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Méditations d’Évangile
Pour
l’année scolaire 2015-2016, l’hebdomadaire Réforme
m’avait
demandé d’assurer la méditation une semaine sur quatre.
On
trouvera ces textes ci-dessous.
Le messie parlait
araméen et l’on a traduit en grec, et plus tard en français, sauf ce mot, effatha. Alors, comme surligné, il oriente cette
histoire.
Dans l’araméen du
Galiléen, effatha voulait dire aussi bien
"Ouvre-toi" que "Sois ouvert". Double sens : fais
l’effort de t’ouvrir, mais reçois le don de l’ouverture ; prends la
parole, certes, mais reçois-la, ainsi qu’il est écrit : « L’esprit de
mon Seigneur a parlé par moi, et ses mots sont sur ma langue. »
Simple personne,
Église ou peuple, on peut se projeter un jour en ce sourd-muet : on s’est
enroulé sur soi-même. Les autres peuvent vous tourner autour, vous n’irez pas
vers eux, sauf par besoin.
Oui, tu es sourd,
mon frère, tu es muette ma sœur. Et toi donc, me répondent-ils !
Ouvre-toi, me disent-ils, sois ouvert, me disent-elles. Au mieux, ils le
demanderont pour moi, comme le font pour lui les amis du sourd-muet.
S’ouvrir est
douloureux, on doit casser bien des murs, de ceux qui bâtissent un être. On
doit outrepasser tant de freins, tant d’obstacles devenus parts de soi. C’est
pourquoi, en grec, le messie lance ses doigts dans les oreilles du
sourd. C’est la réponse, et elle va faire mal, il va y avoir de la casse,
là-dedans.
Après ce coup, laisser entrer en soi
la parole fait du bien. Cela coule, cela baigne. Comme une langue humectée de
salive. Comme une eau sur une terre desséchée. Comme un onguent sur un cuir
racorni. Cela libère, cela délie, on respire. Tu t’enfermais et te voilà
ouvert. On t’enfermait, te voilà libéré.
Ce que tu crois
mort en toi va paraître. Ce que tu crois impossible, incroyable, redoutable
aussi, va survenir et te faire grandir. D’abord souffrir, puis sourire. D’abord
mourir, puis vivre. Le messie connaît cela mille fois, lui qui fut détruit
puis, debout, créé à neuf. Ne l’oublions pas, tout l’évangile est écrit sur
fond de croix et de tombeau vide.
Mais les doigts plongés dans les
oreilles du sourd, la salive sur sa langue, rien ne s’était encore passé. Il
avait fallu cela, mais cela ne suffisait pas. Alors le messie avait dit,
et son dire joint à ces faits, ces faits joints à son dire, avaient agi.
Parole-acte, comme pour un
sacrement. S’il ne me touche dans ma chair, que vaudra pour moi le dire de
Dieu ? C’est la leçon du sourd-muet, touché dans son être même par la
parole, il a été ouvert, il s’est ouvert.
Je demande à m’ouvrir ainsi. Que mon maître me donne cela. Retour à soi, douleur, courage et vie nouvelle avec les autres. Bonheur.
Je rêve de voir
l’Église ouverte ainsi, cassée toujours et sans cesse remodelée pour recevoir
une parole vive et la porter plus loin. Bénédiction.
Je rêve de
peuples fermés qui s’ouvriraient, se feraient ainsi violence pour donner et
recevoir. Réinsérés dans l’histoire véridique et aventurée des humains sur la
Terre. Avenir.
Question de vie ou de mort,
souviens-toi : Caïn était sourd. Caïn était sourd devant Dieu et muet
devant son frère… On a vu le résultat.
La citation est de 2 Samuel 23,2.
Dur à croire
Le terme chair biblique évoque l’ensemble des conditions qui nous ont faits,
qui nous font et nous feront ce que nous sommes.
Ainsi, quand l’apôtre Paul parle selon
la chair, il s’agit de son peuple, de sa tribu, de sa religion. De ces
appartenances, de ces adhérences, de ces adhésions anciennes, de naissance et
d’enfance, de ces expériences de jeunesse et de maturité qui forment un être
humain. Conditions de toute sorte, permanentes ou changeantes, qui accompagnent
et dont dépend une existence.
Ce sont nos liens, et peut-on les
délier, s’en délier ? Vas-tu délier les tiens des liens qui les relient à
toi ? Ils font partie de toi !
Or juste avant ce passage, le messie
vient de te conseiller, en langage de parabole, de te couper de toute partie de
toi – main, pied, œil – qui risquerait de t’entraîner on ne sait où…
Il parle de l’extrême mise à
disposition attendue de toi, son disciple, toi l’un de ces petits qui ont
foi, sans autre lien que celui qui les lie au Règne sous lequel, appelés,
ils se sont placés, semblables à des enfants (en ce temps-là, les enfants
étaient toute obéissance, toute disponibilité !)
Pure appartenance, pure adhésion,
union. Comme quand le Fils, obéissant jusqu’au bout, accomplit l’œuvre du Père.
Ainsi, les pharisiens sont à côté de
la plaque. Leur piège les dévoile : si l’on doit se défaire, suggèrent-ils avec
malice, de tout lien qui conduirait à la chute, pourquoi pas aussi de sa
femme ? Car tout cet Orient voit en elle une possible
séductrice.
Non, ce n’est pas leur question sur
la répudiation, le messie le voit, qui importe alors mais cette femme. Car pour
eux, ta femme est la main ou le pied, et toi tu es la tête…
Alors il les met devant cette nouveauté :
la femme est équipière de son homme, l’homme équipier de sa
femme, attelés ensemble. Même chair, même histoire, même œuvre. Hommes
et femmes, même responsabilité ! Mon Dieu, comme les chrétiens, ensuite,
auront du mal à avaler cela !
Or ce n’est pas à l’attelage de se
dételer, a-t-on jamais vu ça ? Tu es sous le
Règne, tu n’es pas la patronne, tu n’es pas le patron. Et de toute façon il y a
urgence, ce n’est pas le moment de se lancer dans des aventures à la noix.
Marc, l’évangile, est placé sous le
signe de l’urgence, de cette immédiateté du Règne, sous lequel il n’y a pas une
minute à perdre. Demain, tout à l’heure, maintenant, de tout édifice séducteur
comme de toute réalité mensongère, de toute "chair" distordue, il
peut ne pas rester pierre sur pierre.
C’est cela qui compte, tu es en
phase ou tu n’es pas en phase. Tu es sous le joug de l’amour où tu n’y es pas.
Tu es dans l’alliance ou tu n’y es pas. Tu lies chaque jour à nouveau le lien
ou tu le défais, tu te sépares du Père, et c’est cela qu’en langage biblique on
appelle adultère.
Et si tu es adultère, si tu trompes
ton Père, que va-t-il t’arriver ? C’est dur à croire, à accepter, tu vas
être pardonné.
Quel amour ?
Quel est cet amour dont parlent les Écritures
et les Églises ? Aimer Dieu, aimer son prochain. Peut-on s’obliger à aimer
quelqu’un ? Pire, à aimer tout le monde ! Pourtant, aimer, être aimé,
c’est la condition du bonheur. Il me semble. Et notre condition normale, c'est
le bonheur. Mais à quelles conditions ?
Heureux est celui qui…
écrivait le Psalmiste ; Heureux êtes-vous quand… reprenait Jésus.
Bémols, donc, car des entraves s'y opposent dont il est bon d'être libéré.
Jalousie, orgueil, colère, intérêt, rancune, violence, injustice, tyrannie…
Qu'il s'agisse des nations, des sociétés, qu'il s'agisse des personnes. Et ces
entraves, je pense, se résument à ceci, la crainte. Crainte de manquer à cause
des autres. De pain, d'argent, de considération, de tendresse, de justice, de
respect, que sais-je ? Crainte de l'autre, peur de son pouvoir, de son désir de
puissance. Être libéré de cela, parfait, mais comment ?
C’est là que, selon l’évangile, pour
être heureux et libre, il faut aimer. Pour être une présence heureuse, aussi,
il faut aimer. Mais ce mot-là a bien des sens, et celui des Écritures change la
donne. Leur amour n'est ni sentimental, ni bien pensant, ni gratuit. C’est du
dur. C’est une pratique. Voire une politique. L'amour est la pratique concertée
du Règne de Dieu : du monde, de l’existence, quand Dieu y règne. L’amour,
voilà le programme, la pratique obstinée de l’amour. Mais comment ?
Je pense alors au Samaritain de la
parabole : il y a d'abord un constat. Un discernement, une lucidité. Pour
percevoir, ressentir ce qu’un autre, individu ou collectivité, éprouve. Une
recherche attentive de sa vérité. Faire cela, c'est déjà se donner, s'oublier,
pour entendre, ressentir et comprendre. Vient alors un comportement. Il permet
de répondre, d'agir en conséquence, de faire. On a raison de dire faire
l’amour, on a tort de réserver cette expression à un seul type de pratique.
Il s'agit de permettre à l’autre de
se donner toutes les chances de s'accomplir. De lui laisser toute sa liberté.
Aider, ne pas étouffer, parfois même s’opposer. D’ailleurs, et c’est essentiel,
on n’est pas le bon dieu, il s'agit aussi d'accepter l'amour de l'autre :
son discernement et son comportement. Même si c’est dur à avaler. Vaste
entreprise ? Eh bien ! tout cela s'apprend,
s'expérimente, s'éduque. On a droit à l’échec. Et si le mot amour nous gêne,
essayons fraternité, au long des temps c’était la mission dévolue aux Églises.
Mais bon, on a vu…
Quant à Dieu lui-même, le lien
d’amour qu’il demande, dont je sais qu’il lui est nécessaire, c’est la prière,
un entretien en confiance, car en lui parlant ainsi je réponds à son appel, je
lui fais du bien. Ce n’est pas raisonnable ? Certes, mais c’est l’amour.
Et cela vient de ceci que ce qu’il faut soigner, en soi comme autour de soi,
c’est ce qui est le plus faible. Et je vois bien que Dieu a choisi d’être
celui-là.
En avent
On vivait dans un monde dont le
pivot – pour les Juifs, le temple et la ville sainte – allait s’effondrer. Quel
serait alors le pivot du monde à venir ? Bonne question : quel est le
pivot autour duquel tourne le monde que je connais ? Et va-t-il tenir le
coup ? Les temps sont-ils en train de changer, comme le chantait Bob
Dylan, et si oui, est-ce une bonne nouvelle ?
On vit en un temps où rien de connu
ne semble solide. Que se passe-t-il ? Que va-t-il se passer ?
Violences insensées, angoisses, peurs collectives, conflits, pertes de repères,
haines, migrations, troubles, colères. J’ai peur que tout bascule. De quoi ce
monde sera-t-il fait, sur quoi m’appuyer aujourd’hui ? Qu’est-ce qui va
mourir ? Qu’est-ce qui va germer ?
C’est l’avent, et
pour moi, le Christ que nous attendons est ce pivot. Son histoire représente la
fin du monde présent et le début du monde à venir. Avec lui, la fin de notre
monde est déjà arrivée par avance un vendredi à Golgotha. Et un nouveau monde
encore caché est né le surlendemain, à l’aube du dimanche, là aussi par avance.
C’était comme une
irruption des temps de la fin au sein des temps présents. Il y a là trois jours
qui ne sont pas, selon le sens commun, bien à leur place, la chronologie est
mise en défaut. La conséquence, pour le croyant que j’espère être, c’est que je
vis selon deux temps : celui de tout le monde… et l’autre, le temps où
Dieu règne.
À Pâques, ce temps
à venir s’est levé, déjà, au sein du temps ordinaire. J’écris se
lever au lieu de ressusciter. Les mots grecs des évangiles ne disent pas que Jésus est
ressuscité, mais qu’il s’est levé. Qu’il a surgi. Le jour se lève.
À tout moment et pour chacun comme
pour toute société humaine, il devient vrai dans cette foi que telle
génération, tel être humain, tel peuple, ne passera pas avant que tout cela
n’arrive. Parce que le Christ nous arrive toujours à nouveau, je peux me
trouver confronté inopinément à la fin possible de mon monde, de ma façon de me
situer dans le monde. Je peux me trouver confronté à la survenue d’un temps où,
sur moi, Dieu règne.
Ce
monde-ci et ma façon d’y vivre vont disparaître. Il suit la logique qui, déjà,
présidait à l’exécution de Jésus. Violence, haine, mensonge, pouvoir, fric. Les
civilisations humaines suivent les mêmes pentes, elles vont vers l’aval, elles
ont la noyade pour fin. Ainsi parlaient les prophètes.
Oui… mais
pour appeler au renversement de cette logique. Car dans ce même monde de violence,
on peut se placer sous le règne de Dieu, au moins soi, entrant ainsi dans le
temps qui vient. Et s’il ne devait jamais venir ? Eh bien, c’est
l’aujourd’hui qui importe : en ce début d’avent, le Christ nous invite à
bousculer ce monde. Vienne aujourd’hui un temps où Dieu règne sur moi. Sur
nous. Un temps où, par exemple, tel un Noël permanent, l’impuissance d’un
enfant menacé supplante à nos yeux toute puissance.