2009-2010 – C’était un
feuilleton. Chaque semaine (ou presque), on trouvait ici exposé, en fait dans
le désordre, comment je vois l’une ou l’autre des caractéristiques supposées de
notre identité nationale.
En réalité, je m’interrogeais
sur chacune d’elles. Avec sérieux ? Alternativement : parfois oui,
parfois non.
Mais c’est mon côté
civique : j’obéissais à ce bon M. Besson Éric, alors ministre d’un tas de
trucs dont l’identité nationale.
Comme il ne semblait pas savoir
ce que c’est, ce qui est embêtant pour un ministre – imaginez que le
ministre de l’industrie ignore ce que peut bien être l’industrie –, il avait
posé honnêtement (hi hi !) la question à la Nation.
Ceci dit, j'ai terminé assez
vite cette série sur l’identité nationale : la façon dont elle était posée
dans le pays ne permettait plus, même de façon ludique, de s’associer au pseudo
débat qui s’était instauré. Ça puait un peu trop. Mais maintenant que
l'effervescence est retombée, je me suis demandé ce que les habitué(e)s de ce
site penseraient de tout ça…
La laïcité
4 janvier 2010
C’est un mot dont on serait bien avisé
de considérer l’origine. Elle nous ramène à l’essentiel. Est laïc ce qui vient
du laos. C’est un mot grec
qui désigne la foule du peuple par opposition aux milieux qui la dominent, qui
lui sont ou prétendent lui être moralement ou socialement supérieurs.
Ça me plaît, comme définition :
est laïc ce qui ne se sent pas supérieur aux autres ; qui ne se veut pas
un pouvoir, en quelque domaine. Et qui n’en accepte pas sur soi-même à moins
d’en décider pour quelque raison d’opportunité.
Ce n’est pas seulement de la religion
qu’il s’agit. Ou alors en ce sens que toute personne ou tout organisme qui se
prétend par nature au-dessus des autres prend par là-même une valeur
religieuse. Tant la religion n’a pas toujours un arsenal symbolique avec bondieu. La religion du pouvoir existe, je l’ai rencontrée.
La société laïque, ce serait donc
celle qui accepte des autorités, mais sans les considérer pour autant comme
supérieures, juste servantes du peuple, ce qui s’appelle ministre, cette fois
d’après le latin.
C’est ainsi chez nous, les
parpaillots, normalement. Nous avons des ministres qui, dans leur domaine, font
autorité sans avoir pouvoir sur nous. Laïcs nous sommes. Tous, pasteurs
compris.
Alors bien sûr, je sais bien que la
laïcité a pris un autre sens, qu’elle vise à faire en sorte que les autorités
religieuses ne s’imposent pas comme des pouvoirs dans la société, que ce soit
dans les domaines de l’intime, de la croyance, de la morale, du culturel, du
social ou de la politique. Et qu’il s’agit d’un vrai danger, durement
expérimenté par le peuple pendant des siècles.
Et bien sûr, je sais aussi que cela
donne à l’État le devoir de veiller à cela tout en permettant à chacun de
pratiquer sa religion s’il le désire, dans les limites de la loi.
De plus, je suis bien d’accord
là-dessus. Je veux dire sur le principe.
Avec tout de même cette restriction
mentale, en effet, qui me fait penser que parfois, la loi française pourrait
donner un peu plus de liberté aux croyants dans les domaines qui ressortissent
strictement à la croyance ou même à la simple justice.*
Bref, je sais que lorsqu’on parle de
laïcité, en France du moins, on ne pense qu’à la religion. C’est cela, cette
limitation, qui fait partie de l’identité nationale.
Or à partir du moment où toutes les
autres autorités ne sont pas considérées elles-mêmes comme peu ou prou
religieuses, la laïcité à la française devient le moyen, pour elles, de
s’arroger le droit de formater en douceur la tête, le cœur ou le sexe des gens.
Religieux, alors, furent bien des
intellectuels, relayés aujourd’hui plutôt par les scientifiques ou les gens des
médias assortis de leurs fameux experts, et, pour les mœurs, par les people et autres idoles.
L’autorité de ces gens-là ne se
discute pas. On guette toute velléité de prise de pouvoir sur les gens venant
des religieux, on a bien raison de le faire, mais qui va empêcher tel
universitaire, mais aussi tel couillon patenté, de répandre sa bonne parole sur
les ondes ou devant les caméras ?
Méfiez-vous donc : aujourd’hui,
la plupart du temps, les curés ne sont plus là où on les attend…
* Deux exemples :
– On n’a pas le droit de célébrer
un mariage à l’église si le couple n’est pas passé d’abord devant le
maire ; autrement dit, si vous voulez vivre en union libre, légalement
vous n’avez pas accès à une bénédiction.
– Une association cultuelle,
bien que propriétaire de son lieu de culte, n’a pas le droit de le louer
elle-même pour d’autres activités, par exemple à des promoteurs d’actions
culturelles.
Le pessimisme
28 décembre 2009
J’aurais pu écrire plutôt la
dépression. Que la France se paie une dépression collective. Je ne l’invente
pas, cela a été dit, écrit, par plus savants que moi. Doctement.
Ce qui fait que cela devient un trait
de l’identité nationale, c’est que les autres, tout aussi atteints que les
Français par des crises, des malheurs, des craintes, des incertitudes… ne
semblent pas souffrir de la même morosité. Loin de là.
Et encore, en écrivant ce qui précède,
je ne pensais qu’à des semblables, aux Allemands, aux Anglais, aux Italiens,
aux… Mais la chose apparaîtrait plus encore, cette habitude de sembler systémiquement
abattu, si nous la comparions au comportement de ceux qui ont toutes les
raisons de l’être, et mille fois plus.
Ainsi, c’est bien connu, si vous
voulez rencontrer des gens qui rient, qui rient fort, qui rient très fort,
allez en Afrique noire, là où les gens peuvent vraiment s’inquiéter pour leur
avenir. La gaîté de ces gens ! La santé morale de ces gens-là !
Bien sûr qu’il leur arrive aussi de
pleurer, de crier, de se lamenter : ils ont toutes les raisons objectives
de le faire, non ?
Les Français pas vraiment, pas tous en
tout cas, loin de là.
Les champions de la consommation de
calmants, sous toutes les formes de calmants que l’industrie pharmaceutique
puisse inventer comme calmants : les Français. Je n’essaie même pas de les
nommer, ces calmants, d’en définir les nombreuses catégories, je n’écris pas
une ordonnance. Inutile, tout le monde en a dans sa pharmacie personnelle. Tout
le monde, d’ailleurs, a une pharmacie personnelle. Du moins dans ce pays. Y
compris les immigrés, j’en suis certain. Ceux qui viennent d’arriver ?
Déjà contaminés.
Les champions de l’autodénigrement, de
l’incapacité nationale à penser pouvoir s’en tirer, de la certitude affichée
que les choses vont mal tourner, qu’il va pleuvoir le matin du 14-juillet,
qu’il n’y aura pas de neige à Noël, en tout cas pas en montagne, tant pis pour
les skieurs, que l’année sera mauvaise pour le beaujolais, que les impôts vont
augmenter et les salaires stagner, voire baisser, que le climat se détériore
tellement qu’il ne pleuvra bientôt plus en Normandie, que…
C’est un plaisir collectif, un sport,
c’est un jeu amer, juste un peu pervers, pour dire que quand même, quel courage
il faut pour être Français, et comme c’est admirable de ne pas caler, de
refuser d’être comme les autres, bêtement positifs, lourdement pragmatiques. Et
comme c’est plaisant de râler et d’avoir raison de le faire aux yeux de ses
voisins. C’est le théâtre national.
Car tenez, moi-même j’en ai
marre ! C’est bien avec raison que tout cela s’expérimente, non ?
C’est triste à dire. Ça fout le
bourdon. Ça file le noir. Tout fout le camp. Pauvre France. Tiens, rien que d’y
penser, je sens que je vais craquer. Tant pis, je vais me prendre un cachet.
Un calmant.
La Marseillaise
14 décembre 2009
À la maison, il y a deux écoles à
propos de la Marseillaise : celle du foute et celle du 14-juillet, pour le
dire vite. Ce doit être assez courant. Ailleurs, on pourrait en ajouter une
troisième, d’école, celle du cocorico.
Il y a eu des empoignades avec les
amis, à ce sujet – bon d’accord, c’était vers la fin de repas bien arrosés et
les empoignades sont restées verbales –, ce qui prouve que la question n’est
pas sans importance.
L’école du cocorico – je commence par
elle parce qu’elle ne m’intéresse pas trop – c’est quand on chante la
Marseillaise en bombant le torse, la lippe dédaigneuse à l’égard de ceux qui
n’ont pas de raison de chanter la Marseillaise vu qu’ils ont, les pauvres, un
autre hymne à leur disposition, genre God
Save The Queen ou Deutschland
über alles, ou encore la Brabançonne – simples exemples.
Des étrangers, des autres, des
pas-comme-nous.
Des qui n’ont pas jusqu’à des trois
cents fromages à leur actif. C’est dire !
Qui n’ont pas eu, tenez, un empire
colonial (sauf la perfide Albion), ou même, qui ont fait partie de notre empire
colonial… Dans ce dernier cas, la plupart du temps basanés voire carrément
noirs.
C’est une chance, cette école-là n’est
pas représentée à la maison, et ceux de ses tenants qui passent par chez nous
doivent le savoir, car en général ils évitent le sujet.
J’intègre dans cette catégorie des
tenants du cocorico ceux qui chantent la Marseillaise à la fin d’une réunion
politique, comme si être de leur parti, c’était être plus français que les
autres. Il y a des jours de gloire dont on
pourrait se passer…
L’école du foute, elle, a le mérite,
pour le moins, de faire penser aux paroles. De pousser à s’interroger à leur
sujet. Pourquoi le foute, me demandera-t-on, pourquoi pas le rubby (oui, je sais, mais que voulez-vous, ça se prononce
comme ça chez les rubbystes) ou tout autre
sport ? C’est juste que le foute a plus de
supporteurs.
On le sait, avant chaque partie de
foute mettant en lice des équipes de nationalités différentes, on chante les
deux hymnes nationaux.
Prenons les Allemands, on leur passe Deutschland über alles et les braves joueurs teutons chantent avec.
Normal : Deutschland über alles signifie dans leur
langue L’Allemagne au-dessus de tout, et là, c’est justement leur but de
le prouver en ce qui concerne le foute, autrement ce ne serait plus une
compétition sportive dans laquelle il s’agit de gagner. Noter que les Allemands
ont changé certaines paroles de leur hymne depuis que les nazis les avaient
souillées. Bref, en l’occurrence les Allemands sont pardonnables.
Prenons maintenant les Anglais :
franchement, qui, étant croyant, ne désirerait pas que Dieu sauve la reine
d’Angleterre en cas de malheur ? Même nous, les grenouilles, nous
pourrions chanter par amitié God Save The Queen (si ce n’était qu’en général les Français ne
croient pas trop en Dieu), il n’y a que les Anglais pour ne pas s’en rendre
compte.
Passons maintenant aux Français :
et là, n’est-il pas un peu ridicule de présenter l’équipe adverse comme ces
féroces soldats qui viennent jusque dans nos bras égorger nos fils, nos
compagnes ? Et prétendre qu’ils mugissaient alors qu’ils chantaient
benoîtement leur hymne à eux ? C’est pas poli non plus de parler de sang
impur en les regardant, et c’est franchement méchant de souhaiter qu’au cours
du match, ce fameux sang abreuve nos sillons (d’ailleurs, la pelouse de stades
est rarement rayée de sillons)… Non, il y a de quoi pleurer de honte : aux
larmes, citoyens !
Nous devrions donc faire comme les
Allemands : procéder à quelques modifications, par exemple ajouter aux
nombreuses strophes de notre hymne une strophe amicalement sportive, qui
célébrerait le beau jeu et la noble performance à venir des compétiteurs.
Reste l’école du 14-juillet. Et là, le
problème, c’est que cet hymne n’est plus l’hymne national de la France, État
européen de moyenne importance, mais l’un des hymnes universels des amants de
la liberté et de la justice, où qu’ils soient, quels qu’ils soient.
C’est l’hymne qui évoque la Fête de la
Fédération (14 juillet 1790). Il évoque à la fois ce 14 juillet 1789 au cours
duquel des hommes aux mains calleuses ont défait la prison la plus symbolique
qui soit, dénonçant et menaçant ainsi les tyrans où qu’ils soient, mais il
célèbre aussi l’union de peuples divers décidés à fonder ensemble une nation.
Une nation qui, où qu’elle soit, promulguerait des lois justes, libératrices,
fraternelles et égalitaires.
Oui je sais, ça fait pompier. Mais
parlez-en aux Tchétchènes, aux Birmans, aux Nord-Coréens…
C’est pourquoi, puisqu’il s’agit d’un
hymne à la portée universelle, je propose, soit que nous l’abandonnions en tant
qu’hymne national, soit que la nation française reprenne réellement à son
compte les valeurs qu’il représente…
Peuple français, encore un
effort !
Les fromages
7 décembre 2009
Certes, parler des innombrables sortes
de fromages français à propos de l’identité nationale pourrait paraître manquer
de sérieux. Voire manquer de respect (j’ai écrit voire et non voire
même, comme on dit souvent à tort, car voire signifie et même,
si bien que voire même signifierait et même même,
ce que je n’avais pas dans l’idée d’écrire).
J’en parle quand même (des
fromages) !
Car c’est bien connu, s’il existe un
élément de l’identité nationale qui peut sauter aux yeux de tout observateur
étranger qui voudrait vraiment comprendre la France, c’est bien la diversité de
celle-ci. Et les fromages ne sont qu’un des indices de cette diversité,
inscrite jusque dans les particularités du canton le plus reculé (on dit
volontiers qu’un canton éloigné de la capitale est reculé, c’est une façon de
dire que la capitale est avancée… ce qui n’est guère flatteur quand on parle de
fromages).
Il fut un temps où j’étais, de mon
état, animateur culturel, et à ce titre, j’ai eu alors à accompagner des
groupes d’étudiants étrangers et à leur présenter notre pays. Je parle donc ici
en professionnel patenté. Et ce qui me frappait toujours, c’était les clichés
mensongers dont l’esprit de ces jeunes gens et jeunes filles étaient farcis à
propos de la France : par exemple, un pays centralisé et par conséquent
nivelé, uniformisé.
Là est l’erreur, car la centralisation
française a justement pour cause l’extrême diversité des peuples français.
C’est cette diversité que les rois ou les empereurs, et finalement la
République, se sont donné comme but de réduire. Ils y sont parvenus en bien des
domaines, mais pas dans le domaine des fromages !
Des fromages, de la façon de les
manger, et de bien d’autres manières d’être et de vivre ensemble.
Car qui dit fromage différent dit
aussi paysage différent, élevage différent, façon différente d’en parler,
boisson accompagnatrice différente, modeste savoir vivre différent qui donne
tant de prix à la vie avoisinante.
Ce sont choses que les barbares du
Nord qui sont nos compatriotes européens ont la plus grande peine à comprendre,
eux qui mettent une vaine pasteurisation au-dessus de tout cela. Et pas
seulement côté fromages. Il va falloir qu’ils comprennent à quel point le
nivellement, produit par la toute puissance du marché supposé libre, est bien
plus grave, à terme, que celui qu’a produit chez nous en bien des domaines un
jacobinisme bientôt caduc. Grave pour eux aussi, en leurs terroirs à eux. En
leurs sociétés comme dans les nôtres.
Les fromages, donc. Et avec eux, les
multiples différences qui font une société véritable. Un peuple réel.
Et dès que trois immigrés venus d’un
même pays se rencontrent ici, ils vont tenter de reproduire ce processus-là de
différenciation en se créant, serait-ce au sein d’une grise cité de béton, leur
terroir bien à eux, en quoi, tout persuadés qu’ils sont de se relier ainsi au
pays d’où ils viennent, ils sont bien déjà sur le chemin qui mène à la
francisation…
Car elle, à tout prendre, elle n’est
jamais achevée.
L’immigration
30 novembre 2009
C’est bien connu, l’immigration fait
partie de l’identité française. À l’époque où les Grecs fondaient Marseille,
les Gaulois étaient déjà des immigrants, je le rappelle, et je ne parlerai pas des
Romains, issus d’ailleurs, pour ceux qui s’installèrent en Gaule, de peuples
fort divers colonisés par l’Empire. Je ne parlerai pas non plus des Germains
aux nombreuses tribus, ni des Huns, des Vikings, des Sarrasins, des
Barbaresques, des Anglais, des Juifs, des innombrables Africains déportés et
vendus à nos planteurs, des Toscans et autres Piémontais, des Suisses, des
Wallons et des Flamands, des Allemands, des Polonais, des Arméniens, des
Russes, des Roumains, des Italiens, des Espagnols, des Portugais, même des
Noirs américains, des…
Mais, quand même, plutôt blancs, ou
chrétiens, et les deux pour la plupart.
Je le sais, moi qui descend, à ce
qu’on m’a dit, de Vikings, de Huns, de Hollandais, de Belges, de Piémontais et,
semble-t-il, de diverses populations rhénanes, bref, de Français moyens.
Tous les historiens et démographes le
disent : la France est faite de ce salmigondis, de cette salade niçoise,
de cette macédoine d’origines ; côté génétique, c’est du très compliqué.
L’identité, ce ne sont donc pas les
origines. Premier point.
En revanche, les coutumes, les mœurs,
les croyances, etc., cela compte.
Vous pouvez dire ce que vous voulez,
tant que chaque village, ou chaque quartier de ville, se groupait autour de son
église, de son école et de son bistrot, l’immigration ne posait que des
questions de durée du processus d’intégration. L’autre vraiment autre avait sa
place, certes, mais il se tenait sur la réserve en ce qui concerne ses
habitudes à lui, qui restaient de l’ordre du privé.
C’était bien ou c’était mal, mais
c’était ainsi, et cela permettait que l’on n’ait pas à trop se poser cette
question de l’identité nationale.
Ce qui s’est passé ensuite, à mon
idée, c’est la rencontre de trois circonstances :
D’une part, l’installation durable de
larges populations au teint sombre, du jaune au noir en passant par le bistre,
et aux coutumes, et surtout aux cultes, parfois dérangeants par leurs exigences
de visibilité.
D’autre part, les nombreux changements
sociaux, culturels, qui ont fait disparaître de la scène publique l’église,
l’école, le bistrot comme lieux de véritable pertinence identitaire.
Enfin, l’insertion du pays dans un
vaste mouvement qui chamboule les échelles de valeur dans tous les
domaines : intégration européenne, mondialisation, communication tout
azimut.
Nivellement.
C’est un aspect des choses mais il y
en a d’autres, liés à une importante perte de prestige, à ses yeux comme aux
yeux des autres, du Pays des Droits de l’Homme, de la Grande Nation, de cette
France, mère des arts, des armes et des lois dont parlait le poète.
Eh bien, si vous étiez un immigré,
cela, vous le sauriez, vous le sentiriez.
Mais au bout du compte, ce qui fait
question, pour moi, c’est le rapport entre la durée du temps nécessaire à
l’intégration et ces deux facteurs : le nombre d’immigrants et la variété
de leurs cultures. Beaucoup d’immigrants d’une même famille culturelle, et le
temps d’intégration sera long, qu’il s’agisse de leur aptitude à s’intégrer ou
de l’aptitude des populations locales à les intégrer. En revanche, un mélange
fort divers de populations immigrées permet une assimilation plus rapide. C’est
du moins mon expérience.
Mais le point commun, c’est qu’il y a
toujours intégration, en douceur ou dans la douleur, lentement ou rapidement,
parce que personne n’a le choix.
Le bas de laine
23 novembre 2009
Ah bien sûr, on n’en est plus à
l’époque (quoique…) de la lessiveuse enterrée au fond du jardin, pleine de billets
ou même garnie de napoléons ou de louis d’or, mais enfin, s’il y a une
constante de l’identité des Français, c’est bien le soin apporté à faire des
économies !
Loin d’eux* cette propension à
s’endetter comme des fous, comme des anglo-saxons veux-je dire, au risque de se
retrouver avec des avoirs toxiques, les malheureux, en lieu et place du matelas
chéri sur lequel se reposer tranquillos pour en cas de malheur !
On n’a pas traversé la conquête
romaine, les invasions barbares, la guerre de cent ans, les guerres de
religion, les Barbaresques, la Révolution, l’épopée (qu’ils disent)
napoléonienne, Sedan, la Grande Guerre, l’affaire Stavisky, l’Occupation, Mai
68, l’affaire des subprimes,
Sarkozy, et j’en passe, sans avoir appris à se prémunir…
À eux, éternels constipés du
morlingue, reviennent les biftons munis d’élastique, les partages façon
écureuil, les boutons de culotte à la messe, les crapauds endeuillés, les
liquidités astringentes, les valises pleines direction Léman.
Ma cassette, ma cassette !
Les économistes patentés croient tout
savoir à ce sujet, mais s’ils pensent pouvoir se faire une idée du chiffre
cumulé des pelotes françaises, fillettes, fillettes, oh ce qu’ils se
gourent…
Tenez, mon grand-père, cette crème
d’homme, il donnait toute sa paye à sa femme (ma grand’mère, pour ceux qui ne
suivent pas)… Toute ? Pas tout à fait toute quand même, il se gardait pour
lui un tout petit billet bien planqué dans le ruban de sa casquette genre
marinier (partie de son habillement qui échappait à la lessive et à la brosse),
pas pour escroquer, le pauvre, mais juste pour dire. Pour le fun.
Ma casquette, ma casquette, donc… Sous
laquelle nombre de savants calculs se multiplient.
C’est pourquoi refiler des sous à la
Bourse représente la tentation suprême, à laquelle il vaut mieux résister
à moins de disposer d’une martingale cent pour cent certifiée.
Non, mes sous, c’est sacré, et comme
tel, c’est de l’ordre du mystère.
Si mes lecteurs trouvent que
j’exagère, que chacun d’entre eux se demande quand il a parlé de ses revenus à
son voisin.
* Je rappelle qu’après ma phase
apatride, je me suis déclaré récemment citoyen exclusivement européen.
L’école
18 novembre 2009
Pour être sérieux, ce qui peut faire –
au sens de construire, de créer, voire d’inventer – l’identité de la nation
française, ce ne peut être que l’école.
À condition d’être républicaine…
Et déjà l’on voit que tous les termes
employés, dans cet exercice, sont à définir ! Misère, comment est-il
possible que cela ne soit pas souligné d’habitude ?
Nation, République, ce ne sont pas
seulement ces places parisiennes dont le nom a perdu sa signification pour bien
des gens, tout comme, par exemple, on appelle quelqu’un Pierre sans faire du
tout le lien avec une simple pierre.
Et ce mot : identité ? Bien
sûr, lui aussi demande à être défini. Chaque fois que l’on assène à un vain
peuple de ces grands mots dont on tait le sens précis qu’on leur confère, on
fait errer les gens. À dessein, pas même : on se trompe soi le premier.
Mais aujourd’hui je me contente de
l’école, c’est déjà un morceau, supposant par hypothèse qu’il s’agit de l’école
de la République.
Ou plutôt : ayant en vue une
école qui serait celle de la République, laquelle prendrait d’ailleurs un sens,
en fonction de ce que serait justement cette école !
Pourquoi d’abord l’école ?
Parce que l’on constate l’extrême
diversité de la nation française et que l’école, obligatoire, nationale et
laïque, réunirait l’ensemble des futurs citoyens (encore un mot…).
Cette grande diversité n’est pas
seulement ethnique, linguistique ou religieuse, elle est aussi et a toujours
été, bien sûr, intellectuelle, culturelle, sociale, économique, politique.
Plus j’y réfléchis, plus je me dis que
les écoles dites libres – à fric, familiales ou confessionnelles –, c’est le
bon moyen pour casser la République. L’école à la carte, c’est l’enfance de la
citoyenneté à la carte. Mais bon… on n’est pas rendu !
À partir de là, l’école doit être
capable d’accueillir le môme des cathos, des juifs ou des musulmans sans
problème pour ces gens-là, du moins dans la mesure où eux-mêmes sont capables
de se reconnaître, ou citoyens, ou invités polis, sachant qu’ils n’ont que ce
choix.
Cela demanderait à l’école beaucoup
plus d’inventivité, et, en certains endroits du territoire de la République,
beaucoup plus de présence citoyenne, qu’elle n’en présente aujourd’hui.
Inventivité, que l’on encouragerait à
tous les niveaux, sachant que la vraie démocratie, c’est quand chacun est
autorisé à inventer à condition d’accepter l’évaluation collective a posteriori
de ses inventions (et ça, c’est un sacré frein au déconnage).
Inventivité sur la conception du
métier d’enseignant, sur les programmes, sur le rôle de la classe et ses
rapports avec des parcours d’apprentissage ciblés, sur l’adéquation, envisagée
par rapport au type de population localement considérée, des moyens mis à
disposition mais aussi de la pédagogie, inventivité sur un tas d’autres choses
encore.
Exemple : comment enseigner un
enfant de parents étrangers analphabètes autrement qu’on le ferait pour les
petits-enfants de Michel Rocard (faute de quoi le môme serait perdant par
construction), tout en lui permettant néanmoins de s’intégrer positivement dans
une classe qui le socialiserait déjà au sein de la nation ?
Mais j’arrête, c’est de l’utopie, bien
sûr – le genre de buts qu’on devrait juste s’appliquer à rendre possibles…
La jugeote
11 novembre 2009
Si je demande à un ami anglais ce qui
caractérise la nation française, et ceci de façon spécifique, il ne va pas me
répondre aussi clairement que cela, mais il me fera comprendre à sa façon que,
selon lui, et selon ceux de sa nation, ce n’est d’abord, ni la fameuse devise
Liberté-Égalité-Fraternité, ni les Droits de l’être humain, ni rien de ce qui
ressemble à ces principes, car bien d’autres peuples les mettraient eux aussi
en avant, mais sans se les attribuer avec autant de gloriole.
Non, ce qui serait à même de
distinguer un Français d’un autre représentant de l’espèce humaine, c’est sa
propension à avoir raison. De préférence contre les autres. Qui ont tendance à
avoir tort, du moins selon le Français, et du moins tel que ce dernier est
considéré par n’importe quel être humain non-français…
C’est une chose bien connue des
Britanniques, des Belges, des Néerlandais, des Italiens, des Suisses, des
Espagnols, des Portugais, etc. Même des Luxembourgeois. Quant aux Allemands,
ils savent cela eux aussi, bien sûr, et ils préciseraient volontiers – les
Allemands aiment la précision – que le Français se croit plus malin que les
autres.
Il arrive parfois, et par chance, que
le Français ait raison et que les autres aient tort, reconnaîtrait mon ami
anglais – il peut arriver même aux Anglais d’être fair
play – car cela résulte d’une évidence
statistique. Il arrive aussi qu’il ait tort. Mais qu’il ait tort ou raison, du
moins aux yeux de ceux qui l’entourent, ce n’est pas le point important, le
Français se souciant fort peu de l’impression qu’il donne aux autres.
Car le Français se fie avant tout à sa
jugeote, il a du pif, lui, en plus de disposer des meilleurs experts, formés
dans ses grandes écoles d’excellence, et qui ne se trompent que lorsque les
choses ne veulent pas, par malice, correspondre à leurs expertes expertises.
Dirait un Anglais.
Et franchement, franchement, comment
ne pas voir là la preuve éclatante de la mauvaise foi innée des Anglais ?!
Dirait un Français.*
Mais peut-être qu’au fond, ce qui
cause cette propension des Français, c’est qu’ils adorent se disputer entre eux,
parler plus fort que l’autre, s’engueuler sans pour autant se fâcher à mort
(car autrement, comment pourraient-ils recommencer ?), et ceci de
préférence attroupés le long d’un zinc…
C’est pourquoi, le jour où un étranger
installé dans le pays se met à hausser le ton, à traiter son voisin de mou du
ciboulot ou de lambin de la comprenette, c’est qu’il a adopté l’identité
nationale française. Sans reste.
* Je rappelle que je me suis déclaré apatride depuis
quelques semaines et pour au moins deux ans et demie,
compte tenu d’une
certaine politique française contraire, à mes yeux, à la véritable identité
nationale française.
Le drapeau
4 novembre 2009
Je commence par le drapeau parce que
c’est la première chose qui fait reconnaître à un étranger que le bateau qu’il
voit passer est français.
On le sait, ce drapeau est
bleu-blanc-rouge.
Mais ça, ça ne dit rien en soi, il
faut interpréter, et il y a divers moyens de le faire. En voici deux :
Quand il pend à une hampe inclinée, au
fronton de quelque édifice public, on peut dire de lui qu’en bas il est de la
couleur du sang, qu’en haut il évoque la couleur du ciel, et qu’au milieu, il
semble une page blanche sur laquelle on écrira l’histoire.
Pas mal, hein ? C’est mon côté
Victor Hugo. Gloires et misères, malheurs sans nom et puissante espérance,
ouverture sur un avenir à faire ensemble…
Tout cela, peut-on vraiment le dire de
lui ?
Mais si l’on se souvient de son
origine, on rappellera qu’il se compose en fait des couleurs du blason de la
Ville de Paris et de celle du roi de France.
Et ça, c’est déjà toute une histoire,
avec un sens : centralisme parisien et autorité supérieure de l’État…
C’est un drapeau qui dit Je ne veux
voir qu’une seule tête – une tête, par exemple, qui ne parlerait qu’une
seule langue, ou que l’on administrerait partout de façon uniforme.
Doit-il le dire encore ?
Et je me souviens de ceci : c’est
un drapeau que l’on a brandi face aux tyrans, afin qu’ils descendent au
cercueil, comme l’annonçaient, vraiment par ailleurs, le prophète Ésaïe ou saint Luc*. À l’époque, ce drapeau était encore
tout mal foutu, avec le bleu et le rouge dans les coins, genre as de pique.
Et c’est aussi un drapeau que l’on a
imposé, en tyran, à un tas de peuples qui n’en pouvaient mais, qui n’en voulaient
pas vraiment, et qui en ont bavé, à cause de lui…
Et aussi un drapeau que des masses de
pauvres types, comme mes deux grands-pères, ont suivi
jusqu’à la rencontre de la baïonnette ou du shrapnel des pauvres types d’en
face, les casques à pointe, les têtes carrées, les fridolins, les alboches,
enfin ce putain d’ennemi héréditaire.
Et aussi un drapeau qui a fleuri d’un
coup à toutes les fenêtres lorsque le nazi a foutu le camp en laissant son
casque rouler dans les orties, j’en ai trouvé plus d’un, étant môme, à la
campagne, déjà rouillés.
Et aussi un drapeau qui est comme tous
les drapeaux, qui parlent de frontières, de murs, de barbelés, de frères
humains qui sont des étrangers, des dangereux, des partageux, des mal blanchis…
Et aussi un drapeau qui disait, sur
toute la terre, à un tas de peuples, qu’on a raison de se révolter contre ceux
qui vous écrasent et vous humilient, et qu’il existe un droit, et que la
liberté doit guider leurs pas ! Un drapeau, aussi, qui a accompagné, chez
nous, la suppression de l’esclavage.
On aurait pu, le poing levé, le
remplacer par un drapeau rouge, mais il parlait mieux de liberté ; ou par
un drapeau noir, le cher Jupon de la Louise, mais celui-là flottait trop sur la
marmite…
J’en oublie, c’est sûr, ajoutez vos souvenirs
et vos espoirs. C’était juste pour dire que ce drapeau, on en a fait de tout,
on peut en faire ce que l’on veut, ou plutôt ce que l’on doit, à condition de
ne rien oublier de son histoire.
Et puis ce drapeau aux trois couleurs,
on le voit maintenant se mêler à vingt-six autres, et demain plus encore. Il ne
dépare pas l’ensemble, certes, mais quand donc viendra, plutôt, le grand lever
de ce drapeau bleu nuit au cercle brillant d’étoiles ?
* Ésaïe
13,11 et Luc 1,52.