2009-2010 – C’était un
feuilleton. Chaque semaine (ou presque), on trouvait ici exposé, en fait dans
le désordre, comment je vois l’une ou l’autre des caractéristiques supposées de
notre identité nationale.
En réalité, je m’interrogeais
sur chacune d’elles. Avec sérieux ? Alternativement : parfois oui,
parfois non.
Mais c’est mon côté
civique : j’obéissais à ce bon M. Besson Éric, alors ministre d’un tas de
trucs dont l’identité nationale.
Comme il ne semblait pas savoir
ce que c’est, ce qui est embêtant pour un ministre – imaginez que le
ministre de l’industrie ignore ce que peut bien être l’industrie –, il avait
posé honnêtement (hi hi !) la question à la Nation.
Ceci dit, j'ai terminé assez
vite cette série sur l’identité nationale : la façon dont elle était posée
dans le pays ne permettait plus, même de façon ludique, de s’associer au pseudo
débat qui s’était instauré. Ça puait un peu trop. Mais maintenant que
l'effervescence est retombée, je me suis demandé ce que les habitué(e)s de ce
site penseraient de tout ça…
D.R.
Le drapeau
4 novembre
2009
J’aurais dû commencer par le drapeau parce que c’est la
première chose qui fait reconnaître à un étranger que le bateau qu’il voit
passer est français.
On le sait, ce drapeau est bleu-blanc-rouge.
Mais ça, ça ne dit rien en soi, il faut interpréter, et
il y a divers moyens de le faire. En voici deux :
Quand il pend à une hampe inclinée, au fronton de quelque
édifice public, on peut dire de lui qu’en bas il est de la couleur du sang,
qu’en haut il évoque la couleur du ciel, et qu’au milieu, il semble une page
blanche sur laquelle on écrira l’histoire.
Pas mal, hein ? C’est mon côté Victor Hugo. Gloires
et misères, malheurs sans nom et puissante espérance, ouverture sur un avenir à
faire ensemble…
Tout cela, peut-on vraiment le dire de lui ?
Mais si l’on se souvient de son origine, on rappellera
qu’il se compose en fait des couleurs du blason de la Ville de Paris et de
celle du roi de France.
Et ça, c’est déjà toute une histoire, avec un sens :
centralisme parisien et autorité supérieure de l’État…
C’est un drapeau qui dit Je ne veux voir qu’une seule
tête – une tête, par exemple, qui ne parlerait qu’une seule langue, ou que l’on
administrerait partout de façon uniforme.
Doit-il le dire encore ?
Et je me souviens de ceci : c’est un drapeau que
l’on a brandi face aux tyrans, afin qu’ils descendent au cercueil, comme
l’annonçaient, vraiment par ailleurs, le prophète Ésaïe
ou saint Luc*. À l’époque, ce drapeau était encore tout mal foutu, avec le bleu
et le rouge dans les coins, genre as de pique.
Et c’est aussi un drapeau que l’on a imposé, en tyran, à
un tas de peuples qui n’en pouvaient mais, qui n’en voulaient pas vraiment, et
qui en ont bavé, à cause de lui…
Et aussi un drapeau que des masses de pauvres types,
comme mes deux grands-pères, ont suivi jusqu’à la
rencontre de la baïonnette ou du shrapnel des pauvres types d’en face, les
casques à pointe, les têtes carrées, les fridolins, les alboches, enfin ce
putain d’ennemi héréditaire.
Et aussi un drapeau qui a fleuri d’un coup à toutes les
fenêtres lorsque le nazi a foutu le camp en laissant son casque rouler dans les
orties, j’en ai trouvé plus d’un, étant môme, à la campagne, déjà rouillés.
Et aussi un drapeau qui est comme tous les drapeaux, qui
parlent de frontières, de murs, de barbelés, de frères humains qui sont des
étrangers, des dangereux, des partageux, des mal blanchis…
Et aussi un drapeau qui disait, sur toute la terre, à un
tas de peuples, qu’on a raison de se révolter contre ceux qui vous écrasent et
vous humilient, et qu’il existe un droit, et que la liberté doit guider leurs
pas ! Un drapeau, aussi, qui a accompagné, chez nous, la suppression de
l’esclavage.
On aurait pu, le poing levé, le remplacer par un drapeau
rouge, mais il parlait mieux de liberté ; ou par un drapeau noir, le cher
Jupon de la Louise, mais celui-là flottait trop sur la marmite…
J’en oublie, c’est sûr, ajoutez vos souvenirs et vos
espoirs. C’était juste pour dire que ce drapeau, on en a fait de tout, on peut
en faire ce que l’on veut, ou plutôt ce que l’on doit, à condition de ne rien
oublier de son histoire.
Et puis ce drapeau aux trois couleurs, on le voit maintenant
se mêler à vingt-six autres, et demain plus encore. Il ne dépare pas
l’ensemble, certes, mais quand donc viendra, plutôt, le grand lever de ce
drapeau bleu nuit au cercle brillant d’étoiles ?
*
Ésaïe 13,11 et Luc 1,52.