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Un point de vue sur quelques conceptions bibliques est
proposé ici à ce propos,
entre autres à partir des termes
présents dans ce verset :
Toi, l’être humain, tu aimeras le
Seigneur ton Dieu
de tout ton cœur, et de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force…
(Deutéronome, chapitre 6, verset 5)
On parvient directement au texte choisi
en cliquant sur la ligne
correspondante :
2 – La chair... quelle
histoire !
4 – Souffle de
l’esprit, rythme de Dieu
1
d’ÂME ?
Il est douteux que les Écritures bibliques
aient connu ce que nous, nous appelons l’âme. Tout traducteur de la Bible
hébraïque, en effet, se trouve devant l’impossibilité de traduire
correctement le mot hébreu nèfèch. Faute de mieux, on emploie souvent le mot âme, mais
on risque de créer une confusion grosse de dangers spirituels.
C’est que le mot âme désigne plutôt pour nous un principe immatériel et éternel qui habiterait dans un corps matériel et périssable. Il n’en est rien pour le terme hébreu, et c’est à la suite d’une longue histoire, sous l’influence de courants de pensée venus d’ailleurs, que le christianisme a pu se tourner vers une représentation dualiste : pureté immatérielle de l’âme mise en danger de pécher à cause de la grossière impureté de la matière…
Pour l’Ancien Testament, on n'a pas une âme, on
est une âme, un nèfèch… et bien d'autres choses
encore, qui constituent le tout indissociable de tel être et de nul autre. La
langue hébraïque, d'ailleurs, utilise souvent ce même terme comme pronom
personnel : mon nèfèch,
c'est "moi-même". Le nèfèch est en effet le lieu des sensations et des affects,
ainsi que des mouvements qui leur sont associés. Il est en cause dès que
s'expriment par exemple l'angoisse ou l'exultation : En moi, mon âme s'est affaissée, ô mon Dieu, c'est pourquoi je
t'invoque – Mon âme tremble de joie à
cause de mon Dieu.
Il y a là une volonté obstinée de considérer
l'être humain dans son unité, au-delà de la diversité de ses manifestations, et
cela a pour moteur et pour visée de faire de lui un "vis-à-vis", un
être relationnel unique dont le partenaire est le Seigneur-Dieu. Ainsi, quand
il est écrit : Tu aimeras le Seigneur ton
Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force, il s’agit
d’envisager la même personne de trois manières : du côté du discernement
(c’est la fonction du cœur, en hébreu), de la sensation vécue (l’âme), de
l’énergie vitale (la force)… Mais c’est du même être mortel qu’il s’agit,
appelé à un face-à-face positif avec le Dieu unique.
Le Nouveau Testament est lui aussi attaché à l'unicité
de la personne humaine. L'âme y est une des manifestations de la personne,
celle qui la montre vivante, douée d'une volonté propre et d'une conscience de
soi. Et la vie qui est en elle lui vient, non d'elle-même, mais de la volonté
particulière de son créateur. Née un jour, non du néant mais de simples
éléments épars dans la création, et ceci par un acte créateur intentionnel, la
personne elle-même, l'âme, retourne donc à l'épars et à l’indifférencié –
"à la poussière" – au moment de sa mort, et disparaît en tant
que telle. Il n'y a pas plus d'immortalité de l'âme dans le Nouveau Testament
que dans l’Ancien. En revanche, le Père céleste tient tant aux humains, qu'il
désire faire de chacun d’eux les invités d’une création nouvelle. Dans cette
vie retrouvée, rien de leur mémoire ne sera ôté, même si leur "soi"
devra se manifester sous d'autres modalités. Ils entreront dans une nouvelle
histoire.
C'est ce qu'on constate dans les récits
évangéliques où apparaît le Christ ressuscité, à la fois parfaitement lui-même
et cependant tout autre : libre à l'égard de l'espace et du temps, suprêmement
vivant, d'une vie qu'on n'a su exprimer dans nos termes que par ces mots :
"la vie éternelle".
2
quelle histoire !
Selon les Écritures, il n'y a pas dans
l’humain de nature charnelle impure qui s’opposerait à telle entité plus
éthérée, récupérable après le désastre final de la chair. Le terme chair
y a un tout autre sens, comme on peut le voir chez saint Paul, par exemple. On
peut en effet trouver l'amorce d'une définition biblique de ce terme dans les
versets suivants : Moi aussi, cependant, j’aurais sujet de mettre ma
confiance en la chair. Si quelque autre croit pouvoir se confier en la chair,
je le puis bien davantage, moi, circoncis le huitième jour, de la descendance
d'Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu né d'Hébreux... (Épître aux Philippiens 3,4-5). C'est que le mot chair
est avant tout, dans les Écritures, le terme qui désigne l'être humain à la
fois dans son histoire et dans l'histoire qui a fait de lui ce qu'il est.
Nous dirions donc
aujourd’hui que la "chair" est faite du passé de toute l’espèce
humaine depuis ses premiers temps, et depuis bien avant, sans doute. Depuis le
premier "bang", et jusque dans les tribulations de nos
ascendants les plus proches. Et bien sûr jusque dans nos affects. Elle est faite de toutes nos solidarités.
Depuis les plus concrètes, comme nos liens avec l’eau ou le calcium dont notre
corps est fait... jusqu’aux plus impalpables, comme ces impressions fugitives
qui nous habitent. Elle est ainsi le lieu du souvenir, sous toutes ses formes.
Elle n’oublie jamais, recouvrirait-elle parfois la mémoire d’un voile
miséricordieux. Afin que l’histoire et la vie continuent malgré tout.
Les Écritures ignorent ce mépris de la chair
qui colle aux basques de la Chrétienté : elles font d'elle l'enjeu d'un drame
cosmique, histoire de vie, de mort et de salut. Une des pires déviations de
leur enseignement a été de faire de la chair le lieu originel du péché et, pire
encore, de cantonner ce dernier dans la sexualité : le péché de chair... Que de
malheurs publics ou intimes sont nés de cette erreur ! Cela aurait surpris le
prophète Ézéchiel, entre autres, qui promettait aux élus de Dieu un cœur de
chair ! Ce que l’on peut comprendre ainsi, de façon bien trop
pédante : "un juste discernement quant à l’ensemble de leurs liens
relationnels" !
Rappelons d’ailleurs au passage que le récit
biblique de la Genèse qui évoque la chute originelle se rapporte, non à la
sexualité, mais à une radicale rupture d’alliance entre les humains et leur
Seigneur. La chair est une histoire, et c’est pourquoi elle n’est pas affaire
d’individus : elle est toujours une histoire partagée. On peut donc
comprendre ainsi, par exemple, ce bon vieux texte de nos liturgies de mariage,
adapté du même récit biblique, Ils seront une seule chair : il s’agit
d’une histoire commune qui commence, faite de tout ce qui unit deux mortels,
depuis les plaisirs du lit jusqu'à la vieillesse partagée, en passant par les
joies et les soucis de toute la vie, travaux et enfantements, engagements, le
tout inscrit dans une durée.
Dans la chair, il y a de l'amour, de
l'amitié, de la solidarité, de la fidélité, de la fraternité, mais on y trouve
aussi bien de l'orgueil, de l'envie, de la haine, de la violence, de la guerre.
Du bon et du mauvais, l’un et l’autre marqués du même sceau : la mort, cet
ennemi venu de nuit combattre la création du Dieu vivant.
Alors, dans ce fruit de la chair, qu'il soit
doux ou amer, se tapit le ver que l'on appelle péché : rien d’autre, au
fond, que la mort qui érode et gâte par avance tout ce qui vit. La chair –
l'histoire – avance et perdure, qu'elle rie ou qu'elle pleure, mais le temps,
au coup par coup, joue en faveur de la mort. Alors, qui nous délivrera de ce
corps de mort ?
Or, selon les Écritures, la Parole première,
créatrice de toute chose, devient chair. On comprend cela comme perte,
abaissement, kénose. Mais voyons aussi comme la chair, l'histoire des
humains et de leur monde, en devient glorieuse, au moins en espérance, et comme
on trouve ici l'annonce de cette autre chair, de cette même chair devenue
autre, celle que l'on dit ressuscitée.
3
ouvert
Après avoir chanté, les
anges avaient quitté la crèche pour regagner le ciel. Les bergers étaient venus
voir l’enfant et s’en retournaient dans les terres pour tout raconter. Joseph
était sans doute occupé à régler la présentation du petit au Temple. Pendant ce
temps, écrit Luc, Marie conservait toutes ces choses, les rassemblant dans
son cœur.
En clair, elle réfléchissait
à tout cela, cherchant à en démêler et retenir le sens profond. C’est à cela
que sert le cœur dans les Écritures. Il est intéressant de voir à quel point
cet organe joue un rôle si différent selon les diverses cultures. Il fut chez
nous l’image du courage et de l’honneur : Rodrigue, as-tu du
cœur ? ; il est aujourd’hui celle de la
bonté et de la bienfaisance : Vous n’avez pas le monopole du
cœur ! ; ou encore et surtout, il est le
lieu des affects : Mon cœur, pourquoi pleures-tu ? ;
il est, enfin, le lieu des affections : Comment
ça va, mon p’tit cœur ?
Mais dans les Écritures, le
cœur est considéré comme le centre profond de la personne, où celle-ci
rassemble en pensée tous les éléments de son expérience, dans le but de
discerner leur sens et, en conséquence, de se décider à agir de telle ou telle
manière. Quand on trouve écrit en hébreu biblique que quelqu’un dit en son
cœur, cela signifie simplement qu’il pense, le plus souvent au sens où
cette pensée va l’amener à se comporter d’une certaine façon. Ce qui fait que
ce n’est pas tant l’affectif qui agite le cœur des personnages de la Bible,
mais leur intelligence. L’intelligence de la sagesse plutôt que celle du pur
mental : une capacité de discernement et de décision, de volonté.
Marie, donc, chez Luc,
rassemble en son cœur toutes les choses qui ont été dites : ta rhèmata. Il s’agit des événements, des paroles, et de
leur sens : depuis l’annonciation et la réponse qu’elle-même lui a donnée,
jusqu’à cette révélation faite aux bergers, en passant par ce qui lui est
arrivé lors de sa visite à Élisabeth, par son accouchement en une ville où l’on
disait que le messie naîtrait, mais en un lieu distinct des habitations
humaines, enfin par la grandiose irruption des armées célestes chantant la
gloire de Dieu…
Avouons qu’il y a de quoi
consacrer du temps, dans le silence intérieur, à remettre tout cela en ordre, à
bien tout répertorier, à tout ranger pour ne rien oublier d’important, à relier
toutes ces choses à tout un arrière-fond de récits anciens et de prophéties, à
cette longue attente de tout un peuple, et à se demander alors ce que tout cela
signifie pour plus tard. En pratique. Pour ce petit qui dort sur la paille de
sa crèche.
Voilà donc le cœur de Marie
qui reçoit et intègre la Parole vivante en sa propre vie. Et Marie, on le
suppose, on l’espère, deviendra cette bonne terre dont parlera son fils en une
célèbre parabole. Dans son accompagnement de mère à l’égard de ce petit qui va
grandir, agira-t-elle en sorte que, de cette semaison
inouïe, de bons fruits
innombrables sortent ? C’est l’enjeu. Car c’est du bon du cœur que sortent
les bonnes actions. Elle y pense.
Attention, donc : les
recommandations venues de Dieu sont, dans la Bible, beaucoup moins
sentimentales qu’on ne le croit souvent. Lorsqu’il est recommandé de pardonner
de tout son cœur, par exemple, il s’agit du résultat d’une décision mûrement
intériorisée, voulue parce que pensée, réfléchie. De même lorsqu’il s’agit
d’aimer Dieu de tout son cœur. Ou le prochain. Ce sont des comportements
d’adultes responsables, conscients, dus à un juste discernement des esprits.
Car c’est le cœur de l’être humain qui, selon
les Écritures, va recevoir l’Esprit – ou non – et pourra en décliner l’énergie
en dires et en actes pertinents et opportuns. Ou non. Paul l’écrit à satiété,
le cœur est foncièrement dépendant, il n’est pas maître de la chair, de toutes
les pesanteurs de la destinée humaine, ni des esprits qui veulent le dominer
sans cesse et de tant de manières. Aussi faut-il continûment l’ouvrir à Celui
qui connaît les cœurs et qui peut les changer.
4
rythme de Dieu
Quand nous disons esprit,
les langues bibliques disent souffle. C’est le sens premier de l’hébreu roùa'h comme du grec pneuma. Et il est vrai
que l’on a de la peine à se représenter ce qu’est l’esprit, tandis qu’on sait
bien, par expérience, ce que veut dire, par exemple, "être à bout de
souffle".
L’esprit d’un être humain
est-il intelligence, discernement, humour ? Une tournure de son
être ? C’est tout cela, pour nous, mais cela n’a pas grand’chose
à voir avec ce que nos Bibles appellent l’esprit. Pour elles, il s’agit d’une
capacité de se mouvoir ou d’être mû, d’agir ou d’être mis en action, grâce à
une force intérieure, une capacité, une énergie propre. C’est ce que dit bien
l’expression "avoir du souffle" : une métaphore sportive qui
exprime aussi ce que peut transmettre une parole, un comportement, une oeuvre, une personne.
C’est ce souffle-là qui
permet de soulever la poitrine d’enthousiasme, de joie, d’espoir, que sais-je
encore ? En tout cas de bon, de fort, de vital. Aussi, si l’esprit est
faible chez l’un ou l’autre d’entre nous, alors ce n’est pas tant, au sens
biblique, notre intelligence qui vacille, mais bien notre capacité à ressentir
et transmettre une vivacité, une mobilisation, un élan de vie. Voilà qui est à
la fois impalpable et bien réel, vécu.
On comprend pourquoi il est
difficile de distinguer, chez l’être humain, ce qui est âme et ce qui est
esprit, en tout cas dans les Écritures. Rappelons que l’âme désigne le plus
souvent dans la Bible cette sensation personnelle d’être soi, et ce qui fait
ainsi de chacun de nous le vis-à-vis possible du Seigneur-Dieu. Parallèlement,
l’esprit, le souffle, c’est ce qui va et qui vient chez nous, en nous, mais
toujours pour nous pousser dans un sens ou dans un autre.
C’est pourquoi, lorsqu’il s’agit
de dire comment le Seigneur – mais aussi cette autre puissance qui lui est
opposée – vous met en mouvement, il sera question d’un esprit qui va vous
visiter, ou vous habiter, pour votre bien ou pour votre mal. Ou pour la mise en
pratique, en actes, de l’œuvre de Dieu : et si c’est le cas, heureux
les pauvres en esprit, car il est bon alors que votre esprit à vous soit
pauvre de volonté propre.
Mais si le mot esprit
désigne dans les Écritures, chez l’être humain, le souffle de l’haleine, il a alors
tout à voir avec le sens, la signification, dans la parole. C’est une chose
difficile à percevoir dans notre culture, qui est bien différente de celle des
gens de l’époque biblique. Pour eux, ces réalités mouvantes – souffle, parole –
ne se manifestent, tels le vol de la colombe, que dans une fluctuation
permanente. Ainsi naissent des perceptions, des sensations, des énergies, des
affects, des pensées.
C’est cela l’esprit, que
l’image du rythme pourrait tout aussi bien montrer (à condition de le dissocier
de la notion de cadence, qui évoque à l’inverse une régularité). Dans la
parole, orale ou fixée par écrit, le sens naît aussi de ce rythme, de ce
souffle, de cet esprit indissociable du langage, mots, grammaire et style.
C’est tout l’être qui parle, tout le corps aussi bien que l’intellect.
Et si cette parole fait du
sens, c’est dans le temps, bien sûr. La parole est toujours orientée, on ne
peut revenir sur elle, elle s’en va vers sa fin. À sa manière, selon le rythme
qui la porte. C’est pourquoi la lettre peut tuer, toujours capable de revenir
en arrière sur le caduc, sur ce qui est irrémédiablement passé, mort, tandis
que l’esprit fait vivre, tendu vers l’avenir, lui qui donne tout son souffle à
la parole.
Or si l’écrit devient parole
lorsqu’il est porté par le souffle, de même, l’Écriture sainte devient Parole
de Dieu lorsqu’elle est portée par l’Esprit. Un esprit qui vient de Dieu, et
que l’on appellera l’Esprit saint. Mais il a fallu du temps pour que
l’expérience vitale de ce mode d’énergie reçu de Dieu, de cette façon qu’a Dieu
d’agir en nous, parmi nous, se transforme en cette confession : il s’agit
là de Dieu lui-même. Dieu qui, en nous, devient rythme de sainteté.
5
est avec nous
Qu’est-ce qui compte
vraiment, lorsqu’on évoque la force de l’être humain, face à Dieu ? Que
signifie par exemple « aimer Dieu de toute sa force » ? La
réponse n’est pas simple à trouver. Regardons de près les termes employés dans
les langues bibliques pour en parler.
L’hébreu ou le grec
bibliques ne manquent pas de termes qui pourraient correspondre à notre mot force.
Pourtant, quand on trouve écrit « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toute
ta force » dans le livre du Deutéronome (chapitre 6, verset 5), le dernier
mot, en hébreu, est pour le moins surprenant. Il est écrit littéralement, en
effet : « de tout ton beaucoup » (meod) !
C’est sans doute pourquoi Luther n’a pas traduit cela par l’un des termes
allemands qui signifient la force ou la puissance, mais par le mot Vermögen, qui évoque plutôt l’ensemble des
capacités… y compris financières.
Les trois premiers évangiles
citent ce verset lorsqu’il s’agit de résumer toute la Loi de Moïse :
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de
toute ta pensée et de toute ta force », écrit saint Marc, repris dans
un ordre différent par saint Luc (saint Matthieu écrit seulement :
« de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée »). D’où
leur vient cette pensée ? C’est qu’en grec, le mot cœur
n’évoque pas comme en hébreu l’intelligence du discernement, ils ont donc gardé
le cœur de l’hébreu et l’ont précisé avec la pensée du grec. Mais
que devient alors ce beaucoup, par lequel il convient aussi d’aimer
Dieu ?
Le problème, c’est que pour
traduire l’adverbe meod en grec, on ne peut
pas, ou l’on n’ose pas, utiliser l’adverbe correspondant (pollà,
par exemple) comme un nom. Nous avons la même difficulté en français (même en
hébreu ça reste bizarre !). Dès les anciennes versions grecques de la
Bible hébraïque, et de même dans les évangiles, on a donc choisi l’un des mots
qui signifient force ou pouvoir.
Marc choisit alors la force,
la puissance physique, la vigueur (iskhús), et
Luc le pouvoir, la puissance morale, les capacités, l’influence (dúnamis). Quant à Matthieu, il remplace carrément le
beaucoup de Moïse par le discernement (diánoïa).
Au fond, chacun voit la force de l’être humain véritable à la manière dont il
voit celle de Jésus. Saint Marc admire la puissance qu’il exerce sur les
éléments et sur les esprits ; saint Luc, plus précisément que les autres,
reconnaît en Jésus le Seigneur universel ; enfin, saint Matthieu vise à montrer
aux juifs à quel point Jésus comprend, interprète et accomplit les Écritures.
Comment s’étonner de ce que ces
évangélistes voient en Jésus le modèle de l’être humain ? Il est pour eux
le « fils de l’homme », expression qui signifie l’être humain par
excellence. Le voici enfin, cet humain-là, depuis le temps que le Seigneur Dieu
l’espérait ! Et si l’on se fie aux termes employés par les trois premiers
évangiles, voici donc sa véritable force : elle consiste à savoir dominer
la création pour le bien, à trouver sa légitimité dans le seul Seigneur, à être
en mesure de mettre en pratique l’enseignement de Dieu.
On peut cependant s’étonner
de ce que, ni les versions anciennes, ni les évangiles n’aient pensé à traduire
le mot meod par exousía,
un terme grec qui signifie à la fois la capacité – faculté et possibilité – et
les ressources de toute
nature de quelqu’un. On le trouve
dans les évangiles, saint Jean compris, pour dire de Jésus qu’en un mot il a le
pouvoir de l’autorité : « Il enseignait comme ayant autorité »
(Matthieu 7,29). Il s’agit d’une liberté entière, cependant mise en œuvre dans
une totale responsabilité à l’égard de la mission à accomplir. C’est ce pouvoir
de juger, par exemple, que le Père a donné au Fils, selon saint Jean (5,27).
Mais c’est aussi le pouvoir
(exousía, Jean 1,12) qu’a tout être humain de
devenir enfant de Dieu. On dira donc : « Tu aimeras le Seigneur
ton Dieu, de tout ton cœur, et de toute ton âme… et de toutes tes
ressources ». Et pareil pour le prochain ?