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Planter un arbre
“Si l'on m'apprenait que la
fin du monde est pour demain,
je planterais quand même un
pommier.” Martin Luther
Qui sait jamais ce qui peut arriver ?
J’ai donc planté un
arbre, un beau pommier.
À quoi pensais-je
alors, je ne le sais,
quelle idée ou
dessein me traversait ?
Garnir un coin de
terre à découvert,
fournir ainsi de
l’ombre à ce désert,
agrémenter la vue de
tout l’ensemble,
attendre du fruit de
lui, ce me semble.
Et j’y ai réussi,
j’ai dit merci :
Pourra venir la fin
du monde ici !
Et que je te la file…
trop d’eau dans mon
delta
fleuve que je suis
quel bras
suivre ?
depuis le ru que
d’accidents !
parcours tumultueux
méandres
torrents
peurs et violences
dévalant
tumultes
parfois cours
majestueux
père à péniches
et lacs à musarder
affluents affluant
sans cesse
et coudes
surprenants
or, non,
retournement !
remontant à plaisir
le courant
j’approche de la
source
Dieu comme j’aspire…
rien de bien
original
les temps sont durs
et
j’avais besoin de
grands espaces
marcher sur les
longues plages
j’imaginais des
plages normandes ou vendéennes
au bord de vraies
mers à marées lointaines
avec le vent
le vrai vent, celui
de la mer occidentale
oui, le noroît, que
je préfère
un vent d’iode et de
sel et de pluie
Dieu comme j’aspire
à respirer cela un jour
et, oui, marcher
comme pour un
avant-goût d’éternité heureuse
promesse d’aventure
dans le souffle d’ailleurs
sous un vrai ciel
exagéré
jour après jour
marcher
Veille
je suis assis sur des millions de poèmes
c’est mon trésor, sur lui je veille
ainsi je trône
on n’est jamais assez prudent, je veille
ils sont à moi…
mais je tremble et je m’éveille :
il en manque un !
Oubli
oubli est un mot que j’aime
et que je l’aime, j’aime à m’en souvenir
l’oubli que j’aime est celui du malheur lorsque son souvenir
te conduit vers la peur
non l’oubli que toute vie importe et qu’en chacune il se pourra
que réside un bonheur, même caché le bonheur
oubli car sans l’oubli des noirceurs, il n’est pas né
celui que tu croyais perdu
nié
le sourire à venir
Nœuds
dans une vie, peu de
nœuds
faisant tenir le
reste
et quels débuts,
quelles fins
quels liens ?
te retournant, tu
vois comment
à tel moment tel
glissement
notable nullement
t’a orienté
comment de tels
instants
s’articulaient
et te menaient sans
le savoir
où tu te tiens
peu de nœuds en
vérité
t’ont raccordé
et comme incidemment
t’ont créé
Et pourtant…
le goût du sel
pour purifier l’odeur de la mort
dans la bouche
et tant de relents nauséabonds
du monde
même les os
on les croit purs et secs
mais ils vivent en-dedans d’une vie grumeleuse
telle aux temps de la soupe primordiale
la vie est sale au regard des étoiles
collante et gluante
et pourtant…
Encore un jour
du gris ardoise à l’indigo
se mouvant au ciel
deux étoiles
d’arbre en arbre en arbre
va qu’elle est folle
l’aurore qui naît
dormir pensant encore
et cette nuit s’enlève
l’œil alerté
mon jour est un secret
il pense à son retour
veillant sur ses amours
encore un jour
tu me diras si tu aimes
ainsi passera-t-il
À
Ouessant
à Nicole Ferroni
debout pour la
première fois devant l’Océan du bout du monde
pour la première
fois devant l’immense et la puissance du monde
et sa violence
sa beauté brutale
comme autrefois, comme du temps des elfes et des trolls
du temps des
korrigans, sa beauté d’enfance abrupte, sa beauté nue
la jeune femme se
tait, saisie, ses larmes naissent, elle pleure
que faire d’autre,
être humain tout à coup démuni, son aisance tombée
le monde est si
vaste et sa force si grande, à craindre, à frémir, à chanter
humble et
profondément heureuse, elle pleure, en larmes de sel et de vent
Rêve de l’arbre en fleur
à nouveau toute
fleur est en soie
à nouveau la sève
sort du bois
l’arbre à nouveau
explosera de joie
fidèlement, il le
sait, où il va
son idée de fruit
aboutira
conçue par ses
ancêtres d’autrefois
son rêve s’avérera
le fruit viendra,
qui l’empêchera ?
enraciné, l’arbre
est armé pour cela
verdeur de la sève
sur l’arbre, que le
soleil flamboie
que l’eau du ciel ou
des fonds le noie
l’arbre rêve qu’il
résistera
si ce n’est lui,
l’autre que voilà
le rongerait la
bête, le scierait l’humain
le jour vient, et
l’arbre fleurira
et la bête mourra,
et l’humain s’en ira
abandonnée sa quête
aux mil tracas
son rêve d’incendie
Dire d’un songe 1
colombe ou bien corbeau, merlette ou tourterelle
qu’importe, je dormais, je n’ai perçu qu’en songe
un oiseau inconnu palpitant jusqu’à moi
il n’est de dire
que d’un sentir
ce qu’il a dû me dire a quitté mon esprit
je n’ai plus discerné ce que cachait l’oiseau
rien de son vol ne m’est resté, alors que dire ?
il n’est de dire
qu’une caresse
c’était un bel oiseau, je ne sais de quel nom
sans le voir je savais qu’il était tout de plumes
au fil lamé d’argent, au parfum de silex
il n’est de dire
que d’une odeur
dis-le donc, cependant, résolu, m’a-t-on dit
mais quoi dire et à qui ? l’oiseau s’est envolé
j’ai senti qu’il dansait au-dessus des nuages
il n’est de dire
que d’un regard
je le dis, cet oiseau portait une parole
il m’en reste le son, cependant, comme une onde
comme un rien qu’on désire, un chant perçu de loin
il n’est de dire
que d’une écoute
Frontières ?
Si tu regardes bien, il n’est pas de frontières
et c’est tout uniment que s’étire la terre.
Lorsqu’elle est découpée, c’est par une rivière,
par un fleuve, un cours d’eau dont les deux bords sont frères.
D’un côté ou de l’autre, un même enfant s’affaire,
aucun de ses parents ne veut vraiment la guerre,
et tous, ils aimeraient que leurs deux mains se serrent,
à moins que l’on ait fait leur tête prisonnière
et submergé leur cœur de venins délétères.
La terre, en vérité, ne s’en occupe guère ;
serait-elle blessée par l’espèce guerrière,
lassée, abandonnant sa fibre nourricière,
secouant de son dos l’orgueilleuse poussière,
elle irait à nouveau, en son cours millénaire,
rouler paisiblement au long de vents stellaires.
Que seraient devenues frontières ou barrières ?
Chanter
ce qu’il faut c’est
chanter
survient peut-être
alors
en harmonique
comme un filet de
joie
au loin montent des
peurs
la joie vaudra
contre elles
arme du cœur
dans la nef chant du
chœur
chanter jouer danser
des oiseaux en
parade
pour un amour
comme un aveu de vie
Sommeil
la petite fille qui
dormait par terre
était si fatiguée
qu’elle avait omis
de veiller
oublié les dangers
la peur, la colère
et les pleurs
elle s’était
ramassée
enroulée sur son
ventre
les mains cachées
et reposait dans la
poussière
en tout cas à
l’abri
ainsi s’en va le
monde
environné de forces
bienveillantes
ignorées
à longuement tester
pourquoi
désespérer ?
Un secret ?
l’oiseau le sait
(une mésange)
le chien le sait
même le petit chat
aussi la chatte
et le lapin le sait
lapine ou lapereau
les poules
(pourtant très
bêtes)
et les canards
au loin le lion le
sait
(dormirait-il)
et le chameau
le buffle obtus
les pieds dans l’eau
le lama la vigogne
au-dessus le condor
eux tous le savent
elle vient la mue
(et l’humain ?)
Ma poutre à moi
dites donc je suis mal
j’ai ma poutre dans l’œil
et depuis ma naissance
imaginez la douleur
du saignant
à chaque pas je me cogne
j’y vois mal je cogne
je cogne les murs
je cogne les arbres
je cogne les gens
c’est un mal continu
orgelet d’un géant
qui fait mon intérêt
car ma poutre c’est moi
je me présente ainsi
aïe ma poutre
je l’ai toujours aimée
et je m’aime ayant mal
et souffre de m’aimer
et souffre de l’aimer
Buées du jour
à l’instant
là-bas un ciel inconsistant
se fait corps
sur un monde inconscient
puis naît l’aurore
au levant
au loin lève une pâte épaisse
et l’on fête
après des amours secrètes
des relevailles
et l’orient
hardi vers l’occident se tend
sans détour
le soleil suit son cours
vers son néant
au couchant
avec la terre le ciel se couche
puis en gloire
le soleil va plonger
dans la nuit noire
au demeurant
qu’à jamais notre joie demeure
chaque jour
que notre joie ne meure
tour après tour
maintenant
la main ténue qui tient le monde
se fait douce
passe un sourire aimant
tout maintenant
Cette main
voici je le vois
bien
le monde est tout en
moi
cette main qui écrit
provient de
l’univers
et le sourire me
vient
enfant de vibrations
d’au-delà du soleil
j’appartiens au ciel
pur
et peut-être au-delà
que me sont les
années ?
Dis-le
dis-le à la rivière et dis le au fleuve
tout-puissant
au courbes des eaux vives qui
roulent et s’en vont vers l’aval
et dis-le au nuage qui va et au vent qui le pousse
remonte vers l’amont et dis-le, redis-le, à la cime des monts
dis-le à la mésange comme au merle, à toute bête ailée qui volera
à tous ceux qui traversent le ciel ou vont piquer le grain perdu
et dis-le, dans les profondeurs, à la truite insouciante et volage
à toute famille des eaux nageant en nuages de vivants
dis-le qu’il est venu, le dieu, comme un enfant
qu’il revient de la brûlure de sa colère
et que nul ne se perdra
Avent 4
manquerait un souffle
brise légère
silencieuse, aérienne, ténue
venue on ne sait d’où
allant où l’on ne sait
manquerait-il
tout irait comme devant
tout suivrait son chemin
chemin de grandes peines
voies de petits bonheurs
et suffirait d’un souffle
haleine de buée
toute chose convertie
muée, bouleversée, retournée
tournée vers ce qui vient
un souffle saint
et viendrait l’enfant
celui qui vint, qui vient
ce souffle qu’il vienne enfin
à la bouche des humains
Avent 3
comme l’oiseau
attend le jour
et l’épouse le
soldat
comme la mère attend
l’enfant
j’attends, mon
amour, ta venue
j’espère ton retour
je ne sais quand tu
viendras
mais tu seras
surpris
je vais changer tu
verras
je serai là pour toi
j’espère ton retour
en haut de
l’escalier je serai là
à l’entrée de la
maison
à la grille du
jardin je serai là
sur notre chemin
j’espère ton retour
sur la route qui va
je serai là
à l’entrée de la
ville
sur le quai de la
gare je serai là
à la porte du
wagon
j’espère ton retour
comme on attend le
parloir
comme on attend la
gamelle
comme on attend le
coup de rouge
comme on attend le
lit au soir
j’espère ton retour
je serai beau je
serai belle
comme file une
étoile
lavée, briquée dans
la nuit sale
changée, comme
astiquée
si tu reviens
Avent 2
venir, tu es venu
comme à chaque bouleversement
quand la terre s’ébranlera
quand tombe la lune et fond le soleil
à nos yeux éperdus
tout semble aller comme devant
l’eau ruisselle et clapote la pluie
au matin luit la lumière
lentement elle s’estompe au soir
et l’on ne te voit pas venir
passent les jours
entre la guerre, entre la paix
calme public et tumulte des gens
ainsi que jamais ou toujours
jours après jours, temps après temps
et l’on ne te voit pas venir
peut-être ne viendras-tu jamais
alors que voici, tu es présent
aujourd’hui tu viens
quand en secret change le monde
Avent 1
entre toutes les rapidités
les fureurs, les fracas
affolements de foules effrayées
ou rires exagérés
trombes ou traversées de foules
tu te glisses
tu es la couleur du silence
interstices de peurs
intermittentes colères exténuées
rages et tendresses cependant
souffle des soulèvements
misères
tu vas sans bruit
est-il important que l’on t’ignore ?
Dis-leur…
dis-le à la rivière
et dis le au fleuve tout-puissant
au courbes des eaux
vives qui roulent et s’en vont vers l’aval
et dis-le au nuage
qui va et au vent qui le pousse
remonte vers l’amont
et dis-le, redis-le, à la cime des monts
dis-leur que l’être
humain se tournera vers eux
dis-leur et ne mens
pas qu’il a perdu sa gloire et implore la leur
dis-le à la mésange
comme au merle, à toute bête ailée qui volera
à tous ceux qui
traversent le ciel ou vont piquer le grain perdu
et dis-le, dans les
profondeurs, à la truite insouciante et volage
à toute famille des
eaux nageant en nuages de vivants
dis-leur que
désormais l’être humain leur implore la paix
pourrait-il, devant
eux, recevoir un pardon, conclure une alliance
et dis-le à tous
ceux qui rôdent dans les bois, qui hantent la forêt
ceux qui parcourent
la toundra ou paissent en la savane
dis-le au tigre
comme au cerf, à la biche comme au lion
et dans leur
migration, aux lourds troupeaux de buffles rescapés
dis-leur que l’être
humain, en vérité, présente ses excuses
qu’il aimerait, avec
eux, remonter tout le temps, et tout renouveler
dis-le à la poule,
au poulailler, au lapin dans son clapier
dis à l’oie qu’elle
cesse, s’il lui plaît, de criailler pour écouter
au bœuf émasculé, à
la vache nourricière, au taureau dépité
dis-le aux bêtes
asservies, à la niche du chien, à la chatte opérée
dis à tous que nous
sommes, nous les humains, tout à fait désolés
que nous n’avons
plus qu’eux, tous les êtres du monde, à aimer
dis-le à la Terre et
à la Lune, la bleue et la jaune, violentées
dis à la Terre,
celle des eaux pures, des ciels, des airs limpides
la planète de grâce,
havre de toute vie, qui règne en son soleil
dis-le-lui, dis-le,
à moins de mourir, simple poussière d’étoiles
À la réflexion,
j’ai…
loué un habit
d’ermite sans robe de bure
juste veste en
denim, pantalon de coutil
et sauf exception,
économie de paroles
un jour puis un
jour, sauf les dimanches
brûlé les vieux
papiers, pensées d’hier
cogité lentement,
économisé le cahier
de l’aménité envers
les vivants du chemin
bonjour aux arbres,
sourire aux oiseaux
remis le papillon
sur sa voie de liberté
repoussé la guêpe
d’un geste pacifique
froissé personne,
serait-ce un imbécile
admiré de loin de
belles jeunes femmes
mangé lentement et
bu à petits coups
récolte aléatoire
pour des plats réfléchis
puis, vivant au
monde, pris les nouvelles
et rugi de colère et
pleuré de tendresse
imaginé tout cela,
même pratiqué parfois
ou souvent, heureux,
mais pas longtemps
appris ainsi d’être
inutile, sans se croire
pour un temps, fait
ermite comme école
Toile
des nids de
vagabonds
piqués sur toute la
terre
en corolles de peur
– et aller où ?
habités de rêves
menacés
alors inventer
des lois de
subsistance
car il est
dit :
de tous les jours de
la terre
que rien ne cesse
et semence et
moisson
et froidure et
chaleur
l’été l’hiver
le jour la nuit
frères tenez
nous ferons des
réseaux
voilà, nous nous
tisserons
– parlons ensemble
monde, la toile que
voilà
toile sur toute la
Terre
world wide web
Je ne mens pas
il a dit cet humain
en son domaine
je suis abasourdi
voyez ma peine
je vois partir un
monde
je ne mens pas
je vois dans mon
jardin
que tout s’en va
j’ai perdu les
abeilles
sur les rosiers
aussi le papillon
volant voilier
et j’ai perdu
l’oiseau
plus d’hirondelles
tenez plus de pivert
plus de sitelle
ces nids pour la
mésange
au creux des pierres
ce vol de l’alouette
brisant son erre
mortelles sont les
graines
que l’oiseau becte
pas une fourmilière
et plus d’insecte
partie la dame
blanche
qui ululait
parti le hérisson
qu’elle cherchait
j’ai perdu le
crapaud
chantant sa peine
et même la couleuvre
qui tait la sienne
le cri rauque des
huppes
ne sonne plus
la course des
lézards
ne file plus
des guêpes ou des
taons
on en voit peu
ils résistent
longtemps
la hargne en eux
les chevreuils
n’osent plus
venir ici
sur leurs brisées
l’humain
a trop bâti
restent deux
écureuils
un rouge un brun
plus un chardonneret
hardi un brin
le ramier dure aussi
qui va par deux
son aubade roucoule
encore un peu
j’ai perdu le thuya
il a jauni
le sapin l’a suivi
pelé aussi
je vois les fruits
tomber
pêches ou poires
elles sont déjà
blettes
et bientôt noires
quand donc viendra la pluie
dites-le moi
avant que meure aussi
le magnolia
Une visite
bonheur minuscule
au sein d’un temps
de pluie
au-dehors au-dedans
long temps de pluie
temps de menaces et
de craintes
et d’ennui
voici qu’entre ici
guilleret
le chardonneret
replet
malgré le chat
il veut me rendre la
politesse
souvent je le visite
aussi
chez lui
dans son domaine
d’arbres
et de buissons à
fleurs
de graines à manger
de nids à protéger
de vent léger
Je suis là
19/08
l’ange me dit : Qu’espères-tu
je ne sais lui répondre il faudrait pour cela
viser quelque bonheur un gain une victoire
que je ne connais pas dont je ne sais rien
mon ange insiste : Au moins durer peut-être
alors je trouve que lui dire : M’oublier
mais je le sais c’est une voie fermée
je dois me trouver là dans la présence
où le dieu jamais ne compose ni ne pèse
et je suis là dis-je à l’ange qui s’en va
Frissons
à jamais les ciels bleu, tout bleu, me ferment sur moi-même
j’ai toujours fui le pavé du soleil
je vivais autrefois en longues giboulées
petits frissons heureux lorsque soufflait la bise
j’aimais ces temps d’automne et ces jours de nuées
et je m’ouvrais alors
je préférais l’averse, elle qui vient de l’ouest
quand les rues, sous la pluie, psalmodient des versets de guitares
au coin d’impasses à gitans
les ongles de l’ondée toquant sur le pavé
et quand vive, la bruine s’écoulait dans mon cou
tout mon dos frémissait, ma peau se hérissait
– plaisir
le pavé s’irisait à la moindre lueur
et tout s’ouvrait en moi, et naissait un refrain
bien que mélancolique il me rendait heureux dans ma chaleur
mouillée
et ma tristesse, alors, retrouvait ses chemins
de pluie mêlée de vent
Zones
tous ces îlots
toutes ces clairières
en toutes ces mers et ces bois
et nous
postés là
pourquoi là on ne sait pas
nous inventons des lois
de subsistance
aux rêves menacés sont les chemins
s’en aller jusque là
marcher plus loin
que souhaiter si monde et rêve sont menacés
élire l’inconnu
en tous ces îlots
des perdus se rassemblent
l’inconnu pour toujours élu
Annonce
et sans savoir si la terre est ronde
ni comment elle se meut
où seriez-vous
un oiseau vous annoncera l’aube
lui le premier
tout autour de la terre
l’aimerez-vous ?
Buée
vient le temps, vient la pluie
souffle le vent
trois tristesses, deux chemins
se lover sous la couette
marcher, marcher mouillé
L’écran
l’enfant derrière la vitre
devant la pluie qui tombe
ruisselets sur la vitre
il voit la pluie fuser
la pluie qui tombe tombe
et la buée couvre la vitre
ruisseaux et brouillard
pénombre et crépuscule
entre deux eaux la vitre
lui, la vitre, le monde
ou bien lui dans le monde
mais le monde l’expose
et l’enfant s’est mouillé
la fenêtre est ouverte
et la chambre respire
Chapeau pointu
où es-tu
que fais-tu ?
j’avais mis mon chapeau, j’avais mis ma casquette
ma casquette à la noix, casquette qui déçoit
ma tête de crapaud ainsi couverte en jette
c’est ainsi d’habitude, autrement j’aurais froid
où es-tu
que fais-tu ?
j’avais mis ma chaussette, elle chausse un pied droit
quant à mon pied tordu il faisait des claquettes
et je claquais des dents de peur, aussi de froid
un froid de mort aux dents et des dents de belette
où es-tu
que fais-tu ?
j’avais mis mon futal, un falzar en faux bois
ses pattes d’éléphant semblaient deux patinettes
je me glissai dedans avec mon entre soi
une fesse à la fois qui s’affaisse, est-ce bête ?
où es-tu
que fais-tu ?
j’avais mis ma chemise à couvre poil de fête
et remis sur ma mise une aigrette de soie
révisé mon squelette et lissé ma toilette
à voir ma goélette on en gueulait d’effroi
où es-tu
que fais-tu ?
ah j’étais beau, j’étais peau, ce faux c’était moi
belles dents et faux-cul, smoking et sandalettes
je fus au rendez-vous, j’ai tout rendu sur toi
j’ai bouffé mon chapeau, j’ai ri dans ma gapette
où es-tu
que fais-tu ?
Accord
je marchais au bord de l’eau
et l’eau me regardait marcher
elle clapotait pour moi sur le bord
elle et moi on était d’accord
il faisait beau
je marchais au long des arbres
en bruissant les arbres m’écoutaient
parlant de choses et d’autres
et j’étais bien d’accord
le temps s’y prêtait
l’eau, les arbres vibraient en accord
bruissement et clapot sur les bords
à l’endroit même où je marchais
juste là et juste alors
sur mon sentier
À l’aube pure
à l’aube pure
en une lumière de fin du monde heureuse
les cerisiers glorifient le jour qui naît
et l’impalpable de leur fleur offre à ce jour
une gloire immatérielle et le goût d’une éternité
ainsi le pardon
Seigneur je suis heureux ce matin
Bidonville
le soir était tombé
devenir prohibé
mitée sa redingote
un petit garçon noir
dansait sur le trottoir
retenant sa culotte
tout enclos dans sa danse
comme un homme qui pense
comme un vieux qui radote
sans chemise et pieds nus
un sourire ténu
juste un regard qui flotte
seul au monde il est là
concentré sur son pas
sous la lune qui trotte
le vieux monde est autour
l’enfant est dans sa tour
seul un ange sanglote
Ça dépend
il dormait sur un cintre
tel un habit usé
qui pend
ventre vidé
blanc comme un singe
du passé
ça lui donnait des idées
il rêvait de fleuves insurgés
de lentes chevauchées
de lanciers
il en était traversé
se posaient des questions
toutes bien armées
où donc la vie est-elle allée
à son revers lui répond une fleur
une fleur rouge sang
émue c’est moi dit-elle
toute rouge
je suis là
il l’avait caressée
Parabole
la nuit, lampe allumée
une parabole se dessine sur le mur
là où l’ombre finit, s’achève aussi la lumière
ligne incertaine, inexistante
lieu de silence entre ce qui fut et sera
ainsi tes jours
Faits dits vers
(sotie)
ce matin
un tapin
a tué un masseur
et ce soir
un rasoir
égorge un casseur
à midi
un caddy
culbute un passeur
au coucher
un boucher
découpe un chasseur
mais
à pas d’heures
un p’tit beurre
régale ma sœur
Regarde bien
Hitler ne pouvait pas mourir, mon cœur
il est toujours là
on nous annonçait son suicide, nous ne pouvions le croire
il ne pourrait disparaître
son ombre est là, présente alentour
enseveli même dans la fosse il reviendrait
il revient toujours
nous avions raison d’émettre un doute, tu te souviens
il a reparu
il reparaît toujours
on le chasse, on le chasse il revient
par la porte on le chasse il revient par la cave
par les profondeurs des âmes tordues des humains
des âmes torturées des humains
regarde bien, regarde, jusqu’au fond de toi regarde
tu vois bien qu’il est là, on ne l’aura pas tué
il se sera raté
tu souris, tu dis c’est ridicule, tu te retournes
il était derrière-toi
il se tient au coin d’un mur, où sont écrits ses cris
plus loin il a laissé sa marque
il a laissé sa marque sur les tombes paisibles des gens
regardes-tu les signes que tu l’entends hurler
et son cri les attire
il attire les chiens galeux qui veulent lécher le sang
sur terre lécher le sang des gens
ils le savent bien, eux, qu’il est là
hyènes qui rient ils tueront
vois-tu mon cœur
Hitler ne pouvait pas mourir
Au peuple démuni
ce qui est dans ton
cœur est plus grand que la mer
c’est pourquoi tu
fais peur, ô peuple démuni
à toi-même tu fais
peur
car au bout de ta
nuit crèvent les veines, coule le sang
quand devant toi le
monde devient rouge
quand ton désir est
grand
quand tu ouvres les
portes à ton envie de vie
à ton rêve, ô nuit
et tu ne sais alors
ce que tu enfantes
vers où t’emportait
ton ennui
chante ô ma nuit
quand le rêve se lève
quand se tient près
du lit l’esprit qui te veillait
c’est ton plexus qui
cède et fait mourir l’angoisse
elle s’évanouit
te voici comme une
veste ouverte qui habite le monde
et veut le revêtir
ton désir est un
cogneur, et c’est lui qui te frappe
c’est lui qui
s’écorche les mains
et s’il t’a mené un
jour vers toute justesse, il s’en va
qui peut le
retenir ?
Ce qui venait
la femme regardait
au loin, elle s’était redressée
penchée vers la
terre on ne voit que la terre
on ne voit que
l’outil pour sarcler
et les pieds
les pieds sont
importants, il n’y a pas que la tête
elle se le dit
souvent
avec les pieds tu te
poses, tu avances
tu vas chercher de
l’eau, il n’y a pas que la tête
tu vas chercher de
l’eau, le vase sur la tête
et tu portes
l’enfant bien calé sur le dos
et tu avances
les pieds te
portent, et pour aller où ?
mais cette fois elle
s’était dressée, redressée
debout on voit plus
loin
on voit loin, la
tête dégagée, le cou délassé
et la femme debout
voyait la tempête qui venait
le sable se
soulevait, les branches se tordaient
là-bas, et ça venait
et la femme a souri,
elle a souri et elle a dit
tendez toutes les
toiles, l’eau va tomber
puis elle a regardé,
elle a bien regardé
elle a vu ce qui
venait, la tête droite et le regard
le regard lavé
elle a vu ce qui
venait, la femme s’est agenouillée
L’électricien
Qui suis-je et que
vais-je devenir ? demandait le boucher de la place du marché
à l’électricien
où vais-je ? où
donc s’en ira l’œuvre d’une vie, et mes enfants que feront-ils ?
or l’électricien
lui pas plus que
l’autre ne le savait, ne pouvait le dire, l’avenir se faisait trou noir
et l’électricien
n’a pu que hausser
les épaules pour le faire comprendre au boucher qui préparait
pour l’électricien
un sauté de veau à
cuire avec des champignons, frais de préférence, et voilà…
Pause
Nous faisions une
pause, ce jour de fin d’été, quelque part en Europe
était-ce à Lucerne,
à Vaduz, à Constance ?
Tu te
souviens ? Tu étais assise sur un banc de pierre, jambes nues, tournée
vers le soleil
tu souriais, tu
paraissais heureuse et je te désirais.
Nous avions tourné
tant de pages, visité tant de lieux, construit tant de fortes histoires.
Tu ne fus jamais si
belle, aussi forte, aussi vive, accomplie
ni l’amour si
paisible qu’en ce jour-là.
La Terre, depuis, a
tourné tant de fois, nous passons et pourtant
voilà ce qui fut,
écrit en quelque endroit
assise et
paresseuse, ta cigarette au bout des doigts, le soleil tourné vers toi
l’amour en pause.
Les cadeaux
Quel est mon
idéal ?
ce serait d’être un
arbre
fruitier de
préférence
il est bon de donner
tu prendrais de la
terre
de l’eau et du
soleil
tu les
transformerais
cela ferait de
l’ombre
et des fruits à
manger
même des jus à boire
aussi de la
beauté :
tu serais grappillé
les enfants
aimeraient
L’amour en décembre
l’amour en novembre
est moins beau que l’amour en décembre
moins de paillettes
moins de bougies de
cierges de lampions de lampes en guirlande
moins de flonflons
pour aimer en
novembre on manque de vitrines resplendissantes
de pères noël
à trogne rouge comme
leur habit tout bordé de fausse fourrure
barbe en coton
l’amour à froid ne
s’offre pas des marrons chauds au coin des rues
en novembre
on rate la fanfare
et la marmite et l’uniforme de l’armée du salut
même la messe
on ne respire pas en
novembre l’odeur de résine des sapins coupés
et puis dehors
on ignore
l’immensité bleu nuit du ciel et le silence gelé des étoiles
qui scintillent
car en décembre tout
l’amour s’illumine et clignote comme les feux
aux croisements
et les cars de
police ou les voitures des pompiers quand Paris brûle
ainsi les cœurs
Soir
J’aime bien, le
soir, entre chien et loup, quand on reste à parler longtemps, paisiblement,
avant d’allumer la lumière et de passer à table.
On trouve parfois de
beaux soirs, même en novembre, des ciels rose et carmin vers
le couchant, apaisés
on contemple cela par la fenêtre.
On rêve d’un feu de
tisons rouges dans un âtre, alors peut-être qu’on sert un petit verre,
cela réchauffe au
moins le cœur et porte à se sourire.
On se dit quelques
mots, on les espace, on n’a pas trop envie de briser le calme du soir,
on profite des
silences, ils parlent si bien d’aménité.
Un ange passe, on
entend, au dehors, les enfants rire, on n’a pas souci d’interrompre
leurs jeux, on fait
durer ces moments, ce n’est pas si souvent.
Enfin l’un ou
l’autre se lève et allume, on ne se voyait plus, il est temps de reprendre
le cours du jour et
de la nuit, l’allant des choses nécessaires.
Tu me disais
tu me disais que l’on risque en amour
comme au jeu nommé mourre
ça tourbillonne à la façon des feuilles
le vent te mouille l’œil
ça te taille la peau, c’est un ciseau
ta vie est en morceaux
ça te met sur le poil un poids de pierre
ton cœur lourd court derrière
et c’est profond comme le fond du puits
c’est chaud comme la nuit
puis ayant dit tu remontes le drap
tu t’endors dans mes bras
Entrez
venez la tente est mise
il vous reste à entrer
venez la table est mise
venez vous attabler
vous la personne admise
avec tous les paumés
soignez bien votre mise
tous sont à honorer
venez nulle entremise
topez de gré à gré
d’amour nulle remise
il est tout plein donné
la gaîté est de mise
bien plus que s’ennuyer
la tristesse est permise
douleur à consoler
haine et peur sont omises
on les a balayées
la violence est soumise
chantez dansez riez
puis quittez la chemise
nu vous serez lavé
Rouge
le ciel est bleu, la
terre est rouge
petit souffle en ces
cris du matin
mais novembre,
images aux pleurs
souffle frisquet et
les arbres s’agitent
arbres de sang aux
feuilles rouges
guerre finie pour
elles
à peine au sol elles
sont mortes
chutaient
tourbillonnant les aviateurs
les gars dans la
boue s’affalaient
le ciel est gris, la
terre est rouge
Le dit dans l’arbre
j’étais monté sur l’arbre
au temps d’avant les temps
sur une branche un jour
puis un jour sur une autre
celle d’en bas, celle d’en haut
je regardais
quand tu sciais du bois
quand tu lavais le linge
le chat vers moi grimpait
une chatte, tout l’étonne
le chien grondait
il aboyait puis il pleurait
voulait me voir descendre
je regardais
quand tu bêchais le sol
quand tu cueillais les pommes
quand tu semais la graine
quand tu berçais l’enfant
je t’aime, je te regardais
Dada, donc, des dits
Le dit du canasson quand il hennit se ment :
On se croit étalon, on n’est que rossinante…
On offre cependant son dos au garnement
À la fille gentille, au boy comme à l’infante.
Le dit de l’écureuil a pour visée la noix,
Sa demeure est le cèdre, il y paye un loyer.
« J’avais caché, dit-il, en multiples endroits
La noisette et la noix, mais où ? J’ai oublié ! »
Le dit du sanglier se veut des plus modestes :
« Il me suffit qu’au bois on me fiche la paix,
Sinon je chargerai, croyez-moi je suis leste ! »
Bigleux, pourtant, il cherche, il a perdu sa laie…
Le dit de la marmotte, encline à persifler,
Fait croire à qui viendra qu’il la verra frémir :
« Approchez donc, dit-elle, entendez-moi siffler,
Vous me croyez dehors ? Je suis partie dormir ! »
Le dit de la mésange a de quoi vous charmer.
Vous l’approchez, saisi d’une joie sans mélange.
Elle vous dit, perchée, bien loin de s’alarmer :
« Tu ne sais pas voler, tu n’es pas même un ange ! »
Le dit du dromadaire – il vous toise de haut –
Semble venir d’un sage, en fait il déblatère :
« À vos dépens, crétins, vous montez sur mon dos
Car au moindre cahot, je vous foutrai par terre ! »
Trois buées de
l’aube
1
ailleurs est en moi
gros pépère et qui
tient de la place
édredon, et dedans
bulles d’air à
danser danser
qui bougent et
parfois
l’une s’échappe
ainsi le rêve !
2
j’ai fini d’écrire
et le geste pourtant
demeure
et s’en ira
rejoindre d’autres gestes
évanouis
milliers de desseins
disparus
ainsi nos baisers
3
et chaque nuit, sur
moi
la femelle du
moustique
vient prélever la
goutte de sang
elle qui fait vivre
ses petits
l’amour est
sanguinaire
qui nous vient de si
loin
Montées ?
il te vous vient
parfois des besoins d’épopée
des misères avérées
à corriger, la
flamberge en papier
des vers à la hugo, des stances à la rostand
des finales envolées
et ce je ne sais
quoi qui te met au grand large
poitrine soulevée
de grandes
chevauchées, de grandes équipées
des david et des rude à raconter
des magnifiques au
rire carnassier
des causes à sauver,
des drapeaux à lever
enfin de quoi mourir
le nez dans le ruisseau
de quoi tomber par
terre, on est monté si haut
or si la terre est
ronde et l’univers immense
ce monde est plat
Car il est souffle
je le dis, vous ne
vous en tirerez pas sans vous refaire une image, une ressemblance d’un dieu,
image à votre portée
tenez c’est d’abord chasser
en vos têtes, vos cœurs et vos reins, vos mains, jusqu’à la moelle, à l’os du
cœur
chasser l’image et
la ressemblance d’un seigneur, le désir en vos fonds d’un maître, d’un roi,
d’un céleste
voici déjà ;
cela fait et fait à nouveau, refait encore reste de vous le squelette
ossements, blancs
d’un désir de royaume, bien dénudés, grattés, frottés, nus devant un ciel, des
cieux vidés de tout règne
nus debout vos
histoires flottant là derrière, l’avenir devant, sans motifs et sans voix
qu’une petite porte
s’ouvre alors en vous et le dieu en vous se meut comme une vague immense
vague lente à nos
yeux en sa visée, désir se déployant, montez pleurant, heureux, sur la nuée qui
va
ainsi va le dieu se
mouvant qui vous entraînera, peuple dansant à lui vous emmenant
Gus
mon grand-père est
un homme jeune
enterré en deux
parties
au cimetière de son
village
avec sa moustache et
sa trompette
et son arc
depuis longtemps longtemps
c’était après une
guerre
avant qu’on le
ramène il nourrissait
une croix de bois
là-bas
ici maintenant elle
est en fer
et sur ses os
du gravier
on a bien fait les
choses
et comment il
s’appelle est inscrit
sur la place
où il n’est pas le
seul
avec ses copains
morts de la clique
ou de l’Espérance de
Meaux
bleu nuit les ailes
d’un corbeau
miroitent
sur une tête en
pierre casquée
la statue est en un
seul morceau
elle qui n’a pas été
coupée en deux
comme lui
Adieu la nuit
la reine de la nuit
a beau chanter si fort
la nuit n’a cessé de
boire l’immensité
des millions d’yeux
de feu ont veillé sur la terre
ont fait taire le
chant, ont semé le silence
et les champs et les
bois sommeillent dans la paix
les vents ont stridulés, calmés, sur la campagne
elle a soupiré
d’aise, attendant la rosée
cependant, les cités
n’ont pas voulu se taire
la folle y crie
toujours en vibrations de peur
la cape de la nuit,
zébrée de traînées blêmes
fait place peu à peu
à des champs d’éclairage
on a chassé les
ombres, il reste les terreurs
L’allée d’en bas
c’est plus qu’un
chemin une allée claire ma promenade
d’un côté les bois
qui s’élèvent jusqu’au plateau où j’habite
de l’autre la plaine
et les champs aux multiples aires colorées
on marche à l’aise
on s’arrête on regarde on contemple
la paix se pose
alors et dos aux bois on aspire l’espace
même on devient
soi-même cet espace et partie de ce monde
bouge au loin tout
petit quelque engin un humain est aux champs
un camion empressé
croise comme il peut sur la route qu’on suppose
on est avec ces gens
on les devine le ciel est leur abri
on va sur ce chemin
comme on va dans le monde juste un moment
juste un temps de
tous les temps du monde et rien que le monde
ainsi que l’enfant
dans le ventre une canne à la main
Ombres
ombres de ma mémoire
en sortent des
figures
comme en la nuit les
phares
font naître puis
disparaître
un passant inconnu
des pas dans la nuit
des pas dans la
pluie
quelqu’un marche
une ombre à jamais
disparue
ombre entrevue
murmures d’autrefois
au loin des voix
chuchotent
s’élèvent puis
retombent
souffles à jamais
perdus
en ma nuit réapparus
Le dit du pommier
ici un pommier
il fait des pommes, en voici une
observée jour après jour, elle grossit, elle grossit
un jour elle arrête, elle ne grossit plus
elle est parfaite
ou se sachant imparfaite, elle ne peut rien de plus
belle sagesse car au-delà elle se déferait
sa chair se déliterait, tomberait en pulvérulence
finirait en pourriture
voici la sagesse du pommier
il se défait de sa pomme
de sa pomme achevée
parfaite ou non, achevée
alors elle tombe
ainsi lâches-tu le poème achevé
ainsi te lâche-t-il
ainsi ta vie te lâche-t-elle
et tombe
Sur le chemin de
traverse
les grandes filles
m’avaient emmené, j’étais enfant
ce jour de plein
été, elles chantaient, la laide et la belle
chemin de traverse
au milieu des blés, robes légères voletant
elles qui ne l’ont
jamais connu, elles chantaient l’amour
et cueillaient des
bleuets
et ce chemin pour
jamais traverserait leur vie comme un trait
dans le bruissement
des hautes tiges, sous le vent léger
et des épis
au-dessus d’elles,
l’immensité d’un ciel lège et la superbe du soleil
jour de blondeur,
jour de midi, jour de traverse
vous dont la vie ne
fut que le gris d’une route
heureuses,
lumineuses, pour toujours en ce jour vous marchez
allant, légères sur
le chemin de traverse
Quand il vient
bruissement d'un
souffle ténu, ainsi survient mon ami
multiples voix,
chemins multiples, mille jeux d’harmonie
or on n’entend que
dissonance quand nous aimerions ce chœur
vivant, ce chœur, d’une
vive entente à l’écoute infinie
et ce que nous
voudrions, que tout prophète tient au cœur
ce chant universel
s’élevant d’une terre attentive
n’est pas, ne vient
pas à naître, absent il ne vient pas à l’être
et ce n’est qu’une
amorce, esquisse indéfinie, tentative
comme un fragile
espoir, juste un pas dans le noir, un peut-être
or bruissement d'un
souffle ténu, tel survient mon ami
Thomas
comme sur le bois on
suivra les veines
sur le bras nu le
dessin des veines
qui a suivi du doigt
le cours du sang
apprends que sur les
temps règne le sang
avec son poids de
souffrance et de peur
ses enfants nus qui
naissent dans la peur
parcours partout de
violence et de mort
des mains lavées
font sentences de mort
et nul déni
n’effacera le meurtre
naître à la vie est
avouer le meurtre
et tu vivras, en tes
veines la vie
rouge le sang,
passée la peur, la vie
courez – courez
! pierre a roulé
poussée – poussée
espace vide
parti – parti
reste le trou
la peur – la peur
parole nue
pas là – pas là
il faut sortir
courez – courez
épouvantées
vivant – vivant !
! vivant
Ânon*
l’âne aimait ce sentier, il aimait y trotter
– sur le sentier qu’on aime
on ne tourne plus la tête
il aimait cet ânier, il aimait l’écouter
– qui suit l’être qu’il aime
viendrait-il de Nazareth
aimera ce prophète, aimera le porter
– quand le monte un qui l’aime
avancer est une fête
* Tiré de Toutes ces mondanités
Runes dispersées
Neige, sur un ciel
noir, a passé son traîneau
et repasse et
louvoie, semant des fleurs de gel.
Neige morte, absence
gelée, nul arc-en-ciel
n’irise ta
blancheur, que hachent les moineaux.
Bravant le vent
d’hiver, sur ton immensité
ils vont de ci de
là, leurs pas sont des étoiles,
traçant, illisibles,
des runes que seul voile
un souffle qui,
rasant, les change en vérités.
Au loin s’en vont
ces mots que nos livres ont dits,
fuyant leurs pages
blanches et celant leur mystère,
alors que ces
vivants nous laissent interdits.
Nul ne pensait
saisir en leurs vives manières,
en leurs
cheminements, leurs petits bonds hardis,
le langage à
traduire en son dire éphémère…
rire en un feu
(presque cadavre
exquis)
et la caverne aux trois
serveuses
un rire nous a pris
Au chemin d’en bas
au chemin qui descend en quittant la maison s’entend la paix des
bois
chênes et châtaigniers, leur bruissement sans fin, sans projet,
sans vouloir
pur désir de tenir, c’est leur aspiration, et je le sais fort bien,
je leur suis étranger
pour ne plus être craint il me faudra chanter, chantonner, murmurer
doucement inspirer, largement respirer si je voulais tenir
partager leurs accords, apprendre à devenir
et si j’ai leur
appui, remonter tout à l’heure, flatté de l’entrevue
Conversation
au passage d’un ange
un trou dans nos paroles
je suis tombé dedans
quand l’échange a repris
je suis resté en bas
plongé au fond du trou
l’ange est venu au bord
il s’est penché vers moi
m’a dit de remonter
je n’ai pas répondu
je me plais bien au fond
il a repris ma place
Échappée
il s’est passé qu’une ombre
a recouvert l’étang
et qu’un héron cendré
aussi sa belle effarouchée
saisis d’un brusque envol
ont quitté ces parages
ainsi s’enfuient bien loin
les amants de vives lueurs
quand une nuit les frôle
aussi leur monde
nous demeurons
Qui ?
je fais des vers en je
je fais des vers en tu
je fais des vers en il
je fais des vers en elle
je fais des vers en nous
et pourquoi pas en vous
mais ni en eux ni en elles
c’est que ce ne sont pas
mes à faire
Résister
les chefs n’y ont pas
réussi, les rois n’y ont pas réussi
aux empereurs nous avons
survécu, aux prêtres même
venus jusque dans nos cœurs
et nos têtes et nos reins
aux évêques et aux papes,
aux pasteurs desséchés
à leurs synodes, leurs
conciles, leurs fatwas et leurs bulles
nous avons résisté, à leurs
États, leurs juges, leurs docteurs
leurs diseurs de vérités
sur nous autres, leurs savoirs
leurs prisons, leurs
goulags, leurs charniers, leur raison
leur bon droit, nous avons
tout souffert, morts par millions
au long des millénaires,
écrasés, formatés, chair humaine
souvent nous l’avons
cachée, nous l’avons sauvegardée
nous avons su conserver,
têtes à claque, notre antique
mauvaise tête
La visite
il vient me voir parfois
c’est entre chien et loup
nous parlons en confiance
toujours entre les temps
il n’a pas d’apparence
dans les premières fois
il me parlait de moi
je crois que je l’amuse
il me montrait du doigt
les failles de mes ruses
il n’était jamais dupe
je ne l’étais pas plus
nous le savons tous deux
les humains sont trompeurs
et moi je suis l’un d’eux
on se ment à soi-même
on finit par se croire
la visite d’un ange
empêche assez souvent
qu’on se donne le change
aujourd’hui quand il vient
nous dépassons mon cas
nous parlons d’autre chose
de la force du mal
du bien et de ses causes
de ce déséquilibre
où se forme le monde
au temps qui dérapa
de la matière en lutte
au rythme de nos pas
nos rencontres sont brèves
il lui faut peu de temps
pour éclairer des jours
pour redresser un dos
défroisser un détour
en un mot un sourire
une question subtile
il sait faire apparaître
un pan de l’irréel
et ce qui vient à naître
c’est pourquoi je l’attends
chaque nuit chaque soir
à l’aube au crépuscule
espérant sans le voir
que l’ange me bouscule
Kyrié éléison
(Seigneur aie pitié)
je ne suis pas un chien
je ne saute pas de joie
je ne gambade pas
je ne rapporte pas
je ne jappe pas de joie
d’ailleurs je n’aboie pas
je ne suis pas un chien
je ne suis pas fidèle
je ne te défends pas
ne te protège pas
je ne garde pas ta maison
d’ailleurs je n’obéis pas
je ne suis pas un chien
je ne cours pas en rond
je ne geins pas, collé au sol
je ne supplie pas des yeux
je ne hurle pas à la lune
ni à la mort, ni à la mort
non
Juste un panier
comme un panier, je suis comme un panier
comme un panier pansu tressé d’osier
je me remplis de fruits tombés de cent ou de mille arbres
on m’en jette aussi dedans, qu’on me confie, ou que je vole
quelle importance, au fond ils ne sont à personne
en tombant là-dedans certains me feront mal
ils ont de gros noyaux, il faut bien les comprendre
certains, de nuit, se glissent en mon sommeil
d’autres sont tels qu’ils attendent une main qui les prenne
alors je prends, je tends la main, je regarde et caresse
fruits de toute espèce et de toute part du monde
de toute couleur et de toute saveur, et légumes aussi
plantes qui verdoient, fleurissent et fructifient
graines qui s’en vont germant, et selon leur espèce
tel va le panier que je suis, qui déborde parfois
au fond jamais rempli, pourtant, ni jamais alourdi
et j’accepte et souris d’être juste un panier
juste un panier, comme un panier pansu tressé d’osier
Éveil
quand je suis arrivé tout
au bout de mon rêve
je me suis éveillé
il faut que telle histoire
en cet instant s’achève
au jour ensoleillé
je vivais du malheur au
long de mon sommeil
de joies échevelées
l’aventure inouïe ou
l’amour sans pareil
l’arcane révélée
et puis le jour paraît et
le vrai qu’il révèle
au matin nettoie l’œil
ainsi vient l’essentiel et
l’avent qu’il recèle
du songe on fait le deuil
on reçoit ce qui vient,
malsonnant ou fidèle
chaque jour est un seuil
Prière à l’usage de la maman de François Villon
Père qui vis et vivais avant nous,
Montre-nous tes cheminements :
Que, face au monde immense devant nous,
Nous ne pensions petitement !
Ô Père qui vis au-dessus de nous,
Apprends-nous tes commandements,
Et que, l’image de ton Fils en nous,
Nous ne vivions petitement !
Ô Père qui vis au-dedans de nous,
Fais-nous respirer largement.
De l’étroitesse du cœur garde-nous :
Que nous n’aimions petitement !
Ô Père qui vis si proche de nous,
Vivons-nous fraternellement ?
Qu’envers celui qui chemine avec nous,
Nous n’agissions petitement !
Ô Père qui vis tout autour de nous,
Le monde joue injustement.
C’est toi qui mets ce défi devant nous :
« Ne luttez pas petitement ! »
Ô Père qui veux le bonheur pour nous,
Pour le construire, joyeusement,
Que jamais, dans ce chantier devant nous,
Nous travaillions petitement !
Ô Père qui viens au-devant de nous,
Quand pour chacun c’est le moment,
Fais que, logeant la foi très fort en nous,
Nous ne croyions petitement !
Ô Père qui viens pour toujours à nous,
Tu veux apaiser nos tourments.
Que, l’espérance ancrée au fond de nous,
Nous ne mourions petitement !
Fêter le dire
dans le champ / dans le
champ est l’épi / dans le champ est semée la graine / dans le champ / la graine
là se trouve / dans l’épi / dans la graine se trouve le germe / cherche la
graine et cherche le germe / il a dit tu ne me / chercherais pas / si tu ne
m’avais / trouvé
ils ont pris la parole /
ils l’ont prise pour eux / ils ont dit nous parlons / c’est nous c’est nous /
ils ont mouillé le monde / mouillé de leur parole / qui n’est pas la parole /
et qui jamais ne dit / pas le verbe qui dit / corps de celui qui dit / de celle
qui dira / jamais eux
n’ont pas émis le verbe /
n’ont pas osé le temps de dire / pas le temps du faire / le temps du dit qui
fait / du dit qui crée / oh non car ils étendent / ils allongent / vois comme
leur temps est long / sans effet / sans autre effet que l’ennui / que l’embrouillamini
/ salive qui englue
et le roi leur avait donné
la parole / le roi l’avait disséminée / le roi l’avait jetée aux uns / et même
aux autres / abandonnée / riant de les savoir à même / de les vouloir ainsi / à
même de dire / aptes à faire d’une parole un dire / dire de lui / digne de lui
/ dru comme lui
alors pleurer se retrouver
et rire / ainsi le verbe à ton côté / trouvé le pain / trouvé le grain / trouvé
le germe / dans le grain le germe / et le dire qui lève / boire le vin boire la
rosée / boire la brume / fêter le dire / jamais assez
Comment ?
c’est un arbre qui
rêve
juste une envie de
ciel
et comment le
gagner ?
un arbre est désarmé
ni gagner par
violence
ni monter par
jactance
non plus que par
prudence
il a pu s’élever
approcher de son
rêve
car la ruse des
arbres
est de s’enraciner
Comme le vin
Ballade
Comme le vin tu me
captives
comme le vin
et mieux puisque tes
yeux
me font chuter dans
le silence
parfois
Je te vois et
compréhensive
comme le vin
plus ferme qu’un vin
vieux
te voici l’avenir de
ma danse
parfois
Lumière brune lampe
vive
comme le vin
ton regard est
non-lieu
il pense au soir en
mon enfance
parfois
Couvrant ce que la
peur active
comme le vin
et mieux car
oublieux
devin il devine ma
transe
parfois
Au loin ma dame un peu naïve
comme le vin
sous le ciel
rocailleux
d’amour me donne
intelligence
parfois
Le jour où tu pars
le matin est neuf,
sauf est le soir
entre les deux, veuf
est l’espoir
il va pleuvoir et tu
t’en vas
pas un matin que tu
ne sauvas
ce jour est lourd,
celui où tu pars
neuf est le soir, ce
jour fut trop court
araignée du soir,
l’air est lourd
au noir mon espoir a
sombré
la pluie tombe,
asile enténébré
dis, le jour où tu
pars est trop lourd
veuf est le matin de
ton départ
en allée, vois le
monde épars
je ne sens que tu
reviendras
si noire, la nuit
étend son drap
il fait trop nuit le
jour où tu pars
Pétaudière
tu sais ce que je
pense
je pense que tu le
sais
et ce que je sais
c’est que tu le
penses
quand tu penses que
tu le sais
et que tu sais quand
je pense
et ne sais que je le
pense
au moment où tu le
sais
mais que sais-tu,
j’y pense
j’y pense bien, tu
penses
tu le sais bien, je
sais
toi et moi le savons
de Marseille
Préliminaire
je dis que le mal ce
n’est pas étonnant
le dur et le
méchant, c’est l’habitude
et ce qui me
surprend
c’est la bonté en
marche, celle qui a des mains
et puisqu’il est un
dieu, là il rit de bonheur
Au cœur du malheur
vois, de toutes les
miettes disséminées, miettes éparpillées, tombées, inconséquentes et légères
sous la table, tu fais du pain
c’est ton secret,
fort bien gardé, tu lèves ce qui est tombé, ce qui est pulvérisé, tout ce qui
est défait, tu le dresses et l’unis et l’assembles
de toutes les
écailles, de toutes les arêtes rejetées, tu inventes le poisson, et tu le mets
à l’eau comme s’il n’avait jamais nagé
tu n’es pas
embarrassé, quelques pains ou poissons te suffisent, de cela tu feras un
banquet, face à nous tu dresseras la table, et nous tes ennemis, mangerons et
boirons
ce n’est là que
prémices, tu n’as pas de limite, tu nous prévois heureux, usagers d’un éden, èves tout éprises, adams tout
amoureux
de tout duvet léger,
voletant sous la brise, tu vas tisser l’oiseau, tu le lâches dans l’air, tu
attends qu’il s’envole, tu espères qu’il ose, et tu le vois planer
et chaque jour,
chaque seconde, incognito, amoureux du devenir, tu nous fais le coup de tes six
premiers jours
de toute goutte
postillonnée, tu rassembles une mer, et tu bâtis la terre de toutes les
poussières, celles qui sans raison tourbillonnent sous le vent
tu amasses le fétu,
pour qu’il serve à ton œuvre de verdure, à ton idée de forêts, de taillis et de
futaies, d’ombrages propices à toute bête
et pendant que nous
dispersons, que nous défaisons, face à nous, face à tes ennemis, ennemis de
toute œuvre à venir, tu te fais inlassable
et de tout ce qui
est, qui vit sous ton soleil, toi tu te fais un monde que tu aimes, et à qui tu
souris, qui te fait rire de plaisir, tressauter de bonheur
et de chaque minute,
et de chaque heure comme de toute année, tu nous offres un temps, une ère de
merveilles, au creux du temps damné, des jours abandonnés
n’es-tu pas, ce fut
dit, le seigneur de la danse, n’es-tu pas, en nos cœurs, en nos morts, en nos
deuils et nos crimes, en nos malheurs sans nom, le maître de la joie
Paisible
le chant du soir
s’en va, souffle léger au-dessus de nos toits
dans le fouillis de
l’érable les cancans des mésanges s’apaisent
tête repliée,
calotte bleue penchée, elles cherchent le sommeil
l’air s’est fait
translucide, reste, vers l’océan, ce halo qui s’étire
quelqu’un chantonne
sur la terrasse, je crois bien que c’est moi
aux temps de mon
enfance il arrivait que toute paix survienne
dans le silence
oublié par les bombes, retombé le nuage
une paix sidérée,
telle incrédule, habillée de stupeur
frayeur de qui se
voit survivre et ne sait plus où cela mène
et je crois bien que
c’était moi, cet enfant blanc couvert de poudre
ainsi s’en vont les
bombes, concédant, à qui veut, quelque répit
ou à qui peut, quand
se lasse un pilote attaché à son œuvre
ramenant un bilan de
désastre aux palais blancs de ses maîtres
quand se terrent par
milliers, en des trous, les enfants d’aujourd’hui
dans leurs pays
lointains, et je crois bien que c’est moi qu’on bombarde
là, une herbe
impavide à trouvé son peu
d’espace, entre deux blocs
un fétu vert paraît
dans le béton, dans l’amas imbécile
la vie renaît quand
les humains sont morts, leurs enfants éventrés
or les oiseaux
d’ici, pinsons, chardonnerets, nous laisseront vivre
nous ignorant, et
celui qu’ils oublieront, je crois bien que c’est moi
Margot Margot
si j’écris à la
plume
c’est pour te faire
un mot
Margot Margot
je suis comme un rat
d’eau
je compte pour des
prunes
ballot ballot
elle me lance une
agrume
je lui jette un bon
mot
pas beau pas beau
je m’en vais à vau
l’eau
ni chacun ni chacune
bateau bateau
pense pense à moi
à l’heure de l’apéro
je songe au lamparo
et tu rêves à la
brune
hello hello
et Margot je présume
que tu erres en la
brume
moi je te cherche
trop
rends-moi ma plume
Yggdrasil
assis où j’ai choisi
me disait le grand
arbre
de là je sème, de là
j’essaime et je vais loin
comme un chef de
tribu
j’enseigne et je
conduis
trônant sous l’arbre
de nuages et de pluie
jambe en terre
plantée
et quand je me
déploie
les bras ouverts, je
suis le tronc de toute science
de loin ma chevelure
indique le chemin
amoureuse des vents
et amante des temps
c’est ainsi
qu’immobile
je voyage et navigue
au-delà de la vue,
mon ombre portant loin
mon nom importe peu
je suis l’arbre du
monde
qui me touche et
m’enlace, il se renforcera
Cène
alors les voici tous
à table
avec les enfants et
les femmes
la peur est cachée
par derrière
en un paisible
remuement
ils ont faim, loin
d’être repus
manquant de pain et
d’amitié
ils sont ensemble
pour fêter
le sachant que
proche est la fin
celui qui parle va
mourir
et tous ceux-là vont
s’en aller
un seul repas va
leur suffire
il nourrira leurs
aventures
Utopie
ce qu’on nomme
utopie n’est autre que le rêve
où tu sais, en
rêvant, que l’avenir se lève
un jour vient, puis
un autre, et l’horizon s’éclaire
chaque étape à pour
elle un nouveau monde à faire
tu le crois, tu le
penses ou le veux et l’espères
jamais les démentis
ne vaincront tes colères
comme il te faut
d’audace, et comme tu t’égares
quand meurt pourtant
le jour heureux que tu prépares
après la pluie vient
le beau temps, dit-on souvent
la pluie revient
pourtant, la pluie des mauvais vents
alors tu
recommences, alors loin d’oublier
l’enjeu de ton
courage est de ne point plier
on te dira
follingue, étrange en la maison
on verra qu’à la
fin, c’est toi qui as raison
Envolées
plume qui vole, qui
s’envole,
tel va l’aveu,
l’avis, le vœu,
s’en vont les
envolées, valaient-elles,
et le vote, volatil
où va-t-il ?
plume qui vole et
volera
avec les vieux, va,
la vie s’en va,
vaine la vie, que vaut-elle,
mais que vive la vie
vraie !
plume qui vole,
envolée belle,
vivre est un vide,
vivre est un vin,
vivants valides,
voulant ou veules,
qu’ouvert, en vous,
veille un visage.
Étrange
le monde en moi
toi dans le monde
en toi voici le
monde bleu
je te vois si jolie
couchée sur l’herbe
bleue
le bleu de tes yeux
dit-il tout rouge
je te vois rouge
le monde est rouge
je te vois bleue le
monde est bleu
tu fais entrer en
moi le rouge
tu fais entrer le
bleu
une orbe rouge et bleue
et si le ciel orange
est un orage
mon cœur en moi se
fend
tous ses quartiers
s’épandent
sur l’herbe verte et
bleue
du ciel sur elle a
coulé tout l’étrange
et tu dis quel
mélange
quand je suis toi je
suis le monde
le monde rond comme
une orange
où comme au ciel les
anges
ma chair est rouge
et bleue
couchée sur l’herbe
noire
et tu me dis étrange
Aériennes
ce jour-là, les
oiseaux eux-mêmes étaient lourds
les poissons aussi,
ils étouffaient, toute cette eau
une eau sans air, un
air pesant, la chaleur lourde
c’était un jour où
l’attraction terrestre jouait à plein
les pieds collaient
au sol, les jambes gonflaient
la terre s’effritait
sous les pas, attirée vers plus bas
sûr qu’on rigolait pas, on étouffait, comment rire ?
il a dit que non,
qu’il sauterait en l’air, jambes en l’air
tranquille il l’a
fait et les oiseaux se sont mis à voleter
remis à voler, même
les plus gros, l’émeu lui-même
et voyant, les
poissons se sont mis à rêver de la nage
à nager dans une eau
redevenue légère, même aérée
avec des bulles, et
la terre les a senties, les bulles
elle s’est mise à
respirer, elle s’est assouplie, légère
et il est retombé,
les pieds ailés, les jambes déliées
même, il a dit qu’il
n’hésiterait pas à recommencer
Pour une combattante
la belle est morte
au combat
pleurez sur le corps
d’une dame
femme brune de
là-bas
chantez le courage
des femmes
femme, elle a pris
le fusil
tombée, elle gît
dans le sang
honte à l’homme qui
s’enfuit
quand sa sœur meurt
en partisan
toi, tu n’auras pas
d’enfants
la guerre te fut
imposée
veuf qui se veut ton
amant
la guerre au loin
t’a emportée
on pleure, on chante
là-bas
on chante la force
des femmes
la belle est morte
au combat
fière et belle comme
une lame
(Lieutenante Reem Hassan, commandant
une unité de femmes
kurdes et chrétiennes
face à Daéch en Syrie)
Bluette
adieu à mes
amis
doux comme un doigt
de miel
ou comme un poing
unis
étoiles dans le ciel
des bras de mon
amour
aux serres des
vautours
de lèvres de velours
à la mort sans
atours
les signes sont
tracés
les enfers sont
pavés
les bêtes vont
émerger
leur règne est
annoncé
elles seront douces
elles seront
cruelles
seuls survivront
ceux qui sauront
aimer
Enfants heureux
Sur un rythme de Jean-Paul de Dadelsen
Près du hameau les enfants courent, sous la chaleur du soir, sous l’odeur
des tilleuls, criant
malgré les ombres qui s’allongent aux murs, ils se poursuivent,
fuyant le lit, des enfants
pâles des villes, et que la paix soit avec eux !
Derniers jours de l’été, fin août a confié à la nuit qui vient ses
parfums et ses rires.
À peine le matin viendront des jamais
plus, au temps où les beaux jours s’achèvent,
l’automne et l’oubli pour refrain.
Au loin les soldats ont peiné sous le casque, leur pas lent fait
rouler la longue mémoire
de ces pierres insoumises, pour toujours fichées là en
rebelles ; la foi des pauvres avec elles
éveille à nouveau, pour longtemps, sa rancœur.
Revient l’inévitable, au retour du malheur, lorsque l’encre des
messieurs, et leur verbe,
redéfait une longue épissure de travaux et de jeux, et d’alliances,
et de danses,
ainsi revient la guerre aux hommes.
La jeune femme, à ses anciens voisins l’a dit, redit, d’autres
temps viendront où pourtant
il sera temps de refaire une histoire, de rassembler les brins, de
trouver un village
de tendresse tressé, au cœur las de haine.
Qui le croira, qui va le croire, et les soldats ont ri, pourtant
vêtus de peur, d’habits
de sang versé ou de tortures, à la terre ira leur rire comme un
chien a hurlé
à mort, il n’est pas de pardon.
Où s’en vont les anges quand il pleut, leurs ailes salies par la
haine, je ne sais ce qu’ils
veulent, ont-ils aperçu, honteux, ces liens d’amours cachées
dessous, je ne sais pas ce qu’ils
disent, privés de sang rouge, aux pures élytres.
S’en vont-ils pleurant, riant de nous autres humains, sommés de
rapporter à leur maître
leurs proies, les ailes ensoleillées, irisées de tant d’éclairs et
de combats, de peines,
chaînes trop lourdes à porter ?
Or paisibles sont les villages, ignorant ce qui vient, les ciels de
bromure et de plomb
sous les orages, ainsi vont les gens que nous sommes, incertains et
confiants, tous incrédules,
enfants de vide mémoire du mauvais.
Seul un sage a semé les graines du futur, ne sachant, ne voulant,
visité seul
par les esprits errants revenus vifs de très anciennes guerres,
gitans de sa mémoire
voyageant sur ses folles routes.
Un vieil homme est passé ce soir, mille nouvelles dans la tête, et
des chansons
à faire entendre, admirer, dispersant à l’envi les brins de son
tabac, mi-rieur,
mi-sinistre, rageur, la langue embarrassée,
ancien enfant justement, vif encore et déconcertant, l’œil allumé
par des joies
anciennes et des bonheurs datés, par des soucis dont il n’a plus
que faire, les soupesant.
Aux vieux que devient l’avenir ?
En attendant la mort il est si doux de rire, amis rions,
attablons-nous ensemble
avant d’être cueillis pour une autre aventure, saisis de peur,
habités de désir.
Ne sommes-nous pas de ces curieux amants,
aimant la guerre et la fuyant, aimant la vie et la foulant, aimant
si fort, enfants
voués à vivre aimés et menacés de haine, envoûtés, encroûtés, fort
amusés
aussi, qu’on n’en peut plus de rire.
Et les filles chantonnent, se tenant par la main, oublieuses dans
leurs tabliers de ferme
de ce qu’il faut de crainte pure ou de fière malice, pour sauver
son estime aux jours
où pleuvent les cris de vengeance et les pleurs.
Je sais ce que je dis, j’ai souvenir du temps maudit des reîtres
vert-de-gris, barbares
civilisés, faut-il le dire, tout affolés de leur orgueil, de leur
blessure d’être,
âmes retournées à jamais.
Les gens d’ici en ont le souvenir, on en trouve les traces, on se
demande encore
en quel dessein les enfants à l’étoile avaient à se cacher,
lapereaux apeurés,
sans leurs poupées ni leurs peluches aimées,
enfants tués, et le faut-il, que dans la vie des hommes, les ogres
soient autorisés ?
Oh comme on s’en souvient ! Et le ciel, en vérité, peut
tomber, la lune en sang rougir,
mon Dieu, tu as de ces idées…
Et peuple qui n’a su, venu le froid des morts, que la nuée soulevée
par les chars
t’apprendrait à courir, te souviens-tu, ces jours où tu fuyais
auront sauvé pour toi
tes cartons à chapeau, tes robes à fleur.
Je dis ce qui était, je ne mens pas, mais
pourtant on chantait, et la plus belle histoire,
peut-être, est celle où l’on verra le peuple menacé, tout comme ces
enfants qui jouent,
chanter avant la mort qui vient.
Car les enfants, en tous les temps, près du hameau de leur
naissance, aimeront à courir
à l’ombre des tilleuls, sans souci, ignorant le zonzon de ces
milliers d’abeilles
attachées à leur labeur, comme un tueur.
Qu’ils s’amusent au soir, que les rayons du soleil de la guerre ne
les traquent, ainsi
que fait la flak, elle qui a piégé
l’avion, cloué au faisceau blanc d’un projecteur,
et qu’ils ne meurent, non, qu’ils ne meurent.
Insensibles à nous et poursuivant leur quête, têtues, les fleurs,
les plantes et les bêtes
continueront, obtus, sans nous, quand nous fuirons notre festin,
notre destin lassé,
et qu’il est doux de dire à cet avenir
que des enfants un jour auront joué, crié, soûlés de rires, ou de
pleurs sans objet,
avancés dans le soir, que l’appel de finir et venir se coucher
était leur seule crainte,
enfants heureux sous les étoiles.
Le cœur
comme un lit de
plume
j’aime bien dire je
t’aime
j’aime bien dire ça
va
ces petits mots-là
un envol d’oiseaux
un bateau sur l’eau
le cours d’un canal
la vie vers l’aval
mais puisque mon
cœur bat
tu me fais remonter
tu m’aimes tu
m’emmènes
où l’on se bat
Le bruit du vent
en moi, bien en
dedans
ruisseaux et bruit
du vent
tu les vois, canaux
et courants
envolées d’avant,
fous de bassan
je regarde en moi et
volant
vont les signes du
temps
bons amis et bonnes
gens
moineaux et fleurs
des champs
des monstres avec
des dents
dieux contents et
mécontents
une averse, un vent
d’autan
en moi le monde et
moi dedans
Invisible
invisible et
pourtant déjà là tu le dis impossible
inconnu tout encore
et présent devant toi
face à toi qui ne le
vois s’en va ton avenir
mortel un jour
immortel aussi bien tu le nies
naître et croire et
décroire et voir et devoir naître
impossible inconnu
bel invisible tu viens
La marguerite
est-ce bien l’engrenage
ou cette fleur en soie
qui nique la mécanique
nique nique ?
qui nique la mécanique
nique nique ?
est-ce saint dominique
ou est-ce saint françois ?
est-ce un cerveau stainless
ou le cœur pur en soi
qui nique la mécanique
nique nique ?
qui nique la mécanique
nique nique ?
ce n’est pas la marguerite
c’est l’acier qui déçoit
À quoi tu
penses ?
À quoi tu
penses ? elle demande – À des choses lointaines qu’on ne peut partager
ce sont choses
d’enfance et voudrait-on les dire il y faudrait un livre
on y lirait le
temps, les habits, les nuages, et ces heures et ces toits, et ces gens
on y dirait le vent,
quand il vous emportait, volée de nuées de feuilles jaunes
ou rouges et brunes,
et vertes encore, et dans le bruissement des dernières accrochées
aux branches des
marronniers – qui se souvient des marronniers et des cours des
écoles ?
des choses de récré,
on y lirait aussi, choses de craies, d’ardoises, de blouses grises
et dirais-je ces
mots, ces verbes et ces noms, ceux de ce temps, ce serait inutile
au livre même, au
film, à la bédé, il manquera l’odeur, et manquera la peau
quand elle
frissonne, sous la pluie et le vent, en automne, ta cape voletant
et comment, malgré
ce temps, sous le chandail, sous le tricot, une moiteur s’étend
et ce que tu ne
pourras dire, que le livre écrit ne saurait dire, c’est le plaisir
de marcher comme on
rêve, comme on s’endort paisible, sous le couvert du temps
sous la bruine, dans
le vent, comme le percheron qui patiente et fait sonner son fer
et le pavé de grès
s’irise, et le ciel s’immisce entre les hautes maisons des gens
et tu ne sais si tu
souris ou si tu pleures, car tu ignores où se tient la douleur.
L’homme qui fuit
le vent tourne
le vent souffle
aidez-moi
il m’emporte
je m’en vais
adieu toi
il me chasse
le vent fou
loin de lui
la colère
prends ma main
que veut-elle
je suis seul
un désert
plus de nous
je vous aime
je vous fuis
loin de vous
des lueurs
et je cours
devant elles
incendiaires
souffles fous
j’ai peur d’eux
où courir
es-tu là
plus personne
Chaleur d’été
Nuit
fraîcheur
je suis étendu
me reste le ciel
chant du coq
très loin dans la
nuit
un enfant pleure
dans le noir
un aboi
une envolée de
chiens
tu dors
au loin chante la hulotte
je suis seul
Matinée
au pied du pêcher
c’est l’aube
poignée de poils
gris
peau de pêche
au matin
la rosée l’a perlée
sur ma main
la montée du soleil
et les mûres
vois
c’était cette nuit
le renard a chassé
Journée
souffle doux
le feuillage miroite
il fait chaud
seul humain là
les arbres m’entourent
ils respirent
un cri rauque
peur
la pie-grièche qui
s’envole
chaleur épaisse
un sentier caillouteux
quel souffle ?
Soir
temps sec
les racines vont
profond
ma soif
très bas le soleil rouge
une abeille
et mon verre
mort
j’entends la chouette
la sauvagine est sortie
vent du soir
l’air s’allège
temps heureux à dormir
Coda
vois les colchiques
un souffle passe
l’été n’est plus
Je viens de loin
aujourd’hui je me
sens pierre à feu
silex et l’eau
dessus pour en goûter l’aigu
calcaire aussi, de
quoi en mes os je suis fait
et de la terre, a
dit l’antique enseignement
et toutes ces chairs
anciennes d’autrefois
elles, en leurs encontres, dont je suis advenu
je viens de loin, en
moi gît le serpent originel
juste à demi soumis
en la boite crânienne
et de plus loin, de
poudre, de poussière
nuées, subtile
pulvérulence interstellaire
de laves, de marais,
et d’eau pure et céleste
de fourrures de
bêtes, de squelettes enfouis
et le grand rire
d’ogre qui vient de tout cela
dit la peur et la
rage, le plaisir, le bonheur
je suis enfant du
monde et de tout l’univers
le reflet d’un
visage et le souffle éternel
Plage normande
pieds nus salure
promenade sur l’estran
crachin suave et
poussières d’embrun
humide sous le pull
et cheveux emmêlés
derrière nous
tiédeur des prés salés
accord de nos pas et
je te regardais
soleil sous la pluie
et le vert de tes yeux
tu disais au noroît
des paroles envolées
éclaboussées giclées
d’eau et de sable
ce jour ce temps ce
moment à jamais
heure perdue mémoire
paroles envolées
en doux sépia elles
reviennent volées
les ramène la bruine
d’aujourd’hui
Pouvoirs
L’été est là, sa
douceur, et ces nids qui se vident,
nourri on se met à
voler.
Les ailes, sous la
pluie, se couvrant de perles d’eau,
n’ira-t-on pas trop
loin ?
Pouvoirs plus
étendus, enhardi, tu te risqueras plus,
jusqu’à y perdre tes
ailes ?
Se glisser entre
deux airs, tel le chasseur nocturne,
dans la justesse du
vol.
Noroît qui va
au pays de nuages et
de vent
où nul soleil ne
découpe
rêvant, tu vas
pensant, aimant
chantre du vent
s’agitent bonheurs
et misères
en nombre au noroît
tu les contes
afin qu’il les porte
là-bas
voire là-haut, qui
le saura ?
tu n’en gardes que
les moindres
il te les faut pour
rire
et pleurer ou
chanter, ou sourire
et tu respires
allant
t’échevelant le vent
va, t’enveloppe
cheveux qui nagent
dans le ciel
Moineaux
rien n'est plus beau
que le courage des
moineaux
rien n'est plus beau
que le plus vieux
des sages
qui va tenant
en sa main d'homme
d'âge
la main d'enfant
d'une fille qui
saute
d'un pas très sûr
sur un pied sur un
autre
tout en
éclaboussures
rien n'est plus beau
qu’une amitié
d’oiseau
Chœur
à Mikis Theodorakis
il est un chant qui
monte dans la rue
qui l’entend pourra
s’en émouvoir
et ton cœur sait
trop bien qui le chante
dans le noir une
voix s’est levée
qui l’écoute
pourrait pleurer de honte
c’est ton frère et
tu l’entends chanter
dans le ventre des
Grecs il est une chanson
dans leurs jambes se
meut une danse
dans leurs mains se
glissent des barreaux
où est-il, ma mère,
cet oiseau rouge et noir
qui planait
au-dessus des eaux ?
où est allé le
souvenir des hommes ?
impalpable, crachin léger
pas même une brume
ne tombe pas, semble monter
imperceptible, le sol humecté
et les roses, les roses perleront
la peau, à peine une moiteur
et les cheveux qui frisent
la main sur eux sera mouillée
un ondoiement de pauvre
pour un homme en sabots
les oiseaux font silence
dans les bois qui sont derrière
passé le hameau
s’en va chasser la dame blanche
à son cri le chevreuil endormi dresse l’oreille
toute la sauvagine
au loin la nuit
Attente
d’anciennes sagas ont parlé de cela
du jour où demain frappe à la fenêtre
rien ne se passe, et les jours et les jours
derrière la vitre les vieux maudissent
j’attends toujours ici, j’attends encore
avec curiosité, à chaque instant
vienne la trouée de lumière annoncée
et resplendisse, le ciel serait-il bleu
À sa fenêtre
là c’est juste un homme à sa fenêtre
et qui attend
contre le mur d’en face, une bicyclette
aussi un chien
un vieux vélo boueux, les pneus usés
un chien pouilleux
désœuvrés, ils s’appuient contre une porte
aux planches usées
la rouille a mangé la peinture du vélo
la porte est bleue
un jour, le vieux chien fut blanc et roux
mais là il dort
on se demande ce qu’il y a derrière la porte
toujours fermée
et tout cela espère peut-être une venue
pour s’animer
l’homme qui attend tient sa fenêtre ouverte
longtemps longtemps
Litanie
de la violence
délivre-nous
de la violence,
délivre-nous seigneur
de la violence
ils sont entrés
ils ont tué
ils ont tué tous ceux que
nous aimions
de la violence
délivre-nous de la violence
ils sont entrés
ils ont violé
et notre envie à nous fut
de les tuer
délivre-nous
émasculés
ensanglantés
notre désir à tous ce fut
de tous les tuer
délivre-nous
contaminés
que le sang coule
et c’est en nous, le sang
nous saoule
de tous les tuer
les massacrer
l’envie de tuer qui est en
nous, les supprimer
les effacer
le sang qui coule
le sang nous saoule
nous sommes nés pour le
répandre, le bénir
pour le chanter
nous en vanter
que le tambour
que le bruit sourd
de nos envies, de nos
désirs de nous venger
il coule en nous
délivre-nous
que du tambour
de nos désirs
de la violence enfin tu
nous délivres et purifies
Jours qui passent
un rongeur a rongé
il avance dans son bois
il le met en poussière
aboutie :
tu disparais
un peu fini
un jour puis un jour
et qu’elle naisse aujourd’hui
l’étoile à venir
que s’en aille au loin
l’esprit ?
tu raisonnes et tu ris
aux temps passés tu dis pardon
ils s’en vont
une fenêtre s’est ouverte
sous le souffle
fenêtre close
là se nichait le silence
se lovait le non-dit
un dire celé
il explose
brusque naissance
fenêtre du cœur franchie
un dire inattendu
non plus que voulu
puis la fenêtre devint porte
Dans la rue où
vit
dans la rue où vit mon souvenir je
n’irai jamais plus
elle est loin d’elle-même
ils sont heureux ces jours où sans
peine elle devient l’habit
le nid d’autres enfants
ils verront s’éloigner d’eux un
jour, comme elle fait de moi
son camaïeu de gris
le grès de ses trottoirs ou le zinc
de ses toits, l’argenté
l’irisé de ses pluies
d’autres encor viendront, et leur
rue en sera transformée
arrivant d’autres lieux
nous qui sommes divers, eux et moi,
ne formons qu’un seul peuple
de purs déracinés
Comment
l’arbre, vois-tu son cœur
son cœur, l’arbore-t-il
et l’oiseau
ce qu’il voile et dévoile
en son vol
le vois-tu
la truite
au courant traître des eaux
que trahit-elle
tant de choses cachées
des mystères
comme à Pâques un enfant
cherchera
Fille qui
chantonne
trois maisons basses
au long d’une allée claire
et trois arpents de terre
entre fleurs et gazon
fille qui chantonne
sous le ciel si haut
que penser d’elle
lorsque la nuit se tend
soie de peau
mouvements d’aile
c’est un voilier tout blanc
il s’éloigne en dansant
pointe l’éphémère
avant qu’un avenir
brûle un morceau de vie
et que changent les temps
Arbres qui
marchent
comment je t’aime
je t’aime comme
comme un jacaranda tu sais
l’arbre qui pleure
comme le magnolia
quand il se trompe
se trompe de pays
se trompe de saison
ou comme le grand cèdre
il a perdu sa tête
à cause d’un grand vent
d’une tempête
je t’aime comme un thuya
arbre modeste
il prend parfois le feu
se flétrit, se rougit
ou comme trois sapins
qui ne font qu’un
au-dessus d’un petit toit
de tuiles rêches
arbres qui marchent
comme un homme qui sèche
comme jaunit le pré
quand la pluie a manqué
Sortie
il était allé à la messe
juste une idée bizarre
tout le monde le regardait
les gens se retournaient
lui regardait les statues
une qu’il aimait bien
c’était une dame en bleu
un bébé dans les bras
on se levait on s’asseyait
et tout le monde chantait
il fallait s’y connaître
pourtant ça lui plaisait
et tout au fond de la salle
un type qu’il connaissait
bras tendus sur une croix
le regardait le regardait
Papillon
la vie, cela se jouera donc en un
temps court
trois jours, de ce jour noir
jusqu’au lever du jour
journée de mort, jour de néant, jour
éclatant
juste le temps d’une aube et demain
vient à nous
juste l’instant qu’il faut, battra
l’aile du temps
papillon noir… papillon blanc
jaillit du trou
Brume
Temps de brume, contours flous,
temps paisible,
Petits frissons heureux.
Plus de jugements tombant du ciel,
Plus de contours coupants.
Émerge la pointe des sapins,
Demi-géants amènes.
Et la rosée, ténue, qui s’étend,
Une onction qui pardonne.
Qui avance dans l’herbe trempée
Accepte ce baptême.
Amour
vois
vois comme
les mots amers de mon amour
t’appellent
toi
que j’aime
pourquoi te tiens-tu loin, si loin
de moi
moi
que l’aile
a touché, aile noire au désespoir
toi
qui sèmes
en moi les perles d’un amour puni
moi
fidèle
et moi l’aimé cependant infidèle
vois
vois comme
les mots ailés de ton amour me
portent
Le grain de la voix
sillons tracés comme sur un guéret
creusées les écritures
s’alignent
files de grains enfouis portant
parole
et germeront-elles ?
seul un grand souffle alors
portera
multiples des voix à semer alentour
ainsi des lignes naissent des
paroles
et s’entendront-elles ?
Détraqué
détraqué détraqué,
vous voulez-dire démonté
le monde il est démonté,
complètement démonté
et même, démonté, carrément en
morceaux, plutôt
jusqu’au dernier boulon, il est
démonté, le monde
croyez-moi, pour le remonter ça
demande du boulot
et même, du boulot, faudrait du
savoir-faire, plutôt
remonter remonter,
vous croyez que c’est facile
on n’est même pas sûr de retrouver
le monde pareil
et même, pareil pareil,
l’en faudrait un autre, plutôt
Pourquoi toi ?
C’est une femme, voyez-vous, que
j’aime
cela me vint comme ça
le vent d’aimer, alentour, l’amour
sème
c’est bien ainsi qu’il passa
Et je me dis Serait-ce pur hasard
cela viendrait-il sans loi
tout nu, l’amour naîtra-t-il quelque
part
sans qu’un sens ne s’y
emploie ?
Celle qui me fait du bien, pourquoi
elle
et qui l’aime, pourquoi moi
le charme et la force et la vie, le
zèle
tout cela ne vient-il que de
soi ?
Je crois voir qu’une chose aussi
certaine
cette histoire que voilà
doit provenir de causes souveraines
et qu’un vouloir s’en mêla ?
Envoi
Encore et encore faut-il le dire
voulu d’avant ou né de nul empire
j’aime cette femme-là
Percée
au soir
se glissant sous les nuages
parfois le soleil survient
le pire
on le dit n’est jamais sûr
tu croyais que la lumière
expire
le ciel au rouge s’embrase
percée d’un jour au futur
plaisir
Le choix
à qui viendrait de loin que dire
sinon va ton chemin
ou plutôt ne rien dire
laissant la porte ouverte
à qui s’introduirait que faire
sinon le jeter loin
à moins de ne rien faire
juste poser le pain
à qui le mangerait que prendre
sinon le pressurer
ou se garder de prendre
à plein verser le vin
à qui le boira que devoir
sinon rire et moquer
or il reste un devoir
lui proposer un lit
Rafle
à M. Grinfeld, in memoriam
ils sont tous partis
on les a tous emmenés
à leur place des trous
la rue une bouche édentée
les dents qui manquent
où sont-ils
morts assassinés
ici vivait une famille
un homme une femme des enfants
là une femme et son homme
une femme et ses enfants
l’échoppe d’un tailleur
une vieille et son vieux
l’école aussi a des trous
aux tables pour deux un seul reste
un cancre manque ici
là le meilleur élève
la fierté de leur maître
sa place est vide
ne reste qu’une craie
dans la cour comment jouer
des cases manquent à la marelle
les filles balancent la corde à
sauter
personne pour sauter
la balle ne cogne plus le mur
parce qu’on est triste
où sont-elles et où sont-ils
s’ils reviennent
ceux qui reviendront
ce ne sera plus pareil
on aura manqué d’eux
ils seront abîmés
on ne leur parlera plus
ils seront trop étranges
pour toujours étrangers
avec ceux qui manquent
on ne pourra jamais
plus remplir cette rue
parce qu’ils sont partis
traînés sur leurs paliers
dans leurs escaliers
tassés dans l’autobus
emmenés
Devenir
il a vu ce qu’il était
il a vu que le monde est en lui, lui
dans le monde
il a vu que le monde n’est pas fini
et que lui, il l’a vu, n’est pas
fini
en devenir
devenir, le plus beau des verbes de
la terre
et du ciel
Paix
dans le cercle intérieur où règne la
colère
recouverte de neige la graine qui
attend
amasse des fureurs à peine écloses
et tu naîtras pourtant, malgré le
gel
la haine ne tient pas
Holà
sans rien dire à personne
j’ai sifflé ma voiture
elle arrive en piaffant
pas une égratignure
je suis monté dedans
son humeur a changé
elle faisait la tête
voulait pas démarrer
plus rien à en tirer
faut pas trop m’énerver
qui me cherche il me trouve
sans rien dire à personne
j’appelle mon portable
il ne veut pas répondre
ils s’étaient mis d’accord
j’avais pourtant tout fait
j’avais mis de l’essence
j’avais changé les piles
tapoté la calandre
caressé le boîtier
faut pas trop m’énerver
qui me cherche il me trouve
sans rien dire à personne
je suis allé à pied
voir mon ordinateur
je lui ai raconté
il a pris leur parti
et la wifi aussi
je les savais amis
mais c’était pour me nuire
j’y ai mis le holà
fallait pas m’énerver
si j’ai tué qu’on le prouve
Souffle
pour écrire un poème il faut être
bien soi
il faut le respirer c’est la
première chose
c’est la première cause tout le
reste s’ensuit
on rêve que l’on marche on oublie
que l’on souffre
on ne ressent qu’un souffle
se soucier des mots est la dernière
chose
ils ne sont pas la cause ils
viendront bien tout seuls
et s’ils ne venaient pas on ira les
quérir
le monde est plein de bêtes mots qui
se ressemblent
or vivre est dans le souffle
on marie les cadences elles sont des
servantes
liées au bon plaisir des rythmes qui
sont rois
au plaisir des ressacs ou des
sursauts du temps
semblables aux blés lourds que
rebroussent les vents
bousculés sous le souffle
Amitiés
si je pouvais entrer dans l’amitié
de la mer et du vent
dans l’amitié des arbres et des
champs
du ciel, enfin, tout étoilé
si je pouvais entrer dans l’amitié
des plantes et des bêtes
dans l’amitié des oiseaux des champs
enfin des poissons de la mer
si je pouvais entrer dans l’amitié
des enfants et des gens
dans l’amitié des contes et des
chants
de toute les histoires, enfin
plus de bonheur surviendra peut-être
si ma vie à leurs vies s’enchevêtre
Lieux
s’il fallait s’installer, pensait-il
choisir les genêts, entre les dunes
d’un bord de longue plage
y nicher quelques rares maisonnettes
aux larges coursives de planches
y attendre les marées, y entasser,
pour les hiver, les bois flottés laissés par le reflux
voir loin, très loin
dormir là, paresser, patienter,
même, jusqu’à
longtemps
ou bien, c’est le plus facile,
rester ici, ou là, se lever, déménager, prendre un bail
se souvenir alors des amitiés
possibles, des voisinages, du rire des enfants
aménager les lieux, peindre et
meubler, sourire
s’il fallait prendre part,
pensait-il
Souffle
entre toi et moi le léger de ta
parole
là va le souffle ténu
qui palpite
comme un vide qui n’est pas le vide
vide qui relie sans lier
qui évide
comme un pont qui n’est pas un pont
pont de légère buée
qui dessine
comme un blanc sur une page écrite
espace où l’on se place
qui esquisse
comme une voix qu’on n’entend pas
qui tinte entre les choses
qu’on devine
entre toutes choses et tous les
êtres
entre toi et moi le souffle
qui délivre
Scansion
un pur visage un jour paraîtra
dis seras-tu celui-là
le saurons-nous mais tu surviendras
des brumes des nuées là
forgés sont les récits la saga
des histoires qu’on mêla
coulpes et pleurs et peurs qu’on
légua
tout noirs secrets qu’on cela
mais face de pluie de vent frimas
pur visage par-delà
éclatant perçant de lourds amas
nu je dirai te voilà
Printemps
Il a fait mauvais cet hiver, les
mésanges ont disparu,
nichent-elles plus au
sud ?
Leur chant ne viendra pas
tantôt ; c’est le printemps,
elles sont allées trop loin.
La chanson, faut-il que tu la
demandes ? Et l’envol,
l’été l’attend, déploie tes ailes.
Resterons-nous sans légende pour
longtemps, semblables
aux peuples qui ont
froid ?
Samedi
samedi, samedi le grand, samedi du
soir
jour de nuit, samedi des cœurs noirs
dès le soir du vendredi aux treize
espoirs
heures sans au revoir
on ment, tu sais, on ment, on ne dit
aujourd’hui
la vérité, le grand parler des jours
enfuis
des jours passés, tus dans l’ombre,
en des nuits
de tombes et d’ennui
mais après, après toi tu ne sais ce
qui viendra
samedi, samedi sombre, habitacle des
rats
ils rôdent dans les têtes, et les
cœurs, les bras
crois-tu qu’un jour naîtra
Tuer
tu le sais tu
l’entends la corne au loin te parle
une puis deux puis trois et le
tambour s’ajoute
on dirait je ne sais quelle fête
assourdie
ils vont danser je crois pour
quelque réjouissance
mais entends peu à peu ces bruits se
pervertir
se teinter de venin devenir
menaçants
ce ne sont pas des chants mais des
cris de tuerie
alors le bruit s’approche il devient
roulement
très fort et tu comprends qu’il
n’est pas de musique
ni de chants mais la mort en ces
lieux qu’on encercle
et ces longs hurlements sont doublés
de musique
cliquetis grincements ce sont des
chars venant
pour incendier la ville et tuer les
enfants
Et quoi encore
et ce petit enfant couché près d’une
vipère
croyez-vous que ce soit raisonnable
je me le demande
je me dis que faut-il attendre
que faut-il entendre
les prophètes étaient-ils pleins de
vin doux
et ce petit enfant couché dans une
crèche
pensez-vous que ce soit adorable
je vous le demande
vous laisserez-vous surprendre
qu’y a-t-il à apprendre
et les mages étaient-ils des dingues
doux
et ces petits enfants victimes du
massacre
dites-vous que ce soit acceptable
qui se le demande
qui cherche à vraiment le comprendre
tués dans leur âge tendre
et rachel
a-t-elle versé des pleurs si doux
La chatte des voisins
comme chaque jour la chatte noire et blanche est là
elle erre sur notre terrasse elle ne sait plus où s’installer
nous avons rangé pour l’hiver la table où elle s’allongeait
où soir et matin elle prenait le doux soleil d’automne
sa chaleur réverbérée par le haut mur de l’aile sud
elle s’y tenait à l’abri des vents coulis échappés du noroît
où aller désormais où se mettre elle interroge du regard
mais comment le lui expliquer elle est de langue anglaise
Neige
Neige a tombé
dame au paletot
les os cassants
pelure gelure
il fera beau
cerises aux branches
quand on rira
mésange a
froid
chardonneret
pattes brindilles
duvet duvet
quand il viendra
tu souriras
le roi printemps
la goutte au nez
gelez gelez
et les doigts gourds
le sol est dur
doigt de porto
pas d’eau pas d’eau
réchauffons-nous
Sens
un escalier c’est quand même bizarre
on peut descendre on peut monter
c’est pareil pour un sentier de
montagne
ou la rue de Belleville à Paris
on peut monter on peut descendre
aussi d’un autobus quand il s’arrête
on croit qu’il est facile de
descendre
et que monter fatigue plus
cela il ne faut pas le croire
monter n’est pas plus dur que
descendre
à la longue je me le dis toujours
et descendre me fait mal aux genoux
il faudrait monter dans certains
autobus
descendre plutôt de certains autres
parfois monter sur le chemin
plutôt que le descendre pour aller
où ?
Est-ce toi ?
je peux te prendre par la main
– est-ce toi qui es là ? –
le jour ou la nuit
dans cette nuit profonde
en un jour éclatant
et tu peux me saisir la main
aurions-nous peur en ce moment
– mais en suis-je aussi là ? –
tout environnés
de la forêt profonde
d’un vacarme éclatant
et devons-nous fuir ce moment ?
est-ce toi est-ce moi ensemble
– car te caches-tu là ? –
sans un souvenir
ni mémoire profonde
l’aujourd’hui éclatant
devant nous qui marchons ensemble
Passage
un étranger
est passé tout à l’heure
c’est drôle comme je n’aime
que ceux qui passent
homme où vas-tu danser
quel bal est au bout de ce chemin
quelle maison pour y porter ta peine
rester ici le cœur lui pèse
son trésor est au bout du chemin
il va où le vent le porte
il est heureux
et pourtant son cœur est veuf
où est dit-il ma chaîne
qui me faisait mal
et que j’aimais
Où ?
ce dont je parle n’a pas de paix
apaisera-t-on les étoiles
et voit-on la colombe
d’amitié ?
ce dont je parle n’a pas de prix
qui donc achètera la lune
car où seraient les banques
d’équité ?
ce dont je parle n’a pas de poids
et qui pèsera le soleil
où sont les balances de
vérité ?
Sonnet
que pleure ou vente fort le temps
avec toi je sors de la pluie
avec toi je sors du néant
que chante ou sonne clair le bruit
que veille ou passe loin l’ennui
avec toi j’accueille le vent
avec toi j’accueille la nuit
que sourie ou pleure le chant
avec toi la peur est d’avant
que j’aime ou non ce que je fuis
avec toi mon jour est levant
que pur malheur ou joie s’enfuient
avec toi ma vie est devant
que brûle ou non ce que je suis
Attente
il se peut
car connaît-on les choses
qu’il vienne
à nu se montre à nous
une danse
une odeur de jasmin
plus un luth
trois richesses à merci
l’attendre
douleur d’espoir
sévère une absence a paru
faut-il aussi danser
Éveil
à J. Philip Newell
mon âme fut blessée dans cette nuit
blessures et cassures dans ma vie
en tous les environs de cette nuit
ceux que j’aime sont en souffrance
dans la vie du monde sont des agonies
en ce printemps
remue tout ce qui vit
chant d’oiseau aux cimes du verger
dans la vie du monde sont des agonies
branches qui remuent sous le vent
ceux que j’aime sont en souffrance
lumière du matin dans les feuillages
en ce printemps
remue tout ce qui vit
lumière du matin dans les feuillages
branches qui remuent sous le vent
chant d’oiseau aux cimes du verger
comme un parfum de fleur après la pluie
tout miroite et tout résonne ici
en ce printemps
remue tout ce qui vit
Si belles…
quand les armes se sont tues
que les hommes sont rentrés
les femmes vont à la fontaine
elles ont rangé le linge
un lourd paquet sanglant
en des bassines de sérénité
les rinçures de la violence
les teintures de la peur
les sales rognures du dégoût
elles sont allées là-bas
tout laver lessiver blanchir
de leurs deux poings agiles
belles comme une aurore
comme un vol de cigognes
aussi fortes qu’un évangile
en ce pays je
sais
depuis longtemps tu
restes en sommeil
sans doute qu’il le
fallait
de toi nos mémoires
étaient fatiguées
lassées de ton image
conviens-en
icône très ancienne
toi-même
souviens-toi
tu ne tenais plus
guère à elle
n’as-tu pas décidé alors
de t’effacer
incertain de ton envie de revenir
et puis je sens ici ou là que tu respires
l’air a frémi légèrement
un lit gémit c’est un dormeur qui bouge
il va reprendre souffle
repense lentement son monde
il se demande s’il ne va pas
s’il n’aurait pas envie de
s’éveiller se souvenir
se lever se regarder se voir renouvelé
offrir au miroir de toutes ces années
la neuve image d’un visage défatigué
s’il entrevoit qui sait
au monde comme un air
serait-ce un air encore vicié
et pourtant oui, propre à imaginer
à se représenter
un avenir
Magnolia
il va très bien ce
magnolia, nous aimerions que tous nos arbres
se tiennent aussi bien que
lui, il va bien tous l’admirent
qu’il pleuve, vente, fasse
soleil ou même gris
pourtant chaque année
quelque chose en lui se souvient
un pleur peut-être en son
bois cassant, sous l’écorce raide
c’est toujours au
printemps, peut-être fin mai début juin
il se met à perdre ses
feuilles, grandes et luisantes feuilles dures
qui bientôt recouvrent
l’allée, feuilles jaunes vertes ou fauves
qu’il faut ratisser, une
pleine remorque, elles déjà sèches, cassantes
il se souvient qu’il n’est
pas de chez nous, qu’il vient d’ailleurs
il reste digne mais il
vient d’ailleurs, il se croit en automne
il perd ses feuilles,
ailleurs au loin c’est l’automne, bientôt l’hiver
Éclair
ce fut un de ces jours où
je t’avais perdu
ces jours-là se tenaient,
ce n’était qu’un long jour
sans qu’on y voie de fin,
collier de perles noires
une perle a sauté, elle a
roulé soudain
ce fut un de ces jours où
le temps peut changer
où ce qui tourne au soir
tout à coup devient clair
il suffit de l’éclair où tu
m’es apparu
on se trompe parfois
pendant longtemps longtemps
de longues parenthèses
entre un jour et un jour
si je l’écris ainsi c’est
que tout est si loin
c’est en quittant les temps
que l’on peut les nommer
perles noires, jours de
deuil, crépuscules, temps de pluie
et l’arrivée soudain d’une
éclatante aurore
naissances
Vision
le souffle palpitait au-dessus de ce gouffre
et tel était l’esprit, semblable au papillon
sa faible agitation faisait vibrer des vitres
bien plus loin, tout au long, du levant au couchant
et du jour à la nuit, de la nuit aux lueurs
un long rêve naissait de ces matins du monde
des ombres émergeaient de la brume du temps
des visages aigus, des regards allumés
des ponchos menant loin des bêtes au long cou
des cris et des sonnailles, et tout ces
bruissements
et tout un autrefois remontant de l’abîme
poussé, mû par ce vent, se levant en tornade
et soufflé, retombant, un monde évanoui
ce monde n’est qu’un souffle, essaim tourbillonnant
Frisson
et que pourront les digues
si c’est le vent du diable
et que pourront les hauts
murs de cyprès
puisque c’est le vent de
l’âme et si c’est ton esprit
si ce qui vente au loin,
qui souffle de là-bas
répond à ces bouffées qui
montent aussi de toi
ce souffle qui traverse et
fait que tu frissonnes
et tout à coup ce frisson
se transforme en plaisir
et la tempête au loin qui
rebrousse les herbes
est si proche de toi que ta
peau se soulève
et que ton cœur s’abat,
qu’enfin tu ris de toi
bien qu’aussitôt tu pleures
les morts de ce vent-là
Éveil
ton souffle doux me visite et me calme
au-dehors c’est le vent, la brise du matin
douce et fraîche, vive, elle te répond
petite sœur de la tempête, et je m’éveille
et dans cette chambre environnée de vérité
tu gémis un instant, visitée par un songe
et le chassent les rideaux de vent bruissant
moi je souris de mes longues alarmes d’avant
quand tu ne respirais plus, ni même le vent
Montée
le vent du nord a pris
les marais se nettoient
tu remontes le versant de la colline
on peut y voir la mer
la lointaine aux lèvres de sable
où tu marcheras
et tu seras ailleurs encore
et avant tu avais été mort
Samedi
tous les oiseaux du monde s’envoleront là-bas
un jour, un jour, ce jour où le soleil pâlira
le silence règnera où les arbres chantaient
jour de paix, jour de paix avant des jours de combat
pour la pluie, en des jours où la terre sèchera
ne sera plus, ne sera, ce lieu que tu hantais
là-bas la mémoire pâlira qui t’habitait
Le reste
tout se tenait toujours ensemble
et tout faisait système
à ce tout qu’ajouter ?
voici le monde et voici les étoiles
et tout ce qui existe
et se tient en soi-même
et puis et puis il n’y a pas d’et puis
et puis manque le reste
le plus et l’à-côté
le tout ne demande pas son reste
c’est ainsi qu’il se perd
quand il croit se sauver
or recourant à l’alphabet complet
à qui voudrait écrire
manque un iota de plus
comme à qui voudrait vivre
Hombre
mon pays / ce n’est pas un pays / c’est la guerre
et quelque part au monde / sur un front de mer / un homme est posté
sur un toit
il tire au fusil / il retarde l’avance des fascistes
il agit posément / une balle / une autre / il s’applique / il a peu
de munitions il économise
il sait qu’il va mourir
juste retarder leur avance / une balle / une balle / ce n’est pas
utile pas efficace / juste faire proprement le travail
rien de plus beau qu’une balle de fusil / la forme accordée à son
usage / qui est la mort
une balle un homme / c’est un message / lui ne fait pas la guerre
en gros / à chaque tué s’en va son attention
eux / ils l’auront à l’arme automatique
Pirates
les femmes que j’aime le mieux sont des femmes pirates
vives aux pleurs et aux rires en leurs tendresses abruptes
celles qui ont des mains, qui vont la tête haute
elles qui ne sourient qu’aux prétendants modestes
elles ouvriront leurs bras ou leur cœur ou leur lit
ou leurs yeux au matin, leur chevelure au soir
comme on donne à jamais, sans retour ni question
les femmes que j’aime le mieux, ce sont des combattantes
la couleur de leurs yeux est de brume au matin
Esprits
quand les esprits
chantaient
en ouolof en anglais
le sien le tien le
mien
c’était tout un
chacun
c’était venu
d’ailleurs
quand les esprits
pleuraient
en éwé en malais
pas une langue mais
c’était un pauvre
amour
c’était un autre ailleurs
quand les esprits parlaient
même en français
résonnaient raisonnaient
c’était un jeu d’ivoire
c’était un jour ailleurs
quand les esprits riaient
s’ils se moquaient
de toi de lui ou d’elle
c’était un fouillis d’ailes
c’était un vent d’ailleurs
quand les esprits mouraient
plus très très frais
restait une parole
c’était tout à refaire
c’était à dire ailleurs
mon ange, et un peu plus, tu revenais chez nous
Bonheur
j’aimerais aimer
Dieu comme je t’aime toi
j’attends toujours
tu sais que ton œil me découvre
qu’un sourire soit
pour moi qui soit sorti de toi
alors c’est du
bonheur et puis c’est de l’angoisse
c’est ton prochain
regard que je n’espère plus
je t’ennuie je suis
là tu as d’autres entours
des tendresses à
donner à qui je ne sais pas
je dois te libérer
du désir de t’avoir
tout contre moi toujours et
toujours avec moi
Vieux
il s’était réveillé gourd ce matin-là, il
avait rêvé
à cheval, un songe en vérité, il avançait
à dos de lion
les pieds pas même passés nus en étriers
de nuée
empêtré, il y pense, en des robes
fleuries d’apparat
alors bien sûr il avait souri la gueule à
crocs ouverte
un matin de lueurs, pensées si bleues qu’il n’osait rire
et il a pu au jour, par la fenêtre de sa chambre
veilleur à vide, évaluer le semis d’ombre, en vérité
éclats de ténèbres minuscules obscurcissant les arbres
il a pourtant gardé, tout refermé en lui je crois
merveilleuse éveilleuse, l’éclat du jour au-dessus d’elle
promesse infinie, la verdeur de la sève,
envie de vie
Fées
au centre de chacun tout un nœud de possibles
que sur cet avenir ouvert un jour se penchent
les fées les mélusines les merlins
quelques-uns des amants de la vie pleine
alors d’un bout de chair va naître humain
un être de lumière ou le malheur de
vivre
Expir
s’ouvrait le bouton de la
rose et fuyaient
comme les galaxies les
pétales de l’univers
comme on lit que les cieux
s’ouvrirent
montant de moi tout l’expir de la terre
– herbe de cristal vert et
ronce et fleur montant
librement s’élargissant –
il s’épanouit
souffle de l’univers juste
et vibrant il chante
libre fibre de lumière
tintinnabulant
le monde en moi moi dans le monde
Courants
mon corps est un
tamis que traversent les ondes
mon cœur est un
foulard que transpercent les vents
et plus rien qui
protège
plus rien à protéger
mon corps est un
damier que les gelées parcourent
mon cœur est un
tapis que les bises rebroussent
et quand tous les
chemins du ciel auront passé
vous pourrez lire en
moi quelques moraines
des gués et des rias
je sais qu’il y
existe encore deux-trois dolmens
moi-même ignore en
quel endroit
Saints innocents
cette année qui se finit, disait-il, voyez-vous je ne l’aime pas
trop
elle est trop pleine de malheurs
bien trop pleine de rapines
elle est bien trop remplie des tombes éparses d’enfants inconnus
des petits garçons, des petites filles
des innocents pas même saints
laissez-la aux riches et aux intelligents ils en feront bien
quelque chose
ils sauront l’utiliser à leur guise
à leur service et pour leur bénéfice
c’est une année faite pour le chœur des anges mais quand ils
pleurent
qu’ils se disent on ne va pas chanter
je ne l’aime pas trop cette année-là
cette année qui se termine, a-t-il dit, c’est une année comme les
autres
autant pleine de miracles mort-nés
pleine aussi d’espérance avortée
elle est bien trop remplie de femmes avec le corps de leurs fils
abattus
avec leurs filles au loin vendues
avec leurs gars partis, aventurés
rendez-la aux forts en gueule, aux vaillants de paroles, ils la
sanctifieront
ils diront bien tous les mots qu’il faut
ils vous mettront la larme à l’œil
frères, c’est une année faite pour qu’une autre, meilleure, la
remplace
celle qui pourrait tout commencer
l’an qui vient, combat renouvelé
Oiseau
ils marchent
ils vont vers un exil, ils fuient
droit devant eux
vers une terre d'asile
vers une égypte douloureuse
longue colonne de va-nu-pied
harcelée, alourdie, chancelante
affamée
ils marchent et parmi eux
un couple et un bébé
suivent le chemin d'amertume
une petite vie au dos d'une Marie
et sur la tête dure d'un Joseph
tout ce qu'on a pu sauver
que le tueur, le massacreur
a méprisé
reviendront-ils, reviendra-t-il
l'enfant d'un avenir ouvert ?
marchera-t-il sur les chemins de pierre
en liberté, en vérité
faisant le bien dans le chaos du monde ?
pourra-t-il enseigner
les maîtres de la terre
et soigner le malheur
au cœur des simples gens ?
nul ne le sait
rien ne l'y aide
rien qu'une simple Parole
venue de bien plus loin
rien que ces deux humains
qui le portent en leur cœur
en leur tête en leurs mains
croyant qu'un jour peut-être
le ciel s'entrouvrira
faudra-t-il qu’on attende
il n’est pas là ce jour
et qu’on chante
un parfum d’amertume
un parcours
d’où vient de loin cet air
et toujours
il n’est de plus beau conte
qu’une absence abolie
Arbre
ce moi que j'ignore
un peu plus chaque jour
car moi est un arbre
un bois
un silence habité
un torrent qui s'apaise
un grand refus
tout plein d'acquiescements
femme d’herbe et de vent que j’aime là, portant
ton cou libre, et léger ton pas, voilà ton temps
tu penses à tes amours où se mêla, battant
l’orage, et vois de l’ennui par-delà l’étang
cesse ton détour, cette eau qui gela longtemps
ton cœur, ne l’écoute plus, quitte-la, attends
l’aube et suis la vallée où s’en alla l’autan
Chanter
dans mon jardin
je me mets à chanter
qui pourrait aux oiseaux
simplement parler ?
aux arbres
aux plantes vives
viser moins qu’à
respirer ?
mon air chanté
le moineau le connaît
qui d’autre mieux que
lui ?
souvent dans la maison
on parle avant le souffle
mais où vais-je
chanter ?
dans mon jardin
Soir
moins de lumière
tonne à cette heure
plus de vérité
alors qu’on entende
images multiples
on les assemble plus
je prends pour moi les
lumières
j’étends les bras sur le
soir
les vents ont mangé les
appels
les chants vont régner dans
le ciel
les temps sont légers
Pluies
je me souviens de vastes et
chaudes pluies
de confins ici-même où
l’eau se mêle au ciel
et du fleuve univers où
s’en allaient, agiles
les images de toi marchant
sous les baumiers
humides et fumantes
silhouettes sous le rire
sous la peine et l’espoir
des humains obstinés
alors se font au cœur des
chansons incessantes
des refrains de langueur,
assauts de lassitudes
vaporeux est l’humain sous
le flou et le fluide
à l’eau lui faudrait-il se
résoudre, dissoudre
enfin la vaine envie de
vivre, que répondrais-tu
sinon qu’il est si bon
d’avancer sous l’averse
Moineaux
elle parlait de
chanter
femme triste au chant perdu
l’entourent les traces
menues
d’un moineau petit être
affamé
qui a faim connaît le monde
en son dedans et chemine le
vent
dans le silence j’ai froid
et les moineaux pépient
Poème
poème, en ajoutant sur
l’absence
sur la neige et la nuit un
pas de danse
contre le noir un rire, ou
sur le blanc
le visage léger d’un faux
semblant
un amour de papier, un
rythme pur
tu ne tues pas la mort, ni
son murmure
tu fais entendre un peu de
son silence
es-tu léger, ce n’est
qu’une apparence
Enfants
ils étaient beaux étaient
charmants marqués marqués de rose
et fut un temps où les
petits enfants marqués de jaune
étoilés de haine et tachés
de sang marqués marqués de rouge
poursuivis et repris dans
les champs marqués de fer
s’en allèrent mourir aux
camps marqués de nuit marqués de noir
marqués de nuit souvenez-vous
de ces petits enfants
Frisson
tout
n’est pas dans le riche et l’apprêt
ce
qui est beau ici c’est le vent et la pluie
le
froid, l’eau fraîche, encore le vent d’ailleurs
ce
qui vient et fait voir, deviner devant vous
dans
un frisson, qui sait, l’attente d’un amour
une
œuvre, une vie vraie, la vie que l’on rêvait
Langue
quand solidaires
deux mâchoires s’opposent
utopie et désespoir
et qu’elles mâchent la vie
pointe la langue
charnue de l’éphémère
et son goût de fraises du jour
Petite
tu dors
et tu ne sais
tu dors sous mon regard
le monde est au-dessus de
toi
et tout autour
et l’immensité du ciel où
tu baignes
est fraîche sous ton
souffle
doux
le passé te visite et te
blesse
et tu gémis
instant que tu chasses
et l’avenir peut-être
vient à toi
et se dérobe pour plus loin
où tu n’es pas
ton haleine est de poivre
et de sésame
et ta peau
chaude et moite dans le
frais de la chambre
lieu d’ombre environné de
vérité
tu dors
inquiète et pacifiante
et j’ose toucher ton épaule
pour jouir d’un ailleurs
venu dans tes yeux d’ombre.
j’étais parti pour de violents voyages
le vent faisait partie de la même aventure
avenirs nés du cœur de la tête et des reins
amours. Il était peu de valables gens.
Je rencontrai un jour un maître de l’aurore
il m’a plu je l’avoue et j’ai voué ma vie
à la suivre en esprit en âme et dans mon corps
ô souffrance angoisse et des bonheurs
qu’on ne dit qu’à son double au travers de la vitre
et la rue au dehors se mue en accords de musique
révélante et ouverte amie des quatre vents.
Je le dis j’ai passé par des couloirs de l’ombre
en pleurant dépouillé livré à des malheurs
trop grands. J’ai voulu qu’il me laisse ma joie
le maître qui me mène et toujours non, toujours
il ne l’a pas voulu. Parfois pourtant.
Chants
je fus en la montagne
en la montagne veiller
les alouettes y chantaient
cent cris d’azur à la mêlée
dix bruits de source qui tintaient
souffle du ciel désamarré
pleurant comme font les damnés
et le monde le monde s’ouvrait
Nuit
je dois te dire
d’abord c’était une fameuse nuit
on voyait les lampions
très loin sur la mer
et le bruit des
vagues assommant les rochers étourdissait
au-dessus le ciel
noir ou bleu ne s’arrêtait pas de monter
et des pointes
d’argent en dessins infinis le parcouraient te picotant les yeux
et moi j’étais assis
sur le sable adossé au rocher
mettant de l’ordre
dans les étoiles et surveillant la marée au son du clapotis
et je suis mort
Ta maison
Pour Alexandre Korakis
une voix me demande :
où est ta maison ?
je n’ai pas de maison, mon
peuple a disparu,
égrené, moissonné,
on a soufflé dessus,
il s’est éparpillé.
ce que j’ai pour
survivre : des paroles anciennes,
dans une langue étrange,
les mots de la déroute,
et je dis à la voix :
Je vis libre et léger,
je suis ici et là.
c’est pas tous les soirs
qu’on peut
ouvrir la fenêtre
pour entendre les arbres remuer
et dormir
comme un chat qui entrouvre un œil.
sereinement
exclusivement et
inconditionnellement
l'inconnu.
J'aime d'amour
l'inconnu.
quand il change de
visage
quand il se moque de
moi
quand je le perds à tout jamais :
je me réjouis.
Car je me dis ce
n'est pas moi que j'aime
mais l'inconnu qui
m'échappe
qui change de visage
qui se moque de moi.
L'inconnu
et à qui j'appartiens.
La pierre du fond du cœur
un trésor
c’est une pierre très belle
et qui fait très mal
a dit l’enfant
et comment le sait-il ?
un enfant parfois
sait la vérité
comme pour cette pierre
très belle
pierre très dure
la pierre au fond du cœur
la pierre est lisse
elle est ronde et lourde
elle pèse
la petite pierre est belle
comme ça
elle est lourde la pierre
trésor
et parfois tu es
trop léger pour elle
Bas de page
* Les poèmes de
cette page ont tous déjà paru
sur ce site.
Certains d’entre eux ont été publiés dans Chants et déchants, qui est un recueil de recueils,
dans Toutes ces mondanités, dans Les jours de semaine, dans Fêter le dire ou dans
Les dires du
seuil, enfin dans Le peut-être et
l’après, mais on en
trouvera aussi qui sont inédits
ou qui ont paru dans d’autres recueils ou encore en revue.
On peut aussi se reporter à la page Souffles, à la page Requiem pour une planète, à la page
Vu du ciel, à la page Tant pis la
pluie, à la page Au huitième jour, ou à la page Premier jour,
ou encore à la page Les Psaumes à l’os.
D’autres poèmes ont paru dans Lettre
à l’angelesse.
Une présentation de mon œuvre poétique a paru sur le site de la
revue Foi & Vie
sous la signature d’Aurélie Zygel. Sur ce
site, page AZB.
* Le poème L’Inconnu est inspiré d’un poème d’André Libérati :
J'aime frénétiquement,
sereinement, exclusivement et inconditionnellement le bien. J'aime
d'amour le bien. Et quand
le bien m'échappe, quand il change de visage, quand il se moque
de moi, quand je le perds à
tout jamais, je me réjouis car je me dis : ce n'est pas moi que
j'aime, mais le bien qui
m'échappe, qui change de visage, qui se moque de moi, le bien qui
ne m'appartient pas et à
qui j'appartiens.
(Poème d’amour, in Vieux capitaine, Editeurs Français Réunis, 1958)
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