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LA GRANDE PARABOLE

 

(d’après Jonas ou l’oiseau du malheur)

 

 

 

Chaque histoire tirée de la Bible, chaque livre biblique, chaque partie de la Bible… est une parabole.

Et cette parabole est l'un des éléments qui constituent une plus grande et signifiante parabole, à savoir la Bible tout entière. Car la Bible est une parabole. Une parabole immense, complexe, certes, mais une parabole tout de même.

Cela est le fond de ma thèse. Encore faut-il que j'expose plus précisément ce que j'entends par là.

Je suppose en effet que le lecteur verra dans cette affirmation la pensée selon laquelle la Bible raconte des histoires inventées, donc fausses. Qu'elle est dans son entier, par conséquent, une histoire fausse, même si elle est chargée de leçons. Tel n'est pas mon point de vue sur ce qu'est une parabole, ainsi que je l'exprimerai en six points.

 

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J'entends d'abord par parabole un système signifiant. Dans le domaine linguistique un tel système ne doit pas être confondu avec ce que l'on nomme son référent : ce à quoi il se réfère et qu'il a pour but de signifier.

Ainsi, en ce qui concerne la Bible, il est clair qu'elle vise – disons pour parler vite – à signifier Dieu lui-même. Or cette affirmation suffit à illustrer mon point de vue : le dieu de la Bible n'est pas dans la Bible, mais celle-ci le signifie. Dans le langage théologique – et non plus linguistique – on dit qu'elle le révèle, ou mieux, qu'il se révèle en elle et par elle.

Prenons comme exemple un récit du Nouveau Testament que tout le monde s'accorde à appeler "parabole", à savoir celui du Fils prodigue et du Fils obéissant (Luc 15,11-32). Il y apparaît clairement que, au-delà du récit proprement dit, ce sont certaines relations entre Dieu et les êtres humains qui sont signifiées. Néanmoins, Dieu n'est évidemment pas le père des humains au sens où le père de la parabole est le géniteur de ses deux fils.

 

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En second lieu, le système signifiant nommé parabole est narratif. Je veux dire que, s'il n'y a pas que du récit dans la parabole mais si l'on peut également y trouver des éléments appartenant à d'autres genres littéraires tels que poèmes, proverbes, oracles, lois, etc., ces éléments sont inclus dans le cadre général de la narration. C'est en fonction de celle-ci qu'ils prennent leur sens.

Ainsi en est-il – toujours dans le Nouveau Testament – de la parabole des Vignerons homicides (Matthieu 21,33-43 et textes parallèles), qui comprend la citation de deux textes de l’Ancien Testament, un oracle prophétique et l'extrait d'un psaume (verset 42 citant Ésaïe 8,14, et Psaume 118,22). Bien que non narratifs, ces deux éléments sont pourtant devenus des parties constitutives de la parabole racontée.

On peut trouver cela, en beaucoup plus ample, dans la parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare (Luc 16,19-31) : non seulement on y trouve Abraham, mais surtout on y est renvoyé à presque toute la Bible hébraïque : "Ils ont Moïse et les Prophètes, qu'ils les écoutent" (verset 29). On voit qu'ici, ce qui est inclus dans la parabole est aussi bien, sur le mode de l'évocation bien entendu, des textes législatifs et prophétiques tout autant que narratifs.

De la même manière, on peut raconter toute la Bible, de la Genèse à l'Apocalypse. Au cours de la narration, il sera nécessaire de faire intervenir des éléments poétiques, légaux, sapientiels, etc...

 

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Mon troisième point concerne d'abord le degré de clarté que comporte la parabole. Car si, la plupart du temps, elle est facile à comprendre en tant que récit, le lien qu'elle entretient avec son référent n'est pas toujours évident. Autrement dit, si l'on comprend bien ce qu'elle raconte, on ne saisit pas toujours pourquoi elle le fait, ou si l'on préfère de quoi elle parle.

C'est ce qui est bien exprimé par l'explication que Jésus donne de la parabole du Semeur, dans les évangiles (Matthieu 13,1-23 et textes parallèles). Car si tous ses auditeurs y ont manifestement bien suivi le récit des aventures de la semence, personne ne semble avoir compris à quoi il se référait. C'est donc sur ce point que Jésus fait porter son explication.

Une question se pose alors (verset 10) : pourquoi Jésus raconte-t-il cette histoire ? La réponse est la suivante : c'est pour que ceux qui cherchent une réponse la trouvent, et que les autres, "en voyant ne voient pas, et en entendant n'entendent pas ni ne comprennent" (verset 13), "car on donnera à celui qui a" (verset 12). Autrement dit, en mettant en recherche son auditeur, la parabole vise à faire de lui... la bonne terre où la parole porte du fruit !

Je tire de cet exemple l'extrapolation suivante, que j'érige en définition : la parabole est ce récit qui vise à faire venir ce qu'il parle, alors même qu'il ne dit pas ce dont il parle.

Ainsi, la Bible, en tant que parabole, ne dit pas Dieu dans son être, mais elle le fait venir au cœur de l'être humain et de l'humanité.

 

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Quatrièmement, la parabole peut contenir indifféremment des récits inventés et des récits historiques. De toute façon, les uns comme les autres sont subordonnés au mode général de la parabole. C'est elle qui est importante. C'est elle qui qualifie chacun des éléments qui la constituent en traits cohérents et significatifs de son économie générale.

Il est plus difficile de trouver un exemple de cela dans les paraboles évangéliques. Toutefois, on remarquera qu'elles contiennent nombre d'éléments historiques, tout inventées qu'elles aient été.

Ainsi, les évangiles n'inventent pas, par exemple, le fait que les ouvriers agricoles palestiniens de l'époque romaine attendaient le matin en un lieu dit que les propriétaires de terres viennent les engager pour la journée (Matthieu 20,1-16).

Mais ce que ce quatrième point suppose va beaucoup plus loin. Il permet de rendre compte du fait que des récits inventés comme ceux de Job, d'Esther ou de Jonas sont mis sur le même plan que les récits plus ou moins historiques qu'on peut trouver dans les Chroniques par exemple. Et à l'inverse, il permet de comprendre que ces derniers soient rapportés, tout historiques qu'ils puissent se présenter, sur le mode de la parabole.

Je me permets de faire un pas de plus dans cette direction : la Bible comprend aussi des récits qui rapportent les dits et les gestes d'hommes et de femmes qui ont voulu, ou bien voulu, pour le dire ainsi, figurer dans la parabole. Cela va de soi à partir du moment où l'on accepte l'idée que l'ensemble de leur existence était, selon eux, déjà signifiée dans l'aire de la grande parabole biblique, et pourvue de sens en fonction de son seul point de vue à elle. Entre autres, tels sont les prophètes.

Ainsi certains prennent-ils place tout naturellement dans la narration qui est en train de s'élaborer au cours des siècles. C'est ce qu'on appelle faire l'histoire ! D'autres le voudraient qui n'y parviennent pas, et qu'on appelle par exemple des faux prophètes. Ceux-là n'ont pas saisi le mode d'agir de la parabole. Mode qui ne fait qu'un avec son sens.

Dans la mesure où la parabole fait venir ce qu'elle dit, on peut, je pense, parfaitement comprendre cette inclusion de la chair et des os, d'histoires personnelles ou collectives, dans l'élaboration du récit. C'est ce que, dans un langage différent qui verse trop facilement dans le dualisme, on a appelé incarnation.

C'est ainsi que même un peuple a pu se constituer en tant que protagoniste du récit biblique, non seulement en parole mais à grand renfort de sperme et d'ovulations, de sueur et de sang.

C'est ainsi que d'un homme "l'Esprit" du récit a pu dire : "Celui-ci est mon fils", si j'ose dire se citant lui-même (Psaume 2,7 ; Matthieu 3,17 et textes parallèles).

C'est ainsi enfin que des millions d'humains ont pu se dire fils de l'un des personnages-clés de la parabole – Abraham – et soumis à la Loi du Seigneur de la parabole, ou bien d'autres se sentir enfants du Père de la parabole, serviteurs et amis du Fils de la parabole, animés et consolés par l'Esprit de la parabole.

Cette parabole qui signifie précisément le lien qui unit le divin au monde de nos perceptions. Le signifie, et le qualifie comme un lien d'amour unilatéral et premier.

 

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Le cinquième point consiste à considérer que, si la parabole biblique se limite au langage humain pour signifier le langage divin, cela implique que le croyant devra se contenter absolument de cette limitation. Il y a là un arbitraire en dehors duquel on n'est plus dans l'aire biblique, dans la foi biblique.

La chose est semblable à un jeu de société : si l'on change l'arbitraire de la règle, on change le jeu, à moins qu'on ne le détruise.

Cette limitation, qui permet la signification du message, est la source première de cette autre limite qu'est le canon biblique, c’est-à-dire la liste des livres qui composent la Bible. De même, elle représente l'origine et la légitimation de la fixation arbitraire des textes par certaines communautés humaines – Synagogue et Églises. Cette fixation est dite arbitraire, non au sens où elle se serait opérée par oukase et caprice, mais au sens où elle constitue une règle du jeu mûrement concertée.

D'où la nécessité d'un littéralisme qui n'est pas un fondamentalisme : il consiste en une règle que les croyants s'accordent à respecter.

Être dans la foi biblique, la foi d'Abraham, de Moïse, de David et de Jérémie, la foi de Jésus, c'est se situer dans la parabole biblique et jouer son jeu. Sans reste.

 

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Sixièmement, ces réflexions comportent également une conséquence quant au langage qu'on peut tenir pour désigner la Bible. Si la Bible est une parabole, elle n'est pas la Parole de Dieu, mais elle signifie celle-ci. Elle le fait par les moyens pratiques de l'écriture. C'est pourquoi elle peut être dite valablement "Écritures saintes" par les croyants.

Lorsque, d'écritures, les éléments bibliques deviennent paroles, c'est-à-dire lorsqu'ils sont portés par la voix, le souffle, la présence d'êtres humains vivants, il se peut alors qu'on assiste à l'éclosion d'une Parole de Dieu. C'est l'affaire de l'Esprit.

Mais il ne faut pas confondre les choses : une parole est une parole, une écriture est une écriture. La confusion dans le langage entraîne celle des esprits, des actions et des institutions.

Il n'est pas de notre ressort de savoir par quels moyens il se trouve que les Écritures saintes sont en mesure de signifier ce qui vient de Dieu. Comme je l'ai dit c'est affaire de foi. En revanche il est de la responsabilité des croyants de faire éclore la Parole de Dieu à partir des Écritures saintes. Certes cela se fait grâce à l'action du Saint-Esprit. Mais cet Esprit, pour nous, c'est celui des Écritures...

C'est pourquoi le premier programme du croyant est de lire, de lire, de lire les Écritures. C'est son premier service. C'est ainsi qu'il s'imprègnera de leur Esprit. Qu'il deviendra instrument de cet Esprit pour parler, agir, se comporter selon l'Esprit. Pour faire parler, agir, venir, la Parabole.

La communauté des croyants se fonde en pratique sur une communauté de lecture, sur un pacte de lecteurs. La mise en œuvre de ce pacte a connu bien des avatars, subi bien des avanies. Il n'est pas certain qu'elle soit seulement perçue comme telle. Néanmoins elle est là, au début de notre pratique. Et elle est toujours à réformer.

Dans la ligne, précisément, de la Réforme, elle est à démocratiser. J'utilise ce terme dans l'aire d'une pratique très précise : celle de l'exercice commun, communautaire, populaire, échangiste et critique de ce travail-combat-plaisir qui consiste à faire naître une Parole des Écritures.

Pour les Réformateurs du XVIème siècle, l'enjeu était de permettre à tous d'avoir accès directement au Salut de Dieu offert en Jésus-Christ. La Réforme était la conséquence d'une intériorisation de Pâques. Aujourd'hui, l'enjeu pourrait être de permettre à tous de devenir prédicateurs de ce salut, opéré une fois pour toutes. Il s'agirait d'une intériorisation populaire de Pentecôte.

 

 

 

 

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