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Un conte de l’avent

 

 

En 2014, j’avais écrit un conte pour chacune des semaines de l’avent.

J’ai peur qu’ils n’aient pas tous été théologiquement corrects…

Ni même politiquement ?

Toujours est-il que je les ai ressortis un par un cette année 2015.

Cette semaine, je leur ajoute un récit biblique et un conte de Noël

plus récent.

 

 

 

 

 

 

Anne la prophétesse

ou la présence à venir 

 

Elle avait douze fois sept ans. Douze semaines d’années. C’est dire à quel point son temps était révolu et qu’elle était en âge de mourir. Et sur ces douze semaines, une seule avait suffi pour faire d’elle une veuve, et lui permettre ainsi d’habiter le saint temple de Dieu. Veuve qu’on imagine mariée comme beaucoup à quatorze ans, veuve à vingt-et-un d’un époux déjà âgé peut-être. Soixante-trois ans de jeûnes et de prières.

À cet âge et dans cette condition, au bout de cette ascèse, même en public elle peut enfin parler. On n’a plus à craindre chez elle la séduction fatale qui émane des femmes. Il suffit qu’elle reste voilée. Aussi venait-on l’écouter, elle prophétisait. Son œil traversait le secret des temps présents, son esprit perçait les ténèbres de l’avenir. Elle percevait les arcanes complexes, les racines mystérieuses, les raisons enchevêtrées par lesquelles les choses et les êtres étaient tels, et non autres, et devaient par là-même se changer de telle manière, non de telle autre.

Les prophètes ne sont que lucides. Les vrais, non les charlatans. Quand tout va bien, du moins à ce qu’il semble, ils pointent le petit défaut qui n’a l’air de rien mais qui, en fait, est gros de tempêtes à venir. Un manque d’équité, un vernis sur un mensonge, cela leur suffit parfois à voir les cassures qui s’annoncent. Mais quand tout va mal, quand la catastrophe est arrivée, qu’il ne reste plus aucun espoir, que tout est fichu, le prophète dit des paroles d’avenir, d’espérance et de courage…

Ainsi parlait la très vieille Hanna, dont le nom signifie Grâce, au vu d’un enfançon qu’un autre vieux venait de glorifier.

 

Que prenne chair enfin cette vérité

 

Or tout allait mal, pour le peuple. Il avait bien besoin que son dieu, le dieu de ce temple, lui fasse… grâce. Qu’était-il, ce temple, sinon le dernier lieu saint de la terre sainte donnée au peuple saint ? Une Présence encerclée. Une Présence nue assiégée par les puissances.     

Les dieux de tant de peuples avaient été avalés, digérés et recrachés en simulacres par les dieux de l’empereur que l’on se demandait bien pourquoi cette Présence-là aurait valu plus que les autres. Les dieux ne sont-ils pas les garants célestes de pouvoirs et d’intérêts bien terrestres ? Pouvoirs et intérêts dont César et Mammon sont les noms. Ennemis de la justice et de la justesse. Germes de la violence.

Eh bien, face à ces mensonges, le dernier reste de divin, dans le monde, le dernier lieu de cette Présence, ce lieu que la vieille Hanna s’obstinait à appeler Jérusalem, se voulait garant de la justice et de la justesse. Le dernier éclat d’une grâce ordonnatrice du monde tel qu’on pouvait l’espérer. Et sous le langage de la prophétie se tenait l’ardent désir de voir se réveiller le volcan. Voir la délivrance de Jérusalem, comme le disait Hanna, signifiait voir la chute de César, et des césars, la déroute de Mammon, et de tous les mammons, dans un terrible et splendide ébranlement de l’univers.

Que prenne chair enfin cette vérité selon laquelle le vrai monde, celui qu’a voulu le dieu qui a fait les cieux et la terre, est juste.      

Car les prophètes s’occupent avant tout de la justice et de la justesse. Leur combat consiste à désigner la violence à chacune de ses occurrences, qu’il s’agisse de celle d’un peuple, des peuples, des simples gens ou de celle des humains tous autant qu’ils sont. La violence au sens où elle est instituée, devenue naturelle, au fond, habitant l’être même.

Ainsi parlait la vieille Hanna, la bouche de grâce, annonçant la venue de cette vérité-là, sa présence encore obscure, cachée, clandestine – pensez, un petit enfant tout juste consacré – mais assurée, à toucher, imminente.

Paroles à faire bouger les lignes de force, à faire lever des espérances. 

 

Cf Luc 2,36-38

Tiré de "Retournements" (Éditions Olivétan)

 

 

Noël : La boulette !

Conte de Noël estival

 

C’était en juin dernier, vers la fin du mois. Il faisait beau et chaud. Oui, je sais, pour un conte de Noël ça peut paraître bizarre, et pourtant !

J’étais assis à ma table de travail, juste devant une fenêtre grande ouverte sur les arbres du jardin. J’écrivais.

Tout à coup, je fus interrompu par un bruit étrange, on aurait dit le bruissement d’ailes puissantes. Une voix se fit entendre, celle d’un homme très jeune, à ce qu’il me parut, à moins qu’il ne s’agisse de celle d’une femme. Cette voix disait : « ça doit pas être là… »

Puis l’ange – car c’en était un – surgit et s’installa d’un coup sur la barre d’appui de ma fenêtre. Il me bouchait le jour.

« Vous me bouchez le jour », lui dis-je, agacé. « Veuillez m’excuser », répondit-il, « je crois que je me suis un peu perdu. » Mais il n’a pas bougé, il est resté là, il me fixait avec insistance, ce que j’ai trouvé très impoli. J’allais lui intimer l’ordre de foutre le camp mais il m’a demandé : « Vous ne vous vous appelleriez pas Marie, par hasard ? »

Je l’ai regardé comme on regarde un simple d’esprit : « Marie est un prénom de femme, mon vieux, vous voyez bien que je ne suis pas une femme ! » Il a eu l’air gêné. « Ah oui, c’est vrai, excusez-moi… » a-t-il murmuré, et il a remué ses ailes un peu comme s’il voulait se remettre l’esprit d’aplomb. Il voyait bien que j’étais fâché.

Nous sommes restés ainsi sans rien dire, face à face, nous regardant en chiens de faïence, puis il a repris : « Nous ne sommes pas en Galilée, je parie ? Sous le règne de l’empereur Auguste ? Pendant l’hiver… » J’ai failli lui éclater de rire au nez : « Rien à voir, mon gars, nous sommes dans le Poitou. Pendant le quinquennat du président Hollande. Et c’est l’été ! » Il était vraiment ridicule !

« C’est que c’est très embêtant », a-t-il marmonné comme se parlant à lui-même, « je crois que je me suis trompé, j’ai dû me perdre, je devais annoncer à une certaine Marie… » Il s’interrompit pour chercher quelque chose sous son aile gauche, en tira un papier qu’il sembla avoir de la peine à déchiffrer, puis il me le lut, à mi-voix mais en sorte que je l’entende. Il ânonnait : « Voilà : Marie de Nazareth… » Il s’interrompit : « C’est une jeune fille. Et vous voyez, c’est une ville de Galilée, et ça se passe sous le règne d’un empereur romain nommé… »

Il me regarda comme pour avoir confirmation. J’ai eu pitié de lui : « Écoutez, mon petit, ce dont vous semblez parler est arrivé en Palestine il y a plus de deux mille ans, alors oui, vous êtes perdu ! »

Là, j’ai senti que j’allais m’énerver et que c’était inutile, j’ai donc ajouté patiemment, lentement pour qu’il comprenne bien : « Mais rassurez-vous - un de vos collègues - a dû s’en apercevoir - car le message - est arrivé - la fille - est tombée enceinte - le bébé est né - un garçon nommé Jésus - le messie - d’accord ? » Car enfin, tout le monde sait ça ! 

« C’est ce que je craignais ! » s’écria-t-il, « j’ai perdu la course, l’autre est arrivé premier… » Je dois avouer que je me sentis un peu perdu, moi aussi : « De quelle course parlez-vous ? » Il comprit que je n’étais pas du tout au fait et, assez content de pouvoir enfin m’apprendre quelque chose, il se trémoussa un peu sur ma barre d’appui, ramena ses ailes sur le devant, épousseta machinalement celle de gauche, et entreprit de m’instruire des mystères.

« Voyez-vous, » me dit-il doctement, « le Patron était dans l’indécision. À propos du messie. Il voulait envoyer le messie sur terre et il avait déjà choisi la mère, mais pour le reste il n’arrivait pas à se décider. Alors cette idée lui est venue : s’il envoyait deux messagers à la jeune fille, le message du premier qui arriverait serait le bon. »

Il se tut, avala sa salive, me regarda et ajouta, d’un air vraiment pas rassuré : « Qu’est-ce que je vais prendre, en rentrant ! Parce que vous savez, j’ai bien vu que le Patron aurait préféré la fille… » 

Décembre 2016

 

4ème semaine de l’avent : La gloire de l’Empire

 

Il était une fois, sur la Terre, un grand empire. Très grand, très riche, très puissant. Au temps dont nous parlons, il était le seul empire, l’unique, bien plus puissant que tous les aspirants empires qui cherchaient à l’égaler, voire à le surpasser. Aussi l’appelait-on l’Empire.

Il n’était pas seulement le plus puissant ni le plus riche. Il ne comptait pas seulement sur la force de ses armées. Il ne valait pas seulement par l’importance de ses avoirs. Il était le modèle.

Innombrables étaient les peuples chez lesquels on ne comptait que par sa monnaie, les nations dans lesquelles on apprenait sa langue, les pays où l’on s’habillait à la mode de chez lui, où l’on mangeait comme chez lui, où l’on se divertissait grâce à ses artistes, où l’on chantait comme ses chanteurs, et même, parfois, où l’on se convertissait à sa religion.

L’Empire contrôlait tout cela, à sa manière. Selon le cas. Lorsqu’un empire menaçait de le surpasser, il l’étranglait en faisant monter le prix de cette concurrence. Vainqueur, il le noyait ensuite de ses largesses, ou bien le maintenait dans une judicieuse nécessité.

Il finançait des bandes armées qu’il employait contre ses ennemis, qu’il retournait plus tard contre elles une fois la situation rétablie en sa faveur. Il pensait agir ainsi en grand stratège, et cela fut pendant longtemps l’opinion générale. 

En toute circonstance et en tout lieu, il faisait en sorte que l’on pense avoir besoin de lui, dans le but de faire place à ses marchands et à ses industries, toujours plus attrayants que ceux du lieu. C’est ainsi qu’il appauvrissait les petits et enrichissait les riches, selon la coutume ordinaire des empires.

Il n’était pas contre les coups tordus, mais il préférait, très sagement, user ouvertement de la carotte et du bâton pour se faire respecter. Car il se considérait lui-même comme moral. Il se voyait le plus moral de toute la Terre. Aussi tâchait-il le plus souvent de se conformer à l’image qu’il se faisait de lui-même. Bien entendu dans les limites du pragmatisme.

Or il advint qu’un empire freluquet vint lui chatouiller les moustaches, vint souffler dans les narines du tigre. Fatale imprudence ! Ineptie. Car la patte soyeuse de l’animal cachait de terribles griffes, et sa gueule paterne des crocs fort redoutables. L’Empire écrasa le nabot.

Ici ou là, dans le pays conquis, on résista. L’Empire donna licence à ses sbires de mater la révolte. Il le fit sans y regarder de près, si bien que les argousins en place usèrent de méthodes illicites. Ils savaient s’en cacher, ils le dissimulèrent, mais ils firent ce qui est mal aux yeux de l’opinion qui faisait loi. Non seulement aux yeux des peuples, mais aux yeux même du Seigneur du Ciel et de la Terre. Ils souillèrent la race humaine.

La chose parvint aux oreilles de l’Empereur. Quelques jeunes prophètes en complet-veston le lui avaient fait savoir. Ses gens, pensa-t-il alors, n’avaient accompli que ce qu’accomplissent tous les services obscurs qui ont à servir les intérêts obscurs des empires. Ainsi va le monde, se dit-il.

Or ce jour-là était l’anniversaire du Fils du dieu qu’il était supposé adorer, et l’ange du Seigneur, de service chaque année à cette date, vint se poser sur son épaule. Alors l’empereur reconnut la déchéance de son peuple. Il se leva de son trône et il sortit devant les caméras : là, il se dépouilla de sa gloire, puis il s’assit sur la cendre.   

22 décembre 2014  

 

 

3ème semaine de l’avent : L’arbre qui marche

 

Depuis des millénaires, les arbres étaient enracinés. Rien à faire, ils ne pouvaient pas bouger. Du moins pour aller où ils voulaient. En revanche, les représentants d’une espèce mobile extrêmement envahissante, entreprenante et extravagante n’arrêtait pas de les déplacer. Cela aussi durait depuis des millénaires.

Fraxin, un jeune frêne élancé, trouvait cela insupportable. Déjà que nous ne maîtrisons pas notre mobilité, il faut que nous soyons dépendants des lubies des autres, se lamentait-il, non sans quelque animosité à l’intention de ces autres, les mobiles en question, que les arbres nommaient en secret les humacés.

Fraxin voulait bouger, partir à l’aventure, voir le vaste monde. Il ne pensait qu’à cela. Il jalousait férocement les sapins car il avait eu vent de leurs pérégrinations. Certains d’entre eux avaient connu un sort enviable.

Il ne songeait pas à ceux que les humacés, au cœur de l’hiver, coupent au pied pour en faire des sortes de signaux lumineux. Ils installent les plus petits dans les drôles de cavernes où ils vivent, et les plus grands dans les clairières ou les allées de bitume par lesquelles ils circulent.

Il revoyait plutôt ceux qui sont déracinés. Le temps que durent ces coutumes, les humacés les calent dans des trous. Après cela, ils les replantent ailleurs, près de leurs cavernes cubiques. Toutes initiatives, on en conviendra, dénuées de sens.

Fraxin aurait tant voulu être un de ces sapins, pour connaître leur sort. Voyager ! Utiliser la sottise des humacés pour se déplacer, d’année en année, de place en place… Pas de chance, il n’était qu’un jeune frêne, planté au sein de sa forêt.

Les anciens lui murmuraient par le bruissement de leurs feuilles qu’il aurait dû plutôt se réjouir d’être si bien situé ! On ne pouvait rêver meilleur climat, pour eux. Tempéré, suffisamment ensoleillé, suffisamment humide, enneigé juste le temps qu’il faut pour s’endormir un peu, et souvent caressé par un souffle iodé venu du couchant, de là où s’étend, dit-on, une immense étendue d’eau salée.

Fraxin ne voulait rien entendre, il priait en secret le dieu des frênes (qui est, disent certains, mais peut-on les croire ? le même que celui des sapins ou même des humacés). Il se trouva un jour que le souffle qui passait dans ses branches était le souffle du Seigneur du ciel et de la terre. Ce jour-là était cher à son cœur car c’était l’anniversaire de son fils aîné. Attendri, il décida – après tout c’était son droit ! – de faire un miracle au seul bénéfice du petit frère Fraxin.

Il renforça son souffle, qui devint tempête, tornade, ouragan. La forêt toute entière plia d’abord, trembla, puis s’abattit. Les arbres se déracinèrent par milliers. Un miracle ! Du moins pour le petit Fraxin, car pour la forêt, pour les animaux, pour les oiseaux, pour les humacés du secteur et leurs cavernes, ce ne fut, comme on peut l’imaginer, que désolation. Dommages collatéraux…

Puis tout se calma. Et quelques semaines plus tard, un bûcheron passa près du jeune frêne déraciné et remarqua son fût, mince, léger, droit, résistant. Il eut une idée. Il devait s’en aller à pied jusqu’à un lieu du bout de la terre. Long et lent voyage qu’il appelait pèlerinage : il aurait besoin d’un bâton. D’un bon bâton de frêne !

C’est ainsi que Fraxin put suivre de multiples chemins, visiter des lieux innombrables, et se trouver un jour devant l’insondable immensité de l’océan. Il connut bien des aventures, et revenu dans les parages de sa naissance, il vécut longtemps, solidement tenu par la main de cet humacé dont il était devenu l’ami.

Certes, cette grâce lui avait coûté. Se voir retranché de ses racines et de ses branches n’a rien de plaisant, on peut le croire ! Bien des humacés vous le diront.

15 décembre 2014    

 

 

2ème semaine de l’avent : L’inspection

 

Le noédi 12 du mois d’archange de l’an céleste 24814, Noël pour les Terriens, le Seigneur Dieu fut réveillé d’un sommeil bienheureux par une question qui vint à l’un de ses esprits. Une de ces inquiétudes dont on ne peut se débarrasser.  

Il avait oublié quelque chose, mais quoi ? Il en était sûr, il ne manquait pas un duvet d’aile d’ange dans tout l’empyrée… Pas un quark n’avait dévié de sa course... La sainte Vierge était toujours à sa place… Mais comment être certain qu’un grain de poussière interstellaire ne s’était pas faufilé dans le saint lieu ? 

Au petit-déjeuner, entre deux marie-madeleines, cela lui revint : les paradis devaient être inspectés. Il en confia la responsabilité à Jésus.

La multiplicité des paradis n’entraînait en effet aucune difficulté pour quelqu’un qui disposait du don d’ubiquité. Et la question se résumait à ceci : qui avait normalement accès aux paradis ?

Passons sur les paradis animaux, aux conditions d’accès fort simples puisqu’il ne s’agissait que d’éviter, par exemple, de laisser entrer des chats dans le paradis des chiens. Ou que de faciliter des interférences entre certains paradis pour que telles espèces commensales, comme les chiens et les humains, puissent communiquer. 

La question des paradis attribués aux humains était à peine plus complexe. Paradis musulman, paradis animiste, paradis juif, paradis taoïste, etc.    

Le Christ avait conservé pour la séquence ôméga du cycle temporel considéré les questions afférentes au paradis chrétien. C’est là qu’il rencontra une difficulté.  

Il commençait toujours par un coup de sonde, cela permettait de sentir d’emblée l’atmosphère. Apparaissant dans cet espace-temps, il demanda à rencontrer saint François d’Assise. La réponse qu’on lui fit le remplit de stupeur.

Point de saint François, d’Assise ou non, en ces lieux. Point de saint du tout, d’ailleurs. « S’il n’y a point de saints, qui sont donc, demanda Jésus à l’archange-gérant, ceux qui bénéficient de la félicité ? » Et il demanda à en rencontrer un.

« Tenez, dit-il, prenons une séquence chrono particulière, disons les XXe et XXIe siècles terrestres, et un panel confessionnel varié. »

On lui amena une certaine Boutin. L’ayant considérée il en réclama d’autres. Parurent un Bush, une Barjot, un Cyrille, un Paisley, un Rajoy, un Vingt-Trois… qui ne lui plurent pas. Il demanda à visiter l’ensemble du séjour.

On passera sur le détail de cette visite. Ce n’était que méchanceté, petitesse, médiocrité, mesquinerie, ressentiment, médisance, amertume, récrimination, animosité, bisbille, malveillance, malfaisance. Une atmosphère pestilentielle en guise d’odeur de sainteté.

« Comment les a-t-on choisis ? » s’inquiéta le Seigneur. On lui répondit que cela avait été très simple, car tous ceux-là avaient mis en avant leur foi chrétienne.

« Où sont les autres, les saints François d’Assise, les Bach, les King ou autres Schweitzer ? » demanda Jésus. En enfer… Un enfer particulier, tout de même. Cosy. On n’y était astreint pour punition qu’au choix entre les cantiques de Taizé ou ceux d’Akepsimas. Toute bonne pensée autorisant le chant du Gospel Song.

Jésus écrivit son rapport. Il y recommandait la conversion du paradis chrétien. Quant aux saints, suppression des punitions, et pour le Gospel Song, chœur des anges de l’armée céleste à demeure.

Le Seigneur réfléchit un instant puis il ajouta : pour Bach, accès au grand orgue cosmique tous les dimanches célestes.

8 décembre 2014 

 

 

1ère semaine de l’avent : Jackson and Co

 

Jackson Davis était flic à Ferguson, Missouri. Jackson Davis, de son côté, était un gamin noir qui vivait à Ferguson, Missouri.

Les deux Jackson Davis ne se connaissaient pas, car Jackson Davis habitait dans une rue pourrie du ghetto noir, avec ses bâtiments à étage et leurs briques encrassées, alors que Jackson Davis vivait dans un quartier arboré composé de maisons de style colonial typiques de la classe moyenne blanche. En fait, son nom s’écrivait Jackson J. Davis (J. pour Jackson).

Bien sûr, Jackson aurait pu rencontrer Jackson. Cela aurait pu se passer lors d’une des tournées que les flics faisaient, ainsi Jackson Davis et son collègue Dave Jackson, dans leur voiture de service bleu et blanc aux rampes de lumières tricolores. Mais cela ne s’était pas produit car Jackson était un gosse tranquille, pas du tout le genre à attirer l’attention des flics.

Même des flics du genre de Jackson Davis et de son collègue Dave Jackson. Des durs, qui cherchaient à coincer les délinquants avec assiduité, et de préférence les délinquants noirs des quartiers pourris. Et dans ce cas, l’assiduité s’accompagnait d’un certain plaisir.

Mais Jackson n’était pas un délinquant, non Monsieur, pas un délinquant. Jackson avait dix ans et une maman volumineuse qui s’appelait Mabel Jackson Davis. Mais lui l’appelait Mom. Et Mom avait su éloigner Jackson de la voie suivie par ses autres enfants.

Car Jackson avait un grand frère, Rod Jackson Davis surnommé Jack, qui était en prison pour braquage, à ce que disait la police, et une grande sœur, Sue Jackson Davis surnommée Jackie, qui était en prison pour trafic de drogue à ce que la police disait. Ces trois-là n’avaient pas de père, il s’était fait descendre. La guerre des gangs, d’après la police.

Mom Jackson Davis avait le blues à cause de la mort de son chéri et de la mauvaise conduite supposée de ses deux grands. Un jour qu’elle était à l’église du révérend Jackson, le pasteur de l’Église des Saints Anges de Grâce, elle avait expliqué tout cela au Seigneur.

Le prêche du révérend Jackson n’y était pas pour rien, il était tellement inspiré ce jour-là qu’il s’était roulé par terre alors qu’il criait le nom du Seigneur et que l’assistance chantait et dansait à la gloire du Seigneur. De quoi réveiller tous les Saints Anges de Grâce, et jusqu’au Seigneur lui-même.

Du coup, le Seigneur avait fait un tour par là. C’était d’ailleurs le jour de son anniversaire, il s’en souvenait, ça se passait à l’étranger dans un bled oriental, et ce souvenir l’avait attendri.

Il avait donc écouté Mabel Jackson Davis. Et il lui avait fait comprendre qu’elle devait tout faire pour que son petit gars ne suive pas le chemin du mal. Et que la première chose à entreprendre, pour elle, était de ralentir sur le Bourbon. Même si c’était dur.

Il lui avait promis que les saints anges viendraient à elle pour l’aider et que ses efforts seraient récompensés. Et de fait, à peine avait-elle changé de vie pour marcher sur le chemin du Seigneur qu’elle avait trouvé du boulot. Louez-Le, vous tous ses anges !

C’est pourquoi Jackson Davis n’avait jamais eu l’occasion de rencontrer Jackson Davis. D’ailleurs, la voiture des flics avait brûlé.     

1er décembre 2014

 

 

 

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