il approuve, il médite.
En partant, sans avoir l’air d’y toucher, parlant d’autre chose, peut-être d’un voisin bien avisé, il me glissera un judicieux conseil pour le bien de nos laitues.
Il ne voudrait pas me froisser.
Elle n’était encore que la députée de notre
circonscription des Deux-Sèvres, et faisait campagne pour le rester à l’issue
d’élections législatives toutes proches.
Ce soir-là, elle tenait une réunion dans la salle de
spectacle de la mairie de Lezay, le chef-lieu de canton.
Il y a eu une sorte d’entracte, je ne sais plus
pourquoi.
Je suis sorti pour fumer une cigarette (j’ai arrêté
de fumer depuis) et j’ai traversé la cour pour m’adosser à un édicule destiné à
ranger des outils.
Il faisait sombre.
Ségolène Royal est sortie de la salle, probablement
pour prendre un peu l’air.
Elle est restée un moment sur le perron, dans la
lumière, puis a descendu deux marches.
Elle m’a vu alors, et après un temps elle m’a souri
de loin, un sourire incertain.
Nous nous connaissions de
vue pour nous être salués lors d’une de ses visites au marché du mardi.
Je crois bien aussi que le
même jour, justement, nous étions en réunion avec elle, une petite vingtaine de
ruraux, dans la salle publique du bourg de Saint-Coutant où j’habite.
Elle avait passé la journée
à visiter les communes du canton.
Nous sommes restés ainsi un
long moment, nous souriant vaguement, ne sachant comment nous comporter et quoi
nous dire.
Je ne désirais pas l’obliger
à une conversation convenue.
Elle, peut-être, ne voulait
pas s’imposer, briser l’isolement que je semblais avoir choisi.
On lui avait dit, je l’ai su
plus tard, que j’avais été une sorte de haut dignitaire protestant…
Quelqu’un me voyait, selon
les dires du même, comme "une pointure", chez nous autres.
Plus le temps durait, plus
il devenait difficile de traverser la cour pour tenir quelque honnête
conversation.
Je ne me souviens plus si
elle fumait elle aussi.
La reprise de la réunion nous a délivrés d’une
longue gêne qui devenait ridicule.
Pas besoin pour lui de se présenter, au téléphone : « Comment va le grand homme ? » – de sa voix sonore il se moque de moi.
Cela dure depuis quarante-cinq ans, depuis le 3ème RIMa, et précisément depuis la prison de ce régiment.
Il était communiste, membre de la rédaction de Clarté, cinéaste et marié.
J’étais protestant, venant de l’Institut œcuménique de Bossey, en Suisse, apprenti pasteur et marié.
Communiste ou venant de l’étranger : deux raisons pour être incorporé dans un régiment un peu… spécial.
Mais il y avait aussi un élève jésuite et un apprenti rabbin.
Je me souviens que tous les trois nous parlions théologie entre deux coups de gueule de l’adjudant, mais ceci est une autre histoire.
Quoiqu’il me plaise de signaler que le rabbin et moi faisions le mur ensemble pour aller retrouver chacun sa femme.
Ce n’était pas le bon temps, il y avait la guerre en Algérie.
Patrice est grand et corpulent, il l’a toujours été, il a souvent besoin de faire attention à son poids (je l’écris ici pour qu’il s’en souvienne).
Il a fait des films, écrit des livres, et on lui doit entre autres ces deux vers que j’aime :
J’ai toujours
dit bonjour au jour,
J’ai souvent dit adieu aux dieux.
Je déteste les dieux, j’aime seulement celui que je nomme l’Inconnu.
Mais sa spécialité, c’est de chanter, il sait par cœur les chansons des jeunesses communistes les plus staliniennes qui soit, celles de US go home et de Ridgway la peste…
Nous avons lui et moi une part de culture en commun : le souvenir du journal Vaillant, les œuvres de Léo Mallet (ses poèmes et ses polars), les chansons populaires d’autrefois.
Nous pouvons les chanter pendant des heures à condition de boire un coup ou deux.
Nous aimons aussi le goût des jeux de langage… et beaucoup d’autres choses.
Et encore beaucoup d’autres choses qui ne tiennent à rien.
Elle était déjà âgée, c’était dans les années cinquante.
Elle s’appelait Paris (prononcer le s) de son nom de jeune fille mais elle avait été mariée.
Elle était sage-femme et pratiquait en libéral.
C’était encore un temps où certaines femmes accouchaient à la maison, dans le lit conjugal, mais cela devenait rare.
De toute façon Madame Paris était pour ainsi dire à la retraite, mais elle acceptait d’assister quelque femme inquiète, pour peu que la famille soit connue d’elle.
C’est qu’elle avait accouché toute la rue, et qu’elle était renommée pour exceller dans les cas difficiles.
Je me souviens bien d’elle, je la voyais passer devant notre fenêtre, nous étions en été, telle un navire de haut-bord (j’étais passionné de récits corsaires, les hauts-faits de Robert Surcouf avaient accompagné mon enfance).
Elle était majestueuse, le nez conséquent, de couleur aubergine, levé comme pour humer l’air marin (mais nous étions rue d’Avron, Paris XXe), la stature importante avançant proue en avant, le corsage de sa robe légère, aux tons mauve et lilas, gonflé comme une voile de misaine, le chapeau de paille noire portant haut une fleur, d’ailleurs inconnue des herbiers, évoquant un marin en vigie…
Elle avançait, surmontée de cet immense parapluie vert olive qu’elle tenait pour une ombrelle, n’acceptant aucune atteinte du soleil, seul ennemi de sa majestueuse personne.
Nul n’aurait souri, la rue la respectait.
Le 1er de l’an, ma mère m’emmenait, enfant, lui porter une fleur en pot.
Peu avant la mort de Roland Barthes, je
ne m’étais pas décidé à faire le voyage pour lui rendre une dernière visite.
Je m’en veux pour cela.
J’étais peut-être le seul pasteur
avec lequel il avait aimé s’entretenir, avant que je ne quitte Paris pour
m’installer près de Nîmes.
D'autres ont dit ou diront
qui il fut pour eux, et ce qu'on lui doit.
Je ne veux y ajouter ici
qu'un regret, dont l'objet paraîtra mince à beaucoup.
Barthes était de cette
nombreuse sorte de protestants qui se sont éloignés de leur confession, et
pourtant, il était protestant plus que bien des pasteurs.
Qu'on se rassure, aucune
institution confessionnelle ne cherche ici à le récupérer.
Plutôt, ce que je viens
d'écrire en scandalisera quelques-uns parmi les pieux.
La recherche de Barthes
était protestante : quête fragmentée, paradoxale, sans loi autre qu'interne,
d'une langue qui échappe à la raison du plus fort, du plus "bête", de
l'épais.
Le jeu de l'être Barthes
était protestant : sujet lui aussi fragmenté, sans unité externe, sans
règle externe, sans pape dans sa tête ni son cœur, ni ses reins.
Et cet accord du dire et du faire, enfin, était protestant, cette voie entre souffrance et plaisir qui est en perspective la carrière du juste.
Protestant, et plus purement
et simplement que nos prédicants, vraiment.
Eux qui remplacent un pape
par mille ; un pape, par le désir inassouvi d'un pape.
Qui ne savent trouver entre
eux la paix, sans pape.
Mais protestant, au sens où
je l'entends ici, bien sûr, cela n'existe pas.
C'est un chemin ; et parfois
quelqu'un s'y trouve.
C'est, au beau sens, une
tradition, et quelqu'un à l'occasion s'y rencontre.
Le regret, c'est que Roland
Barthes n'ait pas trouvé de frère parmi ceux de sa tradition.
Comme à Gide, comme à quelques autres, quelque idole en forme du Dieu biblique lui aura barré ce plaisir.
Et bavarde : elle prenait son temps, étudiait tout à fond, en excellent médecin qu’elle était, mais tout au long nous entretenait aussi de sa conversation charmante.
Elle était très amoureuse de
son mari.
Elle avait su au premier
regard que ce serait lui, à la chorale de la paroisse catholique dans laquelle
elle chantait, il avait une si belle voix de basse.
Nous parlions, nous aussi,
elle était une amie, elle a tout su de nous, souvent étonnée de ce qu’elle
découvrait d’une famille pastorale – rien à voir avec l’idée qu’elle se faisait
d’un presbytère.
Et quand Amélie souriait,
c’était dans ses habitudes, la famille entière s’illuminait, certains êtres ont
ce don de lumière.
Un jour elle est partie, son
mari installait son affaire aux États-Unis.
Il repart là-bas et se fixe comme pasteur à Bafoussam, une ville de cent mille habitants du pays bamiléké.
Jamais je n’ai pu parler à cœur ouvert avec un Africain comme avec Jean-Blaise Kenmogne.
Il est lui-même.
Une fois installé dans ses fonctions, on pourrait le croire rangé, pasteur c’est une position que bien des siens peuvent envier.
Il regarde.
Il voit les gens qui n’ont rien, qui cherchent du travail.
Il voit le désespoir, la pauvreté, la honte.
Il voit la saleté, les rues encombrées de tous les déchets, la pourriture, il n’y a pas de service de ramassage des ordures.
Il voit les maladies.
Il voit les paysans des alentours qui s’endettent pour acheter de l’engrais made in USA.
Alors il crée un nouveau service d’Eglise, une ONG d’abord locale.
Un service d’éboueurs.
Qui alimente une usine de fabrication d’engrais.
Qui transforme les ordures pour une coopérative agricole.
Qui rassemble les paysans.
Qui se forment ensemble pour produire et vendre à la ville...
Et depuis que je n’ai pas vu Jean-Blaise Kenmogne, je suppose qu’il a aussi créé des magasins, maintenant.
À moins que le lancement d’une chaîne d’écoles rurales adaptées à la réalité locale, inspirées du modèle imaginé par les Églises ivoiriennes, ne lui ait pris trop de temps...
Ils sont beaux, les éboueurs de Bafoussam, elles sont belles les éboueuses, dans leur uniforme vert.
Leur visage reflète l’honnête fierté de ceux qui remplissent une mission.
En tout bien tout honneur, elle dormait dans mon lit.
On ne reçoit pas tous les jours l’auteur de Multiples splendeurs, et rarement dans un lit...
En fait, elle est arrivée malade à la maison.
Ma contribution directe à son accueil s’est arrêtée là : un sourire, mon lit et un verre d’eau.
Toutefois j’ai veillé sur son sommeil, j’étais habité par le sentiment d’un émouvant devoir.
Sur sa demande il avait fallu lui trouver le moyen de récupérer avant qu’elle ne participe à la conférence prévue en fin d’après-midi.
Cela ressemblait à une crise de palu, après tout elle était née en Chine à une époque où les soins pouvaient être minimes.
Arrive donc une femme entre deux âges, mince, pâle, aux traits asiatiques légèrement estompés.
Elle portait un tailleur noir très classique, en tissu léger (on était à Montpellier).
Je l’ai trouvée belle, émouvante.
Elle pouvait avoir dans les soixante-cinq ans à cette époque, ce devait être en 82, mais bien qu’épuisée elle paraissait beaucoup moins.
Elle parlait un excellent français, je me suis souvenu que sa mère était belge.
Son sourire restait pourtant voilé par une retenue chinoise que son existence européenne n’avait pas effacée (à moins que ce ne soit étudié ?)
J’ai su bien plus tard que Han Suyin n’était pas son vrai nom, mais un pseudonyme.
J’aurais dû m’en douter car ce Han souligne un peu trop une identité chinoise…
Cela renforce cette impression qu’elle m’a laissée et que je retrouve intacte aujourd’hui : était-elle une femme qui n’était pas trop sûre de son soi ?
D’où cette élégance de l’être qu’il lui avait sans doute fallu soigner.
D’où, peut-être aussi, la puissance de son art.
En fin d’après-midi, elle
descendait, tranquille et concentrée, et se livrait sans sourire à ses
tourmenteurs.
C’était une histoire qui courait à son sujet : pour préparer ses examens il s’installait sur le toit.
C’était à la Fac de
théologie de Paris, il voulait devenir pasteur.
C’est une histoire qui lui ressemble
mais il y en a d’autres.
Les poulbots de la
Maison-Verte, à Paris, attendaient l’arrivée de ce grand rouquin avec
impatience, il était jeune, il les faisait marrer, il les émerveillait, il les
embarquait dans des aventures pas vraies.
Quand j’étais môme, puis
ado, c’était mon pasteur, au faubourg.
Ah c’est sûr que le caté
avec Casalis on s’emmerdait pas !
Il racontait des histoires
magiques, il savait qui tu étais, il t’enseignait les Écritures avec rigueur,
il transmettait de la chaleur même en hiver.
Je vivais en hiver.
Des gens comme ça, c’est de
quoi te faire virer un jour vers leur sentier.
Puis il a eu vent d’un
système de soutien moral pour les gens paumés, c’était par téléphone, ça
existait dans les pays protestants du Nord.
Il a tout quitté et il a
lancé SOS-Amitié par Téléphone.
Le premier, c’était à
Boulogne-Billancourt.
J’insiste là-dessus parce que maintenant on te raconte que c’est un prêtre qui a lancé SOS Amitié par Téléphone...
Escrocs.
Chez nous c’était devenu une affaire de famille, ma mère faisait le secrétariat à mi-temps, en bonne sténo-dactylo qu’elle était, mais elle répondait aussi, de nuit, aux gens qui appelaient avant de se suicider ou d’assassiner leurs enfants, ou de se prostituer, ou...
Même mon plombier de père s’y est mis.
Et un tas de gens absolument pas spécialisés, ça s’appelait être écoutant.
Casalis les formait, à l’aide de professionnels bénévoles.
Bien sûr que c’est à cause de lui que j’ai voulu devenir pasteur, mais j’ai toujours su que je ne saurais jamais lui ressembler.
Alors j’ai fait bibliste.
Le Conseil de classe prévoyait le redoublement.
Me voilà donc convoqué par le professeur principal.
C’est une jeune femme assez sûre d’elle, qui me demande si je comprends la décision.
Je réponds que non – surprise de sa part :
Certes les notes sont dans la moyenne, ou presque, mais une deuxième sixième sera utile à ma fille, qui a de grosses lacunes en français, après tout elle n’a encore qu’un an de retard.
C’est son avis, qu’elle défend avec précision, ce n’est pas le mien.
Je lui explique : ma fille est arrivée en France à neuf ans, venant de Séoul, sans savoir un mot de français, elle a presque rattrapé son retard, ce dont elle a besoin avant tout, c’est qu’on lui fasse confiance.
– Certes, répond la dame, elle est bûcheuse, c’est le cas des Asiatiques, mais malgré cela elle reste faible dans plusieurs matières.
(Cette légende concernant les Asiatiques, que ma fille a rencontrée tout au long de sa scolarité en France, la fait encore sourire aujourd’hui, elle n’a jamais eu besoin d’être bûcheuse, elle a pour elle de la concentration et de la mémoire.)
J’explique alors à la prof que ma fille n’est en France que depuis trois ans et qu’elle progresse sans cesse, qu’il lui faut donc juste du temps pour coller au peloton, que la dernière chose à faire est de lui couper les pattes...
– J’ai déjà eu des élèves chinois qui ont démarré bien plus vite que votre fille, Monsieur !
Elle m’énerve.
– Ils ont passé leur première enfance dans les rues d’une métropole asiatique, vos élèves, ou bien sont-ils nés en France, enfants d’universitaires ou de médecins ?
La réponse est tellement évidente qu’elle ne me la donne pas.
Elle s’entête, je me butte, et je crois bien que si je n’étais pas une personnalité renommée dans cette ville, elle n’aurait jamais cédé.
Je rentre à la maison et je dis à ma fille qu’elle passe en cinquième.
Elle s’illumine : elle se savait adoptée par ses parents, elle l’est maintenant par la société tout entière.
Et je repense à cette dame, excellente pédagogue et citoyenne estimable : sans doute ne se rend-elle pas compte de la part de racisme ordinaire et tranquille qu’elle exprime.
J’étais devenu son ami dans les années soixante-dix pour lui avoir écrit ce genre de lettre enflammée que peut envoyer un lecteur plus que séduit.
J’avais lu Ptah Hotep, ce chef-d’œuvre improbable.
J’occupais alors un bureau à Paris, rue de Vaugirard, tout près du Sénat, il habitait rue d’Assas, nous étions voisins, je lui rendais souvent visite.
Je le regardais peindre, ou bien nous parlions de choses et d’autres, toujours liées à ses passions, à ses soucis, il avait beaucoup des deux.
A sa manière il m’encourageait, aussi, me disant par exemple, à propos de ma poésie, que je n’étais pas un malin : c’était un compliment.
J’apparais d’ailleurs dans Nefer, le roman qui fait suite à Ptah Hotep, sous le nom d’Iscandre ; j’y suis pourvu d’un office, celui de Grand Lecteur Itinérant des Provinces du Sud.
J’avais remarqué, bien sûr, quelques-unes de ses manies.
C’est à propos de l’une d’elles que j’ai écrit ce qui suit, à l’époque :
Il est parfois temps de s’en aller.
On a retardé ce moment autant qu’il était possible, et puis on dit à Charles en se levant – qu’il est temps.
Charles raccompagne son visiteur à la porte, il lui serre la main, lui dit au-revoir, comme il se doit.
Puis l’accompagne un pas encore, dans la porte même, et c’est le moment.
Alors les choses dernières sont dites, avant le trou des six étages.
Charles dit – toujours – un petit bout d’apocalypse, petit bout de révélation, bout d’aperçu sur les jours derniers : choses qui se passent de commentaires parce qu’elles sont fonction de l’espoir.
Les paroles sérieuses sont légères : comme l’oiseau qui passe, transitives.
Elles ne s’appuient guère, seulement sur l’espace qui s’en va, sur l’espace qui s’en vient : sur la présence qui passe.
Ce sont les paroles de la Porte.
J’aime me souvenir des pasteurs de mon
enfance, Henri Barlet et Jean Casalis.
Mais à l’évocation de ces
pasteurs se surajoute la mémoire de celle qui les secondait alors… ou les
précédait dans les cours et les escaliers du faubourg et de sa banlieue.
Dans la vie des simples gens
qu’ils rencontraient et accompagnaient, ces hommes et cette femme apportaient
une lumière inconnue.
On nous parlait beaucoup de
fraternité, alors, à l’école comme au parti.
Mais pour ce qui est des
gens qui nous étaient socialement supérieurs, à nous autres du populo, par le
langage, la connaissance, la culture ou les manières, la fraternité je ne l’ai
jamais connue que là.
C’était la spécialité de
Sœur Robert, la diaconesse de Reuilly, infatigable fourmi du bon Dieu.
Au long des temps grande
sœur, puis tante, puis grand-tante affectueuse et grondeuse de tout ce qui
avait besoin d’un pull, d’un conseil, d’une réprimande, d’une adresse… d’une
prière.
Jamais de haut : elle
vous regardait à sa hauteur… de sœur, justement.
Enfant, elle était allée à
l’école avec celle qui devait devenir ma grand’mère, c’est pourquoi elle avait
pris l’habitude de passer le dimanche matin chercher ma mère, encore enfant,
pour l’emmener au temple, c’était sur son chemin.
Plus tard, pendant la
guerre, comme je vivais chez mes grands-parents maternels, ce fut mon tour.
Elle ne s’arrêtait jamais,
elle trottinait dans tous les recoins du quartier, de noir vêtue, souriait à
tout le monde, aussi crotté que l’on puisse être, de ses petits yeux plissés de
myope, derrière des lunettes rondes qui lui tombaient sur le nez, la bouille
animée sous la coiffe blanche.
Cependant elle avait ses
préférences.
Je le sais bien, nous en
étions – comme tous les autres.
C’est la fête votive, dans ce village mi-Costières, mi-Camargue.
Elle dure dix jours et onze nuits, juste avant les vendanges.
On y boit beaucoup, du pastis, on y danse un peu, on y parle les deux langues du pays, et le soir, dans les cours, jusqu’à l’aube, on y déguste de somptueuses gardianes, ces daubes à la viande de toro et au riz de Camargue.
Surtout, on y attend les toros, pour l’abrivado et la course à la cocarde.
Élie est là, bien sûr, l’ouvrier d’un électricien du village.
Corpulent et barbu, il a trente-cinq ans peut-être, la voix grave et puissante, et cet accent provençal si marqué que mes visiteurs venus de Montbéliard ne le comprennent qu’à demi.
Il est ce qu’on appelle ici un bon homme.
Je me souviens d’un entretien que nous avions eu, autour d’un cochonnet à la broche, dans son petit mas des collines, au-dessus des prés à manade.
Nous parlions des enfants que nous avions, lui c’était une fille.
Les larmes lui sont venues à la paupière, il se souvenait de l’accouchement.
Sa femme avait beaucoup souffert :
– Tu vois comme elles ont du mal, que nous n’y pouvons rien, que tu es là comme un couillonnasse, à te ronger les sangs, pendant qu’elle te fait la petite, et que toi tu n’as eu que le plaisir, pardi.
Cela fait longtemps qu’Élie ne peut plus raseter, sauter dans l’arène, tout vêtu de blanc, et tenter de ravir au toro la cocarde qu’il a sur le front.
Mais il lui reste à jouer son rôle lors de la soirée où l’on s’amuse dans l’arène avec les bêtes.
On y fait le môle, on joue à l’homme mort, on saute par-dessus la bête qui vous charge, toutes choses sans prétention mais qui montrent votre courage.
Ce soir, les jeunes du village ont décidé de jouer au football dans l’arène, un toro s’y trouvant présent.
Élie fera l’arbitre.
Le match commence, on court, on dribble, on tacle, on marque.
Le toro ne sait où porter sa charge, il se tourne d’un côté, il se tourne de l’autre ; il gratte la terre de son sabot, baisse le mufle en soufflant, mais n’arrive pas à se décider, il ne parvient pas à se fixer une cible.
Élie siffle un pénalty, tous s’immobilisent.
Un joueur s’installe au point prévu, y pose la balle, recule et se concentre.
Le toro a trouvé son ennemi, il s’ébranle, cornes en avant.
La voix d’Élie s’élève, impérative et tonnante : « J’ai dit pénalty ! »
Et le toro s’arrête.
* On l’écrit souvent ainsi, localement, lorsqu’il s’agit de bêtes, mâles ou femelles, élevées en manades camarguaises ou espagnoles.
Nous avons décidé un jour, Hélène et moi, de faire une folie : nous offrir une croisière sur le Danube.
Hélène, c’est ma femme bien-aimée, mère universelle et fumeuse aguerrie.
C’était organisé par l’hebdomadaire "La Vie", d’où le paquet de cathos qui grouillait sur le bateau roumain qui nous remontait tous de la Mer Noire à la Bavière.
Sympas, les cathos ; bizarres, bien sûr, mais sympas.
À chaque escale il y avait des visites, des excursions, et le soir des animations et des conférences sur le bateau.
Et il y avait Sylvie Germain, la romancière, une jeune femme aux grands yeux clairs, des yeux de loup, des yeux immenses qui emplissent le triangle pâle de son visage.
Après plusieurs romans torturés et pacifiés, elle venait de sortir "Magnus", un grand bouquin, lucide comme elle, rêveur, tendre, amer et vrai comme l’amère vérité de ces temps.
La chance a voulu qu’elle soit fumeuse et qu’il soit interdit de fumer pendant les réunions.
On retrouvait sur le pont les adeptes de Nicot accoudés aux rambardes.
Le beau Danube gris-brun filait sous leurs doigts jaunis.
Sylvie et Hélène se lièrent de camaraderie en ces temps bénis où la clope permettait de couper à une conférence tunnel portant sur les mérites comparés des icônes grecque et russe.
On se voyait aussi le soir, avec Tadeusz, son compagnon, une fois les autres partis se coucher, pour boire un dernier verre au bar en compagnie des serveurs.
Sylvie avait vécu longtemps en Europe de l’Est, elle s’était beaucoup inspirée de l’histoire et des douleurs de ces pays-là.
Sur ce fleuve, entourés de nos copains roumains, ce qui comptait alors pour nous en l’écoutant, c’était la présence grise de cette Europe oubliée.
Mais elle manifestait aussi ses certitudes-incertitudes sur la religion.
Elle était heureuse de rencontrer un pasteur pour lui poser plein de questions.
Ce que par chance elle ne fit jamais.
C’est moi qui l’appelle ainsi, je n’ai jamais su son nom.
Il ressemblait en tout point à l’image que l’on se fait du clochard par vocation, belle trogne à nez et lèvres vermeilles, tignasse blanche embroussaillée, barbe assortie, vêture de quatrième main, etc.
J’étais employé à cette époque par une entreprise de réfection et d’entretien de vieilles charpentes, et c’est à ce titre qu’en 56 je hantais avec mes collègues les combles et les toitures du Château de Versailles.
Grâce à des fonds américains, le Président de la République avait décidé de remettre l’ensemble à neuf.
Ce fut pour moi l’occasion de faire la rencontre de nombreux personnages hors du commun.
Mais Chasse-Mégot l’emportait sur les autres en ce qu’il régnait avec autorité sur la Cour d’Honneur, ce qui n’est pas donné à n’importe qui.
Il avait l’exclusivité, accordée semble-t-il par l’Administration, sur le commerce de tout ce qui ressemble à du tabac tombé à terre.
Ce qu’on appelle mégot.
Mais ses mégots à lui n’étaient pas ceux de tout le monde, il me l’a expliqué un jour.
– Tu vas piger, qu’il me dit : Vise le car de touristes qui s’amène ; les types y sortent, y-z-allument une sèche ; quand c’est des étrangers, genre belge ou fridolin, y-z-allument même un cigare ; le temps de traverser la Cour, y zyeutent le panneau Interdit de fumer de l’entrée, alors y foutent leur tabac par terre à peine entamé, mézigues j’ai qu’à ramasser.
Comme je lui demandais ce qu’il en faisait :
– Qu’est-ce tu crois, d’la bonne marchandise comm’ ça, j’la r’vend à la régie des tabacs, recta ! Ben crois-moi, du coup chuis pas empêché du morlingue !*
* Traduction pour les personnes qui seraient
étrangères aux finesses de l’ancien argot parisien : « Eh bien,
crois-moi, mon porte-monnaie, en conséquence, est bien garni. »
La salle est très grande et rectangulaire,
soixante-dix chaises sont plaquées contre trois des murs.
Elles sont toutes occupées.
Régine est assise seule au milieu du mur du fond, à deux mètres d’elle une chaise vide lui fait face.
La séance commence et chacun d’entre nous vient tour à tour s’asseoir sur cette chaise vide, un livre ouvert à la main.
Il faut lire à haute voix un extrait de ce livre en l’adressant à Régine, mais de manière à ce que tout le monde entende.
C’est mon tour et, futé, je commence à lire un passage de Boris Vian, tiré de L’herbe rouge.
Elle rit, elle me dit : « Vous, vous êtes venu pour lire la Bible, n’est-ce pas ? »
Je ne lui en avait rien dit.
– Allez la chercher, ajoute-t-elle, vous lirez le passage où le prophète Ésaïe voit le Seigneur, vous le retrouverez ?
– Ésaïe 6, dis-je sobrement en sortant de ma sacoche une petite Second.
Et j’entends s’élever dans la salle un murmure d’admiration : ce type connaît la Bible par cœur (ce n’est pas vrai, bien sûr, il se fait simplement que ce texte est hyper-connu des théologiens).
Et je commence : L’année
de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur...
– Vous l’avez vu ?
– Qui ?
– Le Seigneur ! Vous me dites que vous avez vu le Seigneur mais vous ne l’avez pas vu : retournez à votre place, vous allez travailler avec Guy et vous reviendrez quand vous l’aurez vu.
J’en reste un peu sonné, qu’est-ce qu’elle raconte ?
Un peu plus tard je me retrouve avec Guy dans le gymnase (ça se passe au CREPS de Montpellier dans les années soixante-dix).
On travaille, j’apprends à poser ma voix, je parle au mur à trois mètres de lui, recevant ce qu’il me renvoie.
Je passe sur la technique, tout autour, dans la salle, bien d’autres stagiaires travaillent ainsi.
L’année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur assis sur un trône très élevé...
Et la chose arrive : tout à coup ces paroles ne sont plus les miennes, je ne suis qu’un instrument, elles m’environnent, elles sont elles-mêmes, elles deviennent Parole.
Dans la salle, tous s’arrêtent – le Verbe les atteint.
Je comprends alors ces mots du livre de l’Exode : Et le peuple voyait les paroles.
En 95, une des premières décisions de Chirac, nouvellement élu à la présidence de la République consiste à relancer les essais nucléaires en Océanie. Cette initiative fâche l’Église Évangélique de Polynésie française, dont le synode vote alors un texte de protestation et demande à ce qu’une délégation soit reçue à l’Élysée, ce qui est accordé.
Je suis alors secrétaire général du Service protestant (DÉFAP) chargé de la coopération entre les Églises protestantes françaises et les Églises anciennement issues de la mission. Je ne fais pas partie de la délégation, juste un accompagnateur, mais me voici entrant pourtant par erreur, à la suite d’une bévue du service de sécurité de l’Élysée, dans le bureau du Président, à l’Élysée, pour accompagner les pasteurs Ihoraï et Teinaoré, respectivement président et secrétaire général de leur Église, ainsi que Gilles Marsauche, leur attaché de presse.
Chirac est venu nous chercher dans l’antichambre et nous a fait entrer, il a rassemblé lui-même, très vivement, quelques légers fauteuils cannés, les disposant en cercle. Il se meut comme un colonel de cavalerie qui viendrait de prendre le palais d’assaut. Tout souriant, il attend maintenant que quelqu’un commence.
Ihoraï est très tendu, la voix coincée il réussit à murmurer : « Monsieur le Président, nous sommes venus vous dire de ne pas procéder aux essais... » Chirac sursaute, et d’un petit saut sec, rapproche son fauteuil du pasteur pour mieux entendre : ce type semble lui enjoindre de changer de politique !
Enhardi, Ihoraï répète, et se lance dans une longue exhortation pastorale, qu’il termine en expliquant que les essais vont souiller une fois de plus la fenoua, la terre-mère des Tahitiens (c’est en réalité l’océan et ses îles).
Chirac est stupéfait : « Moi, je suis catholique, dit-il (ce qui me fait sourire), mais il me semble que cette théologie naturelle (et là il me bluffe) n’est pas compatible avec la théologie protestante. »
Suit alors un cours de théologie contextuelle donné en exclusivité au Président par Ralph Teinaoré. Chirac écoute sans broncher, puis donne lui aussi un cours, cette fois de géopolitique, dont il ressort qu’il n’y aura pas d’arrêt des essais avant la fin de la série en cours, la dernière.
L’entrevue a duré trois quarts d’heure et elle a été passionnante. Mais Chirac ne sait toujours pas ce je que fais là, moi qui n’ai pas dit un mot. Il me lance des regards de côté.
Or il reste une chose à dire, essentielle pour les Tahitiens mais que leur conception de la politesse leur interdit d’exprimer : « Comment osez-vous agir ainsi chez nous sans avoir d’abord demandé notre accord ! » C’est donc moi qui le dirai (de façon plus diplomatique), et le Président nous assure sans broncher qu’il en tiendra compte à l’avenir…
Au moment où nous sortons du bureau, Chirac serre la paluche à chacun et, arrivé à moi, me dit : « Transmettez mes respects à Monsieur le Président de la Fédération protestante… que vous représentez ! » En homme du bon ordre républicain, il avait fini par me trouver un statut.
Nous étions collègues au sein de cette petite
ONG.
Je l’aime beaucoup, je sais que c’est réciproque, nous sommes proches, il nous est arrivé de nous promener la main dans la main.
Rien d’autre entre nous que cette amitié.
Claire est capable de t’envoyer un mail de trois pages deux ans après la dernière rencontre, uniquement pour te dire que tu es un mec sympa.
Elle est capable de prendre le métro à l’heure de pointe vêtue d’une immense et volumineuse doudoune rose en fourrure synthétique.
Les gens adorent, ils en caressent les poils en catimini, surtout les enfants.
J’allais parfois lui faire une bise chez elle, quand je vivais à Paris.
Elle habite à côté de la seule boutique qui vend des chaussures de femme adulte de pointure 32 (à seize ans, ma fille chaussait du 32, il lui fallait des souliers de sortie).
On buvait un coup de scotch bien brun, avec aussi du thé parfumé aux odeurs bizarres, genre lichen samoyède ou fleur de potiron toltèque – je n’aime pas le thé parfumé mais quand c’est Claire qui offre…
On fumait une cousue main au tabac brun, lui aussi.
On parlait, on parlait.
Je disais à ma fille qu’il n’y avait que de l’amitié entre nous, rien d’autre, et elle me répondait « Ne t’excuse pas ».
Claire, aussi, est championne – championne de patchwork, elle a même eu une boutique pour ça en Californie, mais ça ne lui pas amené que du bonheur.
Sauf son fils, qu’elle élève seule et qui a été louveteau dans la meute de ma fille (toujours la même) ; ma fille était cheftaine adjointe, à cette époque.
Tout cela pour dire que Claire, c’est la tendresse.
Un artiste, lui ? Eh bien oui, le digne pasteur et chtimi Louis Simon cache sous sa bedaine une âme et un talent de grand artiste.
(Mais peut-on écrire d’une âme qu’elle se cache sous une bedaine ?)
Il était connu avant tout de notre génération comme prédicateur.
Dommage, il ne prêche plus, il a pris sa retraite au sérieux.
D’abord il avait une belle voix, cela plaisait aux filles.
J’écris ça par méchanceté, je sais que cela le gênait terriblement, en plus ce n’est pas exact de dire « d’abord ».
Car on se lasse d’une belle voix qui dit des platitudes.
Ce n’était pas le cas.
Certains auraient bien voulu que ce soit le cas, les exégètes patentés, car un sermon de Simon, cela défiait toutes les règles d’interprétation des Écritures reconnues par la Faculté.
C’est pourquoi je l’appelle artiste, ce qui signifie pour moi créateur.
Simon créait de la vérité biblique, au lieu de reproduire la vérité habituelle.
Il prenait une histoire de l’évangile ; par exemple, tenez : celle qu’on appelle la pêche miraculeuse.
Milagro ! qu’on s’extasie d’habitude, notre Seigneur Jésus a permis aux pêcheurs qui revenaient bredouilles de remplir miraculeusement leurs barques de bon poisson frétillant !
Simon, lui, il vous montre comme c’est une catastrophe, cette histoire où la pêche est tellement riche que le bateau va s’enfoncer et risque de couler !
Et l’histoire prend un nouveau sens.
Évangélique.
C’est juste un exemple.
En voici un autre : Jésus refuse de guérir une petite fille parce que sa mère est païenne.
Simon vous démontre que c’est la mère en question qui va évangéliser Jésus en lui faisant comprendre, et admettre, certaines choses...
A partir de là, le Nazaréen en bois brut devient celui que nous connaissons.
J’en ai connu qui s’étranglaient en se remémorant cela : Jésus ! évangélisé !
(Ah : qu’on se rassure, à la fin, Jésus guérit la petite fille.)
Oui, salut l’artiste, et merci, sans toi on aurait tourné bigot, peut-être.
J’ai essayé de comprendre son truc, pour faire pareil.
C’est simple : oubliez tout et lisez le texte, écoutez-le, regardez-le comme un film que vous n’avez pas encore vu, cherchez à percevoir ses personnages pour ce qu’ils sont, pour ce qu’ils font dans le cours du récit.
Ne faites pas de psychologie, pas de théologie, suivez l’action.
Étonnez-vous.
Et puis en chaire, laissez les autres se débrouiller avec vos étonnements, ils en feront leur bien à leur manière.
Je n’ai fait que l’apercevoir un jour, mais je lui dois beaucoup.
Bien sûr je connaissais de vue sa famille, qui tenait un grand bistrot à la Porte-des-Lilas, à côté du cinoche, à la sortie de la rue de Belleville.
Moi j’arrivais côté Lilas, avec mes potes, pour voir un film et boire une limonade.
J’avais quatorze ans peut-être.
Mais c’est bien plus tard, à Montpellier, que je l’ai aperçue, amie aînée de certaines de mes amies.
Avec celles-ci on pratiquait une espèce de relaxation-gym-yoga bizarre.
ça s’appelait yakataka.
C’est Odette Laure qui l’avait recréé, à partir, disait-elle, de diverses techniques japonaises.
Mais notre Odette était une coquine, car elle avait inventé complètement la chose en l’appelant d’abord "Y a qu’à ? T’as qu’à !"
Eh bien c’était très efficace, quoique parfois douloureux, pour vous rendre souplesse et bien-être, et faire sortir l’énergie cachée en vous.
D’où ma reconnaissance.
Elle n’était donc pas seulement la fantaisiste et la comédienne que l’on sait.
Elle était aussi croqueuse d’hommes et, pour les susdites jeunes femmes et autres copains, joyeuse et vivante initiatrice.
Elle racontait qu’un soir elle s’était trouvée à la même table qu’Édith Piaf.
Cela se passait en quelque capitale très étrangère, où l’on avait invité ces deux chanteuses parisiennes, la rigolote et la tragique, à quelque prestigieux gala.
Ce soir-là, elles dînaient ensemble.
À la fin du repas elle se racontent leur vie.
Odette parle du bistrot de la Porte-des-Lilas : lors de sa jeunesse une petite chanteuse des rues y passait parfois, qui avait quelque chose d’Édith.
« C’était moi », répond la môme-vedette.
Et elle fondent toutes les deux en larmes.
Il faut venir du faubourg pour connaître tout le sens de ces larmes.
Le technicien me passe la communication, une voix toute cassée, éraillée, se fait entendre.
C’est à Radio-Clapàs, une radio associative plutôt libertaire de Montpellier.
Depuis quelques années, avec toute une bande d’amis j’y anime plusieurs émissions.
Le type qui m’appelle juste après l’une d’elles se prénomme Franck, ça lui a plu il aimerait me rencontrer.
D’accord, que je lui réponds, mais où ?
Chez lui, au foyer de la Sonacotra, car il ne se déplace pas facilement.
Ces foyers-là, je connais, l’avantage c’est qu’il n’y a pas de place perdue, tu y vis dans tes neuf mètres carrés.
Je fais donc la connaissance de Franck, un vieux type tout cassé, édenté, qui marche avec deux béquilles.
Gros comme un chat des rues tout mouillé.
C’est un Niçois perdu, à quinze ans il a fait les camps nazis, il crevait de faim et de froid, de fatigue, de scorbut et de dysenterie.
Les SS le violaient, ou le battaient, ou les deux.
Il a survécu, il s’est marié, il a eu des enfants.
Puis il a tout quitté, il a refait sa vie en Afrique, les grands chantiers, la brousse, les belles Africaines.
Puis il est revenu, malade, sans le sou, et le voici chez M. Sonacotra.
Il n’a qu’un rêve, retourner là-bas.
– Tu vois, qu’il me dit, j’ai eu tort de revenir, en Afrique les gens sont plus fraternels, avec ma petite pension j’aurais trouvé une femme bien pour s’occuper de moi, on n’aurait pas eu besoin de grand’chose.
Il économise pour se payer l’avion.
On se revoit, il passe, accroché à ses béquilles, nous discutons de tout et de rien.
Un jour il me fait un cadeau : un fer à souder, « ça peut toujours servir », me dit-il en voyant ma surprise.
Enfin il réalise son rêve, il part, plus de nouvelles de Franck.
Jusqu’à cet appel : « Je suis au bout, faut que tu m’aides à revenir, je suis raide, on m’a tout piqué. »
Franck revient et on lui trouve une place à l’hospice de Lunel.
Ensuite, j’ai honte de le dire, je ne pense plus à lui jusqu’à ce que Colette, notre amie commune, me signale qu’il va mal.
Je vais le voir enfin : « T’es un beau salaud », il me dit – je lui répond : « C’est vrai. »
Il meurt le lendemain.
J’ai toujours son fer à souder.
Ce début de septembre 1981 reste dans ma mémoire comme le plus terrible moment de ma vie.
Un moment qui se rappelle à moi chaque jour.
Certaines personnes, il est vrai, ont su l’adoucir autant qu’il était possible et Madame Guirao a été l’une d’elles.
Elle était gardienne au collège dans lequel nous habitions et dont ma femme était la principale.
Le collège de l’Étang de l’Or, à Mauguio, près de Montpellier.
Elle et son mari étaient, comme on dit bêtement, des gens simples.
Ce sont souvent les plus compliqués, ils n’ont pas été simplifiés par la mécanisation des esprits.
Elle était de Sète, n’était pas allée beaucoup à l’école, et parlait le plus beau francitan que l’on puisse entendre entre Rhône et Garonne.
(Le francitan, c’est le parler français bien enrichi d’occitan, plus provençal à l’Est, plus gascon à l’Ouest, que parlent ces fameux gens simples du Midi, comme d’autres, au Nord, parlent le chtimi – je le précise pour Andrew, mon voisin et ami anglais.)
Sait-on que les Sétois descendent de marins siciliens que le roi Louis (que sa mémoire soit maudite, mais pour d’autres raisons) a fait venir pour qu’ils s’installent et lui construisent un port en Languedoc ?
Madame Guirao était naïve, aussi : son mari lui ayant téléphoné un jour qu’il était soupçonné d’un vol de vélo et qu’on l’avait mis au trou, elle a cru pour de bon que les flics l’avaient jeté dans une fosse.
Elle pleurait.
Voilà donc : mon fils cadet venait de mourir, à seize ans, tué par un chauffard ivrogne.
Nous étions fous de douleur.
Bien sûr, famille, amis et collègues étaient venus, il y avait du monde.
Mon fils était très populaire, et toute une jeunesse, toute la jeunesse de Mauguio, toute la jeunesse de l’Église, aussi, emplissait la maison, on n’y circulait plus qu’en enjambant des groupes d’ados en sidération.
Ce fut ainsi pendant plusieurs jours, sans que nous ayons la force de rien organiser.
Madame Guirao est venue sonner.
Elle avait préparé du
poisson pour tout ce monde.
Je monte le perron à la suite des autres, nous sommes en file indienne, et j’arrive à la hauteur d’Eyadema, qui attend à l’entrée.
Et là, franchement, j’ai un bref réflexe de trouille.
Il est grand et mince, les épaules larges, la tête posée directement dessus comme une calebasse renversée, et deux yeux jaunes de fauve.
Oui, tout d’un fauve sombre.
Le soir même, l’épouse d’un digne pasteur de Lomé (nous sommes au Togo) me dira d’ailleurs que ce n’est pas étonnant, que j’ai bien vu, que c’en est même surprenant comme je suis perspicace, puisqu’il est le fils d’une femme perdue dans la forêt et de l’homme sauvage des bois (un genre de yéti méchant, quand il hurle on l’entend à cent kilomètres) que par malheur elle a rencontré.
Je ne plaisante pas, je ne me moque pas, je comprends que de telles légendes aient circulé dans ce pays dont il a été si longtemps le président, il suffisait de le regarder.
En plus il était protestant.
Nous sommes donc là, installés maintenant en rang d’oignon dans des fauteuils un peu raides, au long de l’immense salon de réception du palais présidentiel, Lomé II.
On nous sert – de longs jeunes gens en habit et gants blancs ; les paras en tenue camouflée, eux, sont restés dans le hall à contempler leurs pistolets mitrailleurs.
Champagne et petits fours, que Madame la Présidente est allée chercher pour nous, directement chez Fauchon à Paris dans le jet de son époux (c’est un équipage militaire français qui le pilote).
Cela se passe en 1992, je crois.
Nous composons une délégation internationale de pasteurs, africains et européens, chargés de sermonner le général-président, ancien adjudant-chef de la Coloniale, ancien catéchumène de nos missionnaires de Paris, afin qu’il cesse de terroriser le Togo.
C’est nous qui nous faisons engueuler de la plus belle manière, et pas question de répliquer, il est entouré de généraux à la bobine menaçante et au front bas.
Si Dieu lui-même l’a mis là où il est, ce ne sont pas quelques pasteurs qui vont lui faire la leçon !
Les rues de Lomé sont en pleine révolte, c’est en partie lié à notre visite, amplement médiatisée ; une occasion saisie par le peuple pour montrer sa frustration.
Peu avant, nous avions d’ailleurs manqué nous faire zigouiller, dans la voiture officielle, on nous prenait pour des suppôts du Président.
Le fourgon des gendarmes entre dans notre allée et trois militaires en descendent, deux femmes et un homme.
On a tenté de voler ma voiture, on l’a malmenée sans y parvenir, une histoire de maladroits, il me faut un constat, d’où les gendarmes.
Une blondinette plutôt jolie, un grand benêt, enfin une femme dans les trente/trente-cinq ans, la brigadier-chef.
Le grand gars traîne tout un matériel.
Il pleut, ils entrent vite dans la cuisine (on est à la campagne) et salissent le carrelage, les chaussures boueuses.
Le matériel se révèle être tout un fourniment informatique.
Ils sont fiers de me l’apprendre, aujourd’hui les procès-verbaux se font sur place, pas besoin de se déplacer à la gendarmerie, c’est le progrès.
Le plus ancien dans le grade le plus élevé s’installe à notre humble table, et le benêt commence à installer le matos, ça prend du temps.
Et on y va – du moins on essaie car il apparaît vite que la brigadier-chef ne sait pas se servir de la chose…
La jeune gendarmette aimerait lui montrer, voire prendre les choses techniques en main, elle tourne autour, on sait que plus on est jeune, plus on maîtrise ces trucs-là.
Mais elle n’est que simple gendarme.
Peut-être même stagiaire.
Comment concilier le savoir-faire et le respect dû à la hiérarchie ?
Au bout de quelques minutes, la chef se met à plaisanter, se moque à haute voix d’elle-même, regarde en souriant la jeunette, lui dit qu’elle est heureuse de pouvoir ainsi apprendre… mais ne lâche pas la machine.
On y a mis du temps, tous
(je m’y suis mis aussi), mais on a formé plutôt convenablement notre
brigadier-chef.
Tous les mardis à dix-huit heures, ce petit groupe se retrouvait dans une salle de la paroisse luthérienne de Bon-Secours, 20 rue Titon, Paris XIe.
Il y avait là quelques rares protestants, quelques cathos hors-la-loi, quelques curieux, une dame juive, ma fille, et le bébé d’une paroissienne... en tout une petite douzaine de personnes.
Je donnais là un cours de culture biblique.
J’insiste : de la culture, pas de piété, qui se réglait ailleurs.
De l’histoire, de la littérature, de l’art, certes, mais surtout de l’anthropologie.
Du sérieux.
De la publicité avait modestement été faite dans le quartier.
Arrive là un jour une sorte de vagabond, pourvu en tout et pour tout d’un sandwich.
Dimitri, un jeune Russe, sorte de clochard céleste.
Tout droit sorti d’un roman de Dostoïevski, Fiodor pour les intimes.
Il avait appris qu’on parlait de Bible, il était venu, ça le concernait au premier chef.
Il avait reçu vocation, là-bas, d’apporter la vie de prière à la France, à la façon des anciens startsi vieux-orthodoxes.
Tel le pèlerin respirant sa seule prière (souvenez-vous de la "Petite Philocalie de la Prière du Coeur" et des "Récits d’un pèlerin russe").
Il vivait de petits boulots, mangeait ce qu’il trouvait à la fin du marché, logeait dans les squares.
Et regardait le monde avec les yeux du prince Mychkine.
L’anthropologie ne lui disait rien.
Il préférait réciter de vive voix les versets de sa Bible française.
Nous nous engueulions fraternellement, le sourire aux yeux.
Un soir il n’était pas là, nous ne l’avons plus jamais revu.
Sans doute l’a-t-on trouvé un matin, émacié, gelé, enfin apaisé, allongé sur un banc.
Avant toutefois – le pire – qu’on ne le renvoie chez lui comme sans-papiers.
Ce que, de toute façon, on
aurait fait du Christ.
Avec quelques amis, je l’attendais à l’entrée de la salle, une grande place s’étendait devant nous.
Nous étions à Strasbourg, en décembre 96, à l’époque elle était maire de la ville, pas encore ministre de la Culture et de la Communication dans le gouvernement Jospin.
De toute façon elle n’aurait jamais dû y aller, elle était trop atypique, trop alsacienne, pas assez parisienne.
Pas assez Colonnes de Buren ma chère.
Trop MJC.
Et théologienne chez les anticléricaux et ex-trotzkistes, sans blague, elle n’avait aucune chance comme porte-parole du gouvernement.
Nous l’attendions, elle était déjà un peu en retard.
Un Espace arrive, stoppe devant nous, la Catherine à son bord, qui sort de la voiture, vient vers nous en souriant, un peu ennuyée de son retard.
Je m’attendais à une escorte, tout au moins un secrétaire ou une chargée de communication, non, elle avait l’air de la fameuse ménagère de moins de cinquante ans...
– Excusez-moi, elle nous dit, il fallait que j’emmène d’abord ma fille à sa danse.
Elle aurait pas eu sa fille à transporter elle venait en vélo, c’est sûr.
Elle aurait plutôt dû faire de la politique dans les pays scandinaves.
Franchement, nous autres parpaillots nous sommes un peu à l’étranger, parfois, chez nous.
Bon alors nous entrons et la séance commence.
Plusieurs speeches se succèdent puis c’est son tour.
Et la petite dame comme tout le monde devient ce qu’elle est aussi, une vraie politique.
J’ai pas dit politicienne.
Non, elle expose une orientation politique entièrement dépendante d’une vision claire et lucide de la réalité sociale.
Entièrement liée à une morale de l’intelligence.
Pour écrire cette phrase j’ai évité sciemment certains mots, certaines expressions :
J’ai évité éthique.
J’ai évité morale laïque, morale républicaine, morale citoyenne.
Ce sont des mots codés, on les emploie trop souvent comme on se mouche.
Ensuite Catherine est
repartie chercher sa fille.
Plus de quarante pour cent des Coréens s’appellent Kim, je ne risque donc rien à
employer ce pseudonyme pour dire du mal d’un collègue...
C’est que je ne l’apprécie pas trop !
Pourtant, certaines circonstances de ma vie m’ont porté à
nourrir pour les Coréens un a priori positif.
Pour lui, non ; mais il est vrai aussi que je connais
peu de pasteurs coréens qui me conviennent...
Nos histoires sont trop différentes.
Eux, ils représentent une force montante, dans leur pays.
En 1945 les protestants coréens étaient une poignée,
aujourd’hui ils sont omniprésents.
Ils ont appris du grand frère américain la religion de la
liberté politique et de la réussite économique.
Le protestantisme.
Une de ses formes en tout cas, et qui leur convient.
Avec beaucoup d’interdits, beaucoup de moralisme, beaucoup
de discipline.
Pas mal de chauvinisme, aussi, chez ceux qui vivent en
France.
Ils se sentent meilleurs que nous, parpaillots minuscules.
Bref, Kim est typique de cela, qui ne me revient pas trop.
Il y a aussi ce sens hiérarchique hérité de Confucius qui
passe mal chez moi.
Rien que de voir la façon dont ses ouailles se courbent
devant leur pasteur je me détourne.
Je me souviens qu’un jour j’ai dû l’engueuler.
Nous nous partagions les locaux d’une église parisienne,
qu’il fallait rénover.
Pas d’argent, il fallait le faire nous-mêmes, nous étions
ce jour-là trois Français pas trop jeunes à nous échiner pendant que la
jeunesse coréenne jouait au ping-pong.
Leur christianisme intense n’allait pas jusqu’au coup de
main.
L’embêtant était qu’il me fallait prendre Kim à partie en
anglais...
Cela ne m’a pas permis d’entrer dans les nuances.
Il était blême, j’avais honte.
Mais pourquoi aussi se promène-t-il toujours en petit
costume gris ?
Le Christ est-il mort sur la croix pour que Kim soit
correct sur soi ?
Pour qu’il cesse de fumer ?
Pour qu’il condamne les fautes liées au sexe et qu’il
encense l’argent ?
Enfin, ça aurait pu être pire.
Il aurait pu
refuser de trinquer avec nous.
Elle a eu son certif, Paulette, il y a bien longtemps.
À l’époque où l’on apprenait l’orthographe et le calcul, plus les affluents de la Loire à savoir par cœur.
Elle tenait une ferme avec son mari, pas une grande ni une petite, ce sont des coteaux, on ne peut y faire que de l’élevage, pratiquement.
C’est un pays de bocage.
Bien sûr qu’elle n’a
jamais appris l’anglais, même pas yes ou no.
Elle s’est mariée, elle a travaillé, elle a fait des enfants, elle les a élevés, elle a soigné son vieux mari.
Et puis le temps de la retraite est venu, et les Anglais aussi.
Ils font bien maintenant un quart de la population de notre petite commune.
Paulette est une élue, adjointe au maire.
Quand deux couples nouvellement installés, un anglais et un français, créent une association pour l’apprentissage mutuel des deux langues, elle y adhère.
La voilà à nouveau à l’école, à la fois enseignée et enseignante.
Parfois elle s’emmêle, elle confond ces deux rôles.
Elle rit alors comme une enfant.
Les Anglais ne comprennent pas pourquoi, ils rient avec elle, ils sont charmés.
Certains d’entre eux ont lu toute leur vie dans le Sun que les Français sont des gens impossibles.
Ils s’étonnent.
Paulette sait bien, elle, qu’elle ne parlera jamais l’anglais, d’ailleurs elle n’est pas vraiment là pour ça.
Elle est là pour les gens.
Sa commune est pour elle comme la grande salle de sa maison, on y accueille les gens avec un petit verre de Pineau.
On fait visiter, on promène les uns ou les autres par les chemins ombreux, on leur montre les vieux cimetières huguenots, les champignons de saison, les nuages annonciateurs de pluie, on leur raconte les mésaventures de tel ou tel habitant d’autrefois.
Parfois on fait la visite, plutôt le dimanche après-midi, c’est une vieille coutume rurale.
On s’habille pour passer voir les uns ou les autres.
Paulette entre chez Ken et Roberta, un couple d’Anglais âgés, trop vieux eux aussi pour apprendre la langue.
Ken est malade, Paulette vient aux nouvelles.
Les deux dames s’échangent quelque gâteau de leur pays, Roberta était cuisinière, elles se comprennent.
Comment ? c’est le
mystère de la bonté.
La première fois qu’il s’est adressé à moi, c’était pour m’engueuler.
Je n’étais à cette époque qu’un militant de la section PS de Mauguio, commune qui commençait à se transformer en banlieue de Montpellier.
Nous avions commis l’irréparable, lors de ces municipales : dégommer le vieux cacique SFIO qui y régnait depuis des lustres.
Opération "mains propres", pensions-nous, et faste, par conséquent, pour le parti.
Erreur : nous perdions la mairie, Frèche ne pouvait nous le pardonner, le nouvel élu était un adversaire.
Aurait-il été honnête (pourquoi pas ?) que n’empêche, il s’agissait d’une défaite.
Notons que la gauche est repassée aux municipales suivantes.
Entre temps, j’étais devenu à Montpellier l’animateur d’un ensemble culturel protestant basé dans ce bâtiment connu de tous et surnommé le 665.
Animation biblique, culte d’étudiants, école biblique, conférences, radio associative, mais aussi tout un ensemble d’activités et de clubs ressortissant d’habitude à la vocation des Maisons de Quartier municipales.
On ne m’engueulait plus.
Vient une nouvelle campagne électorale, et Frèche me demande un service, que j’accepte de lui rendre : organiser un dîner rassemblant quelques protestants montpelliérains d’influence.
C’est ce qu’on appelle une politique communautariste : il s’agit de soigner tour à tour Pieds-noirs, cathos, cyclistes, juifs, médecins… ou protestants.
Cela fait plusieurs années que nous travaillons pour la ville sans l’aide de la municipalité, je fais donc une lettre, quelques temps avant ce dîner, pour demander une subvention permettant l’embauche d’une animatrice.
Il a une grande culture, Frèche, mais il ignore peut-être ce verset : « Soyez simples comme la colombe, filous comme le serpent » (c’est moi qui traduis…).
Le soir du dîner, nous attendons M. le Maire.
Il entre, se dirige droit sur moi et me lance à voix haute, pensant me faire honte : « Monsieur le pasteur, vous l’avez, votre subvention ! »
J’ai donc pu embaucher.
Quand je l’ai connue elle était capitaine, en
effet, mais plus tard elle est passée major.
Dans l’Armée du Salut, les
noms des grades sont inspirés de ceux de l’armée anglaise, c’est un truc à
savoir.
Très brune, courte et
trapue, avec son accent provençal elle devait être nîmoise.
Tous les étés, de juillet à
septembre, elle dirigeait la colo de Paramé, près de Saint-Malo.
Quoique toujours souriante,
elle le faisait avec fermeté, garçons et filles nous étions un ramassis de
sales gosses.
Qu’elle aimait.
Nous étions mal lavés, mal
peignés, mal vêtus, mal embouchés, bon, mais aussi pleins d’inventivité.
C’est là que j’ai connu
Gilbert Kahn, un petit juif curieux de tout ; j’avais deux-trois ans de
plus que lui, on parlait, on parlait, on parlait.
À la plage, sous la tente,
au réfectoire, dans les douches.
On parlait de tout : ça
allait des mœurs des poux de sable à la traque qu’il avait connue, avec sa
petite sœur, quelques années plus tôt.
On se marrait bien, Gilbert
et moi, et on parlait.
C’était trop, même pour des
Parigots comme nous, et le mono, un Arménien velu, en a dit un mot à la
capitaine (ou la major).
C’est sûr qu’à son avis les
Alsaciens du groupe étaient moins bavards que nous en français, ou même en
dialecte.
Il aurait eu les filles de
l’orphelinat du Vigan, il aurait été moins surpris.
Mais c’était pas possible
qu’un mono ait les filles, je suis bête.
La capitaine (major) m’a
conseillé de moins parler avec Gilbert, il était trop jeune, ça aurait pu lui
faire beaucoup de mal dans sa tête.
C’était une femme simple.
Que nous aimions, craignions
et respections tous et toutes avec solennité.
Elle jouait avec nous, riait
avec nous, chantait avec nous.
On chantait beaucoup à
l’époque, mais là c’était surtout ces allègres chants religieux des salutistes.
Ou des vieilles chansons
françaises genre "Aux marches du palais" ou "Fleur d’épine".
Mais la major
(capitaine ?) savait aussi nous engueuler, et punir, nom d’un chien !
Mais sans jamais se fâcher.
N’empêche, j’ai continué de
parler beaucoup avec Gilbert.
Il était kabyle, blond aux yeux bleus, lyonnais, habituellement commis boucher de son état, et clandestin.
C’était pendant la guerre d’Algérie, il avait déserté.
Il n’était ni nationaliste, ni musulman pratiquant, simplement il ne voulait pas se battre contre les siens.
À cette époque, les Algériens étaient français, du moins quand il s’agissait du service militaire.
Lui c’était juste un brave type, genre bon camarade.
Il se cachait dans une Maison Familiale de Vacances protestante, à Sète.
J’y travaillais comme animateur, et mon beau-père en était le directeur, pour l’occuper il employait Saïd à quelques tâches d’entretien.
C’était tangent, car depuis longtemps, les policiers de la ville avaient coutume de venir là pour un petit match amical de volley.
À propos de Saïd, quelqu’un de notre équipe a eu un jour, sans le faire exprès, une remarque qui a fait froncer les sourcils au commissaire...
C’était un temps où l’on se méfiait.
Le lendemain, nous étions sur les routes avec Saïd.
Il fallait lui trouver une nouvelle cache.
C’était un samedi, notre périple prenait l’allure d’une tranquille promenade familiale, la DS était pleine de braves Français moyens qui allaient rendre visite à des cousins, ce genre de leurre.
Sur la banquette arrière, Saïd était coincé entre nous deux, Hélène et moi.
Très vite il a eu mal au cœur, la voiture, le stress, la chaleur.
De temps en temps mon beau-père arrêtait la voiture à proximité d’un établissement ami.
Les Dominicains de Montpellier, la léproserie proche de Pont-Saint-Esprit, etc...
Il allait se renseigner, proposer son protégé à l’hospitalité du lieu.
Il revenait sans résultat.
L’odeur de vomi régnait dans la voiture.
Le soir, nous étions de retour à Sète, Saïd malade, épuisé, tremblant.
Son histoire le dépassait, il s’étonnait : pourquoi fallait-il qu’on le persécute ainsi, lui qui n’était pas même quelqu’un ?
On a fini par le cacher dans une propriété de famille, une maison isolée, presque une ruine, dans la campagne drômoise.
Quelques années plus tard,
la guerre loin derrière, Saïd étant retourné à Lyon, nous avons appris qu’il
s’était mis à boire.
À cette époque, il m’arrivait de travailler pour la Télé scolaire.
J’avais par exemple animé une émission sur la Bible, avec une classe de CM1, un grand souvenir.
Mais cette fois-là, c’était sur le sentiment religieux, un sujet sulfureux pour des laïcistes.
Pas mieux pour un théologien de mon genre, de formation barthienne...
Karl Barth était un théologien suisse qui récusait le sentiment religieux, en effet, mais ce n’est pas le sujet.
La journaliste intérimaire qui m’interrogeait était brune et très mince.
Elle ne tenait pas en place, elle s’exclamait, elle s’esclaffait, elle se passionnait.
Même ma chemise, à fleurs beiges et vertes, l’enthousiasmait.
Semblait-il.
J’ai mis du temps à le comprendre, cette effervescence avait une autre origine que l’intérêt supposé de mes interventions.
Nous étions deux, champ contrechamp, sur le plateau.
Entre chaque prise, elle se levait et se précipitait dans le couloir.
Mon ami Patrice, qui m’avait entraîné dans cette histoire, me rejoignait, un petit sourire patient au coin des lèvres.
La maquilleuse, aussi, souriait.
Quelques minutes plus tard, la belle revenait, essoufflée, préoccupée, et mettait un petit temps avant de retrouver son sourire.
Un vrai sourire, d’ailleurs, elle était d’une nature accueillante.
J’étais à l’aise, avec elle, elle était une parfaite renvoyeuse de balles.
Nous avons donc bien travaillé, et de façon sympathique.
Quand ce fut terminé, elle s’est levée à nouveau, vibrante et pathétique, et s’est sauvée.
Je sortais pour aller boire un pot avec Patrice, je la vois au téléphone, dans le couloir.
Elle raccroche,
tremblante, éclatante de joie, à l’autre bout c’était TF1, elle était engagée
pour présenter la météo.
Il se faisait appeler Rafilipo (il ne faut pas prononcer le o final), ce qui signifie simplement Monsieur Philippe, lorsqu’il menait ses affaires commerciales au lieu de porter l’uniforme.
Car Philippe était soldat de 1ère classe, comme moi (j’étais monté en grade), à la Compagnie de Commandement et de Services de la Zone d’Outre-mer N°3 (CCS/ZOM3, j’insiste), basée à Tananarive.
Il était chauffeur de l’Aumônier protestant, et moi, on s’en souvient peut-être, secrétaire.
Il était devenu mon ami (sakaizako : et là, le o final se prononce "ou").
Cela se passait en 62, je finissais là mon service militaire, et lui, bien que malgache, s’était engagé dans l’armée française.
Il venait d’une famille de paysans sans terre du pays betsileo.
Il était illettré, entièrement chauve à la suite d’un empoisonnement, il riait comme un cheval, et l’on avait tendance à le prendre pour un simplet.
Erreur – d’ailleurs il était aimé des dames malgaches.
De plus il démontait, nettoyait et remontait un moteur comme s’il avait obtenu haut la main son BTS de mécanique auto.
Il avait cinq enfants et une épouse en fuite (elle se cachait, me confia-t-il un jour, pour échapper à des chpions, ce qui me laissa incertain de ce qu’il entendait par là, mais lui était sûr de me parler français).
Le jour de la solde, nous allions ensemble au marché pour acheter d’énormes sacs de riz cassé : un kilo par jour et par enfant, après ça il était tranquille, personne n’aurait faim au cours du mois, l’essentiel était fait il pouvait aviser.
Nous circulions en ville dans la deuche de service, n’ayant strictement rien d’autre à faire, et il m’apprenait par la pratique la vie des pauvres du pays.
Sa solde ne lui suffisant pas, il avait investi dans une compagnie de taxi-brousse qui comprenait en tout et pour tout un véhicule sur cales.
Il manquait les pneus, il fallut en chercher cinq à faire rechaper, ce qui se pratiquait au couteau sur des pneus presque lisses.
Nous étions amis, j’investis moi aussi dans l’affaire.
Il m’enseignait le malgache, celui des rues, des rizières et des casernes, impropre à la prédication mais apte à faire sourire les demoiselles (voire rougir).
Moi je lui servais de traducteur quand il parlait français, car alors j’étais le seul à le comprendre (les officiers s’étaient habitués à ce truchement).
Un jour, bien sûr, j’ai quitté l’île, et quarante-cinq ans plus tard, je l’assure, la joie de Philippe me manque.
À la voir, on aurait dit qu’il s’agissait d’un surnom, tant elle était vive et active, mais non, c’était bien son nom de famille, elle s’appelait Sampaix.
Elle ressemblait à Olive, la dulcinée de Popeye, mais en plus vieille, en tout cas pour moi qui n’avais que six-sept ans.
Elle montait nos quatre étages, faisait à chacun les quatre bises réglementaires, et se mettait à l’œuvre avec ma grand’mère, transformant en deux coups de cuiller à pot la salle à manger en atelier.
Parfois, son jules venait la chercher le soir, une armoire à glace en tricot de matelot à rayures, une gueule de boxeur, de grands bras ballants, et timide comme une pucelle.
Elles étaient blanchisseuses toutes les deux, ma grand’mère la patronne et Sampaix l’ouvrière – en réalité deux vieilles amies d’enfance.
D’abord élèves appliquées de mon arrière-grand’mère, puis travaillant à la boutique, l’Occupation régnant elles s’étaient installées à la maison.
C’est-à-dire dans le petit deux-pièces-cuisine où nous vivions à cinq.
Au jour dit, les clients, souvent des messieurs célibataires ou veufs que ma grand’mère accueillait cérémonieusement, apportaient leur linge, qui était trié et serré en grands ballots.
Puis l’une ou l’autre des deux femmes prenait le chemin du lavoir, un peu plus bas dans notre rue, lourdement chargée.
Pour un enfant c’était un lieu magique, ce lavoir, mais si l’on veut comprendre ce qu’il était pour la centaine de femmes qui y battaient le linge devant le canal d’eau courante, chacune dans son tonneau coupé, le mieux est de se reporter au début de ce roman de Zola, l’Assommoir.
Le jeudi, Sampaix m’y emmenait, je pouvais alors admirer longuement sa belle voix rocailleuse, lorsqu’elle poussait sa goualante avec les autres femmes, à la façon des Damia ou des Fréhel (Du gris, qu’on roule entre ses doigts…).
Ce sont les femmes que je trouve admirables, celles qui ont la vigueur, la santé, l’allégresse, la bonté de Sampaix.
Cette nuit-là, je revenais d’une longue soirée à sujet biblique que j’avais animée à Montargis.
Deux heures de route jusqu’au collège de Savigny-sur-Orge dont ma femme était la principale.
Les vitres ouvertes, je chantais du Gospel à tue-tête pour ne pas m’endormir au volant.
Cela m’avait mis dans un état particulier, je me sentais à la fois habité, net, et tout habillé de nuit.
Il y avait du monde à la maison, malgré l’heure tardive.
Au collège, Jean-Pierre Pagliano, un prof de français cinéphile, avait organisé une soirée cinéma autour de L’enfance nue, et invité Maurice Pialat à y participer.
Ils étaient là tous deux, avec Hélène, à boire un verre avant de regagner Paris.
J’étais surpris, je me suis assis, j’ai peu parlé, je n’étais pas dans le coup, j’étais présent et j’étais ailleurs.
– Mon mari est pasteur, a expliqué Hélène, et cela devait sans doute suffire.
Pialat ne me quittait pas des yeux.
Plus tard, j’ai pensé qu’il avait vu en moi une icône, celle de l’inatteignable étrangeté de l’homme de Dieu.
Une image très littéraire, les pasteurs à la Gide, les prêtres à la Bernanos, entre désir intense et sainteté.
J’étais mince, à cette époque, un grand type au regard apaisé.
Bref, il y avait erreur, c’était juste un moment, j’allais sous peu me retrouver rigolard.
En partant, il est passé
devant moi dans le couloir, il m’a jeté un regard suppliant.
Elle accompagnait son copain, c’était à un mariage.
Lui, il était son copain sans l’être, ils se voyaient de temps en temps, sans aucun engagement, elle l’accompagnait, c’est tout, il n’allait pas y venir seul.
Ils ne pouvaient pas vivre ensemble, d’ailleurs, elle était un peu spéciale, disait-il, pas facile à vivre, elle avait par exemple un furet comme animal de compagnie.
ça mord.
Elle avait passé la trentaine, elle avait été adoptée à quatre ans par un couple d’ouvriers chtimis, elle venait de Corée.
Elle et son copain s’étaient rencontrés à cause de cette histoire commune, lui était arrivé de là-bas à six ans.
Elle était flic.
Simple flic habituée aux longues tournées à deux ou trois dans les halls de gare ou les stations de métro.
Rodée aux saloperies de la rue, attentive à toutes les situations.
Pour ce mariage elle avait mis sa petite robe toute simple, en cotonnade à petites fleurs, elle avait lissé sa maigre queue de cheval et enfilé ses bottes en vinyle.
Elle avait retrouvé son copain à la mairie du XVIIIe, un bouquet à la main qu’elle avait tendu brusquement sans autres à la mariée, l’air sérieux derrière ses petites lunettes.
Depuis, droite et mince, elle restait un peu à l’écart, ce n’était pas sa famille.
Plus tard, lors de la soirée passée dans un bistrot ami des mariés, elle était restée longtemps assise, seule, silencieuse et pourtant présente, un verre de jus de fruits devant elle.
Son copain retrouvait les siens.
Et puis elle s’est levée pour danser.
Elle restait sur le bord de la piste et se balançait tranquillement, les bras ballants, sautillant parfois un peu, mais toujours sérieuse.
Elle était avec elle, en paix, émouvante, et l’on se demandait d’où lui venait, si évident pourtant, le charme solitaire de sa présence.
Cela se passait dans un pays d’Afrique aux nombreuses forêts, près d’un gros village, dans un agreste centre de rencontres.
J’y participais à une réunion de responsables d’Églises protestantes.
Le pasteur du village y était invité, d’ailleurs c’est lui qui avait rassemblé les quelques dames qui s’occupaient de la cuisine et du ménage.
De dignes matrones aux boubous colorés.
La cuisine était située à l’écart, sous un grand auvent, près d’une pile de rondins alimentée par des gamins.
C’était l’endroit que je préférais, plein de grands rires, de plaisanteries et de sages remarques.
Les dames aimaient bien leur pasteur, un vieux bonhomme maigrichon, un peu chauve, au regard bienveillant.
Je ne pense pas, pour l’avoir écouté prêcher, qu’il brillait à leurs yeux par sa théologie.
Il avait d’autres qualités, en premier lieu la bonté et la simplicité.
Je me souviens qu’il avait prié pour mon œsophage, bizarrement, alors que j’étais couché pour un mal d’estomac.
Mais aussi, contre tous les clichés – le vieux sage africain gentil mais plutôt dénué de sens pratique –, il était efficace.
C’était un savant traditionnel et un organisateur, à la façon des physiologistes de notre XVIIIe siècle.
Il connaissait les simples, ces plantes médicinales connues de la pharmacopée indigène depuis des siècles, peut-être des millénaires.
Elles sont innombrables dans ce pays, mais tombent dans l’oubli, abandonnées au profit des produits de nos laboratoires industriels.
Qui ne soignent pas mieux bien des affections courantes.
Et coûtent cher, bien trop cher pour les bourses des villageois et, à tout dire, pour l’Afrique en général.
Le vieux avait enseigné aux femmes comment reconnaître les simples.
Il les avait organisées en ateliers de ramassage, de tri, de séchage, de mise en sachets.
Elles les vendaient sur les marchés des environs, dans les villages et dans les villes.
Elles fournissaient aussi un réseau de boutiques de quartier.
Chaque sachet comprenait un petit texte imprimé expliquant en termes simples l’utilité et l’usage des feuilles qu’ils contenait.
Les femmes étaient contentes, elles étaient ensemble, elles gagnaient en savoir, elles avaient du travail, elles ramenaient un peu d’argent à la maison.
Le nom du village est Mbo.
Olivier Assayas tournait une ou deux scènes du film Les
destinées sentimentales dans l’église luthérienne de la rue Titon, à Paris.
J’étais alors le pasteur de
cette paroisse et il nous avait demandé notre concours, à Hélène et à moi.
Hélène, on s’en souvient
peut-être, est mon épouse bien-aimée.
Cela était censé se passer
dans la chapelle des Diaconesses de Reuilly, une novice y prononçait ses vœux, sa mère étant dans
l’assistance.
Notre boulot consistait à
apprendre des cantiques protestants de l’époque aux figurants, en particulier
aux dames costumées en diaconesses.
Celles-ci étaient tellement
vraies, dans leurs pieux habits, qu’on pouvait se demander pourquoi elles
ignoraient les cantiques.
Hélène était au piano, et je
faisais chanter.
Il s’agissait de chants
ardemment revivalistes.
Isabelle Huppert y
participait, elle aussi devait chanter, en bonne protestante dont la fille
s’engageait pour la vie.
Ces répétitions prenaient
lieu entre les prises d’une scène très simple : un homme entrait dans la
chapelle, au fond, et une femme placée dans les premiers rangs se retournait
pour le voir, puis il ressortait et la porte claquait.
Cette scène, elle a bien dû
être tournée vingt fois, Assayas est un perfectionniste.
Isabelle Huppert
s’installait à sa place, jouait la scène, puis allait s’asseoir sur une petite
chaise de coin et assistait à la répétition des cantiques.
Les techniciens changeaient
une ampoule, déplaçaient un écran toilé de dix centimètres, vérifiaient un
micro, procédaient à quelques nouveaux essais.
Chacun se remettait en place
et la scène était tournée à nouveau.
Huppert jouait le rôle d’une
femme amère et renfermée.
Avec tout le temps
nécessaire aux diverses installations, il a fallu une journée pour cette simple
scène.
Pendant tout ce temps,
l’actrice est restée amère et renfermée, totalement concentrée, une femme
flouée par son incapacité à comprendre et assumer son destin.
De temps en temps, Victor
Garrivier, qui jouait le rôle du pasteur, se baladait dans la rue revêtu de ma
robe, histoire de se faire au personnage.
Charles Berling, réfugié
dans la sacristie, plaisantait avec l’un ou l’autre des techniciens.
À la fin de la journée, tout
le monde était claqué, l’assemblée des figurants connaissait les cantiques, et
Isabelle Huppert était assise sur sa chaise, concentrée – amère et renfermée.
Assayas conférait avec les
responsables de la technique.
C’était ce temps de vacuité
qui survient à un moment ou à un autre.
On avait besoin d’une respiration,
j’ai proposé aux figurants de passer le temps en chantant un gospel, les gens
étant enchantés par l’idée, on s’est fait un When The Saints Go Marching In bien
enlevé, je faisais le soliste, les autres le rif.
Isabelle Huppert écoutait,
concentrée – amère et renfermée.
À la fin, je suis passé
devant sa chaise pour sortir, elle m’a fait un sourire.
Elle a dû s’en vouloir...
Ce n’est pas la visite d’un ange, mais d’un homme, tout simplement.
Il est assis dans la cuisine, il sourit.
Il dit que son contrat s’est terminé il y a quelques temps déjà, qu’il est au chômage, qu’il a changé de voiture grâce à ses indemnités.
Une voiture qui roule enfin, ce n’est pas du luxe.
Il cherche ici ou là des heures de boulot, n’importe quoi, il est adroit de ses mains, il le dit comme quelqu’un qui ne se vante pas, qui dit les choses.
Sa femme l’avait quitté à cause d’une longue période chômée d’avant ce contrat, elle est revenue, et maintenant elle cherche des ménages.
Peut-être qu’elle va rester.
Il sourit, ce n’est pas un parleur.
Il porte en lui une résignation qui rappelle des temps lointains, ces temps où n’avaient encore existé, ni le droit social, ni les années de croissance, ni l’école jusqu’à des seize ou des dix-huit ans, des temps où ses pareils se louaient, à la journée ou à la saison.
Cet hiver il n’a pas trop chassé.
Il ne fait plus son jardin.
Non qu’il manque de courage, mais la période ne s’y prête pas, il a la tête ailleurs, à chercher des heures, à calculer, à faire des démarches.
Il est patient, il peut rester assis longtemps à attendre qu’on appelle son nom, dans les bureaux.
Il ne râle pas, il ne mendie pas, il offre ses mains habiles et lentes, et sa connaissance minutieuse des choses.
Mais sa dignité, sa patience, sa timidité souriante d’homme des hameaux, tout cela ne vaut rien contre ce qui est mémorisé dans les ordinateurs, et dont il n’a pas vraiment conscience.
La seule certitude qu’il partage avec ces machines savantes, c’est qu’il y a toujours eu des pauvres, qu’il y en aura toujours, et qu’il en fait partie.
De naissance.
Le Christ disait aussi qu’il y aurait toujours des pauvres, et je crois que c’était sur fond de colère.
Elle était enseignante, dans son pays, Madagascar, au service des écoles protestantes de la Fiangonan'i Jesoa Kristy eto Madagasikara.
(ça veut dire "Église de Jésus Christ à Madagascar", je suis toujours un peu fier de mon malgache, pourtant bien oublié, c’est une langue que j’aime, parlée par un peuple que j’aime.)
Elle habitait une maison de latérite coincée dans un village encerclé de rizières, pas loin de Tana.
Un mari malade à la maison, de grands enfants sans travail, son tout petit salaire ne suffisait pas à faire vivre tout ce monde.
Mais on lui a proposé de l’avancement, responsable de la formation, cela supposait un long stage de deux ans andafy ("outre-mer"… c’est-à-dire en France).
Là voilà donc à Paris, toute menue, avec son chignon bien serré sous une raie impeccable, et son lamba, cette large écharpe blanche traditionnelle des dames malgaches, sur l’épaule.
Et sa dent d’or, d’autant plus visible qu’elle règne quasiment seule dans sa bouche.
Dans ce foyer qui complète les étages de bureaux de l’ONG protestante, boulevard Arago, Aimée devient vite une vedette.
Son charme discret, son sourire, sa vivacité d’esprit, sa poésie.
À chaque occasion de la vie collective ou sociale, elle écrit et récite de vibrants poèmes.
Le monde d’Aimée est fait d’amitié, de foi, d’espérance, malgré tous les démentis apportés par la réalité.
Dans son pays, une lutte intense oppose tout un peuple au dictateur tapi derrière ses gardes nord-coréens.
À Paris, Aimée chante la liberté à venir.
Elle étudie et les deux ans se passent, elle va rentrer à la maison.
Elle est formée pour exercer sa nouvelle responsabilité, on l’attend là-bas.
Dès son arrivée elle est licenciée.
Le patron des écoles protestantes craint qu’une adjointe aussi compétente ne le supplante.
À pauvre, pauvre et
demi.
Je reviens sur ma visite à l’Élysée.
Mon rôle consistait simplement à véhiculer mes collègues polynésiens jusqu’au portail.
Je devais les attendre là pour les emmener ensuite au siège de la Fédération protestante.
J’arrête la voiture devant l’entrée du palais présidentiel et un colonel de la Garde républicaine en grand uniforme se penche à la portière pour me dire de ne pas rester là.
– J’amène trois visiteurs pour le Président, que je lui dis.
– Ah bon, qu’il me fait, alors qu’ils viennent au poste de police aux fins de vérification, et vous, entrez la voiture dans la cour, le parking des visiteurs est au fond à gauche.
Il me prend pour le chauffeur... que je suis effectivement.
J’entre la voiture, la gare au fond à gauche et reviens à pied dans l’intention de sortir et d’aller boire une bière.
Je croise mes trois amis accompagnés d’un autre colonel (ou assimilé).
– Qui êtes-vous ? me demande-t-il.
– C’est le pasteur Alexandre, lui dit Ihoraï.
– Ah bon, alors venez avec nous !
Je les suis jusqu’au perron de l’Élysée, que je gravis avec eux.
Je m’attends à rester dans le hall d’entrée avec ces huissiers à chaîne qui nous reçoivent avec urbanité.
L’un d’eux, lisant la fiche que lui tend le colonel, n’y trouvant pas mon nom me demande qui je suis.
– C’est le pasteur Alexandre, lui fait le digne militaire avant que j’aie eu le temps de me présenter.
– Ah bon, répond l’huissier qui se tourne vers moi : alors montez par là vous aussi.
Nous montons et sommes reçus au premier étage par un jeune homme bien mis qui se présente comme étant le secrétaire de Monsieur le Président de la République.
Il nous conduit jusqu’à un salon assez confortable et nous propose de nous asseoir et d’accepter une tasse de café.
Il nous précise alors que seul Monsieur le Président de l’Église Évangélique de Polynésie Française sera autorisé à rencontrer Monsieur le Président de la République.
Nous attendons, soutenant l’ami Ihoraï de notre prière, il en a besoin car il a le trac.
Chirac arrive en coup de vent, on lui présente Ihoraï, il lui serre la main en vitesse et l’entraîne vers son bureau.
Une minute après, il revient :
– J’apprends que Monsieur le pasteur Ihoraï est accompagné, je vous en prie, entrez le rejoindre !
Le secrétaire introduit les autres dans le haut-lieu, et voyant que je ne bouge pas, il revient et me fait signe d’accélérer.
Je suis étonné, je lui demande s’il ne fait pas erreur, je ne suis pas membre de la délégation, mais il me fait entrer avec nervosité, on dirait qu’il y joue sa place, le pauvre garçon.
J’entre donc dans le bureau présidentiel sans l’avoir fait exprès, sans y avoir été autorisé, ayant passé comme une fleur tous les contrôles sans même sortir ma carte d’identité.
Coup de chance pour Chirac,
je ne suis pas un terroriste.
Une douzaine de pasteurs mossi avaient lancé une mission de type pentecôtiste qui s’était développée au point de devenir l’Église de la Mission Apostolique.
C’était des missionnaires aux pieds nus, peu formés mais intrépides.
J’ai raconté l’histoire de l’un d’eux dans un récit intitulé "Mon village a changé" *.
Ils s’installaient dans les villages animistes ou musulmans et y fondaient des communautés intensément évangéliques.
Avec eux, on se serait dit dans le livre des Actes des Apôtres.
Cette année-là, ils avaient organisé pour la première fois une convention nationale, qui réunissait plusieurs milliers de personnes de tous âges et de toutes conditions.
De nombreuses ethnies y étaient représentées : Mossi, Gourmantché, Bissa, Samo, Marka, Bobo, etc...
Ils nous avaient invités, trois pasteurs français, car leur indépendance revendiquée à l’égard des missions mères américaines les isolait par trop.
Ce dimanche-là, nous devions aller prêcher chacun dans une église villageoise.
Le jour venu, un pasteur m’a donc emmené dans son village.
Nous avons parlé en roulant, il se plaignait d’être très fatigué : « Tous viennent me voir pour que je les guérisse, et je guéris, je guéris, je guéris ! »
Il guérissait par la prière.
Je me souviens aussi que sa R12 avait l’avantage d’être très ventilée car la tôle du sol y était presque inexistante.
L’inconvénient était la poussière rouge qui en jaillissait et nous étouffait.
Il devait faire dans les 50° et l’air était si sec que ma sueur était bue dès la sortie des pores.
L’église du village était un quadrilatère de terre tassée entouré d’une haie de branches entrelacées.
Le pasteur en était assez satisfait car les villageois non-croyants étaient obligés d’entendre ce qui s’y disait.
L’assistance était déjà assise à même la poussière, elle se composait d’une centaine de personnes, maigres et noueuses, vêtues de loques rougeâtres.
Il y eut beaucoup de chants en langue mooré, puis je dus parler.
Après que je me sois tu, une vieille femme décharnée, tout édentée, assise au dernier rang, s’est levée.
Elle m’a adressé sur un rythme haletant une longue harangue que l’on m’a traduite.
Quand tu
retourneras chez tes frères,
dis-leur de
ne pas regarder à leurs belles maisons.
Dis-leur de
ne pas regarder à leurs belles voitures.
Dis-leur de
ne pas regarder à leurs beaux habits.
Dis-leur de
ne pas regarder à leurs beaux frigos.
Dis-leur de
ne pas regarder à leurs beaux bijoux.
Dis-leur de
ne pas regarder à leurs beaux avions.
Mais qu’ils
regardent à Golgotha.
C’était un message de
Sissongo, l’Esprit saint.
* "Mon village a
changé", histoire pour enfants, dessins de Denis Talleu, Paris,
Service protestant de
mission, 40 pages, 1998. On peut en trouver le texte sur ce
site à la page Village.
Il est mort en 1945, j’avais huit ans, et je lui parle encore.
Lorsque je ne comprends plus le monde qui m’entoure, je fais l’effort de le lui raconter, cela m’éclaircit les idées.
Cela me ramène à l’essentiel, la vie des simples gens.
Mon grand-père était charretier, il livrait du charbon chez les gens, dans Paris, il descendait les sacs de 50 kg dans les caves.
C’est lui qui m’a élevé pendant la guerre, il était déjà à la retraite.
Je le revois, assis sur son tabouret, dépliant son couteau pour tailler une semelle pour mes souliers, je revois l’humour de son sourire, j’entends ses répliques bien frappées.
Il avait quitté l’école à neuf ans, mais lorsque je rentrais de l’école il me faisait faire mes devoirs.
Le problème, la récitation, la conjugaison, pas de quartier.
Les gamins de notre immeuble ouvrier y passaient tout comme moi.
Il avait beaucoup lu, tous les soirs, une fois décrassé, ses mots-croisés terminés.
Victor Hugo, Emile Zola, Romain Rolland, Jules Vallès, Alphonse Daudet, Roger Martin du Gard, Benjamin Tillier, Jules Verne...
C’était un homme doux aux principes sévères, se conformant, et nous conformant sans discussion, à la vieille morale prolétarienne.
Rectitude et solidarité.
Ni l’extrême pauvreté de son enfance et de sa jeunesse, ni la cruauté de ses années de guerre, ne l’avaient sali.
Il m’en transmettait néanmoins les leçons.
Ses parents étaient anarchistes, ils avaient connu la Commune, légende fondatrice de mon enfance à côté de la Bible.
Lui n’était pas croyant, plutôt communiste mais sans allégeance, il acceptait pourtant ses devoirs à l’égard des protestants.
Ils avaient fait le bien aux siens, ils avaient un droit sur ses petits.
J’allai donc au temple le dimanche matin, à la suite de ma mère.
Mais l’après-midi, mon grand-père m’emmenait faire un tour aux Puces de Montreuil, main dans la main, et si j’avais bien travaillé, je revenais avec un sucre d’orge.
Il aimait rire, raison pour laquelle je n’ai jamais manqué le cirque Amar, installé Porte-Montreuil à la saison, à cause des clowns.
Il aimait chanter – de Jean-Baptiste Clément à Aristide Bruant, bien sûr, mais aussi les goualantes de Fréhel ou Damia, ces chanteuses curieusement dites réalistes.
Il aimait le cinéma, surtout les films comiques, Charlot, Buster Keaton (l’homme-qui-ne-rit-jamais), Harold Lloyd et ses acrobaties, mais aussi les Adémaï de Noël Noël, à qui il ressemblait, ou les grosses ficelles de Bach (le comique de l’époque, non le musicien allemand) – sans oublier les Marseillais, Raimu, Fernandel et les autres.
Il aimait les mots, il jouait avec eux, en parleur rare et précis, liant toujours le sourire à la gravité.
Par lui, je me suis trouvé au bénéfice de cette culture du geste, du rire et de la maxime.
Et la longue mémoire des pauvres, celle qui vous défend des pilleurs d’âme, a nourri mon enfance.
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1er
décembre 2006 Joël
en chemise
8
décembre 2006 Violeta la battante
15 décembre 2006 M. le président Philibert Tsiranana
22
décembre 2006 Frau Mayer âgée
16 mai
2007 Ahmed
le fellagha
23 mai
2007 Les chevilles de Danielle Mitterrand
30 mai
2007 Chopineau et sa chapka
6 juin
2007 La
grand’mère et la neige
29
décembre 2006 Patrice de la Tour du Pin
5
janvier 2007 La
terrible Lélou
12
janvier Les
tournées de Monsieur Ch***
19
janvier Ségolène Royal intimidée
26
janvier Patrice au téléphone
2
février L’ombrelle
de Madame Paris
9
février Roland Barthes, un protestant sans frères
16
février Chère Docteur Amélie
23
février Mon frère Jean-Blaise
2 mars Han Suyin endormie
9 mars Jean Casalis sur le toit
14 mars La
prof principale
21 mars Charles Duits dans la porte
28 mars Sœur
Robert in memoriam
4 avril Elie
parle aux toros
11 avril Les
yeux de Sylvie Germain
18 avril Le
règne de Chasse-Mégot
25 avril Régine et la vocation d’Esaïe
2 mai
2007 Chirac président
9 mai Carole c’est la tendresse
13 juin L’artiste Simon
20 juin Les larmes d’Odette Laure
27 juin Franck
et son fer à souder
4
juillet Les
repas de Madame Guirao
11
juillet Eyadéma nous invite
18
juillet La brigadier-chef bidouille
25
juillet Dimitri
de chez Fiodor
1er août Catherine Trautmann maman
8 août Le pasteur Kim
15 août Paulette apprend l’anglais
22
août Georges Frèche en
campagne
29 août La
capitaine Marti
5
septembre Il fallait cacher Saïd
12
septembre Catherine Laborde est engagée
19
septembre Sakaizako
Rafilipo
26
septembre On l’appelait Sampaix
3
octobre Maurice Pialat chez ma femme
10
octobre Valérie qui danse
17
octobre Le
pasteur aux simples
24
octobre Huppert concentrée
31
octobre Gabriel
est passé nous voir
7
novembre Aimée à la dent d’or
14
novembre Chirac tout au bout
21
novembre La vieille au fond
28
novembre 2007 Le
père Gehant
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