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deux contes de Noël
LE HÉRISSON Inutile
NB : On trouvera ici la version longue,
mais rien n’empêche de faire plus court.
On
sait que Jésus est né dans une étable.
Mais
dans l’étable, il n’y avait pas que lui et ses parents, Joseph et Marie.
Même
le lendemain matin, après le départ des mages et des bergers.
Il y avait aussi des animaux.
Le
bœuf et l’âne, bien sûr, c’est connu, mais pas ceux-là seulement.
Si
l’on ne parle que d’eux, c’est parce qu’ils se sont bien débrouillés.
Où
que ce soit, il y a toujours des malins qui s’arrangent pour être sur la photo.
Le
bœuf, par exemple, s’était installé là, il trônait.
Il
avait failli se faire sortir, Joseph trouvait qu’il était de trop.
Il
estimait que ce n’était pas la place d’un balourd comme lui.
Il
avait commencé à lui donner des tapes sur l’arrière-train pour le mener dehors.
Mais
Marie avait dit : « Non, laisse-le !
Au
contraire, fais-le approcher, il va réchauffer le petit, il fait froid. »
Et
le bœuf se gonflait d’orgueil.
Presque
autant que la grenouille de Jean de la Fontaine.
Bon,
on dira ce qu’on voudra, ce bœuf était utile.
Mais
Joseph n’avait pas remarqué qu’au fond de l’étable, il y avait aussi un âne.
Celui-ci,
voyant le succès du bœuf, a voulu se faire remarquer.
Il
s’est mis à chanter : « Hi-han, hi-han ! »
Marie
a dit : « Ah non, fais-le taire, c’est horrible !
Mets-le
dehors, il va faire peur au petit ! »
Mais
Joseph a répondu : « Je pense qu’il vaut mieux le garder.
On
ne sait jamais, on aura peut-être besoin de lui. »
C’était
bien vu, parce que quelques jours plus tard, ils en ont eu besoin, de cet âne.
Ils
se sont enfuis avec lui, qui portait Marie et le bébé.
Les
soldats du méchant roi Hérode voulaient le tuer, cet enfant-là !
Joseph
a donc fait avancer l’âne près du bébé.
Une
bête en sus, ça fait de la chaleur en plus.
Et
du coup, l’âne devenait utile, lui aussi.
Donc :
le bœuf et l’âne.
Mais
en réalité il y avait bien d’autres bêtes dans cette étable !
D’abord
il y avait des chiens.
Il
y a toujours des chiens dans les environs d’une étable.
Ils
montent la garde.
Essayez
d’entrer dans la cour d’une ferme et de vous approcher de l’étable !
Vous
verrez si les chiens n’arrivent pas à toute allure !
Ils
aboient, et ils montrent les crocs en grognant !
Mais
là, on les avait fait entrer à cause du froid.
À
condition qu’ils restent près de l’entrée, ils avertiraient en cas de danger.
Ils
étaient utiles.
Mais
il y avait aussi des animaux qui n’étaient pas utiles, dans cette histoire.
Simplement,
on n’avait pas pensé à les chasser.
Tenez,
les chauve-souris, la tête en bas, accrochées aux poutres tout là-haut.
On
n’allait pas les déranger, les réveiller, elles auraient effrayé Marie.
Ça
aurait réveillé aussi le bébé.
Et
il y avait les petites souris, et même quelques gentils gros rats.
Pas
rassurés, ni les unes ni les autres, bien cachés dans leur trou.
Mais
quand même curieux, le nez frémissant juste sorti, pour savoir :
« Qu’est-ce
qui se passe ?
Pourquoi
tout ce tintouin, au petit matin, en plein hiver ? »
Vous
voyez, il y avait beaucoup d’animaux, dans cette étable.
Et
même, il y en avait un qui se réveillait juste à l’instant.
Il
dormait tout l’hiver, d’habitude, bien mussé dans la paille.
Sous
un tas de brindilles et de copeaux.
Bien
au chaud, bien tranquille.
Un
petit hérisson qui avait drôlement sommeil et qu’on avait réveillé.
« On
ne peut plus être tranquille, de nos jours, dans une étable, se disait-il.
Serait-ce
seulement pendant trois malheureux mois !
Je
vois bien ce que c’est, ce sont encore ces humains !
Une
espèce qui n’arrête pas d’embêter tout le monde !
Et
ça fait du bruit, et ça se dispute, et ça crie, et ça se bat, et ça pleure, et
ça chante !
Une
sale engeance.
Pas
vraiment utile. »
Ça
y est, il était réveillé, il ne pourrait plus se rendormir…
Tant
qu’à y être, autant aller voir ce qui se passe.
Et
ce hérisson, qui s’appelait Chpictou, a sorti tout doucement le nez de son nid,
lui aussi.
Prudemment,
lentement, silencieusement.
Il
y avait de la lumière, dans un coin de l’étable.
On
avait fait du feu, apparemment, loin du tas de paille et du foin.
Il
y avait des gens auprès du feu, semblait-il.
On
entendait même un drôle de bruit, comme celui que ferait un petit être
nouveau-né.
Le
problème de Chpictou, c’était qu’il était miraud.
Les
hérissons n’ont pas de bons yeux.
Pas
aussi pire que ceux de la taupe, bien sûr, mais quand même.
D’ailleurs,
je le précise, dans l’étable il n’y avait pas de taupe.
Les
taupes étaient dehors, bien enfouies dans la terre, le long des murs.
Notre
hérisson s’avance donc un peu pour mieux voir.
Et
puis encore un peu.
Et
puis encore un peu.
Et
puis encore un peu.
Si
bien que Marie l’a vu.
Elle
l’a regardé en souriant.
Quand
on voit un joli petit hérisson, en général on sourit.
Mais
quand Marie souriait à quelqu’un il se passait quelque chose.
Celui
ou celle qui avait reçu ce sourire perdait les pédales.
En
quelque sorte il devenait amoureux.
Je
me demande d’ailleurs si, quelques mois auparavant, l’archange Gabriel
lui-même…
Car
certaines des paroles qu’il avait adressées à Marie…
Mais
pour revenir à notre hérisson, il ne peut plus se tenir.
Il
s’approche tout près.
Marie
était en train de commencer à laver le bébé.
Elle
l’avait démailloté, et elle cherchait quelque chose qui aurait pu lui servir
d’éponge.
Pour
nettoyer le derrière du bébé.
Alors
Chpictou s’est avancé, il s’est proposé.
Marie
a éclaté de rire :
« Ah
oui, vraiment !
Je me vois bien en train de caresser le
derrière de mon bébé avec les piques d’un hérisson ! »
Et
Joseph a donné un coup de pied à Chpictou pour le chasser.
Pas
un grand coup de pied mais quand même.
Un
petit coup du côté du pied, juste pour se débarrasser de la petite bête.
ça l’a fait rouler plus
loin.
Et
là, pendant un bon moment, il est resté en boule, toutes piques dressées.
Que
voulez-vous, on ne se refait pas, un hérisson, ça se hérisse.
Mais
au bout d’un certain temps, il s’est remis à regarder.
Ah
comme il aurait aimé être à la place de ce bébé, bien calé dans les bras de
Marie !
Tout
contre sa poitrine !
Bon,
il était clair pour lui que le barbu qui l’avait chassé était jaloux de lui.
Il
voulait rester seul avec la femme et le bébé.
Mais
Marie, elle le regardait à nouveau, lui, et elle lui souriait.
« C’est
vrai, pensa-t-il, elle m’aime ! »
Et
en fait, il avait raison.
Marie
n’était pas amoureuse de lui comme il le croyait, bien sûr, mais elle le
trouvait chou.
Mignon.
Le
voilà donc qui s’approche à nouveau.
Il
avait remarqué que le méchant barbu s’était assoupi.
Donc
il s’approche, il s’approche, il s’approche tout près.
Tout
près, si près d’elle qu’il touche son vêtement.
Elle
ne s’en aperçoit pas, elle pense à autre chose, bien sûr.
Elle
est en train de mettre dans son cœur toutes ces choses qui arrivent.
C’est
ce qu’on peut lire dans l’évangile.
Mais
le bébé le voit.
Le
bébé est content, il voit le hérisson et ça le fait rire.
On
dira, bien sûr, qu’un bébé nouveau-né ne voit rien et ne sait pas encore rire.
Il
y a toujours des gens qui gâchent tout, même une histoire de Noël.
Moi
ce que je dis, c’est que ce bébé-là, il voyait et il riait – là !
Mais
Marie n’a pas compris pourquoi le bébé riait.
Elle
a cru qu’il était tout simplement content.
Elle
l’a regardé, elle lui a souri, elle a même ri, elle aussi.
De
plaisir, de bonheur.
Et
pendant qu’elle riait, le hérisson a grimpé le long de son vêtement.
Et
tout à coup, Marie a senti quelque chose de piquant, mais alors de très
piquant.
ça lui "caressait"
la poitrine.
C’était
Chpictou.
Elle
a crié, le bébé a pleuré. Joseph s’est réveillé, il a juré.
Ben
oui, Joseph, c’était un charpentier, et quand un charpentier est en colère, il
jure.
Y
a pas de mal à ça.
Et
il a voulu attraper le hérisson et le jeter au loin, très violemment, ça se
voyait.
Mais
Marie l’a arrêté.
Elle
a dit : « Regarde comme il est mignon ! »
Et
ses paroles ont calmé le bébé qui s’est rendormi, et Joseph aussi c’est calmé.
Joseph,
quand Marie le regardait d’une certaine manière, même furieux il se calmait.
Mais
il a dit quand même : « Il est peut-être mignon, mais ici il sert à
quoi ?
Il
ne sert qu’à piquer les gens et à leur faire du mal. »
Le
pauvre Chpictou, il est devenu très triste.
Il
se disait ; « C’est vrai, à quoi je sers, à quoi ça sert un
hérisson ? »
Un
charpentier est forcément porté à se demander à quoi servent les choses.
Et
là, il pensait qu’il ne servait à rien, ce hérisson.
Surtout
dans cette histoire où vraiment, il était en trop.
C’était
l’histoire de ce bébé, en fait.
Pas
une histoire de hérisson !
À
quoi peut bien servir un hérisson dans une histoire de Noël ?
Une
histoire avec des anges qui chantent très bien pour l’arrivée du bébé.
Ou
avec des mages, qui sont de grands savants qui viennent féliciter le bébé.
Ou
alors, si vous préférez, des rois qui apportent des cadeaux au bébé.
Ou
des bergers qui arrêtent de garder les troupeaux pendant la nuit pour venir
voir le bébé.
Ou
même une histoire avec un bœuf et un âne.
Qui
ne sont pas dans les évangiles, c’est vrai, mais qui tiennent quand même chaud
au bébé.
« Bon
d’accord, a dit Marie, il ne sert à rien, et alors ? »
Elle
voulait dire qu’il ne servait à rien dans cette histoire de Noël.
Parce
qu’en dehors de cette histoire les hérissons sont très utiles.
En
été ils nettoient les jardins.
Mais
en hiver, dans une étable d’il y a deux mille ans, un hérisson ne sert à rien.
Surtout
pour s’occuper d’un bébé ou d’une jeune accouchée.
Bref,
Marie avait pris le petit hérisson dans ses mains, elle le regardait
amicalement.
« On
n’a pas besoin de servir à quelque chose !
Même
si l’on ne sert pas à grand’ chose, on peut être un personnage important.
Surtout
dans cette histoire ! »
Et
elle avait raison.
C’était
une histoire, celle du bébé, qui disait à quel point tout le monde est
important.
Chaque
personne : grand ou petit, roi ou mage, ange ou berger.
Grand
gaillard charpentier ou jeune maman.
Grand
barbu ou petit piquant.
C’est
une histoire pour dire ça.
Le
hérisson était donc là, et tant mieux s’il était inutile.
Eh
bien depuis lors, on a peint très souvent les personnages de cette histoire.
L’histoire
de la naissance du bébé-messie.
On
en a fait des tableaux.
Et
chaque fois qu’on l’a peinte, le petit hérisson s’y trouve.
Si,
si, si.
Mais
bien sûr, on ne le voit pas.
Comme
c’est l’hiver, il dort, bien à l’abri, bien caché aux pieds de Marie.
Si
vous regardez bien, vous verrez peut-être un de ses piquants apparaître.
Tenez,
juste derrière une sandale.
Elle
a de jolis pieds, Marie, vous ne trouvez pas ?
C’était
en juin dernier, vers la fin du mois. Il faisait beau et chaud.
Oui,
je sais, pour un conte de Noël ça peut paraître bizarre, et pourtant !
J’étais
assis à ma table de travail, juste devant une fenêtre grande ouverte sur les
arbres du jardin.
J’écrivais.
Tout
à coup, je fus interrompu par un bruit étrange, on aurait dit le bruissement
d’ailes puissantes.
Une
voix se fit entendre, celle d’un homme très jeune, à ce qu’il me parut,
à
moins qu’il ne s’agisse de celle d’une femme.
Cette
voix disait : « ça doit pas être là… »
Puis
l’ange – car c’en était un – surgit et s’installa d’un coup sur la barre
d’appui de ma fenêtre.
Il
me bouchait le jour.
« Vous
me bouchez le jour », lui dis-je, agacé.
« Veuillez
m’excuser », répondit-il, « je crois que je me suis un peu
perdu. »
Mais
il n’a pas bougé, il est resté là, il me fixait avec insistance, ce que j’ai
trouvé très impoli.
J’allais
lui intimer l’ordre de foutre le camp mais il m’a demandé :
« Vous
ne vous vous appelleriez pas Marie, par hasard ? »
Je
l’ai regardé comme on regarde un simple d’esprit :
« Marie
est un prénom de femme, mon vieux, vous voyez bien que je ne suis pas une
femme ! »
Il
a eu l’air gêné. « Ah oui, c’est vrai, excusez-moi… » a-t-il murmuré,
et
il a remué ses ailes un peu comme s’il voulait se remettre l’esprit d’aplomb.
Il
voyait bien que j’étais fâché.
Nous
sommes restés ainsi sans rien dire, face à face, nous regardant en chiens de
faïence, puis il a repris :
« Nous
ne sommes pas en Galilée, je parie ? Sous le règne de l’empereur
Auguste ? Pendant l’hiver… »
J’ai
failli lui éclater de rire au nez :
« Rien
à voir, mon gars, nous sommes dans le Poitou. Pendant le quinquennat du
président Hollande.
Et
c’est l’été ! »
Il
était vraiment ridicule !
« C’est
que c’est très embêtant », a-t-il marmonné comme se parlant à lui-même,
« je
crois que je me suis trompé, j’ai dû me perdre, je devais annoncer à une
certaine Marie… »
Il
s’interrompit pour chercher quelque chose sous son aile gauche,
en
tira un papier qu’il sembla avoir de la peine à déchiffrer,
puis
il me le lut, à mi-voix mais en sorte que je l’entende. Il ânonnait :
« Voilà :
Marie de Nazareth… » Il s’interrompit : « C’est une jeune fille.
Et
vous voyez, c’est une ville de Galilée, et ça se passe sous le règne d’un
empereur romain nommé… »
Il
me regarda comme pour avoir confirmation. J’ai eu pitié de lui :
« Écoutez,
mon petit, ce dont vous semblez parler est arrivé en Palestine il y a plus de
deux mille ans,
alors
oui, vous êtes perdu ! »
Là,
j’ai senti que j’allais m’énerver et que c’était inutile,
j’ai
donc ajouté patiemment, lentement pour qu’il comprenne bien :
« Mais
rassurez-vous - un de vos collègues - a dû s’en apercevoir - car le message -
est arrivé –
la
fille - est tombée enceinte - le bébé est né - un garçon nommé Jésus - le
messie - d’accord ? »
Car
enfin, tout le monde sait ça !
« C’est
ce que je craignais ! » s’écria-t-il, « j’ai perdu la course,
l’autre est arrivé premier… »
Je
dois avouer que je me sentis un peu perdu, moi aussi :
« De
quelle course parlez-vous ? »
Il
comprit que je n’étais pas du tout au fait
et,
assez content de pouvoir enfin m’apprendre quelque chose, il se trémoussa un
peu sur ma barre d’appui,
ramena
ses ailes sur le devant, épousseta machinalement celle de gauche, et entreprit
de m’instruire des mystères.
« Voyez-vous, »
me dit-il doctement, « le Patron était dans l’indécision.
À
propos du messie.
Il
voulait envoyer le messie sur terre et il avait déjà choisi la mère, mais pour
le reste il n’arrivait pas à se décider.
Alors
cette idée lui est venue :
s’il
envoyait deux messagers à la jeune fille, le message du premier qui arriverait
serait le bon. »
Il
se tut, avala sa salive, me regarda et ajouta, d’un air vraiment pas
rassuré :
« Qu’est-ce
que je vais prendre, en rentrant !
Parce
que vous savez, j’ai bien vu que le Patron aurait préféré la fille… »
Pour lire d’autres contes moins consensuels :
http://alexandre2.pagesperso-orange.fr/contes
de l'avent
ou
encore une sorte de bref anti-conte de Noël :
http://alexandre2.pagesperso-orange.fr/conte
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