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Vos remarques : jean.alexandre2@orange.fr

Mes réponses

 

 

Dieu – Question d’imaginaires

 

« Les Églises allemandes ne fournissent plus les ressources pour donner un sens à ce que vivent les individus » écrivait naguère la germaniste Sylvie Toscer-Angot dans Le Monde. Cela ne concerne pas que les Allemands, me semble-t-il, mais résonne avec ce que ressent une grande partie de notre monde occidental. Il y a plusieurs raisons à cela.

La première vient du fait que nos Églises se sont déconsidérées, ceci de différentes manières. Pour les questions de mœurs, bien sûr – refus de l’avortement, de l’homosexualité, etc., ainsi que scandales de nature sexuelle – mais aussi, pour certaines, par leur intérêt pour l’argent ou leur proximité avec des Pouvoirs despotiques, corrompus ou ploutocratiques.

Mais elles doivent sans doute plus profondément la désaffection qu’elles connaissent de nos jours à leur intérêt premier porté aux individus, terme qu’utilise très justement l’autrice de l’article. L’individu : ″Moi, mon salut et ma morale″.

L’individu, comme le dit le mot lui-même, est la plus petite parcelle de l’espèce humaine, celle qu’on ne peut plus diviser. Il peut donc être conçu comme élément basique de la société, et considéré aujourd’hui par le Despote ou le dieu Marché comme dépourvu de lien et visé comme cible facile. Or les humains constituent une espèce sociale, ils ont besoin de la communauté : on leur en trouvera de moins exigeantes et plus immédiates que celles proposées par les religions. Et plus rentables.

Mais il y a plus grave, se tenant à mon sens à la racine. En profondeur, le modèle culturel que portent nos Églises est biblique, par conséquent calqué sur celui des sociétés sémitiques antiques au sein desquelles les Écritures ont été écrites. Il s’agit d’un ensemble cohérent de représentations – on parlera d’un imaginaire, d’un ensemble cohérent d’images – selon lesquelles le monde est conçu comme une pyramide, descendant d’un sommet divin jusqu’aux réalités de base dont font partie humains, animaux et végétaux.

C’est un modèle essentiellement hiérarchique, d’une part, qui place chacun dans un rapport de pures dépendance, obéissance et fidélité à l’égard d’un supérieur, et c’est d’autre part un modèle masculiniste, dans lequel la femme est servante de l’homme porteur de la parole. 

Ce modèle a survécu vaille que vaille dans les esprits occidentaux jusqu’à la moitié du XXème siècle environ, je pense. Il est aujourd’hui caduc pour au moins deux raisons.

D’une part, vu ce qu’ont découvert et découvrent nos savants à propos de l’univers, on ne peut plus se représenter celui-ci comme une pyramide hiérarchique, nos représentations actuelles s’y refusent, ce qui pose la question de savoir où se tient le divin, non en lui-même, bien sûr, mais dans le cadre de notre imaginaire.

D’autre part, l’image selon laquelle la femme est un élément second de la domination de l’homme, ou encore le type de relations entre l’humain et un Dieu ou un Christ roi ou Seigneur, garants de l’ordre social à l’image des Pouvoirs et des hiérarchies antiques, sont difficilement concevables et peu désirables aujourd’hui pour le grand nombre, avec tout ce qui s’ensuit dans le domaine social et sociétal.

Certes, le Vingtième siècle a vu s’imposer d’autres discours, comme celui du Dieu ″tout autre″ de Karl Barth, totalement distinct de nos représentations, et dont on pouvait penser qu’elles permettraient d’éviter l’aspect purement hiérarchique et anthropomorphique du visage de Dieu pour ne garder d’elle que la bienveillante autorité, première et dernière. Mais on n’a pas pour autant effacé au préalable l’imaginaire antique qui règne dans les esprits, celui de la Puissance et de la Loi impériales.

Il faut avoir baigné dans cet imaginaire ancien depuis l’enfance pour s’y trouver plus ou moins à l’aise sans prendre tout cela au mot mais en interprétant, tant on est habitué à l’herméneutique… ce qui suppose des herméneutes patentés et n’aide guère à sortir d’une Église de happy few.

À moins de s’en tenir à ce module : ″moi et mon salut″. Ce qui n’est pas rien, loin de là, et répond au moins au besoin des humains déterritorialisés d’aujourd’hui, quand il réduit leurs besoins religieux à un modèle spirituel de type familial : le groupe de frères et sœurs, son Grand frère Jésus et son Père céleste, et le lien avec eux par la louange, le chant collectif et une gestuelle appropriée. Bon, mais le salut des autres ?

Voici où se tient pour moi le véritable drame de nos Églises occidentales historiques : pour le plus grand nombre d’entre nous, nous ne parlons plus leur langue, elles ne parlent pas la nôtre.

Ainsi, pour prendre un exemple, lors de la fête de l’Ascension. Je note que Jésus ne peut monter au Ciel pour y régner que dans le cadre conceptuel de l’Antiquité proche-orientale… De nos jours et chez nous, où irait-il ? Nous partageons en effet une vision du monde totalement différente de celle des évangélistes. Il me paraît alors qu’il nous faut nous représenter ce qu’ils nous disent tout autrement.

On pourrait le comprendre par exemple à partir de ces équivalences : le Christ est la Parole vécue de Dieu (Jean 1), et la Parole de Dieu est la loi constitutive du Cosmos (Genèse 1, Proverbes 8). C’est alors une révélation : la véritable logique qui porte le monde, c’est la logique christique de l’amour, de la justesse et du service. Celle vers laquelle se porte notre espérance.

Mais c’est un discours, non une image vers laquelle tous, et chacun et chacune, pourraient se projeter ! Tout est là. Nous parlons ici et aujourd’hui à partir d’images ou de récits qui nous sont étrangers. Or il n’y a d’imaginaire que reposant sur des images mises en récit. C’est à partir de là que se déroulent les discours.

En notre temps, le monde ne se décrit plus selon un axe spatial haut/bas mais selon l’axe temporel passé/futur : où allons-nous, nous demandons-nous, nous qui sommes ici et aujourd’hui ? D’où des questions simples mais profondes, comme celles-ci :

Si je prie, je m’imagine tout naturellement, sans y réfléchir, parler à quelqu’un qui se tient là haut dans le ciel, au-dessus de moi, ou plutôt vers quelqu’un qui me devance, qui est devant moi, tourné vers moi pour m’appeler ou encore marchant devant moi pour me guider ? 

Ou bien : parlant toujours en images, le monde de Dieu s’apparente-t-il pour moi à un royaume, à une sorte d’espace éternel et infini où l’amour est roi et qui nous attend, ou à un règne, à une durée actuelle – en ce monde-ci aussi bien que lors du monde à venir dans une autre dimension – et qui suppose que les fidèles vivent sous sa loi (qui est amour) au long du temps ?

Encore : dois-je me conformer à la loi de Dieu, ou suis-je appelé à actualiser son programme (l’amour) en permanence ? Ai-je affaire à une Parole de Dieu à écouter premièrement, ou à son Dire, qui crée chaque jour à nouveau le monde qu’il veut ?

Et encore bien d’autres images phares de ce genre… comme celles-ci, bien connues : le mot amour, s’agissant de Dieu, m’évoque-t-il en premier lieu un sentiment ou plutôt une pratique ?

Bref, je crois que pour être entendus, il nous faut aujourd’hui revoir nos images maîtresses.

« C'est pourquoi, tout scribe instruit de ce qui regarde le règne des cieux est semblable à un maître de maison qui tire de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes. » 

 

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