Poèmes d’avant
 

 

 

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Une page pleine de poèmes

Suite de la page POÈMES

 

 

 

 

Planter un arbre

 

“Si l'on m'apprenait que la fin du monde est pour demain,

je planterais quand même un pommier.” Martin Luther

 

Qui sait jamais ce qui peut arriver ?

J’ai donc planté un arbre, un beau pommier.

À quoi pensais-je alors, je ne le sais,

quelle idée ou dessein me traversait ?

Garnir un coin de terre à découvert,

fournir ainsi de l’ombre à ce désert,

agrémenter la vue de tout l’ensemble,

attendre du fruit de lui, ce me semble.

 

Et j’y ai réussi, j’ai dit merci :

Pourra venir la fin du monde ici !

 

 

 

 

Et que je te la file…

 

trop d’eau dans mon delta

fleuve que je suis

quel bras suivre ?

 

depuis le ru que d’accidents !

parcours tumultueux

méandres

 

torrents

peurs et violences dévalant

tumultes

 

parfois cours majestueux

père à péniches

et lacs à musarder

 

affluents affluant

sans cesse

et coudes surprenants

 

or, non, retournement !

remontant à plaisir le courant

j’approche de la source

 

 

 

 

Dieu comme j’aspire…

 

rien de bien original

les temps sont durs et

j’avais besoin de grands espaces

 

marcher sur les longues plages

j’imaginais des plages normandes ou vendéennes

au bord de vraies mers à marées lointaines

 

avec le vent

le vrai vent, celui de la mer occidentale

oui, le noroît, que je préfère

un vent d’iode et de sel et de pluie

 

Dieu comme j’aspire à respirer cela un jour

et, oui, marcher

comme pour un avant-goût d’éternité heureuse

 

promesse d’aventure dans le souffle d’ailleurs

sous un vrai ciel exagéré

jour après jour marcher

 

 

 

 

Veille

 

je suis assis sur des millions de poèmes

c’est mon trésor, sur lui je veille

ainsi je trône

on n’est jamais assez prudent, je veille

ils sont à moi…

mais je tremble et je m’éveille :

il en manque un !

 

 

 

 

Oubli

 

oubli est un mot que j’aime

et que je l’aime, j’aime à m’en souvenir

l’oubli que j’aime est celui du malheur lorsque son souvenir

te conduit vers la peur

non l’oubli que toute vie importe et qu’en chacune il se pourra

que réside un bonheur, même caché le bonheur

oubli car sans l’oubli des noirceurs, il n’est pas né

celui que tu croyais perdu

nié

le sourire à venir

 

 

 

 

Nœuds

 

dans une vie, peu de nœuds

faisant tenir le reste

et quels débuts, quelles fins

quels liens ?

 

te retournant, tu vois comment

à tel moment tel glissement

notable nullement

t’a orienté

 

comment de tels instants

s’articulaient

et te menaient sans le savoir

où tu te tiens

 

peu de nœuds en vérité

t’ont raccordé

et comme incidemment

t’ont créé

 

 

 

 

Et pourtant…

 

le goût du sel

pour purifier l’odeur de la mort

dans la bouche

et tant de relents nauséabonds

du monde

 

même les os

on les croit purs et secs

mais ils vivent en-dedans d’une vie grumeleuse

telle aux temps de la soupe primordiale

la vie est sale au regard des étoiles

collante et gluante

 

et pourtant…

 

 

 

 

Encore un jour

 

                                                      

 

du gris ardoise à l’indigo

se mouvant au ciel   

deux étoiles

 

d’arbre en arbre en arbre

va qu’elle est folle

l’aurore qui naît

 

dormir pensant encore

et cette nuit s’enlève

l’œil alerté

 

mon jour est un secret

il pense à son retour

veillant sur ses amours

 

encore un jour

tu me diras si tu aimes

ainsi passera-t-il

                                                                                          

 

 

 

À Ouessant

                                                                                                                                 à Nicole Ferroni

 

debout pour la première fois devant l’Océan du bout du monde

pour la première fois devant l’immense et la puissance du monde

et sa violence

 

sa beauté brutale comme autrefois, comme du temps des elfes et des trolls

du temps des korrigans, sa beauté d’enfance abrupte, sa beauté nue

 

la jeune femme se tait, saisie, ses larmes naissent, elle pleure

 

que faire d’autre, être humain tout à coup démuni, son aisance tombée 

le monde est si vaste et sa force si grande, à craindre, à frémir, à chanter

humble et profondément heureuse, elle pleure, en larmes de sel et de vent

 

 

 

 

Rêve de l’arbre en fleur

 

à nouveau toute fleur est en soie

à nouveau la sève sort du bois

l’arbre à nouveau explosera de joie

 

fidèlement, il le sait, où il va

son idée de fruit aboutira

conçue par ses ancêtres d’autrefois 

 

son rêve s’avérera

le fruit viendra, qui l’empêchera ?

enraciné, l’arbre est armé pour cela

 

verdeur de la sève

sur l’arbre, que le soleil flamboie

que l’eau du ciel ou des fonds le noie

 

l’arbre rêve qu’il résistera

si ce n’est lui, l’autre que voilà

le rongerait la bête, le scierait l’humain 

 

le jour vient, et l’arbre fleurira

et la bête mourra, et l’humain s’en ira

abandonnée sa quête aux mil tracas

 

son rêve d’incendie

 

 

 

 

Dire d’un songe 1

 

colombe ou bien corbeau, merlette ou tourterelle

qu’importe, je dormais, je n’ai perçu qu’en songe

un oiseau inconnu palpitant jusqu’à moi

 

il n’est de dire

que d’un sentir 

 

ce qu’il a dû me dire a quitté mon esprit

je n’ai plus discerné ce que cachait l’oiseau

rien de son vol ne m’est resté, alors que dire ?

 

il n’est de dire

qu’une caresse

 

c’était un bel oiseau, je ne sais de quel nom

sans le voir je savais qu’il était tout de plumes

au fil lamé d’argent, au parfum de silex

 

il n’est de dire

que d’une odeur 

 

dis-le donc, cependant, résolu, m’a-t-on dit

mais quoi dire et à qui ? l’oiseau s’est envolé

j’ai senti qu’il dansait au-dessus des nuages

 

il n’est de dire

que d’un regard

 

je le dis, cet oiseau portait une parole

il m’en reste le son, cependant, comme une onde

comme un rien qu’on désire, un chant perçu de loin

 

il n’est de dire

que d’une écoute 

 

 

 

 

Frontières ?

 

Si tu regardes bien, il n’est pas de frontières

et c’est tout uniment que s’étire la terre.

Lorsqu’elle est découpée, c’est par une rivière,

par un fleuve, un cours d’eau dont les deux bords sont frères.

D’un côté ou de l’autre, un même enfant s’affaire,

aucun de ses parents ne veut vraiment la guerre,

et tous, ils aimeraient que leurs deux mains se serrent,

à moins que l’on ait fait leur tête prisonnière

et submergé leur cœur de venins délétères.

La terre, en vérité, ne s’en occupe guère ;

serait-elle blessée par l’espèce guerrière,

lassée, abandonnant sa fibre nourricière,

secouant de son dos l’orgueilleuse poussière,

elle irait à nouveau, en son cours millénaire,

rouler paisiblement au long de vents stellaires.

Que seraient devenues frontières ou barrières ?

 

 

 

 

 

Chanter

 

ce qu’il faut c’est chanter

survient peut-être alors

en harmonique

comme un filet de joie

 

au loin montent des peurs

la joie vaudra contre elles

arme du cœur

dans la nef chant du chœur    

 

chanter jouer danser

des oiseaux en parade

pour un amour

comme un aveu de vie

 

 

 

 

Sommeil 

 

la petite fille qui dormait par terre

était si fatiguée

qu’elle avait omis de veiller

oublié les dangers

la peur, la colère et les pleurs

 

elle s’était ramassée

enroulée sur son ventre

les mains cachées

et reposait dans la poussière

en tout cas à l’abri 

 

ainsi s’en va le monde

environné de forces bienveillantes

ignorées

à longuement tester

pourquoi désespérer ?

 

 

 

 

Un secret ?

 

l’oiseau le sait

(une mésange)

le chien le sait

même le petit chat

aussi la chatte

 

et le lapin le sait

lapine ou lapereau

les poules

(pourtant très bêtes)

et les canards

 

au loin le lion le sait

(dormirait-il)

et le chameau

le buffle obtus

les pieds dans l’eau

 

le lama la vigogne

au-dessus le condor

eux tous le savent

elle vient la mue

(et l’humain ?)

 

 

 

 

Ma poutre à moi

 

dites donc je suis mal

j’ai ma poutre dans l’œil

et depuis ma naissance

imaginez la douleur

du saignant

 

à chaque pas je me cogne

j’y vois mal je cogne

je cogne les murs

je cogne les arbres

je cogne les gens

 

c’est un mal continu

orgelet d’un géant

qui fait mon intérêt

car ma poutre c’est moi

je me présente ainsi

 

aïe ma poutre

je l’ai toujours aimée

et je m’aime ayant mal

et souffre de m’aimer

et souffre de l’aimer

 

 

 

 

Buées du jour

 

à l’instant

là-bas un ciel inconsistant

se fait corps

sur un monde inconscient

puis naît l’aurore

 

au levant

au loin lève une pâte épaisse

et l’on fête

après des amours secrètes

des relevailles

 

et l’orient

hardi vers l’occident se tend

sans détour

le soleil suit son cours

vers son néant

 

au couchant

avec la terre le ciel se couche 

puis en gloire

le soleil va plonger

dans la nuit noire

 

au demeurant

qu’à jamais notre joie demeure

chaque jour

que notre joie ne meure

tour après tour

 

maintenant

la main ténue qui tient le monde

se fait douce

passe un sourire aimant

tout maintenant 

 

 

 

 

Cette main

 

voici je le vois bien

le monde est tout en moi

cette main qui écrit

provient de l’univers

et le sourire me vient

enfant de vibrations

d’au-delà du soleil

j’appartiens au ciel pur

et peut-être au-delà

que me sont les années ?

 

 

 

 

Dis-le

 

dis-le à la rivière et dis le au fleuve tout-puissant

au courbes des eaux vives qui roulent et s’en vont vers l’aval

et dis-le au nuage qui va et au vent qui le pousse

remonte vers l’amont et dis-le, redis-le, à la cime des monts

 

dis-le à la mésange comme au merle, à toute bête ailée qui volera

à tous ceux qui traversent le ciel ou vont piquer le grain perdu

et dis-le, dans les profondeurs, à la truite insouciante et volage

à toute famille des eaux nageant en nuages de vivants

 

dis-le qu’il est venu, le dieu, comme un enfant

qu’il revient de la brûlure de sa colère

et que nul ne se perdra

 

 

 

 

Avent 4

 

manquerait un souffle

brise légère

silencieuse, aérienne, ténue   

venue on ne sait d’où

allant où l’on ne sait

 

manquerait-il

tout irait comme devant

tout suivrait son chemin

chemin de grandes peines

voies de petits bonheurs

 

et suffirait d’un souffle

haleine de buée

toute chose convertie

muée, bouleversée, retournée

tournée vers ce qui vient

 

un souffle saint

et viendrait l’enfant

celui qui vint, qui vient

ce souffle qu’il vienne enfin

à la bouche des humains

 

 

 

 

Avent 3

 

comme l’oiseau attend le jour

et l’épouse le soldat 

comme la mère attend l’enfant 

j’attends, mon amour, ta venue

j’espère ton retour

 

je ne sais quand tu viendras

mais tu seras surpris 

je vais changer tu verras

je serai là pour toi

j’espère ton retour

 

 

 

en haut de l’escalier je serai là

à l’entrée de la maison 

à la grille du jardin je serai là

sur notre chemin

j’espère ton retour

 

sur la route qui va je serai là

à l’entrée de la ville 

sur le quai de la gare je serai là

à la porte du wagon 

j’espère ton retour

 

 

 

comme on attend le parloir

comme on attend la gamelle

comme on attend le coup de rouge

comme on attend le lit au soir

j’espère ton retour

 

je serai beau je serai belle

comme file une étoile   

lavée, briquée dans la nuit sale

changée, comme astiquée

si tu reviens 

 

 

 

 

Avent 2

 

venir, tu es venu

comme à chaque bouleversement

quand la terre s’ébranlera

quand tombe la lune et fond le soleil

à nos yeux éperdus

 

tout semble aller comme devant

l’eau ruisselle et clapote la pluie

au matin luit la lumière

lentement elle s’estompe au soir

et l’on ne te voit pas venir

 

passent les jours

entre la guerre, entre la paix

calme public et tumulte des gens

ainsi que jamais ou toujours

jours après jours, temps après temps

 

et l’on ne te voit pas venir

peut-être ne viendras-tu jamais

alors que voici, tu es présent 

aujourd’hui tu viens

quand en secret change le monde

 

 

 

 

Avent 1

 

entre toutes les rapidités

les fureurs, les fracas

affolements de foules effrayées

ou rires exagérés

trombes ou traversées de foules

 

tu te glisses

tu es la couleur du silence

 

interstices de peurs

intermittentes colères exténuées

rages et tendresses cependant

souffle des soulèvements

misères

 

tu vas sans bruit

est-il important que l’on t’ignore ?

  

 

 

 

Dis-leur…

 

dis-le à la rivière et dis le au fleuve tout-puissant

au courbes des eaux vives qui roulent et s’en vont vers l’aval

et dis-le au nuage qui va et au vent qui le pousse

remonte vers l’amont et dis-le, redis-le, à la cime des monts

 

dis-leur que l’être humain se tournera vers eux

dis-leur et ne mens pas qu’il a perdu sa gloire et implore la leur

 

dis-le à la mésange comme au merle, à toute bête ailée qui volera 

à tous ceux qui traversent le ciel ou vont piquer le grain perdu

et dis-le, dans les profondeurs, à la truite insouciante et volage

à toute famille des eaux nageant en nuages de vivants

 

dis-leur que désormais l’être humain leur implore la paix

pourrait-il, devant eux, recevoir un pardon, conclure une alliance

 

et dis-le à tous ceux qui rôdent dans les bois, qui hantent la forêt

ceux qui parcourent la toundra ou paissent en la savane

dis-le au tigre comme au cerf, à la biche comme au lion

et dans leur migration, aux lourds troupeaux de buffles rescapés

 

dis-leur que l’être humain, en vérité, présente ses excuses

qu’il aimerait, avec eux, remonter tout le temps, et tout renouveler

 

dis-le à la poule, au poulailler, au lapin dans son clapier

dis à l’oie qu’elle cesse, s’il lui plaît, de criailler pour écouter

au bœuf émasculé, à la vache nourricière, au taureau dépité

dis-le aux bêtes asservies, à la niche du chien, à la chatte opérée

 

dis à tous que nous sommes, nous les humains, tout à fait désolés

que nous n’avons plus qu’eux, tous les êtres du monde, à aimer

 

dis-le à la Terre et à la Lune, la bleue et la jaune, violentées

dis à la Terre, celle des eaux pures, des ciels, des airs limpides

la planète de grâce, havre de toute vie, qui règne en son soleil

dis-le-lui, dis-le, à moins de mourir, simple poussière d’étoiles

 

 

 

 

À la réflexion, j’ai…

 

loué un habit d’ermite sans robe de bure

juste veste en denim, pantalon de coutil

 

et sauf exception, économie de paroles

un jour puis un jour, sauf les dimanches

 

brûlé les vieux papiers, pensées d’hier

cogité lentement, économisé le cahier

 

de l’aménité envers les vivants du chemin

bonjour aux arbres, sourire aux oiseaux

 

remis le papillon sur sa voie de liberté

repoussé la guêpe d’un geste pacifique

 

froissé personne, serait-ce un imbécile

admiré de loin de belles jeunes femmes

 

mangé lentement et bu à petits coups

récolte aléatoire pour des plats réfléchis

 

puis, vivant au monde, pris les nouvelles

et rugi de colère et pleuré de tendresse

 

imaginé tout cela, même pratiqué parfois

ou souvent, heureux, mais pas longtemps

 

appris ainsi d’être inutile, sans se croire

pour un temps, fait ermite comme école

 

 

 

 

Toile

 

des nids de vagabonds

piqués sur toute la terre

en corolles de peur

– et aller où ?

habités de rêves menacés

alors inventer

des lois de subsistance

 

car il est dit :

de tous les jours de la terre

que rien ne cesse

et semence et moisson

et froidure et chaleur

l’été l’hiver

le jour la nuit

 

frères tenez

nous ferons des réseaux

voilà, nous nous tisserons

– parlons ensemble

monde, la toile que voilà

toile sur toute la Terre

world wide web

 

 

 

 

Je ne mens pas

 

il a dit cet humain

en son domaine

je suis abasourdi

voyez ma peine

 

je vois partir un monde

je ne mens pas

je vois dans mon jardin

que tout s’en va

 

j’ai perdu les abeilles

sur les rosiers

aussi le papillon

volant voilier

 

et j’ai perdu l’oiseau

plus d’hirondelles

tenez plus de pivert

plus de sitelle

 

ces nids pour la mésange

au creux des pierres

ce vol de l’alouette

brisant son erre

 

mortelles sont les graines

que l’oiseau becte

pas une fourmilière

et plus d’insecte

 

partie la dame blanche

qui ululait

parti le hérisson

qu’elle cherchait

 

j’ai perdu le crapaud

chantant sa peine

et même la couleuvre

qui tait la sienne

 

le cri rauque des huppes

ne sonne plus

la course des lézards

ne file plus

 

des guêpes ou des taons

on en voit peu

ils résistent longtemps

la hargne en eux

 

les chevreuils n’osent plus

venir ici

sur leurs brisées l’humain

a trop bâti

 

restent deux écureuils

un rouge un brun

plus un chardonneret

hardi un brin

 

le ramier dure aussi

qui va par deux

son aubade roucoule

encore un peu

 

j’ai perdu le thuya

il a jauni

le sapin l’a suivi

pelé aussi

 

je vois les fruits tomber

pêches ou poires

elles sont déjà blettes

et bientôt noires

 

quand donc viendra la pluie

dites-le moi

avant que meure aussi

le magnolia

 

 

 

 

Une visite

 

bonheur minuscule

au sein d’un temps de pluie

au-dehors au-dedans

long temps de pluie

temps de menaces et de craintes

et d’ennui

voici qu’entre ici guilleret

le chardonneret replet

malgré le chat 

il veut me rendre la politesse

souvent je le visite aussi

chez lui

dans son domaine d’arbres

et de buissons à fleurs

de graines à manger

de nids à protéger

de vent léger

 

 

 

 

Je suis là

19/08

 

l’ange me dit : Qu’espères-tu

je ne sais lui répondre il faudrait pour cela

viser quelque bonheur un gain une victoire 

que je ne connais pas dont je ne sais rien

mon ange insiste : Au moins durer peut-être

alors je trouve que lui dire : M’oublier

mais je le sais c’est une voie fermée

je dois me trouver là dans la présence

où le dieu jamais ne compose ni ne pèse

et je suis là dis-je à l’ange qui s’en va

 

 

 

 

Frissons

 

à jamais les ciels bleu, tout bleu, me ferment sur moi-même

j’ai toujours fui le pavé du soleil

je vivais autrefois en longues giboulées

petits frissons heureux lorsque soufflait la bise

j’aimais ces temps d’automne et ces jours de nuées

et je m’ouvrais alors

je préférais l’averse, elle qui vient de l’ouest

quand les rues, sous la pluie, psalmodient des versets de guitares

au coin d’impasses à gitans

les ongles de l’ondée toquant sur le pavé

et quand vive, la bruine s’écoulait dans mon cou

tout mon dos frémissait, ma peau se hérissait

– plaisir

le pavé s’irisait à la moindre lueur

et tout s’ouvrait en moi, et naissait un refrain

bien que mélancolique il me rendait heureux dans ma chaleur mouillée

et ma tristesse, alors, retrouvait ses chemins

de pluie mêlée de vent

 

 

 

 

Zones

 

tous ces îlots

toutes ces clairières

en toutes ces mers et ces bois

et nous

postés là

 

pourquoi là on ne sait pas

nous inventons des lois

de subsistance

 

aux rêves menacés sont les chemins

s’en aller jusque là

marcher plus loin 

que souhaiter si monde et rêve sont menacés

élire l’inconnu

 

en tous ces îlots

des perdus se rassemblent

l’inconnu pour toujours élu

 

 

 

 

Annonce

 

et sans savoir si la terre est ronde

ni comment elle se meut

où seriez-vous

un oiseau vous annoncera l’aube

lui le premier

tout autour de la terre

l’aimerez-vous ?

 

 

 

 

Buée

 

vient le temps, vient la pluie

souffle le vent

trois tristesses, deux chemins

se lover sous la couette

marcher, marcher mouillé 

 

 

 

 

L’écran

 

l’enfant derrière la vitre

devant la pluie qui tombe

ruisselets sur la vitre 

 

il voit la pluie fuser

la pluie qui tombe tombe

et la buée couvre la vitre

 

ruisseaux et brouillard

pénombre et crépuscule

entre deux eaux la vitre

 

lui, la vitre, le monde 

ou bien lui dans le monde

mais le monde l’expose

 

et l’enfant s’est mouillé

la fenêtre est ouverte

et la chambre respire

 

 

 

 

Chapeau pointu

 

où es-tu

que fais-tu ?

 

j’avais mis mon chapeau, j’avais mis ma casquette

ma casquette à la noix, casquette qui déçoit

ma tête de crapaud ainsi couverte en jette

c’est ainsi d’habitude, autrement j’aurais froid

 

où es-tu

que fais-tu ?

 

j’avais mis ma chaussette, elle chausse un pied droit

quant à mon pied tordu il faisait des claquettes

et je claquais des dents de peur, aussi de froid

un froid de mort aux dents et des dents de belette

 

où es-tu

que fais-tu ?

 

j’avais mis mon futal, un falzar en faux bois

ses pattes d’éléphant semblaient deux patinettes

je me glissai dedans avec mon entre soi

une fesse à la fois qui s’affaisse, est-ce bête ?

 

où es-tu

que fais-tu ?

 

j’avais mis ma chemise à couvre poil de fête

et remis sur ma mise une aigrette de soie

révisé mon squelette et lissé ma toilette

à voir ma goélette on en gueulait d’effroi

 

où es-tu

que fais-tu ?

 

ah j’étais beau, j’étais peau, ce faux c’était moi

belles dents et faux-cul, smoking et sandalettes

je fus au rendez-vous, j’ai tout rendu sur toi

j’ai bouffé mon chapeau, j’ai ri dans ma gapette

 

où es-tu

que fais-tu ?

 

 

 

 

Accord

 

je marchais au bord de l’eau

et l’eau me regardait marcher

elle clapotait pour moi sur le bord

elle et moi on était d’accord

il faisait beau

 

je marchais au long des arbres

en bruissant les arbres m’écoutaient

parlant de choses et d’autres

et j’étais bien d’accord

le temps s’y prêtait

 

l’eau, les arbres vibraient en accord

bruissement et clapot sur les bords

à l’endroit même où je marchais

juste là et juste alors

sur mon sentier

 

 

 

 

À l’aube pure

 

à l’aube pure

en une lumière de fin du monde heureuse

les cerisiers glorifient le jour qui naît

et l’impalpable de leur fleur offre à ce jour 

une gloire immatérielle et le goût d’une éternité

ainsi le pardon  

 

Seigneur je suis heureux ce matin

 

 

 

 

Bidonville

 

le soir était tombé

devenir prohibé

mitée sa redingote

 

un petit garçon noir

dansait sur le trottoir

retenant sa culotte

 

tout enclos dans sa danse

comme un homme qui pense

comme un vieux qui radote

 

sans chemise et pieds nus

un sourire ténu

juste un regard qui flotte

 

seul au monde il est là

concentré sur son pas

sous la lune qui trotte

 

le vieux monde est autour

l’enfant est dans sa tour

seul un ange sanglote

 

 

 

 

Ça dépend

 

il dormait sur un cintre

tel un habit usé

qui pend

ventre vidé

blanc comme un singe

du passé

 

ça lui donnait des idées

il rêvait de fleuves insurgés

de lentes chevauchées

de lanciers

il en était traversé

 

se posaient des questions

toutes bien armées

où donc la vie est-elle allée

 

à son revers lui répond une fleur

une fleur rouge sang

émue c’est moi dit-elle

toute rouge

je suis là

 

il l’avait caressée

 

 

 

 

Parabole

 

la nuit, lampe allumée

une parabole se dessine sur le mur

là où l’ombre finit, s’achève aussi la lumière

ligne incertaine, inexistante

lieu de silence entre ce qui fut et sera

ainsi tes jours

 

 

 

 

Faits dits vers

(sotie)

 

ce matin

un tapin

a tué un masseur

 

et ce soir

un rasoir

égorge un casseur

 

à midi

un caddy

culbute un passeur

 

au coucher

un boucher

découpe un chasseur

 

mais

 

à pas d’heures

un p’tit beurre

régale ma sœur

 

 

 

 

Regarde bien

 

Hitler ne pouvait pas mourir, mon cœur

il est toujours là

on nous annonçait son suicide, nous ne pouvions le croire

il ne pourrait disparaître

son ombre est là, présente alentour

 

enseveli même dans la fosse il reviendrait

il revient toujours

nous avions raison d’émettre un doute, tu te souviens

il a reparu

il reparaît toujours

 

on le chasse, on le chasse il revient

par la porte on le chasse il revient par la cave

par les profondeurs des âmes tordues des humains

des âmes torturées des humains

 

regarde bien, regarde, jusqu’au fond de toi regarde

tu vois bien qu’il est là, on ne l’aura pas tué

il se sera raté

tu souris, tu dis c’est ridicule, tu te retournes

il était derrière-toi

 

il se tient au coin d’un mur, où sont écrits ses cris

plus loin il a laissé sa marque

il a laissé sa marque sur les tombes paisibles des gens

regardes-tu les signes que tu l’entends hurler

  

et son cri les attire

il attire les chiens galeux qui veulent lécher le sang

sur terre lécher le sang des gens

ils le savent bien, eux, qu’il est là

hyènes qui rient ils tueront

 

vois-tu mon cœur

Hitler ne pouvait pas mourir

 

 

 

 

Au peuple démuni

 

ce qui est dans ton cœur est plus grand que la mer

c’est pourquoi tu fais peur, ô peuple démuni

à toi-même tu fais peur

car au bout de ta nuit crèvent les veines, coule le sang

quand devant toi le monde devient rouge

quand ton désir est grand

quand tu ouvres les portes à ton envie de vie

à ton rêve, ô nuit

et tu ne sais alors ce que tu enfantes

vers où t’emportait ton ennui

 

chante ô ma nuit quand le rêve se lève

quand se tient près du lit l’esprit qui te veillait

c’est ton plexus qui cède et fait mourir l’angoisse

elle s’évanouit

te voici comme une veste ouverte qui habite le monde

et veut le revêtir

ton désir est un cogneur, et c’est lui qui te frappe

c’est lui qui s’écorche les mains

et s’il t’a mené un jour vers toute justesse, il s’en va 

qui peut le retenir ?

 

 

 

 

Ce qui venait

 

la femme regardait au loin, elle s’était redressée

penchée vers la terre on ne voit que la terre

on ne voit que l’outil pour sarcler

et les pieds

 

les pieds sont importants, il n’y a pas que la tête

elle se le dit souvent

avec les pieds tu te poses, tu avances

tu vas chercher de l’eau, il n’y a pas que la tête

 

tu vas chercher de l’eau, le vase sur la tête

et tu portes l’enfant bien calé sur le dos

et tu avances

les pieds te portent, et pour aller où ?

 

mais cette fois elle s’était dressée, redressée

debout on voit plus loin

on voit loin, la tête dégagée, le cou délassé

et la femme debout voyait la tempête qui venait

 

le sable se soulevait, les branches se tordaient

là-bas, et ça venait

et la femme a souri, elle a souri et elle a dit

tendez toutes les toiles, l’eau va tomber

 

puis elle a regardé, elle a bien regardé

elle a vu ce qui venait, la tête droite et le regard

le regard lavé

elle a vu ce qui venait, la femme s’est agenouillée

 

 

 

 

L’électricien

 

Qui suis-je et que vais-je devenir ? demandait le boucher de la place du marché

à l’électricien

où vais-je ? où donc s’en ira l’œuvre d’une vie, et mes enfants que feront-ils ?

or l’électricien

lui pas plus que l’autre ne le savait, ne pouvait le dire, l’avenir se faisait trou noir

et l’électricien

n’a pu que hausser les épaules pour le faire comprendre au boucher qui préparait

pour l’électricien

un sauté de veau à cuire avec des champignons, frais de préférence, et voilà…

 

 

 

 

Pause

 

Nous faisions une pause, ce jour de fin d’été, quelque part en Europe

était-ce à Lucerne, à Vaduz, à Constance ?

Tu te souviens ? Tu étais assise sur un banc de pierre, jambes nues, tournée vers le soleil

tu souriais, tu paraissais heureuse et je te désirais.

Nous avions tourné tant de pages, visité tant de lieux, construit tant de fortes histoires.

Tu ne fus jamais si belle, aussi forte, aussi vive, accomplie

ni l’amour si paisible qu’en ce jour-là.

La Terre, depuis, a tourné tant de fois, nous passons et pourtant

voilà ce qui fut, écrit en quelque endroit

assise et paresseuse, ta cigarette au bout des doigts, le soleil tourné vers toi

l’amour en pause.

 

 

 

 

Les cadeaux

 

Quel est mon idéal ?

 

ce serait d’être un arbre

fruitier de préférence

il est bon de donner

 

tu prendrais de la terre

de l’eau et du soleil

tu les transformerais

 

cela ferait de l’ombre

et des fruits à manger

même des jus à boire

 

aussi de la beauté :

tu serais grappillé

les enfants aimeraient

 

 

 

 

L’amour en décembre

 

l’amour en novembre est moins beau que l’amour en décembre

moins de paillettes

moins de bougies de cierges de lampions de lampes en guirlande

moins de flonflons

 

pour aimer en novembre on manque de vitrines resplendissantes

de pères noël

à trogne rouge comme leur habit tout bordé de fausse fourrure

barbe en coton 

 

l’amour à froid ne s’offre pas des marrons chauds au coin des rues

en novembre

on rate la fanfare et la marmite et l’uniforme de l’armée du salut

même la messe

 

on ne respire pas en novembre l’odeur de résine des sapins coupés 

et puis dehors

on ignore l’immensité bleu nuit du ciel et le silence gelé des étoiles

qui scintillent

 

car en décembre tout l’amour s’illumine et clignote comme les feux

aux croisements

et les cars de police ou les voitures des pompiers quand Paris brûle

ainsi les cœurs

 

 

 

 

Soir

 

J’aime bien, le soir, entre chien et loup, quand on reste à parler longtemps, paisiblement,

avant d’allumer la lumière et de passer à table.

 

On trouve parfois de beaux soirs, même en novembre, des ciels rose et carmin vers

le couchant, apaisés on contemple cela par la fenêtre.

 

On rêve d’un feu de tisons rouges dans un âtre, alors peut-être qu’on sert un petit verre,

cela réchauffe au moins le cœur et porte à se sourire.

 

On se dit quelques mots, on les espace, on n’a pas trop envie de briser le calme du soir,

on profite des silences, ils parlent si bien d’aménité.

 

Un ange passe, on entend, au dehors, les enfants rire, on n’a pas souci d’interrompre

leurs jeux, on fait durer ces moments, ce n’est pas si souvent.

 

Enfin l’un ou l’autre se lève et allume, on ne se voyait plus, il est temps de reprendre

le cours du jour et de la nuit, l’allant des choses nécessaires.

 

 

 

 

Tu me disais

 

tu me disais que l’on risque en amour

comme au jeu nommé mourre

 

ça tourbillonne à la façon des feuilles

le vent te mouille l’œil

 

ça te taille la peau, c’est un ciseau

ta vie est en morceaux

 

ça te met sur le poil un poids de pierre

ton cœur lourd court derrière

 

et c’est profond comme le fond du puits

c’est chaud comme la nuit

 

puis ayant dit tu remontes le drap

tu t’endors dans mes bras

 

 

 

 

Entrez

 

venez la tente est mise 

il vous reste à entrer

 

venez la table est mise

venez vous attabler

 

vous la personne admise

avec tous les paumés

 

soignez bien votre mise

tous sont à honorer

 

venez nulle entremise

topez de gré à gré

 

d’amour nulle remise

il est tout plein donné

 

la gaîté est de mise

bien plus que s’ennuyer

 

la tristesse est permise

douleur à consoler

 

haine et peur sont omises

on les a balayées

 

la violence est soumise

chantez dansez riez

 

puis quittez la chemise

nu vous serez lavé

 

 

 

 

Rouge

 

le ciel est bleu, la terre est rouge

petit souffle en ces cris du matin

mais novembre, images aux pleurs

 

souffle frisquet et les arbres s’agitent

arbres de sang aux feuilles rouges

guerre finie pour elles

à peine au sol elles sont mortes

 

chutaient tourbillonnant les aviateurs

les gars dans la boue s’affalaient

le ciel est gris, la terre est rouge

 

 

 

 

Le dit dans l’arbre

 

j’étais monté sur l’arbre

au temps d’avant les temps

sur une branche un jour

puis un jour sur une autre

celle d’en bas, celle d’en haut

je regardais

 

quand tu sciais du bois

quand tu lavais le linge

 

le chat vers moi grimpait

une chatte, tout l’étonne

le chien grondait

il aboyait puis il pleurait

voulait me voir descendre

je regardais

 

quand tu bêchais le sol

quand tu cueillais les pommes

 

quand tu semais la graine

quand tu berçais l’enfant

 

je t’aime, je te regardais

 

 

 

 

Dada, donc, des dits 

 

Le dit du canasson quand il hennit se ment :

On se croit étalon, on n’est que rossinante…

On offre cependant son dos au garnement

À la fille gentille, au boy comme à l’infante.

 

Le dit de l’écureuil a pour visée la noix,

Sa demeure est le cèdre, il y paye un loyer.

« J’avais caché, dit-il, en multiples endroits

La noisette et la noix, mais où ? J’ai oublié ! »

 

Le dit du sanglier se veut des plus modestes :

« Il me suffit qu’au bois on me fiche la paix,

Sinon je chargerai, croyez-moi je suis leste ! »

Bigleux, pourtant, il cherche, il a perdu sa laie…

 

Le dit de la marmotte, encline à persifler,

Fait croire à qui viendra qu’il la verra frémir :

« Approchez donc, dit-elle, entendez-moi siffler,

Vous me croyez dehors ? Je suis partie dormir ! »

 

Le dit de la mésange a de quoi vous charmer.

Vous l’approchez, saisi d’une joie sans mélange.

Elle vous dit, perchée, bien loin de s’alarmer :

« Tu ne sais pas voler, tu n’es pas même un ange ! »

 

Le dit du dromadaire – il vous toise de haut –

Semble venir d’un sage, en fait il déblatère :

« À vos dépens, crétins, vous montez sur mon dos

Car au moindre cahot, je vous foutrai par terre ! »

 

 

 

 

Trois buées de l’aube

 

1

ailleurs est en moi

gros pépère et qui tient de la place

édredon, et dedans

bulles d’air à danser danser

qui bougent et parfois

l’une s’échappe

 

ainsi le rêve !

 

2

j’ai fini d’écrire et le geste pourtant

demeure

et s’en ira rejoindre d’autres gestes

évanouis

milliers de desseins disparus

ainsi nos baisers

 

3

et chaque nuit, sur moi

la femelle du moustique

vient prélever la goutte de sang

elle qui fait vivre ses petits

 

l’amour est sanguinaire

qui nous vient de si loin

 

 

 

 

Montées ?

 

il te vous vient parfois des besoins d’épopée

des misères avérées

à corriger, la flamberge en papier

des vers à la hugo, des stances à la rostand

des finales envolées

et ce je ne sais quoi qui te met au grand large

poitrine soulevée

de grandes chevauchées, de grandes équipées

des david et des rude à raconter

des magnifiques au rire carnassier

des causes à sauver, des drapeaux à lever

enfin de quoi mourir le nez dans le ruisseau

de quoi tomber par terre, on est monté si haut

 

or si la terre est ronde et l’univers immense

ce monde est plat

 

 

 

 

Car il est souffle

 

je le dis, vous ne vous en tirerez pas sans vous refaire une image, une ressemblance d’un dieu, image à votre portée

 

tenez c’est d’abord chasser en vos têtes, vos cœurs et vos reins, vos mains, jusqu’à la moelle, à l’os du cœur

 

chasser l’image et la ressemblance d’un seigneur, le désir en vos fonds d’un maître, d’un roi, d’un céleste

 

voici déjà ; cela fait et fait à nouveau, refait encore reste de vous le squelette 

 

ossements, blancs d’un désir de royaume, bien dénudés, grattés, frottés, nus devant un ciel, des cieux vidés de tout règne

 

nus debout vos histoires flottant là derrière, l’avenir devant, sans motifs et sans voix

 

qu’une petite porte s’ouvre alors en vous et le dieu en vous se meut comme une vague immense

 

vague lente à nos yeux en sa visée, désir se déployant, montez pleurant, heureux, sur la nuée qui va 

 

ainsi va le dieu se mouvant qui vous entraînera, peuple dansant à lui vous emmenant

 

 

 

 

Gus

 

mon grand-père est un homme jeune

enterré en deux parties

au cimetière de son village

avec sa moustache et sa trompette

et son arc

depuis longtemps longtemps

 

c’était après une guerre

avant qu’on le ramène il nourrissait

une croix de bois là-bas

ici maintenant elle est en fer

et sur ses os

du gravier

 

on a bien fait les choses

et comment il s’appelle est inscrit

sur la place

où il n’est pas le seul

avec ses copains morts de la clique

ou de l’Espérance de Meaux

 

bleu nuit les ailes d’un corbeau

miroitent

sur une tête en pierre casquée

la statue est en un seul morceau

elle qui n’a pas été coupée en deux

comme lui

 

 

 

 

Adieu la nuit

 

la reine de la nuit a beau chanter si fort

la nuit n’a cessé de boire l’immensité

des millions d’yeux de feu ont veillé sur la terre

ont fait taire le chant, ont semé le silence

et les champs et les bois sommeillent dans la paix

les vents ont stridulés, calmés, sur la campagne

elle a soupiré d’aise, attendant la rosée

cependant, les cités n’ont pas voulu se taire

la folle y crie toujours en vibrations de peur

la cape de la nuit, zébrée de traînées blêmes

fait place peu à peu à des champs d’éclairage

on a chassé les ombres, il reste les terreurs

 

 

 

 

L’allée d’en bas

 

c’est plus qu’un chemin une allée claire ma promenade

d’un côté les bois qui s’élèvent jusqu’au plateau où j’habite

de l’autre la plaine et les champs aux multiples aires colorées

 

on marche à l’aise on s’arrête on regarde on contemple

la paix se pose alors et dos aux bois on aspire l’espace

même on devient soi-même cet espace et partie de ce monde

 

bouge au loin tout petit quelque engin un humain est aux champs

un camion empressé croise comme il peut sur la route qu’on suppose

on est avec ces gens on les devine le ciel est leur abri

 

on va sur ce chemin comme on va dans le monde juste un moment

juste un temps de tous les temps du monde et rien que le monde

ainsi que l’enfant dans le ventre une canne à la main

 

 

 

 

Ombres

 

ombres de ma mémoire

en sortent des figures

comme en la nuit les phares

font naître puis disparaître

un passant inconnu

 

des pas dans la nuit

des pas dans la pluie

quelqu’un marche

une ombre à jamais disparue

ombre entrevue

 

murmures d’autrefois

au loin des voix chuchotent  

s’élèvent puis retombent

souffles à jamais perdus

en ma nuit réapparus

 

 

 

 

Le dit du pommier

 

ici un pommier

il fait des pommes, en voici une

 

observée jour après jour, elle grossit, elle grossit

un jour elle arrête, elle ne grossit plus

elle est parfaite

 

ou se sachant imparfaite, elle ne peut rien de plus

belle sagesse car au-delà elle se déferait

sa chair se déliterait, tomberait en pulvérulence

finirait en pourriture

 

voici la sagesse du pommier

il se défait de sa pomme

de sa pomme achevée

parfaite ou non, achevée

alors elle tombe

 

ainsi lâches-tu le poème achevé

ainsi te lâche-t-il

ainsi ta vie te lâche-t-elle

et tombe

 

 

 

 

Sur le chemin de traverse

 

les grandes filles m’avaient emmené, j’étais enfant

ce jour de plein été, elles chantaient, la laide et la belle

 

chemin de traverse au milieu des blés, robes légères voletant

elles qui ne l’ont jamais connu, elles chantaient l’amour

et cueillaient des bleuets

 

et ce chemin pour jamais traverserait leur vie comme un trait

dans le bruissement des hautes tiges, sous le vent léger

et des épis

 

au-dessus d’elles, l’immensité d’un ciel lège et la superbe du soleil

jour de blondeur, jour de midi, jour de traverse

 

vous dont la vie ne fut que le gris d’une route

heureuses, lumineuses, pour toujours en ce jour vous marchez

allant, légères sur le chemin de traverse

 

 

 

 

Quand il vient

 

bruissement d'un souffle ténu, ainsi survient mon ami

 

multiples voix, chemins multiples, mille jeux d’harmonie

or on n’entend que dissonance quand nous aimerions ce chœur

vivant, ce chœur, d’une vive entente à l’écoute infinie

et ce que nous voudrions, que tout prophète tient au cœur

ce chant universel s’élevant d’une terre attentive

n’est pas, ne vient pas à naître, absent il ne vient pas à l’être

et ce n’est qu’une amorce, esquisse indéfinie, tentative

comme un fragile espoir, juste un pas dans le noir, un peut-être

 

or bruissement d'un souffle ténu, tel survient mon ami

 

 

 

 

Thomas

 

comme sur le bois on suivra les veines

sur le bras nu le dessin des veines

 

qui a suivi du doigt le cours du sang

apprends que sur les temps règne le sang

 

avec son poids de souffrance et de peur

ses enfants nus qui naissent dans la peur

 

parcours partout de violence et de mort

des mains lavées font sentences de mort

 

et nul déni n’effacera le meurtre

naître à la vie est avouer le meurtre

 

et tu vivras, en tes veines la vie

rouge le sang, passée la peur, la vie

 

 

 

 

courez – courez

 

! pierre a roulé

poussée – poussée

 

espace vide

parti – parti

 

reste le trou

la peur – la peur

 

parole nue

pas là – pas là

 

il faut sortir

courez – courez

 

épouvantées

vivant – vivant !

 

! vivant 

 

 

 

 

Ânon*

 

l’âne aimait ce sentier, il aimait y trotter 

– sur le sentier qu’on aime

on ne tourne plus la tête

il aimait cet ânier, il aimait l’écouter

– qui suit l’être qu’il aime

viendrait-il de Nazareth

aimera ce prophète, aimera le porter

– quand le monte un qui l’aime

avancer est une fête

 

* Tiré de Toutes ces mondanités

 

 

 

 

Runes dispersées

 

Neige, sur un ciel noir, a passé son traîneau

et repasse et louvoie, semant des fleurs de gel.

Neige morte, absence gelée, nul arc-en-ciel

n’irise ta blancheur, que hachent les moineaux.

 

Bravant le vent d’hiver, sur ton immensité

ils vont de ci de là, leurs pas sont des étoiles,

traçant, illisibles, des runes que seul voile

un souffle qui, rasant, les change en vérités.

 

Au loin s’en vont ces mots que nos livres ont dits,

fuyant leurs pages blanches et celant leur mystère,

alors que ces vivants nous laissent interdits.

 

Nul ne pensait saisir en leurs vives manières,

en leurs cheminements, leurs petits bonds hardis,

le langage à traduire en son dire éphémère…

 

 

 

 

On rigolait

 

c’était un jour où le rire fusait

un jour heureux

 

le ciel riait, riait, la mer riait

serait-ce un peu

 

on n’en finissait pas d’un rire heureux

rire à grands traits

 

du nord au sud on ne pensait qu’au jeu

du chaud au frais

 

rire mélancolique autant que gai

rire en un feu

 

en guerre en vrai, c’est vrai, rictus hideux

on se forçait

 

 

 

 

Ordre dispersé

 

qui descend la rivière ?

au fil du courant, une barque sur son erre

 

et qui happent leur ver ?

des corbeaux égaillés sur un champ labouré

 

chevreuils allant brouter

ainsi mes pensées, harde aux légères foulées 

 

un ordre dispersé

aux bois où nulle route n’invite à passer

 

liure et liberté

pour tous, enfin, terre et soleil, fleuve et nuées

 

 

 

 

Elle dort

 

elle dort, elle est épuisée, tant de douleurs

elle a vécu plus que les autres, intensément

un jour puis un jour 

 

ô femme, terre mère, et roche plus que sable

aussi dure qu’une enfance et tendre infiniment

dormir, elle dort

 

ses yeux, aigue-marine aux prunelles de mer

sont fermés, abaissées les paupières, apaisée

voir au loin, si loin

 

des images, des sons, des souvenirs dansants

et tout un devenir habitent son sommeil

sourire, sourire oui

   

 

 

 

Vœu

 

il a vu que le monde est en lui, lui dans le monde

et ce fut là qu’au centre un être vint gésir

que savons-nous que l’on aime si ne sont signes

on dit les yeux du messie rouges de vin

 

abreuvé de ta pluie ou de ton souffle

voici le monde et voici les étoiles

face à toi qui ne le vois s’en va ton avenir

changez la terre est le vœu

 

(presque cadavre exquis)

 

 

 

 

 

Transitives

 

les paroles sérieuses sont légères 

comme l’oiseau qui passe

transitives

elles ne s’appuient guère

seulement sur l’espace qui s’en va

sur l’espace qui s’en vient 

sur la présence qui passe

paroles de la porte

 

 

 

 

Requiem pour un monde

première tentative (juillet-août 2017)

à retrouver à la page Requiem

 

 

 

 

On dit adieu

 

à bien parler vaut seul le seuil

à qui entre on dit le bon jour

qui sort déjà pense au revoir

on dit à dieu

 

au temps où tout vous devient seuil

vous voici loin du premier jour

nombre de gens sans nul revoir

on dit à dieu

 

un temps neuf vous ouvre le seuil

d’une aventure au jour le jour

d’un soi où tout est à revoir

on dit à dieu

 

 

 

 

Sur un joug

 

aux sages     reste à comprendre     qu’il ne savent pas

l’intelligent     doit apprendre encore     qu’il a saisi le vent

le fort et le puissant     auront peine à porter     l’instant

 

et ta parole     au monde     pèse plus que le joug du pouvoir

et ton verbe     enseigne plus     que le poids du savoir

et ton dire a plus de prix     que l’avoir     et son or

 

 

 

 

Aux messagers

 

une coupe d’eau fraîche

à qui la donner ?

 

je la donnerai

aux messagers du ciel

 

quand renaît leur courage

au sortir de la nuit

 

alouettes et merlettes

qui m’annoncent l’aurore

 

et le goût de cerise

de la journée qui vient

 

je la leur donnerai

pour leur amour du ciel

 

 

 

 

Septième jour

 

au commencement l’humain chantait

il ne parlait pas il chantait

ses premiers mots ne furent pas des mots

il n’a pas nommé les animaux

car il les a chantés ou peut-être sifflés

c’est toujours de la musique

 

et bien sûr il mimait en chantant

il était joueur

il chantait il mimait il jouait

son chant était un cheval et le cheval courait

c’était un caïman le caïman nageait

un cormoran et il volait

 

et le monde le monde s’animait

même les arbres bruissaient

et le ruisseau roucoulait le tonnerre tonnait

et Dieu pour cette unique fois

riant aussi pleurant vit cet humain

de son monde faire une œuvre belle

 

 

 

 

Entrevues

 

Je me revois à Etchmiadzine

avec la fille d’un soldat russe

elle traduisait

dans l’odeur de vodka

 

Ou je repense à Pusan

une fille aux yeux d’amande

elle riait et nous buvions

puis elle pleurait

 

Je nous revois à Managua

la blonde et moi

quand nous chantions ensemble

"Aux marches du Palais"

 

chantez chantez-moi

 

Et je repense à Tana

ville aux mille vivants

elle se moquait je crois

la femme aux cheveux lourds

 

Reviendrai-je à Ouaga

à la fille en prière

croix d’or sur la peau noire

et les regards trahis

 

Et je repense à Stavanger

akvavit sous la neige

l’élan qui erre dans les bois

et la caverne aux trois serveuses      

 

parlez parlez-moi

 

Souvenir de Bizerte

aux soirées de citron pressé 

danseuse arabe fière  

et la splendeur du jasmin

 

Et je repense à Berlin

quand nous marchions ensemble

elle aux yeux de charbon

un monde de tristesse

 

C’était à Mombassa

le port était languide

où fut trompée la fille

aux longs pas de savane jaune

 

criez criez-moi

 

Et je repense à Lomé

l’hôtel et la chemise repassée

et ce sourire au miel amer

aux yeux noirs sans espoir 

 

Était-ce à Setúbal ?

pieuse au milieu de la foule

quand tu tenais ma main

un rire nous a pris

 

Et je repense à Port-Saïd  

ton voile sous le vent

du quai tu captais nos regards 

quand se glissaient les voleurs 

 

jouez jouez-moi

 

Était-ce à Cracovie ?

me croyant allemand

une effrontée criait Polska !

me bousculant elle riait 

 

Et je repense à Antigua

nos amies s’étonnaient

car nous parlions sans peine

notre langue de hautbois

 

Et je médite sur Sofia

cheveux fous d’une gamine róm

amère à qui je disais va

ne m’ennuie pas

 

pleurez pleurez-moi 

 

Multiples femmes entrevues

dessus la belle boule bleue

fragile

elles que sont-elles devenues ?

 

 

 

 

Jeudi

 

blanchâtre, aujourd’hui, le ciel est pris

telle une taie sur l’œil noir de mes jours 

aucun rai du soleil ne traverse les nuées

nulle échelle d’en haut pour descendre

pas de montée, pas de jeu pour les anges

 

certes, on parlait d’ascension, de montée

de bousculer les cieux, de s’y installer

et puis non, tenez, il vaut mieux profiter

jouir de la pluie tiède, entêtée, du noroît

car si tu règnes, c’est au fond de moi

 

 

 

 

Allégeance

 

il ôte son manteau

il ôte sa splendeur

assis dans la poussière

ainsi agit le roi qui meurt

 

il n’est de dieu pour toi

que sans rois ni seigneurs

que sans les voleurs

les accapareurs 

 

tu sers le roi qui meurt

aurais-tu peur très peur 

il ôte son manteau

il ôte sa splendeur

 

 

 

 

Trois aïe-coups au "grand"

 

(le aïe-coup est pour moi une sorte de haïku écrit sur douze syllabes)

 

 

grand ciel ce jour

pas un mot

il n’est pas ici

 

 

sur le chemin blanc marchant

grande joie

tu viens

 

 

au sol effacé l’écrit

l’esprit

un grand vent

 

 

 

 

Reste un doute

 

La plupart du temps existe

sans aucun doute

mais le reste du temps ?

 

La plupart une fois mise de côté

y a-t-il un autre côté ?

il y a un doute

 

Mais que font les autres doutes 

les autres fois ?

et où sont les autres ?

 

La plupart en reste de côté

sans aucun doute

mais à chaque fois ?

 

 

 

 

Grève générale

 

pendant longtemps ce fut la sécheresse

les sources avaient cessé de couler

elles étaient fâchées, on ne cessait de les empoisonner

 

l’herbe avait blanchi, les fruits étaient tombés

on n’avait plus de lait, on n’avait plus d’espoir

sans sa copine, en-bas, la pluie se retenait

 

puis Jeanneton vint accoucher sur l’herbe rousse

auprès de l’ancien ru de son village

elle qui est si jolie

 

Elle était simplette aussi, elle dit « O m fedré d l’ève »*

la source entendit, sourit à la façon des sources

mais ne bougea pas, ne voulut pas céder

 

or quand le bébé pleura la source ne put se retenir

elle gazouilla, puis elle chantonna, puis elle bouillonna

elle en perdit les eaux – le ru coula

 

 

* « Il me faudrait de l’eau » (parler poitevin).

 

 

 

 

J’aimais ta robe bleue 

 

j’avais bien vu la fille en robe bleue

celle qui ne riait pas

elle était venue seule et quand elle est partie

un bout de ciel nous a manqué

nous vivions en hiver

et quand elles sont belles les filles faut s’en méfier

 

dis-moi pourquoi ce jour-là tu vins seule

pourquoi tu es partie

pourquoi gelé un bout de mon ciel est tombé

ce jour raté quand le ciel a fermé

grande ombre noire terrée

au gué au gué ta robe bleue m’a envoûté

 

 

 

 

L’ombre noire 

 

dans les bois

dans les bois l’enfant s’en va

le chien aboie

dans les bois l’ombre noire est là

le chien s’en va chercher dans les bois

chercher l’enfant qui s’en va

s’il le trouve une amitié naîtra

de joie le chien aboie

du sanglier voici l’effroi toute l’histoire est là

un sanglier, un enfant et un chien qui aboie

un chien plein de joie, le tout dans les bois

le sanglier tel l’enfant reste coi

l’ombre noire est là

la peur de l’ombre noire est là

 

 

 

 

Temps ?   

 

beau jour

où est ton chant ?

le temps est court

instant

 

es-tu

un jour sur terre ?

temps d’un fétu

mystère

 

sourire

le plus beau don ?

un temps pour dire

pardon

 

à vous

qui donc se mêle ?

le temps l’avoue

une aile

 

désir

jamais assez ?

temps sans rosir

laissez

 

 

 

 

Écoute s’il pleut 

 

il n’est là d’origines

ne cherche pas si loin

la source n’est que signe

c’est un fil d’eau qui coule

sous la source qui sourd

et la source en est signe

 

écoute

sous la source

passent les souvenirs

passent les remords

passent les regrets

filets d’eau qui s’emportent

 

filets d’eau sale sous la terre

au loin qui vont et meurent

ils coulent sous la source

elle qui chantonne

elle qui murmure

l’aujourd’hui qui s’écoule

 

écoute

écoute s’il pleut

si la source se perd

si les eaux de la terre

sont lavées sous le ciel

et si tes yeux se mouillent

 

 

 

 

La fille du magasin 

 

elle ne le sait pas

elle ne sait pas qu’elle est belle

on lui dirait que son nom à elle

que son nom rime avec belle

ses yeux s’élargiraient, elle se détournerait

elle resterait là figée, sans bouger

ne sachant que dire, ne sachant où aller

bouleversée

gêné on insisterait on lui dirait

que ses yeux

que ses yeux d’aigue-marine

qu’ils sont les plus beaux de la commune

elle fuirait, elle s’enfuirait

elle courrait se cacher

se cacher dans l’arrière-boutique

on ne dit pas ces choses-là elle penserait

d’ailleurs à penser, elle n’aurait pas que ça

elle n’aurait pas que ça à faire

arrêtez de m’embêter elle dirait

en revenant elle essuierait ses yeux

ses yeux les plus beaux yeux de la commune

car elle aurait pleuré

 

 

 

 

Cris d’enfants

 

ils rient les enfants du malheur

dans leurs camps ils rient plus que les autres

ils rient très fort, à celui qui rit le plus fort

car ils ont connu la peur

ont éprouvé la peur

ont éprouvé sur eux les mauvais et leur mal 

elle a passé sur eux la cruauté 

la cruauté des cruels et la folie des fous

ils savent

ils ont su où se tient la folie, ce qu’elle veut

et quand il jouent

quand ils jouent

oui quand le temps du jeu leur est enfin rendu

alors plus fort que tous les autres

alors plus fort encore

ils crient très fort

 

 

 

 

Paradis froid

 

surgit du brouillard alentour

l’armée de givre d’arbres nus glacés

hors du temps monde mort

bleuté d’un purgatoire étincelant

 

soleil brusque illuminant

naît ébloui un monde neuf

quand la forêt de givre abandonnée  

se mue soudain en paradis de fées

 

la beauté la beauté la beauté

sans même une bonté juste pour rien

 

 

 

 

Ouragan

 

la tempête s’annonce

qui la verra venir ?

 

un roseau agité

sous le vent du désir

 

cela suffira-t-il

et pourra-t-on saisir ?

 

tu fermeras les portes

l’ouragan va t’ouvrir

 

le vent qui te dévaste 

il venait t’avertir

 

 

 

Vitrail

 

Tout aurait pu arriver

heureusement tout s’est bien passé

 

la dame aurait pu refuser

l’ange aurait pu se tromper

la dame aurait pu perdre sa chaussure

elle aurait pu avoir mal et s’en aller

et l’ange aurait pu se vexer

il aurait pu se froisser

ses ailes se ternir ou se flétrir

même se faner

 

le temps qu’on retrouve cette chaussure tout aurait pu rater

on sait qu’une chaussure perdue ne peut pas repousser

il faut la retrouver aurait dit l’ange

la prochaine fois tâchez d’être moins maladroite

sans l’écouter la dame s’en serait allée

 

mais tout s’est bien passé et quand il est venu

la dame l’attendait pieds nus

 

 

 

 

Au chemin d’en bas  

 

au chemin qui descend en quittant la maison s’entend la paix des bois

chênes et châtaigniers, leur bruissement sans fin, sans projet, sans vouloir

pur désir de tenir, c’est leur aspiration, et je le sais fort bien, je leur suis étranger

pour ne plus être craint il me faudra chanter, chantonner, murmurer

doucement inspirer, largement respirer si je voulais tenir

partager leurs accords, apprendre à devenir

et si j’ai leur appui, remonter tout à l’heure, flatté de l’entrevue  

 

 

 

 

Conversation

 

au passage d’un ange

un trou dans nos paroles

je suis tombé dedans

 

quand l’échange a repris

je suis resté en bas

plongé au fond du trou

 

l’ange est venu au bord

il s’est penché vers moi 

m’a dit de remonter

 

je n’ai pas répondu

je me plais bien au fond

il a repris ma place

 

 

 

 

Échappée

 

il s’est passé qu’une ombre

a recouvert l’étang

et qu’un héron cendré

aussi sa belle effarouchée

saisis d’un brusque envol

ont quitté ces parages

 

ainsi s’enfuient bien loin

les amants de vives lueurs

quand une nuit les frôle

aussi leur monde

 

nous demeurons

 

 

 

 

Qui ?

  

je fais des vers en je

je fais des vers en tu

je fais des vers en il

je fais des vers en elle

je fais des vers en nous

et pourquoi pas en vous

mais ni en eux ni en elles

c’est que ce ne sont pas  

mes à faire

  

 

 

 

Résister                                   

 

les chefs n’y ont pas réussi, les rois n’y ont pas réussi

aux empereurs nous avons survécu, aux prêtres même

venus jusque dans nos cœurs et nos têtes et nos reins

aux évêques et aux papes, aux pasteurs desséchés

à leurs synodes, leurs conciles, leurs fatwas et leurs bulles

nous avons résisté, à leurs États, leurs juges, leurs docteurs

leurs diseurs de vérités sur nous autres, leurs savoirs

leurs prisons, leurs goulags, leurs charniers, leur raison

leur bon droit, nous avons tout souffert, morts par millions

au long des millénaires, écrasés, formatés, chair humaine

souvent nous l’avons cachée, nous l’avons sauvegardée

nous avons su conserver, têtes à claque, notre antique

mauvaise tête 

 

 

 

 

La visite

 

il vient me voir parfois

c’est entre chien et loup

nous parlons en confiance

toujours entre les temps

il n’a pas d’apparence

 

dans les premières fois

il me parlait de moi

je crois que je l’amuse

il me montrait du doigt

les failles de mes ruses

 

il n’était jamais dupe

je ne l’étais pas plus

nous le savons tous deux

les humains sont trompeurs

et moi je suis l’un d’eux

 

on se ment à soi-même

on finit par se croire

la visite d’un ange

empêche assez souvent

qu’on se donne le change

 

aujourd’hui quand il vient

nous dépassons mon cas

nous parlons d’autre chose

de la force du mal

du bien et de ses causes

 

de ce déséquilibre

où se forme le monde

au temps qui dérapa

de la matière en lutte

au rythme de nos pas

 

nos rencontres sont brèves

il lui faut peu de temps

pour éclairer des jours

pour redresser un dos

défroisser un détour

 

en un mot un sourire

une question subtile

il sait faire apparaître

un pan de l’irréel

et ce qui vient à naître

 

c’est pourquoi je l’attends

chaque nuit chaque soir

à l’aube au crépuscule

espérant sans le voir

que l’ange me bouscule

 

 

 

 

Kyrié éléison

(Seigneur aie pitié)

 

je ne suis pas un chien

je ne saute pas de joie

je ne gambade pas

je ne rapporte pas

je ne jappe pas de joie

d’ailleurs je n’aboie pas

 

je ne suis pas un chien

je ne suis pas fidèle

je ne te défends pas

ne te protège pas

je ne garde pas ta maison

d’ailleurs je n’obéis pas

 

je ne suis pas un chien

je ne cours pas en rond

je ne geins pas, collé au sol

je ne supplie pas des yeux

je ne hurle pas à la lune

ni à la mort, ni à la mort

non

 

 

 

 

Juste un panier

 

comme un panier, je suis comme un panier

comme un panier pansu tressé d’osier

je me remplis de fruits tombés de cent ou de mille arbres

on m’en jette aussi dedans, qu’on me confie, ou que je vole

quelle importance, au fond ils ne sont à personne

en tombant là-dedans certains me feront mal

ils ont de gros noyaux, il faut bien les comprendre

certains, de nuit, se glissent en mon sommeil 

d’autres sont tels qu’ils attendent une main qui les prenne 

alors je prends, je tends la main, je regarde et caresse 

fruits de toute espèce et de toute part du monde

de toute couleur et de toute saveur, et légumes aussi

plantes qui verdoient, fleurissent et fructifient

graines qui s’en vont germant, et selon leur espèce

tel va le panier que je suis, qui déborde parfois

au fond jamais rempli, pourtant, ni jamais alourdi

et j’accepte et souris d’être juste un panier 

juste un panier, comme un panier pansu tressé d’osier

   

 

 

 

Éveil

 

quand je suis arrivé tout au bout de mon rêve

je me suis éveillé

il faut que telle histoire en cet instant s’achève

au jour ensoleillé

 

je vivais du malheur au long de mon sommeil

de joies échevelées

l’aventure inouïe ou l’amour sans pareil

l’arcane révélée

 

et puis le jour paraît et le vrai qu’il révèle

au matin nettoie l’œil

ainsi vient l’essentiel et l’avent qu’il recèle

 

du songe on fait le deuil

on reçoit ce qui vient, malsonnant ou fidèle

chaque jour est un seuil

 

 

 

 

Prière à l’usage de la maman de François Villon

 

Père qui vis et vivais avant nous,

Montre-nous tes cheminements :

Que, face au monde immense devant nous,

Nous ne pensions petitement !

 

Ô Père qui vis au-dessus de nous,

Apprends-nous tes commandements,

Et que, l’image de ton Fils en nous,

Nous ne vivions petitement !

 

Ô Père qui vis au-dedans de nous,

Fais-nous respirer largement.

De l’étroitesse du cœur garde-nous :

Que nous n’aimions petitement !

 

Ô Père qui vis si proche de nous,

Vivons-nous fraternellement ?

Qu’envers celui qui chemine avec nous,

Nous n’agissions petitement !

 

Ô Père qui vis tout autour de nous,

Le monde joue injustement.

C’est toi qui mets ce défi devant nous :

« Ne luttez pas petitement ! »

 

Ô Père qui veux le bonheur pour nous,

Pour le construire, joyeusement,

Que jamais, dans ce chantier devant nous,

Nous travaillions petitement !

 

Ô Père qui viens au-devant de nous,

Quand pour chacun c’est le moment,

Fais que, logeant la foi très fort en nous,

Nous ne croyions petitement !

 

Ô Père qui viens pour toujours à nous,

Tu veux apaiser nos tourments.

Que, l’espérance ancrée au fond de nous,

Nous ne mourions petitement !

 

 

 

 

Fêter le dire

 

dans le champ / dans le champ est l’épi / dans le champ est semée la graine / dans le champ / la graine là se trouve / dans l’épi / dans la graine se trouve le germe / cherche la graine et cherche le germe / il a dit tu ne me / chercherais pas / si tu ne m’avais / trouvé

 

ils ont pris la parole / ils l’ont prise pour eux / ils ont dit nous parlons / c’est nous c’est nous / ils ont mouillé le monde / mouillé de leur parole / qui n’est pas la parole / et qui jamais ne dit / pas le verbe qui dit / corps de celui qui dit / de celle qui dira / jamais eux 

 

n’ont pas émis le verbe / n’ont pas osé le temps de dire / pas le temps du faire / le temps du dit qui fait / du dit qui crée / oh non car ils étendent / ils allongent / vois comme leur temps est long / sans effet / sans autre effet que l’ennui / que l’embrouillamini / salive qui englue  

 

et le roi leur avait donné la parole / le roi l’avait disséminée / le roi l’avait jetée aux uns / et même aux autres / abandonnée / riant de les savoir à même / de les vouloir ainsi / à même de dire / aptes à faire d’une parole un dire / dire de lui / digne de lui / dru comme lui

 

alors pleurer se retrouver et rire / ainsi le verbe à ton côté / trouvé le pain / trouvé le grain / trouvé le germe / dans le grain le germe / et le dire qui lève / boire le vin boire la rosée / boire la brume / fêter le dire / jamais assez

 

 

 

 

Comment ?

 

c’est un arbre qui rêve

juste une envie de ciel

et comment le gagner ?

un arbre est désarmé

 

ni gagner par violence

ni monter par jactance

non plus que par prudence

 

il a pu s’élever

approcher de son rêve

car la ruse des arbres

est de s’enraciner

 

 

 

 

Comme le vin

Ballade

 

Comme le vin tu me captives

comme le vin

et mieux puisque tes yeux

me font chuter dans le silence

parfois

 

Je te vois et compréhensive

comme le vin

plus ferme qu’un vin vieux

te voici l’avenir de ma danse

parfois

 

Lumière brune lampe vive

comme le vin

ton regard est non-lieu

il pense au soir en mon enfance

parfois

 

Couvrant ce que la peur active

comme le vin

et mieux car oublieux

devin il devine ma transe

parfois

 

Au loin ma dame un peu naïve

comme le vin

sous le ciel rocailleux

d’amour me donne intelligence

parfois

 

 

 

 

Le jour où tu pars

 

le matin est neuf, sauf est le soir

entre les deux, veuf est l’espoir

il va pleuvoir et tu t’en vas

pas un matin que tu ne sauvas

 

ce jour est lourd, celui où tu pars

 

neuf est le soir, ce jour fut trop court

araignée du soir, l’air est lourd

au noir mon espoir a sombré

la pluie tombe, asile enténébré  

 

dis, le jour où tu pars est trop lourd

 

veuf est le matin de ton départ

en allée, vois le monde épars 

je ne sens que tu reviendras

si noire, la nuit étend son drap

 

il fait trop nuit le jour où tu pars

 

 

 

 

Pétaudière

 

tu sais ce que je pense

je pense que tu le sais

et ce que je sais

c’est que tu le penses

quand tu penses que tu le sais

et que tu sais quand je pense

et ne sais que je le pense

au moment où tu le sais

mais que sais-tu, j’y pense

j’y pense bien, tu penses

tu le sais bien, je sais

toi et moi le savons

de Marseille  

 

 

 

 

Préliminaire  

 

je dis que le mal ce n’est pas étonnant

le dur et le méchant, c’est l’habitude

et ce qui me surprend

c’est la bonté en marche, celle qui a des mains

et puisqu’il est un dieu, là il rit de bonheur

 

Au cœur du malheur

 

vois, de toutes les miettes disséminées, miettes éparpillées, tombées, inconséquentes et légères sous la table, tu fais du pain

 

c’est ton secret, fort bien gardé, tu lèves ce qui est tombé, ce qui est pulvérisé, tout ce qui est défait, tu le dresses et l’unis et l’assembles

 

de toutes les écailles, de toutes les arêtes rejetées, tu inventes le poisson, et tu le mets à l’eau comme s’il n’avait jamais nagé

 

tu n’es pas embarrassé, quelques pains ou poissons te suffisent, de cela tu feras un banquet, face à nous tu dresseras la table, et nous tes ennemis, mangerons et boirons

 

ce n’est là que prémices, tu n’as pas de limite, tu nous prévois heureux, usagers d’un éden, èves tout éprises, adams tout amoureux

 

de tout duvet léger, voletant sous la brise, tu vas tisser l’oiseau, tu le lâches dans l’air, tu attends qu’il s’envole, tu espères qu’il ose, et tu le vois planer

 

et chaque jour, chaque seconde, incognito, amoureux du devenir, tu nous fais le coup de tes six premiers jours

 

de toute goutte postillonnée, tu rassembles une mer, et tu bâtis la terre de toutes les poussières, celles qui sans raison tourbillonnent sous le vent

 

tu amasses le fétu, pour qu’il serve à ton œuvre de verdure, à ton idée de forêts, de taillis et de futaies, d’ombrages propices à toute bête  

 

et pendant que nous dispersons, que nous défaisons, face à nous, face à tes ennemis, ennemis de toute œuvre à venir, tu te fais inlassable

 

et de tout ce qui est, qui vit sous ton soleil, toi tu te fais un monde que tu aimes, et à qui tu souris, qui te fait rire de plaisir, tressauter de bonheur

 

et de chaque minute, et de chaque heure comme de toute année, tu nous offres un temps, une ère de merveilles, au creux du temps damné, des jours abandonnés

 

n’es-tu pas, ce fut dit, le seigneur de la danse, n’es-tu pas, en nos cœurs, en nos morts, en nos deuils et nos crimes, en nos malheurs sans nom, le maître de la joie

 

 

 

 

Paisible

 

le chant du soir s’en va, souffle léger au-dessus de nos toits

dans le fouillis de l’érable les cancans des mésanges s’apaisent

tête repliée, calotte bleue penchée, elles cherchent le sommeil

l’air s’est fait translucide, reste, vers l’océan, ce halo qui s’étire 

quelqu’un chantonne sur la terrasse, je crois bien que c’est moi

 

aux temps de mon enfance il arrivait que toute paix survienne

dans le silence oublié par les bombes, retombé le nuage

une paix sidérée, telle incrédule, habillée de stupeur 

frayeur de qui se voit survivre et ne sait plus où cela mène

et je crois bien que c’était moi, cet enfant blanc couvert de poudre

 

ainsi s’en vont les bombes, concédant, à qui veut, quelque répit

ou à qui peut, quand se lasse un pilote attaché à son œuvre

ramenant un bilan de désastre aux palais blancs de ses maîtres   

quand se terrent par milliers, en des trous, les enfants d’aujourd’hui

dans leurs pays lointains, et je crois bien que c’est moi qu’on bombarde

 

là, une herbe impavide à trouvé son peu d’espace, entre deux blocs

un fétu vert paraît dans le béton, dans l’amas imbécile 

la vie renaît quand les humains sont morts, leurs enfants éventrés

or les oiseaux d’ici, pinsons, chardonnerets, nous laisseront vivre

nous ignorant, et celui qu’ils oublieront, je crois bien que c’est moi 

 

 

 

 

Margot Margot

 

si j’écris à la plume

c’est pour te faire un mot

Margot Margot

 

je suis comme un rat d’eau

je compte pour des prunes

ballot ballot

 

elle me lance une agrume

je lui jette un bon mot

pas beau pas beau

 

je m’en vais à vau l’eau

ni chacun ni chacune

bateau bateau

 

pense pense à moi

 

à l’heure de l’apéro

je songe au lamparo

et tu rêves à la brune

hello hello

 

et Margot je présume

que tu erres en la brume

moi je te cherche trop

rends-moi ma plume

 

 

 

 

Yggdrasil

 

assis où j’ai choisi

me disait le grand arbre

de là je sème, de là j’essaime et je vais loin

 

comme un chef de tribu

j’enseigne et je conduis

trônant sous l’arbre de nuages et de pluie

 

jambe en terre plantée

et quand je me déploie

les bras ouverts, je suis le tronc de toute science

 

de loin ma chevelure

indique le chemin

amoureuse des vents et amante des temps

 

c’est ainsi qu’immobile

je voyage et navigue

au-delà de la vue, mon ombre portant loin

 

mon nom importe peu

je suis l’arbre du monde

qui me touche et m’enlace, il se renforcera

 

 

 

 

Cène    

 

alors les voici tous à table

avec les enfants et les femmes

 

la peur est cachée par derrière

en un paisible remuement

 

ils ont faim, loin d’être repus

manquant de pain et d’amitié

  

ils sont ensemble pour fêter

le sachant que proche est la fin       

 

celui qui parle va mourir

et tous ceux-là vont s’en aller

 

un seul repas va leur suffire

il nourrira leurs aventures 

 

 

 

 

Utopie

 

ce qu’on nomme utopie n’est autre que le rêve

où tu sais, en rêvant, que l’avenir se lève

 

un jour vient, puis un autre, et l’horizon s’éclaire

chaque étape à pour elle un nouveau monde à faire

 

tu le crois, tu le penses ou le veux et l’espères

jamais les démentis ne vaincront tes colères

 

comme il te faut d’audace, et comme tu t’égares

quand meurt pourtant le jour heureux que tu prépares

 

après la pluie vient le beau temps, dit-on souvent

la pluie revient pourtant, la pluie des mauvais vents

 

alors tu recommences, alors loin d’oublier

l’enjeu de ton courage est de ne point plier

 

on te dira follingue, étrange en la maison

on verra qu’à la fin, c’est toi qui as raison

 

 

 

 

Envolées

 

plume qui vole, qui s’envole,

tel va l’aveu, l’avis, le vœu,

s’en vont les envolées, valaient-elles,

et le vote, volatil où va-t-il ?

 

plume qui vole et volera

avec les vieux, va, la vie s’en va,

vaine la vie, que vaut-elle,

mais que vive la vie vraie !

 

plume qui vole, envolée belle,

vivre est un vide, vivre est un vin,

vivants valides, voulant ou veules,

qu’ouvert, en vous, veille un visage.

 

 

 

 

Étrange

 

le monde en moi

toi dans le monde

en toi voici le monde bleu

je te vois si jolie

couchée sur l’herbe bleue

le bleu de tes yeux dit-il tout rouge

 

je te vois rouge

le monde est rouge

je te vois bleue le monde est bleu

tu fais entrer en moi le rouge

tu fais entrer le bleu

une orbe rouge et bleue

 

et si le ciel orange est un orage

mon cœur en moi se fend

tous ses quartiers s’épandent

sur l’herbe verte et bleue

du ciel sur elle a coulé tout l’étrange  

et tu dis quel mélange

 

quand je suis toi je suis le monde 

le monde rond comme une orange

où comme au ciel les anges

ma chair est rouge et bleue 

couchée sur l’herbe noire

et tu me dis étrange

 

 

 

 

Aériennes

 

ce jour-là, les oiseaux eux-mêmes étaient lourds

les poissons aussi, ils étouffaient, toute cette eau

une eau sans air, un air pesant, la chaleur lourde

c’était un jour où l’attraction terrestre jouait à plein

les pieds collaient au sol, les jambes gonflaient

la terre s’effritait sous les pas, attirée vers plus bas

sûr qu’on rigolait pas, on étouffait, comment rire ?

 

il a dit que non, qu’il sauterait en l’air, jambes en l’air

 

tranquille il l’a fait et les oiseaux se sont mis à voleter

remis à voler, même les plus gros, l’émeu lui-même

et voyant, les poissons se sont mis à rêver de la nage

à nager dans une eau redevenue légère, même aérée

avec des bulles, et la terre les a senties, les bulles

elle s’est mise à respirer, elle s’est assouplie, légère

et il est retombé, les pieds ailés, les jambes déliées

 

même, il a dit qu’il n’hésiterait pas à recommencer

 

 

 

 

Pour une combattante

 

la belle est morte au combat

pleurez sur le corps d’une dame

femme brune de là-bas

chantez le courage des femmes

 

femme, elle a pris le fusil

tombée, elle gît dans le sang

honte à l’homme qui s’enfuit

quand sa sœur meurt en partisan

 

toi, tu n’auras pas d’enfants

la guerre te fut imposée

veuf qui se veut ton amant

la guerre au loin t’a emportée

 

on pleure, on chante là-bas

on chante la force des femmes

la belle est morte au combat

fière et belle comme une lame

 

(Lieutenante Reem Hassan, commandant

une unité de femmes kurdes et chrétiennes

face à Daéch en Syrie)

 

 

 

 

Bluette

 

adieu à mes amis 

doux comme un doigt de miel

ou comme un poing unis

étoiles dans le ciel

 

des bras de mon amour

aux serres des vautours

de lèvres de velours

à la mort sans atours

 

les signes sont tracés

les enfers sont pavés

les bêtes vont émerger

leur règne est annoncé

 

elles seront douces

elles seront cruelles

seuls survivront

ceux qui sauront aimer

 

 

 

 

Enfants heureux

 

Sur un rythme de Jean-Paul de Dadelsen

 

Près du hameau les enfants courent, sous la chaleur du soir, sous l’odeur des tilleuls, criant

malgré les ombres qui s’allongent aux murs, ils se poursuivent, fuyant le lit, des enfants

pâles des villes, et que la paix soit avec eux !

Derniers jours de l’été, fin août a confié à la nuit qui vient ses parfums et ses rires.

À peine le matin viendront des jamais plus, au temps où les beaux jours s’achèvent,

l’automne et l’oubli pour refrain.

 

Au loin les soldats ont peiné sous le casque, leur pas lent fait rouler la longue mémoire

de ces pierres insoumises, pour toujours fichées là en rebelles ; la foi des pauvres avec elles

éveille à nouveau, pour longtemps, sa rancœur.

Revient l’inévitable, au retour du malheur, lorsque l’encre des messieurs, et leur verbe,

redéfait une longue épissure de travaux et de jeux, et d’alliances, et de danses,

ainsi revient la guerre aux hommes.

 

La jeune femme, à ses anciens voisins l’a dit, redit, d’autres temps viendront où pourtant

il sera temps de refaire une histoire, de rassembler les brins, de trouver un village

de tendresse tressé, au cœur las de haine.

Qui le croira, qui va le croire, et les soldats ont ri, pourtant vêtus de peur, d’habits

de sang versé ou de tortures, à la terre ira leur rire comme un chien a hurlé

à mort, il n’est pas de pardon.

 

Où s’en vont les anges quand il pleut, leurs ailes salies par la haine, je ne sais ce qu’ils

veulent, ont-ils aperçu, honteux, ces liens d’amours cachées dessous, je ne sais pas ce qu’ils

disent, privés de sang rouge, aux pures élytres.

S’en vont-ils pleurant, riant de nous autres humains, sommés de rapporter à leur maître

leurs proies, les ailes ensoleillées, irisées de tant d’éclairs et de combats, de peines,

chaînes trop lourdes à porter ?

 

Or paisibles sont les villages, ignorant ce qui vient, les ciels de bromure et de plomb

sous les orages, ainsi vont les gens que nous sommes, incertains et confiants, tous incrédules,

enfants de vide mémoire du mauvais.

Seul un sage a semé les graines du futur, ne sachant, ne voulant, visité seul

par les esprits errants revenus vifs de très anciennes guerres, gitans de sa mémoire

voyageant sur ses folles routes.

 

Un vieil homme est passé ce soir, mille nouvelles dans la tête, et des chansons

à faire entendre, admirer, dispersant à l’envi les brins de son tabac, mi-rieur,

mi-sinistre, rageur, la langue embarrassée,

ancien enfant justement, vif encore et déconcertant, l’œil allumé par des joies

anciennes et des bonheurs datés, par des soucis dont il n’a plus que faire, les soupesant.

Aux vieux que devient l’avenir ?

 

En attendant la mort il est si doux de rire, amis rions, attablons-nous ensemble

avant d’être cueillis pour une autre aventure, saisis de peur, habités de désir.

Ne sommes-nous pas de ces curieux amants,

aimant la guerre et la fuyant, aimant la vie et la foulant, aimant si fort, enfants

voués à vivre aimés et menacés de haine, envoûtés, encroûtés, fort amusés

aussi, qu’on n’en peut plus de rire.

 

Et les filles chantonnent, se tenant par la main, oublieuses dans leurs tabliers de ferme

de ce qu’il faut de crainte pure ou de fière malice, pour sauver son estime aux jours

où pleuvent les cris de vengeance et les pleurs.

Je sais ce que je dis, j’ai souvenir du temps maudit des reîtres vert-de-gris, barbares

civilisés, faut-il le dire, tout affolés de leur orgueil, de leur blessure d’être,

âmes retournées à jamais.

 

Les gens d’ici en ont le souvenir, on en trouve les traces, on se demande encore

en quel dessein les enfants à l’étoile avaient à se cacher, lapereaux apeurés,

sans leurs poupées ni leurs peluches aimées,

enfants tués, et le faut-il, que dans la vie des hommes, les ogres soient autorisés ?

Oh comme on s’en souvient ! Et le ciel, en vérité, peut tomber, la lune en sang rougir,

mon Dieu, tu as de ces idées…

 

Et peuple qui n’a su, venu le froid des morts, que la nuée soulevée par les chars

t’apprendrait à courir, te souviens-tu, ces jours où tu fuyais auront sauvé pour toi

tes cartons à chapeau, tes robes à fleur.

Je dis ce qui était, je ne mens pas, mais pourtant on chantait, et la plus belle histoire,

peut-être, est celle où l’on verra le peuple menacé, tout comme ces enfants qui jouent,

chanter avant la mort qui vient.

 

Car les enfants, en tous les temps, près du hameau de leur naissance, aimeront à courir

à l’ombre des tilleuls, sans souci, ignorant le zonzon de ces milliers d’abeilles

attachées à leur labeur, comme un tueur.

Qu’ils s’amusent au soir, que les rayons du soleil de la guerre ne les traquent, ainsi

que fait la flak, elle qui a piégé l’avion, cloué au faisceau blanc d’un projecteur,

et qu’ils ne meurent, non, qu’ils ne meurent.

 

Insensibles à nous et poursuivant leur quête, têtues, les fleurs, les plantes et les bêtes

continueront, obtus, sans nous, quand nous fuirons notre festin, notre destin lassé,

et qu’il est doux de dire à cet avenir

que des enfants un jour auront joué, crié, soûlés de rires, ou de pleurs sans objet,

avancés dans le soir, que l’appel de finir et venir se coucher était leur seule crainte,

enfants heureux sous les étoiles.

                                                                                                                                         

 

 

 

Le cœur  

 

comme un lit de plume

j’aime bien dire je t’aime

j’aime bien dire ça va

ces petits mots-là

un envol d’oiseaux

un bateau sur l’eau

le cours d’un canal

la vie vers l’aval

 

mais puisque mon cœur bat

tu me fais remonter

tu m’aimes tu m’emmènes

où l’on se bat 

 

 

 

 

Le bruit du vent

 

en moi, bien en dedans

ruisseaux et bruit du vent

tu les vois, canaux et courants

envolées d’avant, fous de bassan

 

je regarde en moi et volant

vont les signes du temps

bons amis et bonnes gens

moineaux et fleurs des champs

 

des monstres avec des dents

dieux contents et mécontents

une averse, un vent d’autan

en moi le monde et moi dedans

 

 

 

 

Invisible  

 

invisible et pourtant déjà là tu le dis impossible

inconnu tout encore et présent devant toi

face à toi qui ne le vois s’en va ton avenir

mortel un jour immortel aussi bien tu le nies

naître et croire et décroire et voir et devoir naître

impossible inconnu bel invisible tu viens

 

 

 

 

Au plumage d’or pâle

 

une plume descendait

elle voletait, dansait

et ce n’était qu’un souffle

ainsi chose de l’air

 

la plume se posait

venue d’une colombe

ailes lamées d’argent

et plumage d’or pâle

 

qu’elle passe aujourd’hui

dis-tu, telle une voile

et s’en aille hors le vent

qu’au loin parle l’esprit

 

tu raisonnes, tu ris

aux temps tu dis allez

que ces temps ne s’en aillent

que tout ainsi ne passe

 

que tout malheur ne puisse

alors jamais éclore

et que naisse le chant 

en des gorges de paix

 

car cela tu l’espères

que toujours te revienne

ainsi la plume neuve

sous le couvert des ombres

 

 

 

 

La marguerite

 

est-ce bien l’engrenage

ou cette fleur en soie 

qui nique la mécanique

nique nique ?

 

qui nique la mécanique

nique nique ?

est-ce saint dominique

ou est-ce saint françois ?

 

est-ce un cerveau stainless

ou le cœur pur en soi

qui nique la mécanique

nique nique ?

 

qui nique la mécanique

nique nique ?

ce n’est pas la marguerite 

c’est l’acier qui déçoit 

 

 

 

 

À quoi tu penses ?

 

À quoi tu penses ? elle demande – À des choses lointaines qu’on ne peut partager

ce sont choses d’enfance et voudrait-on les dire il y faudrait un livre

on y lirait le temps, les habits, les nuages, et ces heures et ces toits, et ces gens

on y dirait le vent, quand il vous emportait, volée de nuées de feuilles jaunes

ou rouges et brunes, et vertes encore, et dans le bruissement des dernières accrochées

aux branches des marronniers – qui se souvient des marronniers et des cours des écoles ?

des choses de récré, on y lirait aussi, choses de craies, d’ardoises, de blouses grises

et dirais-je ces mots, ces verbes et ces noms, ceux de ce temps, ce serait inutile

au livre même, au film, à la bédé, il manquera l’odeur, et manquera la peau

quand elle frissonne, sous la pluie et le vent, en automne, ta cape voletant

et comment, malgré ce temps, sous le chandail, sous le tricot, une moiteur s’étend

et ce que tu ne pourras dire, que le livre écrit ne saurait dire, c’est le plaisir

de marcher comme on rêve, comme on s’endort paisible, sous le couvert du temps

sous la bruine, dans le vent, comme le percheron qui patiente et fait sonner son fer

et le pavé de grès s’irise, et le ciel s’immisce entre les hautes maisons des gens

et tu ne sais si tu souris ou si tu pleures, car tu ignores où se tient la douleur.    

 

 

 

 

L’homme qui fuit

 

le vent tourne

le vent souffle

aidez-moi

 

il m’emporte

je m’en vais

adieu toi

 

il me chasse

le vent fou

loin de lui

 

la colère

prends ma main

que veut-elle

 

je suis seul

un désert

plus de nous

 

je vous aime

je vous fuis

loin de vous

 

des lueurs

et je cours

devant elles

 

incendiaires

souffles fous

j’ai peur d’eux

 

où courir

es-tu là

plus personne

 

 

 

 

Chaleur d’été

 

Nuit

 

fraîcheur

je suis étendu

me reste le ciel

 

chant du coq

très loin dans la nuit

un enfant pleure

 

dans le noir

un aboi

une envolée de chiens

 

tu dors

au loin chante la hulotte

je suis seul

 

 

Matinée

 

au pied du pêcher

c’est l’aube

poignée de poils gris

 

peau de pêche

au matin

la rosée l’a perlée

 

sur ma main

la montée du soleil

et les mûres

 

vois

c’était cette nuit

le renard a chassé

 

 

Journée

 

souffle doux 

le feuillage miroite

il fait chaud

 

seul humain là

les arbres m’entourent

ils respirent

 

un cri rauque

peur

la pie-grièche qui s’envole

 

chaleur épaisse

un sentier caillouteux

quel souffle ?

 

 

Soir

 

temps sec

les racines vont profond

ma soif

 

très bas le soleil rouge

une abeille

et mon verre

 

mort

j’entends la chouette

la sauvagine est sortie

 

vent du soir

l’air s’allège

temps heureux à dormir

 

 

Coda

 

vois les colchiques

un souffle passe

l’été n’est plus

  

 

 

 

Je viens de loin

  

aujourd’hui je me sens pierre à feu

silex et l’eau dessus pour en goûter l’aigu

 

calcaire aussi, de quoi en mes os je suis fait

et de la terre, a dit l’antique enseignement

 

et toutes ces chairs anciennes d’autrefois

elles, en leurs encontres, dont je suis advenu

 

je viens de loin, en moi gît le serpent originel

juste à demi soumis en la boite crânienne

 

et de plus loin, de poudre, de poussière

nuées, subtile pulvérulence interstellaire

 

de laves, de marais, et d’eau pure et céleste

de fourrures de bêtes, de squelettes enfouis

 

et le grand rire d’ogre qui vient de tout cela

dit la peur et la rage, le plaisir, le bonheur 

 

je suis enfant du monde et de tout l’univers

le reflet d’un visage et le souffle éternel

 

 

 

 

Plage normande 

 

pieds nus salure promenade sur l’estran

crachin suave et poussières d’embrun  

humide sous le pull et cheveux emmêlés

derrière nous tiédeur des prés salés

 

accord de nos pas et je te regardais

soleil sous la pluie et le vert de tes yeux   

tu disais au noroît des paroles envolées

éclaboussées giclées d’eau et de sable 

 

ce jour ce temps ce moment à jamais

heure perdue mémoire paroles envolées

en doux sépia elles reviennent volées

les ramène la bruine d’aujourd’hui 

 

 

 

 

Pouvoirs

 

L’été est là, sa douceur, et ces nids qui se vident,

nourri on se met à voler.

Les ailes, sous la pluie, se couvrant de perles d’eau,

n’ira-t-on pas trop loin ?

Pouvoirs plus étendus, enhardi, tu te risqueras plus,

jusqu’à y perdre tes ailes ?

Se glisser entre deux airs, tel le chasseur nocturne,

dans la justesse du vol.

 

 

 

 

Noroît qui va

 

au pays de nuages et de vent

où nul soleil ne découpe

rêvant, tu vas pensant, aimant

chantre du vent

 

s’agitent bonheurs et misères

en nombre au noroît tu les contes

afin qu’il les porte là-bas   

voire là-haut, qui le saura ?

 

tu n’en gardes que les moindres

il te les faut pour rire

et pleurer ou chanter, ou sourire

 

et tu respires allant

t’échevelant le vent va, t’enveloppe

cheveux qui nagent dans le ciel 

 

 

 

 

Moineaux

 

rien n'est plus beau

que le courage des moineaux

 

rien n'est plus beau

que le plus vieux des sages

qui va tenant

en sa main d'homme d'âge

la main d'enfant

d'une fille qui saute

d'un pas très sûr

sur un pied sur un autre

tout en éclaboussures

 

rien n'est plus beau

qu’une amitié d’oiseau

 

 

 

 

Chœur  

à Mikis Theodorakis

 

il est un chant qui monte dans la rue

qui l’entend pourra s’en émouvoir

et ton cœur sait trop bien qui le chante

 

dans le noir une voix s’est levée  

qui l’écoute pourrait pleurer de honte

c’est ton frère et tu l’entends chanter

 

dans le ventre des Grecs il est une chanson

dans leurs jambes se meut une danse 

dans leurs mains se glissent des barreaux

 

où est-il, ma mère, cet oiseau rouge et noir

qui planait au-dessus des eaux ?

où est allé le souvenir des hommes ?

      

 

 

 

Mouillé

 

impalpable, crachin léger

pas même une brume 

ne tombe pas, semble monter

imperceptible, le sol humecté 

et les roses, les roses perleront

 

la peau, à peine une moiteur 

et les cheveux qui frisent

la main sur eux sera mouillée

un ondoiement de pauvre

pour un homme en sabots

 

les oiseaux font silence

 

 

 

 

Selve

 

dans les bois qui sont derrière

passé le hameau

s’en va chasser la dame blanche

 

à son cri le chevreuil endormi dresse l’oreille

toute la sauvagine

 

au loin la nuit

des cités cœur ravagé vivent ainsi   

 

 

 

 

Repartir

 

au bord des fleuves de Babylone

où nous sommes assis

faut-il chanter enchaînés ou pleurer

nous faudra-t-il danser

 

sur les plages nues de servitude

où nous sommes assis

lequel de nous demain se lèvera

osera déserter

 

au long des canaux d’obéissance

où nous sommes assis

enchaînés, quand poserons-nous les rames

qui va cesser de ramer

 

au fil des courants de déshérence

resterons-nous assis

la liberté, qui l’aime et qui la veut

qui voudra la goûter

 

par les rivières de renaissances

sur nos radeaux assis

savoureuse va s’inventer la vie

va remonter le cours

 

 

 

 

L’esprit  

 

ce que l’arbre me dit c’est je vis

que le vent m’agite de toute part je vis

je ne suis pas de bois de tout côté je m’élargis

mais ce n’est pas ainsi pas ainsi que je vis

je pousse vers le haut c’est ainsi que je vis

pour cette élégance achevée ainsi je vis

ainsi j’aime et respire ainsi j’offre mes fruits

et la terre s’en nourrit d’où je vis

de l’arbre tel va l’esprit

 

 

 

 

Et je n’ai que cinq sens…

 

Qui a parlé en ce petit matin

au-delà des lilas

entre fleur et soleil ?

 

Et quelle odeur a remonté cette vapeur

humide et nue

pour se polliniser

femme odorante enjambant les tout premiers rayons ?

 

Ô monde vibrant de cent mille façons !

 

 

 

 

Attente

 

d’anciennes sagas ont parlé de cela

du jour où demain frappe à la fenêtre

 

rien ne se passe, et les jours et les jours

derrière la vitre les vieux maudissent

 

j’attends toujours ici, j’attends encore

avec curiosité, à chaque instant

 

vienne la trouée de lumière annoncée

et resplendisse, le ciel serait-il bleu

 

 

 

 

À sa fenêtre

 

là c’est juste un homme à sa fenêtre

et qui attend

 

contre le mur d’en face, une bicyclette

aussi un chien

 

un vieux vélo boueux, les pneus usés

un chien pouilleux

 

désœuvrés, ils s’appuient contre une porte

aux planches usées

 

la rouille a mangé la peinture du vélo 

la porte est bleue

 

un jour, le vieux chien fut blanc et roux

mais là il dort

 

on se demande ce qu’il y a derrière la porte

toujours fermée

 

et tout cela espère peut-être une venue

pour s’animer

 

l’homme qui attend tient sa fenêtre ouverte 

longtemps longtemps

 

 

 

 

Litanie

 

de la violence

délivre-nous

de la violence, délivre-nous seigneur

 

de la violence

 

ils sont entrés

ils ont tué

ils ont tué tous ceux que nous aimions

 

de la violence

délivre-nous de la violence

 

ils sont entrés

ils ont violé

et notre envie à nous fut de les tuer

 

délivre-nous

 

émasculés

ensanglantés

notre désir à tous ce fut de tous les tuer

 

délivre-nous

 

contaminés

que le sang coule

et c’est en nous, le sang nous saoule

 

de tous les tuer

les massacrer

l’envie de tuer qui est en nous, les supprimer 

 

les effacer

 

le sang qui coule

le sang nous saoule

nous sommes nés pour le répandre, le bénir

 

pour le chanter

nous en vanter

 

que le tambour

que le bruit sourd

de nos envies, de nos désirs de nous venger

 

il coule en nous

délivre-nous

 

que du tambour

de nos désirs

de la violence enfin tu nous délivres et purifies

 

 

 

 

Jours qui passent

 

un rongeur a rongé

il avance dans son bois

il le met en poussière aboutie :

tu disparais

un peu fini

un jour puis un jour

 

et qu’elle naisse aujourd’hui

l’étoile à venir

que s’en aille au loin l’esprit ?

tu raisonnes et tu ris

aux temps passés tu dis pardon

ils s’en vont

 

 

 

 

Porte

 

une fenêtre s’est ouverte

sous le souffle

fenêtre close

 

là se nichait le silence

se lovait le non-dit

un dire celé

 

il explose

brusque naissance

fenêtre du cœur franchie

 

un dire inattendu

non plus que voulu

puis la fenêtre devint porte

 

 

 

 

Dans la rue où vit 

 

dans la rue où vit mon souvenir je n’irai jamais plus

elle est loin d’elle-même  

ils sont heureux ces jours où sans peine elle devient l’habit

le nid d’autres enfants

ils verront s’éloigner d’eux un jour, comme elle fait de moi

son camaïeu de gris

le grès de ses trottoirs ou le zinc de ses toits, l’argenté

l’irisé de ses pluies

d’autres encor viendront, et leur rue en sera transformée

arrivant d’autres lieux

nous qui sommes divers, eux et moi, ne formons qu’un seul peuple

de purs déracinés

 

 

 

 

Comment

 

l’arbre, vois-tu son cœur

son cœur, l’arbore-t-il

 

et l’oiseau  

ce qu’il voile et dévoile en son vol

le vois-tu

 

la truite

au courant traître des eaux

que trahit-elle

 

tant de choses cachées

des mystères

                  

comme à Pâques un enfant 

cherchera  

 

 

 

 

Fille qui chantonne 

 

trois maisons basses

au long d’une allée claire

et trois arpents de terre

entre fleurs et gazon

 

fille qui chantonne

sous le ciel si haut

que penser d’elle

lorsque la nuit se tend

 

soie de peau

mouvements d’aile

c’est un voilier tout blanc

il s’éloigne en dansant

 

pointe l’éphémère

avant qu’un avenir

brûle un morceau de vie

et que changent les temps

 

 

 

 

Arbres qui marchent

 

comment je t’aime

je t’aime comme

comme un jacaranda tu sais

l’arbre qui pleure

 

comme le magnolia

quand il se trompe

se trompe de pays

se trompe de saison

 

ou comme le grand cèdre

il a perdu sa tête

à cause d’un grand vent

d’une tempête

 

je t’aime comme un thuya

arbre modeste

il prend parfois le feu

se flétrit, se rougit

 

ou comme trois sapins

qui ne font qu’un

au-dessus d’un petit toit

de tuiles rêches

 

arbres qui marchent

comme un homme qui sèche

comme jaunit le pré

quand la pluie a manqué

 

 

 

 

Sortie

 

il était allé à la messe

juste une idée bizarre

tout le monde le regardait

les gens se retournaient

 

lui regardait les statues

une qu’il aimait bien

c’était une dame en bleu

un bébé dans les bras

 

on se levait on s’asseyait

et tout le monde chantait

il fallait s’y connaître

pourtant ça lui plaisait

 

et tout au fond de la salle

un type qu’il connaissait

bras tendus sur une croix 

le regardait le regardait

 

 

 

 

Papillon

 

la vie, cela se jouera donc en un temps court

trois jours, de ce jour noir jusqu’au lever du jour 

journée de mort, jour de néant, jour éclatant

juste le temps d’une aube et demain vient à nous

juste l’instant qu’il faut, battra l’aile du temps

papillon noir… papillon blanc jaillit du trou

 

 

 

 

Brume

 

Temps de brume, contours flous, temps paisible,

Petits frissons heureux.

 

Plus de jugements tombant du ciel,

Plus de contours coupants.

 

Émerge la pointe des sapins,

Demi-géants amènes.

 

Et la rosée, ténue, qui s’étend,

Une onction qui pardonne.

 

Qui avance dans l’herbe trempée

Accepte ce baptême.

 

 

 

 

Amour 

 

vois

vois comme

les mots amers de mon amour t’appellent

 

toi

que j’aime

pourquoi te tiens-tu loin, si loin de moi

 

moi

que l’aile

a touché, aile noire au désespoir

 

toi

qui sèmes

en moi les perles d’un amour puni

 

moi

fidèle

et moi l’aimé cependant infidèle

 

vois

vois comme

les mots ailés de ton amour me portent

 

 

 

 

Le grain de la voix

 

sillons tracés comme sur un guéret

creusées les écritures s’alignent 

files de grains enfouis portant parole

et germeront-elles ?

 

seul un grand souffle alors portera 

multiples des voix à semer alentour

ainsi des lignes naissent des paroles

et s’entendront-elles ?

 

 

 

 

Détraqué  

 

détraqué détraqué, vous voulez-dire démonté

le monde il est démonté, complètement démonté

et même, démonté, carrément en morceaux, plutôt

 

jusqu’au dernier boulon, il est démonté, le monde

croyez-moi, pour le remonter ça demande du boulot

et même, du boulot, faudrait du savoir-faire, plutôt

 

remonter remonter, vous croyez que c’est facile

on n’est même pas sûr de retrouver le monde pareil

et même, pareil pareil, l’en faudrait un autre, plutôt

 

 

 

 

Pourquoi toi ?

 

C’est une femme, voyez-vous, que j’aime

cela me vint comme ça

le vent d’aimer, alentour, l’amour sème

c’est bien ainsi qu’il passa

 

Et je me dis Serait-ce pur hasard

cela viendrait-il sans loi

tout nu, l’amour naîtra-t-il quelque part

sans qu’un sens ne s’y emploie ?

 

Celle qui me fait du bien, pourquoi elle

et qui l’aime, pourquoi moi

le charme et la force et la vie, le zèle

tout cela ne vient-il que de soi ?

 

Je crois voir qu’une chose aussi certaine

cette histoire que voilà

doit provenir de causes souveraines

et qu’un vouloir s’en mêla ?

 

Envoi

 

Encore et encore faut-il le dire

voulu d’avant ou né de nul empire

j’aime cette femme-là 

 

 

 

 

Percée

 

au soir

se glissant sous les nuages

parfois le soleil survient  

le pire

on le dit n’est jamais sûr

tu croyais que la lumière

expire

le ciel au rouge s’embrase

percée d’un jour au futur

plaisir

 

 

 

 

 

Le choix                 

 

à qui viendrait de loin que dire

sinon va ton chemin

ou plutôt ne rien dire

laissant la porte ouverte

 

à qui s’introduirait que faire

sinon le jeter loin

à moins de ne rien faire

juste poser le pain

 

à qui le mangerait que prendre

sinon le pressurer

ou se garder de prendre

à plein verser le vin

 

à qui le boira que devoir       

sinon rire et moquer        

or il reste un devoir

lui proposer un lit

 

 

 

 

Rafle               

à M. Grinfeld, in memoriam

 

ils sont tous partis

on les a tous emmenés

à leur place des trous

la rue une bouche édentée

les dents qui manquent

où sont-ils 

morts assassinés

 

ici vivait une famille

un homme une femme des enfants

là une femme et son homme

une femme et ses enfants

l’échoppe d’un tailleur

une vieille et son vieux

 

l’école aussi a des trous

aux tables pour deux un seul reste

un cancre manque ici

là le meilleur élève

la fierté de leur maître

sa place est vide

ne reste qu’une craie

 

dans la cour comment jouer 

des cases manquent à la marelle

les filles balancent la corde à sauter

personne pour sauter

la balle ne cogne plus le mur

parce qu’on est triste

où sont-elles et où sont-ils

 

s’ils reviennent

ceux qui reviendront

ce ne sera plus pareil

on aura manqué d’eux

ils seront abîmés

on ne leur parlera plus

ils seront trop étranges

pour toujours étrangers

 

avec ceux qui manquent

on ne pourra jamais 

plus remplir cette rue

parce qu’ils sont partis

traînés sur leurs paliers

dans leurs escaliers

tassés dans l’autobus

emmenés

 

 

 

 

Devenir

 

il a vu ce qu’il était

il a vu que le monde est en lui, lui dans le monde

il a vu que le monde n’est pas fini

et que lui, il l’a vu, n’est pas fini

en devenir

devenir, le plus beau des verbes de la terre

et du ciel

 

 

 

 

Paix

 

dans le cercle intérieur où règne la colère

recouverte de neige la graine qui attend

amasse des fureurs à peine écloses

et tu naîtras pourtant, malgré le gel

la haine ne tient pas

 

 

 

 

Holà

 

 

sans rien dire à personne

j’ai sifflé ma voiture

elle arrive en piaffant

pas une égratignure

je suis monté dedans

son humeur a changé

elle faisait la tête

voulait pas démarrer

plus rien à en tirer

 

faut pas trop m’énerver

qui me cherche il me trouve

 

 

sans rien dire à personne

j’appelle mon portable

il ne veut pas répondre

ils s’étaient mis d’accord

j’avais pourtant tout fait

j’avais mis de l’essence

j’avais changé les piles

tapoté la calandre

caressé le boîtier

 

faut pas trop m’énerver

qui me cherche il me trouve

 

 

sans rien dire à personne

je suis allé à pied

voir mon ordinateur

je lui ai raconté

il a pris leur parti

et la wifi aussi

je les savais amis

mais c’était pour me nuire

j’y ai mis le holà

 

fallait pas m’énerver

si j’ai tué qu’on le prouve

 

 

 

 

Souffle

 

pour écrire un poème il faut être bien soi

il faut le respirer c’est la première chose

c’est la première cause tout le reste s’ensuit

on rêve que l’on marche on oublie que l’on souffre 

on ne ressent qu’un souffle

 

se soucier des mots est la dernière chose

ils ne sont pas la cause ils viendront bien tout seuls

et s’ils ne venaient pas on ira les quérir

le monde est plein de bêtes mots qui se ressemblent

or vivre est dans le souffle

 

on marie les cadences elles sont des servantes

liées au bon plaisir des rythmes qui sont rois

au plaisir des ressacs ou des sursauts du temps

semblables aux blés lourds que rebroussent les vents

bousculés sous le souffle

 

 

 

 

Amitiés

 

si je pouvais entrer dans l’amitié de la mer et du vent

dans l’amitié des arbres et des champs

du ciel, enfin, tout étoilé

si je pouvais entrer dans l’amitié des plantes et des bêtes

dans l’amitié des oiseaux des champs

enfin des poissons de la mer

si je pouvais entrer dans l’amitié des enfants et des gens 

dans l’amitié des contes et des chants

de toute les histoires, enfin

 

plus de bonheur surviendra peut-être

si ma vie à leurs vies s’enchevêtre

 

 

 

 

Lieux

 

s’il fallait s’installer, pensait-il

choisir les genêts, entre les dunes d’un bord de longue plage

y nicher quelques rares maisonnettes aux larges coursives de planches

y attendre les marées, y entasser, pour les hiver, les bois flottés laissés par le reflux

voir loin, très loin

dormir là, paresser, patienter, même, jusqu’à  longtemps

ou bien, c’est le plus facile, rester ici, ou là, se lever, déménager, prendre un bail

se souvenir alors des amitiés possibles, des voisinages, du rire des enfants

aménager les lieux, peindre et meubler, sourire

s’il fallait prendre part, pensait-il

 

 

 

 

Souffle

 

entre toi et moi le léger de ta parole

là va le souffle ténu

qui palpite

 

comme un vide qui n’est pas le vide

vide qui relie sans lier

qui évide

 

comme un pont qui n’est pas un pont

pont de légère buée

qui dessine

 

comme un blanc sur une page écrite

espace où l’on se place

qui esquisse

 

comme une voix qu’on n’entend pas

qui tinte entre les choses

qu’on devine

 

entre toutes choses et tous les êtres

entre toi et moi le souffle

qui délivre

                                                    

 

  

 

Scansion

 

un pur visage un jour paraîtra

dis seras-tu celui-là

le saurons-nous mais tu surviendras

des brumes des nuées là

 

forgés sont les récits la saga

des histoires qu’on mêla

coulpes et pleurs et peurs qu’on légua

tout noirs secrets qu’on cela

 

mais face de pluie de vent frimas

pur visage par-delà

éclatant perçant de lourds amas

nu je dirai te voilà

 

 

 

 

Printemps

 

Il a fait mauvais cet hiver, les mésanges ont disparu,

nichent-elles plus au sud ? 

Leur chant ne viendra pas tantôt ; c’est le printemps,

elles sont allées trop loin.

La chanson, faut-il que tu la demandes ? Et l’envol,

l’été l’attend, déploie tes ailes.

Resterons-nous sans légende pour longtemps, semblables

aux peuples qui ont froid ? 

 

 

 

 

Samedi

 

samedi, samedi le grand, samedi du soir

jour de nuit, samedi des cœurs noirs

dès le soir du vendredi aux treize espoirs

heures sans au revoir

 

on ment, tu sais, on ment, on ne dit aujourd’hui

la vérité, le grand parler des jours enfuis

des jours passés, tus dans l’ombre, en des nuits

de tombes et d’ennui

 

mais après, après toi tu ne sais ce qui viendra 

samedi, samedi sombre, habitacle des rats

ils rôdent dans les têtes, et les cœurs, les bras

crois-tu qu’un jour naîtra 

 

 

 

 

Tuer

 

tu le sais tu l’entends la corne au loin te parle

une puis deux puis trois et le tambour s’ajoute

on dirait je ne sais quelle fête assourdie

ils vont danser je crois pour quelque réjouissance

mais entends peu à peu ces bruits se pervertir

se teinter de venin devenir menaçants

ce ne sont pas des chants mais des cris de tuerie

alors le bruit s’approche il devient roulement

très fort et tu comprends qu’il n’est pas de musique

ni de chants mais la mort en ces lieux qu’on encercle

et ces longs hurlements sont doublés de musique

cliquetis grincements ce sont des chars venant

pour incendier la ville et tuer les enfants

 

 

 

 

Et quoi encore

 

et ce petit enfant couché près d’une vipère

croyez-vous que ce soit raisonnable

je me le demande

je me dis que faut-il attendre

que faut-il entendre

les prophètes étaient-ils pleins de vin doux

 

et ce petit enfant couché dans une crèche

pensez-vous que ce soit adorable

je vous le demande

vous laisserez-vous surprendre

qu’y a-t-il à apprendre

et les mages étaient-ils des dingues doux

 

et ces petits enfants victimes du massacre

dites-vous que ce soit acceptable

qui se le demande

qui cherche à vraiment le comprendre

tués dans leur âge tendre

et rachel a-t-elle versé des pleurs si doux

 

 

 

 

La chatte des voisins

 

comme chaque jour la chatte noire et blanche est là

elle erre sur notre terrasse elle ne sait plus où s’installer

nous avons rangé pour l’hiver la table où elle s’allongeait

où soir et matin elle prenait le doux soleil d’automne

sa chaleur réverbérée par le haut mur de l’aile sud

elle s’y tenait à l’abri des vents coulis échappés du noroît 

où aller désormais où se mettre elle interroge du regard

mais comment le lui expliquer elle est de langue anglaise

 

 

 

 

Neige

 

Neige a tombé

dame au paletot

les os cassants

pelure gelure

il fera beau

cerises aux branches

quand on rira

 

mésange a froid

chardonneret

pattes brindilles

duvet duvet

quand il viendra

tu souriras

le roi printemps

 

la goutte au nez

gelez gelez

et les doigts gourds

le sol est dur

doigt de porto

pas d’eau pas d’eau

réchauffons-nous

 

 

 

 

Sens

 

un escalier c’est quand même bizarre

on peut descendre on peut monter

c’est pareil pour un sentier de montagne

ou la rue de Belleville à Paris

 

on peut monter on peut descendre

aussi d’un autobus quand il s’arrête

on croit qu’il est facile de descendre

et que monter fatigue plus

 

cela il ne faut pas le croire 

monter n’est pas plus dur que descendre

à la longue je me le dis toujours

et descendre me fait mal aux genoux

 

il faudrait monter dans certains autobus

descendre plutôt de certains autres

parfois monter sur le chemin

plutôt que le descendre pour aller où ?

 

 

 

 

Est-ce toi ?

 

je peux te prendre par la main

– est-ce toi qui es là ? –

le jour ou la nuit

dans cette nuit profonde

en un jour éclatant

et tu peux me saisir la main

 

aurions-nous peur en ce moment

– mais en suis-je aussi là ? –

tout environnés

de la forêt profonde

d’un vacarme éclatant

et devons-nous fuir ce moment ?

 

est-ce toi est-ce moi ensemble

– car te caches-tu là ? –

sans un souvenir

ni mémoire profonde

l’aujourd’hui éclatant

devant nous qui marchons ensemble

 

 

 

 

Passage

 

un étranger

est passé tout à l’heure

c’est drôle comme je n’aime

que ceux qui passent

homme où vas-tu danser

quel bal est au bout de ce chemin

quelle maison pour y porter ta peine

rester ici le cœur lui pèse

son trésor est au bout du chemin

il va où le vent le porte

il est heureux

et pourtant son cœur est veuf

où est dit-il ma chaîne

qui me faisait mal

et que j’aimais

 

 

 

 

Où ?

 

ce dont je parle n’a pas de paix

apaisera-t-on les étoiles

et voit-on la colombe d’amitié ?

 

ce dont je parle n’a pas de prix

qui donc achètera la lune 

car où seraient les banques d’équité ?

  

ce dont je parle n’a pas de poids

et qui pèsera le soleil

où sont les balances de vérité ?

  

 

 

 

Sonnet

 

que pleure ou vente fort le temps

avec toi je sors de la pluie

avec toi je sors du néant

que chante ou sonne clair le bruit

 

que veille ou passe loin l’ennui

avec toi j’accueille le vent

avec toi j’accueille la nuit

que sourie ou pleure le chant

 

avec toi la peur est d’avant

que j’aime ou non ce que je fuis

avec toi mon jour est levant

 

que pur malheur ou joie s’enfuient

avec toi ma vie est devant

que brûle ou non ce que je suis

 

 

 

 

Attente

 

il se peut

car connaît-on les choses

qu’il vienne

à nu se montre à nous

une danse

une odeur de jasmin

plus un luth

trois richesses à merci

l’attendre

douleur d’espoir

sévère une absence a paru

faut-il aussi danser

 

 

 

 

Éveil

à J. Philip Newell

 

mon âme fut blessée dans cette nuit

blessures et cassures dans ma vie

en tous les environs de cette nuit  

ceux que j’aime sont en souffrance   

dans la vie du monde sont des agonies

en ce printemps

remue tout ce qui vit

 

chant d’oiseau aux cimes du verger

dans la vie du monde sont des agonies

branches qui remuent sous le vent

ceux que j’aime sont en souffrance

lumière du matin dans les feuillages 

en ce printemps

remue tout ce qui vit

 

lumière du matin dans les feuillages 

branches qui remuent sous le vent

chant d’oiseau aux cimes du verger

comme un parfum de fleur après la pluie

tout miroite et tout résonne ici

en ce printemps

remue tout ce qui vit

 

 

 

 

Si belles…

    

quand les armes se sont tues

que les hommes sont rentrés

les femmes vont à la fontaine

 

elles ont rangé le linge

un lourd paquet sanglant

en des bassines de sérénité

 

les rinçures de la violence

les teintures de la peur

les sales rognures du dégoût

 

elles sont allées là-bas

tout laver lessiver blanchir

de leurs deux poings agiles

 

belles comme une aurore

comme un vol de cigognes

aussi fortes qu’un évangile   

 

 

 

 

Avenir

 

en ce pays je sais 

depuis longtemps tu restes en sommeil

sans doute qu’il le fallait

de toi nos mémoires étaient fatiguées 

lassées de ton image conviens-en

icône très ancienne

toi-même souviens-toi

tu ne tenais plus guère à elle

n’as-tu pas décidé alors

de t’effacer 

incertain de ton envie de revenir

et puis je sens ici ou là que tu respires

l’air a frémi légèrement

un lit gémit c’est un dormeur qui bouge

il va reprendre souffle

repense lentement son monde

il se demande s’il ne va pas

s’il n’aurait pas envie de

s’éveiller se souvenir

se lever se regarder se voir renouvelé

offrir au miroir de toutes ces années

la neuve image d’un visage défatigué

s’il entrevoit qui sait

au monde comme un air

serait-ce un air encore vicié

et pourtant oui, propre à imaginer

à se représenter

un avenir

 

 

 

 

Magnolia

 

il va très bien ce magnolia, nous aimerions que tous nos arbres

se tiennent aussi bien que lui, il va bien tous l’admirent

qu’il pleuve, vente, fasse soleil ou même gris

 

pourtant chaque année quelque chose en lui se souvient

un pleur peut-être en son bois cassant, sous l’écorce raide

c’est toujours au printemps, peut-être fin mai début juin

 

il se met à perdre ses feuilles, grandes et luisantes feuilles dures

qui bientôt recouvrent l’allée, feuilles jaunes vertes ou fauves

qu’il faut ratisser, une pleine remorque, elles déjà sèches, cassantes

 

il se souvient qu’il n’est pas de chez nous, qu’il vient d’ailleurs

il reste digne mais il vient d’ailleurs, il se croit en automne

il perd ses feuilles, ailleurs au loin c’est l’automne, bientôt l’hiver

 

 

 

 

Éclair

 

ce fut un de ces jours où je t’avais perdu

ces jours-là se tenaient, ce n’était qu’un long jour

sans qu’on y voie de fin, collier de perles noires

une perle a sauté, elle a roulé soudain

ce fut un de ces jours où le temps peut changer

où ce qui tourne au soir tout à coup devient clair

il suffit de l’éclair où tu m’es apparu

on se trompe parfois pendant longtemps longtemps

de longues parenthèses entre un jour et un jour

si je l’écris ainsi c’est que tout est si loin

c’est en quittant les temps que l’on peut les nommer

perles noires, jours de deuil, crépuscules, temps de pluie

et l’arrivée soudain d’une éclatante aurore

naissances

 

 

 

 

Vision

 

le souffle palpitait au-dessus de ce gouffre

et tel était l’esprit, semblable au papillon

sa faible agitation faisait vibrer des vitres

bien plus loin, tout au long, du levant au couchant

et du jour à la nuit, de la nuit aux lueurs

un long rêve naissait de ces matins du monde   

des ombres émergeaient de la brume du temps

des visages aigus, des regards allumés

des ponchos menant loin des bêtes au long cou

des cris et des sonnailles, et tout ces bruissements

et tout un autrefois remontant de l’abîme

poussé, mû par ce vent, se levant en tornade

et soufflé, retombant, un monde évanoui  

ce monde n’est qu’un souffle, essaim tourbillonnant

 

 

 

 

Frisson

 

et que pourront les digues si c’est le vent du diable

et que pourront les hauts murs de cyprès

puisque c’est le vent de l’âme et si c’est ton esprit

si ce qui vente au loin, qui souffle de là-bas

répond à ces bouffées qui montent aussi de toi

ce souffle qui traverse et fait que tu frissonnes

et tout à coup ce frisson se transforme en plaisir

et la tempête au loin qui rebrousse les herbes

est si proche de toi que ta peau se soulève

et que ton cœur s’abat, qu’enfin tu ris de toi

bien qu’aussitôt tu pleures les morts de ce vent-là

 

 

 

 

Éveil

 

ton souffle doux me visite et me calme

au-dehors c’est le vent, la brise du matin

douce et fraîche, vive, elle te répond

petite sœur de la tempête, et je m’éveille

et dans cette chambre environnée de vérité

tu gémis un instant, visitée par un songe

et le chassent les rideaux de vent bruissant 

moi je souris de mes longues alarmes d’avant

quand tu ne respirais plus, ni même le vent

 

 

 

 

Montée

 

le vent du nord a pris

les marais se nettoient

tu remontes le versant de la colline

on peut y voir la mer

la lointaine aux lèvres de sable

où tu marcheras

et tu seras ailleurs encore

et avant tu avais été mort

 

 

 

 

Samedi 

 

tous les oiseaux du monde s’envoleront là-bas

un jour, un jour, ce jour où le soleil pâlira

le silence règnera où les arbres chantaient

jour de paix, jour de paix avant des jours de combat

pour la pluie, en des jours où la terre sèchera

ne sera plus, ne sera, ce lieu que tu hantais

là-bas la mémoire pâlira qui t’habitait

  

 

 

 

Le reste

 

tout se tenait toujours ensemble

et tout faisait système

à ce tout qu’ajouter ?

 

voici le monde et voici les étoiles

et tout ce qui existe

et se tient en soi-même

 

et puis et puis il n’y a pas d’et puis

et puis manque le reste

le plus et l’à-côté

 

le tout ne demande pas son reste

c’est ainsi qu’il se perd

quand il croit se sauver

 

or recourant à l’alphabet complet  

à qui voudrait écrire

manque un iota de plus

 

comme à qui voudrait vivre

   

 

 

 

Hombre

 

mon pays / ce n’est pas un pays / c’est la guerre

et quelque part au monde / sur un front de mer / un homme est posté sur un toit

il tire au fusil / il retarde l’avance des fascistes

il agit posément / une balle / une autre / il s’applique / il a peu de munitions il économise

il sait qu’il va mourir

juste retarder leur avance / une balle / une balle / ce n’est pas utile pas efficace / juste faire proprement le travail

rien de plus beau qu’une balle de fusil / la forme accordée à son usage / qui est la mort

une balle un homme / c’est un message / lui ne fait pas la guerre en gros / à chaque tué s’en va son attention

eux / ils l’auront à l’arme automatique

 

 

 

 

Pirates

 

les femmes que j’aime le mieux sont des femmes pirates

vives aux pleurs et aux rires en leurs tendresses abruptes

celles qui ont des mains, qui vont la tête haute

elles qui ne sourient qu’aux prétendants modestes

elles ouvriront leurs bras ou leur cœur ou leur lit

ou leurs yeux au matin, leur chevelure au soir

comme on donne à jamais, sans retour ni question

les femmes que j’aime le mieux, ce sont des combattantes

la couleur de leurs yeux est de brume au matin

 

 

 

 

Esprits 

 

quand les esprits chantaient

en ouolof en anglais

le sien le tien le mien

c’était tout un chacun

c’était venu d’ailleurs 

 

quand les esprits pleuraient

en éwé en malais

pas une langue mais

c’était un pauvre amour

c’était un autre ailleurs

 

quand les esprits parlaient

même en français

résonnaient raisonnaient

c’était un jeu d’ivoire

c’était un jour ailleurs

 

quand les esprits riaient

s’ils se moquaient

de toi de lui ou d’elle

c’était un fouillis d’ailes

c’était un vent d’ailleurs

 

quand les esprits mouraient

plus très très frais

restait une parole

c’était tout à refaire

c’était à dire ailleurs

 

 

 

 

Femmes

 

et puis le souvenir évanescent de femmes, au village, qui pilaient le mil

leurs enfants sur le dos, ensemble, dans la cadence, dans l'effort partagé

les hommes, assis devant la case, les yeux errants et protecteurs

ici et là femmes pourvoyeuses, éternelles servantes, et d'où leur vient

femmes fatiguées et chargées, parfois cet éclatant sourire

 

 

 

 

Regard

 

un air d'avoir deux airs, un regard par en-dessous

c'est un air d'autrefois, c'est pour une autre fois

mais où es-tu passé, tu n'as pas d'avenir

tu as bien fait de passer, tu as eu tort de venir

mon ange, et un peu plus, c'en était fait de nous

je te dis à demain, comme si c'était hier

un jour, un jour viendra où nous y verrons clair

oh c'est toujours comme ça, ça arrive quelquefois

mon ange, et un peu plus, tu revenais chez nous

 

 

 

 

Bonheur

 

j’aimerais aimer Dieu comme je t’aime toi

j’attends toujours tu sais que ton œil me découvre

qu’un sourire soit pour moi qui soit sorti de toi

alors c’est du bonheur et puis c’est de l’angoisse

c’est ton prochain regard que je n’espère plus

je t’ennuie je suis là tu as d’autres entours

des tendresses à donner à qui je ne sais pas

je dois te libérer du désir de t’avoir

tout contre moi toujours et toujours avec moi

 

 

 

 

Vieux

 

il s’était réveillé gourd ce matin-là, il avait rêvé

à cheval, un songe en vérité, il avançait à dos de lion

les pieds pas même passés nus en étriers de nuée  

empêtré, il y pense, en des robes fleuries d’apparat 

alors bien sûr il avait souri la gueule à crocs ouverte 

un matin de lueurs, pensées si bleues qu’il n’osait rire    

et il a pu au jour, par la fenêtre de sa chambre

veilleur à vide, évaluer le semis d’ombre, en vérité

éclats de ténèbres minuscules obscurcissant les arbres 

il a pourtant gardé, tout refermé en lui je crois

merveilleuse éveilleuse, l’éclat du jour au-dessus d’elle

promesse infinie, la verdeur de la sève, envie de vie 

 

 

 

 

Fées

 

au centre de chacun tout un nœud de possibles

que sur cet avenir ouvert un jour se penchent

les fées les mélusines les merlins

quelques-uns des amants de la vie pleine 

alors d’un bout de chair va naître humain

un être de lumière ou le malheur de vivre 

 

 

 

 

Expir

 

s’ouvrait le bouton de la rose et fuyaient

comme les galaxies les pétales de l’univers

comme on lit que les cieux s’ouvrirent

 

montant de moi tout l’expir de la terre

– herbe de cristal vert et ronce et fleur montant

librement s’élargissant – il s’épanouit

 

souffle de l’univers juste et vibrant il chante

libre fibre de lumière tintinnabulant

le monde en moi moi dans le monde

 

 

 

 

Courants

 

mon corps est un tamis que traversent les ondes

mon cœur est un foulard que transpercent les vents

et plus rien qui protège

plus rien à protéger

mon corps est un damier que les gelées parcourent

mon cœur est un tapis que les bises rebroussent

et quand tous les chemins du ciel auront passé

vous pourrez lire en moi quelques moraines

des gués et des rias

je sais qu’il y existe encore deux-trois dolmens

moi-même ignore en quel endroit

 

 

 

 

Saints innocents

 

 

cette année qui se finit, disait-il, voyez-vous je ne l’aime pas trop

elle est trop pleine de malheurs

bien trop pleine de rapines

 

elle est bien trop remplie des tombes éparses d’enfants inconnus

des petits garçons, des petites filles

des innocents pas même saints

 

laissez-la aux riches et aux intelligents ils en feront bien quelque chose

ils sauront l’utiliser à leur guise

à leur service et pour leur bénéfice

 

c’est une année faite pour le chœur des anges mais quand ils pleurent

qu’ils se disent on ne va pas chanter

je ne l’aime pas trop cette année-là

 

 

cette année qui se termine, a-t-il dit, c’est une année comme les autres

autant pleine de miracles mort-nés

pleine aussi d’espérance avortée

 

elle est bien trop remplie de femmes avec le corps de leurs fils abattus

avec leurs filles au loin vendues

avec leurs gars partis, aventurés

 

rendez-la aux forts en gueule, aux vaillants de paroles, ils la sanctifieront

ils diront bien tous les mots qu’il faut

ils vous mettront la larme à l’œil

 

frères, c’est une année faite pour qu’une autre, meilleure, la remplace

celle qui pourrait tout commencer

l’an qui vient, combat renouvelé

 

 

 

                                                                                                           

Oiseau                                          

 

l'oiseau noir

et l'oiseau rouge

       l'oiseau de ton cœur et l'oiseau du matin

               et l'oiseau du battement des mains

                       l'oiseau des pieds

                               et l'oiseau blanc de la vallée, l'esprit

                                       l'oiseau du messager sur la montagne

                                                l'oiseau bonne nouvelle

 

                                      et l'alouette

                         petite fée pour un printemps

 

 

 

 

Noël d'Afrique                                   

 

ils marchent

ils vont vers un exil, ils fuient

droit devant eux

vers une terre d'asile

vers une égypte douloureuse

longue colonne de va-nu-pied

harcelée, alourdie, chancelante

affamée

 

ils marchent et parmi eux

un couple et un bébé

suivent le chemin d'amertume

une petite vie au dos d'une Marie

et sur la tête dure d'un Joseph

tout ce qu'on a pu sauver

que le tueur, le massacreur

a méprisé

 

reviendront-ils, reviendra-t-il

l'enfant d'un avenir ouvert ?

marchera-t-il sur les chemins de pierre

en liberté, en vérité

faisant le bien dans le chaos du monde ?

pourra-t-il enseigner

les maîtres de la terre

et soigner le malheur

au cœur des simples gens ?

 

nul ne le sait

rien ne l'y aide

rien qu'une simple Parole

venue de bien plus loin

rien que ces deux humains

qui le portent en leur cœur

en leur tête en leurs mains

croyant qu'un jour peut-être

le ciel s'entrouvrira 

 

 

 

 

Absence                                          

 

faudra-t-il qu’on attende

il n’est pas là ce jour

et qu’on chante

 

un parfum d’amertume

un parcours

d’où vient de loin cet air

 

et toujours

il n’est de plus beau conte

qu’une absence abolie

 

 

 

 

Arbre

 

ce moi que j'ignore

un peu plus chaque jour

car moi est un arbre

un bois

un silence habité

un torrent qui s'apaise

un grand refus

tout plein d'acquiescements

 

  

  

 

Vent                                     

 

femme d’herbe et de vent que j’aime là, portant

ton cou libre, et léger ton pas, voilà ton temps

tu penses à tes amours où se mêla, battant

l’orage, et vois de l’ennui par-delà l’étang

cesse ton détour, cette eau qui gela longtemps

ton cœur, ne l’écoute plus, quitte-la, attends

l’aube et suis la vallée où s’en alla l’autan

 

 

 

 

Chanter

 

dans mon jardin

je me mets à chanter 

qui pourrait aux oiseaux

simplement parler ?

aux arbres

aux plantes vives

viser moins qu’à respirer ?

mon air chanté

le moineau le connaît

qui d’autre mieux que lui ?

souvent dans la maison

on parle avant le souffle

mais où vais-je chanter ?

 

dans mon jardin

 

 

 

 

Soir

 

moins de lumière

tonne à cette heure

 

plus de vérité

alors qu’on entende

 

images multiples

on les assemble plus

 

je prends pour moi les lumières

j’étends les bras sur le soir

 

les vents ont mangé les appels

les chants vont régner dans le ciel

 

les temps sont légers

 

 

 

Pluies                                                                                                        

 

je me souviens de vastes et chaudes pluies

de confins ici-même où l’eau se mêle au ciel

et du fleuve univers où s’en allaient, agiles

les images de toi marchant sous les baumiers

humides et fumantes silhouettes sous le rire

sous la peine et l’espoir des humains obstinés

 

alors se font au cœur des chansons incessantes

des refrains de langueur, assauts de lassitudes

vaporeux est l’humain sous le flou et le fluide

à l’eau lui faudrait-il se résoudre, dissoudre

enfin la vaine envie de vivre, que répondrais-tu

sinon qu’il est si bon d’avancer sous l’averse 

 

 

 

 

Moineaux

 

elle parlait de chanter 

femme triste au chant perdu

 

l’entourent les traces menues

d’un moineau petit être affamé

 

qui a faim connaît le monde

en son dedans et chemine le vent

 

dans le silence j’ai froid

et les moineaux pépient

  

 

 

 

 

Fétus                                                                                                                                                                                                                                      

 

deux ou trois choses un jour

un événement demain, sans importance

un rien, deux faits mis bout à bout, trois fétus

qu'est-ce, et de quel poids, dis-tu

 

peut-être un jour, qui sait

dans un an, dans un mois, une semaine

en quelque époque proche ou lointaine

en ce temps-là reviendras-tu

 

que je sache, que tu m'apprennes

est-ce un signe que je vois dans cette plume

cette corolle au vent, ce bout de laine

et par là, si tu viens, le diras-tu

 

 

 

Visite

 

déjà me dire où elle va, où elle ira   

déjà savoir de quel visage, le ferait-elle

elle me sourira

serait-elle belle ?

 

encore, encore peut-être un monde s'ouvrira

avec encore un tel bruissement d'ailes

un ange passera

vie éternelle

 

et cet encore est là, et ce déjà, qui sait, sera

la vie torrentielle, ou juste un violoncelle

et tu deviendras

vol d'hirondelle

 

 

Attente

 

dis-moi si tu m'entends, dis-moi si tu es là 

à t'espérer déjà je ris jusqu'en mon cœur

si ma tête sait bien que tu ne viendras pas

si mon âme craint bien que tu n'existes pas

l'attente fait de moi un bazar en couleurs

si tu venais, je serais rire et pleur, stupeur  

 

 

 

 

Mains

 

il n’est rien de plus beau que ces deux mains ouvertes

il était temps, je crois, de faire cette offrande 

ce que laisse un mortel ajoute peu au monde

et ce geste pourtant donne au monde son prix

imaginer la vie sans ces poignées offertes

c’est replier ce temps, ce lieu de l’univers

comme un livre entrouvert qui se refermerait

 

 

 

 

Poème

 

poème, en ajoutant sur l’absence

sur la neige et la nuit un pas de danse

contre le noir un rire, ou sur le blanc

le visage léger d’un faux semblant

un amour de papier, un rythme pur

tu ne tues pas la mort, ni son murmure

tu fais entendre un peu de son silence

es-tu léger, ce n’est qu’une apparence

 

 

 

 

Enfants

 

ils étaient beaux étaient charmants marqués marqués de rose

et fut un temps où les petits enfants marqués de jaune

étoilés de haine et tachés de sang marqués marqués de rouge

poursuivis et repris dans les champs marqués de fer

s’en allèrent mourir aux camps marqués de nuit marqués de noir

marqués de nuit souvenez-vous de ces petits enfants

 

 

 

 

Frisson

 

tout n’est pas dans le riche et l’apprêt

ce qui est beau ici c’est le vent et la pluie

le froid, l’eau fraîche, encore le vent d’ailleurs

ce qui vient et fait voir, deviner devant vous

dans un frisson, qui sait, l’attente d’un amour

une œuvre, une vie vraie, la vie que l’on rêvait

 

 

 

 

Langue

 

quand solidaires deux mâchoires s’opposent

utopie et désespoir

                        et qu’elles mâchent la vie

pointe la langue charnue de l’éphémère

                        et son goût de fraises du jour

 

 

 

 

Petite

 

tu dors

et tu ne sais

tu dors sous mon regard

le monde est au-dessus de toi

et tout autour

et l’immensité du ciel où tu baignes

est fraîche sous ton souffle

doux

 

le passé te visite et te blesse

et tu gémis

instant que tu chasses

et l’avenir peut-être

vient à toi

et se dérobe pour plus loin

où tu n’es pas

 

ton haleine est de poivre et de sésame

et ta peau

chaude et moite dans le frais de la chambre

lieu d’ombre environné de vérité

 

tu dors

inquiète et pacifiante

et j’ose toucher ton épaule

pour jouir d’un ailleurs

venu dans tes yeux d’ombre.

 

 

 

 

Parfois

 

j’étais parti pour de violents voyages

le vent faisait partie de la même aventure

avenirs nés du cœur de la tête et des reins

amours. Il était peu de valables gens.

Je rencontrai un jour un maître de l’aurore

il m’a plu je l’avoue et j’ai voué ma vie

à la suivre en esprit en âme et dans mon corps

ô souffrance angoisse et des bonheurs

qu’on ne dit qu’à son double au travers de la vitre

et la rue au dehors se mue en accords de musique

révélante et ouverte amie des quatre vents.

Je le dis j’ai passé par des couloirs de l’ombre

en pleurant dépouillé livré à des malheurs

trop grands. J’ai voulu qu’il me laisse ma joie

le maître qui me mène et toujours non, toujours

il ne l’a pas voulu. Parfois pourtant.

 

 

 

 

Chants

 

je fus en la montagne

en la montagne veiller

les alouettes y chantaient

cent cris d’azur à la mêlée

dix bruits de source qui tintaient

souffle du ciel désamarré

pleurant comme font les damnés

et le monde le monde s’ouvrait

 

 

 

 

Nuit

 

je dois te dire d’abord c’était une fameuse nuit

on voyait les lampions très loin sur la mer

et le bruit des vagues assommant les rochers étourdissait

au-dessus le ciel noir ou bleu ne s’arrêtait pas de monter

et des pointes d’argent en dessins infinis le parcouraient te picotant les yeux

et moi j’étais assis sur le sable adossé au rocher

mettant de l’ordre dans les étoiles et surveillant la marée au son du clapotis

et je suis mort

 

 

 

 

Ta maison

Pour Alexandre Korakis

 

une voix me demande : où est ta maison ?

je n’ai pas de maison, mon peuple a disparu,

égrené, moissonné, on a soufflé dessus,

il s’est éparpillé.

 

ce que j’ai pour survivre : des paroles anciennes,

dans une langue étrange, les mots de la déroute,

et je dis à la voix : Je vis libre et léger,

je suis ici et là.

 

 

 

 

Automne

 

c’est pas tous les soirs

qu’on peut

ouvrir la fenêtre

pour entendre les arbres remuer

 

et dormir

comme un chat qui entrouvre un œil.

 

 

 

 

L’Inconnu *

 

J'aime frénétiquement

sereinement

exclusivement et inconditionnellement

l'inconnu.

J'aime d'amour l'inconnu.

 

Et quand l'inconnu m'échappe

quand il change de visage

quand il se moque de moi

quand je le perds à tout jamais :

je me réjouis.

 

Car je me dis ce n'est pas moi que j'aime

mais l'inconnu qui m'échappe

qui change de visage

qui se moque de moi.

L'inconnu

 

Qui ne m'appartient pas

et à qui j'appartiens.       

 

 

 

 

La pierre du fond du cœur

 

un trésor

c’est une pierre très belle

et qui fait très mal

 

a dit l’enfant

et comment le sait-il ?

 

un enfant parfois

sait la vérité

 

comme pour cette pierre très belle

pierre très dure

la pierre au fond du cœur

 

la pierre est lisse

elle est ronde et lourde

elle pèse

 

la petite pierre est belle

comme ça

 

elle est lourde la pierre trésor

et parfois tu es

trop léger pour elle

 

 

 

Bas de page 

 

* Les poèmes de cette page ont tous déjà paru sur ce site.

Certains d’entre eux ont été publiés dans Chants et déchants, qui est un recueil de recueils,

dans Toutes ces mondanités, dans Les jours de semaine, dans Fêter le dire ou dans

Les dires du seuil, enfin dans Le peut-être et l’après, mais on en trouvera aussi qui sont inédits

ou qui ont paru dans d’autres recueils ou encore en revue. 

On peut aussi se reporter à la page Souffles, à la page Requiem pour une planète, à la page

Vu du ciel, à la page Tant pis la pluie, à la page Au huitième jour, ou à la page Premier jour,

ou encore à la page Les Psaumes à l’os.

D’autres poèmes ont paru dans Lettre à l’angelesse.

 

Une présentation de mon œuvre poétique a paru sur le site de la revue Foi & Vie

sous la signature d’Aurélie Zygel. Sur ce site, page AZB.

 

* Le poème L’Inconnu est inspiré d’un poème d’André Libérati :

J'aime frénétiquement, sereinement, exclusivement et inconditionnellement le bien. J'aime

d'amour le bien. Et quand le bien m'échappe, quand il change de visage, quand il se moque

de moi, quand je le perds à tout jamais, je me réjouis car je me dis : ce n'est pas moi que

j'aime, mais le bien qui m'échappe, qui change de visage, qui se moque de moi, le bien qui

ne m'appartient pas et à qui j'appartiens.

 (Poème d’amour, in Vieux capitaine, Editeurs Français Réunis, 1958)

  

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