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En fait, on trouvera sur cette page trois séries de poèmes :
Poèmes de Noël et du dimanche des Saints innocents
Poèmes
de l’avent 2011
en ce pays je sais
depuis longtemps tu restes en sommeil
sans doute qu’il le fallait
de toi nos mémoires étaient fatiguées
lassées de ton image conviens-en
icône très ancienne
toi-même souviens-toi
tu ne tenais plus guère à elle
n’as-tu pas décidé alors
de t’effacer
incertain de ton envie de revenir
et puis je sens ici ou là que tu respires
l’air a frémi légèrement
un lit gémit c’est un dormeur qui bouge
il va reprendre souffle
repense lentement son monde
il se demande s’il ne va pas
s’il n’aurait pas envie de
s’éveiller se souvenir
se lever se regarder se voir renouvelé
offrir au miroir de toutes ces années
la neuve image d’un visage défatigué
s’il entrevoit qui sait
au monde comme un air
serait-ce un air encore vicié
et pourtant oui, propre à imaginer
à se représenter
un avenir
père qui vis et vivais avant nous
montre-nous tes cheminements
que face au monde immense devant nous
nous ne pensions petitement
ô père qui vis au-dessus de nous
apprends-nous tes commandements
et que l’image de ton Fils en nous
nous ne vivions petitement
ô père qui vis au-dedans de nous
fais-nous respirer largement
de l’étroitesse du cœur garde-nous
que nous n’aimions petitement
ô père qui vis si proche de nous
vivons-nous fraternellement ?
qu’envers celui qui chemine avec nous
nous n’agissions petitement
ô père qui vis tout autour de nous
le monde vit injustement
c’est toi qui mets ce défi devant nous
ne luttez pas petitement
ô père qui veux le bonheur pour nous
pour le construire, joyeusement
que jamais dans ce chantier devant nous
nous travaillions petitement
ô père qui viens au-devant de nous
quand pour chacun c’est le moment
fais que, mettant la foi en nous
nous ne croyions petitement
ô père qui viens pour toujours à nous
tu veux apaiser nos tourments
que l’espérance ancrée très fort en nous
nous ne mourions petitement
Comment saurions-nous nous prosterner,
Nus devant la plus grande faiblesse,
Nous qui aimons surtout les richesses ?
Viens faire de nous des nouveaux-nés,
Viens, Fils de Dieu, sois notre sagesse !
Et comment pourrions-nous accepter
Pour Seigneur un enfant sans défense,
Nous qui ne rêvons que de puissance ?
Viens nous revêtir d’humilité,
Viens, Fils de Dieu, sois notre innocence !
Comment voudrions-nous nous offrir
Jusqu’au bout à un petit enfant,
Nous qui nous faisons dieux, forts et grands ?
Viens vivre en nos vies pour les ouvrir,
Viens, Fils de Dieu, sois notre avenir !
Il est venu,
Faible et menu,
Dans notre vie.
Et maintenu
La voie suivie.
Il a connu
Le contenu
De nos envies,
Appartenu
Au continu
De nos survies.
Dieu inconnu,
La vie à nu
Et asservie,
Lui, méconnu,
Non reconnu,
Il l’a servie.
Avent 4
Un souffle
manquerait un souffle
brise légère
silencieuse, aérienne, ténue
venue on ne sait d’où
allant où l’on ne sait
manquerait-il
tout irait comme devant
tout suivrait son chemin
chemin de grandes peines
voies de petits bonheurs
et suffirait d’un souffle
haleine de buée
toute chose convertie
muée, bouleversée, retournée
tournée vers ce qui vient
un souffle saint
et viendrait l’enfant
celui qui vint, qui vient
ce souffle qu’il vienne enfin
à la bouche des humains
Avent 3
Je suis venu
tu attends que je vienne ?
je suis venu
avance toi vers moi
ta vie est dans la mienne
je suis venu
pour toi, pour l’univers
espère-moi
je viens, ne le sais-tu ?
le temps de ma présence
de mon absence
de ma venue
font un seul temps de vie
je viens encore en toi
je suis venu
ces deux fois n’en font qu’une
à venir comme advenu
avance encore, avance
tu vas vers l’inconnu
tu vas me trouver nu
je suis venu
Avent 2
J’espère ton retour
comme l’oiseau attend le jour
et l’épouse le soldat
comme la mère attend l’enfant
j’attends, mon amour, ta venue
j’espère ton retour
je ne sais quand tu viendras
mais tu seras surpris
je vais changer tu verras
je serai là pour toi
j’espère ton retour
en haut de l’escalier je serai là
à l’entrée de la maison
à la grille du jardin je serai là
sur notre chemin
j’espère ton retour
sur la route qui va je serai là
à l’entrée de la ville
sur le quai de la gare je serai là
à la porte du wagon
j’espère ton retour
comme on attend le parloir
comme on attend la gamelle
comme on attend le coup de rouge
comme on attend le lit au soir
j’espère ton retour
je serai beau je serai belle
comme file une étoile
lavée, briquée dans la nuit sale
changée, comme astiquée
si tu reviens
Avent 1
venir, tu es venu
comme à chaque bouleversement
quand la terre s’ébranlera
quand tombe la lune et fond le soleil
à nos yeux éperdus
tout semble aller comme devant
l’eau ruisselle et clapote la pluie
au matin luit la lumière
lentement elle s’estompe au soir
et l’on ne te voit pas venir
passent les jours
entre la guerre, entre la paix
calme public et tumulte des gens
ainsi que jamais ou toujours
jours après jours, temps après temps
et l’on ne te voit pas venir
peut-être ne viendras-tu jamais
alors que voici, tu es présent
et voici que tu viens
quand en secret change le monde
Tu te tais
entre toutes les rapidités
les fureurs, les fracas
affolements de foules effrayées
ou rires exagérés
trombes ou traversées de foules
tu te glisses
tu es la couleur du silence
interstices de peurs
intermittentes colères exténuées
rages et tendresses cependant
souffle des soulèvements
misères
tu vas sans bruit
est-il important que l’on t’ignore ?
tu es donc un enfant
es-tu celui que j’ai vu dormir à Paris dans la rue ?
tu t’étais fait une cabane de carton
faute d’une crèche
et ces barbus éméchés accroupis avec leurs chiens
qui saluaient de leurs litrons levés
tes fidèles bergers
ou bien es-tu ce petit d’homme armé d’une kalach ?
tout juste viens-tu de tuer tes pareils
ils sont anges du ciel
et ces guerriers kakis ramassant, arborant leur butin
ivres de qat et s’ornant de colliers d’oreilles
seront mages ou rois
es-tu la petite fille brune qui suce un vieux blanc
après qu’en haletant il t’aie démaillotée ?
on t’allaite ainsi
et tu entends des chants dans les chambres voisines
cris de plaisir en des moments d’orgasme
chœur d’anges mâles
encore seras-tu la gamine employée comme esclave ?
tu n’as pas écouté ta maîtresse indignée
et l’on te fouette
n’es-tu pas née pour servir et obéir et faire plaisir ?
on t’enverra dormir à jeun dans l’étable
bête que tu es
enfant ? je t’imagine encore inlassable
au travail
à casser des cailloux le marteau à la main
pierres précieuses
visage de poussière et bras endolori mais courage
tu rapporteras bien ce soir quelques roupies
offrande pour ton maître
ô toi qui viens comme un enfant je fais un rêve
et c’est que tu deviennes un jour un prince
prince gaucher
pour plonger les salauds dans la nuit de décembre
et donner aux enfants qui te ressemblent ainsi
leur bel avenir
mais tu viens pour mourir
cette année qui se finit, disait-il, voyez-vous je ne l’aime pas trop
elle est si pleine de malheurs
bien trop pleine de rapines
elle est bien trop remplie des tombes éparses d’enfants inconnus
des petits garçons, des petites filles
des innocents pas même saints
laissez-la aux riches et aux intelligents ils en feront bien quelque chose
ils sauront l’utiliser à leur guise
à leur service et pour leur bénéfice
c’est une année faite pour le chœur des anges mais quand ils pleurent
qu’ils se disent on ne va pas chanter
je ne l’aime pas trop cette année-là
cette année qui se termine, a-t-il dit, c’est une année comme les
autres
autant pleine de miracles mort-nés
pleine aussi d’espérance avortée
elle est bien trop remplie de femmes avec le corps de leurs fils
abattus
avec leurs filles au loin vendues
avec leurs gars partis, aventurés
rendez-la aux forts en gueule, aux vaillants de paroles, ils la
sanctifieront
ils diront bien tous les mots qu’il faut
ils vous mettront la larme à l’œil
frères, c’est une année faite pour qu’une autre, meilleure, la remplace
celle qui pourrait tout commencer
l’an qui vient, combat renouvelé
Les anges et moi
tout aurait pu arriver
heureusement tout s’est bien passé
la dame aurait pu refuser
l’ange aurait pu se tromper
la dame aurait pu perdre sa chaussure
elle aurait pu avoir mal et s’en aller
et l’ange aurait pu se vexer
il aurait pu se froisser
ses ailes se ternir ou se flétrir
même se faner
le temps qu’on retrouve cette chaussure tout aurait pu rater
on sait qu’une chaussure perdue ne peut pas repousser
il faut la retrouver aurait dit l’ange
la prochaine fois tâchez d’être moins maladroite
sans l’écouter la dame s’en serait allée
mais tout s’est bien passé et quand il est venu
la dame l’attendait pieds nus
l’ange s’était brutalement matérialisé sur la barre d’appui de ma
fenêtre
il était assis les jambes au-dehors, la main gauche en appui sur
mon bureau
celui-ci est placé sous la fenêtre, l’ange était tout près, juste devant
moi
il m’a regardé, l’air d’abord un peu intrigué puis carrément
désappointé
« Si je ne vous plais pas, vous n’avez qu’à vous
en aller », je lui ai asséné
c’est vrai, c’était embêtant, il faisait froid et j’étais obligé de
laisser ouvert
j’ai eu l’impression qu’il se demandait s’il ne s’était pas trompé
d’adresse
je ne semblais pas correspondre à la personne qu’il s’attendait à
rencontrer
« Vous ne vous appelleriez pas Marie, des
fois ? » il me dit en bon français
« Pas du tout, je lui réponds, et nous sommes en
2012 après Jésus-Christ »
« Jésus-Christ, Jésus-Christ… » il me dit, l’air de chercher dans sa mémoire
je l’ai interrompu : « En plus je suis un homme et Marie
est un nom de femme »
j’essayais de le mettre sur la voie, le pauvre emplumé, il avait l’air
perdu
peut-être qu’il ne faisait pas partie des anges dont on parle en
décembre
celui-là cherchait bien une Marie, mais il n’avait pas l’air trop sûr de
lui
« Je crois bien que je suis en retard, il me
dit, l’autre a dû me doubler »
je me suis demandé de quel autre il parlait, mais je commençais à
me lasser
un ange, bon d’accord, mais ce n’est pas une raison pour déranger
les gens
« En fait, il ajoute, je cherche une Marie mais
j’ai perdu ses coordonnées
c’est embêtant parce que je fais la course avec un autre et je risque
de perdre
nous avons tous les deux un message à porter mais ce n’est pas le
même »
on ne se refait pas, quoique agacé je lui ai demandé quelle était
la différence
« Sexuelle, la différence, il m’a dit, lui il
annonce un homme, moi une femme
et je crois bien que j’ai perdu la course, c’est bête ! »
il paraissait désolé
« C’est vrai c’est ballot, je lui ai répondu,
vous auriez pu faire attention !
maintenant, là-haut, vos services vont êtres obligés de tout recommencer… »
il a secoué la tête et les ailes et il a dit « Ben oui…
surtout que voyez-vous,
j’ai quand même eu l’impression que le patron aurait préféré avoir
une fille
oh làlà làlà,
ce qu’il va être déçu… et moi, qu’est-ce que je vais prendre ! »
mais j’ai vu qu’il souriait et j’ai compris qu’il avait fait exprès
de perdre…
en mon esprit de nuit pleuraient des souvenirs trop lourds
je marchais sur les pavés glissants d’une rue du faubourg
elle remontait hors du séjour des morts et je la connaissais
abandonné, ne sachant où mes pas me portaient, j’avançais
issu de ces pavés, visage dans la nuit, un ange m’apparut
on le sait, il arrive aussi aux anges perdus de finir à la rue
montait-il de mes caves, ou bien, perdu, s’en venait-il du ciel
ne se sachant, ne se voulant, ne se croyant messager officiel
j’ai failli marcher sur sa face de pluie mais je fis un écart
les anges m’indiffèrent, je les évite, qu’ils parlent aux jobards
mais il a ri, il semblait sûr de lui et des mots qu’il m’a jetés
j’ai couru, couru, de tout ce qu’il a dit rien n’a pu m’arrêter
on craint bien moins, au faubourg, le couteaux des apaches
ou bien les dégueulis des bienheureux amis du gros qui tache
et comme je fuyais, cet ange a reparu, son visage à mes pieds
j’ai tremblé, effrayé, apeuré, puis j’ai su qu’il voulait m’éveiller
j’avais erré en cette nuit de brume où j’arpentais mes rêves
le visage de cet ange m’a fait croire en un jour qui se lève
– Tu ne crois quand même pas aux anges ? me
demande ma nièce,
– Non, bien sûr, je réponds, quand même pas ! Je
ne suis pas idiot.
Pas vraiment !
– C’est que tu en serais bien capable ! dit-elle
en me scrutant,
L’ennui, avec les nièces perspicaces, c’est qu’elles
vous devinent.
À l’instant.
Avec elles, on ne peut plus croire à ce qu’on veut
sans le dire.
Je crois aux anges, ça me plaît de croire aux anges,
et alors ?
Je suis grand !
Mais bien sûr, quand je dis ça, ce n’est pas sérieux,
c’est pour rire,
– C’est pareil pour moi, me dit mon ange gardien, je
n’y crois pas.
Pas vraiment !
des anges, j’en ai vu beaucoup, mais celui-là était différent
il avait pris l’apparence de mon dernier petit-fils, Jonathan
on dira qu’en réalité il s’agissait bien de celui-ci mais non
j’ai le coup d’œil, je sais distinguer un ange d’un petit-fils
on ne peut s’y tromper, Jonathan est beaucoup plus pertinent
cet ange-là était pertinent comme un pape devenu calviniste
il tenait des propos que mon petit-fils n’aurait jamais tenus
Jonathan s’est toujours appliqué à des propos
incontestables
de ceux dont on perçoit immédiatement l’intérêt et la validité
s’il s’exprime, c’est pour signifier des souhaits respectables
comme le besoin d’un bisou maternel ou le désir d’un bonbon
rien que de bien circonscrit et de facilement compréhensible
l’ange, lui, discourait, parlant sans retenue de choses vagues
comme le feraient, tenez, des théologiens, c’est dire la nullité
comment, me disait-il, peux-tu continuer à croire aux
anges
au bon dieu et à toutes ces histoires, même à la sainte vierge
alors je me suis dit que pour un ange il manquait de bon sens
je me suis même demandé s’il ne s’était pas trompé de camp
ou pire, s’il ne venait pas du camp adverse, déguisé et grimé
eh bien non, c’en était un, de ceux auxquels on ne croit plus
et vous avez raison, m’assura-t-il, ce n’est pas ce qu’on croit
vous allez voir, celui qui vient à vous… va vous surprendre
Je ne sais qui m’avait envoyé tous ces anges,
drôle de cadeau de fin d’année.
Cela partait d’une démarche fort
étrange,
j’en suis encore tout étonné,
et plus, la visite inopinée d’un archange
survenue à la fin du dîner
m’ayant déplu, me laissant coi et sans louange,
à raison je l’ai abandonné.
Me faut-il accepter pourtant qu’il me dérange,
m’annonce qu’un enfant nous est né ?
Cet enfant m’indiffère, serait-il dans ses langes,
et l’archange aussi, tout empenné.
Attendez ! On voit bien que l’ange se mélange
quant à ce fils qui nous est donné !
Le fils de Dieu se prélassant dans une grange…
qui croirait un ange halluciné ?
qu’un monsieur tout ordinaire prenne le visage de l’ange
cela peut arriver
ou l’inverse, l’ange se présentant comme un monsieur
jamais auparavant vous ne l’aviez vu, vous ne le connaissiez pas
jamais plus vous ne le verriez
entre ces deux jamais, parole fut dite
un soir peut-être, un peu tard sous la pluie
dans une rue étroite, dans une ville inconnue
sous le halo tremblant, tenez, d’un réverbère
et la vérité qui toujours vous accompagne
vous fut dite, qui sait, sans que vous la saisissiez
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