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Les sept paroles du Christ sur la croix
Poème de Jean Alexandre
Ce
sont sept poèmes de sept strophes de sept vers de sept syllabes.
Ils
sont inspirés de la collection traditionnelle des sept dernières
paroles
prononcées par le Christ sur la croix, selon les évangiles.
S’ils
sont parfois abrupts c’est qu’ils se rapprochent du rap dans
leur
ton et leur rythme.
Pour aller à l’un de ces poèmes,
cliquer sur le numéro correspondant :
1 Père,
pardonne-leur
2 Tu
seras avec moi dans le paradis
3 Femme,
voici ton fils
4 À
quoi m’as-tu abandonné ?
5 J’ai soif
6 Tout est accompli
7 Entre
tes mains je remets mon esprit
Père, pardonne-leur
car ils ne savent pas ce qu’ils font *
voilà – voilà – c’est le cri –
« pardon » – première parole
–
à peine ses mains meurtries
la voilà – parole folle
pieds percés – des mots sans prix
qui le traversent – qui volent
vers le Père et qui l’appellent
il a dit « ce n’est pas moi
qui compte – et ma vie est-elle
à vif enclouée au bois
je la veux encore belle –
pantelante sur la croix
– je te dis – je suis fidèle
Père à tes pensées – pardonne
et comment le saurait-on
si la chose faite est bonne
quand on est homme – mais non
ils ne savent ni ne donnent
sens à rien – ni où ils vont –
homme ou femme ils ne raisonnent
pas – au nom d’aucun amour
vois-le – faible et tout petit
qui tremble – un regard autour
de lui – l’esclave abruti
qui me dévisage pour
me haïr – tous sont ainsi –
aucun n’a vu dans ce jour
venir la fin du servage
mon amour est un combat –
pardonne – oui – est-il sage
ou fou de mourir – si bas –
faiblement – sans l’avantage
de maudire qui te bat –
sans le battre et sans dommage –
mais pardonne – et peu importe
ils ne savent ce qu’ils font –
c’est le néant qui les porte
à peine ils naissent – du fond
de leur histoire – ils en sortent –
ils ne savent ce que sont
ni le temps qui les emporte
ni leur dieu – ni leur bonheur »
il a dit cela mon Dieu –
il l’a dit – voilà – c’est l’heure
où s’en va tourner le vieux
monde – un passé de malheur
en belle aventure – ou mieux –
survenant comme un voleur –
il est roi – pardonne-leur
* Luc 23,34
En vérité, je te le dis : aujourd’hui,
avec moi tu seras dans le paradis *
il sera en paradis –
je le vois – un jardin clair
enclos en son odeur – dis
qu’il est fait d’eau et que l’air
y est pur – et les bandits
enfin reposés – la guerre
terminée en paradis
où lui sera tu seras
toi aussi – la sécheresse
dure de ta bouche aura
disparu – ta pécheresse
bouche ne nous mentira
plus jamais car – il te laisse –
c’est en paix que tu seras
ce sera lui – aussi toi –
son paradis fait de fleurs
odorantes est fait pour toi
et pour lui – et toi voleur
et lui sont un – lui ton roi –
et c’est ainsi que tu meurs
avec lui – lui avec toi
tu n’as pas eu peur du sang
versé par toi – ta violence –
vols et viols et dols – et sans
un sentiment – ta souffrance
tuait – et voilà – naissant
tu pars avec lui – l’offense
sur tes mains rougies de sang
ses mains rougies et son nom
gravé – et son souffle court –
et ce jardin qu’ils verront –
qu’il voit – et l’étrange amour
porté à celui-là – non –
de son côté meurtri sourd
un sang qui n’a pas de nom
folie – je dis folie – et
folie toujours – je dis qu’il
n’est plus temps de s’appuyer
sur l’épaule accrochée – vil
faible amour apitoyé –
qu’ils meurent – ainsi malhabiles
à mourir avilis – et
pourquoi le cher paradis
serait donné – nul en somme –
quand les anges qu’on m’a dits
l’espèrent encore – comme
ceux-là – béni ou maudit
j’aimerais suivre cet homme –
il sera en paradis
* Luc 23,43
Femme, voici ton fils
– Voici ta mère *
il lui dit donc qu’elle est femme
non sa mère sur le bois –
est-il dur ou bien son âme
a pitié de son amour
à elle – avant cette lame
qui la tuerait il l’entoure
d’un autre amour – autour d’elle
car c’est elle ainsi qu’il aime –
elle son corps à lui – vois
comme il part – en laissant même
un avis de non retour –
et pourtant comme un emblème
d’amour – enfin – d’amour pour
elle aussi pur qu’une flamme
ainsi la voici ta mère –
toi cet autre qu’il envoie
vers un avenir de verre –
aussi cassant aussi lourd –
où le danger sera l’air
qui vibrera tout autour
de toi – dis non – désespère
voilà – voilà son histoire
transmise – une femme – toi
ou moi avons cet espoir
en nous – voulant pour toujours
garder le souvenir – voir
sauvegardés d’anciens jours –
on n’a pas seul ce pouvoir
mais sa chair il l’abandonne
lui – sa mère il la renvoie
chez un autre – il la lui donne –
son ami – pour qu’à son tour
il soit d’elle enfanté – sonne
en moi – là – résonne sourd
le son de ta voix – pardonne
ma mère – à jamais je n’ose
au loin t’envoyer – pourquoi
son ami – devant la chose
qu’il allait devenir – sourd
à son propre cœur – dit « pose
ta main sur moi – ton secours –
ton recours – mère – dispose »
il mourait – en son voyage
il démêlait sur la croix
ce mélange de messages –
au travers – dans les pourtours
de la douleur – une image
le visitait – il est court
le temps d’un dernier visage
* Jean 19,26-27
Toi mon Dieu, toi mon Dieu,
à quoi m’as-tu abandonné *
car c’est un cri de détresse
sans espoir – un roi se dresse
et la mort la peur le pressent
c’est ainsi qu’il parle à Dieu
psaume numéro vingt-deux
seul avili malheureux
– mais à quoi m’as-tu livré
car ce n’est pas un pourquoi
il crie bien mon Dieu c’est toi
ce qu’il dit c’est bien sa foi
ce n’est pas un cri de doute
il est sûr que Dieu l’écoute
aucun mais ne s’y ajoute
– mais à quoi m’as-tu livré
car alors il est sans force
son poids déchire son torse
son souffle en râle s’efforce
alors que doit-il prouver
que lui faudrait-il trouver
lui faudrait-il approuver
– mais à quoi m’as-tu livré
car en cet instant maudit
meurt ce qu’il a fait et dit
et les seuls mots qu’il brandit
« j’ai mal j’ai honte et j’ai peur
vois je suis nu et je meurs
sans excuse et sans honneur »
– mais à quoi m’as-tu livré
car il a peur – en sueur
devant l’inconnu – la peur
d’un monde où grouille l’horreur
peut-être aussi du néant
où Dieu n’est pas – est absent
non c’est l’enfer qui l’attend
– mais à quoi m’as-tu livré
« car de ta part est-ce un jeu
où tu prouves que tu peux
me lâcher quand tu le veux
suis-je donné à la mort
pour savoir lequel en sort
d’elle ou de moi le plus fort »
– mais à quoi m’as-tu livré
car il n’est qu’un homme vil
accroché là immobile
sans aveu et sans asile
sans rien pouvoir – démuni
oublié rayé banni
à mourir et c’est fini
– mais à quoi m’as-tu livré
* Marc 15,34
tout était donc accompli
aucun blanc aucun oubli
restait une vérité
pourtant – la réalité
on ne meurt pas en verset
on ne cite pas on sait
qu’on s’en va que c’est fini
cessez ce jeu infini
des mots ressassés partout
il avait soif et c’est tout
il l’a dit en gémissant
desséché la bouche en sang
ce n’est pas miracle si
tel vieux mort l’a dit aussi
la victime toujours crie
« j’ai soif » sur le bois et
prie
pour de l’eau de l’eau un peu
oh non ce n’est pas un jeu
il mourait il ne voulait
ne mendier qu’un doigt de lait
qu’adoucir ce dur moment
« j’ai mal j’ai peur viens maman
viens j’ai soif » et puis plus rien
il est mort et deux vauriens
l’ont vu s’en aller ainsi
ils avaient soif eux aussi
l’Évangile a oublié
qu’eux aussi l’avaient crié
l’Écriture il l’accomplit
quand il meurt quand il supplie
ce fut ainsi de tout temps
l’être humain depuis longtemps
– les prophètes l’ont écrit
ils l’ont su l’ont vu l’ont dit –
aime voir souffrir et tue
celui-là n’est qu’un fétu
un épi dans la moisson
des assassinés – façon
simple et vraie d’être un humain
dans la foule en voici un
fils de l’homme et fils de Dieu
c’est tout un et tous le sont
la voilà la vraie leçon
frissons de peur ou frissons
d’horreur – là j’ai mal je hais
ce moment où apparaît
qu’il est mort sans avoir bu
qu’il ne fut que le rebut
où tout l’humain s’accomplit
* Jean 19,28
et voici toute l’histoire
il a demandé à boire
il a sucé le vinaigre
il est mort avec la pègre
rien de plus facile à croire
il achève ainsi sa route
que faut-il qu’on y ajoute
c’est fini – que gémit-il
sinon qu’il est inutile
que son temps d’alors s’allonge
vient le néant – il y plonge
voilà – c’est son évangile
ou bien – c’est l’espèce humaine
qui aboutit – qu’il amène
à son comble à sa finale
qu’il amène à son total
achèvement – c’est le dire
de Dieu dirait-il – maudire
ou bien bénir – bien ou mal
pour finir – la fin du monde
par avance – fin immonde
tenez dit l’évangéliste
relisez – et le psalmiste
avec lui dit que c’est chose
dont leur peuple a dit les causes
ils revoient la longue liste
de ses rois de ses prophètes
des lois des juges des fêtes
ils voient Élie et Moïse
Salomon et sa promise
David – Bethsabée sa reine
Jacob – Léa et sa peine
et Rachel enfin acquise
Sara – Abraham son homme
Adam et Ève – et
la pomme
et toute la parabole –
tout ce qui est dit Parole
de Dieu – d’Elle – ils parlent d’Elle
qui souffre une mort cruelle
parole devenue folle
devenue foi – et promesse
et tenue – non par faiblesse
tout est accompli qui compte
pour la foi de ceux qui content
ce combat de leur seigneur –
les puissants les empereurs
vont s’abattre dans la honte
le roi qui meurt tue l’empire
le rend caduc au désir
* Jean 19,30
Père, entre tes mains
je remets mon esprit *
et voici enfin le soir
noir où sombre la lumière
le ciel au couchant se couvre
de linges bleu nuit ou mauve
linceuls aux rides sanglantes
le soleil va mourir – l’ombre
sèche des mourants s’allonge
là-haut la colline pâle
à la clarté s’illumine
de l’or des dernières heures
tout est calme tout repose
en pur silence – la peur
disparue – et la colère
la haine et la rage amère
comme ce soir est paisible
maintenant que tous regardent
en silence autrui mourir
et il meurt – comme on est seul
en ce temps-là où l’on part
il faut bien que tous contemplent
un mystère humain si simple
c’est une affaire de souffle
et rien de plus – c’est de l’air
qui s’en va – une poitrine
se vide et le corps s’affaisse
le souffle a rejoint l’éther
voilà donc ce qu’ils attendent
tranquilles dans leur silence
relèvera-t-il la tête
dira-t-il une parole
un temps ce fut un parleur
certains sont là qui l’espèrent
a-t-il un secret à dire
un fin mot – cela s’achète
ou se garde au fond du cœur
mais il est déjà ailleurs
là – en ce lieu où son père
est auprès de lui toujours
voilà c’est à lui qu’il parle
en mourant vit son amour
et le secret se révèle
il voit vivre cette image –
l’atelier – un père un fils
attelés au même ouvrage
le fils enfin – il est tard –
dit « voici finie ton œuvre
achevée l’espèce humaine
en moi » – et le père admire
le souffle pur qu’il lui donne
* Luc 23,46
Cet ensemble est paru dans le recueil Chants et déchants
(Limoges – Ed. Lambert-Lucas – 2005)
Il a
été édité en tiré à part fin 2008 par le même éditeur
Sous
le titre Les Sept Paroles du Christ sur la croix.
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