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Deux textes parus dans
le mensuel Mission :
Jésus disparu, flotte un sourire
Pourquoi cette impression que souvent... il
sourit ? Lisez les évangiles,
lisez-les pour vous, les quatre, d’un bout à l’autre, de préférence à mi-voix,
là, et vous constaterez que jamais, pas une seule fois, on ne vous y
rapporte
qu’il a souri – et ri, encore moins ! Pourtant vous le savez, vous
le sentez,
il souriait, et souvent.
Souvent, mais pas toujours,
et plutôt moins qu’on aimerait. Lisez,
et par les yeux de l’esprit, vous le verrez froncer les sourcils,
gronder,
se fâcher, se lamenter, injurier, ordonner, pleurer, que sais-je
encore ?
Tout cela bien plus souvent que sourire... et rire,
n’en parlons pas.
Et souvenez-vous que lorsqu’il dit Heureux...,
c’est pour ajouter, simple
exemple : ... ceux qui pleurent ! Soyez dans l’allégresse,
dit-il, et l’on
ne demande pas mieux, mais en voici la raison, bien peu ludique : on
vous
outragera, on vous persécutera... car c’est ainsi qu’on a
persécuté les
prophètes d’avant vous. Non, il est
plus souvent triste ou coléreux que
réjoui.
D’ailleurs pour les
réjouissances, avec lui, quand il y en a c’est pour
plus tard. C’est pour quand le Père vous recevra, les bras ouverts, et fera
pour vous égorger le veau gras. C’est pour quand vous la trouverez, la
perle
rare, ou ce trésor dans votre champ. C’est pour quand les anges se
réjouiront
de vous voir enfin, pauvre pécheur, changer de mentalité (on appelle
aussi cela
conversion) au milieu de tous ces justes qui ne sont là que pour la figuration.
Avec lui, on ne se réjouit que dans le règne de son
Père. Pour ici et maintenant,
et si ce règne n’y règne pas : point d’allégresse... Circulez !
Est-ce là tout ?
Mais que vous faut-il de plus ? On vous tend le
bonheur de Dieu à portée
de votre vie, et vous faites la fine bouche ? Pourtant, il vous
semble peut-être
que cela ne vaudra que si, en même temps, ne serait-ce qu’un court moment,
règne un sourire. En sorte que le règne des cieux soit aussi le règne
véritable
de l’humain. Que le Fils de Dieu soit aussi le Fils de l’homme.
Or les temps étaient
mauvais. Très. Ce n’était pas le temps de rire. D’un côté,
Dieu y était écrasant, sourcilleux, pensant toujours
à mal, toujours là à vous
coincer à la moindre peccadille, terrible en son Jugement. C’est du moins ce
qu’on vous affirmait. Et de l’autre côté, César avait la lourde taxe
extrêmement
facile, et Pilate, son argousin, rendait la crucifixion très tendance. Quant
à la vie
courante : faim, maladie, misère et humiliation pour le plus grand nombre,
et
l’arrogance de quelques-uns. Plus, il est vrai, de beaux monuments, ce qu’on
appelle la civilisation romaine. Mais pas de quoi rire.
C’est le Jésus de ce
monde-là, pris dans le combat qu’il perdra, dont les
évangélistes rapportent les traits tristes et sévères. Ou plutôt : qu’ils
montrent
terriblement concentré, c’est le mot le plus précis, je pense. Concentré sur sa
mission. Ceci à chaque étape, à chaque rencontre, devant chaque visage
rencontré,
chaque question posée, chaque adversaire démasqué, chaque misère transformée,
transfigurée. Allez donc rire après cela... Les évangélistes vont au plus juste, au
plus pressé, au plus précis.
Et pourtant vous savez bien qu’il souriait. Tenez :
pendant la noce, quand il
répond en substance à sa
mère : « Femme, occupe-toi de tes affaires », avant de
faire ce que justement elle lui suggère...
Ou devant la Samaritaine, au puits de
Jacob ! Quand il joue
sur les mots, à propos d’une eau qui n’est pas comme l’eau.
Ou après la réplique de la
Syro-Phénicienne, son histoire de petits chiens sous
la table... Ou face à ce jeune
homme riche, juste à ce moment où celui-là lui dit
qu’il a tout fait, tout appliqué,
qu’il a obéi à tout et que pourtant... Oui, à ce moment
où l’évangéliste vous dit que
Jésus l’aima – c’était avant que l’autre en voie le
prix, de cet amour, et le refuse
et s’en aille tout triste. Et là, après, vous savez
bien que Jésus ne sourit plus.
Alors oui, votre impression
est juste, c’est souvent qu’il souriait, malgré tout.
Et c’est un grand mystère, cette façon qu’ils ont,
vos évangiles, de vous le faire
savoir sans jamais vous le dire. Comment font-ils ? Est-ce, de leur
part, du grand
art, ou bien tout simplement – mais là vous tiendriez la clé d’une de ces
questions
sans réponse que posent tous les exégètes – c’est que le Jésus historique,
celui
en chair et en os, avant le Jésus de papier, était ainsi, lui, en vérité,
tellement
concentré de tendresse que le sourire, sous l’encre des écrits, passe jusqu’à
vous,
sourd comme l’eau de la source sous la roche, et vous atteint, et vous dessoiffe.
Il souriait.
Et aujourd’hui, longtemps
après son départ, son sourire flotte encore (c’est
le genre de choses que Lewis Carroll, ce fils de pasteur, savait conter à
la petite
Alice...). Il souriait malgré tout. Et vous l’aimez
pour ce sourire, tout autant et
en même temps que pour sa souffrance qui le donne à vous.
Cependant, ne parlons pas
trop facilement de ce sourire. On a trop parlé
d’humour, à son propos. Par exemple : Rendez à César ce qui est à César
et à
Dieu ce qui est à Dieu, adressé à des gens qui ont dans le porte-monnaie la figure
de César bien apposée sur leurs doublons sonnant et trébuchant, certes,
cela
fait humoristique. On se dit qu’ils en prennent plein la poire, à la grande
joie
des miséreux d’alentour. Peut-être. Mais lui, est-ce qu’il sourit,
là ? Non. Relisez
encore – à mi-voix de préférence car on voit mieux quand on entend –, relisez
tout Matthieu par exemple : l’un des mots qui lui viennent le plus
souvent ?
Hupokritaï. Un mot qu’à tort on francise en « hypocrites » alors qu’il
signifie
bien plutôt « imposteurs ». On est au centre d’une immense
imposture. Tel est
ce monde et tels sont ces gens. Pas de quoi rire, même si le populo a
bien raison
de s’esclaffer, malgré tout, quand tombent les masques des pitres qui le
terrorisent.
Mais lui ne ricanait pas. Et
s’il souriait, c’était dans une autre sorte de distance
que celle de l’humour. Celle de la tendresse.
Jésus fêtard...
Le troisième jour, on a fait la noce.
Noce paysanne, provinciale, cela se passe dans un
bourg, dans la partie
galiléenne de la province romaine de Syrie, il y a longtemps.
Et au troisième jour, un mariage a eu lieu, dans
Kana de la Galiléenne
(Jean 2).
On connaît l’histoire. Elle a un côté farce, mais,
bien qu’éméchés, vers la fin
du banquet, les invités sauront distinguer la bonne surprise qu’on leur a
préparée :
le meilleur des vins. Hourras, chansons (Il est des nô-ôtres, il a bu son verre
comme les au-autres), à bas les buveurs
d’eau et les pisse-vinaigre...
Celui qui s’en choquerait, qu’il lise ceci :
Ses yeux rouges
de vin
et ses dents blanches
de lait.
Il s’agit du messie, fils de David fils de Juda, qui
attache son âne à la vigne,
et au meilleur cep le petit de son ânesse (Genèse 49 ; Matthieu 21).
Au troisième jour !
Le premier jour, à l’inverse, il a été immergé de
mort, dans la fadeur de l’eau :
Moi j’immerge dans l’eau, dit Jean-l’Immergeur en ce tout premier
jour (Jean 1).
Tel Jonas, son voisin galiléen, le messie a
sombré :
L’eau m’a englouti
jusqu’au souffle
un abîme m’environne (Jonas 2).
Mort. Mais le troisième jour
est jour de fête : fête de l’agneau, grande fête
(aïd el kébir ?) bien arrosée,
non de cette eau mortelle, mais de bon vin. Et riche
de bonne chère.
Ainsi parlent les disciples de Jean (Matthieu
8) : Pour quelle raison, nous,
comme les pharisiens, nous faisons le jeûne, et tes
disciples ne font pas
le jeûne ?
Jésus leur répond : Les gens de la noce ne
peuvent pleurer tant que le marié
est avec eux. Et viendront des jours où le marié leur
sera enlevé, et alors ils
pleureront. Et personne (...) ne verse un vin nouveau dans des
outres vieilles,
et sinon, eh bien elles se déchirent, les outres, et
le vin se déverse, et les outres
sont perdues. Mais on verse un vin nouveau dans des
outres neuves.
C’est qu’il y tient, à son vin nouveau, le
marié ! Mais c’est aussi que la sagesse
consiste, non à gémir, mais à fêter sans retenue, avec qui le voudra bien, le
grand
œuvre du messie : Car Jean est venu, qui ne mangeait pas, qui ne
buvait pas.
Et l’on disait : "Il a un démon". Le
fils de l’humain est venu, qui mange et qui
boit, et l’on dit : "Voici un glouton, et un
ivrogne, un ami des collecteurs et des
fautifs". Mais elle a été justifiée, la sagesse, par
ses actes, elle-même (Matthieu
11). Mais combien de gens ont vu sans voir, entendu
sans entendre, tous ces actes
qui apportaient le bonheur : Malheur à toi, Khorazîn,
malheur à toi, Bethsaïda,
car si, à Tyr ou Sidôn
étaient advenus les actes de puissance qui sont advenus
chez vous, depuis bien longtemps, sous le sac et la
cendre, elles auraient changé
de voie.
Tenez, voyez ces gens qui s’apprêtent à célébrer un
enterrement, dans l’attente
qu’on annonce sa mort, à la petite fille Israël (Amos 5 ; Marc 5). Et
comme ils
se moquent, quand on leur dit qu’elle est vivante. Car ils se moquent
qu’elle
soit vivante. La musique du deuil est déjà prête. De quels rires, de quels
cantiques
s’agit-il ? Ils ne croient qu’à la mort. Mais voici celui qui ne veut
dire jamais que
ceci : Heureux ! Car, dit-il, elle est vivante, il suffit
qu’elle s’éveille et se lève.
Tel est ce fêtard. Il célèbre la vie. Et il n’oublie
pas de dire qu’on lui donne à
manger, à douze ans, à la petite nubile, car un jour elle aura un mari et des
enfants,
comme la dame qui vient d’être guérie. Et un jour viendra la noce !
Ce banquet, cette fête, ces
noces, il en a plein la bouche. À quoi, selon lui, va
ressembler le règne de Dieu ? C’est
un roi qui célèbre des noces, c’est un patron
qui offre un grand banquet,
c’est un père qui fait tuer le veau gras... Ripailles. Il
en salive d’avance. Mon Dieu
quels plaisirs il nous promet, devant quelles tables
il nous met. Notre coupe
déborde. Telle est celle que nous, nous devrons boire...
Mais avec n’importe qui... et là le bât blesse. Oui,
collecteurs de taxes impies, et
fautifs quant à la loi des gardiens du temple. Chômeurs en fin de droits, ou
presque :
à la dernière heure. Tous, tant qu’ils sont, puants et suants, purulents
et virulents,
songes creux et ventres vides. Et que de beaux habits, qui les attendent pour
la
fête, seront gâchés là. Ah la bonne et honnête tête du pire des truands,
repenti,
sous ses cheveux lavés et parfumés, tels la barbe d’Aaron !
d’être frères aussi ensemble (Psaume 133).
Pouah ?
Mais avec lui, soit c’est la
fête, soit la géhenne : à choisir ! Alors courez à ses
invitations. Il est comme son père, il
n’aime que les pécheurs (ça tombe plutôt
bien en ce qui me concerne).
Oui, le troisième jour, grande fête dans les cieux
et sur la terre. Le fils de
l’humain épouse la jeune fille que l’on croyait promise à la mort. Encore une
Sulamite, une rose de Saron ? (Cantique des Cantiques).
... Jésus la fête !
Hosanna !, qu’ils
chantent : Sauve-nous, ô toi, fils du grand roi ! Car les
nations sont en tumulte, les peuples agitent de vaines
pensées, les rois
de la terre se soulèvent et les princes se liguent. Mais celui qui siège dans
les cieux s’en moque, il a consacré son roi, et il lui dit :
Mon fils c’est toi
Moi
aujourd’hui je t’ai engendré
demande-moi
et je te donnerai des nations
en héritage à toi (Matthieu
21 ; Psaume 2).
Et le roi entre dans sa bonne ville. Avec cet âne et
cet ânon.
C’est la fête. Seulement avec des hosanna
de l’Antiquité ? Non, car qui verrait,
ici et aujourd’hui, se lever l’astre d’une puissance chargée de faire
régner justice
et justesse, parmi nous, se joindrait à la foule pour acclamer, chanter,
danser, sur
les places où s’élèvent les statues de la liberté, de la nation, de la
république,
du peuple. Les cloches de Notre-Dame tinteraient, elles se mêleraient,
d’un côté
à celles de la Bonne Mère, et de l’autre, à celles du Beffroi. Tyrans,
descendez
aux enfers. Parcours des
Champs-Élysées, roses rouges au Panthéon, feux
d’artifice, voix de Jessie Norman, patrouille de France, Liberté, liberté
chérie...
Hosanna.
Puis c’est enfin le jour de la vraie Fête (Matthieu
26). Le fils du roi s’en va
chantant : psaumes de la montée, hallel.
Il a fini son pèlerinage, on va manger
la pâque, finie la servitude, il est la fête paisible de ceux qui sont
debout, à se
partager le pain et le vin de la vraie liberté. Qui ne va pas sans amitié. Dans
la
chambre haute, la fête est au fond des cœurs, emplis de souvenirs :
comment
le vieux pharaon a été noyé, comme on chante à Harlem (Old Pharaoh, he get
drowned, get drowned,
get drowned) ; comment, au Sinaï, la loi des hommes
libres a été donnée ; comment la libre terre du Seigneur Dieu a été
donnée aux
simples gens, non plus aux seigneurs mortels, aux seigneuries
passagères ; et
comment c’est un roi de justice qui doit régner.
Mais la vraie fête, déjà, était apparue, avait
circulé, depuis quelques temps, dans
la campagne galiléenne et au-delà : Et il a circulé dans toute la
Galilée, il a
enseigné dans leurs lieux de réunion. Et il a proclamé
l’annonce de paix
du Règne, et il a guéri toute maladie et toute
infirmité dans le peuple. Et sa
renommée est parvenue dans toute la Syrie, et ils lui ont
présenté tous les
malades, qui étaient par toutes sortes de maladies et de
tourments accablés :
possédés de démons, et lunatiques, et paralysés. Et lui, il
les a guéris. Et
l’ont accompagné des foules, nombreuses, de la Galilée,
et de Décapole, et
de Jérusalem, et de la Judée, et d’au-delà du Jourdain (Matthieu 4).
C’est là qu’il a vu les foules, et leur malheur, et
qu’il est allé dans la montagne
pour dire : Heureux, les pauvres à l’esprit, car de ceux-là est le
règne des
cieux. Heureux ceux qui pleurent, car ceux-là, ils seront
consolés. Heureux
les doux, car ceux-là, ils hériteront la terre. Heureux
les affamés, et assoiffés,
de ce qui est juste, car ceux-là, ils auront à
satiété. Heureux...
Non, la fête ce n’est pas toujours le feu d’artifice
et les flonflons, ni le veau gras
du père aux bras ouverts : c’est peut-être la paix d’un regard de
vieux, assis dans
l’herbe maigre d’une cour, dans un village de planches et de tôles, et qui
apprend
à lire avec son petit-fils, le morveux, là, cul nu, et aussi avec sa
fille, elle déjà
grosse d’un autre petit. Heureux, oui, car ils ont un avenir promis, c’est
écrit dans
le Livre, sans cela est-ce qu’ils se bougeraient ? Est-ce que, dans
la poussière,
commencerait à s’élever la première classe d’une école, ou s’installer le moulin
à mil, ou se creuser un puits ?
Cela, tu le verras près de
Managua, peut-être, ou vers Atakpamé, ou du côté de
Taegu, ou encore de Manankavaly... si tu y vas, simple porteur de fraternité.
Quelqu’un est passé là, à
hauteur de chemin de terre, bien avant toi, et il a mis
sur les montants des portes un
signe de vie et d’amitié. Pour une éternité.
Heureux sont ces pauvres de
la terre, même s’il leur est demandé bien plus,
en poids de peine et de
combats, qu’à tous ces autres qui les dominent.
C’est du moins ce qu’on apprend quand, au-delà du
sanglot de l’homme blanc,
au-delà de la mauvaise conscience de l’Occident, de l’occidant
(du verbe occire,
j’insiste), de l’oxydant – oui, d’accord, c’est vrai, nos pères et nos mères ont
été
criminels, et nous le sommes nous aussi de jouir des fruits de leurs rapines –,
et par-delà le besoin d’être charitable qu’éprouve le riche, désir
d’avoir le
monopole du cœur plutôt que le sens de la justice, oui, par-dessus tout cela,
ce que l’on apprend, c’est que les pauvres sont rois, quand ils ont
décidé de
combattre les vraies causes de leurs souffrances. Parce qu’eux seuls connaissent
la vérité.
Heureux les pauvres, car la fête n’est pas toujours ce que l’on croit.
Ou le trouble-fête
Heureux, donc, soient-ils. Et malheur à toi,
Babylone la grande, cela aussi est la
fête (assez d’angélisme !), quand le règne de justice et de justesse
te met cul
par-dessus tête. On n’est pas là pour rigoler, on est là pour voir le défilé de
ces
fautifs, de ces crédules trompés par l’apparence de l’avoir, du pouvoir et du
savoir.
Malheur à vous, scribes et pharisiens,
imposteurs ! Parce que vous fermez
le règne des cieux devant les gens. Car vous, vous
n’entrez pas, et ceux qui
entrent non plus, vous ne les laissez pas entrer. Or le règne des cieux, déjà,
s’est approché, il est tout près de votre cœur. Ici même.
Demande-moi
et je te donnerai des nations
en héritage à toi
et ton domaine
les confins de la terre.
Tu les écraseras
d’une barre de fer
comme une poterie tu les mettras en pièces.
Et maintenant
rois usez de raison
prenez garde
juges de la terre.
Servez mon Seigneur dans la
peur
et réjouissez-vous
en frissonnant.
Embrassez le pur
qu’il ne s’irrite
et vous perdrez le chemin
car sa colère pour un peu sera en feu.
Bonheur
à tous ceux qui en lui ont refuge (Psaume 2).
C’est le cœur de la prière
biblique. Expression d'une lutte, d'un combat permanent.
Pour la justice de Dieu
contre l'injustice du monde. Ce combat n'est pas dans
les idées, il oppose des
personnes, des peuples et des puissances. La vie de Jésus ?
Une lutte contre le Prince de
ce monde. Contre les puissances des ténèbres,
du mal, de l’erreur, de la
violence injuste, de l’oppression la plus insidieuse, celle
qui s’attaque aux capacités de
résistance et de résurrection. Dans les psaumes,
cette lutte oppose souvent le
peuple élu et les nations païennes, le juste fidèle
et les impies. C'est comme une
parabole : elle dit que vouloir la défaite du mal,
c'est préférer aussi qu'il n'y ait
plus de mauvaises gens. On ne peut vouloir autre
chose. Jésus l’a voulu lui-même.
Ses malédictions sont aussi fortes que celles
des psaumes. On ne peut se
retirer du combat. Jésus ne l'a pas fait, il en est mort.
Oui, un combat. Or la ligne
de front passe d'abord au-dedans de soi-même. Les
imprécations et les malédictions tombent
sur la part de soi-même qui résiste au
Règne de Dieu.
C’est ce qu’Hérode le Grand n’a pas accepté. Les
prophètes avaient annoncé la
fête :
Voici la jeune femme
a conçu
et elle enfante un fils
et elle appellera son nom
Avec-nous-Dieu (Ésaïe 7).
Or la fête annoncée est en réalité celle de la venue
du trouble-fête ! Quand les
Mages disaient : Où est le nouveau-né, roi
des Judéens ? Car de lui, nous
avons vu l’astre, dans le Levant. Et nous sommes venus
nous prosterner
devant lui, alors, le
roi Hérode a entendu, il a été bouleversé. Et tout
Jérusalem avec lui (Matthieu 2). Et pour cause : Jérusalem, Jérusalem,
qui tues les prophètes, et qui lapides ceux qui te sont
envoyés ! Combien
de fois j’ai voulu rassembler tes enfants, à la
manière d’une poule, qui
rassemble ses poussins sous les ailes ! Et vous n’avez
pas voulu... (Matthieu 23).
Ils méditaient de le faire périr. Dès le début. Il est à
peine né que déjà, il va gêner,
un combat est mené contre le
danger qu’il représente. Et pour ce combat il existe
un arbitre. Non pas le Père céleste,
mais le peuple. Ils avaient peur des foules.
Et quand on dit le peuple,
les foules, dans les évangiles, il s’agit toujours – ou
presque – de ceux qui ont bien connu
tel ou telle à qui "le fils de l’humain" a
prodigué nourriture ou guérison. Presque
toujours il s’agit de ces foules prostrées
qu’il a requinquées. Fatiguées et
chargées, porteuses de tous les jougs imaginables.
Le massacre des innocents de
Bethléem n’est pas un accident, une exception, c’est
la règle : ils font déjà
peur, et pourtant que pèsent-ils ?
Noël trouble-fête : c’est un comble.
Cette nativité misérable fêtée, entourée des vives
illuminations du négoce, c’est
plus un contresens qu’un blasphème : l’enfant-roi vient vous détruire,
rois des
marchands, comme Carthage, comme la Jérusalem de l’an 70. Arrêtez,
malheureux !
Souvenez-vous
du cantique de Marie : Le puissant – et saint est son nom, et sa
miséricorde, d’âges en âges, est à ceux qui le craignent –
une puissance a agi
par son bras. Il a dispersé ceux qui s’enorgueillissent,
en pensée, dans leur
cœur. Il a fait descendre des trônes les puissances, et
il a relevé les humbles.
Ceux qui ont faim il a comblés de biens, et ceux qui
sont riches il a renvoyés
vides (Luc 1).
Bien sûr, le premier jour, un très long jour, vous
allez le trahir, le livrer, le punir,
le rejeter, le harceler, le pendre, le clouer. Juifs ou Grecs, prêtres ou
officiers,
foules chargées d’emplettes ou marchands de canons, tradeurs
ou petits porteurs,
hommes ou femmes, chacun, en votre cœur. Et il mourra, remplacé par une image
pieuse, sauf, un jour ou l’autre, dans le souvenir des pauvres de la
terre.
Mais au troisième jour (un dimanche), on fait la
noce !
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